tabula_4/2003 Epicé pour les gars, doux pour les filles

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N o 4 / octobre 2003

TABULA REVUE DE L’ALIMENTATION

Epicé pour les gars, doux pour les filles

SCHWEIZERISCHE VEREINIGUNG FÜR ERNÄHRUNG ASSOCIATION SUISSE POUR L’ALIMENTATION ASSOCIAZIONE SVIZZERA PER L’ALIMENTAZIONE


SOMMAIRE

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REPORTAGE Hommes et femmes mangent différemment: leurs habitudes et leurs préférences respectives

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SPECIAL Troubles alimentaires: pourquoi les femmes y sont plus exposées

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DIDACTIQUE Le bétacarotène

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CONSEILS Les conseils nutritionnels d’Esther Infanger

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ACTUALITE Paradoxe: les habitants des EtatsUnis mangent moins gras et continuent quand même de grossir

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A LA LOUPE La choucroute

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LIVRES Lus pour vous

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ENTRE NOUS Informations aux membres de l’ASA

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MEMENTO Manifestations, formations continues

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DESSIN Marcher au pas n'est pas du goût de tout le monde

PAGE DE COUVERTURE

PHOTO: IMAGEBANK/STEFAN WALCHENSTEINER

IMPRESSUM TABULA: Revue trimestrielle de l’Association suisse pour l’alimentation (ASA) Editeur: ASA, Effingerstrasse 2, 3001 Berne, tél. 031 385 00 00 Rédaction: Andreas Baumgartner E-mail: a.baumgartner@sve.org Comité de rédaction: Marianne Botta Diener, Gabriele Emmenegger, Gabriella Germann, Sylvia Schaer, Silvia Gardiol, Pr Paul Walter Conception: ASA/Andreas Baumgartner Impression: Staempfli SA, Berne

EDITORIAL

Panse virile Dans mon cercle de connaissances, il n'y a, semble-t-il, que les femmes qui se jugent trop grosses. En tout cas, elles se plaignent en permanence de leur silhouette. En revanche, les hommes vont bien. «Car à partir de 30 ans, une petite brioche convient bien à l'homme», assurent-ils. On conclura donc tout naturellement que les femmes souffrent plus que les hommes de surcharge pondérale. Pourtant, Marianne Botta c'est faux. En Suisse, un homme sur trois a des Diener est ingénieure kilos en trop contre une femme sur cinq. diplômée EPTZ en nutrition. Elle a son C'est une raison suffisante pour entreprenpropre cabinet de dre quelque chose contre cet état de fait. De conseils à Riggisberg. nombreuses femmes, il est vrai, accumulent Elle est membre de la les graisses superflues autour des hanches, commission de comme il est naturel pour leur silhouette qui rédaction de TABULA les fait appartenir au genre «poire»; les auquel elle contribue hommes, en revanche, avec leur petit bedon, régulièrement. versent dans le genre «pomme». Or c'est précisément cette seconde catégorie qui pose un problème de santé car elle se révèle plus sujette aux maladies cardio-vasculaires et au diabète. Les hommes enveloppés encombrent-ils pour autant les cabinets de conseils en nutrition? Que nenni. A moins que leur médecin ne leur prescrive de revoir leur alimentation de fond en comble, par exemple à la suite d'un infarctus. Dans ce cas-là, le patient vient souvent avec sa compagne qui multiplie les interventions et les questions. Pour toutes sortes de raisons dont la moindre n'est pas le sentiment de culpabilité qui la hante: si, dès le départ, elle avait apprêté une autre cuisine pour son compagnon, il ne serait pas tombé malade. En toute logique, dès ce moment-là toute la famille va se nourrir comme on le lui prescrit. Un soutien dont les femmes qui veulent perdre du poids ne peuvent que rêver. En revanche, les femmes souffrent énormément quand elles ont du ventre. Sauf quand elles sont enceintes, bien sûr. Des études montrent qu'il n'est pas rare, alors, de voir les deux membres du couple se solidariser. Leur ventre s'arrondit en même temps, en moyenne de quatre kilos de graisse par grossesse vécue en symbiose. Mon mari s'en est tenu strictement à ces chiffres-là, quand bien même involontairement. Ce qui, je l'avoue, m'a rempli d'une joie maligne. Alors, comme je suis, dans le fond de moi-même, une brave épouse attentive à son homme, je lui ai fait chaque fois une cuisine si saine qu'il a éliminé ses kilos superflus. TABULA N O 4 / OCTOBRE 2003

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REPORTAGE

PHOTO: STONE/STEFAN WALCHENSTEINER

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Jörg Zittlau a suivi des études de philosophie, de sociologie et de médecine du sport. Il a enseigné et fait des recherches dans de hautes écoles d'administration de l'état de santé des fonctionnaires. Depuis 1992, il travaille comme journaliste scientifique indépendant dans les domaines de la psychologie et de l'alimentation.

