Introduction
23
INTRODUCTION 24
Nourrir l’humanité
Aujourd’hui, près de 55% de la population mondiale vit dans des zones urbaines, d’ici 2050, ce chiffre devrait passer à 68%1. Sachant que 70% de tous les aliments produits sont destinés à la consommation dans les villes, les processus d’urbanisation créent à la fois des défis et des opportunités pour inventer des systèmes alimentaires sains, justes, économiquement et écologiquement durables. L’insécurité alimentaire urbaine est très directement liée à la répartition inéquitable des ressources. Encore aujourd’hui, les personnes souffrant de la faim sont plus de 8%2. Ces dernières années et ce depuis 2014, la famine augmente partout dans le monde. En outre, le nombre de personnes en surpoids et obèses augmente en tous lieux et tous milieux, mais surtout dans les zones urbaines. En 2019, 38 millions d’enfants de moins de 5 ans étaient en surpoids ou obèses3 et près de 672 millions d’adultes étaient obèses en 20164. Cette hausse est expliquée, en plus d’une plus grande sédentarisation, par les changements alimentaires des hommes, qui se sont peu à peu tournés vers une alimentation basée sur des aliments ultra-transformés, beaucoup plus riche en sel, sucre et matières grasses5 Les maladies alimentaires sont directement ou indirectement responsables de près de la moitié des décès dans le monde. Aujourd’hui, pour 2 milliards d’individus, les déficits alimentaires compromettent gravement leur santé. Alors que pour 1 milliard d’êtres humains, les excès de sucre, de gras, de sel, de protéines animales sont à l’origine de lourdes pathologies. Il est alors urgent de changer bien sûr le comportement des consommateurs mais également la structure de l’offre alimentaire.
Ainsi, aujourd’hui, les peurs alimentaires n’ont jamais été aussi fortes. En 2016, « 74% des consommateurs pensent que l’aliment présente des risques importants pour leur santé, contre seulement 55% en 1995.6 » Les inquiétudes portent sur les herbicides, pesticides et insecticides pour les végétaux et les antibiotiques et les modes d’élevages pour la viande. Comme l’écrit Sylvie Brunel, « Pour tous ceux qui ont oublié
1 Site de l’Organisations des Nations Unies. URL : https://www.un.org/fr/
2 Site de l’Organisation mondiale de la Santé. URL : https://www.who.int/fr/
3 Organisation Mondiale de la Santé, « Obésité et Surpoids », Organisation Mondiale de la Santé [en ligne], 20 août 2020
4 José Graziano da Silva, « Objectif Faim Zéro : les actions d’aujourd’hui représentent l’avenir de demain », Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture [en ligne], 16 octobre 2018
5 Site de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. URL : http://www. fao.org/home/fr/
6 Académie d’agriculture, Le grand livre de notre alimentation, Edition Odile Jacob, 2019, p.31
INTRODUCTION 25
la peur de manquer, la question n’est plus de savoir que manger, mais que ne pas manger7 » Le bien-être animal et la recherche de produits préservant la planète sont en hausse dans les classes supérieures. Les questionnements, autours des bienfaits de l’alimentation sur la santé, deviennent alors les premières préoccupations. L’aliment idéalisé est celui issu de l’agriculture biologique. Les citoyens s’interrogent sur la provenance des marchandises et de leurs impacts sur le réchauffement climatique, tout autant que sur leur consommation de viande et de son impact sur le bien-être animal et l’environnement.
Source : Kantar WorldPanel 2018 - réalisation personelle
Source : Ipsos 2018 - réalisation personnelle
de moins bonne qualité
7 Brunel, Sylvie, Pourquoi les paysans vont sauver le monde, Edition Buchet Chastel, 2020, p.80
INTRODUCTION 26
27% 73% Inquiets Pas inquiets
Figure 1 : Part des français inquiets pour la sécurité alimentaire
6% 61% 14% 19% Ne sais pas Plus sains et de meilleure qualité Aussi sains et de meilleure qualité Moins sains et
Figure 2 : Par rapport à il y a 40 ans, diriez-vous que les produits agricoles français sont...?
L’étalement urbain et la disparition d’une grande partie des terres agricoles se sont accélérés suite aux grands bouleversements du système alimentaire, dû à la spécialisation régionale des productions agricoles, le développement des industries de transformation et la concentration des infrastructures de distribution. L’approvisionnement en denrées alimentaires, alors assuré grâce aux nouvelles techniques agricoles, toujours plus efficaces et rentables, était qualifié de progrès8 Malgré ces progrès, il reste de nombreux défis à relever dans le monde. A l’heure où l’on sait que nous serons près de 10 milliards d’êtres humains sur Terre en 2050, encore 10,8% de la population mondiale était sous-alimenté en 20189. De plus, on assiste à l’augmentation des crises sanitaires, augmentant l’insécurité alimentaire, d’une part en augmentant les prix alimentaires et d’autres part en créant des pénuries ou des maladies dans certains pays. Le réchauffement climatique représente un enjeu important. En effet, « les systèmes alimentaires émettent 30% des gaz à effet de serre (GES) de la planète pour lesquels la nourriture [...] fait partie des cinq principaux contributeurs.10 » Quand « les marchés alimentaires urbains représentent 70% de l’approvisionnement alimentaire mondial, les villes sont des zones sensibles pour faire face aux chocs et au stress dus au changement climatique.11 »
Repenser les systèmes agricoles et alimentaires
Le régime alimentaire des urbains est depuis toujours influencé par le mode de production agricole et d’approvisionnement en biens alimentaires12. L’alimentation des habitants de la métropole parisienne était structurée et cadencée par ce que produisaient autrefois les maîtres-jardiniers ou maraîchers dans la proximité de la ville. Les parisiens consommaient alors essentiellement des champignons de « Paris » et du cresson. La seconde ceinture, « celle où désormais s’étend dans la confusion la mosaïque des cités et des champs de grande culture 13», jouait un rôle évident dans l’approvisionnement alimentaire : les vaches laitières y étaient très nombreuses, assurant l’approvisionnement en lait, en beurre, en fromage, mais aussi en viande. Aujourd’hui, ces paysages sont devenus des espaces sans prairie et sans bête, dont l’absence a des conséquences insoupçonnées. Elle empêche notamment le développement d’une céréaliculture en agriculture biologique ou agroécologique, puisque les agriculteurs sont contraints d’importer des fumures organiques, qui peuvent remplacer les intrants de synthèses, empêchant l’autonomie de l’exploitation, alors même qu’un des piliers de l’agriculture agroécologique est justement basé sur l’autarcie.
