LES COLLECTIFS D’ARCHITECTES ET D’URBANISTES : NOUVEAUX INITIATEURS D’UNE IDENTITÉ MÉTROPOLITAINE ? Lison Davault Introduction :
Aujourd’hui nous assistons à l’émergence des actions citoyennes militantes et aux grands débats nationaux, comme la marche pour le climat ou bien le mouvement des gilets jaunes. L’apparition de ce militantisme global est liée à un contexte complexe que nous connaissons tous, de crise économique prolongée, d’inégalités territoriales, de réchauffement climatique, de surpeuplement, de mal-logement ou encore d’immigration. Ce climat de crise entraine alors deux tendances simultanées : la désaffiliation croissante au système politique en place mais aussi la mutation des aspirations de notre société. Effectivement cette volonté de participation citoyenne grandissante, exprimée par un activisme généralisé, peut être considérée non pas seulement comme un outil pour faire entendre un mécontentement mais aussi comme un tremplin pour développer de nouvelles façons de construire le monde, notamment dans le champ de la fabrique architecturale et urbaine. En réalité, même si cette pensée semble d’actualité, l’intérêt pour celle-ci ne date pas d’hier. Dans les années 70, le précurseur Yona Friedman écrivait déjà que « […] les utopies naissent d’une insatisfaction collective. » (Friedman, 2015 : 18). Effectivement, par la suite, c’est dans un contexte difficile que la participation devient un processus dont l’intérêt ne se limite plus seulement aux chercheurs ou penseurs mais dont s’emparent les pratiquants : « Depuis le début des années 80, le chômage apparait comme un phénomène de masse alors que le nombre d’architectes augmente considérablement […]. C’est alors dans un contexte de « crise » qu’une nouvelle génération va commencer à explorer des pratiques militantes au sein d’associations et d’autres types de structures en rupture avec les modes d’exercice traditionnels. » (Macaire, 2018 : 17). Plus tard, à l’horizon des années 2000 et suite à certains travaux comme l’échelle de la participation qui a permis d’analyser et démontrer que les démarches n’étaient pas toujours effectives (Arnstein, 1969), un cadre réglementaire et législatif s’est dessiné en même temps que les préoccupations liées au développement durable émergeaient. Nous avons assisté alors à la succession de différentes lois qui avaient toutes pour vocation de structurer et favoriser la participation comme la « loi Voynet » du 25 juin 1999, la « loi Chevènement » du 12 juillet 1999, la « loi SRU » du 13 décembre 2000 puis la « loi relative à la démocratie de proximité » du 27 février 2002. Grâce à ce nouvel environnement les collectifs et associations d’architectes considérés au départ comme des mouvements marginaux et informels, tendent de plus en plus à se professionnaliser et à se multiplier. Aujourd’hui certains ont même obtenu reconnaissance grâce à leur médiatisation, comme pour la Biennale d’Architecture de Venise de 2018 avec comme représentant de la France le collectif « Encore Heureux » associé au collectif « Etc. » En parallèle la pratique institutionnelle de la participation prend également un nouveau tournant. Suite à l’affirmation des métropoles et la décentralisation du pouvoir et des compétences, par le biais respectivement de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 et de la loi NOTRe du 7 août 2015, un nouveau cadre de coopération entre communes apparaît : celui de l’intercommunalité. Cette nouvelle dimension de collaboration entre les territoires devient l’occasion de créer, entre autres, des conseils de développement qui forment de nouvelles structures pour la démocratie participative. La participation institutionnelle pour créer une identité métropolitaine : l’exemple du C2D
Avec la décentralisation du pouvoir, le gouvernement se libère de certaines de ses compétences pour les déléguer à des structures plus locales : les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont font partie les métropoles (EPCI de plus de 500 000 habitants). Même si cette échelle semble être plus pertinente pour répondre à la problématique de l’émiettement communal et de cohésion entre les territoires, il s’avère que le principal problème de l’intercommunalité est le fait que ses citoyens ne connaissent souvent ni son action, ni ses membres élus au suffrage universel indirect. Selon un sondage mené entre le 6 et 11 septembre 2018, auprès de 2 005 français(e)s, par l’Institut Français d’Opinion Public à la demande de l’Assemblée des communautés de France, « 59% des interrogés ne connaissent pas le nom du ou de la président(e) de leur structure intercommunale »1 et « 59% des interrogés s’estiment insuffisamment informés et souhaitent en savoir davantage sur leur intercommunalité ».1 En résulte par le manque de connaissances ou d’informations, un