La ville touristique, dialogue entre ville quotidienne et paysage vitrine

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La viLLe touristique, diaLogue entre viLLe

quotidienne et paysage vitrine

Cas de la ville de Bordeaux

Mémoire de master - Lucie Duprat - Janvier 2020 Encadré par Julie Ambal, Xavier Guillot, Aurélie Couture Séminaire Repenser la métropolisation - ENSAPBX

Flèche Saint-Michel Grosse Cloche Garonne

LA VILLE TOURISTIQUE, DIALOGUE ENTRE VILLE QUOTIDIENNE ET PAYSAGE VITRINE

Couverture : CREDIT: PJPHOTO69/PJPHOTO69

https://www.telegraph.co.uk/travel/destinations/europe/france/aquitaine/bordeaux/articles/bordeaux-travel-guide/

Mémoire de master réalisé par Lucie Duprat
-
Encadré par Julie Ambal, Xavier Guillot et Aurelie Couture Soutenu en janvier 2020 à l’ENSAP Bx

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont participé, de près ou de loin à ce projet. Julie Ambal, Xavier Guillot et Aurélie Couture qui ont suivi ce mémoire depuis son commencement et qui ont su m’éguiller dans mon travail. Et toutes les personnes qui ont pris du temps de me rencontrer et de répondre à mes questions.

INTRODUCTION

PARTIE A. MISE EN SCENE DE LA VILLE TOURISTIQUE

Chapitre I. La mise en tourisme

I.1. La mise en tourisme des villes, notion clé de la compréhension de la relation tourisme-ville

I.2. Des notions périphériques complémentaires au concept de mise en tourisme

I.2.1. Les politiques urbaines de valorisation du territoire

I.2.2. Paysage « ordinaire » et paysage « vitrine »

Chapitre II. Création du paysage touristique de Bordeaux

II.1. Création d’un paysage patrimonial « exceptionnel »

II.1.1. La revalorisation du cadre de vie pour les bordelais qui participe à l’attractivité touristique de la ville

II.1.2. Inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO

II.2. Le paysage touristique de Bordeaux

II.2.1. Nouveaux « landmarks » : la nouvelle skyline touristique de Bordeaux

II.2.2. Vers un « tourisme de contenu » : contrôler le flux touristique

PARTIE B. LA VILLE TOURISTIQUE ET LA VILLE « QUOTIDIENNE » : QUELLES RELATIONS ?

Chapitre I. Le tourisme comme valorisation de la ville quotidienne

I.1. Les externalités positives du tourisme

I.1.1. Le tourisme générateur d’emploi et de valeur

I. 1.2. Le tourisme vecteur de lien social

I. 1.3. La perception de la ville valorisée, le tourisme au renfort de l’identité locale

I. 2. (Re)découvrir et faire découvrir sa ville

I. 2.1. Les nouveaux

SOMMAIRE
guides
2.2.
tourisme habitant 7 14 14 14 17 17 20 23 23 27 29 29 31 35 35 35 36 38 39 39 40
I.
Le
Chapitre II. Vivre la ville touristique au quotidien II.1. Les externalités négatives II.1.1. L’économie du tourisme parfois à la défaveur des lieux II.1.2. Le quotidien comme produit touristique II.1.3. Le quotidien modifié II.2. Une nécessaire régulation II.2.1. La pression résidentielle II.2.2. Des politiques de régulation pour tenter de contrer les effets néfastes du tourisme CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE TABLE DES FIGURES ANNEXES 42 42 43 47 51 51 53 56 59 62 63

INTRODUCTION

« Le Tourisme est devenu un phénomène de civilisation... L’ampleur qu’il a acquise l’a fait passer du plan limité d’un plaisir élitaire au plan général de la vie sociale et économique » - O.M.T, Assemblée générale de Manille, 19801

Le tourisme représente, aujourd’hui, 9% du PIB mondial et un emploi sur onze. En France il a généré 43,4 milliards de dollars en 2014 pour prendre la troisième position en terme de recettes touristiques2, aujourd’hui les recettes s’élèvent à plus de 56 milliards de dollars3. Nous pouvons définir, sommairement, le tourisme comme étant le fait de se rendre dans un lieu autre que celui de résidence à des fins de loisirs, de travail, ou autre, pour plus de 24 heures. La direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) le définit plus précisément comme :

Les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans des lieux situés en dehors de leur environnement habituel à des fins de loisirs, pour affaires ou autre motifs (…). La durée du séjour permet de distinguer deux catégories de visiteurs : les touristes qui passent au moins une nuit (et au plus un an) hors de leur environnement habituel, et les excursionnistes, qui n’en passent aucune4

Il est également défini par les activités qu’il (le tourisme) utilise et qu’il génère. Ces activités qui produisent principalement des produits liés au tourisme comme l’hébergement touristique marchand et non marchand, la restauration, les cafés, les services de transport non urbain, les services comme les agences de voyage, le sport, les loisirs, la culture, la location de véhicules, etc.

Le tourisme d’agrément peut être multi-forme, il peut être un tourisme de proximité, un tourisme urbain, etc. Dans ce mémoire nous traiterons d’une notion spécifique qu’est le « tourisme urbain ». Comme son nom l’indique il s’agit du tourisme qui prends place dans les villes. Il est un tourisme généralement saisonnier et de courte durée, le plus souvent sous la forme d’excursions pour le temps d’un week-end ou d’une semaine. La définition française du tourisme urbain prends en compte « l’ensemble des ressources et activités touristiques implantées en ville […] proposées aux visiteurs extérieurs » concernant « toute personne visitant une ville en dehors de son environnement habituel à des fins de loisirs, d’affaires et autres motifs5 ». Le tourisme urbain tel qu’il est définit ici (le tourisme en ville) n’englobe pas les communautés vacancières ou encore les stations touristiques6. Enfin, même si sa dénomination peut laisser transparaître un concept plutôt clair, ce n’est pas forcément le cas pour les auteurs qui ont traité le sujet. En effet il existe un flou conceptuel autour de cette notion, du fait de « l’hétérogénéité des espaces urbains » et « de l’existence d’une diversité de consommateurs7 ».

1 Organisation mondiale du tourisme

2 Chiffres tiré de DELAPLACE M., SIMON G., Touristes et habitants : conflits, complémentarités et arrangements, Infolio, Paris, 2017

3 Selon les données de la Banque de France

4 DELAPLACE M., SIMON G., Touristes et habitants : conflits, complémentarités et arrangements, Infolio, Paris, 2017

5 Définition donnée par la Conférence nationale permanente du tourisme urbain créer en 1989, citée dans KADRI B., « La ville et le tourisme : relation ancienne, complexité nouvelle et défi conceptuel », Téoros, n°26, 2007, p.76-79

6 DUHAMEL P., KANFOU R., Les mondes urbains du tourisme, Paris, Edition Belin, 2007, cité dans KADRI B., « La ville et le tourisme : relation ancienne, complexité nouvelle et défi conceptuel », Téoros, n°26, 2007, p.76-79

7 KADRI B., PILETTE D., Le tourisme métropolitain renouvelé, Montréal, Presses de l’université du Québec, 2017, p.39

7

L’espace urbain peut être considéré comme un objet complexe, regroupant des formes et des usages divers, des acteurs sociaux et institutionnels ancrés ; et vecteur d’identité au travers de son patrimoine, de son histoire, du nom, des représentations collectives, etc. De plus, il s’agit d’un objet en perpétuelle évolution sous le jeu des acteurs en place, et venant d’ailleurs (touristes, investisseurs étrangers, etc.).

Depuis l’apparition des congés payés8 et l’augmentation du pouvoir d’achat dans les années 1960, rendant possible le tourisme aux « masses populaires », il s’est généralisé. On parle alors de tourisme de masse. Depuis les années 2010, on en vient à parler de surtourisme, désignant la saturation de certains espaces par la présence de touristes.Tourisme de masse et surtourisme étant différents, l’un désigne l’accessibilité du tourisme à une plus large catégorie de population et tirant son nom de celle-ci et l’autre, la (trop) forte présence touristique dans un lieu.

Pour une certaine catégorie de la population mondiale aux aspirations communes, que l’on pourrait désigner comme une classe moyenne mondialisée, le tourisme est devenu un vecteur d’identité sociale, qui participe à les définir ; êtes-vous un voyageur ? Quel type de voyageur êtes-vous ? Plutôt valise à roulette et hôtel, ou sac à dos et nuit à la belle étoile ? On voit de plus en plus d’individus partir, seuls ou accompagnés, pour un tour du monde. La « génération tour du monde » fait son apparition. Cette catégorie sociale est guidée par une recherche de l’altérité, une envie de découvrir le monde et les cultures, une recherche d’expériences authentiques.

L’essor de ce tourisme mondial a été possible grâce à la création des offres low-cost qui permettent de voyager à moindre prix. Des vols aux logements, tout peut être réservé pour des sommes parfois dérisoires. Les compagnies aériennes cassent les prix des vols, Airbnb9 met en relation des particuliers pour louer des logements à moindre frais, Couchsurfing10 permet de dormir chez l’habitant gratuitement, etc. Il est aujourd’hui possible de partir le temps d’un week-end dans une capitale européenne pour 150 euros. Tout est fait pour faciliter les mobilités internationales. Les sites de recommandations, les comparateurs de vols et d’hôtels, les blogs voyages, simplifient les déplacements et nous donnent des envies d’ailleurs.

Par ailleurs, nous nous trouvons aujourd’hui dans un contexte où faire Bordeaux-Paris (en train) ou Paris-Rome (en avion) est aussi long que de faire Bordeaux-Pau (en voiture) ; où certaines villes sont mieux connectées à l’international qu’à leur propre territoire. C’est à partir des années 1970 et 1980, que l’image de la ville à l’international se re-dessine et qu’elle devient récepteur des flux touristiques11. La ville se transforme alors en lieu de tourisme. L’apparition des « global cities12 », ces villes, un peu à part, au cœur des flux internationaux de biens, de services et de personnes, participent fortement à l’augmentation des flux mondialisés. De plus en plus de villes se connectent entre elles à l’international, de nouvelles lignes aériennes s’ouvrent chaque jour pour connecter de très grandes villes à des villes bien plus petites, comme Bordeaux et Montréal avec l’ouverture de la ligne aérienne. Des métropoles comme Bordeaux font alors leur entrée sur la scène touristique internationale aux cotés de ces global cities.

On observe un raccourcissement des distances depuis, d’abord la démocratisation de la voiture puis de l’avion, qui a favorisé les mobilités internationales. Mais la facilité accrue

8 En 1936 en France

9 Entreprise crée en 2008 aux États-Unis, mettant en relation des particuliers louant une chambre ou un logement entier, à l’origine dans le but d’aider à financer son logement

10 Entreprise créée en 2004 aux États-Unis qui met en relation des particuliers qui souhaitent héberger ou être hébergé gratuitement avec une volonté de partage des cultures

11 Op. cit. KADRI, PILETTE, 2017, p. 19

12 SASSEN S. « Introduire le concept de ville globale », Raisons politiques, vol. n°15, no. 3, 2004, pp. 9-23.

Concept décrivant une nouvelle catégories de villes plus grandes, mieux connectées aux autres villes et surtout à l’international, siège de multinationales et qui sont souvent marquées par une forme de gentrification et d’homogénéisation du paysage architectural.

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de déplacement entre ces pôles internationaux a un impact sur les territoires, sur leur développement, sur leurs usages, sur leur économie, etc. On peut dés lors se demander en quoi le tourisme est un facteur de transformation de la ville dans ses formes, ses pratiques et son vécu ? Comment les caractéristiques de la ville touristique tendent à modifier son quotidien ? Comment ville touristique et ville « quotidienne » dialoguent-elles pour former la ville dans toute sa complexité ? L’intérêt de ce mémoire sera, alors, de questionner la relation entre ville et tourisme à travers, d’une part la mise en tourisme de la ville, soit comment une ville devient touristique ; et d’autre part la cohabitation de la ville touristique et de la ville « quotidienne ».

L’étude de la ville touristique se fera au travers du cas de Bordeaux et plus précisément son centre-ville classé au patrimoine mondial de l’UNESCO13. Bordeaux n’a de cesse d’accueillir de plus en plus de visiteurs depuis une dizaine d’années pour en accueillir, en 2018, plus de 6 millions14. Elle est citée dans plusieurs articles de journaux à l’international, elle est élue deuxième destination à visiter en 2016 par le New-York Times, première destination à visiter en 2017 par le Los Angeles Times ; sans pour autant se trouver dans une situation de surtourisme comme Venise ou Barcelone. Elle représente donc un sujet d’étude intéressant au regard des questionnements de ce mémoire.

La ville de Bordeaux a longtemps été noircie par la pollution et envahie par la voiture mais depuis les années 1990-2000, de grandes politiques de rénovation et de réaménagement de la ville ont été mises en place. Ravalement de façade, piétonisation de certaines rues et places, revalorisation de la promenade de la Garonne ont permis à la ville de devenir plus agréable à vivre pour ses habitants, et plus attractive pour ses futurs habitants et ses visiteurs, en valorisant son patrimoine.

