MARC CHAGALL - IMPRESSIONS

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IMPRESSIONS PALAIS LUMIÈRE Ville d’Évian

MARC CHAGALL IMPRESSIONS



Préface du maire

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Marc Francina

Avant-propos Foreword

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Céline Chicha-Castex

BIOGRAPHIE biography

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Chagall, un conteur en images. Les premières gravures Chagall, a storyteller in image. The early prints Chagall et le livre Chagall and books

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Marie-Françoise Quignard

Chagall lithographe La quête de la couleur Chagall as lithographer The quest for colour

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Céline Chicha-Castex

Collaboration - Inspiration - Amitié : Marc Chagall et Gérald Cramer Collaboration - Inspiration - Friendship: Marc Chagall and Gérald Cramer

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Christian Rümelin

Liste des œuvres exposées List of exhibits BiBLIographie BiBLIography

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Yousuf Karsh Marc Chagall, 1982


C’est avec beaucoup de fierté que le Palais Lumière déroule le tapis rouge à Marc Chagall, du 28 juin au 2 novembre, à l’occasion d’une exposition consacrée à l’évolution de l’œuvre gravé de l’artiste. Plus de cinquante ans après la rétrospective organisée par la Bibliothèque nationale, l’exposition « Marc Chagall, impressions » met en lumière le cheminement et le processus de création de ses estampes. Rien ne prédisposait la Ville d’Évian à accueillir une telle exposition, mais le hasard d’une rencontre entre Denis Ecuyer, alors adjoint en charge des expositions et Céline Chicha-Castex, conservateur au département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France, en a décidé autrement et convaincu les différents prêteurs que le Palais Lumière constituait un fabuleux écrin pour accueillir la vaste collection de lithographies de l’artiste. Cette exposition repose en grande partie sur la collection de lithographies rassemblée par Charles Sorlier, professeur, puis assistant et ami de Chagall pendant plus de trente-cinq ans dans l’atelier de l’imprimeur Fernand Mourlot. L’Exposition présente également un ensemble exceptionnel de gravures et de livres de la Fondation Cramer conservés au musée d’Art et d’histoire de Genève, qui permet d’évoquer la collaboration entre le galeriste et l’artiste. Ces ensembles sont complétés par des prêts d’œuvres issues de collections publiques et privées, dont le musée national Marc Chagall de Nice, la Bibliothèque nationale de France ou encore la collection Tériade du musée départemental Matisse du Cateau-Cambrésis. La réunion de ces collections permet d’appréhender la richesse des techniques et des thèmes explorés par l’artiste. Je me réjouis de ces nombreuses collaborations et je remercie chaleureusement l’ensemble des prêteurs qui ont permis à ce projet de voir le jour. Je tiens à saluer le formidable travail d’investigation de la commissaire d’exposition, Céline Chicha-Castex et remercie également Denis Ecuyer et Magali Modaffari, adjointe au maire aux expositions de leur investissement. Je remercie enfin le Conseil régional Rhône-Alpes et le Conseil général de la Haute-Savoie de leurs soutiens financiers. Je suis persuadé que cette exposition haute en couleur et le nom de Chagall à jamais gravé sur le fronton du Palais Lumière contribueront à forger durablement la notoriété de l’espace d’exposition.

Marc Francina Maire d’Évian, député de la Haute-Savoie

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« Je suis sûr que Rembrandt m’aime ! », déclare Chagall à la fin de son autobiographie. S’il n’avait pas encore commencé à graver au moment de sa rédaction (entre 1915 et 1922), il devait connaître et apprécié non seulement la peinture, mais aussi, certainement, l’œuvre gravé du grand maître hollandais. C’est à la faveur d’une commande qu’il commença à pratiquer l’estampe en 1922, âgé alors de trente-cinq ans. Si ses débuts dans cet art furent tardifs, il s’y consacra dès lors avec passion et assiduité, créant un œuvre imprimé considérable, tant par sa qualité que par sa quantité. Surtout peintre, Chagall apprécia néanmoins les défis que lui offraient les sollicitations de s’essayer à de nouvelles techniques : il pratiqua ainsi avec goût la céramique, le vitrail et la tapisserie. Dès ses premières gravures, l’estampe fut pleinement intégrée dans sa création, soit que les procédés d’impression aient une incidence sur sa peinture, soit que sa peinture influence sa pratique de l’estampe. Les recherches de Chagall dans ce domaine portèrent essentiellement sur la manière de traduire les valeurs picturales aux moyens des procédés d’impression, jusqu’à la découverte, après la guerre, de la lithographie en couleurs, qui devint véritablement la technique de prédilection de cet illustre coloriste.

