ENSAP Bordeaux Séminaire « Repenser la métropolisation. Construire un monde en transition » Baccauw Laura S7 – Article – Janvier 2022
Avant-propos
Peut-on espérer remédier aux stéréotypes des grands ensembles à travers les interventions de rénovation urbaine en France ?
Depuis la résorption de la crise du logement de l’après-guerre (le dernier bidonville est démantelé en 1976), les politiques de rénovation urbaine sont devenues critiquables sur de nombreux points. Quelques années seulement après leur construction, en raison du manque d’équipement, d’un accès aux réseaux de transport déficient et d’un entretien insuffisant, les grands ensembles sont très vite remis en cause sur le plan urbain et social. Ces nouveaux quartiers font l’objet de critiques dénonçant leur uniformité, source d’un ennui qui serait à l’origine de la délinquance juvénile dénonçant que « l’état de grâce » des grands ensembles n’aura finalement duré que très peu de temps dans l’esprit de la population (Camille Cantieux 2014). Depuis 2003, même si tous les grands ensembles ne posent pas de problème, l’État impose aux villes des politiques de rénovation urbaine. Toutefois, cette rénovation (pour le cas des démolitions-reconstructions) n’est pas toujours justifiée, car ces mesures entraînent, selon Henri Coing (2017), une accélération de la modification de son peuplement et affecteraient les liens des classes populaires issues des grands ensembles. C’est pourquoi, à l’encontre d’une idéologie assez répandue parmi les décideurs visant à détruire de manière systématique les logements de l’après-guerre, nous verrons que certains architectes (tels qu’Anne Lacaton & Jean-Philippe Vassal) défendent la restructuration patrimoniale des grands ensembles. Il convient donc d’aborder le concept de rénovation urbaine et des grands ensembles afin d’en saisir les grandes étapes de leur apparition. En se fondant sur des travaux déjà réalisés, l’article propose de redécouvrir l’histoire des grands ensembles afin d’acquérir une bonne base de connaissance constituant un préalable indispensable, passant par son contexte chronologique historique, à sa qualification - Quels sont les facteurs qui expliquent l’origine des grands ensembles et l’ampleur de cette nouvelle forme d’urbanisation ? Comment déceler, dès leur apparition, les mécanismes qui entraineront les difficultés urbaines et sociales que ces quartiers ont rapidement connues ? Pour faire suite, les grandes périodes de la rénovation seront abordées. Le but est de l’observer sous l’angle théorique pour en comprendre les enjeux et les mécanismes à l’œuvre dans ces territoires – Finalement, qu’est-ce que la rénovation urbaine ? A cela s’ajoute un volet sur le bilan et le remède de la rénovation urbaine des grands ensembles - Est-ce que, finalement, l’objectif de la rénovation urbaine des grands ensembles a été atteint ? La rénovation urbaine parviendra-t-elle à inverser la tendance à l’enracinement et à l’approfondissement des stigmatisations à l’égard des grands ensembles ? Enfin, l’article se penchera sur une brève analyse de l’étude de cas du quartier du Grand Parc. Celle-ci abordera la revalorisation des grands ensembles à Bordeaux. 1. Éclairage sur les origines et évolutions des grands ensembles - Contexte chronologique historique : des habitations ouvrières aux grands ensembles Jusqu'au milieu du XIXe siècle, les conditions de logement de la classe ouvrière ont été déplorables et considérées comme une fatalité. Le développement de la société industrielle a engendré des changements soudains, sans précédent, entraînant le déclin des modèles traditionnels (Louisa Plouchart 1999). La population est concentrée dans les zones urbaines, et le manque d'assainissement est encore plus prononcé qu'en milieu rural. La peur des pandémies ou des révolutions a conduit progressivement les autorités à prendre certaines mesures hygiéniques. De plus, à la suite des changements de société (1818-1883 avec Karl Marx), le mécontentement, les luttes de protestation des classes exploitées, qui étaient désormais conscientes de leur situation, se sont enflammés. En France, selon L. Plouchart (1999), outre les activités spéculatives particulièrement répandues à l'époque, les grandes réalisations de logements, offrant aux ouvriers un certain confort, sont apparues des patrons avides d'une main-d'œuvre stable. C’est pourquoi, à la fin du XIXe siècle, la première société anonyme d’habitation à bon marché (SA d’HBM dont le terme HBM remplace celui d'habitation ouvrière), fut créée afin de lutter contre le logement insalubre. Par la suite, plusieurs SA d’HBM vont faire surface. Celles-ci mettent à disposition des logements à prix social avec une exonération d’impôt. Plusieurs lois vont s’instaurer, dont la loi Siegfried (1894) où l’ensemble de ces SA d’HBM vont adhérer à la première d’une longue série de fédérations : « La Fédération des sociétés coopératives et anonymes d’HBM ».