Les femmes mangent autrement. Les hommes aussi. Dans une saynète du comique Loriot, on peut entendre: «Les hommes et les femmes ne s'accordent tout simplement pas.» S'agissant de leur alimentation, rien n'est plus vrai. Dans aucun autre domaine de la vie de tous les jours les préférences et les habitudes des deux sexes ne divergent pareillement. Hommes et femmes boivent et mangent de manière radicalement différente. Mais cet état de fait tient moins à leurs dissemblances biologiques qu'à d'antiques traditions et préjugés. PAR JÖRG ZITTLAU

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n simple coup d’œil dans la rue et les endroits publics allemands suffit à s’en rendre compte: les femmes et les hommes mangent autrement. Que voit-on, au juste? Des femmes qui sirotent à petites lampées des verres d’eau et de vin tandis que les hommes boivent à larges rasades de la bière et de l’alcool. Dans les restaurants végétariens, on entend surtout des voix féminines tandis que les bistrots à steaks retentissent des sons de barytons. En revanche, question chocolat, les femmes ont la dent légère, certaines d’entre elles préférant même ces douceurs à celles de l’amour. Les hommes, en revanche, se gavent de saucisses et de pizzas bon marché sur le pouce. Ils se comportent alors en mangeurs de fast-food, au sens propre du terme, en engloutissant un repas de 800 calories en moins de dix minutes. Malgré son scepticisme de départ, une équipe de télé d’Allemagne de l’ouest a bien dû admettre que la différence d’habitudes alimentaires entre hommes et femmes ne relevait pas de la légende. Un jour durant, les reporters ont pris position à la gare de Cologne, d’une part devant un débit de nourriture végétarienne, d’autre part devant un stand à saucisses. Résultat: les clients masculins friands de charcuterie représentaient 75%, ceux du végétarien 39% seulement. Même constat à la caf’ de l’uni de Cologne: à midi, 57% des étudiantes mais seulement un tiers des étudiants mangent sans viande. Les scientifiques confirment ces différences entre sexes. Des enquêtes du Bureau allemand des statistiques attestent que les hommes, en mangeant 70 g de


PHOTO: CHRISTIE’S IMAGE (HENDRICK GOLTZIUS 1616)

viande en moyenne par jour contre 80 g de légumes, font tout pour augmenter leur taux de cholestérol et d’acide urique. Les femmes, au contraire, en consommant 100 g de légumes par jours, plus quantité d’épices et d’herbes, prennent davantage garde à leur apport de vitamines. Cette tendance est corroborée par l’étude Nutri Trend de 2000. Selon elle, les femmes mangent plus souvent des fruits et des légumes que les hommes, mais n’en restent pas moins en deçà des cinq portions journalières recommandées. Des enquêtes confirment que les femmes ne veillent pas à se nourrir plus sainement comme ça, en passant, mais qu’elles le font très consciemment. Et qu’elles tiennent compte de l’aspect hygiénique de leur alimentation plus nettement que les hommes. Il y a quelques années, quand la crise de l’ESB a secoué l’Europe tout entière, ce sont les femmes qui ont totalement renoncé à la viande de bœuf et ont appliqué cette stratégie pendant de longues années. Les hommes, en revanche, n’ont consenti qu’un court instant à faire un trait sur leurs chères côtelettes et leurs steaks adorés. Puis ils sont rapidement revenus à leurs vieilles habitudes carnivores. Néanmoins, bien qu’elle mangent davantage de fruits et de légumes, les femmes n’arrivent pas toujours à couvrir leurs besoins en vitamines. Selon une récente étude de l’Institut Robert Koch, seules 59% d’entre elles absorbent leur ration quotidienne d’acide folique de 0,4 mg. Un déficit non négligeable surtout quand on envisage une grossesse car l’acide folique a un effet protecteur sur la croissance de l’embryon.