At the end of his autobiography, Chagall exclaims: “I am certain Rembrandt loves me!” Although he had not yet begun his engraving work when he wrote this (between 1915 and 1922), he doubtless would have known and enjoyed not just the painting, but the engraved work of the great Dutch master. It was through a commission that he began, in 1922, at the age of thirty-five, to practice printmaking. While his debut in this art was late, he subsequently devoted himself to it with passion and diligence, creating a considerable printed oeuvre, both in terms of quality and quantity. Although a painter, Chagall appreciated the challenges presented to him by the various demands of trying new techniques: thus, he worked with relish in ceramics, stained glass and tapestry.

Un grand nombre d’estampes créées par Chagall étaient destinées à accompagner des textes, qu’il s’agisse de ses propres écrits, Chagall étant également l’auteur d’œuvres littéraires, ou de grands classiques de la littérature mondiale. Malgré les liens amicaux noués avec beaucoup d’écrivains contemporains, il illustra peu leurs textes. Chagall devint conteur en images dans des cycles d’estampes mémorables qui ont marqué l’histoire de cet art au xxe siècle.

A large number of prints created by Chagall were to accompany texts, whether his own writings – Chagall also wrote literary texts – or classics of world literature, but although he had forged strong friendships with many contemporary writers, he seldom illustrated their texts. In his memorable print cycles, Chagall became a visual storyteller in works that marked the history of this art in the twentieth century.

Si Chagall a pris goût à l’estampe, il convient de rappeler le rôle éminent des éditeurs d’art qui l’incitèrent à la pratiquer lors de commandes soit de planches en feuille, soit d’illustrations de livres : citons notamment Paul Cassirer, Ambroise Vollard, Tériade, Aimé Maeght, Gérald et Patrick Cramer, A. C. Mazo. Chagall sut également bénéficier du concours d’habiles techniciens de la gravure et de la lithographie, tels Jacques Frélaut, et les imprimeurs-lithographes du célèbre atelier Mourlot, en particulier Charles Sorlier, dont la collection constitue le noyau de cette exposition.

While Chagall developed a taste for print, the important role of the art publishers who led him to its use through commissioning prints or book illustrations, should be noted. These include Paul Cassirer, Ambroise Vollard, Tériade, Aimé Maeght, Gérald and Patrick Cramer, and A. C. Mazo. Chagall also benefited from the assistance of technicians skilled in engraving and lithography, such as Jacques Frélaut, as well as the lithographers and printers of the renowned Mourlot workshop, in particular Charles Sorlier, whose collection forms the core of this exhibition.

Cat. 40 Autoportrait au couple, 1964 Lithographie, 75,7 x 56 cm Bouquinerie de l'Institut, Paris

From his earliest engravings, Chagall fully integrated print into his creation, whether the printing processes had an impact on his painting, or his painting influenced his practice of printmaking. Chagall’s research in this field mainly focused on how to transcribe pictorial values ​​through printing processes, until the discovery of colour lithography during the post-war era, which became the preferred technique for this great colourist.

Céline Chicha-Castex 7



Biographie Biography 7 juillet 1887

7 July 1987

Naissance de Marc Chagall à Vitebsk, en Biélorussie, au sein d’une famille juive.

Marc Chagall is born into a Jewish family in Vitebsk, Belarus.

Hiver 1906-1907

Winter, 1906–1907 Begins to study painting under Jehouda Pen in Vitebsk.

Il fréquente l’atelier de Jehouda Pen à Vitebsk.

1907-1909 Il séjourne à Saint-Pétersbourg où il fréquente l’atelier de Léon Bakst, qui enseigne à l’école Svanseva, ouverte aux courants artistiques modernes.

1911 Grâce à une bourse du mécène Maxime Vinaver, Chagall part pour Paris. Il s’installe dans un atelier de La Ruche, où il reste jusqu’en 1914. Il se lie avec Robert et Sonia Delaunay, et avec Blaise Cendrars. Il peint ses premières grandes œuvres : À la Russie, aux ânes et aux autres, Moi et le Village, Hommage à Apollinaire.

