Architecture vernaculaire, et applications modernes Lancelot Gonindard De nos jours, il est vital pour une métropole de s’inscrire dans une démarche de démarcation, devant la tertiairisation de l’économie. Alors que la tendance est au mimétisme, avec une homogénéisation des quartiers périurbains, certaines villes comme Bilbao, jouent la carte du grand projet emblématique (Demazière, 1998, p.148), pour se donner une identité, et participer au récit qui fait leur renommée internationale. Or, n’est-il pas possible d’appliquer cette volonté de singularité aux bâtiments plus usuels ? Pour ce faire, il est utile de s’intéresser à l’architecture vernaculaire, et à son rapport étroit avec le lieu qu’elle habite. Architecture vernaculaire, définitions Le terme «vernaculaire» se définit de plusieurs manières, lors de ce devoir nous nous fierons à la définition d’Ivan Illich philosophe et théoricien de l’écologie pour qui : «sont vernaculaires toutes les démarches, qui dans un monde global du XXIe siècle, tendent à agencer de manière optimale les ressources et les matériaux disponibles en abondance gratuitement, ou à très bas prix y compris la plus importante d’entre elles : la main d’oeuvre». L’architecture vernaculaire, quand à elle, se définit comme une architecture endémique, locale, indigène et fortement liée à un contexte. Selon les cas elle revêt des formes et des ambitions très différentes. Et peut tantôt être une manifestation de l’architecture traditionnelle locale (manifeste d’une méthode constructive, d’un matériau, ou d’une façon d’habiter), tantôt être une architecture importée, pour répondre à un besoin (technique, social ou économique) ou pour traduire une appartenance culturelle. Pourquoi un tel intérêt La mondialisation a entrainé une modification drastique de notre espace bâti. Ainsi on peut aisément mettre en évidence son lien avec la métropolisation : car la généralisation des flux humains et de marchandises a en quelque sorte rapproché les villes globales les unes des autres, à tel point qu’il est souvent plus facile de se rendre dans une autre métropole que dans le territoire rural le plus proche. Cette interconnection permanente entre villes autrefois largement distinctes amène à la propagation de ce que Koolhaas appelle la ville générique (Koolhaas, 2011). Or la compression des distances et la généralisation des moyens de communication a participé à une homogénéisation des théories en architecture et à un lissage des techniques et des formes bâties. Comme le dit Thierry Paquot : «Partout la même recette, sans aucune imagination est appliquée. Des gratte-ciels avec des bureaux (qu’y produit-on ?) des appartements luxueux et un hotel cinq etoiles, le tout flanqué de restaurants «typiques», le long de rues «pittoresques», où le pastiche rivalise avec le déjà-vu. Nul visiteur n’est déconcerté, il se trouve en territoire connu, avec les mêmes enseignes, exposant les mêmes produits».1 Or, s’il est certain que la modernité en architecture a révolutionné les conditions de vie en ville, réduisant l’insalubrité et le mal-logement elle a aussi participé à la disparition d’une certaine variété architecturale, et des savoirs-faire et filières matériaux qu’elle entrainait. Devant la crise écologique et sociale qui frappe la Terre, se pose la question du modèle sur lequel se base la conception architecturale mondiale, toujours en quête d’innovation, que nous savons inaccessible à la grande majorité des habitants de la planète, n’est-il pas l’heure de se poser des questions plus simples, basées sur l’expérience et les connaissances empiriques que nous avons. Comme le dit Yona Friedman : «Aussi ne faut-il rien espérer des solutions dites techniques, 1
Paquot, T, Desastres urbains, La découverte, 2015
puisqu’elles servent à l’inverse, le toujours plus vite, plus grand, plus nombreux, plus ceci ou plus cela…»2 Qualités de l’architecture vernaculaire Bien que majoritairement délaissée l’architecture vernaculaire n’a jamais vraiment cessé d’intéresser et même d’inspirer les architectes. Alors que la pensée moderne a largement théorisé l’obsolescence de ces façons de construire : «Les techniques anciennes que l’on trouve dans les vieux manuels d’architecture ne sont à mon avis plus adaptées à notre temps»3 , il y a bien des raisons qui justifient cet attrait perpétuel pour notre histoire constructive. En effet si l’architecture moderne, aujourd’hui répandue, a plutôt habilement répondu aux problématiques de son temps, elle semble plutôt mal adaptée aux nôtres, et même en être une des causes principales. L’impact environnemental, de l’architecture vernaculaire, est bien inférieur à celui de l’architecture moderne dans la mesure où l’emploi de matériaux locaux et naturels réduit les émissions de gaz à effet de serre, en permettant l’utilisation de matériaux naturels et recyclables. Ce qui n’empêche pas d’avoir une écriture moderne et d’en conserver les innovations, qui ont permis d’améliorer les conditions d’habitation occidentales. “Une nouvelle architecture vernaculaire, peut prendre des pratiques traditionnelles, par osmose, analogie, par interprétation, ou par interpolation, mais