Reterritorialisation des système agricoles en zones urbaines

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ENSAP Bordeaux Séminaire « Repenser la métropolisation, construire un monde en transition » Ruiz-Amiel Camille S7 - Article - Janvier 2022

Reterritorialisation des système agricoles en zones urbaines Depuis l’émergence de la maison individuelle dans les années 1970, la ville n’a de cesse de s’étendre par-delà les ceintures maraichères. Cet étalement urbain empiète sur les terres agricoles et naturelles, entraînant sur son passage une artificialisation des sols toujours grandissante. Ces territoires anthropisés se voient dépossédés de la riche biodiversité qu’ils abritent. Il est donc d’actualité de trouver des solutions face au déclin de la biodiversité et de questionner les relations actuelles qu’entretient la société avec la nature. Le phénomène d’agriculture urbaine se déploie sur les territoires. La ville peut être vue comme un « objet écologique » au sein duquel l’interdépendance des échelles du territoire engendrent des dynamiques urbaines et des modes d’habiter (KREPLAK et TURQUIER, 2014).

Retour de l’agriculture urbaine à l’ère de la transition écologique L’agriculture urbaine se définit comme une activité de production agricole et/ou alimentaire qui se déroule au sein d’une ville. Ce n’est pas un phénomène nouveau, elle détenait auparavant un rôle important pour alimenter les populations des pays émergents. Ce système a refait surface dès les années 1970 à New York avec les « Community Gardens », ils avaient un rôle social plus que nourricier à un moment où les quartiers se détérioraient (RAO, 2020). De nos jours, les expérimentations sont nombreuses, que ce soit dans la façon de cultiver, de récupérer des déchets organiques, les eaux usées ou de pluie pour irriguer les plantations. Dans de nombreuses villes françaises, de plus en plus de jardins collectifs, municipaux ou associatifs sont proposés sous forme de parcelles aux riverains. Ils découlent des premiers jardins communautaires créés à Lille en 1997 (TORRE et BOURDEAU-LEPAGE, 2013). Depuis une dizaine d'années, l’alimentation est un des principaux sujets traités dans les projets urbains du fait de la remise en cause croissante du système agroalimentaire actuel. Un désir plus fort de consommer local et d’être au plus près des petits commerçants se fait entendre. Les scandales alimentaires récurrents1 et les questionnements liés aux changements climatiques et aux problèmes nutritionnels ne font que renforcer l’envie de revoir notre façon de produire (MACE LE FICHER, 2018). De nombreux projets intégrant des systèmes agricoles fleurissent depuis quelques années dans les Appels à Projets Innovants. Ils abordent les questions agricoles et alimentaires sous différentes formes : aquaponie, culture sur butte, agroforesterie… Certains approfondissent réellement ces 1

Le Monde, « Le scandale alimentaire, scénario à répétition du secteur agroalimentaire et de la grande distribution », 11 août 2017 https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/08/11/le-scandale-alimentaire-scenario-a-repetition-de-l-agroalimenta tion-mondialisee_5171473_3244.html

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systèmes, tandis que pour d’autres, ce n’est qu’un outil pour mieux vendre le projet aux acteurs de la ville. Dans le domaine de la politique des villes, l’agriculture est au premier rang dans les agendas politiques. De nos jours, on expérimente des dispositifs innovants pour favoriser l’agriculture de proximité grâce aux lois SRU et au renouvellement constant des documents d’urbanisme tels que les PLU et SCOT (TORRE et BOURDEAU-LEPAGE, 2013). De leur côté, les habitants sont porteurs d’initiatives pour que l’activité agricole se rapproche des villes dans l’idée de se nourrir de produits locaux et de renouer avec la nature qui a été progressivement domestiquée.

