Séminaire « Repenser la métropolisation » / Article – Semestre 7 Paul de Lary de Latour
L’architecte dans une démarche de résilience Il est aujourd’hui nécessaire de se réinventer et de trouver de nouveaux modèles d’aménagements urbains. Le XXe siècle a vu émerger de nouvelles idéologies constructives, mettant davantage l’accent sur l’innovation technique que sur l’architecture existante et patrimoniale. Si « l’industrialisation va représenter pour la ville un principe d’expansion » (Donzelot, 1999) et apporter de nouveaux flux de circulations, elle va fortement influencer la métropolisation des territoires en entraînant une homogénéisation des tissus périurbains et dessiner un paysage presque extravagant, en laissant derrière elle les vestiges du passé. C’est pourquoi il est maintenant important de repenser nos manières constructives dans un souci social et environnemental. Nous pouvons alors nous demander quels sont les moyens dont dispose l’architecte pour réinterroger la ville d’aujourd’hui et construire celle de demain ? Il serait intéressant de s’appuyer sur une démarche de résilience qui met en lumière l’architecture vernaculaire et sa transformation pour agir efficacement et intelligemment sur un territoire donné, en préservant les ressources énergétiques pour les générations futures. 1. Polysémie de la résilience Le terme résilience est un mot qui comporte plusieurs définitions selon le domaine d’étude. Du point de vue écologique, la résilience signifie la capacité d’un écosystème à se relever d’un traumatisme (inondation, tremblement de terre) et d’atteindre un nouvel équilibre naturel1. En psychologie, « la résilience est la capacité d’une personne ou d’un groupe à bien se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir, en dépit d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères » (Manciaux et al, 2006, p. 83). Enfin en architecture, la résilience peut se manifester selon plusieurs leviers d’actions, d’abord par l’emploi de matières premières locales pour bâtir de façon viable avec son environnement, ensuite par la transmission et la réutilisation des savoir-faire ancestraux. On suivra la définition de la résilience comme la référence d’une « nouvelle renaissance centrée sur les pratiques collaborative et envisagée dans ses composants à la fois sociales, économiques et politiques. Elle invite les populations et les acteurs concernés à dépasser les conséquences de la modernisation et de ses dérives en s’appuyant sur les ressources respectueuses de leur environnement » (Toubin et al., 2012, p.42-43). Les architectes en sont les premiers investigateurs et pour développer cette idéologie, un retour au vernaculaire et à la transformation peuvent apparaître comme des premières pistes d’études. 2. L’architecture vernaculaire en rupture avec le mouvement moderne Le mouvement de l’architecture moderne du XXème siècle, initié notamment par Le Corbusier, a laissé derrière lui un paysage urbain et périurbain en opposition avec le passé. Un 1
Définition tirée d’un article du site geo.fr publié le 26 novembre 2018
développement et un étalement urbain qui se caractérise par une augmentation notable de la surface urbanisée, qui grignote la place des espaces naturels et, surtout, des espaces agricoles. De plus les grandes mutations techniques ont fait émerger de nouvelles typologies de bâti construits avec de nouveaux matériaux (béton, acier) favorisant des modes constructifs rapide et des prouesses techniques jamais exploitées auparavant. « La Charte d’Athènes a constitué pour les États un outil opportun pour justifier le passage en force de l’industrialisation dans la production du bâtiment. » (Pinson, 1996, p. 41-42). Cependant il est intéressant de voir que sur la même période (du début du XXe siècle à nos jours) des architectes ont davantage tournés leur recherche sur une architecture plus soucieuse du lieu et de l’humain, dans des zones géographiques où l’architecture « occidentale » ne répond pas vraiment aux besoins ni aux ressources à disposition. Les deux précurseurs de ces mouvements sont les architectes Hassan Fathy et André Ravéreau. Ils chercheront à transmettre l’intérêt qu’il faut porter à une architecture qui raisonne avec son économie, son climat et sa population, dans le but de redonner vie au patrimoine existant trop souvent oublié. On parle alors d’architecture vernaculaire2 qui suit une démarche de résilience. Hassan Fathy aime à préciser qu’il ne s’agit pour autant pas d’une architecture « pauvre pour les pauvres » (Paquot, 2009) et que « la tradition n’est pas forcément désuète et synonyme d’immobilisme, de plus la tradition n’est pas obligatoirement ancienne, mais peut