L’offre touristique de Bordeaux semble s’axer aujourd’hui sur trois thématiques que sont le patrimoine UNESCO, l’œnotourisme et le bassin d’Arcachon15. Cependant ce ne sont pas les seuls atouts mis en avant par l’office de tourisme. Des domaines clés comme la mobilité douce, la nature, le tourisme d’affaire ou encore la culture16, sont abordés. En effet, Bordeaux veut créer une offre de « tourisme de contenu17 ». Ces thèmes résultent d’un choix fait par la ville et l’office de tourisme quant aux territoires à montrer, autant au niveau de la ville et des quartiers, qu’au niveau du territoire girondin. Plus précisément, ce sont les quartiers Saint-Michel et Saint-Eloi et notamment la rue SaintJames qui ont été choisis comme terrains d’étude, ici. Le choix de ces sites s’est fait d’abord par l’étude de l’offre touristique dans le secteur classé (fig. 1). Cette liste a ensuite été réduite à six lieux emblématiques, comme la place de la Bourse, la Cité du Vin ou la place Saint-Michel, représentant des situations différentes de place emblématique au patrimoine fort, de nouvelles réalisations ou de quartiers à l’intérêt patrimonial en pleine gentrification. Deux lieux aux profils bien différents ont finalement été choisis parmi ces six. La rue SaintJames, qui est un lieu touristique fort de la ville, depuis la fin des années 2000, avec la Grosse Cloche, beffroi historique de Bordeaux, en bout de rue et la place Fernand-Lafargue, très animée, à l’autre bout. Ainsi que la place Saint-Michel, lieu d’arrêt, qui attire par sa flèche - la deuxième plus haute d’Europe - et son charme de quartier populaire en pleine gentrification.

La place Saint-Michel se situe non loin des quais et du cours Victor-Hugo. Cette place de 17 500 m2 à la forme atypique, accueille un marché qui rythme la vie du quartier. Beaucoup de bars et de restaurants y sont installés non loin de petits commerces de proximité. C’est un

13 Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

14 site de Bordeaux tourisme et congrès, https://www.bordeaux-tourisme.com/Footer/Barometre-touristique

15 Synthèse tirée de mes observations de terrain et de l’étude de l’offre touristique proposée par l’office de tourisme

16 Paroles de l’adjoint au tourisme dans SOTA X., « Tourisme dans la métropole de Bordeaux : comment gérer le succès ? », dans Sud-Ouest, le 21 juin 2018

17 concept abordé lors d’un entretien avec Sylvain Schoonbaert - Direction générale Valorisation du territoire ; direction de l’urbanisme, du patrimoine et des paysages ; service de l’architecture et du patrimoine urbain en projet ; centre inventaire et paysages urbains, employé par Bordeaux métropole

9
10 3 1 4 2 5 6 7 8 9 10 15 11 12 13 14 16 17 18 19 20 21 22 23 24
1. Place de la Bourse 2. Place Pey-Berland 3. Place des Quinconces 4. Cité du Vin 5. Grand-Théâtre 6. Place du Palais 7. Grosse-Cloche 8. Rue Sainte-Catherine 9. Allées de Tourny 10. Promenade des quais 11. Porte Dijeaux 12. Place Saint-Pierre 13. Grands-Hommes 14. Basilique Saint-Michel 15. Fort du Hâ ; palais de justice 16. Jardin public 17. Porte de Bourgogne ; pont de pierre 18. Porte de la Monnaie 19. Place Stalingrad 20. Jardin Botanique 21. Darwin 22. Pont Chaban-Delmas 23. MECA (Maison de l’économie créative et de la culture de Nouvelle-Aquitaine) 24. Arkéa Arena Figure 1 - Plan de Bordeaux faisant apparaître la liste de l’offre touristique de l’Office de Tourisme de Bordeaux composant les possibles cas d’étude

quartier « cosmopolite18 » où les bars à thèmes côtoient les bars de toujours et les vendeurs de pâtisseries orientales. L’histoire du lieu en fait un lieu authentique et ancré dans l’histoire de la ville. Il s’agit d’un quartier qui a connu beaucoup de criminalité et un « mélange » des populations, mais depuis 2014 environ le quartier est devenu plus sûr19 La rue Saint-James est une rue qui est depuis longtemps prisée par les touristes notamment grâce à la notoriété de la Grosse Cloche, monument historique, et au réaménagement qui en a fait une rue piétonne. Elle est devenue un des immanquables du circuit touristique. Elle est une des premières rues à faire partie du programme d’In-Cité20 pour la rénovation des logements. Elle s’est totalement transformée depuis plus d’une dizaine d’années ainsi que son offre commerciale. La rue qui était composée de grossistes et commerces de textiles, il y a 30 ans, est devenue le repère des concepts store et autres bars à thèmes. C’est à partir de 2010 que le changement de population s’est opéré, plus de sept ans après les travaux de piétonisation.

Pour étudier la question, la première enquête a été une observation in-situ, répétée de la ville de Bordeaux qui est mon cadre de vie. Suite au choix des terrains d’étude plus précis, l’enquête de terrain a pris la forme d’entretiens informels type micro-trottoir avec des touristes et commerçants-habitants, d’entretiens plus formels avec des habitants des quartiers et d’observation in-situ de l’espace grâce à une grille d’analyse spatiale. Cette enquête est complétée par une revue de presse21

Afin de tenter de répondre à ces questionnements, la première partie du développement reposera surtout sur une mise en contexte théorique en définissant les notions principales liées au sujet. Ainsi que sur une « mise en contexte » de la ville de Bordeaux (son histoire et ses formes urbaines). La deuxième partie reposera quant à elle sur une étude des relations entre les autochtones (ou habitants) et les touristes ainsi que sur les relations de ceux-ci avec leur lieu de vie. L’objectif est d’essayer de comprendre comment le tourisme influence la ville dans sa construction et dans son vécu au quotidien.

18 Il s’agit d’un mot tiré des entretiens avec plusieurs habitants et commerçants du quartier

19 selon le patron du café de la Fraternité installé depuis 1994 dans le quartier

20 Société d’économie mixte regroupant des compétences de construction, gestion immobilière, aménagement, action foncière, etc. pour la ville Bordeaux. Elle s’occupe notamment de la requalification du centre historique

21

Périodique : Sud-Ouest ; mots clés de la recherche : « touriste » , « Bordeaux » , « contre » , « conflit » ; période : 2016-2019. Ici la revue de presse a surtout permis de comprendre la politique touristique de Bordeaux.

11

FICHE D’IDENTITÉ : RUE SAINT-JAMES

Type d’espace : rue piétonne

Dimensions : 160 m de long, 6 m de large

Réhabilitation : 2003 - espace public / programme de rénovation des logements par In-Cité lancé en 2002

Type d’activité : rue principalement commerciale

- habillement et accessoire : 9

- restauration, café, bar : 9

- épicerie fine : 3

- souvenirs, gadget et design : 4

- association : 3

Population : majoritairement cadres et professions intellectuelles supérieures - majoritairement des 25-39 ans

Logements proposés sur Airbnb : plus de 25 logements dans, et aux alentours de la rue

Contexte : Gentrification - On a pu observé un changement de population en une dizaine d’années ainsi qu’un changement de l’offre commerciale (majoritairement des grossistes textiles présents dans la rue il y a 30 ans) - taux de chômage diminué de moitié depuis 10 ans - revenu médian a augmenté de 3 000€ depuis 10 ans

Image - représentation : « rue très passante » - « bruyante » - « dynamique » - « jeune »

- « l’autoroute du vélo »

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Figure 2 - Plan de la rue Saint-James avec ses commerces

FICHE D’IDENTITÉ : PLACE SAINT-MICHEL

Type d’espace : place

Dimension : 17 500 m2

Réhabilitation : travaux de rénovation de la place en 2013 - rénovation des façades et des logements

Type d’activité :

- restauration, café, bar : 25

- alimentation : 3

- commerces de proximité (boulangerie, pharmacie, banque) : 3

- habillement - bien-être : 3

- mobilier - antiquaire - brocante : 7

- autres commerces : 3

- associations : 5

Population : Historiquement il s’agit d’un quartier d’immigration (venant d’Espagne, du Portugal ou du Maghreb, notamment), avec une forte population ouvrière.

40% d’étudiants aujourd’hui - depuis les années 1980 les étudiants viennent s’installer de plus en plus dans le quartier notamment à cause des loyers moins chers que dans le reste de la ville

Logements proposés sur Airbnb : plus de 70 logements sur, et aux alentours, de la place

Contexte : c’est un quartier en pleine gentrification

Image : « cosmopolite » - « vivant » - « populaire » - « métissage »

13
Figure 3 - Plan de la place Saint-Michel avec ses commerces

PARTIE A. MISE EN SCÈNE DE LA VILLE TOURISTIQUE

CHAPITRE I. La mise en tourisme

Dans ce chapitre nous étudierons les concepts clés à l’analyse des relations entre ville et tourisme : la mise en tourisme, soit le processus par lequel un territoire devient touristique ; le marketing territorial, soit la promotion de ce territoire ; et la notion de paysage « vitrine » et de paysage « ordinaire » décrivant les rapport qu’entretiennent les habitants avec leur territoire.

I.1. La mise en tourisme des villes, notion clé de la compréhension de la relation tourisme-ville

I.1. La mise en tourisme des villes, notion clé de la compréhension de la relation tourisme-ville

La « mise en tourisme » des villes est un concept clé de l’analyse de la relation entre tourisme et ville. Kadri et Pilette, dans leur livre Le tourisme urbain renouvelé22, tentent de définir le concept de « mise en tourisme » ou « touristification » en s’appuyant sur les écrits de plusieurs auteurs. Ce concept désigne le processus par lequel la ville se transforme, se renouvelle, dans son image et dans son aménagement, face au tourisme. Il s’agit d’un processus long, qui, selon Cazes et Potier23, passe par trois états.Tout d’abord la croissance soit l’apparition de flux touristiques importants. Suivie par ce qu’ils nomment la « diversification, complexification » rapportant à la diversification des pratiques, des motivations, des équipements, des interventions politiques, etc., dans la ville. Enfin, la « reconnaissance et compétition » décrit le stade terminal du processus dans lequel la ville est « ville touristique » et entre en compétition avec les autres villes. En d’autres termes, la ville entre dans un échange de flux touristiques important, ou tout simplement cherche à attirer les touristes pour des raisons économiques (ou autres), et entreprend ensuite des travaux d’aménagement de son territoire. La ville crée alors de nouveaux équipements culturels, réaménage ses espaces publics, crée ou améliore ses infrastructures de transport, met en scène son patrimoine architectural et urbain pour donner une nouvelle qualité à ses espaces de vie. Un nouveau récit de la ville se lit alors24 et la ville entre dans une politique d’esthétisation25. L’image de la ville change et s’accompagne d’une reconnaissance du potentiel touristique. Ces trois états de la ville mise en tourisme peuvent devenir un curseur de la ville touristique : la ville

22 Op. cit. KADRI, PILETTE, 2017

23 Concept de CAZES G., POTIER F., Le tourisme et la ville : expériences européennes, Paris, L’Harmattan, 1998 cité dans KADRI B., PILETTE D., Le tourisme métropolitain renouvelé, Presses de l’université du Québec, 2017, p.53

24 La notion de récit de l’espace urbain est abordée dans BERDOULAY V., CLARIMONT S., Espaces publics et mise en scène de la ville touristique, Direction du tourisme, rapport final de recherche, Université de Pau et des pays de l’Adour, 2005

25 GRAVARI-BARBAS M., « Belle, propre, festive et sécurisante : l’esthétique de la ville touristique », Norois, n°178, avril-juin 1998, Villes et tourisme, pp.175-193

14

nouvellement touristique - qui cherche à attirer, la ville qui se développe touristiquement et la ville reconnue internationalement pour son intérêt touristique. Mais aujourd’hui on peut presque voir apparaître un nouvel état qu’est la ville « sur-touristique » qui subie l’affluence touristique et tente d’en sortir, comme c’est le cas pour Venise ou Barcelone par exemple. La mise en tourisme est un processus continu et ce qui est définit comme le stade « terminal » de la mise en tourisme pour certains auteurs n’est qu’une étape de plus du processus pour Kadri, Bondarenko et Pharicien dans leur article « la mise en tourisme : un concept entre déconstruction et reconstruction26 ». La mise en tourisme se nourrit de l’environnement de la ville, l’urbain se modifie dans cette perspective touristique et créer alors de nouvelles potentialités touristiques ; « ainsi, l’action de mise en tourisme a pour ressources principales l’infrastructure et la potentialité urbaine, déjà existante27 ». L’espace de la ville et le tourisme sont étroitement lié et interagissent l’un avec l’autre. Le tourisme permet de modifier l’espace urbain qui, en se mettant en scène, en s’esthétisant, par exemple, change à son tour le tourisme qui se nourrit de ce nouvel espace pour proposer de nouveaux lieux d’intérêts. L’un et l’autre se nourrissent mais l’espace urbain peut exister sans le tourisme, à l’inverse du tourisme urbain, qui ne peut exister sans l’espace de la ville.

Les potentialités des villes touristiques sont mesurées selon leurs capacités d’accueil dans trois domaines : les infrastructures d’accueil (hôtellerie, restauration, circulation, transport, etc.) ; la satisfaction intellectuelle, culturelle, esthétique et relative au divertissement (évènements, patrimoine, histoire, etc.) et la satisfaction psychologique (expérience et vécu). La question des infrastructures dans la mise en tourisme est un enjeu majeur car la ville doit être capable d’absorber le surplus d’affluence sans que cela ne gène le déroulement quotidien de la vie urbaine, ni ne dénature son espace.

