Séminaire « Repenser la métropolisation » / Article – Semestre 7 Fanny Debrion
La crise pandémique du Covid-19 peut-elle influencer durablement nos modes de déplacement au seins des métropoles françaises ? Aujourd’hui, nous vivons une situation inédite pour notre époque, elle n’a échappé à personne, il s’agit de la crise sanitaire du Covid-19. Cette pandémie, qui sévit depuis près d’un an sur le territoire français, est la source de bien des contraintes, mais également, de nombreux changements dans nos habitudes quotidiennes. Entre confinement total, ou partiel, télé-travail et téléenseignement, nos rapports ordinaires à la mobilité se sont vue perturbés durant l’année 2020. 1. Qu’est que la mobilité ? Selon Jean Marc Offner (2020), directeur général de l’agence d’urbanisme de Bordeaux Aquitaine (a-urba), la mobilité symbolise, l’organisation des espaces-temps du quotidien. Il s’agit de l’ensemble des déplacements journaliers effectué par un individu, du trajet domicile - travail, à des déplacements liés aux loisirs ou à la consommation. En novembre 2019, le Parlement français adoptait la loi « d’orientation des mobilités », dont le but est de réformer en profondeur le cadre général des politiques de mobilités, en intégrant des enjeux environnementaux cruciaux ; cette loi est orchestrée autour de quatre objectifs principaux. Premièrement, il s’agit de sortir de la dépendance automobile en supprimant les zones blanches de la mobilité1 , et en accordant aux collectivités territoriales, de nouvelles compétences visant à promouvoir des services tels que l'autopartage, le covoiturage, le transport à la demande. En deuxième lieu, la loi vise à accélérer la transition des nouvelles mobilités. Il faut permettre aux usagers d’avoir, en un clic, des informations liées aux transports pour plus de fluidité dans leurs déplacements. Cela concerne les données statiques (horaires, arrêts, tarifs) et les données en temps réel (perturbation, accident, retard). Cet objectif implique également de nouvelles réglementations relatives à l’utilisation des nouveaux modes de transports en libre-service, via des applications numérique (trottinettes électriques, vélos en libre-service, gyropodes, hoverboards, etc.). La troisième intention de la loi d’orientation des mobilités est de réussir la transition écologique, elle exige la neutralité carbone des transports terrestres d’ici 2050. Cet objectif s’accompagne par l’interdiction des ventes de voiture à énergies fossiles carbonées (essence/diesel) d’ici 2040. Le texte favorise également, le déploiement des véhicules électriques, et souhaite multiplier par cinq les bornes de charges d’ici 2022. Pour parvenir à la neutralité carbone, la loi mise également sur un plan vélo avec pour objectif de tripler sa part modale d’ici 2024, en réduisant les ruptures de pistes cyclables ainsi que générer le marquage obligatoire de chaque nouveau vélo pour lutter contre le vol en 2021. En dernier lieu, il s’agit de programmer des investissements dans les infrastructures de transports. L'État prévoit 13,4 milliards d'euros d'investissements dans les infrastructures de transport d'ici 2022, ainsi que 14,3 milliards pour la période 2023-2027. Les trois-quarts des investissements pour 1
Les zones blanches de la mobilité, sont les zones sur lesquels il n’existe pas d’autorités locale en charge d’organiser la mobilité sur le territoire, ces organismes sont les « Autorité Organisatrice de la Mobilité » (AOM). Ce terme de zone blanche est apparu en 2017 lors des assises autour du nouveau projet de loi « d’orientation des mobilités ».