1907–1909 Stays in Saint Petersburg. Attends Léon Bakst’s studio, a teacher at Svanseva school, open to modern artistic currents.

1911 Chagall leaves for Paris, thanks to a scholarship from arts patron Maxime Vinaver. Moves into a studio in La Ruche, where he will stay until 1914. Meets Robert and Sonia Delaunay and Blaise Cendrars. Paints his first major works: A la Russie, aux ânes et aux autres, Moi et le Village, Hommage à Apollinaire.

1914

1914

Exhibition at Herwarth Walden’s Der Sturm gallery in Berlin. Returns to Vitebsk.

Exposition à la galerie Der Sturm de Herwarth Walden, à Berlin. Il rentre à Vitebsk.

1915 Marries Bella Rosenfeld, whom he had met in 1909.

1915 Il se marie avec Bella Rosenfeld, qu’il a rencontrée en 1909.

1916-1917 Naissance de leur fille, Ida. Participe à l’exposition du Valet de carreau. Premières illustrations accompagnant deux œuvres de la littérature yiddish : une nouvelle d’Isaac Leib Peretz, Le Magicien, et deux récits en vers de Der Nister, Avec le coq et Avec la petite chèvre.

1917-1918 Chagall est nommé commissaire aux beaux-arts pour le gouvernement de Vitebsk. Il y fonde une école des beaux-arts où il fait venir comme professeurs les peintres El Lissitzky, Kasimir Malevitch, Jean Pougny…

1919 Chagall s’oppose au dogmatisme du suprématisme de Malevitch qui domine l’école. Il démissionne et part pour Moscou. Cat. 55 Autoportrait, 1968 Eau-forte en couleurs, 31 x 24 cm Fondation Gérald Cramer, Genève

Marc Chagall à Saint-Pétersbourg, 12 septembre 1907 Marc et Bella Chagall avec leur fille, Ida, 1917

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1920-1921

1916–1917

Il crée des décors pour le théâtre d’Art juif de Moscou.

Birth of his daughter, Ida. Takes part in the exhibition Valet de carreau. Early illustrations for two works of Yiddish literature: a short story by Isaac Leib Peretz, The Magician and two poetic tales by Der Nister, Avec le coq and Avec la petite chèvre.

1922-1923 Chagall part pour Berlin. Le marchand d'art et éditeur berlinois Paul Cassirer envisage la publication d’une édition illustrée de son autobiographie, Ma vie, commencée en 1915. Chagall apprend les techniques de gravure auprès du graveur allemand Hermann Struck. Il se familiarise également avec le bois gravé et la lithographie. En raison de difficultés de traduction, l’éditeur renonce à son projet initial et publie seulement vingt gravures rassemblées dans un album intitulé Mein Leben (« Ma vie »).

1923-1925 Blaise Cendrars incite Chagall à revenir à Paris afin de rencontrer le marchand-éditeur Ambroise Vollard. À la demande de ce dernier, il illustre Les Âmes mortes, de Nicolas Gogol : l’ouvrage n’est édité qu’en 1948, par Tériade. Chagall se lie d’amitié avec Jacques Maritain, Jean Paulhan et Jules Supervielle.

1926-1929 Toujours à la demande de Vollard, Chagall peint une trentaine de gouaches préparatoires à des illustrations pour les Fables de Jean de La Fontaine : ces gouaches sont exposées à la galerie BernheimJeune, à Paris, en 1930. Après plusieurs tentatives infructueuses, Chagall renonce à les transposer en gravures en couleurs et crée finalement des gravures en noir et blanc imprimées à l’atelier de Louis Fort, puis chez Maurice Potin. L’ouvrage n’est édité par Tériade qu’en 1952. Chagall crée cinq gravures pour le roman Maternité de son ami Marcel Arland. Il illustre Les Sept Péchés capitaux de Jean Giraudoux, des textes de Paul Morand, Pierre Mac Orlan, André Salmon, Max Jacob, Jacques de Lacretelle, Joseph Kessel. Pour la Suite provinciale de Gustave Coquiot, il utilise des dessins inspirés de croquis exécutés sur le motif lors d’un séjour en Auvergne.