Dans la définition de la mise en tourisme les résidents, habitants ou autochtones, sont mis à l’écart, « le visité, habitant permanent du lieu touristique est absent ou marginalisé dans la reconnaissance de l’espace touristique ». L’habitant n’est pas pris en compte dans la définition de l’espace touristique ni dans la mise en tourisme alors qu’il est un élément indissociable du tourisme car il construit l’identité du lieu (us et coutumes propre au territoire). Les usages d’un lieu sont tout aussi important que le lieu en lui même dans la construction touristique d’un espace. Les coutumes sont elles aussi un élément touristique qui peuvent guider dans le choix de la destination. Elles sont un attrait culturel pour le visiteur. On vient à Paris (ou en France en général) pour la gastronomie, en Italie pour le mode de vie, etc. De plus, dans la définition de la mise en tourisme exposée ici, la transformation spontanée des espaces par les résidents est mise à l’écart. La transformation de ces espaces est « planifiée, intentionnelle et volontariste28 ». Pour Callot la mise en tourisme devrait être un processus résultant d’efforts commun de la part de tous les « coopérants » de la ville pour créer un « tourisme urbain riche, varié, humain et durable29 » et non pas être un « produit de la commercialisation grâce à une mise en image d’un produit, d’un potentiel, d’un territoire30 ». Le résident est mis à l’écart de la plupart des définitions du tourisme31 et de la mise en tourisme, et parfois du processus lui-même, alors qu’il est un élément fondamental dans la construction de l’espace touristique mais surtout de l’attractivité d’une destination. Il en devient un figurant du processus tout en étant un acteur principal de « l’ambiance » du lieu. Il participe à valoriser l’image de la ville autant sur leur territoire que lorsqu’ils deviennent touristes à leur tour.

27 Ibid.

28 Ibid.

29

Concept de CALLOT P. (2006) cité dans KADRI B., PILETTE D., Le

, Presses de l’université du Québec, 2017, p.54

30 Ibid.

15
26 KADRI B., BONDARENKO M., PHARICIEN J-P., « La mise en tourisme : un concept entre déconstruction et reconstruction », Téoros, 38, 1 | 2019 tourisme métropolitain renouvelé 31 COHEN E., « contemporary tourism - trends and challenges » in Butler R., Pearce D., Change in tourism : people, places, processes, routledge, London, 1995, p.12-29 cité dans DELAPLACE, SIMON, 2017

Trois « instances » que sont les infrastructures d’accueil, les touristes et les instances de pouvoir, forment une triade qui sont la base de la compréhension du processus de mise en tourisme, selon Kadri, Bondarenko et Pharicien (fig. 4)32. Ces trois « instances » interagissent entre elles avec des enjeux bien différents face à la touristification. Les instances de pouvoirs agissent sur le territoire et le façonnent, en partie pour le rendre attractif. Les infrastructures d’accueil doivent être suffisantes pour absorber le surplus d’affluence sans être surdimensionnées.

On voit bien dans ce schéma représentant les acteurs du processus que les résidents en sont complètement exclus. On peut essayer d’imaginer un schéma d’interaction incluant le résident (fig. 5), qui est à la fois l’utilisateur principal du territoire mais aussi son ambassadeur pour les population extérieures. Il interagit avec les touristes, parfois de manière conflictuelle notamment dans les usages, et avec les instances de pouvoir qui en font un « instrument » de la mise en tourisme.

En somme la mise en tourisme est un processus complexe qui désigne la manière dont la ville devient attractive touristiquement. Néanmoins cette définition oppose quelques limites telle que la place du résident dans le processus. Enfin la touristification fait appel à d’autres notions comme le marketing territorial qui donne à voir le territoire à l’extérieur et sans lequel la mise en tourisme ne pourrait se faire.

Objet et produit final de la transformation à des fins

16
32 Op. cit. KADRI, BONDARENKO, PHARICIEN, 2019 33 Les sources des figures se trouvent
la table
Infrastru ctured’ a c lieuc Instance depou v o ri Tourist e
Figure
433 - Schémas des interaction de la triade selon Kadri, Bondarenko Pharicien
dans
des figures à la fin du mémoire
Agent de transformation à des fins touristiques Sujet visé Influence Vise l’attractivité Volonté politique Stratégie managériale
touristiques

et

Habitant du lieu au quotidien et ambassadeur

I.2. Des notions périphériques complémentaires au concept de mise en tourisme

I.2.1. Les politiques urbaines de valorisation du territoire

Un autre concept permet de comprendre mise en tourisme des villes : le marketing territorial (ou branding). Il s’agit d’un concept qui consiste à voir le territoire, soit un espace qui appartient à tous et en constante évolution, comme un « objet » ou un produit qui peut être vendu. Le marketing territorial induit plusieurs types d’interventions : des mesures d’aménagement du territoire, des mesures organisationnelles et des mesures promotionnelles34. Tout cela dans le but d’ajouter du sens et de la valeur au territoire et d’en contrôler l’image. Cependant le territoire n’est pas un produit comme un autre, il est un « objet » complexe, comme nous avons pu le voir en introduction. Il est en perpétuelle évolution et appartient à tous, il ne peut donc être vendu comme tout autre objet. Il met en interaction une multitude d’acteurs aux besoins et aux enjeux différents dans un lieu, « le territoire est avant tout un

17 Infrastructured’ a c lieuc Instance depou v o ri Tourist e
Objet produit final de la transformation à des fins touristiques Agent de transformation à des fins touristiques
Vise l’attractivité Volonté politique Stratégie managériale Résiden t
Sujet visé Influence
Utilise Relations sociales parfoisconflictuelles
Figure 5 - Schémas de recherche des interaction entre les différents acteurs de la mise en tourisme 34 CHAMARD C., SCHLENKER L., « La place du marketing territorial dans le processus de transformation territoriale », Gestion et management public, 2017/3, p. 41-57

Le traitement des couleurs et l’angle de vue de ces photos permettent de montrer une sorte d’image idéalisée et extraordinaire des lieux qu’elles montrent. Les couleurs et les lumières soulignent les éléments importants des bâtiments. La présence de nuage crée un contraste fort entre le ciel et bâtiment renforçant la mise en avant de l’architecture dans l’image. Le choix de l’angle de prise de vue donne une image monumentale de ces monuments architecturaux emblématiques de la ville.

Figure 6 - Photos promotionnelles de Bordeaux illustrant une volonté de montrer la ville sous son meilleur jour

processus d’appropriation, conditionné à la fois par la nature d’un espace géographique, par un système de représentations de cet espace, et par un système d’acteurs qui agissent dans cet espace35 ».

Néanmoins le marketing territorial n’est pas mis en place exclusivement pour le tourisme mais aussi pour attirer de nouveaux habitants, des investisseurs, des entreprises, etc. En effet, le marketing fait appel aux notions d’offre, soit ici le territoire, ses évènements, ses projets, son espace ; et de demandes, soit les touristes, entre autre. Il s’agit de rendre cette offre attractive pour ceux qui la « consomme ».

L’attractivité des destinations touristiques urbaines s’appuient sur la loi des « 3R » : rénovation, renouvellement, et rareté36. Cette « loi » dit que, pour qu’une destination soit attrayante il faut qu’elle soit propre, esthétique, moderne, en perpétuelle évolution et innovation (rénovation et renouvellement) et qu’elle offre des expériences uniques aux visiteurs (rareté). Le marketing urbain induit des choix des territoires de la ville qui sont les plus intéressants, dignes d’intérêt en laissant plus ou moins le reste de côté. Ce choix permet de contrôler son image. Au delà du choix des territoires, un choix sur l’histoire de la ville est fait, certaines parties de l’histoire des villes peuvent être cachées au public pour en donner une image plus positive, « le marketing urbain (…) recode la ville en tant que lieu destiné aux touristes37 ».

Le développement des réseaux sociaux a permis de transformer ceux qui habitent, ceux qui visitent, ceux qui pratiquent le territoire « en acteurs du marketing38 ». Les citoyens deviennent « à la fois les inspirateurs, les développeurs, les commentateurs, les contrôleurs, les ambassadeurs, les diffuseurs, les vendeurs et les acheteurs de la marque et du produit ». Tout passe par le client, il est à la fois le récepteur de ce marketing mais en est aussi le créateur, le diffuseur et le critique. Le branding a basculé, avec l’avènement des réseaux sociaux, dans un mode « collaboratif qui touche tous les aspects du marketing : la construction des diagnostics, (…) le contrôle et la gestion de la qualité, l’animation des acteurs, le développement d’ambassadeurs, (…) le partenariat, l’expérientiel, la promotion, la communication, etc. ». Il est « vivant et s’autoalimente en permanence ».

Le rôle de l’individu dans le marketing urbain prend alors une place centrale. Comme le souligne Meyronin « la priorité est désormais à la mobilisation des acteurs institutionnels et privés autant qu’à celle de la clientèle proche39 ». C’est-à-dire que le marketing territorial devrait passer, aujourd’hui, autant par les instances de pouvoir que par les individus pour la réelle « prise en compte des attentes des deux cibles créatrices de valeurs ». Pourtant, même si les individus devraient être au cœur de la promotion du territoire ils n’en restent pas moins écartés du processus de mise en tourisme sur ce même territoire. L’idée d’un marketing (et d’une mise en tourisme) coopérati.f.ve entre tous les acteurs est bien entendu une vision utopique aujourd’hui, car, même si des collectivités essayent de tisser des liens étroits avec tous les acteurs de son territoire ceux-ci sont trop faibles en quantité et en qualité pour être réellement utiles et efficaces. La coopérativité du marketing territorial, aujourd’hui, repose essentiellement sur la capacité des réseaux sociaux à donner la parole à un grand nombre et à diffuser l’information rapidement à beaucoup de monde. Elle ne résulte pas spécialement d’une coopération entre les acteurs.

D’autre part, pour être efficace le marketing doit être porteur de sens et de valeur. Un travail sur l’identité, et le sens d’un territoire, est alors fondamental pour l’efficience de la pratique. La culture, étant un de ces éléments identitaire, voire même l’un des principaux, est donc devenue un élément majeur du branding. Elle permet de donner du sens au projet de territoire et au marketing qui l’accompagne.

35 Ibid.

36 « Le tourisme urbain en France » http://geotourweb.com/nouvelle_page_124.htm#urbain il s’agit d’un site web écrit par Philippe KEROURIO, professeur de géographie

37 POTT, A., Orte des Tourismus, Münster, Transcript., 2007 cité dans NAHRATH S., STOCK M., « éditorial : Urbanité et tourisme : une relation à repenser », Espaces et sociétés, n°151, 2012, pp. 7-14 38

MEYRONIN B., Marketing territorial: Enjeux et pratiques, Vuibert, Paris, 2015 39 Ibid.

19

Le marketing territorial se sert énormément d’images qui permettent de faire passer rapidement un message. Ces images sont contrôlées, cadrées sur ce qui doit être montré, avec des couleurs et une exposition soignée pour les rendre le plus esthétique possible (fig. 6). À Bordeaux le marketing urbain prends surtout la forme de « marques » comme « Osez Bordeaux » ou « Un air de Bordeaux » qui vendent une image de la ville, festive, culturelle, où il fait bon vivre. « Guide du bon vivre à Bordeaux », « Un air de bordeaux, c’est le nouveau site web Nature, Loisirs et Art de Vivre pour les habitants de la métropole », telles sont promues ces marques qui vendent toujours la même chose, un mode de vie.

Pour certains, le marketing territorial est subi par les populations et « appliqué de manière descendante, sans prendre en considération les citoyens40 ». Pour d’autres, il peut être perçu plutôt comme un processus qui participerait à harmoniser la ville : « Le marketing territorial peut donc être défini comme un processus itératif et piloté de transformation accélérée du territoire visant à accroître l’attractivité et l’hospitalité de ce dernier en vue de poursuivre un développement territorial harmonieux aux yeux de l’ensemble des parties prenantes41 ».

