Séminaire « Repenser la métropolisation » / Article – Semestre 7 Marie Egalon
LA SMART CITY : VERS DE NOUVEAUX ENJEUX POUR NOS VILLES INTRODUCTION L’urbanisation du monde est un phénomène qui a transcendé les époques et évolué en même temps que l’humanité se développe. L’arrivée à l’ère industrielle a signalé un tournant majeur dans notre façon de composer la ville, celle-ci, débordant des murailles, a su prendre une place conséquente dans l’espace. La fin de cette ère a annoncé un second tournant d’extension nouvelle de la ville grâce à l’apparition notamment des technologies informatiques. En effet, dans les années 1990, les villes fortement industrialisées deviennent vieillissantes, sales, et peu accueillantes. C’est pourquoi une grande entreprise comme IBM a choisi aux Etats-Unis de moderniser les villes grâce à l’élaboration de systèmes informatiques et de capteurs1. L’expression Smart City (qu’on pourra aussi appeler Ville Intelligente) sera réellement adoptée en 20052 par un certain nombre d’entreprises technologiques, comme Cisco ou encore Siemens. Les villes vont devenir extrêmement importantes pour l’économie du pays. Elles vont aussi devenir un lieu d’échange d’informations, de participation et d’évolution technologique. La Smart City est-elle la solution aux enjeux actuels de la société ? Porte-elle des valeurs partagées mondialement ? Ou représente-t-elle un danger pour les populations ? Il n’est pas aisé de percevoir la pertinence de cette notion apparue très récemment dans notre vocabulaire sachant que la Ville Intelligente n’a pas encore montré toutes ses variantes. Pourtant, nous allons aujourd’hui proposer une façon d’appréhender la notion et de l’analyser au travers de différents points de vues. 1 / « SMART CITY » DÉFINITION D’UN CONCEPT IDÉAL On parle de l’ère numérique comme celle décrivant notre société actuelle, ce n’est pas pour rien. Nous avons, pour beaucoup, intégré à notre quotidien au moins un objet connecté et ceci est une preuve de notre lien profond au numérique. Cette notion est arrivée aussi vite en ville (Smart City) que dans nos vies (réseaux). Initialement, trois systèmes ont permis le développement de la ville intelligente selon IBM. Nous avons tout d’abord, l’intégration de l’informatique bicuitaire (Courmont, 2018) comme premier outil. Ce système a notamment permis la création d’ordinateurs et téléphones portables. Ensuite, le Big Data3 représente la centralisation et le stockage d’informations, permettant d’avoir toujours plus de données disponibles. Enfin, ces deux outils sont en perpétuelle amélioration grâce au développement de nouveaux algorithmes4 par l’Homme. Nous avons, grâce à ces outils, produit des réseaux d’informations et de communications étendues mondialement, et affectant l’espace urbain autant que les pratiques sociales. On parle ici du « SoftWare » 1 Voir « Smarter Cities : New York 2009 » http://www.ibm.com/smarterplanet/us/en/smarter_cities/article/newyork2009.html 2 Wikipédia « La Ville Intelligente » https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_intelligente 3 Ibid. 2009. 4 Ibid. 2009.
comme d’une nouvelle façon d’aborder la ville. L’émergence d’une urbanité numérique montre que le « SoftWare » va simplifier l’utilisation de la ville (Wachter, 2013). Les infrastructures dites « molles » (Giedon, 1983) canalisent les services informationnels. En tant que principal réseau d’échanges dans les villes, elles deviennent aussi vitales que les autres réseaux urbains. Certaines villes vont d’ailleurs être complètement construites en prenant en compte dès le début ce système de capteurs dans les objets publics, comme par exemple la ville de Songdo en Corée du Sud par le biais de l’entreprise Cisco (équivalent d’IBM aux Etats-Unis)5. D’autres vont les intégrer petit à petit favorisant une compréhension et une acceptation progressive de l’habitant. Finalement, on remarque que la Ville intelligente se traduit aussi par des innovations dans le monde politique. IBM et Cisco sont des entreprises informatiques qui vont avoir un rôle à jouer dans la politique des villes au même titre que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et autres starts-ups du numérique.
