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LIÈGE, LA FORCE D’UN ÉCOSYSTÈME
Référence européenne pour le développement des biotechs, la région liégeoise présente de nombreux avantages susceptibles d’attirer et d’accompagner les sociétés life sciences vers la croissance. Des atouts humains, immobiliers et financiers uniques, auxquels vient s’ajouter la mission de synchronisation de Bridge2Health, qui œuvre à la bonne cohérence d’ensemble. Rencontre avec Amel Tounsi, CEO de la plateforme.
En quoi consiste la mission de Bridge2Health ?
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A.T. : Nous sommes le trait d’union entre les 140 sociétés liégeoises actives dans le secteur des sciences de la vie, l’ULiège, ses centres de recherche et les hôpitaux de la région, ou encore les acteurs immobiliers et financiers qui en constituent le tissu. En connectant les bonnes personnes au bon moment, on s’assure que chacun puisse mettre son énergie là où il en a le plus besoin.
À qui s’adresse la plateforme ?
A.T. : Bridge2Health est une plateforme qui vise à synchroniser les efforts de l’ensemble des acteurs life sciences liégeois, tout en offrant une porte d’entrée unique à destination de ceux qui souhaitent la rejoindre. Un soutien qui va de l’aide à l’installation et à la définition de vos besoins à la mise en relation avec des investisseurs dans le cadre d’une levée de fonds en passant par la mise en contact avec des médecins et des centres de recherche spécialisés. Inversement, nous visons aussi à donner de la visibilité à l’expertise dont dispose la région.
C’est notamment l’objectif de notre événement « Connect » qui rassemble les CEO et les directeurs de départements de recherche dans le secteur des life sciences ou de notre présence à l’international, comme à BioEurope, aux côtés de l’AWEX.
Quels sont les atouts de l’écosystème life sciences liégeois ?
A.T. : Au cœur d’une région européenne déjà particulièrement favorable aux life sciences, Liège offre une concentration tout à fait unique d’expertises, d’infrastructures et de ressources, toutes présentes en même temps et au même endroit. L’écosystème life sciences liégeois, ce sont des compétences en R&D, des entreprises et des spin-off, mais aussi une offre de financement adaptative soutenue par des acteurs spécialisés comme Noshaq, eux-mêmes en contact avec des fonds européens de grande envergure et susceptibles de répondre à l’ensemble des besoins (Kurma, Fund+, EQT, Mérieux, Andera Partners, Newton…). C’est aussi une offre immobilière vaste et spécialisée. Nous avons non seulement les m2 nécessaires, mais aussi et surtout des propositions innovantes qui sont le fruit d’une veille attentive des besoins en amont. À ce titre, le LégiaPark, avec ses 30.000 m2 disponibles et ses nombreuses solutions en termes de salles blanches et d’espaces de production, constitue une magnifique illustration. Enfin, c’est l’expertise de tout un secteur, notamment dans l’analyse et l’accompagnement des projets, où l’écosystème est appuyé par une équipe de premier plan, composée de profils financiers et scientifiques aguerris au monde de l’entrepreneuriat et de la gestion d’entreprise dans différents secteurs des sciences du vivant. C’est un atout précieux.
Peut-on parler d’une ‘health valley’ à Liège ?
A.T. : On peut être fier du chemin parcouru, bien que les défis ne manquent pas. Un des plus grands challenges, c’est d’assurer l’apport de ressources humaines, physiques et financières en vue d’alimenter la croissance des 140 entreprises présentes, comme de celles qui s’installent. D’où notre attention portée sur la formation, notre implication dans l’intégration de la nouvelle antenne d’aptaskill à Liège, ou encore nos efforts de coordination avec des acteurs immobiliers comme la SPI ou Noshaq Immo. En œuvrant au développement d’une vision commune, nous nous assurons d’avancer dans la bonne direction tout en collaborant plus largement avec nos voisins. C’est en travaillant avec le reste de la Wallonie, la Flandre et les pays limitrophes que nous ambitionnons de faire de Liège une ‘health valley’ dans un ‘health country’.