Les facteurs biologiques Même si le comportement alimentaire de l'homme et de la femme est essentiellement déterminé par l'environnement social, il y a naturellement des facteurs biologiques dont il faut tenir compte.

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es régimes rendent les hommes mous. Car chez eux, les cures d'amaigrissement provoquent une baisse de la production de testostérone. Résultat: après un régime, les hommes paraissent non seulement plus minces mais aussi mous et épuisés. Sans parler de leur libido en pleine débandade par manque de la fameuse hormone. Le sport est le meilleur moyen de maigrir pour les hommes. Pour une récente étude étasunienne (Arch Intern Med, 163; 2003), septante-quatre personnes souffrant de surcharge pondérale ont couru tous les jours pendant seize mois. Au terme de cet exercice, les hommes ont perdu en moyenne 5,2 kilos tandis que les femmes ont simplement conservé leur poids de départ, ce qui n'était déjà pas si mal si on se réfère à un groupe de contrôle sans activité sportive qui, dans le même laps de temps, a pris du poids. Conclusion des spécialistes: les femmes devraient s'entraîner plus durement encore que les hommes pour perdre du poids. L'alcool est particulièrement nuisible aux femmes. En effet, les femmes produisent dans leur estomac moins de déhydrogénase d'alcool responsable d'une première décomposition de l'alcool. C'est pourquoi elle deviennent plus vite saoules. A cela s'ajoute que les alcooliques de sexe féminin souffrent plus rapidement de stéatose et de cirrhose du foie car elles arrivent moins bien à éliminer les acides graisseux dommageables pour le foie. Finalement, l'alcool s'attaque plus vite à leurs artères coronaires. Les femmes sont plus sensibles à l'insuline. A taux d'insuline égal, les femmes intègrent davantage de glucose dans leurs muscles que les hommes. D'un certain point de vue, ça les protège du diabète et de l'artériosclérose. Les femmes supportent mieux de forts taux de cholestérol. Une concentration plus élevée de LDL sur les parois de leurs artères a des effets moins dommageables que sur les artères masculines. Cet état de fait aussi protège les femmes de l'artériosclérose. Après la ménopause, cependant, cette protection tombe en raison des modifications hormonales. Les femmes sont accros aux pilules de vitamines. Ce sont les femmes, surtout, qui achètent des suppléments de vitamines et de sels minéraux sous forme de pilules, de poudres et de compléments nutritifs. Mais pour elles, la même règle est valable: si on mange suffisamment de fruits et de légumes et qu'on varie son alimentation, on n'a pas besoin de suppléments. A une seule exception près: les femmes qui souhaitent avoir un enfant devraient prendre des préparations d'acide folique pour le protéger de certaines malformations.

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REPORTAGE Les femmes mangent autrement. Les hommes aussi.

besoin en protéines serait aussi bien couvert sans viande, surtout à une époque où ils ne partent plus à la chasse munis d’une lance mais passent essentiellement leur journée au bureau. Le plaisir carnassier de l’homme s’explique donc mieux par son côté symbolique. En consommant de la viande, il espère que la force de ce muscle passera en lui. Une idée qui plonge profondément ses racines en lui puisqu’elle remonte aux observations enregistrées par ses ancêtres préhistoriques: les animaux dominateurs comme les aigles, les lions et les léopards se nourrissent uniquement de viande. On leur prête des facultés comme la précision, l’indépendance et l’instinct de tuer, particularités qui collent merveilleusement à l’image qu’il voulait avoir de lui en ces temps reculés, et veut avoir encore aujourd’hui. Voilà pourquoi les hommes non seulement mangent davantage de viande mais aiment aussi bien se profiler comme les rois du steak,

de la côtelette et compagnie. Avez-vous souvent vu, lors d’une grillade en plein air, une femme prendre la tête des opérations? Le fait que les buveurs de thé soient plutôt des buveuses ne s’explique pas, non plus, par des considérations biologiques. Bien au contraire. La plus faible proportion d’eau contenue dans le corps féminin devrait pousser les femmes à s’abstenir d’absorber trop de boissons qui, précisément, évacuent cette eau. A contrario, les hommes sont plus sensibles à la force antioxydante du thé. Une étude japonaise datant de 2000 montre que, chez l’homme, le risque d’artériosclérose peut être réduit jusqu’à 50% s’il boit tous les jours trois à quatre tasses de thé vert. On n’a pas observé le même effet chez les femmes.