I.2.2. Paysage « ordinaire » et paysage « vitrine »

Pour comprendre ce qu’on appellera ici la ville touristique et la ville « quotidienne » on peut s’intéresser à une notion plus large : la notion de paysage. Le paysage est défini, par le CNRTL42 , comme un ensemble de conditions matérielles, intellectuelles formant l’environnement de quelqu’un, de quelque chose. Selon la convention européenne du paysage il « désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations43 ». Il est à la fois une représentation de l’espace qui nous entoure et ses conditions matérielles d’existence. Le paysage est une ressource qui participe à l’intérêt général au niveau écologique, économique, culturel, social et environnemental. Cette notion de paysage induit la présence d’un sujet observateur et d’un sujet observé, et donc une certaine subjectivité. Dans son article44, Eva Bigando, définit les notions de paysage « ordinaire » et de paysage « vitrine » qui vont nous intéresser au regard du tourisme. Le paysage « ordinaire » tel qu’elle le définit est porteur d’une valeur identitaire forte et personnelle, il véhicule « une puissante charge identitaire45 ». Il est imprégné de valeurs et de sens pour ses habitants - dont ceux-ci sont bien différents de ceux du paysage « vitrine ». Il est constructeur d’une identité personnelle ancrée dans un territoire et liée à celui-ci. Ce paysage ordinaire relève du quotidien, il est celui que l’on vit, que l’on pratique chaque jour et participe, en ce sens, à construire l’identité de l’individu ; « c’est ici que j’habite, c’est mon lieu de vie », « je suis bordelais ». La relation au paysage ordinaire est tissé dans la « quotidienneté », elle n’est pas fondée sur des critères esthétiques mais sur des valeurs plus profondes et la charge identitaire qu’il véhicule. Au sein de ces paysages « ordinaires » sont identifiés des « paysages » que l’on va « proposer au regard de l’Autre » ; c’est le paysage « vitrine ». Il « correspond davantage, quant à lui, à l’émergence d’un patrimoine paysager local à la fois témoin d’une identité collective et

40 ESHIU J., KLIJN E.-H., BRAUN E., « Marketing territorial et participation citoyenne : le branding, un moyen de faire face à la dimension émotionnelle de l’élaboration des politiques ? », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2014/1 (Vol. 80), p. 153-174

41 Op. cit. CHAMARD, SCHLENKER 2017

42 source : cnrtl.fr, centre national de ressource textuelle et linguistique

43 Convention européenne du paysage, Florence, ouvert à la signature en 2000, https://rm.coe.int/

CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168008062a

44 E. BIGANDO, « Le paysage ordinaire, porteur d’une identité habitante : pour penser autrement la relation des habitants au paysage », Projet et paysage, déc. 2008

45 Ibid.

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digne de la représenter vis-à-vis de l’Ailleurs et de l’Autre46 » ; « j’habite le patrimoine mondial de l’UNESCO ». Cela implique une sélection dans ce qui doit être donné à voir aux visiteurs, au monde, et ce qui est de l’ordre de l’intime, du personnel. Cette sélection se fait le plus souvent sur des critères esthétiques. Néanmoins le paysage « vitrine » est tout de même vecteur d’identité ; d’une identité commune appartenant à un groupe plus large. Il s’accompagne d’un processus de « mise en vitrine », de mise en scène des lieux pour représenter un symbole de l’identité locale pour l’extérieur. Et c’est ce processus qui est, entre autre, à l’œuvre lors de la mise en tourisme d’un lieu. Ce paysage donné à voir à l’Autre comme témoin d’une identité ou d’une culture, dans certains cas, ne peut plus constituer un espace à vivre au quotidien47. L’expérience de ce paysage vitrine peut engendrer une perte de cette relation intime avec le paysage, pour l’habitant. Selon Eva Bigando48, la pratique du paysage vitrine « formaté », par l’injonction de partage de cet espace avec l’Autre (l’étranger, le touriste), change la pratique de celui-ci par l’habitant, perdant ainsi cette « intimité de l’expérience paysagère quotidienne49 ». Ce processus se traduit alors par l’abandon de la pratique de ce paysage exceptionnel laissé à l’Autre, et pratiqué qu’exceptionnellement, au profit d’une nouvelle « expérience paysagère50 ». En d’autres termes, le résident ne pratique plus (ou alors de manière exceptionnelle) les espaces vitrines, touristiques de sa ville, se repliant alors sur d’autres espaces avec lesquels il peut nouer une relation d’intimité, une expérience quotidienne, une proximité. Prenons l’exemple de Venise, où le surtourisme met en danger la vie de la ville. Les touristes saturent l’espace public, tant, que des habitants en viennent à changer leurs pratiques de ces espaces, et en abandonnent même certains ; ils n’empruntent plus certaines rues ou ne fréquentent plus certain.e.s marchés ou boutiques.

Le paysage vitrine et le paysage ordinaire, ainsi que l’espace de la « ville quotidienne » et de la ville touristique, relèvent de relations bien différentes avec ses habitants qui leur donnent leurs statuts. La question qui se pose alors est comment ces deux paysages s’articulent l’un avec l’autre, comment fonctionnent-ils ensemble ? C’est cette même question qui guide l’écriture de ce mémoire.

47 BIGANDO E., « L’expérience ordinaire et quotidienne d’un paysage exceptionnel. Habiter un “ paysage culturel ” inscrit au patrimoine mondial de l’Humanité (Saint- Émilion) », Patrimoine et désirs d’identité, L’Harmattan, 2012

21
46 Ibid.
48 Ibid. 49 Ibid. 50 Op. cit. BIGANDO, 2012
22

CHAPITRE II. Création du paysage touristique de Bordeaux

Dans le processus de mise en tourisme, l’esthétisation de la ville est très importante pour la rendre attractive. En règle générale ces actions découlent d’un diagnostic des « problèmes formels » de l’urbain, auxquels on répond par « l’amélioration du cadre urbain par un travail de revalorisation de ses qualités paysagères51 ». Souvent, cette revalorisation induit une nouvelle manière de lire la ville. Son « récit » change52. Pour cela plusieurs types d’actions peuvent être mises en place. À Bordeaux cela passe par la revalorisation du patrimoine architectural XVIIIe (ravalement des façades, rénovation des logements dans le centre historique, etc.), la piétonisation du centre et la création d’infrastructures de transports (tramway, voies cyclables, promenade des quais, urbanisme défensif anti-voiture, etc.), la valorisation du patrimoine historique (rénovation des places Pey-Berland, de la Comédie, de la Bourse, etc.), etc. Même si il semblerait que ces actions aient été réalisées avant tout pour les bordelais elles participent à l’attractivité touristique de la ville. En somme pour étudier la mise en tourisme de la ville de Bordeaux, nous pouvons étudier trois grandes « politiques » :

1. Le renouvellement urbain des années 1990 - la revalorisation du cadre de vie

2. L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007

3. La création de « landmark » soit les nouvelles réalisations « emblématiques » de la ville.

II.1. Création d’un paysage patrimonial « exceptionnel »

II.1.1. La revalorisation du cadre de vie pour les bordelais qui participe à l’attractivité touristique de la ville

« La belle endormie » fut longtemps le surnom de Bordeaux en partie à cause du noircissement de ses façades due à la pollution, et des très rares projets urbains. Jusque dans les années 1990-2000 Bordeaux était une ville dominée par la voiture qui a connu une paupérisation de sa population, ainsi qu’une vacance des logements importante. Tout le patrimoine architectural tel qu’on le connaît aujourd’hui était alors caché. Comment Bordeaux est-elle devenue la ville emblématique que l’on connaît ?

De 1945 à 1968 la ville ne se développe pas, la population stagne et vieillit alors que le nombre d’habitants augmente. La ville s’étend encore et les distances entre le centre-ville et les périphéries s’allongent d’autant plus. La voiture devient reine du mode de vie bordelais, et des quartiers sont négligés et dégradés. On abandonne le tram pour des bus, plus adapté au trafic grandissant des voitures. Deux solutions sont alors mises en place face à la problématique de ces quartiers laissés à l’abandon. En 1967, sous Chaban-Delmas, le centreville (soit 150 hectares) représente alors le secteur sauvegardé urbain « le plus faste de France » pour en protéger les quartiers les « plus dignes d’intérêt ». En parallèle le quartier de Mériadeck est rasé pour être remplacé par un projet « ultra moderne » qui a pour but de devenir « la vitrine du nouveau Bordeaux53 ».

51 Op. cit. LEITE, GRABURN, 2010 (p.178)

52 La notion de récit de l’espace urbain est abordée dans BERDOULAY V., CLARIMONT S., Espaces publics et mise en scène de la ville touristique, Direction du tourisme, rapport final de recherche, Université de Pau et des pays de l’Adour, 2005

53 LASSERRRE M., Histoire de Bordeaux, Edition Sud-Ouest, 2014, p. 200-250

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Dans les années 1980, le problème du tout-voiture devient de plus en plus preignant, les rares projets urbains sont discontinus et laissent un goût d’inachevé54. La prise de décision et les projets en cours se paralysent, « il semble ne plus y avoir de plan d’urbanisme clair et cohérent » mais certains projets voient quand même le jour comme le musée des douanes, la rénovation de l’îlot Saint-Christoly, et du marché des Grands-Hommes qui se pare d’une « luxueuse galerie marchande ». Des ponts sont construits et la rocade continue lentement sa construction pour désengorger un peu le centre de son trafic et dévier les camions transnationaux. En 1989, Chaban-Delmas fait son dernier mandat à la mairie de Bordeaux, agité par deux débats sur deux points essentiels de l’aménagement urbain : les quais alors libérés de l’activité portuaire depuis 1987, devenus un des endroits les plus mal-famés de la ville ; et les transports (métro ou tramway ?).

En 1996, un an après son arrivée à la mairie de Bordeaux, Alain Juppé affiche une volonté de « revitaliser et transformer une ville un peu grise et somnolente tout en y préservant un art de vivre précieux55 ». Il affirme son ambition de « développer la ville, favoriser le tourisme, attirer les entreprises innovante », mais toujours avec la volonté de garder une « qualité de vie remarquable ». Pour cela il lance des opérations de mise en valeur du patrimoine historique soit, créer le plus de rues et de places piétonnes possible et rénover les logements ou en « construire dans une perspective de développement durable ». C’est en 1975 que ChabanDelmas lance la première piétonisation du centre en faisant de la rue Sainte-Catherine un axe exclusivement piéton, « un recul significatif du "tout-auto"56 ». En 2003, la première ligne de tramway est inaugurée, dont le but est de limiter le recours à la voiture dans le centreville et favoriser les déplacements « doux ». En outre, l’installation du tramway a joué un rôle déterminant dans la requalification et l’embellissement de nombreux espaces du centre-ville. Suite à cela, des couloirs de bus sont créés pour faciliter leur circulation, de même que des pistes cyclables afin de sécuriser et ancrer la pratique du vélo comme mode de déplacement urbain. À cette réflexion sur les transport s’ajoute la création des batcub, des navettes fluviales qui permettent de relier les deux rives. Ce mode de transport, ainsi que le réaménagement des quais, participent à la reconquête du fleuve par les bordelais. Les travaux de rénovation des quais en quais jardinés, qui s’étendent sur 45 hectares, commencent en 2000 pour être inaugurés en 2009. Cette opération, conduite par Michel Courajoud, a pour but de créer un

54 GUERRINHA C., THEBERT N., « Bordeaux ou le passage de la ville-auto à la ville-tram » dans Mythes et pratiques de la coordination urbanisme-transport,

55 Op. cit. LASSERRE M., 2014

56 Ibid.

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Les collection de l’INRETS, mai 2010, coordonné par GALLEZ C., KAUFMANN V. Figure 7 - Avant-après de la rénovation des quais de Bordeaux

interface vivable et agréable entre le cœur de ville et le fleuve en ramenant le végétal dans un espace dominé par la pierre et le bitume. Il est également construit dans une démarche de valorisation des circulations douces en réduisant drastiquement l’emprise de la voiture sur ce lieu emblématique, à la faveur des piétons, cyclistes, sportifs ou skateurs. L’artère qui drainait auparavant 80 000 voitures par jour, n’en compte aujourd’hui que la moitié. Les quais de Bordeaux sont devenus un lieu emblématique notamment grâce au miroir d’eau, en face de la place de la Bourse qu’il reflète. Il est devenu une attraction et un symbole de la ville, photographié par des millions de touristes. Pour preuve, lors d’une recherche (« Bordeaux ») dans Google Images, les premières images sont la place de la Bourse reflétée sur le miroir d’eau. C’est « l’avènement d’une nouvelle conception de l’espace public, celle d’un espace à partager entre de multiples usages57 ».

En 2002, est confiée à In-Cité, la rénovation des logements du centre-ville. En juin 2010, le projet Bordeaux (Re) Centres est lancé dans le cadre du Programme National de Requalification des Quartiers Anciens Dégradés (PNRQAD). Ce projet urbain a l’ambition, d’ici 2020, de réhabiliter et créer plus de cinq hectares d’espaces publics ainsi que 1 500 logements, dont 900 sociaux et 8 équipements de proximité. De plus un travail sur les espaces circulés est entamé. Le but est d’apaiser la circulation en classant 70% des espaces, en espaces de circulation douce (cycliste et piétons). Ces travaux vont également permettre des traversées facilitées vers la Garonne dans la volonté de réconcilier les bordelais avec le fleuve.

La rue Saint-James a été une des premières rues du centre-ville à être réhabilitée. Les travaux ont permis de la rendre piétonne - et cycliste - en interdisant l’accès aux voitures grâce à des potelets aux entrées de la rue. Le but était de revitaliser cette voie historique de la ville entre Saint-Michel et Saint-Pierre, de la rendre plus praticable pour les déplacements doux et plus attractive pour les commerces. Objectif qui a été atteint puisqu’elle est devenue « l’autoroute du vélo » selon des habitants, et que l’offre commerciale s’est considérablement étoffée. Les logements de Saint-James ont, eux aussi, fait l’objet d’une rénovation par In-Cité, qui n’a pas toujours été vue d’un très bon œil. Même si ces rénovations ont pour but de rendre le cadre de vie plus agréable, certains habitants pensent qu’elles ont « tuées l’âme du quartier ».

Le quartier Saint-Michel, quant à lui, commence sa rénovation de l’espace public en 2013. Les travaux ont eu un impact fort sur les bars et restaurants, qui depuis la fin des travaux, ont vu leur clientèle augmenter ainsi que leur chiffre d’affaire.

Cette « transfiguration symbolique58 » de l’espace bordelais en espaces plus généreux, esthétiques, favorisant les modes de transports doux, a changé l’image de la ville, pour ses habitants mais aussi à l’intention de ses visiteurs, qui sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. Certains réaménagements, dont les quais et la rue Saint-James sont un très bon exemple, ont permis de mettre en avant l’histoire du lieu tout en en modernisant les usages.