8 Deverre, Christian, Traversac Jean-Baptiste, « Manger local, une utopie concrète », Métropolitiques, 20 octobre 2011
9 Agences des Nations Unies, Rapport SOFI, 15 juillet 2019, cité par Gérard, Mathilde, « Pour la troisième année d’affilée, la faim progresse dans le monde », Le Monde, 15 juillet 2019
10 C40 Cities, Arup, University of Leeds, 2019, The Future of Urban Food Consumption in a 1.5 World. URL : https://www.c40.org/consumption. Cité dans FAO, Pacte de politique alimentaire urbaine de Milan, Cadre de Suivi, 2019, page 4
11 WB, 2015, Investing in Urban Resilience, Protecting and Promoting Development in a Changing World. URL : https://www.gfdrr.org/sites/default/files/publication/Investing%20in%20Urban%20 Resilience%20Final.pdf. Cité dans FAO, Pacte de politique alimentaire urbaine de Milan, Cadre de Suivi, 2019, page 4
12 Op. cit. Deverre, Christian, Traversac, Jean-Baptiste
13 Ibid. p.2
INTRODUCTION 27
Un retour aux paysages du XIXème siècle est inenvisageable étant donné l’ampleur et la radicalité des mutations des milieux physiques et des systèmes alimentaires. De nouveaux enjeux imposent de repenser les systèmes agricoles et alimentaires majoritairement en place aujourd’hui.
Une proximité géographique et sociale pour des systèmes alimentaires alternatifs
Une proximité géographique et sociale est nécessaire pour des nouveaux systèmes alimentaires. Les acteurs éloignés du monde agricole constituent une force, parce qu’ils permettent d’ouvrir de nouveaux horizons aux agriculteurs concernés, en proposant de nouvelles techniques ou organisations, permettant des systèmes alimentaires alternatifs au nom d’un commerce éthique et écologique. Afin de créer des relations directes entre producteur et consommateur, de rétablir une confiance dans les produits commercialisés et de valoriser les actions bienfaitrices produites par des agriculteurs conscients des enjeux de leur métier et luttant pour une production moins néfaste pour l’environnement14, la proximité géographique doit être accompagnée d’une proximité sociale. Les marchés de producteurs, les ventes à la ferme ou ventes sur Internet, les paniers d’AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), réapparaissent ou se multiplient, ce qui engendre la création de nouveaux emplois et nouvelles exploitations et légitime la préservation d’un espace agricole au profit de l’urbanisation. Les collectivités locales rejoignent le mouvement en intégrant le bio et le local dans les critères d’approvisionnement de la restauration collective ou en soutenant des opérations de promotions. Ces collectivités peuvent aussi agir pour le milieu agricole, en créant des ateliers de dialogues entre agriculteurs, consommateurs et élus, permettant de comprendre les enjeux de l’agriculture aujourd’hui. Le foisonnement d’initiatives de collectivités territoriales, leur volonté de structuration d’une réflexion sur ces thèmes dans des réseaux dédiés augurent d’avancées en ce sens.
La transition des systèmes de productions agricoles sont nécessaires pour de nouveaux systèmes alimentaires. Une réflexion de la part de multiples acteurs doit être envisagée, des acteurs extérieurs au monde agricole, à travers des initiatives citoyennes, des actions de la part des agriculteurs, premiers concernés dans cette réflexion sur la transition de leurs productions, et de la part des chercheurs qui peuvent informer et former tous ces acteurs à une meilleure compréhension de l’écosystème afin d’améliorer nos productions, favoriser la biodiversité, réduire les pollutions, etc. Et des actions de la part des élus et politiques, qui, nous allons le voir doivent repenser leur politique agricole et alimentaire, en faveur du bio et du local, afin de répondre aux attentes des citoyens, qu’ils vivent à la campagne ou dans les métropoles.
Les enjeux d’une politique agricole métropolitaine
Le métropolisation interroge l’organisation des systèmes alimentaires, nécessaire à une meilleure production, une meilleure commercialisation, permettant
14 Papy, François, « La nécessaire transition écologique de l’agriculture : tous responsables », LNV, 2011
INTRODUCTION 28
le respect de l’environnement, des gens qui produisent et des gens qui se nourrissent. Les orientations d’une politique métropolitaine agricole et alimentaire globale doivent répondre à de nombreux enjeux. Un enjeu nourricier, qui peut permettre d’évaluer l’autonomie alimentaire actuelle et potentielle d’un territoire. Un enjeu économique, puisque l’agriculture génère des retombées socio-économiques à différentes échelles, sur l’économie de la métropole mais également sur l’économie locale du département et de la région.
Accroître la production locale implique que les territoires favorisent le développement d’activités venant se substituer aux importations et encourager les entreprises à s’approvisionner à proximité15. Aussi des enjeux environnementaux, par rapport au développement de techniques respectueuses de l’environnement et des enjeux sociaux, par rapport à l’information, la sensibilisation et la confiance des citoyens envers l’agriculture et l’accessibilité à une alimentation de qualité. Les métropoles doivent avoir la capacité de « proposer une offre de commerces et de services répondant aux nouvelles aspirations de la société de consommation et à inciter les habitants à privilégier cette offre de façon à soutenir le développement local.16 » C’est pourquoi depuis quelques années, de plus en plus de collectivités ou de métropoles s’engagent sur la question alimentaire, veulent repenser l’organisation du système et contribuent à la construction de nouvelles politiques transversales. Leur engagement se fait de manière volontaire souvent dans le prolongement des projets de territoire de développement durable tels que les agendas 21 locaux. L’influence peut également naître d’associations porteuses de projets. Elle peut être portée par des élus investis dans la transition vers le développement durable ou des services impliqués dans l’agriculture ou la restauration scolaire. En 2015, de nombreuses villes ont signé le Pacte de politique alimentaire urbaine de Milan, qui énonce la nécessité d’une réorientation de l’action publique pour construire une politique alimentaire locale durable, inclusive et en cohérence avec les objectifs du développement durable. Ce pacte a été signé par 113 villes dans le monde, dont huit en France, Bordeaux Métropole, Montpellier Méditerranée, Lyon, Nantes Métropole, Paris, Marseille, Grenoble, et le conseil départemental de Gironde.
Les politiques métropolitaines s’engagent dans l’élaboration d’actions, de projets alimentaires territorialisés et créer de nouveaux modes de coopération et de contractualisation entre territoires. Cette nouvelle politique publique transversale s’appuyant sur une nouvelle gouvernance très ouverte, fédère un très grand nombre d’acteurs, à toutes les échelles, de la chaîne alimentaire.