Petits fruits doux et méchants Le penchant assez net des femmes pour les douceurs n’a, lui non plus, aucun fondement

biologique. On a mené des essais sur des élèves et on a observé que les garçons mangeaient même des plats aux saveurs douces prononcées que les filles avaient rejetés en raison même de cette douceur. Mais c’est après que les choses se gâtent, que les femmes deviennent des becs à sucre et que les hommes recherchent les saveurs plus relevées. C’est la faute à la société: on console les petites filles avec des douceurs et les petits garçons apprennent que «boys don’t cry». Ce double mécanisme antagoniste se perpétue à l’âge adulte et prend le relais lors des peines de cœur. D’un point de vue purement symbolique, les desserts dégoulinants de douceur et les pralinés d’enfer collent décidément à l’image de la femme, tandis qu’il arrive à l’homme, cet aventurier téméraire, d’avaler sans broncher un piment rouge, et de rentrer bravement ses larmes. En ce qui concerne les douceurs, l’homme se révèle plutôt

Le chocolat, une histoire de femme? On dit les femmes plus accros que les hommes au chocolat. On ne peut, toutefois, adhérer sans autre à cette affirmation.

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n fait, les hommes sont les vrais amoureux du chocolat parce qu'ils aiment particulièrement les saveurs douces-amères, donc le vrai goût du chocolat. Les femmes, en revanche, aiment surtout le côté doux et crémeux des produits à base de chocolat, des chocolats bruns clairs, si possible encore fourrés de massepain ou de nougat. Cela dit, ni en Suisse, ni en Allemagne ni en Autriche on ne peut prouver qu'il y a des différences entre sexes dans les quantités de chocolat consom-

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mées. En Suisse, la statistique arrête sa consommation à douze kilos par année et par tête de pipe. Soit plus du double de ce qu'on observe aux Etats-Unis, et les femmes ne se taillent pas la part du lion. Les différences, néanmoins, porteraient plutôt sur la fréquence. Selon une enquête récente menée par le centre de recherches sur l'environnement et la santé de Munich, les femmes entre 25 et 34 ans mangent du chocolat en moyenne douze

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jours par mois, les hommes seulement neuf. Les vraies gourmandes seraient donc les femmes. Tous ces petits bouts de choc', cependant, ont des répercussions négatives sur leur psychisme alimentaire. Car on ne comptabilise souvent pas ce qui est petit. On entend donc encore et toujours les femmes affirmer qu'«elles n'ont rien mangé de la journée». Elles oublient simplement les petits gestes répétés vers la boîte à pralinés.


SPECIAL

Les femmes plus que les hommes souffrent de troubles de l'alimentation comme la goinfrerie, la boulimie, et l'anorexie. Le nombre d'anorexiques femmes, par exemple, est dix fois plus élevé que celui des hommes. Rien que cela démontre déjà nettement qu'elles sont sujettes à des crises face à la nourriture. Cette inclination, d'ailleurs, on peut l'observer en-dehors des troubles cités plus haut. Les raisons à cela sont multiples. PAR JÖRG ZITTLAU

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n apprend aux femmes, plus souvent qu'aux hommes, à laisser libre cours à leurs sentiments. En soi, c'est un avantage, car elles peuvent ainsi désamorcer leurs tensions psychiques. Mais, d'un autre côté, leur comportement alimentaire s'en trouve plus facilement affecté. Leur degré d'affectation apparaît dans une étude menée par le docteur Gülin Tunali de la clinique médicale de Passau. Il a observé 157 hommes et femmes souffrant d'excès pondéral. En voici les résultats: • Près de la moitié des femmes mangent même quand elles n'ont pas faim. Cette attitude n'est le fait que de 23% des hommes. Les mangeuses sans appétit se laissent aller à leur manie surtout si elles se trouvent en bonne

