Le monde rural d’aujourd'hui : un territoire en mutation ? Écrit par Simon Postel
Aujourd’hui, on remarque que les métropoles se développent, s’enrichissent, s’étalent sur le territoire et deviennent peu à peu les chefs-lieux d’une population élitiste pour qui l’accès à la ville est un choix privé et professionnel. Mais qu’en est-il des milieux dits « périurbains » ou « ruraux » qui eux accueillent des populations dont l’appartenance à ces territoires varie selon l’histoire, les désirs et les obligations de chacun ; certains ont un ancrage familial où souvent une activité professionnelle se transmet de génération en génération (exploitations, élevage…), d’autres viennent s’y installer pour réaliser un projet de vie particulier et enfin certains n’ont pas eu le choix d’y vivre par soucis économiques notamment. Il y a donc là une superposition de populations n’ayant pas les mêmes convictions que ce soit dans le domaine politique, social et économique qui créent peu à peu des clivages au sein d’un même territoire. Une hypothèse soulevée dans un article1 traitant de la notion de néo-ruralisme (terme apparu dans les années 1980-1990) permet d’appuyer cette confrontation existante dans les territoires ruraux : « L’articulation individuel-social est essentielle dans l’émergence du phénomène. Consciemment ou inconsciemment, les néoruraux sont toujours porteurs de deux dimensions : un projet de réalisation individuelle et la référence parfois vague ou oppositionnelle à un mouvement social ». Ainsi, au vu de l’évolution de ces territoires, devenant de plus en plus attrayant, il peut être légitime de se demander si les espaces ruraux ne s’urbanisent pas peu à peu, créant ainsi des configurations contradictoires…Dans ce travail, il ne s’agit pas de répondre aux questions posées mais plutôt de définir un cadre et une réflexion sur des notions qui semblent aujourd’hui plus floues qu’autrefois.
Vers une approche originelle de l’urbain et du rural La ville, l’urbain, la campagne, le rural, s’inscrivent dans notre vocabulaire contemporain. Leur sens, bien qu’il semble évident à première vue, s’avère être plus difficile dans sa définition, tant pour les novices que pour les spécialistes. C’est pour quoi, il semble primordial, dans un premier temps, d’aborder ces deux notions de manière simple afin, par la suite de comprendre l’évolution qui les caractérise depuis quelques années. À première vue, il est facilement reconnaissable que les deux mots s’opposent. Et pour cause : la ville représente une des manières d’occuper le territoire. Elle regroupe une population conséquente au sein d’un espace restreint. On peut alors y retrouver de nombreuses activités liées au commerce, à l’industrie, à l’éducation, à la politique, à la culture et de ce fait favorisent les échanges culturels et sociaux. Enfin, le paysage urbain varie selon la composition des villes mais sa densité reste plus ou moins la même créant théoriquement, un contraste avec le monde rural. À l’inverse donc, celui-ci est caractérisé par une densité de population relativement faible, où l’abondance végétale façonne le paysage (champs, prairies, forêts…), et où l’activité agricole est relativement importante, du moins par les surfaces qu'elle occupe. Maintenant, si l’on s’interroge sur l’évolution territoriale qui caractérise nos paysages qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux, on se rend compte que les mouvements et les effets qui y sont liés ont fortement évolué. En effet, ces deux derniers siècles on a pu observer, en France et ailleurs, un phénomène d’exode rural qui a concerné près de 12 millions de personnes et qui a renforcé l'opposition de l'urbain et rural. Ce mouvement, justifié principalement par le fait que les conditions de vie urbaines étaient meilleures d’un point de vue professionnel et personnel semble tout de même s’estomper au fil du temps. De ce fait, comme il a pu être évoqué dans l’introduction, il est légitime de se demander si une distinction entre urbain et rural est toujours justifiée…
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MERCIER Claude & SIMONA Giovanni, « Le néo-ruralisme : nouvelles approches pour un phénomène nouveau », Revue de Géographie Alpine, 1983