problème d’identité intercommunale qui remet en cause le bien-fondé de son pouvoir alors même que ses problématiques sont relativement proches de la vie quotidienne de ses citoyens. L’enjeu majeur pour l’intercommunalité réside donc dans le fait de donner de la visibilité et de la légitimité à sa gouvernance. C’est dans ce contexte que la participation paraît être un moyen judicieux de sensibiliser le grand public en démocratisant ses actions et en constituant un intermédiaire pour rentrer en conversation avec ses citoyens. La métropole de Bordeaux, dans le but de promouvoir la démocratie participative, a alors monté un forum de « citoyens-ressource »2 (partenaires C2D ou citoyens volontaires) en dialogue avec le Conseil de Développement Durable (C2D) créé le 1er janvier 2015, qui agissent ensemble comme un « stimulateur de citoyenneté »2. La métropole affiche donc un objectif très clair, à travers le C2D, de créer une identité métropolitaine grâce à la participation citoyenne. La participation à l’échelle intercommunale : le relais passé aux collectifs et associations des praticiens de la fabrique urbaine La démocratie participative, assurée par l’intermédiaire du conseil de développement, paraît donc, pour le territoire intercommunal, un moyen intéressant de garantir son assise en étant plus proche de ses citoyens. Cependant pour que la démocratie participative soit réellement efficace il est indispensable que le conseil de développement soit en capacité de garantir la représentativité de tous ses citoyens. Véritablement cet enjeu est d’envergure, puisqu’il a pour but de faire entendre des populations « invisibles » qui ont perdu la confiance dans les acteurs politiques et qui se sentent délaissées par ceux-ci. En tout cas ce défi, la métropole de Bordeaux l’a bien compris, puisque la première moitié de ses représentants sont désignés par chacune des communes (deux représentants par commune : un issu d’une structure locale, l’autre tiré au sort parmi les citoyens). De plus elle tourne aussi certains de ses projets vers les populations isolées comme pour le projet prospectif « 50 000 logements autour des axes de transports collectifs » qui traite d’un aménagement et d’une direction politique prise à l’échelle de la métropole. Cependant les moyens déployés par le C2D sont tributaires du volontarisme des citoyens, et c’est justement la méconnaissance par le public de ses compétences et de ses représentants qui lui font défaut. Cela nous pousse à nous interroger sur l’efficacité des méthodes instaurées pour assurer 1
INSTITUT FRANÇAIS D’OPINION PUBLIC. 2018. « Les Français et l’intercommunalité : vague 2018 », URL : https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-lintercommunalite-vague-2018/ 2
CONSEIL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE BORDEAUX MÉTROPOLE. 2017. « Qu’est ce que le C2D ? », URL : https://c2d.bordeaux-metropole.fr/Le-C2D/Qu-est-ce-que-le-C2D
la démocratie participative. C’est potentiellement pour cette raison que le conseil de développement durable s’en remet à une tierce partie pour assurer la participation et la représentativité de ses citoyens : « Dans les faits, les orientations définies par la cellule participation impliquent le choix de consultants le plus souvent de type « médiateurs », axés sur l’ingénierie sociale et la « capacitation » des habitants en opposition avec ceux du type « conseillers », centrés sur la communication et l’aide à la décision publique. » (Couture, 2018 : 160). En choisissant de se tourner vers des experts de la médiation et capacitation plutôt qu’à des conseillers, le conseil de développement durable favorise la constitution de certains professionnels de la participation indépendants de sa structure. Nous pouvons alors nous demander si cette démarche ne crée pas du lien entre la métropole et les collectifs et associations de praticiens de la fabrique urbaine. Étant donné leurs compétences en termes d’aménagement urbain, ainsi que leur professionnalisation en matière de médiation, les collectifs d’architectes et d’urbanistes deviennent l’intermédiaire idéal entre la métropole et ses habitants. Toutefois ces groupes de professionnels agissent en général sur des échelles plus restreintes que le territoire intercommunal comme un quartier, une place, une rue… Leurs interventions se situent surtout sur des plus petits territoires où il existe déjà un sentiment d’appartenance et donc un intérêt du public pour les outils et méthodes mises en œuvre. L’essor des collectifs et associations prouve bien que ce format fonctionne, mais qu’en est-il à une échelle intercommunale ? Conclusion : L’objectif de la participation à l’échelle de la métropole est d’inclure le grand public aux questions propres à ses compétences de création d’une cohésion commune entre différents