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Interview : Benoît Deper

Benoît Deper À la conquête de l’espace

Petite mais impressionnante, notre nation brille par son quota d’inventions et de prouesses techniques en tout genre. Conquérir l’espace ? Même pas peur ! Un satellite à la fois, Benoît Deper, CEO d’Aerospacelab, nous explique son projet fou et ambitieux.

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Du temps, de l’argent et du talent. En quelques chiffres clés, l’Aerospacelab, fabricant entre autres de petits satellites spatiaux, c’est quoi ?

« La boîte a été créée en mars 2018. Aujourd’hui, elle compte 150 collaborateurs et une soixante de millions d’euros de capital-risque. Historiquement très organisé et codifié, notre secteur est principalement composé d’entreprises de structure pyramidale qui entretiennent des liens étroits avec le gouvernement et soustraitent activement vers des PMEs pour de nombreuses compétences bien spécifiques. Aujourd’hui, nous souhaitons évoluer dans un modèle verticalement intégré et internaliser un maximum de compétences afin de conserver une certaine agilité. »

En tant que fondateur solo, comment se lancer et aborder le recrutement de talents ?

« Avec Aerospacelab, j’ai préféré me lancer seul, tout en m’entourant de personnes de confiance. Cette configuration me permet d’éviter les divergences et d’être cohérent dans mes prises de position. Dans le secteur spatial, les gens n’ont pas peur de s’expatrier pour un job. Dans la boîte, on tourne à 20 candidatures spontanées par jour et on compte actuellement 15 nationalités différentes. »

Avec la préparation et l’ouverture d’une méga-usine de production à Charleroi, vous n’avez pas chômé. Comment, et surtout pourquoi, développer et fabriquer des satellites ?

« Actuellement, nous fabriquons nos satellites dans une usine “intermédiaire” située à Louvain-la-Neuve. Pour ce qui est de l’usine de Charleroi, les permis ont été déposés et validés. En juin dernier, nous avons donc inauguré la pose de la première pierre de ce nouveau site qui sera opérationnel dans deux ans ! Quant au comment et pourquoi, les raisons sont aussi nombreuses que le nombre d’infrastructures qui ne tourneraient pas sans satellites. Sans satellite, pas d’internet. La voiture autonome ? Sans satellite, elle ne peut ni se positionner, ni naviguer avec précision. Également utilisés dans le cadre des sciences de la Terre, c’est-à-dire l’étude de notre planète au sens large, les satellites nous permettent de collecter des informations factuelles indépendantes ayant trait à la météo, au rendement agricole, au renseignement militaire (dégâts en zone de combat, etc.) ou encore à l’information pour les traders où l’on traite tout ce qui est commodités, à savoir métaux rares, l’offre et la demande sur l’énergie, etc. Tous ces éléments que l’on peut mesurer par satellite permettent d’obtenir des informations privilégiées qui favorisent alors une prise de décision plus pertinente. Par exemple, si une dépêche qui s’apprête à être publiée annonce le bombardement d’un quartier X dans l’un ou l’autre pays, le satellite peut venir, par le biais d’images satellites précises, corroborer ou non ces dires en vérifiant ces informations. Des déclarations de sinistres arrivent chez un assureur pour signaler qu’un toit a été arraché suite à une tempête ? Le satellite fournira les images qui le prouvent. » plus intéressants. L’Europe n’étant pas en avance dans ce domaine, une large fenêtre d’opportunités s’offre à nous. Si on agit suffisamment vite et suffisamment fort, on devrait pouvoir viser la place de n°1 en Europe. »

Quel est le ratio de la R&D chez Aerospacelab ?

« 95 %. On ne fait quasiment que ça. Les satellites sont des engins assez capricieux qui évoluent dans des environnements extrêmes avec des températures qui oscillent entre 100 et 200 degrés. Pour assurer leur fiabilité et leur bon fonctionnement, la R&D joue un rôle central. En parallèle à cela, pour répondre plus rapidement aux besoins de nos clients et optimiser nos activités, on dédie une grande partie de notre temps à travailler sur la standardisation des différentes étapes de développement et de production. Il y a donc de la R&D consacrée à la création de satellites et de la R&D liée à l’industrialisation de nos satellites. Dans le futur, même en automatisant un maximum de tâches et en mettant en place un processus optimisé au mieux, je pense qu’on restera autour des 50 % de masse salariale et 50 % d’investissement en R&D. »

L’Aerospacelab fait partie du NewSpace, un nouveau domaine entrepreneurial qui voit des entreprises investir l’espace. La Belgique a-t-elle une carte à jouer face aux entreprises américaines qui dominent le domaine spatial ?

