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Revue de l’alimentation de la Société Suisse de Nutrition SSN
_n° 4 /2016_CHF 11.00
LA CULTURE CULINAIRE
Savoir plus – manger mieux.
25 000 av. J.-C.: Préparation des plats dans des fours en terre ***
15 000 av. J.-C.: Débuts de l’agriculture en Egypte, avec notamment la culture de l’orge; première consommation de grains de céréales sauvages en Palestine ***
_EDITORIAL_
Il y a 1,5 million d’années: Date à laquelle remonte la trace la plus ancienne de repas humain découverte (actuel Kenya, Afrique) ***
La culture culinaire n’a rien de statique, c’est un processus dynamique, une juxtaposition de principes qui en dit long sur notre société. Découvrez quelques-uns des principes de la culture culinaire.
16_SOUS LA LOUPE Le manioc Cette racine tubéreuse survit aux périodes de sécheresse, prospère dans des sols pauvres et est récoltée toute l’année. C’est l’aliment de base de plus d’un demi-milliard Schweizerische Ernährung SGE pour examide personnes. CeGesellschaft qui est une für raison suffisante Schwarztorstrasse 87 | Postfach 8333 | CH-3001 Bern ner de près cette plante miracle.
LORENZ ADAM / SSN Rédacteur en chef tabula
10_ R E N C O N T R E 12_ R E C E T T E 14_SAVOIR PLUS – MANGER MIEUX 20_ L I V R E S 22_ L A S S N 24_ M É M E N T O
6000 av. J.-C.: La culture remplace progressivement la chasse ***
04_REPORTAGE La culture culinaire
Pour ce qui est du présent, nous allons rendre visite à Martina Kulle, ingénieure en technologie alimentaire de formation, et conceptrice de produits chez l’un des plus importants fabricants suisses de produits laitiers. Dans la rubrique «Rencontre» vous découvrirez comment se vit une journée remplie de concentration, de briefings, de recettes et de dégustations. Plus d’un demi-milliard de personnes consomment du manioc comme aliment de base. Cette racine tubéreuse se développe dans les régions tropicales et pousse même dans les sols les plus pauvres. Sans compter que cette plante cultivée peut être récoltée toute l’année. L’auteure, Manuela Mezzetta, l’appelle «la plante magique». Seul petit inconvénient: elle doit être débarrassée de ses substances toxiques avant d’être consommée. La rubrique «Sous la loupe», vous présentera l’histoire et les caractéristiques du manioc. Vous apprendrez comment la plante est transformée pour devenir un aliment comestible.
Entre 9000 et 8000 av. J.-C.: Domestication de moutons et de chèvres au Proche-Orient (Mésopotamie) ***
Qu’est-ce ce qui explique notre alimentation actu elle? Impossible de répondre précisément à cette question. Elle est toujours liée à une histoire, des découvertes, des inventions, nos préférences gustatives, l’héritage de notre famille; elle a toujours à voir avec le passé et le futur, comme l’explique Nicole Huwyler dans son reportage. La culture n’est pas un phénomène statique mais un processus fluctuant, et plein de méandres, comme le suggère le tableau chronologique en illustration. La culture culinaire est aussi une juxtaposition de contrastes. Les plus démunis ne mangent pas comme les riches, les jeunes pas comme les plus âgés; on ne se nourrit pas de la même façon à la maison et au travail, suivant que l’on est adepte des fast-foods ou du mouvement slow food. Notre comportement alimentaire en dit long sur notre société, notre histoire, les rapports de force, la religion ou le climat, autant de facteurs en perpétuelle mutation. Ce reportage analyse certaines de ces problématiques et se penche sur le passé, le présent et l’avenir de notre culture culinaire.
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Wissen, was essen. sge-ssn.ch
LA CULTURE CULINAIRE Des foyers préhistoriques au «food porn» 900 apr. J.-C.: Les asperges sont cultivées pour leurs vertus curatives dans le couvent bénédictin de Saint-Gall ***
Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. Est-ce que le compte Instagram personnel, truffé de photos de nourriture, en dit plus sur une personne que la collection de disques ou la veste en jean cloutée d’il y a 40 ans? La culture culinaire est difficile à décrire, mais elle est toujours liée à une histoire, des découvertes, des inventions, nos préférences gustatives, l’héritage de notre famille; elle a toujours à voir avec le passé et le futur. C’est un perpétuel sujet d’antagonisme. Le texte ci-après traite de certaines de ces problématiques et aborde rapidement le passé, le présent et le futur.