Nous nous intéresserons, dans ce mémoire, aux politiques alimentaires qui sont à l’origine des circuits alimentaires, du système de production au système de distribution et qui font le lien entre l’alimentation et le développement territorial. Nommée par Sophie Brunel comme la « troisième révolution agricole17 », les enjeux
15 Chabanel, Boris, « Le circuit économique local, parent pauvre des stratégies métropolitaines », Métropolitiques, 31 janvier 2017
16 Ibid. p3
17 Op. Cit. Brunel, Sophie, p.247
INTRODUCTION 29
agricoles et alimentaires d’aujourd’hui doivent être intégrés « au niveau des territoires, dans leur grande diversité 18» et exigent « une pluralité d’acteurs prêts à travailler ensemble autour d’objectifs définis conjointement 19».
Nous nous attacherons à comprendre quelles sont les conditions optimales de ces coopérations territoriales pour qu’elles répondent aux enjeux de la troisième révolution agricole ?
Ces nouvelles coopérations ont-elles réellement la capacité d’intégrer et structurer différentes finalités sur le territoire ? Ont-elles la capacité de générer des actions locales sur un territoire ? Et peuvent-elles vraiment jouer un rôle de levier en rupture de toutes les actions menées jusqu’alors, pour répondre aux enjeux de la troisième révolution agricole ? Nous allons analyser quels ont été les outils favorisés et utilisés pour permettent que ces coopérations voient le jour et se développent et de quelles manières elles permettent de répondre ou non aux enjeux agricoles et alimentaires d’aujourd’hui.
En réponse à cette problématique et ces questionnements, il est important de comprendre et étudier les différentes échelles sur lesquelles ces coopérations peuvent s’appuyer, car pour chaque échelle et chaque territoire, les enjeux et modes d’actions sont différents.
C’est pourquoi, nous étudierons deux cas différents de systèmes alimentaires territorialisés, qui se développent à différentes échelles et de différentes manières sur le territoire aquitain.
Premièrement, nous prendrons le cas du Projet alimentaire de territoire (PAT) du Cœur Entre-deux-mers, qui vient d’être labellisé par le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation en août 2020. Ce projet alimentaire territorialisé se développe à l’échelle de l’intercommunalité, dans l’aire d’influence de la métropole bordelaise. Enfin, nous étudierons la démarche « Bordeaux métropole coopérative », qui induit la contractualisation bilatérale entre Bordeaux Métropole et plusieurs collectivités territoriales de la région Nouvelle-Aquitaine, autour de divers sujets et enjeux communs. Nous nous intéresserons seulement aux contractualisations qu’effectuent la métropole avec ces collectivités, afin de créer des systèmes alimentaires territorialisés.
Afin d’étudier cette problématique, nous analyserons les objectifs énoncés par de nombreux chercheurs, scientifiques et théoriciens concernant l’agriculture et l’alimentation de demain et les recherches sur les coopérations territoriales et de gouvernance alimentaire. Puis, nous étudierons les objectifs des élus et porteurs de projet des deux cas d’études. La convergence de ces différents points de vue nous a notamment permis de mettre en évidence à la fois des enjeux communs, des actions différentes mais aussi les limites de ces projets de territoire.
18 Op. Cit. Brunel, Sophie, p.254
19 Ibid. p.254
30
Dans une première partie, il sera question de développer les nouvelles politiques alimentaires mises en place pour répondre aux enjeux alimentaires et agricoles d’aujourd’hui et de demain et créer des systèmes alimentaires territorialisés. Nous appréhenderons la diversité des systèmes, la capacité du développement local à repenser l’alimentation et les nouveaux outils de développement territorial.
Dans une deuxième partie, nous aborderons les nouvelles coopérations territoriales et interterritoriales qui tentent de créer des systèmes alimentaires durables et de repenser l’agriculture et l’alimentation de demain, d’abord en étudiant le cas du Projet alimentaire territorial (PAT) du Cœur Entre-deux-mers, puis en étudiant la démarche « Bordeaux métropole coopérative ». Nous questionnerons ces démarches, pour comprendre de quelles manières et avec quelles capacités peuvent-elles répondre aux enjeux de la troisième révolution agricole ? Et comment peuvent-elles impulser la transition des systèmes en place aujourd’hui ?
31
PARTIE 01
DE NOUVELLES POLITIQUES ALIMENTAIRES
POUR DES SYSTÈMES ALIMENTAIRES
TERRITORIALISÉS
PARTIE 1 34 CHAPITRE 1
CHAPITRE 1
UNE DIVERSITÉ DES SYSTÈMES AGRI-ALIMENTAIRES
Claire Lamine, définit l’ensemble des systèmes qui induisent des changements du secteur agricole et alimentaire comme un système « agri-alimentaire ». Il s’agit d’un « système sociotechnique que l’on peut définir comme englobant les agriculteurs, le conseil, la recherche, les acteurs de l’amont et de l’aval des filières, les politiques publiques et les instances de régulation (réglementation des phytosanitaires, des pollutions, des semences et de la qualité des produits notamment), les consommateurs et la société civile 20 ». Ce système sociotechnique intègre « l’ensemble des acteurs contribuant à la production, à la normalisation, à la commercialisation et à la consommation des produits agricoles21 ».
A
Une diversité des systèmes de productions
Aujourd’hui, dans le monde entier, ou rien qu’en France, on retrouve une multitude de systèmes de productions agricoles. Nourrir le monde nécessite une pluralité de modèles22. Pour les définir, en dépassant l’opposition agriculture biologique et conventionnelle, il faut non seulement prendre en compte le mode de production agricole, c’est-à-dire le système technique, mais également le contexte socio-économique mondial et territorial dans lequel cette production s’inscrit, mais encore la diversité des structures et des modèles d’exploitation, les exploitations et entreprises familiales ne pouvant être comparées aux firmes23.
Il existe des systèmes de production basés sur intrants chimiques, biologiques ou biodiversifiés, insérés dans des systèmes alimentaires mondialisés. Ou encore des systèmes de production biodiversifiés ou biologiques, insérés dans des
20 Lamine, Claire, « Une analyse des transitions vers l’agriculture biologique à l’échelle des systèmes agri-alimentaires territoriaux », Terrains & travaux, ENS Paris-Saclay, n°20, 2012, p. 139
21 Ibid. p.143
22 Brunel, Sylvie, Pourquoi les paysans vont sauver le monde, Edition Buchet Chastel, 2020
23 Therond, Olivier, « Diversité des formes d’agriculture, Séminaire "élevage et développement durable des territoires" », Montpellier, 14 février 2017
35 PARTIE 1 CHAPITRE 1
systèmes alimentaires alternatifs et d’économies circulaires. Ces différents modes de production possèdent chacun une grande diversité de pratiques agronomiques et de performances.