Source : https://www.boullier.bzh/wp-content/uploads/politiques-des-villes-intelligentes-Colloque-Ville-intelligente-ville-democratique.pdf
À travers le regard de Dominique Boullier (2014), professeur en sociologie, et son tableau ci-dessus exprimant schématiquement le déploiement des outils numériques, nous voyons différentes façons d’aborder la Smart City grâce à une politique de détachement (usager peu propriétaire de ses données) ou d’attachement (rattacher l’usager avec les données produites). Les politiques d’actions sont considérées comme certaines ou incertaines, du fait qu’elles contrôlent plus ou moins les citoyens et la gouvernance de la ville en elle-même. De ce fait, on retrouve des actions complètement différentes dans le monde, en fonction de la culture, de l’histoire, et de la gouvernance en vigueur. Ainsi, les réponses concernant la Ville Intelligente se multiplient, et l’on voit émerger des idées parfois fortement liées à l’habitant, parfois, beaucoup plus pour le gouvernement du pays. Il devient difficile de comprendre ces villes de manière unitaire, basée sur le concept initial de ville idéale, répondant parfaitement aux enjeux actuels. Nous allons voir que ce concept va devenir fortement critiqué, voir envahissant pour beaucoup de populations. 2 / UNE RÉPONSE DEVENUE ENVAHISSANTE Il y a une réelle controverse sur le sujet de la Smart City. Il est extrêmement facile de poster une vidéo, une photo ou encore une opinion sur internet, mais est-ce aussi simple de le faire complètement disparaitre ? Et bien non. D’une part, parce que n’importe qui peut y accéder et l’utiliser si cette information n’est pas protégée, aussi, parce que les sites gardent bien souvent des traces de ce qui a été
5 Gilles Pinson, « Smart City », Conférence, Sciences Po Bordeaux, novembre 2020.
produit et cela fait partie d’une notion que nous ne pouvons pas négliger, la « DataVeillance » (Lyon, 2016). Nous pouvons observer, dans un second temps, le développement d’une théorie dite de « dépolitisation des villes » (Courmont, 2018). Les firmes urbaines sont de plus en plus au service des politiques sectorielles, faisant des villes un centre de recherche invisible et contrôlé par les experts opérant dans des « Back offices » à l’abris des regards. Si nous continuons dans ce sens, la ville programmée scientifiquement sera le plus grand danger des libertés citoyennes et de la démocratie (Sennett, 2013). La notion de « dépolitisation des villes » prend son sens dans le fait que le numérique prend une place de plus en plus grande dans la gestion urbaine de nos villes et devient très envahissant dans nos modes de vies autant que dans la politique. Enfin, pour certains cette situation favorise une logique de « Technological Lock-In » (Kitchin 2015), notion qui sert à désigner la dépendance des villes aux dispositifs technologiques qui conduiront les plateformes numériques à monnayer leurs services à terme. Ce système, géré par les politiques en collaboration avec les grandes entreprises numériques, sont eux-mêmes instables. Par exemple, Google a les moyens d’être extrêmement puissant, tant il a la capacité d’exploiter les données urbaines de manière très diversifiée (Maps, Waze, Google Earth…). Selon l’agence de Design Vraiment Vraiment, ce géant du numérique met en place une stratégie à trois niveaux : «1. Offrir des outils gratuits aux usagers, basés notamment sur des données publiques, 2. Installer un monopole, 3. Revendre aux collectivités ces données/outils »6.
