Relations entre métropoles et périurbain

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Séminaire « Repenser la métropolisation » / Article – Semestre 7 Victor Esnault

Relations entre métropole et périurbain La question des métropoles et de leur influence sur les territoires dans lesquels elles s’inscrivent est aujourd’hui très commentée en France. Si depuis plusieurs années la question du périurbain est abordée par les sociologues et géographes, comme avec l’ouvrage La France périphérique de Christophe Guilly (2014), la profonde crise sociale de ces dernières années a attiré beaucoup d’attention sur le sujet. En effet, la crise des gilets jaunes a brutalement jeté sous une lumière crue le mal-être d’une partie de la population française. Or, cette population a été très vite identifiée comme celles et ceux vivant dans les territoires périurbains et les villes moyennes en crise. Les médias de tous bords et experts (Lévy, 2019 ; Berkowitz, 2018 ; Peugny, 2018) ont noirci de nombreuses pages sur l’origine sociale et spatiale des gilets jaunes, et il en est principalement ressorti une opposition entre ces derniers et les urbains de Paris et des grandes villes de province. Dès lors, nombre se sont demandés quels étaient les liens entre ces territoires périurbains et la métropole à laquelle ils se rattachent.

1. Des incohérences territoriales entre métropoles et périphéries Pour comprendre les liens entre les territoires périurbains et les métropoles auxquelles ils se rattachent, il convient de revenir sur la création de ces dernières. Au sens administratif du terme, la France compte vingt-deux métropoles, créées pour la plupart en 2015 suite à la loi MAPTAM. L’objectif de cette loi était de faciliter le développement des grandes aires urbaines françaises pour qu’elles deviennent des villes importantes à l’échelle européenne. Les métropoles de droit commun sont des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et non des collectivités territoriales à part entière. La majorité des métropoles a ainsi été créée par la transformation des communautés urbaines ou communautés de communes préexistantes. Cependant, ces dernières ne sont pas toutes identiques. Les métropoles de Paris et Marseille ont en effet un statut particulier. Celle de Lyon est également particulière puisqu’il ne s’agit pas d’une EPCI mais d’une collectivité territoriale à part entière, disposant sur son territoire des compétences du département. Il est intéressant d’observer quelles sont les limites territoriales de ces métropoles. En effet, elles peuvent englober une part plus ou moins importante de la population et des emplois d’une aire urbaine et ainsi ce qui relève du périurbain extra-métropolitain n’a pas la même constitution d’une métropole à l’autre. Par exemple, la métropole de Marseille regroupe quatre-vingt-douze communes et englobe la quasi-totalité des 1,7 million d’habitants de son aire urbaine. Cette organisation contraste avec la métropole de Lyon et ses cinquante-neuf communes, puisqu’elle ne regroupe que 1,4 million d’habitants sur les 2,3 million de son aire urbaine. Là, se trouve une première limite à l’action des métropoles. Cette non-correspondance entre périmètre de la métropole et périmètre de l’aire urbaine n’est pas sans conséquences.


Au sens de l’INSEE, une commune fait partie de l’aire urbaine d’une grande ville lorsque 40% de ses actifs au moins travaillent dans le pôle urbain. Les échanges entre ces communes périurbaines et les pôles urbains sont ainsi importants et des relations de dépendances se créent entre ces territoires. Cependant, lorsqu’une commune périurbaine n’est pas intégrée à sa métropole, elle se trouve ainsi exclue des politiques d’aménagement du territoire et des services offerts par cette dernière. Au sein de l’aire urbaine lyonnaise, ces communes hors métropoles sont attractives et affichent une dynamique démographique portée par les ménages plutôt jeunes de la classe moyenne souhaitant accéder à la propriété (Didier-Fèvre, 2019). La géographe opère aussi un rapprochement entre le mouvement des « gilets jaunes » et ce choix résidentiel. En effet, l’installation dans ces communes parfois très éloignées du centre urbain induisent un isolement vis-à-vis du reste de la métropole. Etant en dehors du périmètre de la métropole, elles ne disposent pas du service de transport en commun de cette dernière. Les habitants de ces territoires sont ainsi dépendants de l’usage de la voiture dans leur mobilité, ce qui induit des dépenses très importantes (Berger, 2013). Cette absence d’accès à des services métropolitains participe au sentiment d’oubli exprimé par ce mouvement dans les territoires périurbains. En conséquence, les métropoles sont de plus en plus nombreuses à prendre part à des politiques de coopération vis-à-vis de leurs territoires périurbains.