Ces différentes formes d’agriculture, présentent différents enjeux environnementaux. Tandis que certains tentent de respecter les réglementations environnementales, d’autres tentent de réduire les impacts sur la santé des hommes et des écosystèmes, alors que d’autres systèmes travaillent avec l’écosystème, gèrent durablement les paysages et les ressources24. Ces formes d’agricultures présentent également des enjeux socio-économiques différents. Les systèmes les plus respectueux souvent insérés dans des systèmes alimentaires alternatifs permettent la relocalisation des filières et de nouvelles formes de souveraineté et de gouvernance alimentaire et énergétique.
Services écosystémiques
SP biodiversifiés insérés dans des systèmes alimentaires mondialisés
Relations basées sur le prix des marchés mondiaux
SP basés sur intrants biologiques insérés dans systèmes alimentaires mondialisés
SP biodiversifiés insérés dans des systèmes alimentaires alternatifs et des économies circulaires et la gestion de paysages multi-services
SP biodiversifiés insérés dans des systèmes alimentaires alternatifs et des économies circulaires
Ancrage territorial
SP basés sur intrants biologiques insérés dans des économies circulaires
SP basés sur intrants chimiques insérés dans systèmes alimentaires mondialisés
Intrants éxogènes
Figure 3 : Grandes formes d’agriculture
SP : Systèmes de production
Source : Oliver Therond, « Diversité des formes d’agriculture, Séminaire "élevage et développement durable des territoires" », Montpellier, 14 février 2017 - réalisation personnelle
24 Op. Cit., Therond, Olivier
PARTIE 1 36 CHAPITRE 1
Travail avec les capacités de l’écosystème
Respect de la santé des sols, des plantes et des animaux
Gestion durable des paysages multiservices Participe à la santé des écosystèmes
Travail avec les capacités de l’écosystème
Respect de la santé des sols, des plantes, des animaux et des hommes
Ancrage territorial Relations basées sur le prix des marchés mondiaux
Réduction des impacts sur la santé des hommes et des écosystèmes
Métabolisme territorial : réduction de la consommation des ressources et déchats/pollution
Respect des réglementations environnementales
Intrants éxogènes
Source : Oliver Therond, « Diversité des formes d’agriculture, Séminaire "élevage et développement durable des territoires" », Montpellier, 14 février 2017 - réalisation personnelle
Multifonctionnalité Autonomie
Production et résilience via la diversité et l’autonomie
Relocalisatioin
Souverainetés alimentaire et énergétiques Autonomie
Ancrage territorial Relations basées sur le prix des marchés mondiaux
Efficience des intrants
Production et résilience via des contrats et assurances
Réseaux locaux mais avec une synergie industrielle (contrats)
Intrants éxogènes
Source : Oliver Therond, « Diversité des formes d’agriculture, Séminaire "élevage et développement durable des territoires" », Montpellier, 14 février 2017 - réalisation personnelle
37 PARTIE 1 CHAPITRE 1
Services écosystémiques
Figure 5 : Enjeux soci-économiques des formes d’agriculture
Figure 4 : Enjeux environnementaux des formes d’agriculture
Services écosystémiques
Avant les années 1950, en France, les systèmes de production privilégiés par les agriculteurs sont l’association agriculture-élevage. Différentes cultures et différents élevages adaptés aux terroirs entretenaient une relation étroite. Cette relation a peu à peu disparu, avec l’évolution des activités agricoles et d’élevages qui se sont intensifiés.
En un peu plus de trois siècles, du XVIème au XIXème siècle, la première révolution agricole […] a doublé la productivité agricole dans les pays tempérés et accompagné dans son essor la première révolution industrielle.25 La deuxième révolution agricole a prolongé au XXème siècle cette première phase de la mécanisation, mais elle a reposé pour sa part sur le développement de nouveaux moyens de production agricole issus de la deuxième révolution industrielle26
Les agriculteurs utilisent alors des moyens de production industriels et la recherche se penche sur la sélection génétique, afin d’adapter les cultures et les animaux aux moyens de productions industriels27. Cette révolution a orienté le développement agricole vers l’accroissement de la production. Mais aujourd’hui, une conscience écologique, de la part de tous les acteurs agricoles, a fait évoluer les pratiques.
On rencontre désormais une multitude de termes, parfois utilisés à tort, qui décrivent différents modes de production agricole ou un ensemble de pratiques et de théories, qu’il convient d’étudier pour comprendre la complexité et la diversité des systèmes de production.
Le mode d’agriculture le plus pratiqué dans le monde est l’agriculture conventionnelle. Cette agriculture est fortement mécanisée et utilise des intrants chimiques afin d’obtenir un rendement maximum des cultures.