Source :https://medium.com/@vvraiment/https-medium-com-vvraiment-espace-public-google-a-les-moyens-de-tout-gacher-2ab92ac11df4
Enfin, il a le pouvoir de rayer un commerce de la carte7. Pour trouver certains lieux, encore faut-il les trouver sur notre application de navigation, et pour être mis en avant, les commerces peuvent acheter leur visibilité sur des logiciels. Google Maps n’a pas manqué cette occasion et valorise les commerces qui payent. C’est ici le dernier témoin du pouvoir économique que possèdent les grandes entreprises du numérique. Ainsi, nous avons des entreprises, types GAFA, qui, par le biais du Big Data, dominent largement une grande diversité de domaines, touchant ainsi au pouvoir politique, économique et sociale. Il est ainsi facile de douter de la bienveillance de ces technologies lorsqu’elles sont utilisées pour dominer sur tous les plans, limitant ainsi le pouvoir d’un bon nombre d’acteurs. C’est pourquoi, les Villes Intelligentes, sont fortement remises en questions, notamment car elles utilisent ce système numérique nouveau qui contient encore de nombreuses failles. 6 Voir Vraiment Vraiment, Agence de design, « Google a les moyens de tout gâcher », 18 octobre 2019.
URL : https://medium.com/@vvraiment/https-medium-com-vvraiment-espace-public-google-a-les-moyens-de-tout-gacher-2ab92ac11df4 7 ibid
3 / UNE ADAPTATION AUX ENJEUX DE DEMAIN : Après avoir défini les origines et l’idéal de base que représente la Ville Intelligente et démontrer par la suite le fait que l’outil numérique peut faire l’objet d’enrichissement et de monopole du pouvoir, nous présenterons dans un troisième point les bienfaits du numérique dans nos villes. En effet, on parle aussi de la Smart City au service de la ville durable, participative et inclusive. A l’heure de la pandémie liée à la Covid-19, il n’a jamais été aussi crucial de rendre les villes plus efficaces et durables pour les habitants. Par ailleurs, le développement permanent des technologies d’information et de communication (TIC) contribuent à stimuler l’évolution des Villes Intelligentes. Cette connectivité est aujourd’hui particulièrement recherchée, notamment par l’accroissement du travail à domicile depuis début 2020. Il est donc essentiel d’avoir un débit fiable, rapide et sécurisé (Harrison et Donnelly, 2011). Les acteurs de ces villes nouvelles, nous les avons évoqués plusieurs fois, ce sont les entreprises, les collectivités ainsi que les citoyens. Nous avons parlé des acteurs économiques (entreprises) pouvant produire des innovations techniques considérables8, encore faut-il qu’elles soient intégrées dans une société sensibilisée aux enjeux liés au développement de ces villes « intelligentes ». L’HomoNuméricus (Watcher, 2013) représente la nouvelle génération en lien direct avec les TIC qui démultiplient chaque jour davantage les facultés de la perception et d’usage des lieux. On entend par là que le citoyen est bien un acteur direct de la Ville Intelligente et qu’il a les moyens de l’améliorer. Il prend de plus en plus conscience de l’urgence environnementale actuelle, il est demandeur d’en apprendre davantage et de participer à un mouvement nouveau lié à la transition écologique. Finalement, nous venons à reconsidérer le rôle des politiques pour la réalisation des Villes Intelligentes. En France, divers acteurs vont d’ailleurs apporter un renouveau dans la façon de composer la ville. Ainsi, pour terminer sur les innovations de la Ville Intelligente, il convient de dire que ce sont les collectivités qui sont capables de faire le lien entre cet outil qu’est le numérique, et les habitants. Des citoyens mieux informés et capables de mieux utiliser les services mais surtout de comprendre leur importance dans la transition écologique, peut mener à des résultats plus optimaux que ce que l’on pouvait voir dans les premières Smart Cities. CONCLUSION Pour conclure, il nous faut garder à l’esprit que la notion de Smart City, vient à peine d’apparaitre dans notre vocabulaire. L’outil numérique est le moteur de ces villes nouvelles, et il faut donc l’utiliser de manière raisonnée. Nous avons encore beaucoup de choses à revoir dans notre façon