très bien s’être constituée récemment. Chaque fois qu’un ouvrier rencontre une nouvelle difficulté et trouve le moyen de la surmonter, il fait le premier pas vers l’établissement d’une tradition » (Fathy, 1970, p. 59). Hassan Fathy et André Ravéreau sont sensibles à la tradition et au message qu’elle véhicule. Ils cherchent à comprendre l’intelligence de l’architecture vernaculaire et transmettent sa vertu aux générations futures d’architectes. Il est pourtant difficile à cette époque de faire entendre cette idéologie. L’ensemble de leur œuvre n’a été que tardivement reconnu en raison de l’évolution des considérations écologiques que nous connaissons aujourd’hui, et d’un retour aux savoir-faire ancestral reconnu. De nouveaux « partisans » manifestent leur intérêt pour une architecture plus durable d’un point de vue économique, sociale et culturelle et appellent à un meilleur ancrage des projets avec les ressources culturelles que le milieu peut offrir. Une idéologie qui est aujourd’hui largement répandue qui confronte l’architecture contemporaine et vernaculaire. 3. Les limites du vernaculaire Même si le retour d’une architecture vernaculaire semble être une réponse qui s’inscrit dans une démarche de résilience architecturale, rien ne garantit aujourd’hui qu’une évolution soutenable des sociétés puisse être atteinte. En effet, la métropolisation soulève un certain nombre de problèmes d'aménagement liés à l’étalement urbain, aux mobilités croissantes, à l’augmentation de nuisances (pollution, engorgement) et surtout à l'injustice sociale, notamment par la gentrification des quartiers populaires. Les matériaux locaux ne peuvent peut-être pas répondre à certaines attentes dans la mesure ou l’innovation est prépondérante dans le développement de nos sociétés.
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L’architecture vernaculaire est un style architectural conçu en fonction des besoins locaux, de la disponibilité des matériaux de construction et des traditions locales.
De plus, il n’est pas question de faire un simple copié-collé des vestiges passés mais plutôt de les transcender, de les sublimer, pour préserver les identités des mouvements architecturaux. D’après Vicky Richardson (2001), la « fin » du mouvement moderne fait naître chez les architectes une crise d’identité en l’absence d’idéologie forte à suivre. Elle soutient que le regain d’intérêt pour l’architecture vernaculaire ne doit pas en découler et doit rester dans une approche vertueuse de l’environnement avec pour objectif de se réapproprier la cité. « D’une certaine manière, (l’homme préhistorique) avait plus de sagesse pratique que l’homme moderne, car ce que nous appelons ses habitations « primitives » étaient des habitations gouvernées par des facteurs écologiques » (Rudofsky, 1977, p. 160). S’orienter vers une approche vernaculaire ne peut se réduire à une reproduction identique. Meier et Roaf (2004) appellent à étudier scientifiquement les bienfaits de certains matériaux pour démontrer s’ils permettent un véritable gain énergétique par exemple. Pour eux il faut étudier, transposer les méthodes ancestrales dans l’ère du temps et dans son environnement. Pourtant « l’apprentissage du passé n’exclut pas l’invention d’idées provoquantes » (Richarson, 2001, p. 240). Face à l’industrie, le choix est purement éthique mais pour faire prospérer l’architecture vernaculaire, il est indispensable de transmettre aux générations futures les clés des démarches écologiques à suivre. Bien que l’ensemble des ENSA proposent des thématiques articulés autour des défis de transition énergétique et numérique, de ville durable, gestion des ressources, transport et mobilités etc… il semblerait qu’il y ai un décalage entre l’apprentissage théorique et la mise en application de ces enseignements. Les étudiants ne sont confrontés que tardivement à tous ces nouveaux enjeux qui demeurent pourtant essentiels dans la construction d’un parcours professionnel. 4. Enjeux dans la pratique architecturale « La tradition, ce n’est pas un passé irréductible à la raison et à la réflexion, qui nous contraint de tout son poids, c’est un processus par lequel se constitue une expérience vivante et adaptable » (Boudon et Bourricaud, 1982, p. ?). Poursuivre les traditions n’est pas une volonté statique, elle se perpétue à travers les générations et s’adapte forcément aux conditions de l’instant T. Des architectes vont chercher à transmettre ce goût pour renforcer la compréhension du lieu et de l’humain. André Ravéreau va fonder en 1973 son « atelier du désert »3 à Ghardaïa qui vise à former une nouvelle génération d’architectes à privilégier l’éthique à l’esthétique. Il veut perpétuer et protéger le patrimoine algérien en restituant son identité dans chaque projet. Son travail est engagé dans les conditions techniques et économique de son époque. Les matériaux sont choisis pour répondre à des exigences climatiques et s’accordent parfaitement aux usages sociaux et culturels des habitants. Plus récemment (en 1993) un atelier de projet participatif voit le jour à l’école d’architecture de l’université d’Auburn aux Etats-Unis. Créé par l’architecte Samuel Mockbee, il permet aux étudiants de trouver des solutions viables pour tous les individus, peu importe leur classe 3