2. Quelles coopérations entre Bordeaux métropole et ses voisins ? Prenons le cas d’étude de la métropole de Bordeaux. Comptant 800 000 habitants répartis entre les vingt-sept communes, Bordeaux métropole a remplacé la CUB, ou Communauté Urbaine de Bordeaux, à la faveur de la loi MAPTAM en 2015. Ainsi, un tiers des 1,2 million d’habitants de l’aire urbaine de Bordeaux ne se trouve pas intégré dans la métropole. La métropole de Bordeaux connaît actuellement un processus de métropolisation important. Par métropolisation, on entend un phénomène de concentration de populations et d’activités dans un ensemble urbain. Elle est notamment synonyme de développement et d’étalement urbain pour une ville. Bordeaux, qui était jusque-là surnommée « la belle endormie » a entamé sa mue il y a maintenant vingt ans (Godier, Oblet et Tapie, 2018). Le projet des trois premières lignes de tramway et la grande rénovation urbaine qui l’a accompagné a donné à l’agglomération bordelaise une grande attractivité et un fort dynamisme économique. Capitale de la région Nouvelle-Aquitaine, elle est parfois accusée « d’assécher » économiquement les territoires environnants. En effet, certains territoires entourant la métropole font face à de grandes difficultés économiques et sociales, comme le Médoc ou le Blayais. En revanche, certaines communes en dehors des limites de la métropole parviennent quand même à afficher un certain dynamisme, à l’image de Libourne. Depuis plusieurs années, la CUB puis Bordeaux métropole a lancé des actions visant à améliorer la coopération avec les territoires l’entourant, après avoir été longtemps accusée de les négliger. Cette volonté de coopération affichée par Bordeaux métropole s’est traduite jusqu’ici par des contrats bilatéraux passés avec des communes de Nouvelle-Aquitaine. Cette méthode de contrats bilatéraux est assez commune en France ces dernières années pour les métropoles, que ce soit des contrats passés avec des communes périurbaines ou avec l’Etat (Doré, 2020). Ce programme de contrats bilatéraux a été initié par la CUB en 2014 avec un premier contrat passé avec la ville d’Angoulême. Ce contrat a été initié dans la perspective de l’ouverture de la LGV


Sud Europe Atlantique, reliant Tours à Bordeaux. Cette nouvelle ligne de TGV permet ainsi de relier Bordeaux et Paris en deux heures, mais également Bordeaux et Angoulême en trente-cinq minutes. Ce contrat, qui court sur la période 2016-2020, s’articule autour de quatre thématiques : la culture, notamment en termes d’image et de tourisme, l’activité vini-viticole, l’e-santé et le développement de quartiers d’affaires autour des gares TGV1. Trois autres contrats du même type ont été signés depuis. Des contrats ont été passés avec Libourne en 20172 et Saintes en 2018 pour développer l’activité économique et les transports entre Bordeaux et ces deux villes. Un dernier contrat a été signé en 2018 entre Bordeaux métropole et Marmande basé en grande partie sur le développement de circuits alimentaires3. Ces contrats montrent une stratégie de la part de Bordeaux métropole de se rapprocher de certaines communes, mais il s’agit de communes d’une taille plutôt moyenne et parfois situées assez loin de Bordeaux, notamment dans d’autres départements. Elle révèle une volonté d’ouverture de Bordeaux métropole, mais vers des territoires sélectionnés pour leur bonne situation économique, comme Libourne actuellement en développement, ou parce qu’ils représentent des bassins d’emplois et de populations. Or, certaines de ces communes comme Angoulême ou Saintes ne sont même pas intégrées à l’aire urbaine de Bordeaux. Ainsi, la métropole délaisse des territoires plus proches géographiquement ou culturellement et intégrés à l’aire urbaine de Bordeaux, par manque d’intérêt économique.