les transports d'ici 2022 sont consacrés au ferroviaire, afin de remettre en route d’anciennes lignes déjà existantes. La loi « d’orientation des mobilités » est très compliquée à mettre en œuvre, la multitude d’acteurs gestionnaires de la question de la mobilité ne facilitent pas la mise en place d’une cohérence territoriale, à l’échelle d’une métropole ou d’un département, et cela est certainement dû au millefeuille administratif français. Durant le XXe siècle, l’émergence de la voiture individuelle devient l’outil idéal qui répond à tous les besoins de la mobilité de l’époque moderne. L’automobile connaît alors une période où elle est reine, omniprésente et soumet peu à peu notre société, et en particulier l’urbanisme de nos villes. En résulte un « couple infernal » (Wiel, 2005) qui donne naissance à une ville façonnée pour la voiture, dont l’organisation de la forme urbaine, de la petite à la grande échelle, jusqu’à la conception de nos espaces publics, est fortement imprégnée par la logique automobile. L’ « inondation » de la ville par la voiture, semble avoir accéléré un étalement urbain toujours plus incontrôlable, concomitant au déclin des centres-villes (Masboungi, 2005). Cependant, depuis quelques années, l’omniprésence de l’automobile dans nos métropoles dérange, et devient une réelle source de nuisance, tant sur le plan visuel que sonore et, incontestablement, sur la pollution qu’elle génère. Ce véhicule à la souplesse inégalée, encore particulièrement ancré dans le cœur de certains de ses usagers, se voit de plus en plus exclus de nos centres-villes par des stratagèmes mis en place par les politiques : péages à l’entrée des villes, augmentation conséquente du prix de stationnement, interdiction et amende pour le stationnement sauvage, etc. 2. Les transports en commun victimes de la crise du Covid19 Les transports collectifs (TC) sont perçus comme un moyen incontournable pour réduire l’utilisation de la voiture individuelle. Dans les années 1970, les transports collectifs français étaient en très mauvais état, autant en région parisienne qu’en province, et l’on entendait dans des manifestations « On ne nous transporte pas, on nous roule ! ». C’est dans ce contexte que s’est installé un consensus visant à relancer les transports collectifs urbains. L’objectif étant de rendre nos transports, plus rapides, plus confortables afin d’attirer de nouveaux usagers clients et de convertir les automobilistes, en vue de réduire l’important trafic routier. Les transports collectifs sont devenus, années après années, un enjeu important au cœur des campagnes politiques. Le favori des transports en commun est très certainement le tramway. Ce moyen de transport fait son apparition en France après les années 1850, et connaît une grande évolution sur le plan technique lors du XXe siècle, pourtant, il devient rapidement la source de nombreuses controverses, il est accusé de prendre trop de place et d’être la cause de bon nombre d’accidents. Il disparaît donc de nos villes après la Seconde Guerre mondiale. Il a fallu attendre les années 1980 pour qu’il fasse son grand retour, notamment dans les villes de Nantes en 1985, et de Grenoble en 1987 (Gwiazdzinski, 2015). Mais c’est certainement l’approche de la conception du tramway de Strasbourg, inauguré en 1994, qui rendra les autres métropoles envieuses. Dans la capitale du Grand Est, le déploiement du tramway permet une requalification urbaine importante, ainsi qu’une réduction du trafic routier en centre-ville. Aujourd’hui, ce sont dix-sept métropoles2 qui sont équipées d’un tramway. Grâce à des enquêtes sur les déplacements des ménages dans les agglomérations, les politiques de déplacement connaissent le partage modal de chaque moyen de déplacement (TC, voiture
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Angers, Aubagne, Besançon, Bordeaux, Brest, Caen, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Le Havre, Le Mans, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Mulhouse, Nancy, Nantes, Nice, Orléans, Paris, Reims, Rouen, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulouse, Tours ou Valenciennes