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ILLUSTRATION: JOYCE HESSELBERTH/IMAGES.COM

Manger pour combler un vide

compagnie autour d'une table. • Les femmes mangent plus souvent par ennui. • Les femmes mangent plus souvent quand elles se sentent seules. Et elles se sentent souvent seules. • Les femmes mangent plus souvent quand elles sont tristes et déçues. • Dans les fêtes, les femmes grignotent davantage que les hommes. • Les femmes mangent plus souvent quand elles sont stressées. Les hommes font le contraire: le stress leur coupe en général l'appétit. • Les femmes plus facilement que les hommes ont mauvaise conscience après avoir mangé. Surtout si c'était des douceurs. L'instabilité prêtée aux fem-

mes dans leur comportement alimentaire a surtout des causes sociologiques et psychologiques. Les femmes sont, dès l'enfance, programmées pour adoucir leur vague à l'âme en mangeant, particulièrement des douceurs. Leur mauvaise conscience vient des modèles de beauté que notre époque leur met sous les yeux, la sveltesse devenant la mesure de toutes choses. S'ajoute le cliché sur le rôle que chacun doit jouer, celui de la femme consistant à maintenir sous contrôle ses poussées sensuelles, au nombre desquelles on trouve leur envie de manger.

Quand les œstrogènes font des vagues Il y a pourtant aussi des raisons biologiques aux perturba-


A LA LOUPE

PHOTO: VSGP/HANSJOERG VOLKART

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En pleine forme pour l’hiver grâce à la choucroute Bien que d'innombrables Suisses, et certainement encore plus d'Allemands, soient persuadés que la choucroute est une invention locale, l'histoire de ce chou fermenté a, en fait, commencé en Chine. Grâce à sa forte teneur en vitamine C, les marins ne sont plus morts du scorbut mais, au contraire, ont pu s'élancer à la conquête des terres lointaines. Non sans disséminer aux quatre coins de la terre et le plat en question et les secrets de sa préparation. En raison de ses effets stimulants sur les intestins et la digestion, la choucroute maison accompagnait souvent le plat bernois et autres charcuteries dans de nombreuses familles. Elle a d'autres vertus, dont celle d'abriter différentes vitamines B, du calcium, du potassium et du fer. Pour compléter ce tableau radieux, de récentes études menées en Finlande lui prête un effet préventif contre le cancer. PAR MARIANNE BOTTA DIENER, INGENIEUR DIPL. EPFZ EN NUTRITION

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ue concocter et servir à des personnalités politiques visitant la Suisse? Quelque chose de typique de ce pays et de ses habitants, bien sûr. C’est à cette occasion que Margaret Thatcher et Bill Clinton ont pu déguster de la choucroute, plat dont le chancelier allemand Helmut Kohl gâtait aussi régulièrement ses invités lors de leur passage dans son pays. Il ne reste plus qu’à espérer que Bill Clinton, François Mitterrand, Mikhaïl Gorbatchev et Margret Thatcher ont vraiment apprécié ce plat. Ça devrait aller de soi si l’on se réfère au petit poème écrit par Wilhelm Busch: «N’est intelligent et sage que celui qui met sa santé en doute! Et pour la conserver, tous les jours mange de la choucroute!» Il va de soi que lors de leur visite en Suisse, on n’a pas servi à nos hôtes illustres que de la choucroute: on l’a intégrée à ce mets typique connu sous le nom de plat bernois qui comprend, outre les choux en question, des pommes de terre, des haricots et de la viande. La tradition populaire voudrait que cette spécialité populaire soit née au soir du 5 mars 1798 quand les troupes bernoises ont mis en déroute les Français près de Neuenegg. Sous les acclamations, les valeureux guerriers se réunirent au restaurant Kreuz à Wohlen. Les femmes du lieu apportèrent alors tout ce qu’il y avait de comestible chez elles. Le patron en fit un gigantesque festin et, depuis lors, le plat bernois fait figure de spécialité typiquement helvétique. «On servait ce plat le dimanche surtout, particulièrement en hiver, rappelle Martin Schwander, maître-charcutier de Riggisberg. A la fin de l’été, on séchait les haricots, en automne, on préparait la choucroute, et quand les paysans bouchoyaient, on avait