Au début du XXe siècle, le logement des groupes les plus défavorisés a pu sortir du stade expérimental et être considéré au niveau des politiques nationales globales avec la création de l’union nationale des fédérations d’organisme d’HBM (1925). L’objectif est de coordonner les efforts des diverses fédérations d’organismes d’HBM depuis la fin du XIXe siècle. Ils vont devenir des acteurs incontournables de la production de logements en locatif comme en accession. Leur nombre va augmenter de façon spectaculaire. Mais rapidement l’embourgeoisement de la ville historique va apparaître, engendrant éjection et ségrégation des travailleurs.1 Dans l’autre moitié du XXe siècle, les logements et l'emploi ont été définitivement séparés. (Michel Ragon 1995, p. 173). C’est durant cette période que l’État prend l’initiative officielle des « grands ensembles », des villes-satellites, de l’urbanisme. Rappelons deux lois importantes. Celle du 21 juillet 1950 qui substitue l’appellation « Habitations à loyer modéré » (HLM) à celle d’HBM et celle du 24 mai 1951 qui permet aux organismes d’HLM de solliciter des emprunts auprès des caisses d’épargne de l’État. Henri Lefebvre (1974, p. 278) insiste en disant que depuis la création des habitations ouvrières jusqu’à l’apparition des grands ensembles : « ces périodes se chevauchent et ce classement n’est qu’approximatif ». Il faudra attendre la fin du XXe siècle jusqu’au début de notre ère pour voir apparaître les premières interventions de rénovation urbaine sur les grands ensembles qui résulte principalement d’une ambition urbaine et architecturale plutôt que sociale (Aurélien Delpirou et Gwenaëlle d’Aboville 2019). Car, depuis que le prix de l’immobilier a augmenté considérablement, l’offre de logements « bon marché » s’est rétrécie. On retrouve, notamment, des opérations qui rebâtissent certains quartiers HLM afin de mieux les intégrer à la ville. Enfin, symbolisant la force des Trente glorieuses et leur ambition d’un logement digne pour tous, certains grands ensembles (environ une centaine sont labellisés), en France depuis 1999, grâce au label « Patrimoine du XXe siècle » qui est créé par le ministère de la Culture. - Que qualifie-t-on de « grands ensembles » ? Le terme « grands ensembles » est complexe, et sa définition est difficile à résumer en quelques mots. En voici quelques extraits : Selon le sociologue Jean-Marc Stébé (1999, p. 31) : « ... à partir de la fin des années 1950, la France se couvre de quartiers satellites tracés à l’équerre,
constitués pour l’essentiel de barres et de tours, nouveaux symboles de l’urbanité et de la modernité, que l’on dénommera grands ensembles. (...) Réalisés par des architectes reconnus (Beaudouin, Zehrfuss...) selon les critères de la Charte d’Athènes des architectes modernes, ces grands ensembles ont conduit à créer une rupture radicale dans l’évolution de la morphologie urbaine. Techniquement, les immeubles résultent de panneaux préfabriqués et du « chemin de grue » - qui donne la possibilité de construire en utilisant une voie ferrée sur laquelle roule la grue qui élève les composants, et permet ainsi de lotir, de part et d’autre, plusieurs immeubles rectilignes. (...) Les grands ensembles ne se caractérisent pas simplement par le nombre de logements qu’ils rassemblent. En effet, les grands ensembles sont une forme d’urbanisme de masse. Ces derniers correspondent à des effectifs beaucoup plus considérables concentrés sur des espaces relativement restreints ayant pour conséquence une organisation des relations de voisinage très différentes (des constructions pavillonnaires) ». Le géographe et géopolitologue Yves Lacoste (1963) complète en définissant que : « Le grand ensemble (est) comme « une unité d’habitat relativement