« Depuis toujours, la Belgique est bien classée et joue un rôle important dans le domaine spatial. Néanmoins, très souvent et suite au contexte dans lequel notre pays évoluait, nous étions tenus de nous cantonner à un rôle de suiveur de donneurs d’ordres avec une fonction de sous-traitant. Maintenant, on voit qu’il est possible de faire du spatial autrement. Il est donc possible pour nous de reprendre un contrôle sur la chaîne de valeurs, plus complète, avec des éléments Qui dit projet inédit dit sûrement anecdotes inédites… Nous sommes curieux !

« Maintenant on peut le dire car tout s’est bien passé mais… pour le lancement de notre premier satellite, on était sacrément à la bourre. Avec une prise de risques maîtrisée, nous avons lancé dans l’espace un satellite qui nécessitait d’être patché en vol. Une autre anecdote vient plutôt du front Ressources Humaines. À l’époque où nous n’étions encore que dix, une personne est arrivée dans nos bureaux affirmant avoir un entretien d’embauche. Bizarrement, cela ne nous disait rien. En effet, il n’y avait pas d’entretien prévu mais cette personne se présentait, au culot, pour en obtenir un. Nous l’avons laissée repartir et demandé de nous envoyer un CV. Néanmoins, une fois le CV reçu et après un test, nous l’avons engagée et elle travaille avec nous depuis ! »

Smart Fact.

Si vous ne construisiez pas de navettes spatiales, que feriez-vous ? « J’ai toujours des plans B, donc je trouverais de quoi m’occuper. La biologie de synthèse me plaît beaucoup. Avoir quelques boîtes, avec un maximum de deux, ok. Mais faire partie de la jet-set de la tech, ce n’est pas mon truc. »

Les satellites sont des engins assez capricieux qui évoluent dans des environnements extrêmes avec des températures qui oscillent entre 100 et 200 degrés.

Chez Aerospacelab, un satellite prend en moyenne entre six et dix-huit mois pour voir le jour.

Son coût, quant à lui, varie entre 1 et 5 millions d’euros selon les spécificités du projet. Dans un futur plus ou moins proche, l’objectif ultime serait de réduire la durée du processus de fabrication ainsi que son coût jusqu’à atteindre des délais records : un satellite produit en trois mois pour 500.000 euros.

L’avenir d’Aerospacelab

Alors que l’usine existante a été conçue pour produire jusqu’à 24 satellites par an, la future mégausine carolo sera suffisamment grande pour produire… 500 satellites par an ! Sur ces deux sites industriels, l’Aerospacelab exploitera des installations de test afin de promouvoir une intégration verticale et, par conséquent, une agilité maximisée.

L’industrie spatiale belge : du labo à la réalisation industrielle

Entre politiques européennes, compétitivité et enjeux majeurs en matière de recherche et développement, le secteur spatial est, disons-le tout net, un véritable OVNI pour les non-affiliés. Et si le cadre dans lequel il évolue semble être une évidence, la variété et la complexité des domaines qui le composent résulte plutôt d’un grand mystère.

Du véhicule spatial au satellite en passant par la sonde et le lanceur (nom donné à la fusée dans le domaine astronautique), les engins complexes qui rendent la conquête de l’espace possible sont le fruit d’un développement approfondi et d’une fabrication impliquant parfois des milliers d’éléments. Pour voir le jour, subsister ou croître dans cet écosystème, les entreprises industrielles du secteur privé et public et les centres de recherche répondent aux commandes d’agences gouvernementales internationales en charge du développement de divers programmes spatiaux.

À la tête du Centre Spatial de Liège (le CSL), un institut unique en son genre en Belgique, Serge Habraken travaille avec une centaine de collaborateurs, dont deux tiers d’ingénieurs et de physiciens. En 60 ans d’existence, le CSL a participé à presque toutes les missions de l’Agence Spatial Européenne et à plusieurs missions de la NASA impliquant la réalisation d’instruments d’optique embarqués à bord de satellites, soit plusieurs dizaines (entre 20 et 30).

De Juno à Planck en passant par ExoMars Nomad, Solar Orbiter ou encore SOHO EIT, « nous sommes un centre de recherches appliquées de l’Université de Liège, spécialisé dans la conception, le développement, l’intégration, la qualification et l’étalonnage d’instruments spatiaux. Pour ce faire, nous nous spécialisons dans l’optique, donc dans les satellites d’observation », explique-t-il.

