Quel devenir pour les villages ruraux dans un contexte d'affirmation des métropoles françaises ?

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Séminaire « Repenser la métropolisation » / Article – Semestre 7
 Raphaël Sadourny

Quel devenir pour les villages ruraux dans un contexte d’affirmation des métropoles françaises ? Introduction : l’image de la ruralité Depuis la fin des années 1960, on constate un phénomène d’attraction se concentrant autour des plus grandes métropoles, qui peut s’expliquer par le grand nombre d’offres d’emplois et de services qu’elles proposent. La France reste cependant caractérisée par sa faible densité. Les espaces ruraux représentent approximativement 70% du territoire et près de deux tiers des communes. On assiste pourtant à une forme de perte de reconnaissance de ces territoires par les gouvernances. En effet pour l’INSEE, la notion d’espaces à dominante rurale n’existe plus, remplacée par la catégorie « Communes isolées hors de l’influence des pôles urbains ». Statistiquement, les territoires ruraux ne s’expliquent plus que par leurs relations aux villes. Fait paradoxal de dire que 95% de la population française vie sous l’influence des villes, tandis que 75% des bassins de vie sont en réalité ruraux (Bontron, 2015). La définition que fait l’INSEE de la ruralité illustre parfaitement le sentiment de relégation des habitants des communes rurales face aux métropoles. Nous pouvons cependant nuancer en évoquant le fait que les espaces ruraux suscitent des perceptions multiples. Une relation de proximité aux métropoles aurait tendance à influencer favorablement la perception que l’on se fait de ces dernières. Au contraire, les territoires plus éloignés en auraient une vision plutôt négative1. Jusqu’à il y a peu, l’image que les métropolitains se faisaient de la ruralité était encore péjorative, souvent associée à un endroit éloigné des grandes villes, peu peuplé, où l’offre de services est presque inexistante. Cette vision a peut-être changé avec la propagation de la COVID-19, et la mise en place des confinements successifs, redonnant une attractivité aux communes rurales, où il est plus facile d’avoir accès à un extérieur. Les urbains sont également attirés par les valeurs du monde rural. Valeurs qui ont tendance à disparaitre selon Philippe Dubourg (2014) et son concept du « nouveau village » où « les anciennes solidarités ont en partie volé en éclats » suite à l’arrivée des urbains dans les petites communes. Le sujet de cet article portera donc sur les relations qu’entretiennent l’urbain et le rural. Est-il toujours question d’une opposition entre ville et campagne ? Ou l’espoir d’une possible alliance existe-t-il ? Pour se faire, nous définirons dans un premier temps le rôle et les menaces des Communautés de Communes, puisque que c’est à cette échelle que tout se joue pour les communes rurales. Nous aborderons ensuite la place des métropoles dans la gestion territoriale, et le rapport qu’elles entretiennent avec les Communautés de Communes. Nous étudierons enfin le cas de la Communauté de Communes des Coteaux et Landes de Gascogne, située dans le Lot-et-Garonne.

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Rapport du groupe « Ruralités » Université de Nantes : La ruralité à’épreuve de la métropolisation : Analyse des relations entre la métropole nantaise et les territoires ruraux, périurbains et littoraux, 2018. https://www.institutkervegan.com/actualite/ruralite-metropolisation/


