LA TRANSITION DE L’AGRICULTURE AU SERVICE DE SYSTEMES ALIMENTAIRES ALTERNATIFS par Salomé Clopeau, le 03/02/2020 L’étalement urbain et la disparition d’une grande partie des terres agricoles se sont accélérés suite aux grands bouleversements du système alimentaire, dû à la spécialisation régionale des productions agricoles, le développement des industries de transformation et la concentration des infrastructures de distribution. L’approvisionnement en denrées alimentaires, alors assuré grâce aux nouvelles techniques agricoles, toujours plus efficaces et rentables, était qualifié de « progrès » (Deverre et Traversac, 2011). Depuis une vingtaine d’année, on assiste à la réinscription des questions alimentaire et agricole à l’agenda des préoccupations citoyennes. Le développement de la logistique et des transports a permis d’approvisionner les métropoles, depuis des espaces de plus en plus lointains tout en étendant la variété de l’offre. Dans les années 1970 et 1980, la question alimentaire a laissé la place à la question agricole, de multiples initiatives citoyennes apparaissent alors. Aurélie Cardona, dans son article, « Participer à la transition écologique de l’agriculture », va illustrer à travers différents exemples français de mobilisation d’acteurs extérieurs au monde agricole, comment la transition écologique de l’agriculture peut s’effectuer efficacement et durablement. Ces mobilisations visent à construire des alternatives au système alimentaire en place et à redéfinir la question de la qualité alimentaire au cœur des préoccupations des citoyens. Elles se déclinent selon différents objectifs ; certains acteurs luttent contre l’urbanisation des terres agricoles, d’autres encore développent des partenariats entre consommateurs et agriculteurs, afin d’établir des approvisionnements en produits locaux et biologiques. L’écologisation de l’agriculture est l’affaire de tous, pour que le processus fonctionne, il faut relier la problématique de l’écologisation de l’agriculture à des enjeux locaux (Cardona, 2013). Une proximité géographique et sociale pour des systèmes alimentaires alternatifs Les acteurs éloignés du monde agricole constituent une force parce qu’ils permettent d’ouvrir de nouveaux horizons aux agriculteurs concernés, en proposant de nouvelles techniques ou organisations, permettant des systèmes alimentaires alternatifs au nom d’un commerce éthique et écologique. Afin de créer des relations directes entre producteur et consommateur, de rétablir une confiance dans les produits commercialisés et de valoriser les actions bienfaitrices produites par des agriculteurs conscients des enjeux de leur métier et luttant pour une production moins néfaste pour l’environnement (filtration de l’eau de pluie vers les nappes, préservation des sols de l’érosion, augmentation du taux d’humus dans les sols, préservation de la biodiversité), (Papy, 2011), la proximité géographique doit être accompagnée d’une proximité sociale. Les marchés de producteurs, les ventes à la ferme ou ventes sur Internet, les paniers d’AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), réapparaissent ou se multiplient, ce qui engendre la création de nouveaux emplois et nouvelles exploitations et légitime la préservation d’un espace agricole au profit de l’urbanisation. Les collectivités locales rejoignent le mouvement en intégrant le bio et le local dans les critères d’approvisionnement de la restauration collective ou en soutenant des opérations de promotions. Ces collectivités peuvent aussi agir pour le milieu agricole, en créant des ateliers de dialogues entre agriculteurs, consommateurs et élus, permettant de comprendre les enjeux de l’agriculture aujourd’hui. Le foisonnement d’initiatives de collectivités territoriales, leur volonté de structuration d’une réflexion sur ces thèmes dans des réseaux dédiés augurent d’avancées en ce sens.