Et si la renommée du centre se base sur son statut en tant que premier institut de recherche et d’essais technologiques en instrumentation spatiale, sa renommée européenne avec tous les grands noms de satellites européens (Thales, Airbus, etc.) se fonde également sur ses capacités en matière de ‘test de qualification à l’environnement spatial’. « En Belgique, nous sommes les seuls à disposer de cette infrastructure d’essais environnementaux hautement spécialisée dans l’exposition des instruments, systèmes et satellites aux conditions extrêmes rencontrées dans l’espace. Les différents pays ont leurs centres qu’ils utilisent principalement dans le cadre de leurs missions de défense. Pour le reste, ils font souvent appel à nous.»

Dans ce contexte de tests et simulations, le Centre Spatial de Liège s’applique à travailler sur des projets industriels personnalisés, mais aussi à simuler l’environnement spatial que les satellites devront supporter dans l’espace et à vérifier la qualité optique des instruments dans ces températures extrêmes.

Et si les températures extrêmes en spatial sont rarement très chaudes et ne dépassent donc quasiment jamais les 100°C, les températures cryogéniques peuvent descendre jusqu’à -270°C, soit près du zéro absolu, c’est-à-dire 273,15°C. «Dans certains domaines comme celui des tests environnementaux, nous allons nous rapprocher le plus possible du zéro absolu, le point où disparaît le bruit thermique. Notre expertise est souvent incontournable pour de grandes missions. Certaines places sont prises jusqu’à 2030. Dans les autres domaines, par contre, nous ne sommes pas uniques, mais nous proposons des services indépendants et neutres dans le cadre universitaire ! »

En effet, exigeante, compétitive et dépendante des financements attribués à ces projets d’envergures internationales, l’industrie spatiale évolue dans le cadre de consortiums européens où chaque acteur saisit ses pièces du puzzle afin de prendre part au projet. En se positionnant tel un partenaire de confiance dans la recherche spatiale et en apportant son soutien et son expertise aux différentes entreprises actrices de cette conquête, le CSL jongle avec une moyenne de 60 projets en parallèle. Une source de revenus essentielle à la préservation du personnel sur site puisque pour assurer sa pérennité, il est de la responsabilité du centre de maintenir lui-même son activité par le biais de contrats et projets. « On a commencé à approcher le nombre de 100 il y a vingt ans. On ne cherche pas à en atteindre 1 000, ce n’est pas un objectif de l’université, ni le nôtre. On cherche plutôt l’excellence et la reconnaissance de ce que l’on fait. »

Entre les projets de recherches, l’amélioration continue des processus et la préparation de l’avenir, il est indispensable pour l’industrie spatiale d’avoir une longueur d’avance. Par le biais de toute cette R&D et via l’acquisition et le développement continu de compétences, ce centre sert également d’intermédiaire éducatif, de relais technologique visant à faire vivre ces expériences aux étudiants universitaires et participe ainsi à former ces futurs diplômés.

De la transmission de connaissances à une expertise multifacette internationale reconnue, vous l’aurez compris, l’industrie spatiale belge et ses acteurs ont encore de beaux jours devant eux et de nombreuses surprises à nous offrir.

Vous souhaitez en comprendre l’envergure en allant jeter un coup d’œil à l’infrastructure d’exception dont dispose le Centre Spatial de Liège ? Une journée porte ouverte se tiendra le dimanche 2 octobre 2022 dans le cadre de la journée découverte en entreprise en Wallonie. Alors, prêts à embarquer dans l’univers incroyable de l’industrie spatiale belge ? Nous aussi !

Serge Habraken

Président du Comité de Direction

Switch To Space 3 pour un job, la tête dans les étoiles

Pour sa troisième édition, Switch To Space se tiendra ce 19 octobre au Palais d’Egmont. L’occasion pour les jeunes de se familiariser avec un secteur d’activités plein d’avenir en Belgique.