individuelle, vélo, marche). L’objectif des Plans de Déplacements Urbains3 , est d’induire des évolutions sur des parts modales, par exemple de faire évoluer la part du transport collectif de 10 % à 15 %, ou celle du vélo de 3 % à 6 %. Ces dernières années, les transports en commun ont connu une augmentation de leur part modal. Pourtant, lors de l’année 2020, nous avons pu observer une baisse de fréquentation sans précédent des transports en commun par les usagers. Selon les statistiques fournies par l’UTP (Union des Transports Publics et Ferroviaires), on observe une baisse de fréquentation de 95 % durant le confinement, une fréquentation d’à peine 50% lors du déconfinement aux alentours de mi-juin, et enfin une reprise de 80% lors de l’été. La crise sanitaire a eu un fort impact sur les revenus des Autorités Organisatrices des Mobilités 4 et des transports publics. La Commission des finances du Sénat estimait fin avril, que la perte se situerait entre 860 millions et 1,9 milliards d’euros 5. La crise sanitaire ravive certaines craintes auprès des usagers des transports collectifs. En effet, ces lieux étroits et souvent bondés sont perçus comme risqués en terme de propagation du virus, et cela explique pourquoi ils sont abandonnés au profit d’autres modes de déplacements. 3. La montée en puissances des mobilités douces Ces dernières années ont été marquées par une prise de conscience collective de l’impact du trafic routier sur notre pollution atmosphérique. Nous voyons peu à peu apparaître un nouveau chapitre de la mobilité urbaine, plus flexible et plus respectueuse de l’environnement. La jeune génération abandonne petit à petit la voiture pour se tourner vers de nouveaux outils – liés pour beaucoup à la révolution numérique - permettant l’accès à une « smart mobility » 6 offrant dans tous lieux et à tout moment, un choix incommensurable de moyens de déplacement (tramway, bus, métro, taxi « Uber », vélo, voiture en libre-service). C’est l’intermodalité. Nous voyons également apparaître de nouveaux engins de mobilités individuelles investir nos métropoles ces dernières années. Il s’agit par exemple des trottinettes électriques, vélos en libreservice (autres que ceux de la mairie), gyropodes, hoverboards, etc. Comme nous avons pu le mentionner plus haut, la loi d’orientation des mobilités vise à promouvoir l’utilisation de ces nouveaux engins, mais surtout à réglementer leurs utilisations afin que chacun puisse se déplacer en toute sécurité, et en respectant le code de la route. Après avoir bénéficié des grèves des transports en commun en 2019, le vélo pourrait sortir renforcé à l’issue de cette crise sanitaire, en tant que transport individuel urbain limitant le plus toutes les
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Les Plans de Déplacements urbains (PDU) sont inventés par la loi d'orientation sur le transport intérieur de 1982. Le plan de déplacements urbains organise et planifie l'évolution des systèmes de déplacement et, permet d’assurer un équilibre durable entre les besoins de mobilité des habitants et la protection de leur environnement et de leur santé. 4 Autorités
Organisatrices des Mobilités (AOM) ainsi dénommé par la loi MAPTAM du 27 janvier 2014. Une AOM est l’acteur public qui assure l’organisation des services de transport public sur son territoire. Ces services peuvent être des transports collectifs urbains et non urbain, réguliers ou à la demande. L’AOM peut également concourir au développement de services de covoiturage, d’autopartage, de location de vélo, etc. En un lieu donné il existe toujours qu’une seule AOM. 5 6
Note n° 3 de conjoncture et suivi du plan d’urgence face à la crise sanitaire du Covid-19, 13 avril 2020.
Smart Mobility ou mobilité intelligente : essentiellement tournée vers l'avenir et l'innovation, elle a vocation à traiter divers enjeux. Elle se caractérise ainsi par l'ensemble des moyens visant à rendre la mobilité plus astucieuse tout en préservant ce qui est essentiel.