territoires. Néanmoins il apparait difficile de faire naître chez ces citoyens métropolitains un intérêt pour des problématiques qui ne semblent pas faire partie de leur vie quotidienne, soit par manque d’information ou d’intérêt. C’est en partie ce qui peut expliquer l’essoufflement du C2D de Bordeaux qui voit ses interventions réduites à des échelles plus resserrées. De plus d’autres facteurs, comme la réduction de la cellule participation et de ses moyens, ainsi que la disparition des grandes concertations, suite au passage à droite de la gouvernance de la métropole, ne font qu’appuyer ce constat. (Couture, 2018) C’est dans ce cas de figure que le relais de la démocratie participative passerait donc à d’autres acteurs. Se spécialisant de plus en plus en médiation et participation, et en ajoutant à cela les connaissances en aménagement et planification, les collectifs d’architectes et d’urbanistes sembleraient être l’intermédiaire privilégié entre le grand public et les représentants de l’intercommunalité. Pourtant nous avons souligné le fait que les méthodes qu’ils mettent en place sont souvent adaptées à une petite échelle et non à la dimension d’un territoire aussi vaste que celui de l’intercommunalité. Néanmoins, ces groupes qui ont pour vocation initiale de se positionner là où se trouve les problématiques actuelles, le font souvent sur des territoires délaissés faisant partie de la ceinture périurbaine et des préoccupations de la métropole. Nous pouvons alors constater là, un terrain d’action commun entre la métropole et les collectifs d’architectes et urbanistes. La démarche de sensibilisation venant de la métropole à travers la participation des citoyens n’ayant pas abouti, ne serait-il alors pas de la responsabilité des groupes des praticiens de l’aménagement de prendre la relève ? Nous pourrions étudier cette question par le biais d’un cas d’étude au cœur de la métropole de Bordeaux : les refuges périurbains du collectif « Bruit du Frigo ». En effet ces microarchitectures, bien que ponctuelles, se définissent comme des observatoires de la métropole dans sa globalité. L’objectif est donc de permettre aux touristes et habitants de pouvoir expérimenter ce territoire métropolitain, de le parcourir, de le contempler d’une façon nouvelle, d’y
habiter, et plus généralement de le comprendre de manière empirique. Les arpenteurs, en participant de façon active à l’itinéraire des sentiers et chemins entre les refuges, peuvent de façon tangible saisir le lien que peuvent avoir ses communes les unes par rapport aux autres. De plus en rendant la découverte des différents visages de la métropole réelle et ludique, le collectif d’architecte en faisant participer les citoyens activement, invite à casser les préjugés liés au périurbain mais surtout à démocratiser la notion de métropole et d’intercommunalité. Dans ce cas de figure, pourrions-nous alors considérer ce collectif d’architectes comme un nouvel initiateur d’une identité métropolitaine ? Bibliographie ARNSTEIN, S-R. 1969. « A Ladder of Citizen Participation », Journal of the American Planning Association, vol. 35, n°4, p. 216-224. BACQUÉ, M-H. et CARRIOU, C. 2012. « La participation dans l’habitat, une question qui ne date pas d’hier », Métropolitiques, URL : https://www.metropolitiques.eu/La-participation-dans-lhabitat.html BOUCHAIN, P. 2019. « Usages transitoires, éphémères et réversibles de bâtiments : pour un bâti au service des gens », Rencontre avec Patrick Bouchain, le collectif Communa et l’artiste Adrien Tirtiaux dans le cadre de la Biennale des villes en transition [colloque tenu au Magasin des Horizons, Grenoble. CONSEIL DU DEVELOPPEMENT DURABLE BORDEAUX METROPOLE. 2017. « Qu’est ce que le C2D ? », URL : https://c2d.bordeaux-metropole.fr/Le-C2D/Qu-est-ce-que-le-C2D COUTURE, A. 2018. « ChapiTre 6 : Vers une métropolisation participative ? », in GODIER, P. et OBLET, T. et TAPIE, G, L’éveil métropolitain : l’exemple de Bordeaux, Paris : Le Moniteur, p. 153-169. FRIEDMAN, Y. 2015. Utopies réalisables (première publication 1975), Paris : Éditions l’Eclat. INSTITUT FRANÇAIS D’OPINION PUBLIC. 2018. « Les Français et l’intercommunalité : vague 2018 », URL : https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-lintercommunalite-vague-2018/ LANASPEZE, B et PASCAUD, C. 2019. Les refuges périurbains : un art à habiter, Marseille : Wildproject. MACAIRE, E. 2018. « Une histoire de collectifs » in ROLLOT, M et L’Atelier Georges. L’hypothèse collaborative : conversation avec les collectifs d’architectes français, Exposition internationale d’architecture de Venise, Éditions Hyperville, p. 16-31 TOUZARD, H. 2006. « Consultation, concertation, négociation. Une courte note théorique », Négociations, n°5, p. 67-74. URL : https://www.cairn.info/revue-negociations-2006-1-page-67.htm