A l’inverse, l’agriculture biologique, n’utilise pas d’intrants chimique. Elle est soumise à une réglementation européenne appliquée par tous les Etats membres et complétée par des dispositions nationales. La marque AB est propriété du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Elle identifie les produits d’origine agricole destinés à l’alimentation humaine ou animale qui respectent la réglementation et le contrôle tels qu’ils sont appliqués en France28. Labellisée depuis 1981, ce mode de production agricole, qui augmente de plus en plus, que ce soit en surface agricole ou dans l’assiette des français, n’est pourtant pas toujours la pratique la plus optimale pour les écosystèmes. En effet, cultiver bio signifie ne plus utiliser d’intrants et de produits phytosanitaires issus de la pétrochimie, cependant des dérogations sont attribuées pour certaines cultures et « En réalité, non seulement le bio est traité, mais il est très traité. Parce que les produits utilisés sont moins efficaces et qu’il faut en appliquer plus souvent.29 »
De plus, un grand nombre d’agriculteurs, bien qu’en bio, travaillent comme certains agriculteurs conventionnels, ils travaillent en cultures de pleins champs
25 Mazoyer, Marcel, Roudart, Laurence, Histoire des agricultures du monde : Du néolithique à la crise contemporaine, Edition Du Seuil, 2002, p.493
26 Ibid. p.493-494
27 Commissariat général au développement durable, Les systèmes de production économes et autonomes pour répondre aux enjeux agricoles d’aujourd’hui, Décembre 2017
28 Site du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation
29 Op. Cit. Brunel, Sylvie, p.122
PARTIE 1 38 CHAPITRE 1
sur une terre nue, demandant un travail du sol conséquent et impliquant une mécanisation importante, ce qui implique beaucoup de carburant et rejette du CO2 dans l’atmosphère. Dans ce cas, l’agriculteur en bio ne travaille pas à recréer de la biodiversité30 car « il contribue au changement climatique, sans compter l’impact que ce labour exerce sur les sols dont on dit aujourd’hui qu’il vaut mieux les préserver. 31»
L’agroécologie, est un terme que l’on retrouve de plus en plus aujourd’hui. Il est notamment utilisé pour nommer différemment la loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation de 2014 : « Loi agroécologie ». Ce terme ne désigne pas un mode de production agricole, mais un ensemble de pratiques et de théories. Selon Sylvie Brunel, l’agroécologie apporte une dimension intéressante, qui est d’utiliser les ressources naturelles pour que les plantes soient en meilleure capacité de se défendre contre les bioagresseurs, en s’inspirant de savoirs anciens et en intégrant les savoirs agronomiques d’aujourd’hui. Cependant, pour elle, ce terme reste néanmoins un mot à utiliser à bon-escient, parce qu’il peut représenter, dans le discours de beaucoup, « un mot-valise destiné à rendre heureux tous ceux qui le vantent.32 » De plus, l’agroécologie implique des savoirs et un travail accru pour les agriculteurs, « qui n’a de sens que s’il peut être rentable. 33»
C’est pourquoi pour Hugh Lacey, l’agroécologie doit intégrer cette dimension économique et rémunératrice. L’objectif de l’agroécologie est de cultiver ce qu’il appelle des « agroécosystèmes équilibrés de façon optimale, c’est-à-dire des agroécosystèmes où l’on cherche à atteindre un équilibre optimal entre la productivité, les revenus, l’accès aux marchés, la variété et la qualité des produits, la durabilité écologique et la conservation de la biodiversité, la santé sociale, la qualité de vie et le respect des droits de l’homme34». Elle permet d’améliorer la compétitivité des élevages herbivores et de leurs filières (produire pour le marché, coûts de production, valeurs ajoutées…), de limiter les impacts environnementaux et promouvoir les services écosystémiques (impact carbone, biodiversité…)35. Cependant aujourd’hui, aucun consensus scientifique n’existe pour relever le défi de concilier productions alimentaires et préservation des ressources naturelles dans un contexte de dérèglement climatique ; la synergie entre agroécologie et écologie industrielle est prônée comme voie d’avenir. Mondialement, un grand nombre d’instituts de recherche multiplient et focalisent leurs programmes de travail en cohérence avec l’agroécologie. Pour Hugh Lacey, l’objectif de la recherche est de comprendre les structures des agroécosystèmes, leurs fonctionnements, leurs éléments, leurs dynamiques de changement, les relations qui existent entre êtres humains et objets naturels et leurs possibilités36
Des agriculteurs prennent conscience des enjeux écologiques de leur métier et
30 Dion, Cyril, « Permaculture, agroécologie, agriculture bio : quelles différences ? », Colibris, 11 octobre 2011
31 Op. Cit. Brunel, Sylvie, p.123
32 Ibid. p.200
33 Ibid. p.202
34 Lacey, Hugh, « Agroécologie : la science et les valeurs de la justice sociale, de la démocratie et de la durabilité », Presse de Sciences Po « Ecologie & politique », n°51, 2015, p. 29
35 Rapport de l’Institut de l’Elevage publié lors du séminaire « Elevage d’herbivores, territoire et agroécologie. A. Le Gall, « Agroécologie et élevage herbivore : le point de vue de l’Institut de l’Elevage »
36 Op. Cit. Lacey, Hugh
39 PARTIE 1 CHAPITRE 1
tentent de nouvelles techniques de production « agroécologiques », pour travailler tout en essayant de réduire leurs empreintes néfastes sur l’environnement. De nombreux agriculteurs, qui ne pratiquent pas l’agriculture biologique, se sentent toutefois concernés par les problèmes soulevés. Ils s’informent, se forment et s’équipent afin de pratiquer leur activité de manière la plus respectueuse possible de l’environnement. Avec l’aide de chercheurs et d’ingénieurs qui innovent toujours davantage pour proposer des outils qui évitent l’utilisation trop importante d’intrants de synthèse ou le travail trop important du sol, moins nocifs pour les écosystèmes. En effet, aujourd’hui, de nombreux agriculteurs pensent que les techniques d’agricultures biologiques ne sont pas des techniques d’avenirs, comme l’utilisation très importante du labour et que d’autres moyens de produire peuvent être mis en œuvre, sans appauvrir les sols, par exemple grâce aux Techniques Culturales Sans Labour37, qui sont des techniques d’un autre mode d’agriculture, l’agriculture de conservation38
Depuis 2018, le chiffre d’affaires des 385 entreprises d’agroéquipements françaises a progressé de 6%, démontrant un intérêt de la part des agriculteurs à s’équiper pour pratiquer l’agroécologie. Pour Jean-Pierre Nollet, « la solution de l’équation écologique passe par le machinisme agricole 39». Les nouvelles technologies contribuent à cette évolution. Le retour vers des agricultures ancestrales, des modes d’agriculture du passé, ne doivent pas être les seuls prônés comme voie d’avenir. L’agriculture de précision permet un guidage précis des outils agricoles. Elle permet de collecter des informations, qui vont aider l’agriculteur à décider et agir. Certains outils innovants permettent de récolter des données météorologiques, des caractéristiques du sol ou encore de mesurer la réaction des cultures permettant ainsi aux agriculteurs de prendre des décisions adaptées, en utilisant la dose nécessaire de produits phytosanitaires, leur permettant de réduire les coûts de production et de tendre vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement.
37 Labreuche, J., Le Souder, C., Castillon, P., Ouvry, J.F., Real B., Germon, J.C., de Tourdonnet, S., Evaluation des impacts environnementaux des Techniques Culturales Sans Labour en France, ADEMEARVALIS Institut du végétal-INRA-APCA-AREAS-ITB-CETIOMIFVV, 2007
38 « Agriculture qui repose sur trois grands principes agronomiques appliqués simultanément : la suppression de tout travail du sol, la couverture (végétale ou organique) permanente du sol ainsi que la diversification de la rotation culturale. Le principal objectif de cette combinaison de principes est de réduire la dégradation des sols et d’améliorer à terme leur fertilité en utilisant intensivement les processus biologiques et écologiques de l’écosystème sol en remplacement de certains intrants ».