URBAIN » & « RURAL » : une distinction toujours actuelle ? Les territoires évoluent, s’agrandissent, se redéfinissent mais qu’est-ce-que cela signifie vraiment ? Selon Bernard Kayser et Geneviève Schektman-Labry2, s’il est facile de distinguer l'espace urbain et sa première couronne , il n’en est pas moins difficile pour les autres espaces situés plus en périphérie. Ceux-ci, correspondant succinctement à la deuxième et troisième couronne, viennent réinterroger notre interprétation territoriale qui jusque-là distinguait l’urbain et le rural. « Ces confusions spatiales aux échelles urbaines et régionales sont fréquemment reliées à la métropolisation » (Debarbieux, 2008). En effet, dans son évolution, la ville métropolitaine3 a peu à peu remis en cause cette distinction originelle entre ville-campagne en profitant des ressources diverses qu’offraient les territoires périphériques : de ce fait, les couronnes périurbaines ne reflètent plus l’image que l’on se faisait de la ville. La réaction des habitants de ces milieux dits périphériques fait figure d’étonnement lorsqu’on leur apprend qu’ils vivent dans la périphérie. La lecture de ces territoires devient ainsi de plus en plus difficile même pour bon nombre de leurs habitants. En somme, nous pourrions définir la troisième couronne comme celle où les processus d'urbanisation se confrontent à une culture et une société rurale en plein fonctionnement. Selon une étude réalisée par des agences d’urbanisme dans le grand EST, « le monde rural, longtemps assimilé au secteur agricole et à un lieu d'exode vers les villes, présente un paysage socioéconomique plus complexe et les "ruralités ont remplacé la ruralité ». Il n’est donc plus possible de parler du rural au singulier. En considérant la manière d’occuper l’espace et les dynamiques démographiques et économiques actuelles, les trajectoires des campagnes françaises sont très contrastées. Selon Pierre Merlin, ce phénomène renvoie à « la somme de deux mouvements : la périurbanisation et la rurbanisation »4 . Les propos de Christophe Guilly face aux territoires périphériques français, qui jusqu’à maintenant, soulevait une certaine controverse entre le centre et la périphérie désignant d’un côté des espaces dominants représentés par les métropoles et une première couronne avec une population plus éduquée et plus créative ; et de l’autre des espaces dominés, caractérisés par des villes moyennes et des communes rurales, dont les habitants, notamment issus de classes populaires, peuvent ressentir un sentiment d'abandon par rapport aux métropoles, semblent ne plus correspondre. Aujourd’hui « l’urbain est partout » (Charmes, 2019 : 13), la métropolisation se diffuse sur les territoires avoisinants et de ce fait les oblige à se redéfinir. La distinction entre l’urbain et le rural semble donc, selon certains géographes, perdre son sens au vu de cette rurbanisation grandissante.
La couronne périurbaine : terre d’une hybridation territoriale et sociale ? L’étalement des villes ne peut pas être plus représentatif que dans le périurbain. Cette périphérie bien souvent caricaturée pour ses caractéristiques sociales telles que l’entre-soi ou le consumérisme, semble être un territoire où des transformations sociétales majeures ont lieu. En effet, si le processus de métropolisation est défini par une re-qualification de l’échelle urbaine, il a aussi redonné une nouvelle échelle locale. D’un point de vue socio-démographique, si dans les années 1990, la population urbaine était plus jeune que la population rurale, il semblerait que cette différence se soit dissipée peu à peu face à l’évolution des sociétés et de leurs territoires : notamment, entre autres, du fait qu’il y ait un report des déplacements de retraite en périphérie de la région et la possibilité d’accéder à la propriété plus tôt qu’auparavant ce qui entraîne un rajeunissement et un embourgeoisement des espaces concernés. On observe ensuite que dans les agglomérations urbaines, on trouve une population plus populaire : l’accessibilité à des logements sociaux et la proximité des équipements tels que les transports en commun, favorise cette population qui dépend de ces services et qui de ce fait délaisse les communes
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Voir le travail de Bernard Kayser et Geneviève Schektman-Labry, 1982 : revue des Pyrénées et du Sud-Ouest, 28
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Notion développée entre autre par la géographe Cynthia Ghorra-Gobin, « la ville métropolitaine : une particularité française » dans Tous urbain 2018/4 (N°24), Pages 10 à 12 4
Propos recueillis par Antoine BLOUET, lors d’une interview, dans la diffusion française, avec Pierre MERLIN, urbaniste et démographe