Une démarche forte a permis de renforcer cette volonté de changer l’image de Bordeaux à l’extérieur : l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.

25
57 BERGERON M., GODIER P., IBARS J., MARIEU J., MONNERAUD L., PARIN C., ROULAND P., SEGAS S., SORBETS C., TAPIE G., sous la direction de GODIER P., SORBETS C., TAPIE G., Bordeaux métropole : un futur sans rupture, Parenthèses, Marseille, 2009 58 Op. cit. GODIER, SORBETS, TAPIE, 2009

Patrimoine mondial de l’UNESCO

1 810 hectares

2007

Secteur sauvegardé

150 hectares

1967

Zone d’attention patrimoniale

3 725 hectares

26
Figure 8 - Carte représentant les différents secteur sauvegardés

II.1.2. Inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO

Le label UNESCO est aujourd’hui un gage de qualité et d’intérêt pour des lieux disséminés aux quatre coins de la planète.

L’UNESCO est une agence spécialisée de l’ONU (Organisation des Nations Unies) créée en 1945 suite aux massacres de la seconde guerre mondiale dans le but de maintenir la paix et la sécurité en rapprochant les peuples, et en favorisant la collaboration grâce à la culture, la science et l’éducation. L’agence classe des lieux, entre autre actions, à la liste du patrimoine mondial de l’humanité pour les protéger et signifier un intérêt particulier lié à la culture, à la science, à la nature, etc. L’inscription n’a aucune portée juridique et les sites ne peuvent être protégés que par le cadre législatif et réglementaire national existant d’ores et déjà dans le pays. Cependant elle confère des devoirs aux acteurs locaux et nationaux quant à la qualité des projets menés autour du site protégé en vue d’en préserver la « valeur universelle exceptionnelle ». Le simple fait de pouvoir se voir le « label » UNESCO retiré exerce une pression suffisante pour faire respecter les devoirs de protection des sites. L’inscription sur la liste du patrimoine, aujourd’hui permet non seulement de protéger celuici mais peut également jouer un rôle de levier de développement local. Beaucoup espèrent que l’inscription, médiatisée, boostera le développement touristique. Néanmoins il est difficile de mesurer réellement l’impact de l’inscription sur le développement local et touristique du site classé. Certains annoncent une hausse de la fréquentation : « une augmentation touristique de 20 à 30% sur ces nouveaux sites59 ». Ces chiffres sont à interpréter avec prudence car « aucune méthodologie n’est établie et reconnue au niveau national pour calculer ces chiffres avec précision60 ». Ces augmentations peuvent être induites par des opérations de communication indépendante à l’inscription elle-même, ne porter que sur quelques sites ou monuments, ou seulement sur quelques mois. On ne peut nier l’effet de l’inscription, elle « est certainement un facteur favorable au développement, mais un facteur qui n’est ni nécessaire ni suffisant61 ».

La démarche de classement au patrimoine mondial fonctionne également comme un catalyseur et permet à certains sites de « faire émerger ou d’affiner des projets de territoire, indépendamment du résultat final de la candidature ». Ces projets pouvant être, autant de l’ordre de l’attractivité touristique, que de l’amélioration du cadre de vie des résidents ; les deux étant étroitement liés. Cette démarche permet d’asseoir tous les acteurs locaux autour d’une même table pour travailler ensemble à l’élaboration d’un plan de gestion. Ceux qui mènent ces démarches jusqu’au bout en trouvent leur territoire et sa gestion renforcé.e.s ; « ces démarches patrimoniales et ces investissements économiques orientés vers une valorisation touristique « culturelle » paraissent parfois plus efficaces que les démarches courantes de planification territoriale autour des PLU et des SCoT62 ».

L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO a permis aux sites d’attirer l’attention sur d’autres atouts de leur territoire. L’inscription agit comme un « coup de projecteur » sur eux, elle met en lumière leur attrait patrimonial. Mais pour que cela fonctionne d’autant mieux, les acteurs locaux doivent diversifier leur offre63. C’est le cas du centre-ville de Bordeaux qui est inscrit, en 2007, sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, représentant le premier ensemble urbain aussi vaste inscrit depuis la création du label, soit 1 810 ha (fig.8). La ville est inscrite sous deux critères :

59 « 3 minutes pour comprendre : Unesco, quelles sont les retombées d’un classement au patrimoine mondial ? », invité Philippe Gloaguen fondateur du guide du routard, RTL, 2017, https://www.dailymotion.com/video/x5t676p

60 Op. cit. RTL 2017

61 Prud’homme, R. 2008. « Les impacts socio-économiques de l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial : trois

études », note préparée à la demande du patrimoine mondial de l’UNESCO.

62 MATTHYS A., « L’effet UNESCO sur le développement local », Métropolitiques, septembre 2018

63 Ibid.

27

- (ii) : témoigner d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée ou dans une ère culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages

- (iv) : offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysages illustrant une ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine

Ces deux critères sont culturels et technologiques. L’architecture de la ville de Bordeaux représente le savoir-faire et l’ingéniosité d’une époque. Elle est un témoin de la pensée et de l’art du XVIIIe siècle. Grâce à cette inscription la ville a pu jeter un coup de projecteur sur son territoire. Elle lui a permis d’être reconnue mondialement pour son paysage architectural.

Le secteur inscrit s’étend du quai de Bacalan au quai de Paludate avec les Bassins à flot et le pont de pierre soit presque la totalité de Bordeaux intra boulevard à l’exception du quartier de Belcier derrière la gare. La ville de Bordeaux a mis en place, suite à cette inscription, une « zone d’attention patrimoniale » de 3725 ha, fonctionnant comme une zone tampon entre le centre-ville classé et les autres communes de la métropole.

On peut se poser la question, suite à l’inscription au patrimoine UNESCO, si cela ne va pas dénaturer le site à cause, entre autre, de la fréquentation touristique accrue. L’organisme prévoit en effet, avant même de classer le site, des négociations qui demandent entre autre de prévoir les infrastructures nécessaires à la possible affluence touristique que va générer l’inscription. On peut se demander si la municipalité de Bordeaux a en effet prévu les infrastructures nécessaires et dimensionnée à l’afflux touristique. Malgré un tram et des bus souvent bondés il semble que les espaces urbains ne soient pas saturés par la présence touristique.

Pour conclure, l’inscription au patrimoine de l’humanité amène un certain prestige pour les villes qui peuvent voir leur tourisme dopé. Néanmoins le « label » UNESCO n’est, bien entendu, pas suffisant. Il doit être accompagné d’une réelle réflexion sur le territoire, ainsi que sur sa gestion. De plus ce classement ne donne en aucun cas des obligations réglementaires ou des subventions pour la protection du patrimoine. La seule action de l’organisme peut être de retirer cette distinction si le patrimoine est mis en péril, comme c’est le cas pour Venise qui est placée sur « liste noire » du patrimoine en danger, première étape avant le déclassement.

28
Figure 9 - Extrait du site de Bordeaux tourisme et congrès Cette image montre la promotiotion du label UNESCO sur le site officiel de l’office de tourisme qui en fait un atout prinicpal de l’offre touristique de la ville.

II.2. Le paysage touristique de Bordeaux

II.2.1. Nouveaux « landmarks » : la nouvelle skyline touristique de Bordeaux

Depuis plusieurs années la ville se pare de nouvelles constructions « emblématiques » signées par des architectes reconnus : le tribunal de grande instance par Richard Rogers, le stade Matmut Atlantique par Herzog et Demeuron, l’Arkéa Arena par Rudy Ricciotti, la Cité du Vin par l’Agence XTU (Anouk Legendre et Nicolas Desmazières), la MECA (Maison de l’Economie Créative Nouvelle-Aquitaine) par BIG (Bjarke Ingels Group). Ces nouveaux projets de « landmark » créent une nouvelle « silhouette » de la ville. Un landmark peut être défini de plusieurs manières : comme une structure anatomique utilisée comme point d’orientation pour localiser d’autres structures. Comme une structure telle qu’un bâtiment parfois à l’histoire insolite et présentant un intérêt esthétique. Ou encore comme un repère qui signale un espace ou une limite. Ici il s’agit d’un bâtiment aux caractéristiques architecturales remarquables qui intervient comme un signal dans la ville, comme un « totem », porteur d’identité, souvent nouvelle.

En 1992 la Cité mondiale du Vin est construite aux Chartrons dans une architecture aux contrastes bien marqué avec ses voisins du XVIIIe, Mais cette construction n’eut pas l’effet escompté.

Aujourd’hui le Bordeaux touristique est communiqué au travers de la Cité du Vin, nouvelle architecture emblématique, décrite comme incontournable, « un totem pour Bordeaux64 ».

Avec son architecture aux lignes courbes le bâtiment se détache de l’architecture bordelaise XVIIIe qui prend place quelques centaines de mètres plus bas. On voit une volonté de créer

Localisation : Quai de Bacalan, à Bordeaux, près du

Architecte : Agence XTU

Superficie : 13 350 m² réparti sur 10 niveaux

Coût : 81 millions d’euros

Ouverture : 2016

Fréquentation : 445 000 visiteurs en 2017 et 420 000 en 2018

29
64 Plaquette de presse 2018 de l’office de tourisme
de Bordeaux
Figure 10 - La Cité du Vin pont Chaban-Delmas

un bâtiment « phare » qui se démarque dans le paysage urbain pour créer une sorte d’appel et une nouvelle identité, plus contemporaine, de la ville. Son architecture atypique a parfois été comparée au Guggenheim de Bilbao. Elle est un des plus grand musée dédié au vin et aux civilisations du vin.

« National Geographic classe le lieu en 7e position parmi les meilleurs musées du monde ! » - Bordeaux tourisme et congrès

Localisation : Quai de Paludate

Architecte : Bjarke Ingels Group (BIG)

Superficie : 12 000 m²

Coût : 60 millions d’euros

Ouverture : 2019

Fréquentation : ouverture trop récente pour l’annonce de chiffres

La Cité du Vin est le premier lieu de visite proposé sur le site de l’office de tourisme. La visite du musée est disponible en huit langues différentes, la signalétique est proposée en trois langues pour la rendre accessible aux touristes étrangers. Elle a compté plus de 445 000 visiteurs l’année de son ouverture. Toutefois la Cité du Vin n’attire pas beaucoup les bordelais qui sont de moins en moins nombreux à visiter le musée. Depuis janvier 2019, 44% des visiteurs sont étrangers et 60% en juillet, alors qu’ils représentaient 38% en 201865 De plus les visiteurs étrangers viennent de 180 pays différents, soit la presque totalité des nations du monde ce qui montre « l’universalité du lieu66 ». Les responsables et administratifs veulent élargir le public du musée en proposant des afterworks, des soirées, des possibilités de stationnement moins cher, des réductions pour les titulaires de carte jeune, etc.

La Cité du Vin a permis à Bordeaux d’asseoir d’autant plus son statut de « capitale de l’oenotourisme » en France et ne cesse d’attirer les touristes du monde entier, néanmoins, la

65 chiffres tirés de LOUBES C., « Tourisme : la Cité du vin veut faire revenir les Bordelais », dans Sud-Ouest, 14 août

2019

66 Auteur inconnu, « Cité du vin de Bordeaux : 421 000 visiteurs en 2018, la fréquentation en baisse », dans Sud-Ouest, 9 janvier 2019

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Figure 11 - La MECA

fréquentation bordelaise reste en recul.

La MECA, livrée en 2019, est un projet qui s’inscrit dans la rénovation du quartier de la gare et des quais de Paludate. Ce bâtiment crée une offre culturelle dans un quartier populaire en pleine mutation de son identité. En effet il abrite le Fond Régional d’Art Contemporain (FRAC) ainsi que des agences culturelles. La MECA a pour mission d’accueillir des artistes, acquérir et préserver des collections ainsi que la mise en valeur de l’art contemporain67. Le projet est promu comme « le renouveau du quartier Paludate » en générant « une véritable émulation autour de la dynamique artistique68 ». Mais cette volonté de proposer une offre culturelle va bien au delà des limites du quartier, et de la ville selon l’aménageur : « à travers cette opération se joue le rayonnement de ce quartier mais aussi d’un territoire, avec pour objectif de doter la Région Aquitaine d’un véritable outil de soutien et de promotion de la culture au-delà de ses frontières69 ».

Tout comme la Cité du Vin, la MECA est placée dans un endroit stratégique, en bord de Garonne, pour être visible depuis plusieurs emplacements de la ville. Ces deux installations participent à prolonger la façade des quais, tout en créant une image plus contemporaine. Elles permettent également de créer deux polarité à cette façade, de par leur situation opposée ; l’une au delà du pont Chaban-Delmas au Nord et l’autre au Sud près du futur pont Simone Weil. De plus la promenade, dans le projet d’Euratlantique, se prolongera jusqu’à la MECA sur le quai de Paludate, et au-delà en un parc.