1917–1918 Chagall is appointed Vitebsk commissioner of arts. He establishes a fine arts school, where he invites artists such as El Lissitzky, Kasimir Malevitch, Jean Pougny, etc. as teachers.

1919 Chagall opposes the dogmatism of Malevitch’s Suprematism that is dominant in the school. He quits and leaves for Moscow.

1920–1921 Creates sets for the Moscow Jewish Art Theater.

1922–1923 Chagall leaves for Berlin. The publisher Paul Cassirer plans to publish an illustrated edition of his autobiography, Ma Vie, which he had begun in 1915. Chagall learns engraving techniques with the German engraver Hermann Struck, and also becomes familiar with woodcuts and lithography. The publisher, because of translating difficulties, terminates the initial project and only releases 20 etchings gathered in an album called Mein Leben.

1923–1925 Blaise Cendrars pushes Chagall to return to Paris to meet the dealer and publisher Ambroise Vollard. Upon Vollard’s request, he illustrates Gogol’s Dead Souls: the book was ultimately published in 1948 by Tériade. Chagall becomes friends with Jacques Maritain, Jean Paulhan and Jules Supervielle.

1926–1929

Marc, Bella et Ida Chagall avec Ambroise Vollard

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Chagall paints about 30 preparatory gouaches to illustrate La Fontaine’s Fables at Vollard’s request: they will be displayed at the Bernheim-Jeune gallery in Paris in 1930. After several unsuccessful attempts, he renounces transposing them to coloured prints, and, in the end, creates black and white engravings printed in Louis Fort’s workshop, then at Maurice Potin’s. The book was only published in 1952, by Tériade. Chagall produces five etchings for the novel Maternité by his friend Marcel Arland. He illustrates Jean Giraudoux’s Les Sept Péchés capitaux (Seven Deadly Sins), texts by Paul Morand, Pierre Mac Orlan, André Salmon, Max Jacob, Jacques de Lacretelle and Joseph Kessel. For Gustave Coquiot’s Suite provinciale he creates drawings inspired by on-site sketches he had made during a stay in Auvergne. Vollard asks Chagall to create a circus-themed book. He meets the


Vollard souhaite confier à Chagall la réalisation d’un livre sur le thème du cirque. Rencontre avec l’éditeur Tériade. Chagall devient l’un des membres de la Société des PeintresGraveurs indépendants. Il fait don de 96 gravures des Âmes mortes à la galerie Tretiakov, de Moscou.

1931 Chagall voyage en Palestine. De retour à Paris, il grave des eauxfortes pour illustrer la Bible à la demande de Vollard. À la mort de celui-ci, en 1939, seulement 66 des 105 planches prévues sont achevées. Chagall reprendra ce travail en 1952. L’ouvrage fut édité par Tériade en 1956. Publication de Ma vie, aux éditions Stock : la traduction a été établie par André Salmon et revue par Bella Chagall avec l’aide de Ludmilla Gaussel et de Jean Paulhan.

1932

publisher Tériade. Becomes one of the founding members of the Société des Peintresgraveurs indépendants. Chagall donates 96 etchings from the Dead Souls to Tretiakov gallery in Moscow.

1931 Chagall travels to Palestine. On return to Paris, he creates etchings to illustrate the Bible, commissioned by Vollard. When the latter dies in 1939, only 66 out of the planned 105 plates are complete. Chagall will return to this work in 1952 and the book will be published by Tériade in 1956. Ma Vie is published by Stock, translated by André Salmon and reviewed by Bella Chagall with the assistance of Ludmilla Gaussel and Jean Paulhan.

1932 Travels to Holland where he discovers the work of Rembrandt.

Voyage en Hollande, où il découvre les œuvres de Rembrandt.

1937

1937 Chagall takes French nationality.

Chagall prend la nationalité française.

1941 Chagall part pour les États-Unis avec l’aide de Varian Fry, le directeur de l’Emergency Rescue Committee. À New York, il retrouve d’autres artistes et écrivains réfugiés : Fernand Léger, Georges Bernanos, André Masson, Piet Mondrian et André Breton. Pierre Matisse devient son marchand.