S’il y a bien un domaine qui a de l’avenir devant lui en termes de Recherche et Développement, c’est bien le secteur spatial. Et pour cause, l’espace est encore une zone infinie à découvrir et la Belgique peut devenir un acteur fondamental de son exploration si nous nous en donnons les moyens nécessaires. Pour ce faire, nous devons nous assurer que les forces vives de demain soient au rendez-vous. Or il faut bien l’admettre, c’est ce dont le secteur manque cruellement à l’heure actuelle. « En 2014, sur les 35 000 personnes travaillant dans le domaine spatial en Belgique, 35% avaient entre 49 et 59 ans, explique Dominique Tilmans, ancienne sénatrice et responsable du projet YouSpace. Ce qui annonce prochainement un nombre de départs à la retraite conséquent ». Il était donc primordial de trouver des solutions afin d’attirer les esprits ingénieux fraîchement diplômés de nos universités.

C’est ce qu’ont très bien compris les organisateurs de l’initiative Switch To Space, le plus grand événement en Belgique dédié aux étudiants et aux jeunes professionnels intéressés par une carrière dans le domaine spatial. Pour cette troisième édition en quatre ans d’existence (l’événement se tient tous les deux ans), les organisateurs ont décidé de ne pas faire les choses à moitié comme à leur habitude avec un budget de plus de 125.000 €. L’événement se tiendra ainsi toute la journée du 19 octobre 2022 au Palais d’Egmont à Bruxelles et réunira plus de 50 intervenants, experts dans leur secteur, plus de 600 participants et une vingtaine d’employeurs potentiels. « Les jeunes ne savent pas encore vraiment ce qu’ils souhaitent faire après leurs années d’études. Ils ne se tournent presque jamais vers une carrière dans le domaine spatial parce que, trop souvent, ils en méconnaissent les nombreuses possibilités ! poursuit Dominique Tilmans. Cet événement est donc l’occasion pour eux de rectifier le tir et de leur permettre de se projeter dans l’avenir ». Cette année, l’événement débutera avec trois sessions plénières (9h20 - 12h30) durant lesquels les intervenants développeront trois sujets aussi passionnants l’un que l’autre : « Le rôle de l’Europe et de la Belgique dans l’exploration de Mars », « La place de l’industrie belge dans l’objectif Lune et l’objectif Mars » et « Comment pouvons-nous bénéficier des explorations technologiques de la Lune et de Mars ? ». Avec ces différentes prises de parole, les organisateurs veulent notamment attirer l’attention sur l’importance du secteur dans la vie de tous les jours, et de son développement. « La société civile ne voit le domaine spatial que comme une affaire de gros sous. Mais elle ignore généralement les retombées extrêmement positives sur notre quotidien. Que ferait-on aujourd’hui sans les satellites ? ». Les interventions d’urgence, l’utilisation du GPS, la lutte contre le réchauffement climatique ou encore le développement des transports modernes n’auraient effectivement pas pris une telle ampleur ces dernières années sans le développement du secteur spatial.

Après les sessions plénières, ce sera l’occasion pour les jeunes de partir à la rencontre de la vingtaine d’entreprises sponsors présentes sur place. Et c’est sous la forme d’un speed dating et d’un CV corner que les organisateurs ont imaginé cette rencontre. « Trois grands tableaux seront affichés. L’un rassemblera les CV des jeunes, un autre compilera toutes les offres d’emplois disponibles et le dernier répertoriera les offres de stages ».

La dernière partie de la journée (14h30 - 16h30) sera consacrée au développement de 7 nouvelles thématiques chères au monde spatial. On devrait notamment y aborder des questions brûlantes telles que l’utilisation des ressources locales sur les différentes planètes, les technologies spatiales pour la découverte de la Lune et de Mars, le rôle des télescopes ou encore l’avenir des astronautes dans l’exploration spatiale. « Ces sessions simultanées devraient accueillir jusqu’à 7 intervenants différents. Ce qui promet une véritable richesse en termes d’informations ».

Enfin, l’événement se clôturera sur un cocktail (18h) lors duquel les jeunes pourront s’adonner à un networking bienvenu dans cet univers aussi passionnant que prometteur. « Ce que nous souhaitons surtout faire découvrir aux jeunes, ce sont les raisons de s’enthousiasmer pour le domaine spatial, conclut Dominique Tilmans. Après tout, le travail représente environ 45 ans de la vie de chacun. Autant que cette fameuse tranche de vie se fasse la tête dans les étoiles ».

Dominique Tilmans

Ancienne sénatrice et responsable du projet YouSpace

Switch To Space est un événement unique en son genre et n’aurait jamais vu le jour sans l’équipe qui le porte à bout de bras au quotidien et les nombreux sponsors. Vous avez envie de vous inscrire ? www.switchtospace.org. Ne tardez plus !

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