Tous ces nouveaux projets d’équipements et d’infrastructures qui fleurissent au cœur de la ville, dont la Cité du Vin et la MECA, se veulent lui donner une nouvelle identité, plus contemporaine, porteuse d’innovation et de modernité. Ils tendent à dessiner une nouvelle « skyline », mise en avant dans l’offre touristique bordelaise. Ces architectures fonctionnent comme des images de marque en faisant appel à des architectes renommés et en les médiatisant. Elles peuvent être également associées à des manifestations de pouvoir. Le contexte de « décentralisation (…) va également conduire les collectivités territoriales à investir dans l’architecture pour forger une image renouvelée de leur identité70 ». Mais une question se pose face à ces nouvelles architectures ; pour qui, ses équipements et infrastructures, sont-ils réellement destinés ? Qui les visitent ? Qui les pratiquent ? Il semblerait qu’ils servent surtout à l’attractivité touristique en créant des lieux « qu’il faut voir ». Ils ne sont pas expressément utiles à la vie quotidienne des bordelais, ils offrent une « prestation » culturelle par leur architecture et avant tout par leur contenu.

II.2.2. Vers un « tourisme de contenu » : contrôler le flux touristique

Les politiques de tourisme aujourd’hui ont un impact très important dans le contrôle de la mise en tourisme. Des exemples comme Venise ou Barcelone font office de mise en garde sur les effets néfastes que peut avoir cette activité.

Bordeaux à voulu se tourner vers un « tourisme de contenu » qui privilégie la mise en valeur de la culture et du mode de vie à l’attractivité à tout prix, comme l’avance l’adjoint au tourisme pour le Sud-Ouest71, « l’office de Bordeaux Métropole s’est toujours refusé à se fixer

67 informations tirées du site d’Euratlantique, projet urbain dont la MECA fait partie, https://www.bordeauxeuratlantique.fr/zone-de-projet/la-meca/

68 Idem.

69 Idem.

70 CHADOIN O., « «Les formes informent» : le retour du symbolique dans la fabrique de la ville néolibérale », Questions de communication, 25 | 2014

71 SOTA X., « Tourisme dans la métropole de Bordeaux : comment gérer le succès ? », dans Sud-Ouest, le 21 juin 2018

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des objectifs quantitatifs ». Pour contrôler les flux touristiques, mais aussi pour valoriser le territoire et disperser les richesses générées par le tourisme, Bordeaux est promue comme la « porte d’entrée du grand Sud-Ouest ». Depuis Bordeaux on peut se rendre sur le bassin d’Arcachon, dans les Pyrénées, sur la côte atlantique, etc. Le but est d’envoyer les touristes sur tout le territoire qui a, lui aussi, beaucoup à offrir ; « plutôt que mettre en avant un top 10 des choses à voir, on optera pour un top 50, ce qui évite d’envoyer tout le monde au même endroit au même moment72 ».

L’offre culturelle s’est étoffée depuis quelques années, la Cité du Vin ouvre en 2017, le Musée de la Mer de la Marine en 2018, le Musée d’histoire naturelle rénové en 2019 ; faisant suite aux douze musées déjà présents. La densification de cette offre prend place dans une volonté de l’office de tourisme, et de la municipalité, de proposer un tourisme culturel, riche, et plus étendu sur le territoire pour étaler les flux touristiques dans le temps et dans l’espace. En effet, le risque avec une offre saisonnière de loisirs est de trouver une ville « au point mort » le reste de l’année, comme cela peut être le cas dans les stations balnéaires ou de sports d’hiver. Le but est d’attirer des touristes tout au long de l’année pour garder une activité constante et maîtrisée.

L’offre culturelle de la ville passe aussi par les événements qu’elle propose. On appelle cela la « festivalisation » de la ville. En 1950 le premier festival de musique de la Bordeaux est créé. En 1965 un festival avant-gardiste dédié à la découverte des expériences « les moins conformistes » dans des domaines artistiques comme le théâtre, la musique ou la poésie, voit le jour : Sigma. En suit 1981, qui marque les débuts de la Vinexpo qui aura lieu toutes les années impaires. En 2013 elle compte 48 000 visiteurs venus de France (60%) et du monde entier (40%). Bordeaux fête le vin, les années paires depuis 1998, et fête le fleuve, les années impaires depuis 1999. Ces manifestations rythment la vie des bordelais à la fin du printemps. La fête du fleuve a permis aux bordelais de renouer avec la Garonne qui a longtemps été laissée de coté. Les festivals permettent de créer une ambiance, un moment festif dans la ville qui attire de nombreux touristes mais qui fait surtout vivre la ville pour les résidents.

Bordeaux s’est, depuis quelques années, parée d’un nouveau visage. Elle est devenue propre, vivante, attractive, culturelle autant pour ses résidents que pour ses visiteurs occasionnels. Elle est devenue un emblème de l’oenotourisme, de la gastronomie et de l’architecture XVIIIe. Néanmoins, même s’il semble que ces changement ont été opérés pour les résidents et futurs résidents, on peut se demander si c’est le cas de tous. « Le tourisme doit être acceptable et accepté. Il faut que les Bordelais le considèrent comme une richesse. », tel est le discours de l’adjoint au tourisme, mais l’objectif est-il atteint ?

32
72 Ibid.
33
34

PARTIE B.

LA VILLE TOURISTIQUE ET LA VILLE « QUOTIDIENNE » : QUELLES RELATIONS ?

CHAPITRE I. Le tourisme comme valorisation de la ville quotidienne

Indéniablement le tourisme produit des richesses et des emplois mais peut aussi être générateur de conflits. Dans cette partie nous traiterons seulement des effets positifs du tourisme.

I.1. Les externalités positives du tourisme

I.1.1. Le tourisme générateur d’emploi et de valeur

Tout d’abord le tourisme peut être vu par les instances de pouvoir comme un activité créatrice de richesse ; et le touriste comme un « possible financeur d’activités73 ». Le tourisme est un enjeu majeur de certains territoires car il peut créer un cercle vertueux. Les dépenses touristiques génèrent des revenus qui eux-même ont été générés ailleurs (où les touristes travaillent). Ces revenus entrants vont générer des achats de marchandise et de service (nuitées, souvenirs, restauration, etc.) de la part des touristes qui vont créer des emplois directs, et donc de nouveaux revenus (bénéfices pour les commerçants, salaires des employés du secteur touristique et commerçant, etc.). Si ces revenus sont dépensés localement, alors de nouveaux emplois (indirects) vont alors être créés ainsi que de nouveaux revenus. Et si ces nouveaux emplois consomment à leur tour des biens et services produits localement, ce cercle n’en sera que plus vertueux74. À Bordeaux « le secteur de l’hôtellerie et de la restauration a permis de créer 15 700 emplois en cinq ans75 », dans une des villes qui compte le plus de restaurants par habitant. Pour les touristes, la restauration est le second poste de dépense « avec 239,4 millions d’euros derrière l’hébergement avec 320,2 millions d’euros » par an. Le tourisme a généré, en 2014, prés de « 938 millions d’euros de retombées économiques pour la métropole ». Tous postes de dépenses confondus, « un visiteur d’agrément dépense en moyenne 62 euros par jour dans l’agglomération contre 36 euros pour un excursionniste et 174 euros pour un visiteur professionnel ». Cependant il est difficile de chiffrer réellement les richesses et les emplois générés par cette activité, par

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73
74
75
DELAPLACE M., SIMON G., Touristes et habitants : conflits, complémentarités et arrangements, Première partie, p.16-
81, Infolio, Paris, 2017
Ibid.
DUBOURG
S., « Tourisme culinaire, un vecteur de croissance », Sud-Ouest, 9 décembre 2015

conséquent tous ces chiffres sont donc à utiliser avec prudence76 De plus le tourisme peut bénéficier également aux résidents par plusieurs effets. Il peut mener à la construction, ou rénovation, d’équipements qui bénéficieront, non seulement, à l’activité touristique mais également aux habitants permanents. Le tourisme culturel, par l’augmentation des entrées peut détériorer les sites, mais aussi permettre leur entretien, et que les habitants puissent en bénéficier (comme les scolaires). Ainsi le tourisme peut de même conduire à une patrimonialisation ou une sauvegarde de certains sites en les valorisant. La mise en tourisme d’un territoire participe alors à son entretien et son embellissement ; et donc à l’amélioration de son cadre de vie qui bénéficiera à ses résidents77 Même si le tourisme joue sur le prix de l’immobilier et exerce une pression résidentielle sur les habitants (point que nous traiterons par la suite), il génère une rente foncière pour les propriétaires qui bénéficient de ces hausses du prix de l’immobilier. Un bien se situant dans une zone touristique voit sa valeur augmenter. En outre la location de meublés touristiques sur les plateformes de réservations, permet d’absorber le surcoût lié à la localisation dans ces zones touristiques pour les propriétaires et locataires. En effet un particulier lambda louant son logement sur Airbnb gagnerait en moyenne 1 970 euros par an pour 26 nuits78.

L’activité touristique peut être complémentaire à d’autres activités, déjà présentes ou non, sur le territoire. Le tourisme se développe dans des territoires où d’autres activités sont déjà prospères. Il amène de nouvelles populations, aux envies et besoins différents, dans le lieu et permet de diversifier la clientèle profitant alors aux activités déjà présentes. En ce sens le tourisme est complémentaire à d’autres activités.

Enfin, il est par définition une activité non délocalisable car profondément liée au lieu dans lequel il prend place.

L’activité touristique est une aubaine économique en permettant de créer des emplois et en générant des revenus directs et indirects pour la population. Il permet de créer des infrastructures qui bénéficieront aussi aux résidents, de rénover et entretenir des lieux et des monuments, de sauvegarder le patrimoine, etc. Mais le tourisme n’est pas seulement vecteur de revenus, il permet également de créer du lien social.

I. 1.2. Le tourisme vecteur de lien social

Les échanges culturels sont devenus très importants pour cette classe moyenne mondialisée qui cherche à se confronter à l’Autre, à connaître sa culture. Le voyage se fait alors dans une recherche de produits culturels authentiques, de rencontre avec les populations de manière plus ou moins « calculée ».

Pour certains, la restauration est ce qui permet le mieux de « s’imprégner d’un terroir », de découvrir une culture, des us et des coutumes, elle est « de plus en plus associée à la découverte des traditions culinaires locales et de nouvelles saveurs79 ». Pour d’autres il faut parler avec des résidents ou visiter les musées. En somme la compréhension d’une culture peut passer par bien des moyens.

La « théorie du contact » par Allport80 propose de voir les interactions entre les touristes et les résidents, « entre les membres de différents groupes sociaux et culturels » comme un facteur réducteur de conflits et de préjugés. Dans cette lignée de mise en interaction de

76 la série de chiffre qui précède est tirée de DUBOURG S., « Tourisme culinaire, un vecteur de croissance », Sud-Ouest,

9 décembre 2015

77 Op. cit. DELAPLACE, SIMON, 2017

78 Ibid.

79 Op. cit. DUBOURG, Sud-Ouest, 2015

80 ALLPORT G. The nature of prejudice, Addison Wesley, Cambridge, 1954 cité dans DELAPLACE, SIMON, 2017

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groupes sociaux différents, des activités touristiques comme les guides de Cenon81 ont vu le jour (fig.12). Ces guides sont des habitants en réinsertion sociale qui font visiter leur lieu de vie aux touristes. Ce service permet a des groupes isolés, et mis de coté de travailler et de valoriser un savoir du quotidien. Il permet également de faire visiter des lieux qui ne sont pas définis comme touristiques, mais qui peuvent tout de même avoir de l’intérêt. C’est une prestation qui voit le jour aussi dans d’autres villes de France comme dans le Val de Marne avec « les jeunes guides en banlieue », la coopérative d’habitant « Hôtel du Nord » proposant des chambres d’hôtes à Marseille ou « Douce banlieue » en Seine-Saint-Denis. Il s’agit du principe du tourisme social, définit par le Bureau International du Tourisme Social (BITS), comme « l’ensemble des rapports et des phénomènes résultant de la participation au tourisme et en particulier de la participation des couches sociales aux revenus modestes82 ». Des entreprises comme Couchsurfing ont mis en place une plateforme qui met en relations des particuliers qui souhaitent héberger (ou être hébergé) gratuitement. Ce service a pour but de favoriser l’interaction et l’échange entre les personnes qui louent et proposent ce service. La personne qui héberge peut faire visiter son lieu de vie, parler de sa culture, etc. Ici, prends place un tourisme « où la personne rencontrée est plus importante que le lieu visité83 ». L’habitat touristique peut permettre de dynamiser la vie sociale et économique de certains lieux. Avec des formes d’habitats partagés, comme les maisons d’hôtes ou le couchsurfing, qui peuvent générer des revenus mais aussi des liens sociaux pour les résidents qui côtoient alors les touristes. Les résidents ne sont alors pas les seuls à habiter les lieux touristiques, ils doivent donc vivre ensemble le temps du séjour.

Cependant, on peut se poser des questions quant aux limites de cet échange culturel. Se résume-t-il à l’image que l’on a (et que l’on veut se faire) des cultures que l’on visite ? Ne reste-t-on pas seulement en surface de ses cultures sans réellement essayer de les comprendre et de les vivre ? Nos modes de tourisme actuels posent beaucoup de questions comme celles-ci, des questions parfois éthiques ou écologiques. Le tourisme que l’on pratique aujourd’hui profite-t-il aux populations que nous visitons ? Ou ne profite-t-il pas qu’au touriste ? Face à ses interrogations, d’autres modes de tourisme ont vu le jour comme le tourisme solidaire, souvent dans les pays moins développés, qui consiste à participer à une action d’aide humanitaire (comme la construction d’une école, la distribution de matériel scolaire pour les écoliers, etc.) lors du voyage.