300 apr. J.-C.: Ecriture de l’un des plus anciens livres de cuisine transmis, celui d’Apicius *** 200 av. J.-C.: La tomate est cultivée par les Incas / Aztèques ***
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Mobile ::: sédentaire Aujourd’hui encore, nous ne savons pas très bien ce que nos ancêtres de l’âge de pierre faisaient et mangeaient. Personne ne pouvait l’écrire et les restes de repas organiques se décomposent rapidement. Avant la découverte du feu, il est probable que nos ancêtres mangeaient surtout là où ils trouvaient de quoi se nourrir. Les hominidés vagabondaient en petits groupes à travers la campagne et leurs camps changeaient donc souvent d’emplacement. On peut donc supposer qu’à l’époque peu, voire pas, de repas étaient pris en commun. Cela changea avec la découverte du feu (il y a environ 1,5 million d’années). Jacques Barrau, Directeur du Musée de l’homme à Paris, décrivait les choses ainsi: «L’histoire culinaire, voire l’histoire tout court, a commencé au moment où les hommes ont maîtrisé le feu.» Ce qui était cuit pouvait alors se garder, et les hommes restaient plus longtemps à la même place et mangeaient ensemble ce qu’ils avaient cueilli. Cette évolution fut constatée en Suisse aussi: «Il y a 15 000 ans, à la fonte des glaciers, environ 70 personnes vivaient dans la région de ce qu’est aujourd’hui ce pays. Ils connaissaient le feu, vi vaient dans des campements, erraient et se nourrissaient d’herbes, de baies et de viande, par exemple celle des rennes. Le paysage dominant était la steppe. Puis les glaciers ont fondu de plus en plus, la végétation a changé, le climat s’est réchauffé, les forêts se sont constituées et il y a près de 7400 ans, la tendance à la sédentarité est apparue, à peu près en même temps que l’agriculture, l’élevage et la poterie. Nous parlons aujourd’hui de révolution néolithique. Cette transition de la c hasse
1492: Christophe Colomb évoque le maïs dans son journal ***
Un passage chez Mc Donald’s révèle-t-il une absence totale de culture culinaire, tandis qu’un repas dans un restaurant étoilé serait le summum? Absolument pas. La culture culinaire couvre toutes les acquisitions de l’être humain en relation avec le fait de manger, ainsi que les produits qu’il fabrique et met au point dans ce domaine. Cela n’a rien de statique, c’est un processus dynamique, une juxtaposition de principes: les plus déshérités ne mangent pas comme les riches, les jeunes pas comme les pauvres, les Suisses pas comme les Américains; et chaque famille a ses habitudes culinaires. Ce qui est dans notre assiette, avec qui et comment nous le mangeons, sont des éléments qui en disent long sur notre société, notre histoire, les rapports de force, la religion et le climat; et cela change constamment. Or les mutations génèrent toujours des incertitudes. Se pose la question du comportement juste face à la nourriture, de l’alimentation adaptée et de l’attitude appropriée. Au Moyen Âge, il était courant, dans toutes les couches de la population, de manger avec les mains. Puis cela fut condamné par la culture bourgeoise. De nos jours, avec la fingerfood et la tendance à manger à l’extérieur, nous recommençons à renoncer aux couverts. Mais jetons tout d’abord un regard en arrière, en revenant à l’âge de pierre,
bien loin des tables dressées: la planète était encore peu peuplée, nos ancêtres vivaient comme des chasseurs-cueilleurs et mangeaient principalement cru, jusqu’à ce que le feu soit découvert. Les principaux aliments étaient les tubercules, fruits rouges, noix, graines, pousses, baies, limaces et scarabées.