autonome formée de bâtiments collectifs, édifiés en un assez bref laps de temps, en fonction d’un plan global qui comprend plus de 1000 logements environ. (...) à exclure de ces grands ensembles véritables, voulus comme tels, les nombreux conglomérats inorganiques formés par la coalescence fortuite ou non de plusieurs petites opérations immobilières juxtaposées ». D’après Frédéric Dufaux et Annie Fourcaut (2004, p. 15), c’est en 1973, qu’est défini le terme « grands ensembles » de manière officielle lors de la signature d’Olivier Guichard (1920-2004), ministre de l’équipement et du logement, de la circulaire vis-à-vis de la fin de la construction des grands ensembles. Si le nombre de logements est parfois considéré comme un critère, il est alors trop variable pour être déterminé. Par exemple : Des grands ensembles en région bordelaise peuvent-ils se comparer à des grands ensembles situés à Marseille ou à Paris ? F. Dufaux et A. Fourcaut (2004) affirment que le nombre de logements et du statut social issus des grands ensembles restent différents (privés et publics). En revanche, la participation fiscale de l'État reste une constante. Il est à noter que les grands ensembles ne sont pas forcément des ensembles de logements sociaux : il peut s'agir également de copropriétés. Pour faire « ensemble », cela nécessite plusieurs bâtiments. Depuis les années 1950, les barres isolées et les « petits ensembles » (vingt à trente logements) qu’on aperçoit dans la plupart des villes françaises, ne sont pas à proprement parler des grands ensembles. En effet, au moins trois bâtiments sont nécessaires, faisant l’objet d’ une distribution autonome et d’une conception unitaire, délimitée dans l'espace et dans le temps. Ces grands ensembles peuvent inclure des milliers de familles et des centaines de milliers de résidents. 1
Pierre Moscovici (2017) Le logement social face au défi de l’accès des publics modestes et défavorisés. Rapport public en ligne : cour des comptes, chambres régionales et territoriales des comptes. URL : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/174000148.pdf.
Même si la question du logement peut être débattue, la forme des grands ensembles est souvent récurrente. Inspirés généralement des préceptes de l'architecture moderne et du congrès international d’architecture moderne (CIAM), ils sont également le fruit d'une industrialisation progressive du secteur du bâtiment et des procédés de préfabrication en béton, notamment en France. En effet, les opérations de constructions des grands ensembles présentent une sorte d'unité architecturale, donnée par des jeux de rythme des travées répétitives de fenêtres en façade, tantôt à travers une grille structurelle visible en devanture (le nez du plancher et la tête de voile béton porteur), tantôt à travers les couleurs des enduits et des menuiseries homogènes. Le géographe Hervé Vieillard-Baron (2001, p. 257) apporte des précisions : « c'est un aménagement en rupture avec le tissu urbain existant, sous la
forme de barres et de tours, conçu de manière globale et introduisant des équipements règlementaires, comportant un financement de l'État et/ou des établissements publics. Toujours selon lui, un grand ensemble comporte un minimum de 500 logements. Enfin, un grand ensemble n'est pas nécessairement situé en périphérie d'une agglomération ». 2. Rupture et continuité historique de la rénovation urbaine En France, durant la période 1980-1990, la paupérisation des quartiers populaires conduit la mise en place d’une politique de la ville qui se base sur un diagnostic spatial des problèmes sociaux où l’on distingue de fortes inégalités socio-économiques. Si on revient un peu en arrière, vers l’année 1973, on retrouve un premier modèle communautaire du développement social des quartiers (DSQ) et un deuxième modèle qui a pour objectif de rééquilibrer la population reposant sur l’action du bâti et l’environnement urbain. C’est au début des années 1990 que sur le premier modèle fut remplacé par le second. C’est