ENSAP Bordeaux Séminaire « Repenser la métropolisation. Construire un monde en transition » Le Goc, Fanny S7 – Les territoires ruraux à l’épreuve de la métropolisation – Janvier 2022
Les territoires ruraux à l’épreuve de la métropolisation Face à la métropolisation, quelles stratégies ont été mises en place par les territoires ruraux, et quel futur les attend ?
Aujourd’hui, le processus de métropolisation gagne du terrain, et met à l’écart les territoires ruraux d’une réflexion très majoritairement urbano-centrée. Les actions publiques privilégient l’accompagnement des grandes métropoles au détriment des plus petites villes et communes qui subissent une désertification de leurs territoires et une mise à l’écart de plus en plus importante. Pourtant, le tournant écologique que connaît la France et le monde entier touche les habitants et leurs territoires, et incite à repenser notre façon de vivre ces territoires. En effet, le phénomène de métropolisation connaît ses limites, et aujourd’hui, les territoires ruraux présentent de nouvelles alternatives en termes d’occupation et d’organisation du territoire, de gestion des ressources, et de mode de vie. Cet article se propose de questionner les enjeux auxquels font face les territoires ruraux, ainsi que d’étudier les alternatives expérimentées par certains d’entre eux au travers d’un exemple situé dans le Morvan.
Comment définir un territoire rural ? Avant tout, qu’est-ce qu’un territoire rural ? Jusqu’en 2020, l’Insee définissait le rural comme l’ensemble des communes n’appartenant pas à une unité urbaine, unité caractérisée par le regroupement de plus de 2 000 habitants dans un espace présentant une certaine continuité du bâti, censée caractériser les « villes ». Mais cette définition était trop centrée sur l’urbain. Une nouvelle définition du rural rompt désormais avec cette approche tournée vers la ville : les territoires ruraux désignent aujourd’hui l’ensemble des communes peu denses ou très peu denses d’après la grille communale de densité. Ils réunissent 88 % des communes en France et 33 % de la population en 2017. La définition même du rural a donc été sujette à débat, et modifiée au cours des années pour se détacher de la notion d’urbanité. Mais bien que cette nouvelle définition ait pour vocation de donner aux territoires ruraux une place plus importante dans la hiérarchie des territoires français, leur futur est, pour beaucoup de professionnels tels que les géographes, sociologues et chercheurs, incertain.
Le futur les territoires ruraux en débat La question du futur de la ruralité et de la relation entre la ville et la campagne a souvent été débattue. Pour un géographe, analyser la ruralité signifie étudier son évolution à travers le temps et dans l’espace pour en dégager des caractéristiques spatiales et des recompositions territoriales qui engendrent une émergence de diverses grilles de lectures, parfois opposées les unes aux autres. On peut par exemple constater plusieurs « types » de ruralité : plus ou moins éloignée des grandes villes, dotée de plus ou moins de services de proximité, etc. Certains géographes, comme Jacques LEVY, remettent en cause l’existence même de la ruralité. En effet, lors de sa conférence Les territoires ruraux seront urbains (ou ne seront pas) en 2014, le géographe explique que la définition du terme ruralité est, selon lui, obsolète. Pour lui, la seule issue pour les territoires « ruraux » est de devenir des territoires urbains, d’adopter leur rythme et leur mode de vie ; la France doit devenir un territoire tout-urbain. De la même façon, dans son article Le rural, de l’urbain qui s’ignore ? publié en 2016, Michel LUSSAULT, géographe, partage l’idée selon laquelle le rural n’est que l’un des sous-systèmes du système urbain global. Il considère le rural comme le fruit, le produit des dynamiques urbaines. D’autres, comme Christophe GUILLUY avec son ouvrage La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires (2014), insistent fortement sur l’existence d’une réelle opposition entre ville et campagne, rural et urbain. Selon lui, on trouverait d’un côté une « France métropolitaine » constituée des plus grandes aires urbaines, comprenant « les zones denses des agglomérations et une petite partie des couronnes périurbaines ». De l’autre, se dessinerait une « France périphérique » organisée autour des villes petites et moyennes, des espaces ruraux, des communes multipolarisées et des espaces périurbains « contraints ». Le sociologue Eric CHARMES, en revanche, critique cette mise en opposition quasi systématique de la ville avec la campagne dans son livre La revanche des villages. Essai sur la France périurbaine (2019). Selon lui, la France n’est pas « coupée en deux » avec, d’un côté, les villes riches et, de l’autre, la campagne pauvre et désertée. Ainsi, l’auteur souligne l’importance de questionner l’interdépendance des territoires. Il interroge également le périurbain comme espace intermédiaire entre ville et campagne, une possible « solution » selon lui, pour parer à l’opposition trop souvent établie entre ces deux territoires. En effet, la périurbanisation permettrait de « marier les avantages de la ville (les opportunités d’emploi et d’échanges sociaux notamment) et ceux de la campagne (le cadre de vie particulièrement) ». Mais alors, quel futur pour les territoires ruraux excentrés des grandes villes ? Quelles alternatives face à la métropolisation qui prend du terrain ?