81 DELNESTE Y., « À Bordeaux et Cenon, le «slow tourisme» se met au service de l’insertion », Sud-Ouest, 2 sept. 2019

82 JOLIN L., PROULX L., « L’ambition du tourisme social : un tourisme pour tous, durable et solidaire ! », Revue Interventions économiques, 01 juillet 2005, 83 Op. cit. DELAPLACE, SIMON, 2017

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Figure 12 - Balade touristique à Cenon avec un habitant en réinsertion

I. 1.3. La perception de la ville valorisée, le tourisme au renfort de l’identité locale

Comme nous avons pu le voir dans une partie précédente le paysage est porteur d’identité pour les résidents qui le vivent au quotidien. Le tourisme, entre autre, permet une valorisation de ce paysage, en patrimoine, en un lieu digne d’intérêt, porté au regard du monde. Le label UNESCO participe, comme un coup de projecteur sur ce lieu représentatif d’une culture, d’un savoir-faire, d’une identité, à rendre ce lieu digne d’intérêt à l’extérieur. Comme le dit Meyronin dans son livre « Il est possible de faire réellement de l’appartenance à un territoire une véritable source de création de valeur pour le territoire84 ». Le facteur identitaire du territoire, sa portée symbolique et représentative d’un groupe, de valeurs, de savoir-faire donne au territoire une toute autre valeur pour l’extérieur. Il lui donne du sens, une histoire, un but qui le rendent digne d’intérêt. Un habitant du quartier Saint-Michel le souligne, en montrant la flèche, « si je suis venu m’installer ici, c’est aussi pour cette pierre là ».

Les savoirs-faire peuvent eux aussi devenir des produits touristiques. Le savoir-faire est défini, selon le CNRTL, comme « la pratique aisée d’un art, d’une discipline, d’une profession, d’une activité suivie ; habileté manuelle et/ou intellectuelle acquise par l’expérience, par l’apprentissage, dans un domaine déterminé ». Les savoirs-faire peuvent être représentatifs d’une population et donc porteur d’une identité, les français par exemple sont reconnus pour leur savoir-faire culinaire, reconnue à travers le monde, et en est devenue à être un facteur identitaire français. Dans leur livre, Delaplace et Simon, exposent l’exemple du pescatourisme. Un tourisme qui propose de participer au ramassage des huîtres à Andernos-les-Bains. L’ostréiculteur accueille les touristes avant la marée basse, ils assistent au chargement du bateau et apprennent les rudiments de l’ostréiculture. Ils apprennent le travail dans le parc à huître en posant les collecteurs, en nettoyant le parc, en récoltant les huîtres pour finir par le tri et enfin la dégustation. Cette valorisation des savoirs-faire est présente un peu partout dans le monde et peut prendre la forme de cours de cuisine avec un chef étoilé, d’initiation au soin des éléphants en Asie, d’apprentissage de la récolte du raisins dans les régions viticoles, d’initiation, etc. Le touriste devient alors un peu plus acteur de sa visite et apprend un peu plus sur la culture qu’il côtoie lors de son voyage.

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84 Op. cit. MEYRONIN 2015
Figure 13 - Des touristes découvrent l’ostréiculture à Arcachon

I. 2. (Re)découvrir et faire découvrir sa ville

Le tourisme est avant tout une rencontre, avec un territoire, une culture, des personnes, des coutumes, etc. Mais pas seulement pour l’Autre, celui qui vient d’ailleurs, aussi pour celui qui habite le lieu, qui y vit au quotidien. L’habitant, autant que le touriste, peut visiter ce « paysage vitrine » qui fait son cadre de vie, et il peut le faire visiter. Le tourisme permet alors de (re) découvrir le paysage qui nous entoure.

I. 2.1. Les nouveaux guides

Les habitants « se proposent comme guides ». On a vu, depuis quelques années, apparaître des groupes comme les greeters qui sont des habitants, la plupart du temps bénévoles, qui font visiter leur territoire aux touristes. On qualifie parfois cette démarche de « rencontre authentique avec un habitant ». Le but de ce dispositif est de visiter un lieu « comme un habitant », dans la recherche d’une expérience unique, où l’on veut voir ce qu’un touriste ne verrait pas normalement. Le résident est alors à « l’avant-poste » de la découverte du territoire. Cette initiative privilégie « une histoire sociale et urbaine locale85 ». Le contenu et l’approche de type de visite, diffèrent des « tours » classiques proposés par les offices de tourisme. Ce qui a permis, dans certaines régions, de voir apparaître une dynamique associative associée à cette démarche de l’habitant acteur du tourisme. Parfois ce type de prestation est proposée par des citoyens en réinsertion sociale comme nous avons pu le voir dans la section précédente. Ce type de démarche habitante peut parfois être un facteur principal de la mise en tourisme d’un lieu comme au quartier des États-Unis de Lyon. Ces figures d’habitants-guides nourrissent une meilleure image des destinations mais cela ne reste encore qu’anecdotique face à l’industrie touristique. Cette démarche où le résident fait visiter son lieu de vie existe aussi, moins formellement, quand un habitant accueille un proche et lui fait visiter sa ville, son paysage. Il sélectionne alors ce qui est « à voir » dans ce paysage, le paysage vitrine.

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85 Op. cit. DELAPLACE, SIMON, 2015
Figure 14 - Image promotionnelle des visites de Bordeaux par un greeter

I. 2.2. Le tourisme habitant

Le touriste est définit comme une personne qui pratique le tourisme soit qui se rend dans un lieu autre que celui de résidence à des fins d’agrément ; mais cette définition est quelque peu réductrice car un résident peut aussi être touriste de son propre espace de vie. Dans l’étude du tourisme on finit souvent par « minorer voire effacer la figure habitante86 » à cause de représentations de touristes et d’habitants trop clivées. Selon Böröcz, il est nécessaire « de considérer ensemble touristes et habitants dans une approche systémique87 ». Habitants et touristes doivent être considérés, selon lui, comme un système complexe fait d’interactions et d’interrelations. Un touriste et un habitant ne sont pas si différents l’un de l’autre, c’est seulement la situation dans laquelle ils se trouvent qui les différencie. Certains auteurs plaident pour « un rapprochement des figures de touristes et de résidents, soulignant un rapport complexifié entre nomadisme et sédentarité88 ». Dans certaines situations l’habitant devient touriste, il visite en touriste son propre territoire. Le site web créé par l’office de tourisme de Bordeaux, « Un air de Bordeaux » promeut ce « tourisme habitant ». Il s’agit d’un site dédié aux bordelais, présentant les choses à faire et à voir à Bordeaux. Espace quotidien se mêle alors avec espace vitrine.

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86 Op. cit. DELAPLACE, SIMON, 2017 87 Paroles de BÖRÖCZ J. tirées de Leisure migration : a sociological study on tourism, Pergamon Press, Londres, 1996 ; rapportées dans DELAPLACE, SIMON, 2017 88 Ibid.
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CHAPITRE II. Vivre la ville touristique au quotidien

II.1. Les externalités négatives

II.1.1. L’économie du tourisme parfois à la défaveur des lieux

Même si le tourisme produit des richesses et génère des emplois, il peut générer des désagréments.

Les richesses et les emplois liés au tourisme sont très inégalement répartis sur le territoire - tout comme le tourisme. Par exemple, dans les régions les plus riches, les activités liées au tourisme sont plus développées. En effet, même si l’équipe MIT89 affirme que « le tourisme a peu de chance de se développer dans des espaces qui n’en n’ont pas économiquement besoin », il est indéniable qu’il se développe là où il y a des activités qui sont déjà prospères. Ce qui peut s’expliquer par le fait que le tourisme est étroitement complémentaire d’autres activités et ressources du territoire. Par cet effet il contribue à concentrer les richesses et creuser les inégalités au lieu de rediffuser les richesses sur tout le territoire. Plus le tourisme va se développer dans un espace, plus les activités qui lui sont liées vont se développer à leur tour, plus des richesses vont être crées grâce aux dépenses des touristes sur place, et plus les richesses vont se concentrer dans cet espace.

De plus, le tourisme, s’appuyant sur les ressources inhérentes au territoire qu’il investit, peut entrer en conflit si ces ressources sont insuffisantes ou s’il induit des dégradations de cellesci. Par exemple certaines activités (notamment industrielles) peuvent nuire au tourisme à cause des pollutions, quelles soient visuelles, olfactives, sonores ou environnementales. Et a contrario, l’activité touristique peut porter atteinte à certaines activités locales. Par exemple le tourisme peut nuire à des activités telles que les commerces de proximité qui se retrouvent « chassés » de certaines zones touristiques au profits de boutiques souvenirs ou de concept stores tournés vers la consommation touristique. Le tourisme est souvent en position dominante face à d’autres activités. Dans des cas extrêmes, comme celui de Dubrovnik, la plupart des activités qui ne sont pas nécessaires au tourisme ont disparu. La ville est gérée par des intérêts privés et financiers venus d’ailleurs, et la gouvernance de la ville se rapproche, alors, plus du management que d’une réelle gouvernance de collectivité. Comme le souligne une membre du parlement culturel européen, « quand une ville est administrée comme une destination touristique, sont administration devient celle d’un hôtel, et un hôtel n’a pas besoin de scientifiques ou de jeunes entrepreneurs mais de femmes de chambre, de cuisiniers, de prestataires de services90 ». La ville subie une fuite de ses « cerveaux », les travailleurs qualifiés et les artistes quittent peu à peu la ville, pour laisser la place à des prestataires de services servant des intérêts touristiques. Le développement du tourisme à modifié l’ordre social de la ville, où, aujourd’hui un guide ou une femme de chambre peuvent gagner plus qu’un universitaire. Une ville trop touristique peut tendre à changer son offre d’emplois, et donc sa structure sociale, et ne plus attirer les entrepreneurs, les chercheurs, les cadres, etc., à la faveur de prestataires de services et autres emplois touristiques.

La hausse des prix des loyers dans les zones touristiques engendre un dépeuplement de celles-ci - comme nous le verrons plus tard - et induit, par le biais de la forte offre de location de meublés touristiques, une « saisonnalité » de l’usage des espaces, des commerces, ou

89 L’équipe Mobilité, Itinéraire et Territoire de l’Université Paris 7 Denis Diderot cité dans DELAPLACE M., SIMON G., 2017

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Source : « Venise, Barcelone, Dubrovnik : les ravages du tourisme de masse », Arte, 18 avril 2017, https://www. youtube.com/watch?v=6bgG5BHBlB0&t=2s

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encore des services. Ce phénomène, le plus souvent présent dans les stations balnéaires ou de sport d’hiver, pose la question des infrastructures et de leur dimensionnement. De plus cela impact également les activités commerciales et de services, qui se retrouvent à fonctionner en « bas régime » lors de la saison creuse. Enfin, la population temporaire que représentent les touristes n’est pas impliquée dans la vie du lieu, elle ne se mobilise pas pour résoudre les problèmes locaux, elle ne vote pas ; elle ne participe pas à la vie citoyenne.

Pour certaines villes touristiques, les bienfaits économiques du tourisme ne se font plus autant ressentir ; Venise est toujours endettée, à Barcelone le tourisme n’est pas assez réglementé et favorise la spéculation et la corruption91, Dubrovnik n’emploie presque plus de professions intellectuelles comme des cadres ou des universitaires. De plus, le tourisme est parfois vecteur d’économie souterraine en générant bon nombre d’emplois non déclarés. Le tourisme devient alors destructeur pour certaines villes. Bordeaux ne se retrouve pas encore dans un de ces cas extrêmes, néanmoins le tourisme fait peser des conséquences négatives sur une certaine catégorie de commerçants, sur le marché de l’emploi, etc.

II.1.2. Le quotidien comme produit touristique

Le quotidien, ici au sens des us et coutumes d’une population sur un lieu donné, devient un facteur de l’attractivité touristique.

Les habitants participent de l’attractivité d’un lieu, ils en sont des garants de l’ambiance. On parle souvent d’un lieu en parlant de ses habitants : « les habitants sont agréables », « les habitants sont mal polis », etc. Les résidents prennent une nouvelle place dans le tourisme, « ils deviennent "ambassadeurs"92 », ils représentent le lieu dans lequel ils vivent. Le mode de vie peut être un argument de vente, de marketing. On vend le mode de vie à la française , le mode de vie à la bordelaise, le bien vivre, la gastronomie, le bon vin, etc. Tous sont la pour montrer que la destination est agréable à vivre et qu’elle n’est pas qu’un musée à ciel ouvert. Parfois, les habitudes des résidents sont utilisées comme « produit touristique », et montré comme une activité « typique ». Sur la place Saint-Michel à Bordeaux une habitante raconte une scène qui lui est apparue très étrange. Le « petit train » qui fait le tour de Bordeaux, avec des touristes ayant payé un « tour » à son bord, passe par les lieux d’intérêts de la capitale girondine. Arrivant à Saint-Michel, à l’occasion du marché textiles, le petit train passe, tant bien que mal, entre les rayonnages. Le guide décrit alors la scène : « voici une scène typique de la vie bordelaise et du quartier Saint-Michel, où tous viennent se retrouver, discuter et marchander ». Pour cette habitante, c’était une scène gênante qui donnait la sensation d’être au zoo, à la place des animaux, de servir de vitrine sur laquelle on placarde l’étiquette d’une « scène authentique ». Ce sentiment de n’être qu’une vitrine est renforcée par le fait que les touristes ne pratiquent pas réellement le lieu, ils ne s’arrêtent pas avec le petit train et ne reviennent pas forcément pour manger ou boire un café. Comme le dit le patron du café La Fraternité, les touristes représentent un faible pourcentage de sa clientèle, qui a fortement augmentée depuis les travaux de rénovation de la place.