1942-1944 À New York, Chagall pratique la gravure dans l’atelier de Stanley William Hayter, où travaillent de nombreux artistes européens réfugiés aux États-Unis. Il crée des estampes sur le thème du cirque. Décors et costumes du ballet Aleko de Piotr Tchaïkovsky, produit à Mexico, puis à New York. Série de tableaux inspirés par la guerre : Obsession, La Crucifixion jaune, La Guerre.

1944

1941 Helped by Varian Fry, head of the Emergency Rescue Committee, Chagall flees to the United States. In New York, he meets with other refugee artists and writers: Fernand Léger, Georges Bernanos, André Masson, Piet Mondrian and André Breton. Pierre Matisse becomes his art dealer.

1942–1944 In New York, Chagall works on engravings in Stanley William Hayter’s workshop, along with many European artists who had sought refuge in the United States. He creates circus-themed prints, as well as sets and costumes for Piotor Tchaïkovsky’s ballet Aleko, produced in Mexico, then in New York and a series of paintings inspired by the war: Obsession, La Crucifixion jaune, La Guerre.

1944 Bella Chagall’s death plunges Chagall into profound despair.

Mort de Bella Chagall, qui plonge Chagall dans un profond désespoir.

1946 Après un an d’interruption, Chagall reprend la peinture. Il crée une série de gouaches sur le thème des Milles et Une Nuits, préparatoires à ses premières lithographies en couleurs, imprimées par Albert Carman à New York et rassemblées dans un album intitulé Four Tales from the Arabian Nights, édité en 1948 par Pantheon Books Inc., maison d’édition fondée à New York par Jacques Schiffrin.

1946 After a year-long break, Chagall returns to painting. He creates a series of gouaches on the Thousand and One Nights, to prepare for his very first colour lithographs, printed by Albert Carman in New York, gathered in an album called Four Tales from the Arabian Nights published in 1948 by Pantheon Books, a publishing company established in New York by Jacques Schiffrin. He settles with Virginia McNeil in High Falls in Upstate New York. Their son David is born. 11


Chagall s’installe avec Virginia McNeil à High Falls, dans l’État de New York. Naissance de leur fils, David.

1948-1952 Chagall rentre en France et s’installe à Orgeval, dans la région parisienne, puis à Vence, en Provence. Il rencontre Valentina Brodsky, qu’il épouse en 1952. Aimé Maeght devient son marchand en France. L’éditeur Tériade rachète toutes les gravures des Âmes mortes, des Fables et de la Bible du fonds Vollard en vue de les publier. Il propose à Chagall l’illustration de Daphnis et Chloé de Longus. À la Biennale de Venise de 1948, une salle entière du pavillon français est consacrée aux œuvres de Chagall : à côté des peintures et dessins sont exposées des gravures des Âmes mortes, des Fables et de la Bible. Chagall reçoit le prix de gravure de la Biennale.

1950 Chagall est installé à Vence, mais il continue à se rendre régulièrement à Paris, où il pratique la lithographie dans l’atelier de Fernand Mourlot. C’est là qu’il perfectionne sa technique de la lithographie et rencontre Charles Sorlier, qui l’assistera dans la création de toutes ses lithographies et deviendra un fidèle collaborateur. Chagall illustre les Contes de Boccace de dessins et de lavis reproduits dans le numéro 24 de la revue Verve, éditée par Tériade.

1952 Parution des Fables de La Fontaine aux éditions Verve dirigées par Tériade. Chagall séjourne en Grèce, où il réalise des études pour Daphnis et Chloé.

1948–1952 Chagall returns to France, first settling in Orgeval, near Paris, then in Vence. Meets Valentina Brodsky, whom he will marry in 1952. Aimé Maeght becomes his art dealer in France. The publisher Tériade buys all the etchings of Dead Souls, Fables and The Bible from the Vollard estate to publish them. He asks Chagall to illustrate Longus’s Daphnis et Chloé. At the 1948 Venice Biennale, an entire room of the French Pavilion is dedicated to the works of Marc Chagall; alongside his paintings and drawings are displayed prints from Dead Souls, Fables and the Bible. Chagall receives the Biennale prize for printing for his engravings.

1950 Chagall settles down in Vence. He still travels to Paris on a regular basis to practice engraving and lithography in Fernand Mourlot’s workshop. It is here he will perfect his practice of lithography and meets Charles Sorlier who will assist him in the making of all his upcoming lithographs. Chagall illustrates Boccace’s Tales with sketches and wash drawings reproduced in the journal Verve no. 24, published by Tériade.