Des territoires prometteurs Car selon certain auteurs, des alternatives à la métropolisation existent bel et bien, sous différentes formes. En effet, Magali TALANDIER, professeure en urbanisme et aménagement du territoire à l’université de Grenoble, développe l’idée selon laquelle il est nécessaire aujourd’hui de repenser le système métropolitain dans lequel nous vivons. Dans son article Résilience des métropoles, le renouvellement des modèles (2018), elle explique que les crises environnementales,
sociales, politiques et économiques causées par les bouleversements liés au tournant écologique en cours dans le monde entier, provoquent un climat d’« incertitude et de violence » (. Ce nouveau climat, qui touchent les habitants et leur territoire, incite à repenser notre manière de vivre ces territoires. Ainsi, une réadaptation de nos modes de vies est inévitable pour parer aux limites que représente le récit métropolitain, et pour cela, l’auteure introduit dans son discours le terme de résilience. Ce terme « permet d’envisager le changement à travers plusieurs modes ou chemins d’action menés conjointement. La résilience peut être faible ou forte selon les projets, les contextes, les échelles, les volontés » (p. 14). Autrement dit, la résilience des métropoles peut être définie comme le passage progressif du régime métropolitain actuel vers un autre régime. Ce nouveau régime, Sylvie FOL, professeure en aménagement et urbanisme, l’évoque dans son article Les villes petites et moyennes : des territoires émergents de l’action public ? (2020). En effet, selon elle, les villes moyennes et petites peuvent présenter une alternative face au modèle métropolitain en place. Elle explique que ces territoires, essentiellement ruraux, sont aujourd’hui délaissés par l’action publique, qui privilégie l’accompagnement des grandes villes les plus dynamiques. Ce choix d’orientation de l’action publique témoigne ainsi d’un recul dans l’objectif d’égalité des territoires. Pourtant, pour l’auteure, les territoires ruraux ont une place importante dans la hiérarchie urbaine française, et peuvent être des lieux où s’expriment et s’expérimentent de nouvelles politiques urbaines pour contrer l’étalement urbain et le régime métropolitain. Ces nouvelles politiques urbaines, basées sur les ressources locales et tournées vers les habitants, Olivier BOUBA-OLGA, économiste, les appelle le « nouveau récit territorial ». Dans son article Pour un nouveau récit territorial (2020), Olivier BOUBA-OLGA démontre les limites du « récit métropolitain » en place et la nécessité de repenser et d’inventer un nouveau récit territorial. Il y évoque ainsi la notion de « mythologie du CAME », qui désigne la compétitivité, l’attractivité, la métropolisation et l’excellence. En d’autres termes, la mythologie CAME peut se résumer comme étant l’idée selon laquelle le processus de métropolisation s’inscrirait dans un contexte d’exacerbation de la concurrence mondiale. Ainsi, pour rivaliser dans la compétition mondiale, l’enjeu en matière d’action publique serait de soutenir ces métropoles en renforçant leur visibilité et leur attractivité afin d’atteindre l’excellence. Les actions publiques sont alors systématiquement orientées en soutien des métropoles au détriment d’autres territoires, comme les territoires ruraux. Pour certains maires ruraux, c’est par exemple le cas de Philippe DUBOURG (La ruralité est-elle archaïque ?, Métropolitiques, 2014), maire de la commune de Carcares-SainteCroix dans les Landes et président des maires ruraux des Landes de 2014 à 2020, il existe une très grande rivalité entre les territoires ruraux d’un côté, et urbain de l’autre. Selon lui, les réformes mises en place par l’État pour permettre aux communes les plus fragiles de faire face à la métropolisation, comme l’intercommunalité, ne sont pas suffisantes. En effet, l’intercommunalité notamment, n’empêche pas les plus petites communes de se faire « avaler » par les plus grosses, voire elle encourage ce phénomène. Ces actions publiques traduisent alors la tendance de l’État à systématiquement s’orienter dans le sens de la métropolisation et du « tout-urbain », au lieu de réfléchir à des solutions adaptées aux situations des communes rurales. La solution donc, explique Olivier BOUBA-OLGA, serait de créer un nouveau récit tourné vers les territoires excentrés et les plus petites villes. Ce récit consisterait « à donner à voir comment des collectifs d’acteurs se débrouillent, bricolent, se coordonnent, inventent parfois, se résignent d’autres fois, pour créer les emplois auxquels les individus aspirent, pour éviter que ne se creusent
les inégalités sociales, pour réduire les problèmes environnementaux » (p. 22). Un récit à contrecourant du modèle métropolitain. En France, certaines communes ont déjà adopté ce « nouveau récit territorial » par le biais de différentes actions et expérimentations à plusieurs échelles. Ces territoires cherchent avant tout à se redynamiser. C’est notamment le cas dans le Morvan, où est né le regroupement de commune des « Villages du Futur ».