externalités – émissions de CO2, émissions de particules et de dioxyde d’azote, émissions sonores, bouchons, stationnement – tout en minimisant le risque de propagation du virus par une distanciation physique importante. Largement redécouvert par beaucoup de citoyens, nous pouvons dire que la Covid-19 a aidé à faire évoluer les parts modales de l’utilisation de ce mode de déplacement doux. Cette nouvelle effervescence autour du cyclisme aura également entraîné certaines métropoles à adopter une forme d’« urbanisme tactique » en réquisitionnant par exemple des voies prévues pour les automobilistes au profit des cyclistes et autres modes de déplacement doux. Ce type d’urbanisme, qui été censé être temporaire pourrait très certainement devenir une porte d’entrée pour essayer une nouvelle organisation du partage des voies entre voitures et vélos. 4. De la crise à l’après : quelles évolutions pour la mobilité ? La crise sanitaire de la Covid-19 fragilise donc à court terme l’utilisation et le fonctionnement des transports en commun dans nos métropoles françaises. Le risque majeur de cette crise serait de contrarier les récentes évolutions en faveur de ces modes de déplacement collectifs au profit d'un retour vers l’utilisation de la voiture individuelle. La pratique et la promotion de modes doux (marche, vélo, trottinette, roller, skate, etc.) lors de cette crise pourraient aussi permettre un allégement de l’utilisation des transports en commun et également ancrer ces nouveaux comportements dans les habitudes des citadins. Peut-on alors dire que la crise sanitaire que nous vivons a fait évoluer les mobilités vers des modes de déplacements plus respectueux de l’environnement, ou au contraire, nous a-t-elle poussé à réutiliser les voitures individuelles pour se protéger du virus ? Pour la suite de mon mémoire, j’aimerais approfondir la question de la mobilité, et son évolution, au sein d’une grande métropole française. Continuant de vivre à Bordeaux pour le prochain semestre, cela me semble logique de choisir la métropole girondine comme lieu d’étude. Je voudrais particulièrement aller à la rencontre des acteurs de la mobilité pour comprendre comment ils traitent cette question, par quels moyens, et quel est exactement le Plan de Mobilité mis en place sur le territoire ? Une approche par le biais des citoyens bordelais me semble également pertinente. Quels sont leurs modes de transports, leurs habitudes ? Comment parcourent-ils la ville ? Quels sont leurs avis sur la question de la mobilité ? De plus, la métropole bordelaise ne cesse de grandir (projets Euratlantique, Bordeaux 2030). Elle est actuellement assiégée de tout part par des forêts de grues. Je suis curieuse de découvrir comment ces nouveaux quartiers vont-ils être associés à la ville-centre, afin de garder un fort lien d’inter-territorialité. Parcourir la métropole par moi-même, à vélo, en transport commun, en voiture serait également un mode de recherche intéressant pour approfondir mes connaissances de cette métropole, en découvrir ses forces, ainsi que ses faiblesses.
Bibliographie Masboungi, A. 2015. Ville et voiture, Éditions Parenthèses Offner, J-M. 2020. Anachronismes Urbains, Paris : Presses de Science Po Wiel, M. 2005. Ville et mobilité, un couple infernal, L’aube intervention Gwiazdzinski L. « Des tramways nommés désirs. Les réseaux de transport collectif, nouveaux instruments de l’urbanisme fictionnel », Métropolitiques, 13 février 2015. URL : http:// www.metropolitiques.eu/Des-tramways-nommes-desirs.html. Orfeuil, J-P. « Densité et mortalité du Covid-19 : la recherche urbaine ne doit pas être dans le déni ! », Métropolitiques, 19 octobre 2020. URL : https://metropolitiques.eu/Densite-et-mortalite- duCovid-19-la-recherche-urbaine-ne-doit-pas-etre-dans-le.html. Passalacqua, A. « Transports en commun et distance sociale. De l’omnibus au métro », Métropolitiques, 8 juin 2020. URL : https://www.metropolitiques.eu/Transports-en-commun-etdistance-sociale-De-l-omnibus-au-metro.html. Poulhès A. « Rendre Paris aux piétons » , Métropolitiques, 28 mai 2020. URL : https:// www.metropolitiques.eu/Rendre-Paris-aux-pietons.html.