rurales. Enfin, le choix résidentiel que font les classes moyennes et aisées (recherche d’un environnement moins urbanisé) participe à l’embourgeoisement des territoires ruraux ou périphériques. La périurbanisation est donc le résultat d’une conjoncture de compromis pour les actifs entre le besoin d’habiter à proximité des pôles urbains de façon à accéder à l’emploi, les contraintes financières liées au logement et la recherche d’un cadre de vie qualitatif. De plus, ces différentes catégories sociales qui fuient les villes emportent avec eux sans le vouloir, une culture et un mode de vie établi en ville et de ce fait réinvestissent la ruralité en la réinventant profondément. Enfin l’hypermobilité5, que nous offrent les infrastructures d’aujourd’hui, vient comme liaison entre ces territoires et rend ainsi homogène le monde rural et urbain. Qu’on le veuille ou non, ces milieux se font donc peu à peu rattraper par la ville créant ces territoires hybrides qui semblent refléter une nouvelle porte sur l’avenir de la vie en société…
Vers une compréhension territoriale approfondie De manière rétrospective, le fait d’avoir posé les bases sur des notions territoriales parfois difficiles à cerner, va sans aucun doute être bénéfique pour développer et alimenter une réflexion future. Si l’on a pu voir que les profils pouvaient être différents au sein d’un même territoire, il est d’autant plus interessant de comprendre comment ces populations coexistent tout en cultivant leurs différences, qu’elles soient sociales, politiques ou culturelles. Habitant dans une commune de l’entre-deux-mers, il est facile d’observer ces contradictions sociales qui font partie intégrante du paysage. Cette expérience personnelle et toutes les interrogations que j’ai pu appréhender à travers ce travail, m’invitent à me questionner de plus en plus sur la composition de ces espaces. Enfin, je suis convaincu que face à un tel enjeu il est primordial de dépasser cet aspect théorique en rentrant plus dans le vif du sujet et en ne restant pas que dans de l’hypothétique. Pour cela, je pense qu’une enquête par entretient sous quelque forme soit-il sera plus adaptée dans cette idée de comprendre ce que les différentes populations ressentent et vivent dans leur territoire : une manière qui touche à l’humain.
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Concept inventé par le géographe anglais John Adams qui travaille, entre autres, sur les conséquences sociales de la voiture.
Bibliographie
- Bossuet Luc « Les conflits du quotidien en milieu rural », Lavoisier, « Géographie, économie, société », 2007/2 Vol. 9 | pages 141 à 164, https://www.cairn.info/revue-geographie-economiesociete-2007-2-page-141.htm
- Boyer Jean-Claude, « Des espaces périurbains en évolution », In: Villes en parallèle, n°19, juin 1992. Les périurbains de Paris. pp. 10-27
- Merlin Pierre, « L’Aménagement du territoire », Paris, PUF, « Premier cycle »1999 - Merlin Pierre, « L'exode rural », Paris, PUF, coll. (Travaux et documents de l’INED) - Chrames Eric, « La revanche des villages », Paris, Le seuil, 2019 - Sencebe Yannick, « Multiples appartenances en milieu rural », Informations sociales, 2011/2 (n° 164), p. 36-42, URL : https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2011-2-page-36.htm
- Kayser Bernard, « Le monde rural, d'hier à aujourd’hui », In: La Gazette des archives, n°163, 1993, URL : https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_1993_num_163_1_4206
- Dubourg Philippe, « La ruralité est-elle archaïque ? », Métropolitiques, 10 octobre 2014, URL : https:// www.metropolitiques.eu/La-ruralite-est-elle-archaique.html
- Bontron Jean-Claude, « Le monde rural : un concept en évolution », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 10 | 1996, mis en ligne le 30 juillet 2013, consulté le 19 avril 2019, URL : http:// journals.openedition.org/ries/3303
- Kayser Bernard, Schektman Geneviève. La troisième couronne périurbaine : une tentative d'identification. In: Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 53, fascicule 1, 1982. Périurbanisation. pp. 27-34, URL : https://www.persee.fr/doc/ rgpso_0035-3221_1982_num_53_1_3673
- Ghorra-Gobin Cynthia, « Le destin de la ville métropolitaine est indissociable de sa périphérie », Métropolitiques, 2 mai 2019. URL : https://www.metropolitiques.eu/Le-destin-de-la-villemetropolitaine-est-indissociable-de-sa-peripherie.html
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