Liège Life Sciences
• 140 entreprises
• 30.000 m2 d’infrastructures dédiées +300M€ levés en 2021 (portefeuille Noshaq)
• 4.000 emplois directs
• 12.000 emplois indirects
• +3.000 chercheurs à l’ULiège
• 250M€ pour la recherche/an
• 4.500 publications par an
EyeD Pharma, illustre bien le parcours d’une société qui est née en décembre 2012 et qui a grandi dans l’écosystème sciences du vivant de la région liégeoise grâce aux expertises scientifiques, aux financements, aux infrastructures ainsi qu’à la bonne coordination de toutes ces ressources. Aujourd’hui, EyeD Pharma ce sont 100 personnes œuvrant au développement et la production de micro-implants oculaires pour des besoins cliniques au niveau mondial.
Dominique Demonté
Après quatre ans au sein d’Agoria, la fédération de l’industrie technologique, Dominique Demonté reprend les rênes du BioPark de Charleroi. L’occasion de voir avec lui quels sont les enjeux du secteur des biotechnologies en Wallonie.
Vous êtes depuis peu le nouveau CEO du BioPark de Charleroi. Comment se porte le secteur des biotechnologies ?
« Entre 2005 et 2020, on est passé de 9000 à 19 000 emplois en Région wallonne. Et en termes d’investissement, le chiffre d’affaires du secteur a progressé de 1,5 à 8,5 milliards. Point très important, un tiers de celui-ci est réalisé à l’exportation. Notre marché intérieur est trop petit et la majorité de ce qu’on fait est donc destiné à l’international. Il y a eu une phase de ralentissement post-Covid à l’international, mais la machine redémarre. Il ne faut donc pas s’inquiéter pour ce secteur en Wallonie.
Aujourd’hui, la Wallonie fait partie des acteurs de niveau mondial. Nous sommes reconnus et n’avons plus rien à prouver, mais nous devons rester ambitieux. Nous avons tous les atouts en main. Nous possédons de grosses entreprises. Ce sont des moteurs essentiels. Nous avons développé un tissu de PME innovantes. Nous avons alimenté un pipeline, structuré l’incubation, tissé des liens avec des fonds d’investissement… Tout a été mis en place pour développer cette croissance et ça a marché. »
Ça à l’air simple comme ça, mais comment y parvient-t-on ?
« Il faut jongler avec trois facteurs importants : articuler différents échelons, différents acteurs et différentes fonctions.
Trois échelons composent le premier axe.
D’abord le sous-régional où on peut nucléer et structurer une organisation comme le BioPark. Ensuite, il y a le niveau régional avec BioWin et une indispensable concertation pour éviter de gaspiller l’argent public. Enfin, il faut voir au niveau national comment on peut se connecter aux autres acteurs. À chaque changement de niveau, il faut aussi considérer les niveaux de compétition. Ensuite, pour développer un campus comme celui-ci, il est primordial de conserver l’alignement entre trois acteurs : les universités, le secteur privé et les pouvoirs publics. Le troisième axe, c’est de travailler sur les différentes fonctions : la recherche, l’incubation, la création d’entreprise et la formation. Si on veut avoir une stratégie de développement, il faut aligner ces différents éléments. On a réussi à le faire de façon relativement efficace en Wallonie et le BioPark en est la preuve. »
Dans cette stratégie, la recherche est primordiale mais elle nécessite des talents. N’est-ce pas difficile de trouver des personnes qualifiées ?
« Effectivement, un des gros enjeux est le manque de talents. Au sein du BioPark, nous avons créé notre propre centre de formation d’où sortent mille personnes par an. C’est aussi un enjeu impliquant plusieurs acteurs et nous avons conclu des partenariats avec le Forem et Aptaskil. Par ailleurs, dans un avenir proche nous accueillerons sur notre campus l’Euro Biotech School, pilotée par des grandes entreprises BioWin et Essenscia. La recherche de talents, la formation et la mise en place de parcours permettant à davantage de personnes d’intégrer le biomédical font partie de mes priorités. Si on va dans les rues de Charleroi et qu’on demande aux jeunes s’ils savent qu’il y a un BioPark dans leur commune, ils répondront probablement : “Ah ! On un zoo à Charleroi ?”. Il y a donc tout un travail d’information à faire en amont. Le talent est un levier indispensable. »
Le BioPark exerce une grande attractivité. Quelle est la recette de ce succès ?