Fanny Roocks, Hélène Salva, Jean-Pierre Sarthou, « Agriculture de conservation des sols : Définition », Dictionnaire d’Agroecologie, 2016
39 Nollet, Jean-Pierre, « Les machines de l’agroécologie se connectent au vivant », Le Moniteur, 18 février 2019
PARTIE 1 40 CHAPITRE 1
Bien qu’il existe, comme nous l’avons vu, une multitude de pratiques agricoles, une majorité d’exploitations se convertissent à l’agriculture biologique. En 2018, 5 000 exploitations supplémentaires ont été certifiées agriculture biologique40. Au total, 41 600 exploitations sont engagées en bio dans toute la France, ce qui représente près de 9,5% des exploitations. La Surface Agricole Utile (SAU) bio atteint 2 millions d’hectares en 2018, soit 7,5% de la SAU. Ce qui représente une augmentation de 17% des terres cultivées en bio par rapport à 2017 41. Elle est la seule pratique agricole labelisée, donc la seule qui permet, aujourd’hui, aux agriculteurs de valoriser leurs produits à un tarif supérieur, contrairement à la pratique agroécologique.
Nous allons voir dans la partie suivante que cette augmentation de l’offre a permis aux enseignes de relocaliser leurs achats42
8,5% DE LA SURFACE AGRICOLE EN BIO EN 2019
X2
2,3 MILLIONS D’HECTARES
Figure 6 : Augmentation de la surface agricole utile en bio de 2014 à 2019
Source : Agence BIO/OC, Agreste - réalisation personnelle
40 Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, « Agriculture biologique française : un ancrage dans les territoires et une croissance soutenue », Ministère de l’agriculture et de l’alimentation [en ligne], 23 février 2020
41 Op. Cit. Ministère de l’agriculture et de l’alimentation
42 La Coopération Agricole, Coopératives et agriculture biologique : un pari gagnant, 2014
41 PARTIE 1 CHAPITRE 1
SURFACES BIO DOUBLÉES EN 5 ANS 1,1 MILLION D’HECTARES 2014 2015 2016 2017 2018 2019
B. Une diversité des systèmes de distributions
Aujourd’hui, on retrouve un choix pléthorique de marchés, supermarchés, hypermarchés, grandes surfaces, supérettes, AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) et autres Biocoop pour nous alimenter. Cependant, 70% des achats alimentaires en France se font toujours dans les enseignes de la grande distribution43.
Grandes surfaces d’alimentation générale
65%
Alimentation spécialisée et artisanat commercial Commerce hors magasin
Petites surfaces d’alimentation générale
Autres ventes au détail
Magasins non alimentaires spécialisés
Figure 7 : Part de marché des produits alimentaires par forme de vente
Source : Insee, Comptes du commerce - réalisation personnelle
Les circuits courts sont aujourd’hui portés par un grand intérêt des citoyens, pour reconnecter le consommateur aux saisons, à son territoire, ses paysages et pour reconnecter le producteur aux consommateurs. Tous les systèmes de distribution doivent alors prendre en considération cette demande. L’augmentation de l’offre nationale en produits biologiques a permis aux enseignes de distributions de commercialiser environ 75% de produits biologiques d’origine française44. Environ 11% de ces produits sont commercialisés par la vente directe, 28% par des enseignes spécialisés et 6% par des artisans et commerçants. Cependant, les grandes surfaces classiques représentent 55% des ventes, ce qui en fait le premier canal de distribution de produits biologiques45.
43 Fédération du Commerce et de la Distribution, Evolution du commerce et de la distribution : faits et chiffres 2019, 2019
44 La Coopération Agricole, Coopératives et agriculture biologique : un pari gagnant, 2014
45 Agence BIO, La consommation bio en hausse en 2019 stimule la production et la structuration des filières françaises, Les chiffres 2019 du secteur bio, Dossier de presse, 9 juillet 2020
PARTIE 1 42 CHAPITRE 1
1,3% 1,7% 6,5% 7,5%
18,5%
Les transitions vers l’agriculture biologique sont inscrites dans des dynamiques collectives et des réseaux 46. En ce sens, les systèmes de distributions peuvent favoriser ces transitions, puisqu’ils font partie intégrante du système agri-alimentaire territorial, notamment dans les systèmes locaux, qui articulent production et commercialisation. En plus des opérateurs privés classiques, comme les grossistes, de nombreuses initiatives collectives, émergent, du côté de l’offre, comme de la demande, et permettent la mise en marché de produits bio et locaux47.
Certains points de vente directe sont assurés directement par des producteurs qui se regroupent pour vendre chacun leurs produits, ils se répartissent entre eux les productions, ce qui facilite leur travail et sécurise l’approvisionnement du magasin. Un autre type de distribution direct producteur-consommateur et le système d’AMAP (associations pour le maintien de l’agriculture paysanne). Ce dispositif est fondé sur un contrat d’approvisionnement durable entre un ou plusieurs producteurs et des consommateurs, il permet d’assurer un revenu fix au producteur. Cette démarche génère des dynamiques collectives entre producteurs, certains producteurs peuvent alors s’associer, s’échanger des produits, pour fournir des paniers variés aux consommateurs48
Outre ces initiatives, qui impliquent seulement un ou quelques producteurs à des échelles réduites, les coopératives agricoles sont aussi des acteurs essentiels de la contractualisation et la distribution de produits agricoles à plus large échelle et sont également dans une démarche de transition vers l’agriculture biologique.
Plusieurs de leurs actions et engagements permettent d’inciter et favoriser l’agriculture biologique. Elles permettent de sécuriser les débouchés et le revenu
46 Lamine, Claire, « Une analyse des transitions vers l’agriculture biologique à l’échelle des systèmes agri-alimentaires territoriaux », Terrains & travaux, ENS Paris-Saclay, n°20, 2012, p. 139-156
47 Ibid.
48 Ibid.
43 PARTIE 1 CHAPITRE 1
Source : Agence BIO/ AND
personnelle 28% 6% 11%
Figure 8 : Part des circuits de distributions dans le marché bio
international - réalisation
55% Grande distribution Vente directe Magasin spécialisé bio Artisans, commerçants
des producteurs en gérant les spécificités de l’agriculture biologique. Elles mettent à disposition de leurs producteurs des moyens techniques et humains (approvisionnements spécifiques, conseils, équipements de nettoyage et stockage, plateformes d’expérimentations…)49, enfin, 80% des coopératives intègrent des producteurs bio dans leur conseil d’administration ; le dialogue entre agriculteurs conventionnels et en bio, est maintenu et développé, constituant un atout, parce que « les agriculteurs conventionnels d’aujourd’hui constituent les producteurs biologiques de demain 50».