Favoriser le développement de la biodiversité en ville L'émergence de l’agriculture urbaine a soulevé des problèmes liés aux usages passés des sols, qui ne sont pas toujours compatibles avec des projets agricoles : pollution des sols, appauvrissement, tassement, assèchement. Il est donc d’actualité de partir à la reconquête des sols (TORRE et BOURDEAU-LEPAGE, 2013). La question de la qualité des sols est importante dès lors qu’ils sont voués à des cultures alimentaires et cela devient l’un des freins principaux au développement de l’agriculture en ville. En plus de la reconquête des sols, il se pose également le problème de l’introduction d’espèces végétales et/ou animales dans des milieux qui ne sont à priori pas propices à leur développement ; comme des lieux bruyants, densément peuplés et soumis à une forte activité humaine. La question qui en découle est donc de faire cohabiter habitat dense et agriculture de proximité non traitée, pour répondre aux nouvelles exigences de la population. Du fait de la sélection d’espèces végétales pour leur capacité à s’adapter à différents types d’environnements, nous assistons à l’homogénéisation des paysages. En effet, lorsque nous arpentons les rues de Bordeaux, tant que celles de Nantes, nous croisons le chemin de plantes grasses, de graminées ou encore de plantes exotiques. Or, le climat et la région où ces espèces sont plantées ne sont pas pris en compte, ce qui mène inéluctablement à l’uniformisation des villes. Cette végétation anthropisée devient l’expérience quotidienne principale que les citadins entretiennent avec la nature. Le déclin des « paysages spontanés » pourrait ainsi engendrer un désintérêt général pour les lieux naturels, et donc ne plus susciter d’initiatives de la part des citadins (BONTHOUX, GAUDIN, 2021). Pour le projet de BIG Architects, 79th & Park à Stockholm, il a été décidé de penser les balcons et espaces communs avec des essences locales, sélectionnées pour que les habitants puissent expérimenter les changements de saisons au même rythme que les plantes. Elles sont également sélectionnées pour leur capacité à résister aux conditions climatiques auxquelles elles vont être soumises sur les balcons-toitures du bâtiment. Les balcons sont ainsi pensés comme des extensions privatisées du parc présent à proximité, pouvant être à terme un refuge pour le développement de la biodiversité.2 La relocalisation de la culture alimentaire et le développement de la biodiversité en ville impliquent de reconsidérer le système d’affectation du foncier agricole.

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Garance SORNIN, AMC, « BIG livre 168 logements dans une nouvelle opération à Stockholm », 21 novembre 2018 https://www.amc-archi.com/photos/big-79th-park-a-stockholm,9349/big-79th-park-a-stockholm.1

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Relocaliser le foncier agricole au plus près des consommateurs La gestion du foncier agricole est l’une des préoccupations majeures dans les milieux sujets à l’étalement urbain. La perte des terrains agricoles est soumise à l’étalement de nouveaux usages et à l’artificialisation des sols. La gestion du foncier agricole par plusieurs nouveaux acteurs, comme des collectivités locales et des associations de citoyens, s’accompagne d’une volonté de relocaliser l’approvisionnement alimentaire des zones urbaines. Le mouvement « incredible edible » ou « incroyables comestibles » a vu le jour en 2008 à Todmorden, une ancienne ville industrielle du Royaume-Uni, où les habitants ont commencé à planter dans l’espace public pour revenir à la notion de partage. La gratuité et la facilité d’accès ont permis une diffusion rapide et à l’échelle mondiale de ce concept de co-création et d’abondance de nourriture à partager.3 Les Appels à Projets Innovants proposent quant à eux, des solutions pour aller à l’encontre de la déterritorialisation de la production agricole et d’un marché globalisé et désaisonnalisé (MACE LE FICHER, 2018). Dans le même temps, ces projets d’agriculture en ville permettent de raccourcir les circuits de distribution. Les transitions alimentaires et agricoles mènent à repenser l’affectation et la propriété des terres agricoles. L’émergence d’innovations foncières agricoles de la part des citoyens apporte des réponses pour imaginer de nouvelles interactions entre les acteurs urbains et agricoles. L’un des enjeux majeurs de ces innovations est de faire coexister des zones agricoles et résidentielles au sein de l’espace périurbain en vue d’une « planification urbaine durable » (MAUREL, 2021).

Mutation des politiques urbaines pour favoriser un urbanisme écologique Les acteurs de la ville sont amenés à prendre position face à la crise environnementale et à prendre le temps de réfléchir pour composer avec l’environnement, les ressources et les réglementations en constante évolution. L’urbanisme écologique questionne ainsi la place et le statut de la nature en ville, penser la ville comme projet complexe dans lequel la nature « sauvage » était jusqu’alors absente. L’architecture écologique est pensée à trois échelles : le quartier, l'îlot et le bâtiment. Le nouveau principe de « planification douce » vise à modifier la manière de concevoir les projets, cette planification évolue en même temps que le projet pour répondre aux questions d’interdépendance entre ces trois échelles (KREPLAK et TURQUIER, 2014). Cette forme de planification implique également de ne pas créer de rupture avec l’environnement existant. La multiplication des normes écologiques a permis une prise de conscience massive et la propagation de subventions. Mais l’accumulation de normes peut être contre-productive et peut parfois être une entrave aux innovations et expérimentations. Or, de nombreux projets des API intégrent l’agriculture urbaine afin de répondre au mieux aux attentes des politiciens et citoyens.

