tabula_2/2004 On achève bien les vitamines

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N o 2 / avril 2004

TABULA REVUE DE L’ALIMENTATION–WWW.TABULA.CH

On achève bien les vitamines


SOMMAIRE

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REPORTAGE Cuisinez futé! Comment éviter de perdre les vitamines

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SPECIAL Les belles pommes ne sont pas moins saines que les abîmées

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DIDACTIQUE Le phosphore

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CONSEILS Les conseils nutritionnels de Muriel Jaquet

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ACTUALITE Quand on a faim, tout semble meilleur

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A LA LOUPE L'avocat

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LIVRES Lus pour vous

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ENTRE NOUS Informations aux membres de l’ASA

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MEMENTO Manifestations, formations continues

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DESSIN A un rythme d'escargot

PAGE DE COUVERTURE

WALTER WICK/TAXI

IMPRESSUM TABULA: Revue trimestrielle de la Société Suisse de Nutrition (SSN) Editeur: SSN, Effingerstrasse 2, 3001 Berne, tél. 031 385 00 00 Rédaction: Andreas Baumgartner E-mail: info@tabula.ch Internet: www.tabula.ch Comité de rédaction: Marianne Botta Diener, Gabriele Emmenegger, Gabriella Germann, Jean-Luc Ingold, Sandra Voland, P r Paul Walter Conception: SSN/Andreas Baumgartner Impression: Staempfli SA, Berne

EDITORIAL

Il faut préparer en ménageant Aujourd'hui, nous croulons sous les conseils. A tel point qu'à la fin nous ne savons souvent pas ce qui est important et ce qu'il conviendrait de faire. Une chose est sûre: nous devrions tous manger davantage de légumes, car c'est le seul moyen d'absorber les précieuses substances importantes pour notre santé. En l'occurrence, il ne s'agit pas seulement de vitamines, de sels minéraux et d'oligo-éléments, mais Paul Walter est par-dessus le marché d'une large palette de professeur retraité de substances actives d'un point de vue biol'Université de Bâle, logique. Celles-ci sont d'une importance président de la SSN et membre de la comextrême pour notre santé, même si aumission de rédaction de jourd'hui nous n'en connaissons préciséTABULA. ment qu'une infime partie. Parmi les effets reconnus de ces «substances végétales secondaires», il y a l'abaissement du taux de cholestérol dans le sang, la prévention de l'ostéoporose, le renforcement du système immunitaire, le ralentissement de l'apparition du cancer, l'abaissement de la pression sanguine, la prévention des thromboses, la régulation du sucre sanguin, les effets comparables à l'hormone, etc. Ces éléments végétaux secondaires exigent, eux aussi, qu'on les ménage quand on les stocke et qu'on les prépare. Mais, contrairement aux vitamines, on ne peut pas les remplacer par des préparations correspondantes. C'est pourquoi nous devrions porter une attention particulière aux divers conseils que nous donnons dans ce magazine pour traiter avec ménagement les différentes sortes de légumes. Il n'est pas toujours possible de suivre tous ces conseils. Qu'à cela ne tienne, il faut quand même manger les légumes préparés, même si on les a gardés longtemps, même si on les a trop cuits, car ils contiennent encore et toujours quelques traces de ces précieux éléments. Dernier détail non négligeable: en ménageant les produits, on ménage aussi leur goût, et ça, c'est du plaisir pur!

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REPORTAGE

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Des sols non lessivés ou l'agriculture intensive ont pour effet de vider salades et légumes de leurs vitamines et de leurs sels minéraux. La perte de ces précieuses substances commence pourtant, d'abord, dans les magasins, et elle continue surtout lors de la préparation quotidienne des repas. Pour faire bon poids, la plupart des gens ne mangent pas suffisamment de salade, de légumes et de fruits. On sait quelles en sont les conséquencs pour la santé. PAR MARIANNE BOTTA DIENER, INGENIEURE DIPLOMEE ETS EN NUTRITION

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MIKE KOWALSKI/ILLUSTRATION WORK

Vitamines – comment les préserver, comment les épargner

etite scène culinaire ordinaire de l'Helvétie moyenne: tandis que madame effeuille la salade pommée achetée voici trois jours, puis la rince copieusement à l'eau courante, monsieur pèle les pommes de terre, les coupe en petits dés, les lave une nouvelle fois et les cuit à l'eau bouillante salée. Pour ce repas, il y aura encore du poisson et de l'épinard en branches acheté, lui aussi, quelques jours auparavant. Après les avoir bien passés sous l'eau, on fera tomber les épinards dans un peu d'eau. Ensuite, il faudra attendre encore une demiheure avant de passer à table, en laissant les plats au chaud, jusqu’à ce que la fille de la maison arrive. La préparation de ce repas aura exigé bien du travail. Malheureusement, la plus grande partie des micro-nutriments, vitaux pour l'organisme, a été détruite dans l'aventure. Pour avoir attendu trois jours, les épinards et la salade ont perdu 75% de leurs vitamines C. De ce qui restait, une autre partie a filé au moment du lavage. Pareil pour les pommes de terre: environ 80% de cette vitamine fragile ont été sacrifiés.