De la Chine au monde entier La fierté des Suisses et des Allemands en prendra un sacré coup quand ils apprendront qu’ils ne sont pas les inventeurs de cette préparation consistant à fermenter les choux. La recette en est née il y a plus de deux mille ans en Chine. Les travailleurs qui édifiaient la Grande Muraille ne recevaient rien hormis leur ration quotidienne de riz. Par pure nécessité, ils ont donc complété cette maigre pitance de chou conservé à l’aigre. Quand Gengis Khan a vaincu les Chinois, il n’a pas seulement pillé le pays, il a aussi dérobé la recette du chou aigre. Finalement, elle est arrivée jusqu’en Europe grâce aux hordes mongoles. Les populations occidentales l’adoptèrent sans trop se faire prier. Elle finit

de conquérir les populations quand on prit conscience de ses effets bénéfique. On vit alors revenir indemnes les marins de leurs longs voyages en haute mer: le chou et sa vitamine C les avaient sauvé du scorbut. Alleluia. Quand on établit le lien de cause à effet entre le chou et la disparition du scorbut, plus personne ne prit la mer sans sa ration de chou miraculeux. Le capitaine Cook, dit-on, en était particulièrement friand. Pendant des siècles, paysannes et femmes au foyer se transmirent la précieuse recette de génération en génération. Grâce à la choucroute, à une époque sans frigo, sans importation lointaine de légumes ni de congélateur, elles pouvaient ainsi couvrir leurs besoins hivernaux en vitamines, à côté de celles fournies par les carottes, les betteraves rouges, les pommes de terre, les pommes et les conserves de fruits. La choucroute était pratiquement le seul légume à pouvoir traverser l’hiver sans encombre. IMAGE: NATIONAL LIBRARY OF CANADA

des monceaux de viandes salées à disposition.» Le plat bernois fait donc partie de ces menus basés sur des produits de conservation. Parmi ses composants traditionnels, on trouve de la choucroute, bien sûr, car «sans elle, le plat bernois perdrait son identité, rappelle Martin Schwander, plus des haricots séchés, des pommes de terre nature et de la viande: des côtelettes fumées, du lard, du jambonneau, de la saucisse à la langue, de la langue de bœuf et des petites saucisses de porc.» Un joli choix de viandes dans lequel chacun pourra trouver son bonheur. A la différence de l’estomac de porc cher à Helmut Kohl et réservé plutôt aux gourmands d’un genre particulier. Selon Martin Schwander, cette spécialité carnée est, en fait, composée de dés de tête marbrée, de sang et de jambon mélangés à de la chair à saucisse, le tout fourré dans un estomac de porc. On peut ne pas aimer.

Fabrication industrielle A la fin du XIXe siècle, on a commencé à la fabriquer selon des méthodes industrielles. Aujourd’hui, on trouve dans le commerce les spécialités les plus variées. On a la choucroute crue, la cuite, celle mêlée à des navets marinés, truffée de grains de genièvre et de toutes sortes d’épices, voire d’ananas. A elle seule, la Suisse transforme 1,4 million de choux blancs en choucroute, soit 7000 tonnes. Elle fait, bien sûr, partie intégrante du plat bernois. Mais grâce

L'explorateur et grand voyageur britannique James Cook (1728-1779) fut décoré en 1776 pour sa contribution à la lutte contre le scorbut.

à l’imagination de cuisiniers aux compositions originales, elle a su se faire une petite place au firmament de la haute gastronomie. Le filet de sandre à la choucroute au champagne ou la petite soupe émulsionnée de choucroute aux crevettes en témoignent. Les gourmands soucieux de leur ligne ne sont pas les derniers à saliver à ces énoncés. Ils ont, d’ailleurs, contribué à rendre ce plat rustique digne des plus grandes tables. En Suisse, deux marques sont particulièrement connues. La société de Hinwil Schöni & Masshard et ses filiales de Uetendorf et Rothrist fournit depuis 1920 les grands distributeurs et les supermarchés, tandis que la fabrique Thurnen de Mühlturnen approvisionne surtout les boucheries et charcuteries. Environ 80% de la production arrivent pasteurisés sur le marché, les 20% restants sont frais.

Les apôtres de la santé vantent ses vertus Dans les temps plus anciens, la fabrication de choucroute était particulièrement intéressante car elle permettait de conserver le chou. La notion même de vitamine, et son importance pour la santé, échappaient totalement à une grande partie de la population. En revanche, on prit rapidement conscience de ses bienfaits pour la santé. Dans son ouvrage «So sollt ihr leben», le bon pasteur Kneipp disait de la choucroute qu’elle était «un balai pour l’estomac et les intestins» et «le plus sain de tous les aliments» à manger tous les jours. Selon lui, la choucroute fraîche aidait à se remettre des blessures, des brûlures et des inflammations articulaires. Elle nettoyait et tuait dans l’œuf les germes des maladies. Les mangeurs de choucroute, écrivait Kneipp, vi-

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