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Les incroyables comestibles http://lesincroyablescomestibles.fr/europe/royaume-uni/

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Les liens entre citadins et nature au cœur des propositions urbanistiques L’agriculture urbaine est envisagée par les politiques comme un moyen d’améliorer la qualité de vie des citadins en les reconnectant à la nature, mais aussi comme un outil pour réduire les îlots de chaleur et la pollution atmosphérique. Les croisements interdisciplinaires commencent à émerger dans la conception de projets. Architectes, paysagistes, urbanistes, écologues, sociologues, psychologues travaillent sur des réponses à apporter face à la crise écologique. Il s’agit de modifier les relations et les interactions qu’ont les citadins avec la nature qui les entoure (BONTHOUX, GAUDIN, 2021). Les principes de conception des espaces publics jardinés évoluant, les espaces plantés sont catégorisés et les agents techniques se spécialisent pour répondre à ces nouveaux besoins. On parle alors de « rationalisation organisationnelle » des métiers et des espaces pour gagner en efficacité et réduire les coûts (GAUDIN, 2021). Favoriser la spontanéité écologique permet de recréer des liens entre humains et biodiversité. L’écologie urbaine a montré que les villes regorgent d’organismes vivants. Dans des territoires soumis à une forte exploitation agricole ou forestière, les villes s’avèrent être des refuges pour certains organismes. La diversité de ces organismes croît d’autant plus si on laisse une certaine autonomie à ce refuge, autrement dit, en réduisant la fréquence et le niveau d’entretien (BONTHOUX, CHOLLET, 2021). C’est pourquoi les friches urbaines sont des habitats écologiques très riches à prendre en considération. La politique de la « trame verte et bleue »4 menée depuis 2007 pour faire face au déclin de la biodiversité est timidement incluse dans les documents d’urbanismes tels que le PLU et le SCOT. Les actions écologiques restent donc majoritairement le fruit d’acteurs politiques aux connaissances écologiques accrues (BONTHOUX, CHOLLET, 2021). De plus en plus de projets d’architecture et d’urbanisme abordent la question de l’agriculture urbaine à plus ou moins grande échelle, vendant un futur idyllique où l’on pourrait atteindre l’autosuffisance alimentaire. Les politiques d’aménagement segmentent et spécialisent des fragments de villes, pouvant conduire à terme à une forme de ségrégation.

Transformer des citadins en jardiniers responsables pour réduire les coûts Une parcelle d’agriculture urbaine ne va pas avoir la même vocation selon le quartier dans lequel elle est implantée mais aussi selon les politiques publiques qui sont en place. Il se pose alors la question de la privatisation de ces lieux par une certaine catégorie sociale, ce qui mène inévitablement à l’exclusion d’une partie de la population de ces espaces publics. Les jardins partagés de Strasbourg par exemple, révèlent leur visée disciplinaire. Ils ont été pensés dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine. La fonction disciplinaire des jardins trouve ses origines dans les jardins ouvriers du XIX° siècle en Europe et dans le mouvement social anglo-saxon des années 1970 qui répond à une demande de « droit à la 4

Trame verte et bleue, Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, « Trame verte et bleue : un outil pour maintenir la biodiversité dans nos territoires et lutter contre le changement climatique », octobre 2017 http://www.trameverteetbleue.fr/documentation/references-bibliographiques/trame-verte-bleue-outil-pour-maint enir-biodiversite-dans

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ville » (JOLY, LEBROU, 2021). Ils incarnent ici le nouveau rôle de pacificateur d’espaces pour éviter les comportements déviants. Ces espaces ciblent une catégorie de population, les adultes, pour que le quartier soit perçu comme calme et tranquille, reléguant ainsi les jeunes décrits comme indésirables. Par conséquent, la responsabilité de la sécurisation du site est déléguée aux citoyens-jardiniers. Les citoyens peuvent être invités par les municipalités à intervenir dans les espaces publics plantés, cela les fait participer aux développements de ces lieux et les implique dans la vie de leur quartier. Mais dans un même temps, cela réduit la part de travail des employés municipaux et participe à invisibiliser leur rôle (GAUDIN, 2021). C’est le cas avec le projet Bordeaux Grandeur Nature, où les habitants peuvent investir une fosse, un carottage peu profond, sur un bout de trottoir devant chez eux et y planter des végétaux selon la liste établie. Les habitants s’engagent en signant la « charte du jardinier écologique bordelais », il leur incombe alors d’entretenir cette végétation, de nettoyer leur partie de trottoir. Dans le cas où les termes de la charte ne seraient pas respectés, la ville de Bordeaux reprendrait dès lors la gestion de l’espace et sa responsabilité de gestion de l’espace public. 5