« En 2000, le BioPark employait une centaine de chercheurs. Aujourd’hui, on compte trois mille deux cents travailleurs. Nous avons développé des capacités de recherche, mais nous avons également mis en place une politique de création et d’attraction d’entreprises. Il y a eu différentes phases. Nous avons développé un système d’incubation pour les premiers spins off de l’ULB que nous avons accueillis. Ensuite, des sociétés d’autres universités ont réalisé que le site était propice à leur développement. Enfin, nous avons accueilli des entreprises internationales. Elles y trouvent un intérêt : elles profitent d’un environnement scientifique et elles ont accès aux compétences de l’IBMM et du CMMI. Nous avons alors mis en place des mécanismes de consolidation avec des investisseurs. Aujourd’hui, grâce à cette dynamique, nous accueillons une soixantaine d’entreprises sur le site et le réseau BioPark en regroupe une centaine. »
A vous entendre, la biotechnologie est en plein développement. D’où vient son financement ?
« Il se fait à plusieurs niveaux, à l’aide d’investissements publics et privés pour soutenir la recherche et les entreprises. Il y a un rôle majeur joué par des acteurs publics régionaux mais aussi par des Fonds européens comme les Fonds FEDER ou le plan de relance. Ils apportent des moyens permettant de lancer des projets ambitieux. Ces projets FEDER associent universités et entreprises pour développer de nouvelles compétences de recherche utiles à la fois à la recherche fondamentale et au développement du tissu industriel. Ils ont joué un rôle majeur dans le développement du BioPark. Des réseaux d’investisseurs privés nationaux et internationaux se sont aussi développés. Ceci étant indispensable pour le développement des entreprises. »
Mais ne faudrait-il pas des fonds d’investissements plus importants en Belgique ?
« En effet, on se retrouve avec des entreprises qui, pour pouvoir continuer leur croissance, sont rachetées par des groupes internationaux. Ça peut être positif, mais il y a aussi un risque de délocalisation. Il nous faudrait des capacités de financement un peu plus importantes afin de maintenir un ancrage régional/national dans la stratégie de ces entreprises. »
C’est donc la combinaison de plusieurs ingrédients qui permettent un développement comme celui du BioPark de Charleroi ?
« Oui, et tout ces mécaniques se retrouvent sur tous les campus scientifiques. Il faut de la recherche, des infrastructures, du capital, des talents, et enfin, il faut animer la communauté. J’aime me définir comme un joyeux organisateur. Comme en cuisine, si on a tous les ingrédients on peut faire une bonne mayonnaise, mais idéalement il faut un bon cuisinier. C’est ce que je m’efforce d’être. C’est un travail de longue haleine : il a fallu vingt ans pour développer le campus du BioPark. »
Smart Fact.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
« Personne ne m’inspire en particulier. Le BioPark est une histoire collective. Après, ce sont aussi les individus qui peuvent faire la différence. Pour donner un exemple, Jean Stéphenne a joué un rôle clé dans le développement de la biotech en Wallonie. Ce qui me motive, c’est la mise en place de stratégies de développement socio-économique. Le développement économique doit être un levier pour mettre en place des conditions de vie confortables. Je suis à la fois très libéral et très social. »
Le LabHotel, un deal win-win
Le LabHotel est un concept original. Au sein du BioPark, l’Institut d’immunologie médicale permet à une entreprise en phase de démarrage de louer un bench afin de déjà réaliser un certain nombre d’expériences avant de faire ses propres investissements. Un deal win-win qui évite à la jeune société de débourser des sommes importantes en équipement tout en assurant une rentrée financière au laboratoire.
L’IBMM, là où tout a commencé
L’histoire du BioPark commence en 1999 avec l’Institut de Biologie et de Médecine Moléculaires (IBMM), le premier bâtiment que l’ULB a installé à Gosselies avec le soutien de fonds wallons et européens. Une vingtaine d’équipes de recherche y travaillent. Leurs travaux portent, entre autres, sur le trypanosome, responsable de la maladie du sommeil, sur le virus du SIDA ou sur des levures qui sont de très bons modèles pour faire de la génétique.