3. Le département, sauveur des territoires oubliés de la métropole ? Les mesures de décentralisation décidées ces dernières décennies ont profité aux régions, aux métropoles, aux intercommunalités et aux communes. Le département fut la couche du millefeuille territorial laissée de côté, si bien qu’il paraît aujourd’hui presque superflu. Cas unique en France, la métropole de Lyon a même récupéré les compétences du département sur son territoire, amputant le département du Rhône d’une partie de son territoire et d’une grande partie de sa population. Il a même été question à un moment de transférer par défaut à toutes les métropoles les compétences du département, sans que cela ne se concrétise. L’hypothèse que les départements abritant des métropoles pourraient trouver comme nouveau rôle de défendre les intérêts de ces territoires a également vu le jour (Charmes et Fitria, 2014). Si des relations existent au sein du département entre la métropole et ces territoires, notamment via les 1

Voir article La Tribune du 20/03/2018 : « Bordeaux et Angoulême se construisent un destin commun autour de la LGV » https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-03-20/bordeaux-et-angouleme-se-construisent-un-destincommun-autour-de-la-lgv-772402.html

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Voir article La Tribune du 20/03/2018 : « Libourne Inside : comment la Cali veut profiter de l’attractivité de la métropole bordelaise »

https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-03-20/libourne-inside-comment-la-cali-veutprofiter-de-l-attractivite-de-la-metropole-bordelaise-772485.html

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Voir article La Tribune du 11/10/2018 : « Coopération territoriale : Bordeaux métropole signe avec Saintes et Marmande » https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-10-11/cooperation-territoriale-bordeaux-metropole-signeavec-saintes-et-marmande-793558.html


mouvements pendulaires des travailleurs se rendant tous les jours dans la métropole où se trouve leur emploi, le dialogue est parfois inexistant. En effet, la métropole ne souhaite pas forcément « s’encombrer » des attentes de ces territoires et leurs habitants quand ces derniers ne souhaitent pas non plus traiter avec la métropole, de peur de perdre de leur autonomie et être ingérés par « l’ogre » que peut représenter pour eux la métropole (Vanier, 2015). Il faut effectivement remarquer que les rapports de force sont déséquilibrés et en défaveur d’une commune ou d’une petite communauté de commune de quelques milliers d’habitants lorsqu’il s’agit de négocier avec une métropole de plusieurs centaines de milliers d’habitants. Eric Charmes et Arie Fitria notent aussi que, dans le schéma actuel, les régions pourraient préférer favoriser les métropoles, où se concentrent habitants, emplois et richesses. Revenons à notre étude de la métropole de Bordeaux et des territoires environnants. C’est cette direction que le département de la Gironde a prise au travers de contrats bilatéraux passés avec des petites communes départementales. Le département vient ainsi jouer un rôle de contrepouvoir face à la métropole. Ces contrats ont été appelés des contrats de « ville d’équilibre ». La terminologie « ville d’équilibre » vient rappeler celle des « métropoles d’équilibre » employée dans les années 1960 et 1970 au début du mouvement de décentralisation depuis Paris vers les grandes villes de province pour mieux partager les richesses sur le territoire. Le département semble ici vouloir reproduire ce schéma à plus petite échelle. Le département de la Gironde a mis en place des contrats avec Libourne et Lesparre pour commencer4, mais d’autres communes telles que Blaye, Créon, La Réole ou encore Langon pourraient en bénéficier également5. Ces contrats visent à rééquilibrer le territoire en finançant des projets locaux de développement économique et de redynamisation via des équipements notamment. Le choix du département s’est notamment porté sur des territoires en difficultés. En effet, son contrat avec Lesparre vise à aider l’ensemble du Médoc, connu pour être en grandes difficultés sociales et économiques. On remarque que Bordeaux métropole et le département ayant tous deux signés des contrats bilatéraux avec Libourne, l’on peut se demander si les deux institutions ne vont pas entrer en concurrence dans leurs liens avec cette commune.