1952 Publication of La Fontaine’s Fables by Éditions Verve, a company ran by Tériade. Chagall travels to Greece where he makes studies for Daphnis et Chloé.

1953 Begins the Message Biblique series of paintings.

1953 Il commence la suite des peintures du Message biblique.

1954 À l’occasion d’une exposition à la galerie Maeght, la revue Derrière le miroir est entièrement consacrée à Chagall, qui a créé 11 lithographies sur le thème Paris fantastique. Chagall séjourne de nouveau en Grèce, d’où il rapporte de nombreux dessins et gouaches préparatoires aux lithographies de Daphnis et Chloé.

1956 Il réalise de nombreuses lithographies, notamment sur des cycles bibliques. Le numéro 33-34 de la revue Verve est consacré à Marc Chagall : il compte des reproductions des gravures de la Bible, ainsi que 28 lithographies originales sur des thèmes bibliques. Publication de la Bible par Tériade. 12

1954 For his exhibition at the Maeght gallery, the revue Derrière le Miroir is entirely devoted to Chagall, producing 11 lithographs on the topic of Paris fantastique. Chagall visits Greece again, returning with many drawings and preparatory gouaches for the Daphnis et Chloé lithographs.

1956 A great number of lithographs are produced, especially around biblical cycles. Verve no. 33/34 is dedicated to Marc Chagall: it contains reproductions of the Bible engravings, and 28 original lithographs on biblical topics. Tériade publishes The Bible.

1957 Retrospective of Chagall’s engraved works in the Bibliothèque


1957 À Paris, la Bibliothèque nationale organise une exposition rétrospective de l’œuvre gravé de Chagall. Il débute la création des lithographies pour Daphnis et Chloé chez Mourlot.

1958 Chagall reprend la taille-douce à l’occasion de l’illustration de De mauvais sujets de Jean Paulhan édité par Les Bibliophiles de l’Union française. Il aborde l’eau-forte en couleurs à l’atelier Lacourière-Frélaut, avec l’aide de Jacques Frélaut, qui deviendra l’un de ses fidèles collaborateurs. Chagall rencontre Charles Marq, un maître verrier. Là commence une collaboration étroite pour la réalisation de vitraux, notamment pour la cathédrale de Metz (1959), le centre médical Hadassah de Jérusalem (1960), les bâtiments de l’ONU à New York (1964).

1960 Premier volume de Chagall lithographe (1922-1957) : avant-propos de Marc Chagall, texte de Julien Cain, notices de Fernand Mourlot, édité par André Sauret. Cinq autres tomes suivront, jusqu’en 1986, les quatre derniers ayant été rédigés avec l’aide de Charles Sorlier.

1961 Parution de Daphnis et Chloé édité par Tériade. Chagall crée son premier monotype sur la suggestion de l’éditeur genevois Gérald Cramer ; il se passionne pour ce procédé et exécute plus de 200 monotypes entre 1961 et 1975. Dans son atelier de Saint-Paul-de-Vence, il installe une presse grâce à laquelle il imprime des gravures sur cuivre ainsi que des monotypes, avec l’aide de l’imprimeur Jacques Frélaut.

1963 André Malraux propose à Chagall de concevoir un nouveau plafond pour l’opéra Garnier.

Nationale. The printing of the Daphnis et Chloé lithographs begins at Mourlot’s.

1958 Returns to intaglio to illustrate Jean Paulhan’s book De mauvais sujets, published by Les Bibliophiles de l’Union Française. Begins making coloured etchings at Lacourière’s, assisted by Jacques Frélaut, who will become a faithful assistant. Meets the master glassmaker Charles Marq with whom he begins a solid collaboration to create stained glass, in particular for the cathedral of Metz (1959), the Hadassah centre in Jerusalem (1960) and the UN building in New York (1964).

1960 First volume of Chagall lithographe (1922-1957), with a foreword by Marc Chagall, texts by Julien Cain and notices by Fernand Mourlot is published by André Sauret. Five more volumes will follow until 1986, the last four written with the assistance of Charles Sorlier.