ensuite l’apparition du nouveau mot d’ordre des politiques urbaines, la mixité sociale, consacrée par la loi Besson visant à la mise en œuvre du droit au logement, puis la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) de 2000. Les ambitions quantitatives ont été proportionnellement réduites des démolitions-reconstructions et l’accent a été davantage placé sur les réhabilitations. C’est dans le début des années 2000 que l’idée de renouvellement urbain apparaît avec le programme national de rénovation urbaine (PNRU), voté par la loi de Borloo du premier août 2003. Le PNRU, dans sa vision initiale, annonçait, la condamnation du modèle urbain des grands ensembles, soit 200 000 logements, la reconstruction d’un nombre équivalent et la réhabilitation de 200 000 autres. La refonte de la trame urbaine des quartiers populaires n’a également pas été épargnée dans sa planification. Ce programme a été largement médiatisé et mené à bien grâce à l’agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) qui, par convention, contribue financièrement aux maîtres d’ouvrage des opérations. Vers l’année 2020, c’est la fin du PNRU qui laisse place à l’apparition du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). (Pierre Gilbert 2018). 3. La rénovation urbaine à l’épreuve des grands ensembles. - La puissance d’une image stigmatisée enracinée Selon Le Corbusier (1958), où que nous soyons, l’architecture a toujours un lien avec l’être humain « ne serait-ce que par son rapport à l’échelle qui évoque diverses dimensions sensorielles ». Parmi elles se distinguent les dimensions sur les jeux de matières de textures, de couleurs, sur les volumétries et l’environnement qui ont tendance à influencer et à attirer les observateurs sur la perception de la relation des grands ensembles à leur environnement, mais également de la conception architecturale engendrant une multitude de jugements propres à chacun. « L’architecture est jugée
par les yeux qui voient, par la tête qui tourne, par les jambes qui marchent. L'architecture n'est pas un phénomène synchronique, mais successif, fait de spectacles, s'ajoutant les uns aux autres et se suivant dans l'espace et dans le temps, comme d'ailleurs le fait la musique ». (Le Corbusier 1977, p. 75), Lors de la Seconde Guerre mondiale, H. Lefebvre (1974, p. 27) insiste pour dire que l’ordre urbain (ensemble des règles) se décompose en deux temps : d’un côté les pavillons et de l’autre les grands ensembles, une opposition qui saute aux yeux. Celle-ci tend à constituer un système de significations, encore urbain jusque dans la désurbanisation. Chaque secteur se définit (dans et par la conscience des habitants) par rapport à l’autre, contre l’autre. « Les habitants n’ont guère conscience d’un ordre interne à leur secteur, mais les gens des grands ensembles se voient et se perçoivent comme non
pavillonnaires. Et réciproquement. Au sein de l’opposition, les gens des grands ensembles s’installent dans la logique de l’habitat. Aux uns l’organisation rationnelle (en apparence) de l’espace. Aux autres la présence du rêve, de la nature, de la santé, à l’écart de la ville malsaine et mauvaise. Mais la logique de l’habitat ne se perçoit que par rapport à l’imaginaire, et l’imaginaire que par rapport à la logique. Les gens se représentent à eux-mêmes par ce dont ils manquent ou croient manquer. » Dans ce rapport, H. Lefebvre (1974) insiste pour dire que l’imaginaire a plus de puissance. Il surdétermine la logique : le fait d’habiter se perçoit par référence aux pavillons, chez les uns et chez les autres (les gens des pavillons regrettant l’absence d’une logique de l’espace, les gens des grands ensembles regrettant de ne pas connaître la joie pavillonnaire). Il convient seulement de souligner que la conscience de la ville et de la réalité urbaine s’estompe chez les uns comme chez les autres, jusqu’à disparaître.