Air, lumière et chaleur «Si on perd beaucoup de vitamine C, il en va généralement de même des autres vitamines, et vice-versa», résume le professeur Paul Walter, spécialiste de l'alimentation. En effet, tant la lumière que l'oxygène, l'eau et la chaleur agressent cette vitamine essentielle pour la guérison des blessures et le système immunitaire. «A part ça, un verre de jus d'oranges par jour suffit à remplacer la quantité de vitamine C victime de ces fausses manœuvres», corrige Paul Walter. Les mêmes vitamines ne sont pas sensibles aux mêmes agressions (lire encadré page 5). La


chaleur ne peut rien contre celles qui, par exemple, sont liposolubles. Contre d'autres micronutriments comme, p. ex., les sels minéraux, la cuisson ne joue pas grand rôle, grâce à leur stabilité à la chaleur. En revanche, les pertes par lessivage au moment où on cuit à l'eau bouillante très salée ne sont pas négligeables. On perd aussi des sels minéraux et des oligo-éléments quand on ampute des parcelles d'aliments en les préparant ou en les épluchant. Mais il peut arriver le contraire, que des sels minéraux contenus dans les aliments s'enrichissent en fonction de la méthode de cuisson, de la dureté de l'eau et de l'adjonction de sel de cuisine. Ainsi, si on les cuit à l'eau, les légumes perdront une partie de leur calcium et de leur magnésium; à la vapeur de 100°C ou à la vapeur sous pression de 120°C, ils en gagnent.

Gare à l'eau! «A ce jour, on ne sait pas avec précision à quel point les substances végétales secondaires sont détruites par la chaleur, la lumière ou l'oxygène», rappelle Paul Walter. Une étude a, toutefois, démontré que de telles substances comme la rutine, l'acide chlorotique et la quercitrine disparaissent d'autant plus vite que l'eau de cuisson est abondante. Il n'y a pas de doute, en revanche, qu'elles ne sont pas moins importantes pour la santé que les vitamines et les sels minéraux. Manifestement, quand on cuit avec un minimum d'eau on épargne les trois familles de nutriments.

Le danger des trop Beaucoup de gens ne savent plus apprêter les aliments. Selon des estimations, en Allemagne, un adulte sur cinq ne sait plus faire la cuisine. Progressivement,

le repas à la table familiale a glissé du côté de la cantine et de la cafet'. Il n'y a plus le même contrôle de fraîcheur du produit brut ni, par exemple, une vue générale sur les produits finis ou semi-finis. On le sait, on n'y mange plus à midi tapantes, mais quelque part entre 11 et 14 heures. Il faut donc tenir les plats au chaud pendant un temps relativement long. «Trop cuire les aliments et les maintenir longtemps à température, voilà ce qui nuit particulièrement aux vitamines», souligne Ulrich Moser, expert scientifique de Roche Vitamins Europe, à Bâle.

Le cas de l'acide folique Dans cette optique, le cas de l'acide folique est particulièrement délicat. Or on sait que cette vitamine a une importance particulière. L'acide folique et ses sels, les folates, se trouvent en abondance dans les salades et les légumes feuilles, mais aussi dans les produits complets, les noix, les tomates, le jaune d'œuf ou le foie. Le hic, dans tout ça, c'est qu'on assiste dans les pays industrialisés à un sous-approvisionnement d'acide folique, alors qu'il est présent dans de nombreux aliments. Les raisons à cela sont multiples. Primo, un homme sur quatre, une femme sur six ne mange pas tous les jours de la salade ou des légumes; deuxièmement, l'acide folique est aussi vulnérable que la vitamine C: si on garde les légumes feuilles plusieurs jours avant de les consommer, deux tiers de leur acide folique disparaissent; même phénomène si on les cuit trop ou s'ils nagent dans une eau trop abondante. En cuisant brièvement des légumes frais de saison, en mangeant beaucoup d'aliments crus, plus quelques noix et autres amandes, on devrait être couvert. «Si on prête attention à son alimen-