certainement pas par imitation”.4 De plus ces filières locales favorisent le pilier social, dans la mesure où, elles créent des emplois locaux et s’appuient sur des savoirs-faire, et des artisans déjà présents sur place, valorisant par la même occasion les populations locales et participant à leur développement. Aussi en évitant l’importation de matériaux et les flux humains on soulage une partie des charges économiques liées à la construction. Par ailleurs, même si à court terme, les constructions modernes sont économiques, elles engendrent des dépenses incompatibles avec les problématiques actuelles. En outre, par son manque d’accroche, l’architecture moderne, devient souvent très facilement remplaçable. «Toutes les villes génériques sont nées d’une table rase, s’il n’y avait rien, à présent elles sont là, s’il y avait quelque chose, elles l’ont remplacé. Il ne peut en être autrement, sinon elles seraient historiques»5 Se crée alors une sorte de mille-feuilles sans cesse en renouvellement, où l’accommodation semble impossible. D’autant que le caractère éphémère de l’architecture moderne est renforcé par l’utilisation de matériaux peu couteux, c’est ce qu’exprime Rem Koolhaas : «Et pourtant, la durée de vie d’un édifice contemporain moyen est paradoxalement brève. Il est bâti de matériaux impropres à l’éternité». L’architecture devient une forme d’investissement à court terme qui dans une société très mouvante ne s’adapte jamais, mais se plie aux lois du marché et aux dictats de la démolition/ reconstruction. En outre, bien que ce soit un argument contesté, l’architecture vernaculaire a évidemment une portée symbolique, une valeur historique. Fernand Pouillon architecte moderne a souvent utilisé des matériaux anciens en lien avec des techniques contemporaines : «J’ai pu faire des transpositions, 2
Friedman, Y, Comment habiter la terre, Paris, Editions de l’Eclat, 2016
3
Pouillon, F, Mon ambition, 1ère edition, Paris, Editions du linteau, 2011
4
Frey, P, Learning from vernacular, Paris, Actes Sud, 2010
5
Koolhaas, R, Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, Paris, Editions Payot, 2017
des mariages d’architecture, d’éléments contemporains et d’éléments historiques ou archéologiques». En cela, elle participe à l’ancrage du projet dans le site et dans la culture locale. Causes de la disparition Il est évident que la perte de vitesse de l’architecture vernaculaire est en partie due aux entités décisionnaires (architectes et pouvoirs politiques), depuis la généralisation de la pensée moderne. Et c’est un thème récurrent de nos sociétés capitalistes, et leur attachement à une croissance indispensable. «Introduire une main maladroite entre les rayons de la roue du temps qui marche, personne encore n’a tenté cela sans se la faire arracher»6. Mais cette «marche en avant», plus que la conséquence d’un modèle économique, est une idéologie : «Notre époque se place seule avec ces cinquante dernières années face à dix siècles écoulés. Pendant ces dix siècles antérieurs, l’homme ordonnait sa vie sur des systèmes qualifiés de «naturels», il entreprenait lui même son travail, le conduisait à bonne fin, ayant toute l’initiative de sa petite entreprise, il se levait avec le soleil, se couchait avec la nuit»7. De par cette révolution sociétale, les modernes se mettent en opposition binaire avec le passé, nous sommes passés d’une société artisanale à une ère industrielle et mécanisée et ce n’est pas sans conséquences sur l’architecture. Ce désir de modernisation est aussi vrai dans les classes les moins aisées de la société, pour qui habiter dans des conditions modernes est une ambition généralisée, à tel point qu’ils délaissent systématiquement les habitats traditionnels dès qu’ils en ont la possibilité. En effet, pour la population, c’est une condition tout à fait dégradante que d’habiter dans un habitat traditionnel. «Et je vois déjà venir le moment où nos édifices commerciaux et locatifs, nos théâtres et nos salles de concerts seront couverts de bardeaux et de chaume. Toujours rester dans ce honteux rustique»8 . Il est alors tout à fait naturel de se demander s’il est préférable de revenir à une architecture plus traditionnelle ? Et même, si c’est seulement possible. Retour à une architecture Vernaculaire Selon moi ce n’est pas une solution viable, car une architecture se doit avant tout d’être inspirée de son contexte, contexte dont la première variable est l’époque. Ainsi un réemploi caricatural de formes révolues ne me semble pas être la solution. «Lorsqu’il s’agit de bâtir pour des hommes, il ne faut pas les mettre dans un climat qui soit rétrograde, pittoresque, il faut tâcher de vivre avec son temps, l’architecture c’est une évolution constante et il ne faut pas que cette évolution soit troublée par des retours trop forts à l’architecture du passé, aux formes pittoresques du passé et purement traditionnelles.» 9 Cependant il me semble nécessaire de ne pas renier les autres éléments du contexte, parmi lesquels on recense évidement la culture constructive, les matériaux et les savoirs-faire locaux, qui sont des éléments étroitement liés à l’architecture vernaculaire.