Finalement, cela équivaut à dire que « Pour n'importe quelle ville donnée, il existe une image collective qui « envelopperait » un grand nombre d'images
individuelles, et (Kevin Lynch) propose le terme d’« imagibilité » pour rendre compte de la capacité d’un espace à véhiculer une forte identité qualitative chez les gens. Il complète pour dire que : « [...] Celui qui possède une bonne image de son environnement, en tire une grande impression de sécurité émotive. Il peut établir des relations harmonieuses avec le monde extérieur : c’est l’opposé de la peur née de la désorientation. Ceci veut dire que c’est au moment où la maison est non seulement familière, mais aussi distincte, que l’agréable impression de « foyer » est la plus forte. [...] il peut arriver qu’un objet qu’on voit pour la première fois soit identifié et rattaché à autre chose, non parce qu’il est familier en lui-même, mais parce qu’il est conformé à un stéréotype antérieur de l’observateur. » (K. Lynch 1976, p. 76). J-M. Stébé (1999, p. 122) évoque dans les extraits ci-dessous son point de vue sur l’apparition des stigmatisations à l’égard de ces grands ensembles : « Figures du gigantisme et engendrant l’isolement, les grands ensembles perdront rapidement leurs défenseurs quand il apparaîtra que tous les
équipements prévus ne sont pas réalisés, et quand on constatera les nombreuses nuisances créées par ce type d’habitat (bruit, difficulté d’appropriation des espaces, absence de lieux de rencontre ...). [...] – critiques qu’il convient assurément de nuancer selon les lieux. ». En effet : « Si l’attrait pour les HLM locatives a bien été extrêmement fort en ces années d’expansion économique (1950-1960), on s’est vite rendu compte que la réalité des grands ensembles était fort éloignée des projets et des rêves de leurs concepteurs-projeteurs. ». A la fin des années 1960, J-M. Stébé (1999) présente les grands ensembles des périphéries urbaines comme des « univers concentrationnaires », où les barres et les tours agglomèrent des individus enfermés dans des « cages à lapins ». « Aux yeux de ceux qui les critiques, les grands ensembles sont condamnables non seulement en raison de leur laideur, mais aussi parce qu’ils constituent des zones d’immoralité et de dépravation, où la délinquance et la violence se donnent libre cours. Ainsi apparaissent-ils comme des espaces sociaux dont les caractéristiques illustrent parfaitement la croyance selon laquelle le jugement esthétique est inséparable du jugement moral, étant donné que les choses laides et les choses mauvaises sont souvent associées. Cette alliance du disgracieux et du mal – qui peut également lier le beau au bon- ne date pas d’aujourd’hui. ». Evelyne Volpe (1994) conclut que le rapport entre le Bien et le Beau conduit souvent à confondre l’ordre esthétique et celui de la morale, et donc de dévaloriser moralement des choses (ou des personnes) qui déplaisent non pas parce qu’elles nuisent réellement à la morale, mais parce qu’elles ne sont pas conformes à tel ou tel critère du Beau. - Bilan et remède : D’après le bilan critique de Thomas Kirszbaum (2015), la rénovation urbaine en France pourrait être considérée comme « une sorte de politique de la ville bis ». Comme le souligne bon nombre de chercheurs, notamment A. Delpirou et G. d’Aboville (2019) : « les interventions de l’ANRU ne font qu’accélérer
des recompositions anciennes et profondes des structures et de l’organisation de la vie sociale des cités HLM : le relogement et les cohabitations parfois conflictuelles qu’il entraîne constituent moins une rupture qu’un révélateur de différences sociales préexistantes au sein des quartiers. Non seulement ces transformations sont lentes et complexes, mais elles prennent des formes très différentes en fonction des quartiers et des populations. Il faudra sans doute encore des années pour en tirer un bilan à la fois global et contextualisé ». Lors d’une interview (P. Gilbert 2017), le sociologue H. Coing (1936) rajoute en évoquant que les divers plans successifs dont la rénovation urbaine, serait, d’après lui, en partie une des causes du renforcement de la représentation stigmatisée de ces territoires persistant depuis leurs conceptions. Car, il s’agirait d’un accélérateur qui affecterait les classes populaires issues des grands ensembles. Comme déjà mentionné, la majorité des ménages habitant les immeubles démolis ont été relogés dans une zone urbaine sensible (ZUS), souvent dans leur quartier d’origine. Malgré les problèmes de solvabilité, toujours pas solutionnés, le programme reste néanmoins concluant. En effet, selon Pierre Merlin (2012), il serait injuste, à l’heure actuelle, de considérer que ces politiques et ces programmations ont été inefficaces. Finalement, la rénovation urbaine a apporté une amélioration locale et des effets importants via les opérations qui présentent des positionnements assez variés sur la question de la ville et du logement. Architecte, urbaniste, chacun à sa manière, et selon la position qu’il occupe dans la société et le regard qu’il porte sur le monde, propose de remédier à l’image qui caractérise les grands ensembles. Ils ont tenté, par exemple, d’en remanier les façades à travers des opérations de « coloriage » ou de « re-capotage », censées pallier les défaillances architecturales. On distingue notamment les architectes A. Lacaton et J-P. Vassal qui remettent l’habiter au centre de leur réflexion en considérant l’Homme dans sa diversité et non plus comme un individu type avec des besoins génériques2. D’autres interventions se concentrent plutôt sur l’aspect urbain, parvenant parfois à régler avec finesse la requalification des espaces publics notamment pour le Musée d'art à Dunkerque ou bien le désenclavement des quartiers comme l’exprime l’intervention dans le quartier de la Benauge à Bordeaux.