Pertes de vitamine C Processus

Estimations des pertes de vitamine C*

Stockage de légumes feuilles et salade Stockage à la cave, 12°C, 1 jour Stockage au frigo, 4°C, 1 jour Congélation, –18°C, 1 mois

40% 25% 20%

Nettoyage de différentes sortes de légumes Couper, puis laver à l’eau courante Tremper sans détailler, 60 minutes Tremper sans détailler, 5 minutes

35% 5% 0,5%

Cuisson de différentes sortes de légumes Cuire à l’eau bouillante salée (100°C) Cuire à l’auto-cuiseur 120°C Cuire à l’étuvée (steamer, 100°C) Cuire sans eau entre 80°C et 98°C (méthode AMC**)

55% 25% 17% 14%

Mise en attente au chaud de plats de légumes Réserver au chaud pendant 1 heure à 80°C

20%

* dépend de la variété et de la sorte de légume, de sa préparation, de sa maturité, de la façon dont il a été traité avant, de la température de cuisson. ** système de cuisson exigeant des ustensiles spéciaux, grâce auquel on peut préparer des plats sans eau ni matière grasse.

Voilà comment on détruit les vitamines Les vitamines peuvent être éliminées, en substance, par la lumière, l'oxygène ou la chaleur. Elles peuvent aussi être lessivées par l'eau. Toutes les vitamines ne sont pas sensibles aux même causes (x = sensible à ...) Lumière Oxygène Eau Chaleur Vitamines hydrosolubles B1 (thiamine) B2 (riboflavine) B6 (pyridoxine) Niacine B12 (cobalamine) C (acide ascorbique)

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Vitamines liposolubles A (rétinol) D (calciférol) E (tocophérol) K (phylloquinone)

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REPORTAGE Vitamines – comment les préserver, comment les épargner

Différences Les besoins en nutriments sont différents d'une personne à l'autre. Ils sont influencés par: • le sexe, l'âge, les différences génétiques • le style de vie, l'activité professionnelle, le stress • l'activité sportive • la consommation d'alcool et de tabac • la prise de médicaments et de drogues • la consommation de café, de thé et de graisses • les maladies et les opérations

La doucette, par exemple, est cueillie tôt le matin et parvient rapidement dans les magasins, après un court séjour en chambre froide. A ce jour, il n'y a pas encore eu d'étude analysant la teneur en vitamines d'aliments ayant passé un certain temps dans des frigos spéciaux. Ou comment s'influencent mutuellement sous protection atmosphérique les composants d'une salade mélée, prélavée et coupée, s'agissant de leurs micronutriments. On n'en sait pas davantage, d'ailleurs, sur la teneur en nutriments des fruits exotiques cueillis avant maturité, puis mûris artificiellement en Suisse grâce à des gaz spéciaux après un long voyage. «Les oranges récoltées non mûres ont davantage de vitamines C que celles cueillies à maturité,» affirme Paul Walter. Il n'empêche: la consommation de fruits et de légumes indigènes en fonction des saisons a bien des avanta-

ges. Car les différentes époques de l'année, contrairement aux régions tropicales, nous permettent de diversifier nos repas. D'une part, les aliments importés très bon marché d'Outre-Atlantique proviennent d'immenses monocultures où l'on ne lésine ni sur les engrais, ni sur les insecticides. D'autre part, chaque saison a ses charmes: le printemps amène les asperges fraîches ou l'ail des ours, l'été les fraises, l'automne les courges, les pommes et les prunes, l'hiver la doucette et les choux de Bruxelles, tous frais du jour. «Plus l'on mange varié et coloré, mieux l'on couvre ses besoins en nutriments essentiels», plaide Hugo Schurgast, pharmacien spécialisé en médecine de la nutrition.