1. L’intercommunalité : une politique à double tranchant La Communauté de Communes (CDC) créée par la Loi 92-125 en 1992, a pour objectif d’associer des communes au sein d’un espace de solidarité en vue de l’élaboration d’un projet commun de développement. Sa mission est de gérer deux compétences obligatoires, à savoir, l’aménagement de l'espace pour la conduite d'actions d'intérêts communautaires et l’action de développement économique. Elle est également en charge d’autres compétences qui sont définis par l’ensemble des communes la constituant2. On assiste cependant, depuis la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités, au passage d’une intercommunalité conçue pour faire à plusieurs ce que les communes ne pouvaient faire seules, à une intercommunalité qui agit à la place des communes (Bricault, 2012). Les acteurs locaux sont dotés de ressources inégales et occupent des fonctions hiérarchisées au sein du conseil communautaire. Certains subissent les décisions davantage qu’ils ne les prennent. Nous pouvons donc affirmer que l’encouragement de l’intercommunalité mène à des dérives écartant « l’humble citoyen de base » et le « modeste élu rural » des décisions prisent sur leurs territoires. (Dubourg, 2014). En effet, les CDC s’imposent aujourd’hui comme les acteurs principaux de l’action publique locale. Les dirigeants des Communautés de Communes ne sont pourtant pas élus au suffrage direct. Le mode de désignation des élus communautaires crée donc une séparation entre l’espace de représentation du politique, et l’espace de prise de décision souvent réalisée à huit-clos, par conséquent éloignée des citoyens (Le Saout, 2012). Par la prise de pouvoir des Communautés de Communes, les maires ruraux n’ont plus vraiment les moyens d’agir, et l’identité de leurs communes « historiques » se retrouve fortement mise à mal. Pourtant, le concept de mutualisation qui repose sur la mise en commun de moyens, aussi bien financiers, humains, patrimoniaux ou techniques, permet de répondre à des besoins et des objectifs collectifs. Cet aspect de la mission originelle des CDC semble pourtant essentiel aux communes rurales pour qu’elles puissent survivre face au phénomène de métropolisation. La mutualisation est positive à condition qu’elle reste liée à l’idée de collaboration, ainsi qu’à la notion de confiance et de réciprocité dans les échanges (Marin, 2014). Nous avons pu voir que les communes rurales se retrouvent d’une certaine manière prise au piège à une première échelle, celle de l’intercommunalité, qui constitue en quelque sorte la première couche d’un millefeuille institutionnel face auquel les villages peinent à s’affirmer. De plus, et ce depuis quelques années, un nouvel acteur entre en jeu dans la gestion territoriale : la métropole. Nous nous intéresserons dans cette seconde partie aux rôles que tiennent les grands pôles urbains au sein de la gouvernance des territoires, ainsi qu’aux relations qu’ils entretiennent avec les intercommunalités rurales. 
 2. Les relations entre Métropoles et Communautés de Communes : une reproduction des conflits entre les villages ruraux et l’intercommunalité à une autre échelle ? Comme la CDC, la métropole est un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant plusieurs communes dont l’objectif est d’élaborer un projet d'aménagement et de 2

La communauté de communes - Le site emploi des collectivités territoriales URL : https://www.emploi-collectivites.fr/communaute-communes-intercommunalite-blog-territorial


développement du territoire. Elle intervient sur divers aspects aussi bien économique, écologique, éducatif, culturel et social, afin d'améliorer la cohésion et la compétitivité et de concourir à un développement durable et solidaire du territoire régional. Sa création date de 2010 par la Loi de réforme des collectivités territoriales qui a pour objet d'adapter les structures à la diversité des territoires en favorisant le développement et la simplification de l’intercommunalité. Son statut a été remanié en 2014 par la Loi de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles, dit Loi MAPAM. Cette loi est cependant critiquée de manière virulente par les acteurs ruraux, qui dénoncent la place trop importante accordée aux métropoles, et une forme de confiscation de la parole citoyenne. La définition de la métropole telle qu’elle est fixée dans la loi porte une représentation de l’action publique dominante, méprisante et annexante. Elle donne également l’impression d’un Etat favorable aux grands pôles urbains, laissant à l’écart les préoccupations du monde rural (Faure, 2012). Pour le devenir des petites communes, il est impératif que les populations et les territoires ruraux soient intégrer dans les réflexions à grande échelle. En effet, le rural a beaucoup à apporter à l’urbain (production alimentaires, énergies vertes, tourisme). Cependant, cette intégration ne doit pas être à l’origine d’une relation dissymétrique, mais source de cohérence et d’interdépendance entre l’urbain et le rural (Jousseaume, 2017). Des tentatives de coopérations entre urbain et rural voient le jour depuis quelques années. En effet, en 2015, le Comité interministériel aux ruralités a introduit la notion de « contrats de réciprocité » entre les territoires ruraux et les métropoles. Il s’agit là d’appuyer la signature de contrats paritaires entre un territoire rural et une grande ville, afin de favoriser les interactions dans différents domaines : santé, développement économique, mobilités. Cependant, ces contrats de réciprocité, aussi louables soient-ils, montrent rapidement leurs limites. Les métropoles auraient tendance à ne prendre en compte qu’une partie de leurs territoires d’influence, celle avec qui ils leurs semblent le plus profitable de traiter, laissant de côté les autres territoires voisins. Les métropoles sont également davantage tentées de se préoccuper du financement de leurs politiques et de la gestion de leurs propres problèmes, et laissent ainsi passer au second plan la solidarité avec leurs territoires d’influence. On constate également que la solidarité horizontale repose majoritairement sur le plan de la gouvernance plutôt que sur celui de la redistribution financière entre les collectivités (Doré, 2020). Les contrats de réciprocité ont donc une fonction de sensibilisation qui passe par la reconnaissance des différences entre ville et campagne, et de leur indéniable complémentarité. Cependant, les inégalités entre les territoires urbains et ruraux persistent toujours. Les communes rurales se retrouvent prise dans ce rapport de force entre Métropoles et Communautés de Communes, encore une fois sans grande possibilité d’intervenir dans les interactions. À croire qu‘elles sont condamnées à subir les décisions qui viennent d’en haut, et demeurer passives dans ce millefeuille administratif.

