Séminaire « Repenser la métropolisation » / Article – Semestre 7 Lorane Bellier
LA PLACE DE L’ARCHITECTE DANS LES PROCESSUS PARTICIPATIFS DES ÉCOQUARTIERS ET DE L’HABITAT PARTICIPATIF. Par Lorane Bellier, le 03/02/2021 L’implication des habitants dans les projets urbains et architecturaux est croissante depuis quelques années et leur intégration dans les processus de conception se généralise peu à peu. Plusieurs expressions sont utilisées pour évoquer leur investissement. Le terme de « participation » n’est pas nouveau, « des dispositifs participatifs en matière de rénovation urbaine, de lutte contre la pauvreté et de cités modèles » sont apparus dès les années 1960 pour revendiquer l’intérêt de l’usager (Bacqué, Gauthier, 2011). Puis, le terme de « concertation » lui est substitué à partir des années 1980. Il illustre un élargissement de la pratique, « la décentralisation, qui renforce les compétences de l’élu local, soutient un principe de « démocratie de proximité » se substituant à l’objectif de développement d’une démocratie plus participative » (Bacqué, Rey, Sintomer, 2005.). Il a une portée moins révolutionnaire et plus institutionnelle avec la publication de plusieurs articles réglementaires incitant les élus à organiser des démarches de concertation avec les habitants. Ensuite, de nouvelles lois vont accompagner la mise en place de l’intégration des usagers. Les premières Chartes pour l’Environnement, des années 1990, marquent les prémices d’une contractualisation entre l’État et les collectivités locales sur les enjeux environnementaux dans les projets urbains d’aménagement ou de rénovation (Larrue, Emelianoff, Di Pietro, Heland, 2001). Celle de 2004, rapporte que « toute personne a le droit [...] de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Ainsi, la préoccupation environnementale peut appuyer la démarche participative, en effet certains projets de quartiers durables ont facilité la concertation avec les habitants. D’abord, revendiquée par des architectes militants, l’intégration des habitants s’est généralisée dans leur pratique professionnelle. De plus, les éléments à introduire dans les opérations se sont étendus entraînant l’apparition de nouveaux métiers et compétences. Le contexte réglementaire a également permis le développement des nouveaux projets type écoquartier ou d’habitat participatif qui cherchent eux-aussi à favoriser les processus participatifs. 1. L’évolution de la démarche participative dans la pratique des architectes, d’un investissement politique à une méthode plus intégrée. Les architectes impliqués dans le mouvement participatif des années 1960-70, avaient un engagement important. Ils défendaient une intégration des habitants dans les processus de conception afin de lutter contre le fonctionnalisme architectural et la restriction à des modes de vie standardisés. Cette volonté est notamment portée par les travaux de Lucien Kroll qui interroge l’archétype de la maison en créant des situations d’habitat aux particularités et identité propres, en étudiant les attitudes des futurs habitants. Pour Lucien Kroll comme pour Patrick Bouchain, un autre architecte développant aujourd’hui cette pensée, il s’agit de laisser place à l’imprévu pour mettre en place des projets hétérogènes qui s’adaptent aux actions des usagers, cela constitue la notion d’« incrémentalisme ». Ils mettent aussi en avant l’importance de « l’ouverture à autrui, à l’à côté, au familier » (Toubanos, 2017, p.6) avec le concept de « vicinitude ». Actuellement, un intérêt pour la méthode participative s’étend dans l’exercice professionnel des architectes. En effet, certains cherchent à s’impliquer dès la phase de programmation et non plus à partir de celle de la conception. La méthode de « programmation générative »-, par exemple, illustre cette envie. Elle fut élaborée par des chercheurs praticiens du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) à partir des années 1990, à l’initiative de Michel Conan et de Michel Bonetti et appuie une programmation-conception concertée qui est animée par un binôme sociologue-architecte. A la différence, l’enseignement de l’architecture et le