Conclusion Selon les politiques publiques en place, la conception et les acteurs qui entrent en jeux, les jardins urbains peuvent être employés tant comme des outils de création de lien et de partage que des outils de relégation et de contrôle. L’esthétisme de ces projets est un atout important, qui peut participer à la restauration de l’image ternie d’un quartier. Même si l’agriculture urbaine a fait beaucoup de progrès en matière d’innovation et auprès de l’opinion publique, elle ne peut assurément pas entrer en compétition avec les systèmes de grande distribution qui sont fermement ancrés dans le quotidien des citadins. L’agriculture urbaine peut être aujourd’hui un outil mis dans les mains des habitants pour se réapproprier l’espace public, créer du lien social et élargir leurs connaissances. Mais la préservation des sols et de la biodiversité créée en ville relève avant tout de la responsabilité des politiques en place et des documents d’urbanisme qu’ils établissent. Des communes peuvent mutualiser leurs moyens pour entreprendre des expérimentations. C’est le cas sur la rive droite de Bordeaux, où Bassens, Lormont, Cenon et Floirac aménagent progressivement le Parc des Coteaux. Une équipe pluridisciplinaire ainsi qu’un plan de gestion accompagnent le démarrage du projet sur le terrain. Une étude approfondie de ce terrain pourra être menée afin de cerner d’une part comment peuvent coexister les usages des habitants et ceux des passants avec les espèces animales et végétales qui y sont installées. D’autre part, cela permettrait d’envisager différentes manières pour valoriser et développer le travail et l’implication des nouveaux jardiniers des villes au grès de ces expérimentations. Il serait intéressant de commencer par arpenter et explorer ce Parc des Coteaux dans une démarche intuitive, puis d’entrer en contact avec des techniciens, des habitants et des praticiens des différentes zones de ce parc pour déconstruire ou renforcer ces aprioris. 5

« Végétaliser les rues, c’est permis ! », Bordeaux.fr https://www.bordeaux.fr/p88843/vegetalisation-des-rues

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Bibliographie BONTHOUX Sébastien, CHOLLET Simon, « Pourquoi et comment favoriser la spontanéitéécologique en ville ? », Métropolitiques, 13 septembre 2021 https://metropolitiques.eu/Pourquoi-et-comment-favoriser-la-spontaneite-ecologique-en-ville.html BONTHOUX Sébastien, GAUDIN Olivier, « L’urbanisme écologique : un nouvel impératif ? », Métropolitiques, 6 septembre 2021. https://metropolitiques.eu/L-urbanisme-ecologique-un-nouvel-imperatif.html CLERGEAU Philippe, « La biodiversité dans les stratégies d’aménagement urbain », Métropolitiques, 21 novembre 2019 https://metropolitiques.eu/La-biodiversite-dans-les-strategies-d-amenagement-urbain.html GAUDIN Olivier, « Qui jardine la ville ? Pour une écologie urbaine politique », Métropolitiques, 4 octobre 2021 https://metropolitiques.eu/Qui-jardine-la-ville-Pour-une-ecologie-urbaine-politique.html JOLY Romane, LEBROU Vincent, « Des jardins pour maintenir l’ordre ? Enquête ethnographique dans un quartier populaire strasbourgeois », Carnets de géographes, 30 avril 2021 https://journals.openedition.org/cdg/7610 KREPLAK Yaël, TURQUIER Barbara, « L’écologie en architecture et urbanisme : entre normes et pratiques. Entretien avec Nicolas Michelin », Tracés. Revue de Sciences humaines, 21 mai 2014 https://journals.openedition.org/traces/5478#quotation MACE LE FICHER Paula , « Appels à projets urbains innovants : l’alimentation au risque du food-washing ? », Métropolitiques, 25 juin 2018 https://metropolitiques.eu/Appels-a-projets-urbains-innovants-l-alimentation-au-risque-du-food-wash ing.html MAUREL Marie-Claude, « Coline Perrin et Brigitte Nougarèdes (dir.), Le foncier agricole dans une société urbaine. Innovations et enjeux de justice », Études rurales, 2021/1 (n° 207), p. 247-251. https://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2021-1-page-247.htm RAO Tejal, « L’anxiété de l’approvisionnement alimentaire ramène les jardins de la victoire », The New-York Times, 25 mars 2020 https://www.nytimes.com/2020/03/25/dining/victory-gardens-coronavirus.html

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