1961 Release of Daphnis et Chloé published by Tériade. Chagall creates his first monotype, at the suggestion of the Geneva publisher Gérald Cramer and with the assistance of the printer Jacques Frélaut. He becomes passionate about this process and will produce over two hundred monotypes from 1962 to 1975.

1963 André Malraux asks Chagall to design a new ceiling for the Opéra Garnier.

1965–1967 The Story of Exodus, gathering 24 original lithographs, is printed by Mourlot and published by Léon Amiel in New York in 1966.

1965-1967 The Story of Exodus, réunissant 24 lithographies originales imprimées par Mourlot, est édité par Léon Amiel, à New York, en 1966. Le Cirque, 38 lithographies accompagnées d’un texte de Chagall, est publié par Tériade, en 1967.

1967-1969 Marc et Valentina Chagall font don à l’État français des 17 grands tableaux du Message biblique.

1968 Les éditions Gérald Cramer, à Genève, publient les Poèmes de Chagall écrits entre 1930 et 1964, traduits par Philippe Jaccottet et illustrés de 24 gravures sur bois.

Marc Chagall et l'éditeur Tériade, 1961

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Marc et Valentine (Vava) Chagall dans l'atelier de Vence

1969

1970

He sets up, in his Saint-Paul-de-Vence studio, a press on which he is able to print copper engravings and monotypes, helped by the printer Jacques Frélaut. Le Cirque, 38 lithographs with a text by Chagall, is published by Tériade in 1967.

Une rétrospective de l’œuvre gravé est organisée à la Bibliothèque nationale, à Paris.

1967–1969

1971-1973

Marc and Valentina collection donate 17 major Chagall paintings of the Message Biblique to the French state.

L’exposition « Hommage à Marc Chagall » est organisée au Grand Palais, à Paris.

À la demande des éditions Mourlot, Chagall entreprend l’illustration de l’Odyssée d’Homère. Parution en deux tomes : le premier en 1974 ; le second en 1975.

1968

7 juillet 1973

Gérald Cramer’s Geneva publishing company releases Chagall’s Poèmes, written between 1930 to 1964, translated by Philippe Jacottet, illustrated with 24 woodcuts.

Inauguration du musée national Message biblique Marc-Chagall, à Nice, en présence d’André Malraux.

1969 Hommage à Marc Chagall exhibition at the Grand Palais in Paris.

1974 Inauguration de trois vitraux pour le chœur central de la cathédrale Notre-Dame de Reims. 14

1970 Retrospective of engraved works at the Bibliothèque Nationale.


1975-1977

1971–1973

Parution de The Tempest de William Shakespeare illustré de 50 lithographies originales en noir, édité par Sauret. Chagall illustre les poèmes de Louis Aragon Celui qui dit les choses sans rien dire, publié par les éditions Adrien Maeght, et du texte d’André Malraux Et sur la terre, publié par le même éditeur en 1977. En 1976, exposition de l’œuvre gravé de Chagall au Kupferstichkabinett de Berlin-Est et à l’Albertinum, à Dresde.

With commission from the Mourlot publishing company, Chagall takes on illustrating Homer’s Odyssey, published in two volumes, one in 1974, the other in 1975.

Inauguration of the Musée National Message Biblique Marc Chagall in Nice in the presence of André Malraux.

1979

1974

La galerie Patrick Cramer, à Genève, présente Les Psaumes de David (exposés au musée national Message biblique, à Nice, en 1980) et 30 eaux-fortes (éditions Cramer, Genève, 1979).

Inauguration of three stained glass windows for the central choir of Notre Dame de Reims cathedral.

1981 Exposition de lithographies de grand format éditées par Aimé Maeght présentées à la galerie Maeght, à Paris. Exposition des livres illustrés à la galerie Patrick Cramer.

1984 Exposition des Œuvres sur papier au Musée national d’art moderne de Paris. Rétrospective de son œuvre peint à la Fondation Maeght, de SaintPaul de Vence. Exposition de vitraux et de sculptures au musée national Message biblique, à Nice.

7 July 1973

1975–1977 Shakespeare’s The Tempest, illustrated with 50 original black lithographs, published by Sauret. Illustration of Louis Aragon’s poems, Celui qui dit les choses sans rien dire and of a text by André Malraux, Et sur la terre . . ., both published by Adrien Maeght in 1977. In 1976 Chagall’s engraved works are shown at the West Berlin Kupferstichkabinett and at the Dresden Albertinum.