_Reportage_
1804: Le cuisinier et pâtissier français François Nicolas Appert découvre la méthode de conservation des aliments consistant à faire chauffer des contenants en verre vidés d’air (à partir de 1814 procédé appliqué aux boîtes en fer blanc) *** 1778: Pour la première fois, les pâtes à la sauce tomate sont citées ** 1762: Invention du sandwich, Angleterre (légende) ** 1756: Invention de la mayonnaise, France (légende) ** 1748: William Cullen présente le premier procédé de réfrigération artificielle ***
Nos préférences gustatives culturelles conditionnent notre acceptation à manger un aliment. Manger de la graisse de renne crue ou un œil d’ours chaud nous soulève aujourd’hui l’estomac, alors que les nomades nord-européens de l’ère paléolithique consommaient les deux. Aujourd’hui encore, chaque culture détermine quels aliments sont acceptés ou non. Cela peut se traduire par des tabous (ex: manger des animaux domestiques), des interdictions religieuses (la viande de porc pour les musulmans), ou la non-
1853: Invention des frites à New York **
L’un des thèmes de la culture culinaire est aussi de savoir s’il y aura assez à manger pour tous. Avec la sédentarité apparaissent les premières colonies,
Délicieux ::: répugnant
1843: Jakob Christoph Rad invente le morceau de sucre, Bohême **
Faim ::: excédents
1812: Ouverture de la première fabrique de conserves, Angleterre **
vers l’agriculture et l’élevage, en passant par la cueillette, peut certes en apparence être considérée comme synonyme d’une plus grande sécurité alimentaire, mais la sédentarité, l’agriculture et l’élevage ne voulaient pas toujours dire que les hommes ne souffraient plus de la faim. En effet, jusqu’au XIXe siècle, le rapport entre semences, récoltes, mauvaises récoltes et gestion des stocks relevait toujours d’un équilibre très fragile», explique l’archéologue cantonal de Berne Adriano Boschetti. La découverte du feu a cependant étoffé l’offre alimentaire. Ce qui était jusque-là difficile à digérer devenait consommable, car le fait de chauffer les aliments détruisait bactéries et parasites. Et la nouvelle technique de cuisine a influencé la dentition, qui devint plus petite, permettant d’articuler plus facilement. C’est pourquoi les scientifiques décrivent aussi le campement comme l’origine du langage. En dehors de la viande, le feu permettait aux hommes de consommer des céréales sauvages qu’ils avaient récoltées, et qui étaient difficiles à digérer, voire impossibles à consommer crues. On ne peut prouver formellement aujourd’hui que la consommation de viande a finalement eu une incidence sur le développement cérébral de nos ancêtres. Les experts avancent donc plusieurs facteurs: une plus grande consommation de viande, un intestin plus petit, la cuisine, et une efficacité peut-être meilleure pour marcher et courir.
puis les villes et les Etats. Plus les groupes sédentaires grossissent, plus ils deviennent dépendants de l’agriculture. Il fallait se rassasier avec les aliments de base, la viande étant plus rare et réservée à quelques privilégiés autour de la table. Les hommes ne partageaient plus équitablement leurs repas. Nous avons régulièrement constaté ce type de déséquilibres à de nombreuses époques de notre histoire, ancienne et récente. A commencer par l’Egypte ancienne. En 2000 av. J.-C. déjà, l’Etat fi xait la répartition des rations: les enfants de moins de 5 ans avaient droit à un litre d’orge par mois, les hommes à 40 – 60 litres et les femmes à la moitié. Ces rations étaient complétées par des fruits et légumes cultivés chez soi ou achetés, et par du poisson pêché soi-même qui venait remplacer de plus en plus l’alimentation carnée tradi tionnelle. Mais globalement, les habitants de l’Egypte des pharaons souffraient d’une économie de pénurie, résultat des inondations récurrentes du Nil et des structures hiérarchiques marquées par de fortes disparités. On constatait aussi des différences entre les pauvres et les riches dans l’Antiquité romaine, ainsi qu’entre les populations des villes et celles de la campagne, contrastes qui se reflétaient dans l’alimentation. A la campagne, on mangeait de la bouillie d’orge, tandis qu’en ville, il y avait du pain fait avec du blé ou de l’épeautre, que l’on pouvait acheter dans les grandes boulangeries romaines. Ce fossé entre abondance et rareté s’est prolongé au Moyen Âge et était encore perceptible au siècle dernier en Suisse.