Comme l’écrivent Christian Deverre et Jean-Baptiste Traversac, il est nécessaire d’analyser plus en détails l’influence du mode de production agricole et d’approvisionnement en biens alimentaires sur le régime alimentaire des urbains (Deverre et Traversac, 2011). Tout d’abord, l’alimentation des habitants de la métropole parisienne était structurée et cadencée par ce que produisaient autrefois les maîtres-jardiniers ou maraîchers dans la proximité de la ville. Les champignons de « Paris » et le cresson étaient les éléments principaux du régime alimentaire des habitants. La seconde ceinture, « celle où désormais s’étend dans la confusion la mosaïque des cités et des champs de grande culture », (Deverre et Traversac, 2011, p.2) jouait un rôle évident pour la composante animale de la consommation alimentaire : les vaches laitières y étaient très nombreuses, assurant l’approvisionnement en lait, en beurre, en fromage, mais aussi en viande. Aujourd’hui, ces paysages sont devenus des espaces sans prairie et sans bête, dont l’absence a des conséquences insoupçonnées. Elle empêche notamment le développement d’une céréaliculture en agriculture biologique ou agroécologique, puisque les agriculteurs sont contraints d’importer des fumures organiques, qui peuvent remplacer les intrants de synthèses, et empêche l’autonomie de l’exploitation alors même qu’un des piliers de l’agriculture agroécologique est justement basée sur l’autarcie. C’est aussi faire renaître les savoirs du passé, avec la pratique de l’agropastoralisme ; le fait de coupler l’élevage et l’agriculture. L’agropastoralisme permet d’améliorer la culture agricole dans des zones difficiles (territoires montagneux, sols peu fertiles, régions présentant des difficultés climatiques) grâce à la présence de bétail. Cette connaissance a peu à peu disparu avec l’évolution des activités agricoles et d’élevages qui se sont intensifiées et souvent séparées. Une transition des systèmes de productions agricoles pour de nouveaux systèmes alimentaires Un retour aux paysages du XIXème siècle est inenvisageable étant donné l’ampleur et la radicalité des mutations des milieux physiques et des systèmes alimentaires. Ils imposent de repenser les systèmes agricoles majoritairement en place aujourd’hui. Une réflexion de la part de multiples acteurs, des acteurs extérieurs au monde agricole, comme on l’a vu à travers des initiatives citoyennes, des actions de la part des élus et politiques, des actions de la part des agriculteurs, premiers concernés dans cette réflexion sur la transition de leurs productions, et de la part des chercheurs qui peuvent informer et former tous ces acteurs à une meilleure compréhension de l’écosystème afin d’améliorer nos productions, favoriser la biodiversité, réduire les pollutions, etc. Pour Hugh Lacey, l’objectif de l’agroécologie est de cultiver ce qu’il appelle des « agroécosystèmes équilibrés de façon optimale », c’est-à-dire des agroécosystèmes où l’on cherche à atteindre un équilibre optimal entre la productivité, les revenus, l’accès aux marchés, la qualité des produits, la durabilité écologique et la conservation de la biodiversité, la santé sociale, la qualité de vie et le respect des droits de l’homme (Lacey, 2015). En élevage, l’agroécologie est aussi un enjeu majeur, moins connue encore que l’agroécologie en culture, elle est pourtant un enjeu essentiel à la transition écologique de l’agriculture, dans une époque où les mouvements extrémistes végétariens prennent de plus en plus d’ampleur et où les citoyens portent de moins en moins d’intérêt à la consommation de produits animaliers. L’agroécologie redonne un sens à la relation homme-nature. Elle permet d’améliorer la compétitivité des élevages herbivores et de leurs filières (produire pour le marché, coûts de production, valeurs ajoutées…) et de limiter les impacts environnementaux et promouvoir les
services écosystémiques (impact carbone, biodiversité…)1.Elle se traduit par plusieurs piliers pour les systèmes d’élevages, proposé par le chercheur de l’INRA Bertrand Dumont, le nouveau système agroécologique doit permettre d’améliorer la santé animale, potentialiser les ressources naturelles pour diminuer les intrants, réduire les pollutions induites par l’élevage, promouvoir la diversité dans les élevages pour valoriser la résilience et préserver la biodiversité, l’exploitation de races locales permet la conservation de réservoir génétique, l’entretien du paysage contribue à renforcer l’identité des territoires (Dumont, 2014). Cependant aujourd’hui, aucun consensus scientifique n’existe pour relever le défi de concilier productions alimentaires et préservation des ressources naturelles dans un contexte de dérèglement climatique ; la synergie entre agroécologie et écologie industrielle est prônée comme voie d’avenir. L’émergence de systèmes innovants favorisant l’autonomie globale des élevages et la réorganisation du travail devront apparaitre pour s’adapter aux nouvelles données économiques, environnementales et climatiques de demain. Mondialement, un grand nombre d’instituts de recherche multiplient et focalisent leurs programmes de travail en cohérence avec l’agroécologie. Pour Hugh Lacey, l’objectif de la recherche est de comprendre les structures des agroécosystèmes, leurs fonctionnements, leurs éléments, leurs dynamiques de changement, les relations qui existent entre êtres humains et objets naturels, leurs possibilités. L’agroécologie peut être pratiquée seulement après une période de transition, durant laquelle les conditions nécessaires sont établies ou rétablies, la recherche doit permettre d’identifier quelles sont ces conditions : conditions sociales, économiques, politiques, motivationnelles. Elle doit répondre également aux questions relatives à la durée de la transition, interventions requises et par qui, aux soutiens des communautés engagées dans ce type d’agriculture, des mouvements sociaux, des ONG, aux politiques publiques et aux obstacles à affronter (Lacey, 2015). En effet, les métropoles ont un rôle à jouer dans les évolutions que ces pratiques peuvent avoir. L’agriculture rend des services directs ou indirects à la ville et possède un caractère multifonctionnel, au-delà de sa fonction nourricière première, que la métropole doit comprendre et prendre en considération. Un lien de confiance a renoué Il faut repenser et fixer un agenda cohérent du devenir des espaces naturels dans et à proximité des villes. L’agroécologie, si elle est pratiquée par le plus grand nombre, va engendrer de nouveaux paysages à proximité des villes, les territoires de grandes plaines paysagères se pareront d’animaux. Les agriculteurs jouent un rôle essentiel dans cette recherche. Il est impossible de comprendre les enjeux et les conditions favorisant cette transition réussie sans prendre en compte l’expérience et les activités pratiques des agriculteurs et leurs conditions de vie. Il s’agit de mettre en évidence le triptyque « agriculture, alimentation, santé », de l’expliquer en rappelant d’où viennent et comment sont élaborés les aliments, de faire le lien avec les saisons, avec la fertilité de la terre et le travail des paysans, avec le bien-être animal...Les citoyens, auront, grâce à une plus importante sensibilisation et information de l’agroécologie et du devenir de l’agriculture de demain, une plus grande confiance pour les agriculteurs et aux produits qu’ils produisent, recréant ainsi un lien de confiance entre villes et campagnes. Le métier d’agriculteur doit être revalorisé et présenté comme le socle de l’alimentation. Il s’agit de renouer le lien aujourd’hui distendu entre ceux qui travaillent la terre et leurs concitoyens, qu’ils nourrissent (Claveirole, 2016).