3. Le cas de la Communauté de Communes des Coteaux et Landes de Gascogne Prenons pour cas d’étude la Communauté de Communes des Coteaux et Landes de Gascogne (3CLG) qui illustre parfaitement certains points énoncés précédemment. Cette intercommunalité se situe dans le Lot-et-Garonne, entre les métropoles de Bordeaux et de Toulouse, dont elle est éloignée géographiquement. Elle en subit pourtant l’influence, notamment sur les domaines de l’emploi, et de l’offre de services. La 3CLG a été créée par arrêté préfectoral en 1961, et est composée de 27 communes. Elle fait également partie du Pays Val de Garonne Guyenne Gascogne,


composé de quatre intercommunalités : Val de Garonne Agglomération, la CDC du Pays de Lauzun, celle du Pays de Duras et elle-même. D’après son président Raymond Girardi, l’image négative de la ruralité dans la conscience populaire des français a radicalement changé en l’espace de quelques années. De l’image d’un territoire modeste avec un développement socio-économique faible, on observe aujourd’hui une appréciation beaucoup plus positive et dynamique. L’attrait des paysages ruraux est devenu un élément très recherché par l’ensemble des Français3 . Ce phénomène a été exacerbé par la récente épidémie de COVID-19. Comme énoncé plus tôt, cette intercommunalité entretient des liens avec les métropoles rendus complexes par l’éloignement géographique. Son enjeu majeur réside donc dans le fait de s’autonomiser, entendons par là qu’elle doit répondre à tous les besoins de ses habitants par ellemême. A l’image de nombreuses intercommunalités rurales, les élus ont pour ambition de continuer à faire de ce territoire modeste, un territoire riche dans tous les domaines : social, économique, associatif, culturel. La politique de la 3CLG promeut également l’artisanat local et les commerces de proximités, en s’associant notamment à la chambre des métiers et de l’artisanat. L’économie productive se concentre principalement dans les métropoles, bénéficiant des flux rapides dans un soucis d’économie géographique. Tandis que se développe souvent une économie résidentielle dans les territoires ruraux, opposant des pôles ultra-connectés à l’économie mondiale face à des territoires laissés pour compte. La combinaison gagnante pour permettre aux espaces ruraux de s’affranchir des métropoles réside donc dans le fait d’associer cette attractivité résidentielle à des activités productives (Doré, 2008). Il semblerait que la Communauté de Communes Coteaux et Landes de Gascogne l’ait bien compris. Cependant, malgré le fait de s’associer entre villages ruraux pour résister à une métropolisation écrasante, il semblerait que certains d’entre-eux soient laissés de côté et moins bien dotés que d’autres. En effet, les plus gros projets se concentrent dans la commune la plus importante de l’intercommunalité. La majorité des budgets lui est donc allouée, au détriment des plus petits villages. 
 À une autre échelle, celle du Pays Val de Garonne Guyenne Gascogne, d’autres rivalités apparaissent. Val de Garonne Agglomération se positionne comme leader en signant en 2018 un protocole de coopération. Les limites des contrats de réciprocité s’illustrent parfaitement ici. En ne traitant qu’avec une seule des intercommunalités constituant le Pays, la métropole Bordelaise relègue les trois autres au second plan. Il semble pourtant que l’interdépendance entre urbain et rural serait tout autant bénéfique pour l’un comme pour l’autre. Si les intercommunalités rurales ne peuvent s’allier aux métropoles, il ne leur reste pour seule option que de se prendre en charge toutes seules. Pour que l’action territoriale soit viable, les espaces urbains ont nécessairement besoin des ressources dont disposent les territoires ruraux, et inversement. Le monde rural doit pouvoir compter sur les qualités des métropoles. Cette notion d’interdépendances est indéniable. Cependant, on a pu observer que le millefeuille institutionnel, qui opère à plusieurs échelles, étouffe les plus petites communes qui peinent à s’affirmer dans ce contexte de métropolisation. Chaque intercommunalité a ses propres caractéristiques et il n’existe pas de modèle type. En fonction de sa 3

Site internet de la Communautés de Communes des « Coteaux et Landes de Gascogne » URL : http://www.cc-coteaux-landes-gascogne.fr


localisation, en périphérie d’un pôle urbain, ou à l’inverse plus éloignée, les enjeux diffèrent légèrement. Mais des objectifs communs se dessinent : l’attractivité et la compétitivité ainsi que la préservation d’une identité qui leur est propre. On peut alors se demander si la mutualisation et la coopération peuvent être bénéfique à l’affirmation des villages ruraux ou si elles ne sont simplement que source de conflits et de domination ?