séquençage des étapes d’un projet avec la loi MOP (Maîtrise d’Ouvrage Publique) de 1985 ont conduit à réduire le rôle de l’architecte à celui de concepteur-technicien par la formalisation de solutions. Sa pensée sociale, humaine sur l’appropriation d’un espace par l’usage est ici moins sollicitée. Les projets avec un processus participatif, favorisent l’apprentissage et l’essai de nouvelles compétences qui permettent aux architectes d’élargir leur pratique professionnelle. Le positionnement de l’architecte face à la participation a suivi « un glissement d’un engagement militant à ce que l’on pourrait qualifier d’investissement professionnel » (Biau, D’Orazio, 2013, p.177) 2. De nouvelles professions viennent compléter les équipes de maîtrise d’ouvrage. Une complexité des projets a été constaté ces dernières années, avec un nombre de paramètres plus élevé. A l’aspect technique ont été ajouté l’intérêt des relations humaines ; le travail en équipe, la diversité des modes de pensées, le métissage des compétences, et des enjeux en matière de qualité, de bien-être social et de développement durable. Cela explique l’apparition de compétences externes, et l’émergence de la AMO (Assistance à Maîtrise d’Ouvrage), acteur supplémentaire qui vient s’ajouter aux équipes du projet traditionnelles (Maîtrise d’Ouvrage- Maîtrise d’Œuvre). Celle-ci peut être constituée de professionnels qui ont obtenu le titre d’ « assistant à la maîtrise d’ouvrage » -après avoir suivi une formation dans le secteur de la construction ou d’anciens bénévoles associatifs qui se sont professionnalisés. Elle a la caractéristique de posséder des compétences variées qui favorisent sa position de médiateur, d’intermédiaire entre les différentes maîtrises d’un projet. La prise en considération de la méthode de concertation entre les différents acteurs amène à interroger l’organisation traditionnelle de la conduite du projet. Les échanges semblent intégrer davantage l’ensemble des maîtrises. Cela induit une implication modifiée de l’architecte comme l’illustre les graphiques comparant les modèles hiérarchique et négocié de conception et mise en œuvre des projets (cf. Figure 1). En effet, le modèle négocié montre que l’architecte peut avoir un rôle de conseiller et d’informateur auprès des usagers. Figure 1 : Graphiques du modèle hiérarchiques et négocié de conception et mise en œuvre des projets
3. Un contexte réglementaire cherchant à favoriser une conception plus concertée. La démarche participative a été renforcée par l’expérimentation permise par les nombreux projets d’écoquartiers. En effet, ils ont été promus par les pouvoirs publics comme pouvant « développer une culture participative et favoriser une expérimentation » (Bonard, Matthey, 2010).
En 1992, la conférence de Rio établit que la ville doit être considérée comme le lieu privilégié pour favoriser le développement durable. C’est à la suite de cette rencontre, à partir des années 2000, que l’État français prend des mesures politiques sur la « ville durable » et l’« écoquartier » lors de réflexions portées par le Grenelle de l’environnement, notamment avec le plan « Ville Durable » de 2008. L’année suivante, la promulgation de la loi Grenelle 1 prescrit la construction d’au moins un « écoquartier » avant 2012 dans les communes ayant « des programmes de développement de l’habitat significatifs » comme ceux développés dans les quartiers ZAC (=Zone d’Aménagement Concerté). En parallèle, l’implication des citoyens, lors de décisions portant sur leur cadre de vie, est également réfléchi dans le cadre de la Charte de l’environnement de 2004. Ainsi, les écoquartiers et l’implication des usagers se sont développés conjointement. La réflexion sur les écoquartiers conduit à investir également le champ de l’habitat participatif, qui se caractérise par la mobilisation d’un groupe d’habitants souhaitant s’impliquer collectivement dans leur quotidien. Développés par le mouvement des Castors et du MHGA, les projets d’habitat participatif sont réglementés par la loi ALUR de 2014 qui met en avant deux mouvements : les coopératives d’habitants et les sociétés d’autopromotion (cf. Figure 2). Ce sont des organisations qui proposent de « dépasser le caractère individualiste de l’habiter, de rompre l’asymétrie entre habitants-usagers et professionnels-décideurs et de faire prévaloir des formes de coproduction » (D’Ozario, 2012, p.2). L’habitat participatif met l’usager et l’écologie au cœur de la fabrication du logement. De plus, la démarche menée entraîne un jeu d’acteurs différent de celui des projets classiques d’habitat, de nouveaux acteurs et organismes de programmation concertée et de médiation apparaissent. Cela facilite donc la mise en place de processus participatifs. Une amélioration des relations entre architectes et habitants est notamment possible par des dispositifs les incitant à travailler ensemble. La petite échelle du logement, réduit le nombre d’intermédiaires entre les architectes et les usagers. Le projet du « Jardin suspendu » illustre cette collaboration. Figure 2 : Graphique de fonctionnement des mouvements idéologiques créés par la loi ALUR Attribution en société (propriétaire = habitant)