La convenience food montrée du doigt Selon l'étude Nutritrend de Nestlé, bien des Suissesses et des

Suisses aimeraient se nourrir bien. Mais à deux conditions: il ne faut pas que ça leur coûte trop de temps, ni que le (bon) goût en souffre. Pour répondre au premier vœu, on pourrait recourir à la «convenience food», cette nourriture de confort à laquelle de plus en plus de gens ont recours. Heureusement, nombre de ces produits finis ou semi-finis, industriels, valent mieux que leur réputation. Car on n'y relève pas forcément davantage de pertes de nutriments que dans les plats préparés chez soi. «Les légumes surgelés sont, certes, un peu plus chers. Mais du point de vue des micro-nutriments, ils offrent un véritable choix si l'on ne peut pas acheter de produits d'une grande fraîcheur», juge Paul Walter. C'est ainsi que les légumes fraîchement récoltés pour les fabricants de produits surgelés sont mis en sachet le jour même

Médicaments et alcool Le corps ne peut pas faire usage de tous les micro-nutriments que nous consommons. D'une part, ils ne peuvent pas être assimilés parce qu'au même moment on consomme des antagonistes et que l'interaction entre les divers nutriments entrave cette assimilation. Ou alors parce que certains médicaments influencent de manière négative l'assimilation des nutriments. Voilà pourquoi, même si on mange suffisamment de micro-nutriments, on peut souffrir d'un manque.

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n sait, ainsi, que la résorption du fer est ralentie par le café, le thé ou les aliments riches en calcium. Il en va de même des phytates et des phénols ou d'une carence de vitamines A, B2, B6 et E: ils diminuent l'assimilation du fer. Dans de nombreux cas, la prise de certains médicaments ou d'alcool provoque une assimilation moins aisée des micronutriments. • Alcool: vitamines A, D, E, K et B, magnésium,

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zinc, fer • Anaboliques: potassium • Antiacides: complexe de vitamines B, choline, vitamines A et C, calcium, phosphore, zinc, fer, fluor • Antibiotiques: vitamine K, biotine • Laxatifs: vitamines A, D, E et K, bétacarotène • Neuroleptiques: vitamine B1 • Aspirine (acide acétylsalicylique): vitamines A, B6, C et K, acide folique, fer

• Contraceptif oral (la pilule, préparation progestative aux œstrogènes): vitamines C, B2 et B6, acide folique, manganèse, zinc. De nombreux autres obstacles se dressent sur le chemin qui mène les nutriments aux divers organes. Par exemple, une gastrite chronique empêche l'absorption suffisante de vitamine B12. Dans le même ordre d'idée, la peau ridée des vieilles personnes ne permet pas à la vitamine D de bien se former.


SPECIAL

Sur les étals, elles ont l'air parfait. On voit là des fraises rouge pétant, de la salade bien verte et des poires d'un beau jaune. Pourtant, ces fruits et ces légumes ont souvent des centaines de kilomètres de transport derrière eux, parfois même on les a cueillis avant qu'ils ne soient mûrs. Mais quels effets un tel traitement a-t-il eu sur ces aliments? C'est ce que nous avons voulu savoir lors d'un entretien avec Ernst Höhn, spécialiste des produits alimentaires.

Trop bonne mine? INTERVIEW: SIBYLLE STILLHART*

A quoi faut-il faire attention lors de l'achat de légumes et de fruits? Faut-il croire la maxime affirmant: «trop beau pour être honnête»?

*Sibylle Stillhart est journaliste libre et vit à Zurich.

Du terrain au labo de recherche Ernst Höhn, 60 ans, a suivi un apprentissage d'agriculteur. Plus tard, il a conquis une matu. Ensuite, il a suivi des études d'ingénieur en alimentation à l'EPFZ et les a conclues par un mémoire sur les arômes de la levure. Dès 1974, il a émigré pour neuf ans au Canada. Durant ce temps-là, il a enseigné l'analyse et la technologie alimentaire à l'Université du Manitoba de Winnipeg. Depuis 1983, il travaille en tant que spécialiste des aliments à la Station fédérale de recherche Agroscope (FAW) de Wädenswil. Il y est responsable de la technologie des fruits et des légumes. C'est lui qui a dirigé l'étude «Les légumes, étaient-ils vraiment plus nutritifs auparavant?» (lire page 6).

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Ernst Höhn: On le dit, c'est vrai, mais ça ne correspond pas à la réalité. Prenons la couleur rouge des pommes: elle dépend de leur ensoleillement, et les fruits bien exposés au soleil contiennent plus de vitamines que ceux qui sont restés dans l'ombre. De beaux fruits ou de beaux légumes, sans trace de pourriture ni de blessure, sont sains, eux aussi. La plupart du temps, ils possèdent des qualités supérieures aux produits qui n'ont pas pu se développer ou qui sont abîmés. Quand on fait ses courses, il faut veiller à acheter des fruits et des légumes si possible frais. Il vaut la peine, alors, de bien connaître les variétés de pommes et de poires, de savoir quelle couleur, quelle taille et quelle forme les distinguent. Pour les fraises et les cerises, la brillance garantit la fraîcheur.