Le sujet de mon mémoire portera donc sur la question de l’interdépendance entre les territoires urbains et ruraux, et de leur possible alliance pour tendre vers un système plus viable dans un contexte de transition écologique. Il traitera également de la place et du devenir des petits villages ruraux dans la conjoncture actuelle. Pour se faire, nous travaillerons sur le cas de la Communauté de Communes des Coteaux et Landes de Gascogne, que nous avons évoqué précédemment. Il pourrait être intéressant de questionner, aussi bien les élus que les habitants, sur les rapports qu’ils entretiennent avec la métropole bordelaise, ainsi que sur l’idée qu’ils se font concernant le devenir de leur territoire.

Bibliographie Articles : - Bontron, J-C. 2015. « La dimension statistique de la ruralité : Une manièe de lire les représentations et les évolutions du rural », Pour, n° 228, p. 57-67. https://www.cairn.info/revue-pour-2015-4-page-57.htm - Bricault, J-M. 2012. « L’administration des espaces ruraux à l’heure de la rationalisation », Revue française d'administration publique, n° 141 | p. 55-71. https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration- publique-2012-1-page-55.htm - Cadiou, S. 2012. « L’intercommunalité ou les promesses déçues de la démocratie locale », Métropolitiques. http://www.metropolitiques.eu/L-intercommunalite-ou- les.html. - Desage, F. & Guerenger, D. 2013. « L’intercommunalité, les maires et notre démocratie », Métropolitiques. http://www.metropolitiques.eu/L-intercommunalite-les- maires-et.html.

- Doré, G. 2008. « Attractivité retrouvée des zones rurales : Atouts et risques de l’économie résidentielle », Pour, n° 199, p. 60-68. https://www.cairn.info/revue-pour-2008-4-page-60.htm


- Doré, G. 2020. « Quelles coopérations entre les métropoles et les territoires voisins ? », Métropolitiques. https://metropolitiques.eu/Quelles-cooperations-entre- les-metropoles-et-les-territoires-voisins.html. - Dubourg, P. 2014. « La ruralite est-elle archaique ? », Metropolitiques. http://www.metropolitiques.eu/La-ruralite-est-elle-archaique.html

- Faure, A. 2012. « Changer sans perdre : Le dilemme cornélien des élus locaux », Revue française d'administration publique, n° 141, p. 99 -107. https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration- publique-2012-1-page-99.htm - Jousseaume, V. 2017. « La metropole peut-elle s’allier sans dominer ? Recit pour une nouvelle alliance ville-campagne », Pouvoirs Locaux, n°111, dossier « L’alliance des territoires »

- Le Saout, R. 2012. « L’intercommunalité: vingt ans de développement et des interrogations », Métropolitiques. http://www.metropolitiques.eu/L-intercommunalite-vingt- ans-de.html.

Thèse : Marin, Pierre. 2014. Analyse des effets des pratiques de mutualisation sur la performance des organisations publiques locales : le cas des Services départementaux d’incendie et de secours, Thèse de doctorat en sciences de gestion, École doctorale sciences sociales et humanités de Pau. Rapport : N.Boury, L.Desvergne, N.Dujour, E.Gabo, B.Gruchet, G.Valadour Responsable pédagogique : Thierry Guineberteau Institut Kervégan - La ruralité à’épreuve de la métropolisation : Analyse des relations entre la métropole nantaise et les territoires ruraux, périurbains et littoraux , 2018 https://www.institut-kervegan.com/actualite/ruralite-metropolisation/ Liens complémentaires : La communauté de communes - Le site emploi des collectivités territoriales (s.d) URL : https://www.emploi-collectivites.fr/communaute-communes-intercommunalite-blogterritorial La Communautés de Communes des « Coteaux et Landes de Gascogne » (s.d) URL : http://www.cc-coteaux-landes-gascogne.fr


LE PAYS VAL DE GARONNE GUYENNE GASCOGNE (s.d) URL : https://www.vg-agglo.com/les-projets-structurants/notre-pays/le-pays-val-de-garonneguyenne-gascogne/


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