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Rapport de l’Institut de l’Elevage publié lors du séminaire « Elevage d’herbivores, territoire et agroécologie. A. Le Gall, « Agroécologie et élevage herbivore : le point de vue de l’Institut de l’Elevage », Idele.fr
Les enjeux d’une politique agricole métropolitaine Il y a une certaine dichotomie entre les ressources de la métropole et celles de la périphérie. En effet, quelques tensions sont révélées lorsqu’il s’agit pour la métropole de s’associer à sa périphérie la plus proche pour s’approvisionner en denrées alimentaires. Les métropoles, semblent avoir plus de facilités à s’accorder avec des agglomérations plus lointaines, que leurs territoires proches, pour créer des circuits alimentaires et logistiques cohérents et développer l'agriculture durable et biologique. Ce blocage de la métropole face à ses territoires périphériques et fertiles fait échos à de nombreux enjeux, auxquels les orientations d’une politique agricole globale doivent répondre. Un enjeu nourricier, qui peut permettre d’évaluer l’autonomie alimentaire actuelle et potentielle d’un territoire. Un enjeu économique, puisque l’agriculture génère des retombées socio-économiques à différentes échelles, sur l’économie de la métropole mais également sur l’économie locale du département et de la région. Accroître la production locale implique que les territoires favorisent le développement d’activités venant se substituer aux importations et encourager les entreprises à s’approvisionner à proximité (Chabanel, 2017). Aussi des enjeux environnementaux, par rapport au développement de techniques respectueuses de l’environnement et des enjeux sociaux, par rapport à l’information, la sensibilisation et la confiance des citoyens envers l’agriculture et l’accessibilité à une alimentation de qualité. Les métropoles doivent avoir la capacité de proposer une offre de commerces et de services répondant aux nouvelles aspirations de la société de consommation et à inciter les habitants à privilégier cette offre de façon à soutenir le développement local (Chabanel, 2017 ; Talandier, 2014). Au regard du développement qui a été fait, il semble pertinent de poursuivre sur la question des enjeux de l’approvisionnement en denrées alimentaires par rapport aux politiques métropolitaines, en se focalisant sur la transition de l’agriculture et des recherches actuelles sur les questions d’agroécologie. Aborder le sujet des nouveaux systèmes de productions agricoles afin de créer des systèmes alimentaires alternatifs sous le regard des métropoles, comprendre dans quelles mesures les politiques métropolitaines peuvent aller dans ce sens. Pour répondre à cette problématique, je porterai mon attention sur les liens qu’entretiennent l’agglomération marmandaise avec la métropole de Bordeaux.
BIBLIOGRAPHIE ▪
Cardona, Aurélie, « Participer à la transition écologique de l’agriculture », Métropolitiques, 10 juin 2013. URL : https://www.metropolitiques.eu/Participer-a-latransition.html
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Chabanel, Boris, « Le circuit économique local, parent pauvre des stratégies métropolitaines », Métropolitiques, 31 janvier 2017. URL : https://www.metropolitiques.eu/Le-circuit-economique-local-parent.html
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Claveirole, Cécile, « La transition agroécologique : défis et enjeux », novembre 2016, lecese.fr. URL : https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2016/2016_13_agroecologie.pdf
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Deverre, Christian, Traversac Jean-Baptiste, « Manger local, une utopie concrète », Métropolitiques, 20 octobre 2011. URL : https://www.metropolitiques.eu/Mangerlocal-une-utopie-concrete.html
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Dumont, Bertrand et al « Prospects from agroecology and industrial ecology for animal production in the 21st century », 2014. URL : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3640203/
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Lacey, Hugh, « Agroécologie : la science et les valeurs de la justice sociale, de la démocratie et de la durabilité », Presse de Sciences Po « Ecologie & politique », n°51, 2015, p. 27-39. URL : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2015-2page-27.htm
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Le Gall André, « Agroécologie et élevage herbivore : le point de vue de l’Institut de l’Elevage », Institut de l’élevage, idele.fr
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PAPY, François, « La nécessaire transition écologique de l’agriculture : tous responsables », LNV, 2011 URL : http://www.lvn.asso.fr/spip.php?article1572
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Talandier, Magali, « Les villes moyennes, des espaces privilégiés de la consommation locale », Métropolitiques, 19 février 2014. URL : https://www.metropolitiques.eu/Lesvilles-moyennes-des-espaces.html