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Lacaton A., Vassal J-P. (2021) La ligne, le sillon et la trace. La revue impulsée par l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille avec vidéo : SUD Volumes critiques. URL : https://www.marseille.archi.fr/actus/anne-lacaton-et-jean-philippe-vassal-la-ligne-le-sillon-et-la-trace/.
4. Qu’en est-il de la revalorisation des grands ensembles dans la commune de Bordeaux (Gironde) ? - Le cas d’étude de la cité du Grand Parc de l’agence Lacaton & Vassal Selon Christian Moley (2017), les améliorations internes et transformations de la volumétrie extérieure peuvent être associées à l’utilisation d’extensions en façade. A la cité du Grand Parc, de grands ensembles ont été élargis, augmentés d'une coque de métal et de verre (bow-windows) qui fait entrer la lumière, permettant d’introduire un jeu de pleins et de vides qui animent la façade et augmentent les vues de l’intérieur. Pour qu’elles soient efficaces, il est toutefois primordial que ces extensions soient logeables et pratiques, et ne se limitent pas à une simple fonction de représentation. Lorsque l’extension est légère (moins d’1,5m environ), il est possible de l’accrocher à la structure existante et de la placer de manière aléatoire sur la façade. En revanche, dans notre cas, l’opération est de plus grande envergure, il a été nécessaire de créer des ouvrages indépendants. Cette solution présente en outre l’avantage d’éviter le déménagement des habitants puisqu’ils peuvent rester dans leurs logements durant la période des travaux3. Ce cas d’étude prouve que l’agence Lacaton & Vassal choisit un point de vue plus pragmatique et tente de recentrer leur attention sur des logements qu’ils essaient de rendre plus « luxueux », cherchant ainsi à s’éloigner de l’habitat minimal pour aller vers un logement généreux accessible à tous et évitant toute intervention de démolition-reconstruction (A. Lacaton et J-P Vassal 2021). C’est au travers de certaines réalisations (similaires à celle-ci) que se développera mon mémoire. Elles feront ensuite l’objet d‘études plus approfondies, sous forme d’une enquête afin de tenter de prouver que cette rénovation urbaine tend vers un remède aux stéréotypes des grands ensembles. Cette enquête va également tenter de répondre à une série de questions pour en déduire si les habitants des grands ensembles se sont résignés cette image de dépérissement, de déconsidération ou si au contraire leurs perceptions sont en discordance avec cette image majoritairement partagée et véhiculée à travers les médias et les politiques. Comme nous le savons, cette image négative enracinée issue d’une critique du mouvement moderne, en France, est particulièrement vive, en partie à cause de la ségrégation sociale très marquée dans ces quartiers. Ce qui conduit les pouvoirs publics à choisir, le plus souvent, des démolitions et des restructurations lourdes. En revanche, nous apercevons que les approches étrangères, telles qu’en Belgique, seraient établies et perçues de manières différentes, comme l’application de la politique de rénovation urbaine ou encore le phénomène de stigmatisation. Serait-ce dû au fait que la Belgique soit moins affectée par l’essor de masse des grands ensembles qu’a subi la France ? Ou encore que la Belgique aurait une approche plus pragmatique sur les rénovations urbaines que subissent les grands ensembles ? C’est pour cette raison que le sujet du mémoire va également confronter différentes prises de parti architectural et/ou urbain des deux pays, et d’en saisir ,par exemple, l’évolution de ces pratiques en fonction de leur environnement contextuel, historique. Cette enquête peut également finir par comparer d’un côté des cas d’étude de grands ensembles ayant subi des interventions de rénovation urbaine visant à l’amélioration de l’image de ces quartiers et de l’autre, des grands ensembles n’ayant pas ou ayant également subi des interventions de rénovation urbaine, mais dans une optique de besoin d’urgence et non dans une quelconque ambition d’améliorer leur image.
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