Ainsi, aujourd’hui Bordeaux ne prête que peu d’attention aux territoires environnants et préfère afficher une volonté de coopération avec des villes plus lointaines car représentant un intérêt économique. Cependant, la situation pourrait évoluer à la lueur de changements dans la perception de la métropole de Bordeaux et de sa situation. Avant plébiscitée, elle se retrouve de plus en plus critiquée pour diverses problématiques relatives à la qualité de vie et à l’accès au logement. Ainsi, le nombre de citadins allant s’installer dans les territoires ruraux entourant la métropole, par choix ou par contrainte économique, pourrait augmenter, renforçant encore les liens d’interdépendance entre métropole et périphérie. Le rapport de force pourrait-il alors se rééquilibrer entre la métropole et les territoires environnants ? La collaboration affichée entre 4

Voir article La Tribune du 26/07/2018 : « Inégalités territoriales : Libourne et Lesparre-Médoc, premières « villes d’équilibre » de Gironde » https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-07-26/inegalites-territoriales-libourne-et-lesparre-medocpremieres-villes-d-equilibre-de-gironde-785774.html

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Voir article La Tribune du 08/01/2018 : « Le soutien aux villes d’équilibre, priorité de la Gironde pour 2018 » https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-01-08/le-soutien-aux-villes-d-equilibre-priorite-de-lagironde-pour-2018-763811.html


Bordeaux et Libourne ne serait-elle pas une conséquence de la prise de conscience par Bordeaux de l’importance de ces territoires pour elle ? Pour aller plus loin dans ce sujet, l’une des pistes pourrait être de se fixer sur l’étude de cas d’une commune périurbaine comme Libourne et se pencher concrètement les liens économiques, culturels et en termes de mobilités des habitants qui la lient à Bordeaux métropole, ainsi qu’observer les actions engendrées par les contrats de réciprocité. Il pourrait aussi être intéressant d’interroger des élus de la commune et de la métropole pour confronter les différents points de vue avec les observations réalisées.

Bibliographie -

Berger, M. 2013. « Entre mobilités et ancrages : faire territoire dans le périurbain », Métropolitiques. https://metropolitiques.eu/Entre-mobilites-et-ancrages-faire.html

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Berkowitz, H. 2018. « Les « gilets jaunes » ou comment remédier au vide organisationnel », Les Echos. https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/les-gilets-jaunes-ou-comment-remedierau-vide-organisationnel-238279

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Charmes, E. et Fitria, A. 2014. « Le département, futur représentant du périurbain ? », Métropolitiques. https://metropolitiques.eu/Le-departement-futur-representant.html

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Didier Fèvre, C. 2019. « Aux frontières de la métropole lyonnaise : des espaces périurbains à géométrie variable », ENS Lyon. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/lyonmetropole/articles-scientifiques/espaces-periurbains-lyon

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Doré, G. 2020. « Quelles coopérations entre les métropoles et les territoires voisins ? », Métropolitiques. https://metropolitiques.eu/Quelles-cooperations-entre-les-metropoles-et-les-territoiresvoisins.html

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Godier, P., Oblet, T. et Tapie, G. 2018. L’éveil métropolitain : L’exemple de Bordeaux, Antony : Editions du Moniteur.

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Lévy, J. 2019. « L’abandon des territoires périurbains est une légende », La Gazette des communes. https://www.lagazettedescommunes.com/603895/jacques-levy-labandon-desterritoires-periurbains-est-une-legende/

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Peugny, C. 2018. « Les classes sociales n’ont jamais disparu. Avec les « gilets jaunes », elles redeviennent visibles », Le Monde.


https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/13/les-classes-sociales-n-ont-jamaisdisparu_5396874_823448.html -

Vanier, M. 2015. « Réforme territoriale et espace rural », CAIRN. https://www.cairn.info/revue-pour-2015-4-page-147.htm

Liens complémentaires -

https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/le-journal-des-idees-dumercredi-12-decembre-2018 https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-10-11/cooperation-territorialebordeaux-metropole-signe-avec-saintes-et-marmande-793558.html https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-03-20/libourne-inside-comment-lacali-veut-profiter-de-l-attractivite-de-la-metropole-bordelaise-772485.html https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-03-20/bordeaux-et-angouleme-seconstruisent-un-destin-commun-autour-de-la-lgv-772402.html https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-01-08/le-soutien-aux-villes-dequilibre-priorite-de-la-gironde-pour-2018-763811.html https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2018-07-26/inegalites-territorialeslibourne-et-lesparre-medoc-premieres-villes-d-equilibre-de-gironde-785774.html https://www.gironde.fr/espace-presse/le-departement-de-la-gironde-lance-lespremiers-contrats-de-ville-d-equilibre-avec


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