De 350 coopératives en 2009, aujourd’hui, près de 500 sont engagées en bio, ce qui représente 20% du tissu coopératif51. Cette réussite et ce progrès sont liés à la « mobilisation d’une partie assez large des acteurs du système agri-alimentaire mais aussi à une gouvernance laissant une large place décisionnaire aux agriculteurs biologiques 52 ». Les initiatives impulsées par les coopératives agricoles impliquent des modalités de coopération très différentes des précédentes, elles n’engagent pas les consommateurs mais intègrent différents acteurs du monde agricole.
PARTIE 1 44 CHAPITRE 1
49 Op. Cit. La Coopération Agricole 50 Op. Cit. La Coopération Agricole, p.9 51 Op. Cit. La Coopération Agricole 52 Op. Cit. Lamine, Claire, p.148
C. Quels enjeux pour l’agriculture et l’alimentation de demain ?
Pour décrire les enjeux agricole et alimentaire de demain, nous nous appuierons sur l’ouvrage de Sylvie Brunel, Pourquoi les paysans vont sauver le monde, dans lequel elle nomme ces enjeux comme la « troisième révolution agricole » qui a déjà « commencé dans les campagnes 53» françaises. Dans cet ouvrage, elle écrit un bréviaire qui peut servir de modèle de la troisième révolution agricole : Pas de planète sans paysans, petit bréviaire de la troisième révolution agricole54. Selon Sylvie Brunel, « la troisième révolution agricole doit réconcilier l’écologie et l’agronomie, l’économie et le social, la ferme et la firme55 ». La troisième révolution agricole demande beaucoup de réflexion, d’intelligence et de diplomatie. Elle exige un changement d’échelle, puisqu’elle doit être pensée au niveau des territoires, dans leur grande diversité. Elle exige aussi une pluralité d’acteurs prêts à travailler ensemble autour d’objectifs communs.
L’agriculture doit aujourd’hui répondre à six missions essentielles […] Nourrir les hommes, nourrir les animaux qui nourrissent les hommes, entretenir et même créer de la biodiversité, verdir la chimie et l’énergie, réparer la planète en participant à la lutte contre le changement climatique56
Pour parvenir à la mise en place de ces missions sur le long terme, plusieurs paramètres sont indispensables. La paix, entre les différents acteurs de l’agroalimentaire et entre les marchés. Les bonnes cultures sont essentielles, grâce à de bonne semence et de bons produits utilisés sur les cultures. Tout cela permet à l’agriculteur de travailler correctement, d’être rémunéré justement et aux Hommes d’être correctement nourris. Il faut aussi de bonnes politiques, qui permettent là encore de sécuriser le métier d’agriculteur, mais aussi l’environnement, en faisant la juste balance entre ces deux paramètres essentiels. La sécurité foncière doit être garantie pour chaque agriculteurs, afin que ceux-ci accède à la terre sans difficulté. Une refléxion plus engagée doit être fait quant à la protection des agriculteurs contre le marché mondial de plus en plus volatil, où le seul critère de prix est déterminant. Aussi, il faut envisager la protection des récoltes contre les innombrables bioagresseurs, que la mondialisation et l’interdiction de produits phytosanitaires rendent de plus en plus virulents57.
Depuis quelques années, on assiste, dans les médias, à la montée du terme agribashing, qui dénonce le fait que certains agriculteurs et institutions agricoles se sentent dénigrés par les organisations environnementales, les médias et les politiques. Il est vrai que de nombreux dispositifs publics sont mis en place depuis les années 1980 pour réduire l’impact de l’agriculture sur l’environnement et encourager l’agriculture biologique. Des mesures contraignantes, interdisant l’utilisation de certains produits chimiques, ou incitatives, rémunérant les agriculteurs qui pratiqueraient une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Pour François Papy, ingénieur agronome et directeur de recherche à l’INRA, les politiques agricoles poussent les agriculteurs
53 Brunel, Sylvie, Pourquoi les paysans vont sauver le monde, Edition Buchet Chastel, 2020, quatrième de couverture
54 Ibid. p.247
55 Ibid. p.22
56 Ibid. p.247
57 Ibid.
45 PARTIE 1 CHAPITRE 1
à l’unique productivité, ce qui favorise la dégradation des ressources et n’incite en rien les agriculteurs à prendre des mesures de production plus écologiques58. De plus, les politiques françaises vont à contre-sens du désir grandissant des citoyens de consommer local, en créant des traités de libre-échanges. Ces accords autorisent l’importation de produits agroalimentaires sans aucune traçabilité et des normes bien différentes de celles françaises, permettant aux Canada et aux pays d’Amérique du Sud d’appliquer des prix beaucoup plus bas, engendrant une concurrence déloyale face aux éleveurs français et donc une précarisation plus grande du métier d’agriculteur. La troisième révolution agricole, selon le bréviaire de Sylvie Brunel, doit être dictée par « sept principes essentiels59 ». L’ensemble des acteurs du secteur agroalimentaire, mais également tous les consommateurs, doivent accepter la modernité. Aujourd’hui, il est indispensable que l’agriculture continue de s’emparer de techniques modernes et technologiques pour tendre vers la meilleure agriculture possible, pour l’environnement, les Hommes et les animaux. L’ensemble de la société, doit également accepter la complexité de l’agriculture et l’intérêt d’utiliser l’ensemble des modes de production. Cette multiplicité des agricultures induit une connaissance plus accrue des écosystèmes, afin de permettre la réalisation d’une agriculture plus juste, plus rémunératrice et plus saine, pour l’environnement, les animaux et les Hommes.
Comme nous l’avons vu précédemment, une multitude de modes de production, de techniques agricoles existent rien qu’en France et dans le monde, il est indispensable de ne pas opposer les modèles, mais bien de les associer. « Le bio ne nourrira pas le monde, mais il a toute sa place dans une mosaïque de solutions60 ». En effet, un seul modèle ne serait pas la solution pour résoudre les problèmes
58 Papy, François, « La nécessaire transition écologique de l’agriculture : tous responsables », LNV, 2011
59 Op. Cit. Brunel, Sylvie
60 Ibid. p.250
PARTIE 1 46 CHAPITRE 1
Figure 9 : Manifestation d’agriculteurs à Paris en 2015
Source : Maxppp - Cedric Bufkens/Wostok Press
alimentaires, environnementaux et sociaux d’aujourd’hui, qui seront plus nombreux demain si rien ne change.