L’exemple des « Villages du Futur » Depuis 2015, le Pays Nirvanais Morvan, structure de regroupement de collectivités locales françaises rassemblant cinq communautés de communes, porte la démarche « Villages du Futur ». Cette démarche est initiée par quinze villages du territoire. Le Pays accompagne, coordonne et anime les différents villages de la démarche par la mise en visibilité de l’initiative, le soutien en ingénierie dans les collectivités et l’apport d’une méthodologie partagée.
Morvan Limite du Pays Nirvanais Morvan
Ce projet a pour vocation de revitaliser les centres-bourgs et lutter contre le phénomène de désertification et de disparition des services et d’administration, comme les services médicaux, les écoles, les postes, ou encore les centres culturels. Animé par une volonté de trouver des solutions locales et afin de contrecarrer le processus de désertification rurale subit depuis des années et lutter contre la pauvreté croissante de leur territoire, ces communes se sont données quatre objectifs : reconquérir les centre-bourgs, transformer leurs ressources en richesses, vivre connecté au pays et
au monde, et être solidaire. Pour répondre à ces objectifs, les Villages du Futur cherchent donc à associer la diversité des acteurs de leur territoire, aussi bien les habitants que les associations et les collectivités, afin de réaliser ensemble des actions concrètes. Ainsi, l’enjeu est de redonner vie à l’activité locale en travaillant sur le cadre de vie et le lien social, l’accès aux services, la dynamique culturelle locale, la qualité de l’accueil des nouveaux arrivants. Dans cette démarche, l’objectif est d’enclencher une dynamique de revitalisation de centre bourg. Les années 2017 et 2018 ont été consacrées à des diagnostics participatifs, spécifiques à chaque village, afin de proposer des actions pour permettre aux élus et habitants de se projeter dans cinq, dix ans grâce à des actions répondants aux enjeux du centre bourg. En effet, la démarche suivie par chaque Village du Futur est la suivante : chacun commence par une étude des besoins et des manques de son territoire, qui amène à la rédaction de scénarios et d’un plan-guide déterminant quelles actions mettre en place pour répondre à ces besoins et parer à ces manques. L’enjeu est de mobiliser le plus grand nombre possible d’acteurs dans la démarche afin de lancer le plus rapidement possible les chantiers et actions concrètes qui contribuent à renforcer l’activité du territoire. À titre d’exemple, la commune de Lormes a mis en place un réseau de « voisins actifs » afin de lutter contre la solitude et l’isolement, développé les boutiques éphémères dans son centrebourg et également lancé un programme « école connectée » qui permet de favoriser le développement des compétences numériques. Dans la phase de diagnostic et de conception du plan d’action, chaque commune bénéficie d’expertises extérieures, apportées par des prestataires rémunérés par le Pays Nivernais Morvan. Le Pays a ainsi mis en place un « Labo des Villages du Futur », un laboratoire d’innovation afin d’accompagner la démarche Villages du Futur. Le Labo accompagne la mise en œuvre de projets innovants et favorise les échanges entre les communes. Ainsi, les initiatives de chacun des villages coexistent dans une dynamique plus large de coopération inter-villages et le terme « Village du Futur » joue le rôle d’un label matérialisant cette mise en réseau et les coopérations entre les territoires. Ces initiatives prises par Le Pays Nirvanais Morvan trahissent la nécessité aujourd’hui pour les territoires ruraux de repenser leur organisation et de faire de leur territoire, un terrain actif d’innovations et de production de richesses afin de renverser le phénomène de désertification.