Comment fait-on pour préserver longtemps les vitamines des fruits et des légumes? L'important, c'est de les pré-

parer en les ménageant. Fruits et légumes devraient être lavés soigneusement et aussi brièvement que possible. Il ne faudrait les détailler qu'ensuite. Tous les nutriments ne sont pas uniformément répartis. Il peut donc arriver qu'on en perde quand on les pèle ou qu'on les prépare.

Leur transport sur de longues distances ou un stockage inadéquat peuvent-ils aussi occasionner des pertes de vitamines? Ces pertes lors du transport ou du stockage dépendent de la variété de fruits et de légumes. Par ailleurs, si la température et le taux d'humidité ne conviennent pas, il peut s'ensuivre des dommages pour les produits. Les pommes, par exemple, stockées dans un entrepôt moderne CA (controlled atmosphere) contiennent au bout de cinq mois presque autant de vitamines C qu'immédiatement après leur cueillette. Plus de 95% des pommes et des poires sont stockées en Suisse de cette façon qui épargne les vitamines.

De plus en plus de produits, comme les salades, sont lavés, détaillés, mis en sachet et


A LA LOUPE

SERGIO DORANTE/CORBIS

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Le fruit opulent du pays des Aztèques L'avocat, né au Mexique, est en fait le fruit le plus généreux en graisse et en calories qui soit. Pourtant, il a la réputation d'être sain: il contient beaucoup d'acides gras mono-insaturés et un ensemble de substances protectrices qui abaissent les risques de maladies cardio-vasculaires et peuvent influencer de manière positive le taux de cholestérol. Sous nos latitudes, on l'apprécie surtout en salades ou en amuse-gueule. Mais dans sa patrie d'origine, le Mexique, l'avocat fait partie de l'alimentation de base. Il est même présent dans pratiquement tous les plats. Il se retrouve dans l'industrie cosmétique sous forme d'huile, particulièrement efficace sur les peaux sèches et rêches. PAR ANDREAS BAUMGARTNER, SSN

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a voie triomphale de l'avocat aux Etats-Unis commence par une astuce promotionnelle simple mais efficace. Au début du XXe siècle, quand les maraîchers californiens se mirent à planter ce rejeton de la famille des lauracées, les ventes avaient passablement de peine à démarrer. Les pros de la pub étaient sous pression et ils tentèrent, alors, une petite provocation. Ils firent courir le bruit selon lequel l'avocat ne stimulait pas l'ardeur sexuelle, comme on l'affirmait sur tous les tons, mais qu'on devait l'apprécier pour sa fine saveur et sa haute teneur en nutriments. C'est à ce moment, seulement, que les gens crurent à ses vertus aphrodisiaques. Et il se vendit comme des petits pains. Au Mexique, sa terre originelle, ce fruit en forme de poire (et non ce légume, comme on pourrait le penser) n'a pas eu besoin de campagne publicitaire pour faire valoir ses qualités. Chez les Aztèques, déjà, l'avocat passait pour un véritable «fruit miracle» pas seulement pour ses propriétés aphrodisiaques mais surtout en raison de ses précieuses substances. On recourait à lui sous forme de mousse pour soigner les blessures, mais aussi pour soulager les maux d'estomac et de ventre ainsi que les coliques. Ce sont les Aztèques qui ont donné son nom à l'avocat. Dans la langue des Aztèques, le nahatl, l'«ahuacatl», comme on appelle l'avocat, vient de l'acception «ahuacacuahatl», soit, en traduction littérale, «l'arbre à testicules». Le rapprochement ne vient pas seulement de la forme du fruit lui-même, mais aussi du fait que les avocats poussent par paires. En analysant des tombes, on


a découvert que les fruits du toujours verdoyant avocatier (en fait, ce sont des baies), étaient déjà connus vers 7000 av. J.-C. A Chanchan, près de la ville actuelle de Trujillo, au Pérou, les archéologues ont trouvé une jarre à eau en forme d'avocat qui date d'avant les Incas (environ 900 av. J.-C.).