d’optimiser la ville, et de la gouverner, puisque le capitalisme régit pour beaucoup nos actions et les grandes entreprises ne veulent pas perdre leur place de choix dans notre société actuelle. En effet, nous l’avons vu, le pouvoir écrasant des GAFA pour dominer sur le plan économique, ou encore les politiques usant du numérique pour surveiller les populations montrent les limites d’une vision strictement positive de la notion de ville intelligente. Pour autant, des événements marquant comme l’environnement en déclin, ou encore la pandémie mondiale amènent le citoyen à prendre conscience progressivement de l’urgence actuelle, et du besoin de s’investir. C’est à ce moment-là que la Smart City prend son sens. Par la facilité et la rapidité d’utilisation du numérique, ainsi que son pouvoir d’amplification, le citoyen, à son échelle, peut produire de grandes 8Voir Barclays Investment Bank, 23 novembre 2020, « The Future of Smart Cities »
URL:https://www.investmentbank.barclays.com/our-insights/Rethinking-smart-cities-prioritising-infrastructure.html? gclid=Cj0KCQiAlZH_BRCgARIsAAZHSBm0lJRhBIrzEEaeBbchhPZBsiKnWjrlsfIe8F9eaytV_hDjmhrfVAaAiPkEALw_wcB&gclsrc=aw.ds
avancées. Il est important de l’instruire sur ce qu’il peut faire par le biais de nos élus et des entreprises High-Tech, qui, eux-mêmes ont un rôle à jouer. L’ensemble de ces acteurs, mis côte à côte, avec le même pouvoir d’investissement, pourront faire en sorte que les expérimentations actuelles d’éco-quartiers et autres, deviennent des schémas pour la composition des villes de demain…des villes intelligentes. OUVERTURE Cette recherche a attisé mon envie de comprendre le fonctionnement des villes tournées vers demain. Dans un système sans cesse changeant, la Smart City devient un cas d’étude particulièrement intéressant. J’aimerais considérer les avantages et les contraintes de ce nouveau type de ville sur le citoyen, et comment celui-ci peut être acteur de sa ville grâce à l’outil numérique. En ce sens, j’en viens à me demander la chose suivante : La Smart City est-elle une utopie éphémère ou une réelle réponse durable pour le citoyen de demain? Je procèderai par des lectures approfondies sur cette thématique tout en proposant un cas d’étude concret en France, en recherchant des institutions qui se développent dans les grandes agglomérations qui me seront accessibles, tel que Bordeaux, Toulouse, Marseille ou encore Lyon pour étoffer mon étude et proposer des éléments de réponse pertinents.
BIBLIOGRAPHIE Boullier, D. 2014. « Politiques des villes intelligentes : Actes du colloque Ville intelligente, ville démocratique ? », Berger-Levrault, Chaire MADP Sciences Po. URL : https://www.boullier.bzh/wp-content/uploads/politiques-des-villes-intelligentes-Colloque-Ville-intelligente-ville-democratique.pdf
Courmont, A. 2018. « Où est passée la smart city ? Firmes de l’économie numérique et gouvernement urbain », HAL-02186713. URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02186713/document
Courmont, A. et Vincent, M. 2020. « Smart Cities : des politiques numériques faiblement politisés ? », Métropolitiques. URL : https://metropolitiques.eu/Smart-Cities-des-politiques-numeriques-faiblement-politisees.html
Giedion, S. 1983. La Mécanisation au pouvoir, Denoël,Paris. Harrison, C. et Donnelly, I. 2011. « A Theory of Smart Cities. » Proceedings of the 55th Annual Meeting of the ISSS. URL: http://www.interindustria.hu/ekonyvtar/en/Smart%20cities%20and%20communities/Publications/ A%20theory%20of%20smart%20cities.pdf
Kitchin, R. 2015. « Making sense of smart cities: addressing present shortcomings », Cambridge Journal of Regions, Economy and Society, vol. 8, n° 1, p. 131‐136. Lyon, D. 2016. « Big Dataveillance: Emerging Challenges », Queen’s University. URL :https://www.sscqueens.org/sites/sscqueens.org/files/5_big_dataveillance-emerging_challenges-david_lyon.pdf
Sennett, R. 2012. « THE STUPEFYING SMART CITY », Urbanage. URL : https://urbanage.lsecities.net/essays/the-stupefying-smart-city
Wachter, S. 2013. « Learning from software. Quel avenir pour les smart cities ? », Métropolitiques. URL : http://www.metropolitiques.eu/Learning-from-software.html.