Il s’appelait auparavant E.R.S.A.U.R.E. (Établissement Régional Saharien d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement) selon : http://www.aladar-assoc.fr/andre-ravereau/biographie/
sociale. Ils estiment que chacun doit avoir accès à une belle architecture, moderne avec des moyens peu coûteux. C’est aux étudiants de soulever des fonds, d’élaborer le projet et de faire participer les communautés. Les projets sont pensés en ayant connaissance des ressources que proposent la vie rurale. Ces idéologies se croisent avec celles des architectes cités précédemment (Hassan Fathy, André Ravéreau). Il y a une volonté de résilience locale, de réemploi de matières premières et de partage de connaissances. Il est intéressant de voir qu’à différents niveaux et avec des moyens limités, les solutions demeurent multiples et forment un tout cohérent avec leur environnement. 5. Les atouts de l’architecture vernaculaire Stéphane Leroy évoque « le fait que le poids des plus grandes agglomérations se renforce dans tous les pays développés, par la pérennisation, voire l’accentuation d’un mécanisme presque unique : la concentration (des hommes, des capitaux, des biens matériels et immatériels) » (Meroy, 2000, p.79). Les villes s’agrandissent et s’étalent sans réelle identité alors pourquoi ne pas la conserver et se la réapproprier. Un retour à l’architecture vernaculaire peut faire émerger de nouveaux concepts en réintégrant dans un cercle vertueux les cycles de vies des composants, du bâti, pour lui permettre d’acquérir une seconde existence. Ce serait aussi un processus de renouvellement du cadre de vie qui vient transformer nos manières d’habiter. L’exigence environnementale amène à réinterroger le potentiel de la transformation et de réhabilitation de l’architecture vernaculaire, non seulement comme un mode moins énergivore, mais comme procédé d’action visible. L’innovation permet d’avancer dans ce mode de développement. Les enjeux des villes s’orientent aujourd’hui vers une plus grande prise en considération des aspects économiques et environnementaux dans leurs aménagements futurs. Le renouvellement urbain doit donc privilégier la réutilisation des ressources bâties et urbaines existantes en prenant en compte les ressources disponibles localement. Pour la suite du mémoire, je souhaite poursuivre l’étude de l’architecture vernaculaire et les avantages qu’elle représente dans la reconstruction d’une identité patrimoniale délaissée tout en s’inscrivant dans une démarche de résilience locale. Je souhaite baser mon travail sur une étude de cas en France qui montrera les démarches que l’architecte doit entreprendre pour se placer dans une démarche de résilience en accord avec la transition écologique.
Bibliographie DONZELOT Jacques, « La nouvelle question urbaine », Esprit, novembre 1999, p 120-121. BOUDON Raymonde et BOURRICAUD François, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982. FATHY Hassan, Construire avec le peuple, Paris, Édition Jérôme Martineau, 1970. LEROY Stéphane, Sémantique de la métropolisation, CERCAR, Université d’Orléans, 2000. MANCIAUX Michel, VANISTENDAEL Stefan, LECOMTE Jacques, CYRULNIK Boris, « la résilience : état des lieux », in Manciaux, cit Cyrulnik, B., & Duval, P. Psychanalyse et résilience, Odile Jacob, 2006. A MEIER Isaac , ROAF Sue, GILEAD. I, RUNSHENG Tang, STAVI Ilan, MACKENZIEBENNETT. J, “The vernacular and the Environment towards a comprehensive Research methodology”. In Proc. 21st Conf on PLEA, 2004, p. 719-724. PAQUOT Thierry, Construire avec ou pour le peuple, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 109 | 2009, p. 15-25. PINSON Daniel, Architecture et modernité, Flammarion, Paris, 1996. RICHARSON Vicky, New Vernacular Architecture, Laurence king publishing, 2001. RUDOFSKY Bernard, The Prodigious Builders, London : Secker & Warburg, 1977. TOUBIN Marie, LHOMME Serge, DIAB Youssef ; SERRE Damien, LAGANIER Richard, « La résilience urbaine : un nouveau concept opérationnel vecteur de durabilité urbaine ? » Développement durable et territoires, vol.3, n°1, 2012, p. 42-43.