À Barcelone, et dans beaucoup de villes touristiques, ce phénomène apparait, mettant en scène les habitants dans le lieu touristique comme dans une vitrine, ou un zoo. Ils se retrouvent les figurants d’une scène de vie « typique », ou encore « pittoresque », garant de l’ambiance de la ville, le tout au service d’un imaginaire touristique.

91 Source : « Venise, Barcelone, Dubrovnik : les ravages du tourisme de masse », Arte, 18 avril 2017, https://www. youtube.com/watch?v=6bgG5BHBlB0&t=2s

92 Op. cit. DELAPLACE M., SIMON G., 2017

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Figure 15 - Appartements en location sur Airbnb montrant l’uniformisation de l’esthétique des logements

Au delà de modifier l’espace urbain, le tourisme (entre autre) transforme les lieux que nous fréquentons dans une sorte d’uniformisation des goûts. Ce phénomène qui a été nommé « Airspace » par Kyle Chayka93 dans le magazine américain The Verge, décrit une « harmonisation des goûts qui donne l’impression d’aller au même endroit encore et encore ». Airbnb diffuse une esthétique de la maison dans le monde entier, une esthétique que l’on retrouve aux quatre coins du monde (fig. 15). On peut se balader de pays en pays sans avoir l’impression de changer d’endroit, de culture à travers l’espace du logement. Un des co-fondateur de la plateforme en vient même à poser la question : « comment concevoir une maison en vue de son partage et pour faciliter les relations entre l’hôte et le visiteur ? ». Supposant l’idée que l’espace ne serait plus conçu pour l’habitant permanent, mais pour le potentiel futur visiteur, abandonnant alors toute la dimension intime et identitaire de la maison ou de l’appartement. Mais cette uniformisation esthétique se retrouve aussi dans les bars, cafés, restaurants, boutiques, et autres commerces (fig. 16). L’harmonisation des goûts et des cultures est un enjeu majeur de la mise en tourisme. Il peut faire perdre « l’âme » d’un quartier, d’une ville à la faveur du même décor encore et toujours. Ajouté à cela, la présence des populations visiteuses provoque une certaine « mise en décor des lieux et des ambiances94 ». Ainsi, ce que le touriste pense voir, et ce qu’il veut voir, devient peu à peu ce que les villes et ses acteurs vont lui donner à voir. En effet lorsqu’un touriste visite un lieu il a forcément des a priori, des attentes, des envies qui guident sa consommation. Alors tout ce qui constitue la vie quotidienne va être peu à peu mis en scène pour répondre à ces attentes. On peut, dès lors, parler de mise en scène touristique ou de « folklorisation du local95 ». Poussé à l’extrême ce phénomène peut complètement dénaturer un lieu, lui ôter son « âme » pour en faire un produit touristique harmonisé.

A contrario, certains espace touristiques fonctionnent comme des enclaves, des « bulles » où l’entre-soi touristique est de rigueur (parfois car les résidents ne se sentent plus chez eux et ne veulent plus les fréquenter), et isolent les touristes de la vie des habitants.

« Ville témoin pour un catalogue géant de Maisons du monde96 »

Le quotidien, devenant lui aussi un produit touristique, il est difficile pour les habitants de le différencier de l’espace vitrine. Ils se côtoient, se nourrissent l’un de l’autre. Lors de mon étude, j’ai demandé aux interrogés de parler d’un espace qu’ils aimeraient garder pour eux, qui les représente, qu’ils aiment comme étant porteur d’une certaine relation de proximité, d’initmité. Seule une personne sur le panel a pu en définir un. Dans un espace comme une ville touristique, la barrière entre le paysage ordinaire et le paysage vitrine devient floue car toute la ville devient un lieu d’intérêt touristique, et les espaces peu fréquentés (souvent ceux défini comme paysage « intime ») sont rare.

93 Ecrivain new-yorkais qui traite de l’esthétisation de la culture internationale et de ses effets sur le paysage urbain

94 Op. cit. DELAPLACE M., SIMON G., 2017

95 Ibid.

96 discussion sur le Front de libération bordeluche https://twitter.com/FLBP33/status/1198272005633724417

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Figure 16 - Intérieurs de cafés, bars et restaurants à travers le monde Ho Chi Minh Ville - Vietnam New-York - Etats-Unis Paris - France Londres - Angleterre Bangkok - Thailande Oslo - Norvège Istanbul - Turquie Cape Town - Afrique du Sud Sydney - Australie

II.1.3. Le quotidien modifié

Le tourisme menace le droit à la ville qui dit notamment que chacun à le droit de pouvoir disposer de l’espace public.

Dans les villes touristiques, lors de la mise en tourisme des lieux, on voit le quotidien se modifier face à cette nouvelle « force » qui agit sur elles. On définit, ici, le quotidien comme l’espace vécu et le vécu de l’espace, chaque jour, par les résidents d’un lieu. Il est l’espace de vie, vecteur d’identité sociale, porteur d’un mode de vie. Mais face à la présence de plus en plus nombreuse de touristes, cet espace se modifie, dans ses formes mais surtout dans ses usages. Dans la rue Saint-James, pour un habitant et commerçant présent depuis 15 ans, la présence des touristes devient « oppressante », il nous raconte : « maintenant même quand je sors fumer ma clope je suis pas bien, il y a trop de monde ». Selon lui, son commerce marchait mieux avant l’arrivée des touristes et de la nouvelle population. Il déplore la perte de la vie du quartier avant, qu’il qualifie, ainsi que d’autres habitants, de « village », « le village Saint-James ». Ces habitants de toujours racontent la rue comme elle était avant : « on sortait les tables, là, dans la rue, et puis on buvait l’apéro avec les copains et on regardait le foot », « tout le monde se connaissait ». L’affluence touristique, ainsi que la rénovation, ont modifié profondément les pratiques du quartier. Pour certaines villes dans une sorte de « stade terminal » de la mise en tourisme cette modification est très importante et impact fortement les résidents et leur mode de vie, ainsi que leurs usages des lieux. À Venise les habitants n’empruntent plus certaines rues car trop fréquentées par les touristes. Les incivilités des touristes compliquent encore la situation. Comme en témoigne une habitante vénitienne, « c’est bien qu’il y ait des touristes mais il faut qu’il se comportent bien, ils jettent leurs déchets n’importe où97 ». Tant et si bien que des vigiles sont employés pour rappeler aux touristes les règles de bonne conduite, telles que, ne pas s’asseoir n’importe où sur la place Saint-Marc, ou ne pas donner à manger aux pigeons. Dans la ville italienne la question des déchets liés aux touristes est très importante. Les installations ne sont pas adaptées à la quantité de déchets produite, la municipalité n’a pas les moyens de mettre en place des poubelles différentes pour permettre aux touristes de faire le tri sélectif. Le nombre de déchets est tel que pour éviter la prolifération des rongeurs dans les rues, les habitants ne sont autorisés à sortir leurs poubelles que très tôt le matin à l’heure du ramassage quotidien.

Pour des villes moins « prises » par le tourisme cette modification du quotidien est moins visible. À Bordeaux la signalétique dans la ville a changé depuis cinq ou sept ans. Certains arrêts de tram ont changé de nom pour en adopter qui révèlent les lieux à voir, comme le nouvel arrêt de la Cité du Vin, qui a donné son nom au terminus de la ligne B. L’arrêt Gambetta a été complété par « madd » pour le musée des arts décoratifs et du design. La destination des trams, aux arrêts, indique le centre-ville en anglais et en français, ainsi que les bornes d’achat de tickets traduites en anglais et espagnol. La ville devient plus praticable pour les étrangers qui peuvent se repérer plus facilement. De plus des panneaux indiquant les lieux d’intérêts sont disséminés partout dans la ville pour guider les touristes. Dans certains quartiers les commerces de proximité ferment et laissent place à des boutiques d’habillement ou de souvenirs. C’est le cas de la rue Saint-James à Bordeaux où tous les commerces, ou presque, ont été remplacés par des bars ou cafés à thèmes, des boutiques de vêtements ou de chaussures, des concept stores ou des boutiques souvenirs. Ces boutiques arborent des devantures au design similaire, épuré, avec des typographies vintage, participant, elles aussi, à une nouvelle lecture de l’espace urbain, un espace urbain harmonisé (fig.17).

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97 « Venise, Barcelone, Dubrovnik : les ravages du tourisme de masse », Arte, 18 avril 2017, https://www.youtube.com/ watch?v=6bgG5BHBlB0&t=2s
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Figure 17 - Devantures de boutiques et cafés rue Saint-James

Ces devantures créent une image de la ville contemporaine, modernisée, répondant aux envies de cette « classe » mondialisée. Il n’y a plus de commerces de proximité notamment d’alimentation dans la rue, il faut aller sur le cours Victor Hugo, un peu plus loin, pour y trouver un supermarché. La rue est devenue une sorte de vitrine de la ville « aisée ».

Néanmoins, quand on regarde en hauteur dans cette rue on peut voir certains immeubles encore insalubres, noircis, avec des fenêtres cassées qui contrastent avec ces vitrines de magasins soignées au design épuré. Ce changement de l’offre commerciale est en partie due à l’augmentation des loyers commerciaux, poussant les petits commerces à fermer leurs portes faute de moyens98.

À Saint-Michel beaucoup de commerces de proximité sont encore présents même si certains sont remplacés par des bars ou cafés à thèmes. Les touristes vont dans les restaurants, les bars, les supermarchés, mais utilisent très peu les petits commerces de proximité même si, selon un commerçant du quartier, les touristes ne s’arrêtent que très peu dans les restaurants et cafés de la place. La mise en tourisme et la gentrification à Saint-Michel se trouve dans un stade moins avancé que la rue Saint-James.

À Venise un témoin raconte, à propos du marché du Rialto, que « des visites sont organisées pour des groupes de touristes qui n’achètent rien et se contentent de prendre les poissons en photo99 ». Les touristes prennent de la place dans l’espace sans réellement l’utiliser, comme dans un musée ils regardent et prennent des photos.

À Barcelone les habitants désertent certaines parties de la ville devenues plus accueillantes pour les touristes que pour les résidents. Les Ramblas où les commerces affichent des prix très élevés avec beaucoup de vendeurs de souvenirs, sont devenues trop chères pour les habitants qui ne viennent plus y consommer. Les habitants se sentent dépossédés de leur espace public comme le marché de la Boqueria qui est devenu un marché pour les touristes. Il n’y a plus ce dont les barcelonais ont besoin pour vivre au quotidien. Dans les villes trop touristiques « certains habitants se sentent dépossédés de leur ville100 », ils ne se sentent plus à l’aise, plus à leur place dans certains de ses endroits. Certains ont l’impression que leur ville leur est devenue étrangère et qu’il n’en font presque plus partie. Comme en témoigne un habitant et commerçant de la rue Saint-James : « aujourd’hui, avec l’augmentation du tourisme, il y a vraiment trop de monde, ça en est même devenu oppressant pour moi ». C’est cette sensation de « densification artificielle101 » due au tourisme qui donne un sentiment d’oppression, de claustrophobie dans un espace où on ne sait plus comment se déplacer, se mouvoir. L’espace « intime », quotidien des habitants devient alors un espace « vitrine » de leur mode de vie, et de leur culture, perdant ainsi tout son sens pour les résidents qui ne le pratiquent plus, même s’il est encore « vendu » comme un lieu typique de la vie habitante. « À l’avenir certaines villes risquent de ne plus exister qu’à travers leur potentiel touristique, elles ne seront alors plus un lieu de vie pour leurs habitants102 », c’est le risque qu’encourent les villes touristiques aujourd’hui.

Les navires de croisière, lors des escales, bloquent des parties de la ville comme les quais à Bordeaux, et libèrent des milliers de croisiéristes dans les rues. Malgré leur nombre impressionnant arrivant sur la terre ferme, ils ne rapportent pas beaucoup à l’économie car ils ne restent que peu de temps et ne consomment pas beaucoup. De plus, l’impact écologique de ces paquebots est considérable103. Ces bateaux entraînent beaucoup de contestations lors de leurs escale, en particulier à Venise (fig. 18) où un collectif d’habitants s’est monté pour lutter contre ces paquebots qui, en plus, d’amener beaucoup plus de touristes que les infrastructures peuvent en recevoir, abîment la baie et participent un peu plus à l’enfouissement de la ville.

98 Source : Reportage Euronews « Barcelone : ras-le-bol du tourisme de masse », 24 juillet 2015, https://www.youtube. com/watch?v=s8wn7P5vGZk

99 LE GALL A-L., « Airbnb : le vice et la vertu », Paris Match, 7 novembre 2017, lu dans BROSSAT I., Airbnb, la ville ubérisée, éditions La ville brûle, Paris, 2018

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Ibid. 101 Ibid. 102 Ibid. 103 Ibid.
100
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Figure 18 - Arrivée d’un bateau de croisière à Bordeaux (première photo) et Venise

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