6
Loos, A, Ornement et crime, Paris, Editions Payot, 2003
7
Le Corbusier, Vers une architecture, 3ème édition, Paris, Flammarion, 1995, Champs arts
8
Loos, A, Ornement et crime, Paris, Editions Payot, 2003
9
Pouillon, F, Mon ambition, 1ère edition, Paris, Editions du linteau, 2011
Architecture vernaculaire contemporaine Il est donc fondamental de s’appuyer sur ce qui fait la particularité d’une ville, d’une région pour limiter la généralisation d’une architecture universelle décontextualisée. C’est ce que Koolhaas regrette vis-à-vis de la ville d’Atlanta par exemple : «Une nouvelle esthétique est à l’oeuvre à Atlanta : la juxtaposition aléatoire d’objets qui n’ont rien en commun sinon leur proximité - ou pour reprendre la formule qu’adoraient les surréalistes : « la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie»». En effet il semble que les architectures actuelles, ne sont souvent plus inspirées par leurs contextes, au lieu de s’inscrire dans la continuité de ce qui s’est fait dans leur territoire, elles cherchent la rupture. «J’ai toujours pensé que la matérialisation de l’architecture n’a pas lieu, au moment où elle se dessine, mais au moment où elle se construit : sinon elle n’a pas de sens. L’architecture vernaculaire, née sur place, façonnée par les contraintes est par définition plus contextuelle, sa force, en même temps que sa fragilité, vient du fait qu’elle se situe dans la permanence et non dans l’événement»10 D’autant qu’au regard des menaces que l’on a trop longtemps ignorées, loin d’être un signe de conservatisme, la «relocalisation» des projets d’architecture et la favorisation, au moment de la conception, mais aussi de la réalisation, de savoirs-faire et de matériaux locaux semble au contraire être synonyme de progrès. Pour la suite : En ce qui concerne mon mémoire, je souhaite continuer à étudier l’architecture vernaculaire et ses applications modernes, en poursuivant une étude majoritairement théorique, comme lors de ce devoir je souhaite baser mon travail sur la littérature existante (Architectes, urbanistes, sociologues, écologues …), pour déterminer plus précisément le rôle qu’aura à jouer l’architecture vernaculaire dans la production future, en lien avec la transition écologique.
10
Bouchain, P, en préface de ; Frey, P, Learning from vernacular, Paris, Actes Sud, 2010
Bibliographie Loubes, J. (2003). La fabrication d’une architecture vernaculaire contemporaine: le cas du quartier musulman de Xi’an. Espaces et sociétés, 113-114(2), 67-90. https://www.cairn.info/revue-espaceset-societes-2003-2-page-67.htm. Rudofsky ,B, Architecture without architect, Albuquerque, University of new Mexico Press, 1964 Frampton, K, Wang Shu, Amateur architecture Studio, Louisiane, Louisiana Museum of Modern art, 2017 Pouillon, F, Mon ambition, 1ère edition, Paris, Editions du linteau, 2011 Le Corbusier, Vers une architecture, 3ème édition, Paris, Flammarion, 1995, Champs arts Koolhaas, R, Junkspace, 2ème édition, Paris, editions Payot, 2011 Loos, A, Ornement et crime, Paris, Editions Payot, 2003 Pouillon, F, Les pierres sauvages, Paris, Editions Payot, 2017 Frey, P, Learning from vernacular, Actes Sud, 2010 Piano, R, La désobéissance de l’architecte, Arléa Poche, Paris, 2009 Koolhaas, R, Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, Paris, Editions Payot, 2017 Loubes JP, Traité d’architecture sauvage, Paris, Editions du Sextant, 2010 Peregalli, R, Les lieux et la poussière, Paris, Arlea, 2017 Paquot, T, Desastres urbains, La découverte, 2015 Illich, I, Energie et équité, Paris, Seuil, 1975 Friedman, Y, Comment habiter la terre, Paris, Editions de l’Eclat, 2016