Coopératives d’habitants
Attribution en jouissance (propriétaire = société)
Sociétés d’attribution et d’autopromotion
1 personne = 1 voix Contrat coopératif Réglement sur charges communes
1 personne = 1 voix OU proportionnelle aux parts sociales Division des lots et droits en capital associé Réglement copro Habitat participatif (loi ALUR 2014)
La participation des usagers dans la conception du projet architectural est revendiquée dès les années 1960 par des architectes militants qui s’intéressent à l’appropriation et aux différents modes de vie des occupants. Aujourd’hui, les processus participatifs sont davantage pris en considération et utilisés par les professionnels. De plus, l’évolution des sociétés intégrant de nouveaux éléments comme le développement durable, l’importance des relations humaines, l’association des compétences, etc... Cela a entrainé une modification de -l’activité des architectes par une collaboration avec de nouveaux acteurs intégrant la dimension sociale.D’autre part, l’utilisation de la démarche participative a été favorisé par des nouvelles réglementations facilitant la création d’écoquartiers et l’implication des usagers dans la réflexion de leurs lieux de vie. Puis, l’investigation des écoquartiers a permis de développer à plus petite échelle les opérations d’habitat participatif. Le nombre d’acteurs étant réduit, la concertation entre professionnels et habitants est facilitée.
A la suite de cette étude, il paraît pertinent de poursuivre le travail de recherche s’attachant au positionnement des architectes face à la démarche participative. Comment les projets d’écoquartier et d’habitat participatif peuvent-il permettre une évolution de leur activité ? Afin de poursuivre cette investigation, l’étude de l’écoquartier bordelais du secteur Brazza pourra faire l’objet d’une enquête de terrain approfondie par la réalisation d’observations et d’entretiens, et plus précisément sur le projet d’habitat participatif du « Jardin Suspendu ». par la réalisation d’entretiens. En effet, l’opération de l’écoquartier du secteur Brazza, appartenant au quartier de La Bastide de Bordeaux, met en -avant la conduite d’une méthode participative. Il s’est développé en correspondance avec le projet urbain « Bordeaux 2030 » -qui réfléchit sur le devenir des grandes friches industrielles du quartier de La Bastide. Une démarche de concertation sur trois ans est conduite pour définir les objectifs du projet urbain et élaborer un plan-guide d’aménagement du quartier. Dans un premier temps, simplement informés, les citoyens ont ensuite été davantage intégré par l’organisation de cycles d’échanges (tables rondes avec des usagers des lieux : habitants, artisans, conseils de quartier, etc.). La démarche de concertation du secteur de Brazza aboutira à des livrets de synthèse et sera soumis à un bilan de la concertation. Le projet du « Jardin suspendu » relève quant à lui d’un projet d’habitat participatif. C’est une résidence de 20 logements en accession sociale PSLA et VEFA, avec une organisation en copropriété. Le COL, société coopérative de production d’’HLM, endosse le rôle de la maîtrise d’ouvrage et collabore avec l’AERA, assistant à la maîtrise d’ouvrage, qui promeut l’habitat participatif. Tout d’abord une phase de concertation est établie. Lors des réunions collectives le partage des espaces communs, la charte coopérative, le programme général du projet architectural sont travaillés. Par la suite des entretiens individuels favoriseront une collaboration plus étroite entre chaque ménage et l’architecte pour travailler la configuration et les modalités d’évolutivité future des logements. La phase de programmation et de conception participative s’achève ici. En 2017, la résidence est livrée et c’est le début de la construction participative de l’intérieur des logements. Ils sont aménagés selon les envies de chaque habitant.
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