Conclusion Aujourd’hui, de plus en plus de communes rurales tentent de se défendre face à des métropoles qui prennent du terrain et des actions publiques les laissant pour compte. Une dynamique de recherches de nouveaux modes de vie naît peu à peu dans les plus petites communes pour contrer la désertification mais également se reconnecter à leur territoire, et trouver de nouvelles alternatives au modèle métropolitain. Car, à l’air de la transition écologique, la nécessité de revoir notre façon d’occuper les territoires est primordiale, et au centre des débats. Les territoires ruraux, pour certains déjà terrains d’expérimentations, pourraient être une réponse à ce modèle qui, aujourd’hui, approche de ses limites ; en effet, la capacité de création de richesses, d’innovation et d’insertion dans l’économie mondiale n’est pas un privilège réservé aux seules métropoles : les territoires
ruraux ont eux aussi un rôle majeur à jouer. Leur futur présente donc des enjeux écologiques, mais également économiques et sociaux. Une étude approfondie des expérimentations mises en place par les territoires ruraux, notamment celles des Villages du Futur, et de la réception de ces nouvelles façons de vivre les territoires par les habitants, permettrait d’entrevoir quelles réponses pourraient être envisagées sur le long terme face au récit métropolitain, et ainsi, quel futur attend les territoires ruraux. Cette étude approfondie nécessiterait de se rendre dans le Morvan pendant plusieurs jours, afin dans un premier temps de se familiariser avec quelques villages participants à la démarche et d’identifier quels sont les projets suivis par ces différents villages. Des entretiens pourraient être réalisés avec les maires de certaines communes, mais également avec Christian PAUL, président du Pays Nirvanais Morvan, qui décrit le « Pays » non pas comme un ensemble de cinq communes, mais comme « une démarche de développement local, au service des projets, fédérateur de dynamique territoriales innovantes et initiateur d’une ruralité ambitieuse et active » (site officiel du Pays Nirvanais Morvan). L’objectif de ces entretiens serait dans un premier temps de mieux comprendre la démarche et son organisation, à l’échelle d’un village mais également d’une communauté de communes. Ils permettraient aussi de connaître le point de vue des maires sur cette démarche, les difficultés rencontrées et les projets à venir. Des entretiens avec les habitants seraient également intéressants pour comprendre quel est leur ressenti face à ces différents projets, et quelle est leur part de participation à la démarche. Enfin, rencontrer quelques associations permettrait de croiser les expériences du plus grand nombre possible d’acteurs de la démarche, et ainsi, d’avoir une vision plus globale et une meilleure compréhension de ce que sont Les Villages du Futur.
Bibliographie Articles : – BOUBA-OLGA Olivier, Pour un nouveau récit territorial, conférence POPSU, 14 novembre 2018 – CHARMES Eric, La revanche des villages. Essai sur la France périurbaine, 2019 https://journals.openedition.org/lectures/31890
– DUBOURG Philippe, La ruralité est-elle archaïque ?, Métropolitiques, 2014 https://metropolitiques.eu/La-ruralite-est-elle-archaique.html
– GUILLY Christophe, La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, 2014 – LEVY Jacques, Les territoires ruraux seront urbains ou ne seront pas, https://www.agrobiosciences.org/archives-114/agriculture-monde-rural-et-societe/nos-publications/actes-descontroverses-de-marciac/article/les-territoires-ruraux-seront-urbains-ou-ne-seront-pas
– FOL, Sylvie, Les villes petites et moyennes : des territoires émergents de l’action public ? conférence POPSU, 15 janvier 2020 – LUSSAULT, Michel, Le rural, de l’urbain qui s’ignore ?, 2016 – TALANDIER Magali, Résilience des métropoles, le renouvellement des modèles, conférence POPSU, 28 mars 2018 – « Villages du Futur, pour la revitalisation des territoires ruraux », AVISE, octobre 2020 (https://www.avise.org/actualites/villages-du-futur-pour-la-revitalisation-des-territoires-ruraux) (https://paysnivernaismorvan.fr/les-villages-du-futur)
Ouvrage : – GUILLY Christophe, La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, 2014
Sites internet : – Site internet du Pays Nirvanais Morvan https://paysnivernaismorvan.fr/les-villages-du-futur – INSEE https://www.insee.fr/fr/information/5360126