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_Recette_
PANIZZA AUX ÉPINARDS Pour 4 personnes. Temps de préparation: env. 30 minutes / Par personne: lipides 11 g, protéines 16 g, glucides 35 g, 306 kcal 1 – 2 gousse(s) d’ail, en lamelles / beurre pour faire suer / 500 g d'épinards / sel, poivre, muscade / Faire suer l’ail dans le beurre. Ajouter les épinards, ajouter le sel, le poivre, la muscade, continuer à étuver jusqu'à ce que les feuilles se délitent entièrement. Passer dans la passoire, légèrement presser. 4 – 8 petits pains, env. 250 g, coupés en 2, ou un pain parisien, en morceaux / env. 80 g de concentré de
t omates / 75 g de champignons de Paris, nettoyés, en lamelles / 150 – 300 g de mozzarella, râpée / sel, poivre, Paprika / Etaler le concentré de tomates sur la moitié du pain. Garnir d'épinards, de champignons de Paris et de mozzarella, saler, poivrer, ajouter le paprika. Cuire 10 – 15 min dans la partie inférieure du four préchauffé à 220 °C. Conseil: Etuver 1 kg d'épinards au lieu de 500 g, en servir la moitié en guise d'accompagnement. Recette et photo: Swissmilk
BILAN NUTRITIONNEL
BILAN ÉCOLOGIQUE
Les épinards: De mars à novembre, c’est la saison des épinards en Suisse. La majeure partie des épinards cultivés est surgelée. Une petite partie atterrit sur le marché des produits frais. Pendant des années, on a vanté les mérites de la teneur en fer des épinards. Certes, ils en contiennent, mais en quantité relativement modérée: sans compter que le fer végétal (fer non héminique) est moins bien assimilé dans l’intestin que le fer animal (fer héminique). Il faut cependant noter la forte teneur des épinards en vitamine A et en folates. 100 g d’épinards apportent en effet 0,4 mg de vitamine A, ce qui couvre déjà 40 % des besoins journaliers, et 190 µg de folates, soit presque 60 % des besoins journaliers. Le concentré de tomates: Pour sa préparation, les tomates sont épluchées, épépinées, passées et chauffées. Sous l’effet de la chaleur, une partie de l’eau s’évapore et la pulpe épaissit, puis elle est pasteurisée et salée au cours du processus de mise en conserve. L’eau mise à part, les composants de la tomate sont présents en concentration plus importante dans le concentré de tomates. 100 g de ce dernier contiennent 1150 mg de potassium, contre 220 mg seulement dans 100 g de tomates crues. Le lycopène confère leur couleur rouge aux tomates et à leurs dérivés; il y en a près de quatre fois plus dans le concentré de tomates que dans les tomates crues. Le lycopène est une substance végétale secondaire et fait partie des carotinoïdes. On lui attribue des vertus antioxydantes et anticancéreuses. L’assiette optimale: La panizza aux épinards contient les trois ingrédients d’une assiette équilibrée. Les épinards, les champignons et la purée de tomates couvrent les apports en légumes. La mozzarella est une source de protéines et les féculents sont apportés par le pain. Préférer à la baguette les petits pains bruns à base de farine bise ou de farine complète, qui sont plus riches en fibres, en vitamines et en minéraux.
Les épinards: Si les épinards sont servis en garniture, comme la recette le propose, ils représentent l’ingrédient principal du repas, aussi bien en termes de poids global que du point de vue de l’impact environnemental. Cela s’explique essentiellement par le besoin relativement élevé d’engrais azoté pour leur culture. L’utilisation d’épinards surgelés au lieu des épinards frais de saison accentue la pollution de l’environnement générée par l’ensemble du plat. La mozzarella: Cette recette recommande 150 à 300 g de mozzarella pour 4 personnes. Si l’on prend une quantité moyenne, soit 225 g, la fabrication de la mozzarella est à l’origine d’un cinquième de la pollution totale générée par ce plat. Le pain: Environ 13 % de la pollution générée par ce plat est liée au pain. C’est l’agriculture qui est à l’origine des effets de ces ingrédients sur l’environnement. La panizza étant de toute façon cuite, on pourrait tout aussi bien utiliser du pain déjà sec et un peu ancien, que l’on mettrait sinon à la poubelle. Histogramme: La panizza aux épinards préparée pour 4 personnes génère env. 7000 unités de charge écologique (UCE). Du point de vue de l’environnement, les épinards et la mozzarella (respectivement 26 % et 20 % de la pollution totale) sont les principaux ingrédients de ce repas. La purée de tomates, le pain et le beurre pour faire revenir représentent au total un tiers de la pollution environnementale. Cette dernière est générée par les ingrédients, et les autres facteurs tels que le transport et la préparation jouent un rôle moins important sur l’ensemble de l’impact écologique.
SABINE OBERRAUCH / SSN
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SIMON EGGENBERGER, NIELS JUNGBLUTH / ESU-SERVICES
0 0 t 5 ge 0 37 24 ds e 25 s 36 ocka t 20 r 6 r in t lla a st o n re Pa in s e ie n, sp za Ep at éd tio ran oz m a t gr M to in par et es Pré tr Au
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Recette 1800
Ø 5000 UBP *
Swissmilk / Graphique: Truc, Berne
Composition de la recette comparée à la composition optimale d’une assiette (en haut à droite) Groupes d'aliments: = Produits laitiers, viande, poisson, oeufs & tofu = Produits céréaliers, pommes de terre & légumineuses = Fruits & légumes
Cet histogramme représente la charge environnementale de la recette par personne. A titre de comparaison, la valeur moyenne grossièrement estimée d’un repas principal préparé à la maison. Les points définissant l’impact écologique tiennent compte des diverses charges environnementales liées à la production des denrées alimentaires. Source: ESU-services.