La permaculture61, ne peut pas être généralisée, les grandes cultures et l’agriculture conventionnelle sont indispensables pour permettre la sécurité alimentaire dans le monde. Cependant, il est en effet nécessaire de travailler sur la transition écologique de ces modes de production, qui tentent de tendre vers une agriculture « agroécologique ». Il faut alors opter pour la diversification des cultures, des modes de production, des savoir-faire. Il faut évidemment que ces agricultures puissent rester compétitives, pour permettre une rémunération juste pour tous les acteurs de la chaîne, des producteurs aux consommateurs. Il est également indispensable de revenir aux fondamentaux du développement durable, qui sont de créer des richesses, répartir celles-ci durablement tout en respectant l’environnement.
Il est enfin important, et c’est tout l’objet de ce mémoire, de travailler «à l’horizontalité des contrats intégrés de territoires.62» C’est-à-dire initier une organisation systémique par la gouvernance alimentaire, grâce à une compréhension fine du fonctionnement des territoires et de la diversité de leurs ressources, en les valorisant auprès d’une pluralité d’acteurs63
« Seuls des contrats intégrés de territoire […] peuvent permettre d’anticiper l’avenir et faire évoluer nos paysages, qui sont eux-mêmes des héritages, dans le sens de milieux résilients, nourriciers et vivants 64». A l’échelle territoriale, le système agrialimentaire doit intégrer les différents dispositifs et réseaux qui mettent en relation la production, la commercialisation et la consommation. Claire Lamine parle alors de « système agri-alimentaire territorial65 », un système qui englobe à la fois les acteurs locaux des filières de production, de transformation, de distribution, mais aussi le conseil technique, les politiques publiques territoriales, les consommateurs et la société civile.
61 «La permaculture est un système de culture intégré et évolutif s’inspirant des écosystèmes naturels.». Jean-Pierre Sarthou, « Permaculture : Définition », Dictionnaire d’Agroecologie [en ligne], 2018
62 Ibid. p.252
63 Ibid.
64 Ibid. p.253
65 Op. Cit. Lamine, Claire, p.143
47 PARTIE 1 CHAPITRE 1
PARTIE 1 48 CHAPITRE 2
CHAPITRE 2
L’ESSOR DU DÉVELOPPEMENT LOCAL POUR REPENSER L’ALIMENTATION
A. La conscience paysanne
Il y a une cinquantaine d’année, la modernisation et l’industrialisation de l’agriculture ont généré une dissociation croissante des enjeux agricoles et alimentaires. Malgré leur interdépendance, ces sujets ont été traité séparément aussi bien par les scientifiques, que par les politiques66. En France, on assiste aujourd’hui à la réinscription des questions alimentaire et agricole à l’agenda des préoccupations citoyennes. L’intérêt pour les circuits courts alimentaires et l’émergence de nouvelles formes de commercialisation illustrent la tentative, aujourd’hui, de reconnecter les enjeux agricoles et alimentaires.
Source : helloasso.com
66 Lamine, Claire, Chiffoleau, Yuna, « Reconnecter agriculture et alimentation dans les territoires : dynamiques et défis », POUR, revue du Groupe Ruralités, Éducation et Politiques, n°215-216, 2012
49 PARTIE 1 CHAPITRE 2
Figure 10 : Manifestation de l’association Bio Consom’acteurs
Le développement de la logistique et des transports a permis d’approvisionner les métropoles, depuis des espaces de plus en plus lointains tout en étendant la variété de l’offre. Dans les années 1970 et 1980, la question alimentaire a laissé la place à la question agricole, de multiples initiatives citoyennes apparaissent alors. Aurélie Cardona, dans son article, « Participer à la transition écologique de l’agriculture 67», va illustrer à travers différents exemples français de mobilisation d’acteurs extérieurs au monde agricole, comment la transition écologique de l’agriculture peut s’effectuer efficacement et durablement. Ces mobilisations visent à construire des alternatives au système alimentaire en place et à redéfinir la question de la qualité alimentaire au cœur des préoccupations des citoyens. Elles se déclinent selon différents objectifs ; certains acteurs luttent contre l’urbanisation des terres agricoles, d’autres encore développent des partenariats entre consommateurs et agriculteurs, afin d’établir des approvisionnements en produits locaux et biologiques. L’écologisation de l’agriculture est l’affaire de tous, pour que le processus fonctionne, il faut relier la problématique de l’écologisation de l’agriculture à des enjeux locaux68
L’appropriation de la thématique alimentaire par le monde politique suit, plus ou moins rapidement, l’action d’abord engagée par les citoyens ou les réseaux alternatifs [...] Au début des années 2000, les initiatives pensant l’agriculture autrement que par les filières sont encore considérées comme déclinantes ou alternatives.69
Les projets alimentaires territorialisés sont parfois opérés sans que les collectivités en soient les initiatrices. Des associations citoyennes, des entreprises en association, des organisations de producteurs peuvent prendre l’initiative de fédérer les acteurs et les dynamiques concernant l’alimentation, à l’échelle d’un territoire de vie. Ses acteurs parviennent à dépasser ou réduire les effets de cloisonnement et de concurrence. Ces initiatives sont alors appuyées politiquement et financièrement par les collectivités70. Ce mode d’action, du bas vers le haut, permet une accumulation de petites initiatives en rupture de celles élaborées jusqu’alors, provoquant une transition profonde sur le territoire.
En France, comme dans toute l’Europe, de nombreux projets éclosent, avec l’envie de redorer l’image de l’agriculture paysanne, en redonnant à l’agriculture sa justesse et sa dignité, « l’envie de redonner tout son sens au mot paysan.71 » Cependant, même si la vente directe et les circuits courts semble être la meilleure façon de « créer de la valeur, de revitaliser une campagne en train de se désertifier 72», ce sont des modèles économiques fragiles. Ils reposent en priorité sur l’envie de ces nouveaux paysans, obligés de travailler sans compter, ni les heures, ni les rémunérations qui n’arrivent parfois jamais.
67 Cardona, Aurélie, « Participer à la transition écologique de l’agriculture », Métropolitiques, 10 juin 2013
68 Ibid.
69 Maréchal, Gilles, Noel, Julien, Wallet, Frederic, « Les projets alimentaires territoriaux (PAT), entre rupture, transition et immobilisme ? ». POUR, revue du Groupe Ruralités, Éducation et Politiques, GREP, 2019, Agriculture : des ruptures à la transition, p.3
70 Ibid.
71 Brunel, Sylvie, Pourquoi les paysans vont sauver le monde, Edition Buchet Chastel, 2020, p.98
72 Ibid. p.98
PARTIE 1 50 CHAPITRE 2