«Une pulpe semblable à du beurre» Les conquérants espagnols du Nouveau Monde eurent très tôt leur attention attirée par ce fruit en forme de poire. Il faisait partie, comme le rapporta Hernán Cortés, qui s'était emparé de la métropole des Aztèques, Tenochtitlan (l'actuelle ville de Mexico), de l'ordinaire de la population indigène. En 1526, dans son «Sumario de la natural historia de las Indias», Fernandez de Oviedo décrivit l'avocat comme un fruit ressemblant à une poire, certes, mais pas espagnole. «Au centre, il y a un noyau semblable à un marron. Entre celui-ci et la peau se trouve la partie que l'on peut manger. Il y en a bien assez, la pulpe est comme du beurre et a très bon goût.» Bientôt, les Espagnols disséminèrent cette plante au Vénézuela, dans les Caraïbes, au Chili, à Madère et dans les îles Canaries. La deuxième propagation qui devait toucher l'Afrique et Madagascar, le sud des Etats-Unis, la Malaisie, les Philippines et le Brésil n'eut lieu que dans le courant du XIXe siècle. Depuis le début du XXe, on le cultive dans le bassin méditerranéen, et depuis 1970 à grande échelle en Espagne. L'avocatier à feuilles persistantes peut atteindre la taille respectable de vingt mètres. Il appartient à la famille des lauracées et en est le seul représentant à porter des fruits comestibles.

Aujourd'hui, on cultive surtout l'avocat dans les régions subtropicales de part et d'autre de l'équateur. Environ 80% de sa production mondiale est issue du continent américain. Le Mexique en est le plus important producteur, et de loin (900 000 tonnes par année), suivi des Etats-Unis (surtout la Californie; 200 000 tonnes), de la République dominicaine (150 000 tonnes), du Chili, de l'Afrique du Sud, du Brésil, de l'Indonésie et d'Israël. En Europe, l'Espagne caracole en tête, surtout les régions autour de la Costa del Sol et de Malaga, avec 45 000 tonnes annuelles.

Des avocats français? Bien sûr, les avocats sont des produits commerciaux à passeport international. Mais pour une production mondiale de plus de deux millions de tonnes, la part de 10% qui revient à l'exportation paraît quand même modeste. Rien d'étonnant à cela: ce fruit n'est réellement commercialisé que depuis la 2e Guerre mondiale. Pour l'essentiel, le marché se limite à l'Europe, aux Etats-Unis et à l'Extrême-Orient. La France, elle, constitue la plaque tournante du commerce entre pays européens. C'est donc assez naturellement que la plus grande partie des importations suisses de 3400 tonnes vient de notre voisin de l'ouest. Nos fournisseurs directs les plus importants sont l'Espagne, l'Afrique du Sud et Israël. Comparée à celle du Mexique (10 kilos par habitant) ou d'Israël (4 kilos), la consommation des Suisses est relativement mesurée avec 500 grammes par tête et par an.

Deux variétés dominent Il existe, paraît-il, presque quatre cents variétés d'avocat

BRANDXPICTURES

La variété Fuerte (ci-dessus) est la plus répandue dans le monde. Son fruit, vert, a une forme de poire et pèse 250 à 400 g. Sa peau fine et lisse se laisse aisément peler. Sa chair tire sur le jaune et devient plus verte en se rapprochant de la peau. Sa teneur en huile est de 16 à 25%. La no 2 au plan mondial est la variété Hass (cidessous). Ses petits fruits en forme d'œuf deviennent brun foncé à presque noir à pleine maturité. Sa peau caractéristique est ridée et grenue, presque comme du cuir et brucheuse. Son fruit pèse 140 à 350 grammes. Sa chair crémeuse a des arômes intenses de noix. Sa teneur en huile est de 18 à 23%.

dont certaines donnent des fruits pesant jusqu'à deux kilos. Mais elles n'arrivent pas jusqu'à nous. On n'importe en Suisse que des fruits d'un poids oscillant entre 150 et 400 grammes. Extérieurement, ils ne se distinguent guère les uns des autres. Toutes les variétés exploitées ne prospèrent que par greffe. Dans notre pays, deux variétés se partagent la vedette: les fruits ont une forme de poire avec une peau soit mate et verte (Fuerte), soit lisse, verte et brillante (Ettinger), et une chair allant d'un vert pâle à un jaune soutenu. La variété Nabal a une pulpe de même couleur; elle se distingue toutefois des autres par sa forme sphérique et sa plus grande taille, avec une peau sombre, presque lisse. La variété Hass, très en vogue ces dernières années en Suisse, a également la peau sombre, mais sa pulpe est jaune dorée et sa saveur incomparable. D'Israël, nous arrive la Wurtz, de forme élancée avec une chair jaune claire.

Frais comme amusegueule ou en cocktail Les avocats ont tous une chair crémeuse et fondante avec des notes légères de noisettes, sui-

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