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_Sous la loupe_
Le manioc «plante magique» des tropiques
Le manioc est l’aliment de base de plus d’un demimilliard de personnes. Cette racine tubéreuse est cultivée dans les régions tropicales, pousse bien dans des sols pauvres, survit aux périodes de sécheresse et peut être récoltée toute l’année. On pourrait presque parler d’une «plante magique», à un inconvénient près: il faut faire un gros travail pour éliminer les substances toxiques avant de la consommer.
Des feuilles plus riches en protéines que les tubercules Cette plante arbustive, de l’espèce Manihot, appartient à la famille des Euphorbes (Euphorbiaceae). Elle fait entre un mètre et demi et cinq mètres de haut. Il en existe entre 100 et 200 sortes. C’est la Manihot esculenta Crantz qui est la plus importante pour l’alimentation. Chaque plante
PA R M A NUE L A ME Z Z E T TA
peut fabriquer entre cinq et dix tubercules coniques, résultat de l’épaississement secondaire de
Le manioc est à ceux qui vivent sous les tropiques
certaines racines. Ils font en moyenne entre 30 et
ce que la pomme de terre est aux Européens: un ali-
50 centimètres de long, avec un diamètre entre
ment de base et un féculent. Ces deux tubercules
cinq et dix centimètres, et pèsent entre deux et
pro v iennent d’Amérique du Sud. Les marchands
quatre kilos. Si les conditions sont bonnes, un tu-
d’esclaves portugais ont amené le manioc en Afrique,
bercule peut même mesurer jusqu’à un mètre de
continent à partir duquel la plante s’est étendue vers
long et peser jusqu’à 20 kg. Sa peau fait comme une
l’Est. Il est aussi connu sous le nom de cassave, mandi-
écorce oscillant entre le brun et le blanc sale et
oca ou yuca (à ne pas confondre avec le palmier yucca).
l’intérieur est ferme et varie entre le jaune et le
On estime que les traces les plus anciennes de cette
blanc. Les feuilles de l’arbuste sont elles aussi co-
plante cultivée, trouvées par les archéologues au Me-
mestibles, dans certaines régions elles sont cui-
xique, remontent à 2800 ans. La première descrip
sinées et servies en légume. Contrairement au tu-
tion de la plante en Europe date de la fin du XVe siècle.
bercule, les feuilles sont riches en protéines. Dans
Les Espagnols et les Portugais parlaient d’un «pain
les populations pour lesquelles le manioc est un
fait à partir de racines toxiques». Le manioc pousse
aliment de base, la consommation des feuilles
uniquement sous les tropiques, à des altitudes pou-
pourrait améliorer l’apport en protéines lorsqu’il
vant aller jusqu’à 1500 m au-dessus du niveau de la
est insuffisant.
mer. Il commence à être perturbé lorsque la tempéra-
Le manioc est la troisième source de calories la plus
ture descend sous 10° C. Sinon, c’est une plante peu
importante dans le monde, après le riz et le blé. Il est
exigeante. L’idéal est un sol humide, sableux ou argi-
essentiellement cultivé par des petits paysans. En
lo-sableux, mais le manioc pousse aussi sur des sols
Asie, notamment en Thaïlande, et dans certaines
pauvres, légèrement acides. En outre, il peut résister
parties d’Amérique latine, il fait aussi l’objet de mo-
à des périodes allant jusqu’à six mois de sécheresse.
noculture, pour l’export (avec tous les inconvéni-
La cassave est cultivée et consommée en Amérique
ents que cela comporte). Sont principalement ex-
latine, en Afrique, en Inde et en Asie du Sud-Est. La
portées la fécule et la farine, plus rarement le
Thaïlande est le deuxième plus important pro-
tubercule, qui ne se conserve pas. Le manioc est
ducteur de manioc, l’Indonésie le troisième. Le pre-
également utilisé pour nourrir les animaux.
mier sur la liste est le Nigeria, et le Brésil est quat-
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rième. En Europe occidentale, le manioc est encore
Jusqu’à trois ans sous terre
peu connu, même si les grossistes proposent cette
La rapide dégradation du tubercule après la récolte
racine tubéreuse. On trouve aussi en Suisse du tapio-
est l’un de ses grands inconvénients. Il commence à
ca (fécule de manioc au goût neutre) et de la farine de
s’abîmer deux ou trois jours après avoir été déterré.
manioc, deux produits sans gluten.
C’est pourquoi près d’un tiers seulement des raci-
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