1979 Patrick Cramer gallery in Geneva displays Les Psaumes de David (exhibited in the Musée National Message Biblique from 1980) with 30 intaglio prints (Éditions Cramer, Geneva, 1979).

28 mars 1985

1981

Mort de Chagall, à Saint-Paul de Vence.

Exhibition of large-format lithographs published by Aimé Maeght at the Maeght gallery in Paris. Exhibition of the illustrated books at the Patrick Cramer gallery.

1984 Exhibition of Œuvres sur papier at the Musée National d’Art Moderne in Paris. Retrospective of his painted works at the Maeght Foundation in Saint-Paul-de-Vence. Exhibition of stained glass and sculptures at the Musée National Message Biblique in Nice.

28 March 1985 Chagall dies on 28 March 1985.

André Villers Portrait de Marc Chagall

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« Il me semble que quelque chose m’aurait manqué si, à part la couleur, je ne m’étais pas occupé aussi, à un moment de ma vie, des gravures et des lithographies.

Dès ma première jeunesse, quand j’ai commencé à me servir d’un crayon, j’ai cherché ce quelque chose qui pouvait se répandre comme un grand fleuve se déversant vers des rives lointaines et attirantes. En tenant une pierre lithographique ou une plaque de cuivre, je croyais toucher un talisman. En elles, il me semblait que je pouvais placer toutes mes tristesses, toutes mes joies… Tout ce qui, au cours des ans, a traversé ma vie : naissances, morts, mariages, les fleurs, les bêtes, les oiseaux, les pauvres ouvriers, les parents, les amoureux dans la nuit, les prophètes bibliques, dans la rue, dans la maison, dans le Temple et dans le ciel. Et, avec l’âge, la tragédie de la vie en nous et autour de nous. Quand je prends dans mes mains tous ces instruments de travail, je sens la différence entre la lithographie, la gravure et le dessin. On peut ne pas mal dessiner mais ne pas sentir dans les doigts ce nerf lithographique : c’est une question de sentiments. Sans parler que, de chaque trait en général, doit se dégager cet esprit spécial, lequel n’a rien de commun avec le savoir-faire ou le coup de main1.

»

1

Marc Chagall, préface in Fernand Mourlot, Chagall lithographe, t. 1.

Izis Chagall dans l'atelier Lacourière, vers 1958

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Chagall, un conteur en images

Les premières gravures

Chagall, a storyteller in image

The early prints

C

C

Cat. 1 L'Autoportrait à la famille, 1923 Eau-forte et pointe-sèche, 27,5 x 21,5 cm Bibliothèque nationale de France, Paris

The plates for Mein Leben were engraved with nitric acid and drypoint. Forced to express himself in black and white, Chagall put his drawing talents to good use. The subjects are engraved in

hagall n’aborda la gravure qu’en 1922, à l’âge de trente-cinq ans, afin d’illustrer Ma vie, son autobiographie, à la demande du marchand d’art et éditeur berlinois Paul Cassirer. Entre 1915 et 1922, il avait rassemblé ses souvenirs dans ce texte écrit en russe dont il avait commencé la rédaction alors qu’il ne pouvait quitter la Russie en guerre, après avoir séjourné à Paris et à Berlin entre 1910 et 1914. Son beau-frère, Jacob Rosenfeld, lui vint en aide en lui proposant un poste de responsable de la revue de presse dans son bureau d’économie de guerre à Pétrograd. C’est pour tromper l’ennui de cette fonction qui ne l’intéressait guère que Chagall se lança dans cette œuvre littéraire. Sur les conseils de son associé, Walter Feilchenfeldt, Paul Cassirer décida de publier ce texte et commanda à Chagall les gravures destinées à l’illustrer. Il lui fit rencontrer le graveur Hermann Struck, qui l’initia aux procédés de taille-douce, notamment l’eau forte et la pointe sèche. En quelques semaines, Chagall réalisa une trentaine de gravures. Certaines s’inspirent de peintures ou de dessins antérieurs, d’autres sont très fidèles au texte. Le projet ne vit pas le jour sous cette forme : Cassirer, renonçant à faire paraître le texte, édita en 1923 un album rassemblant une sélection de vingt gravures sous le titre Mein Leben (« Ma vie »). Il édita par la suite six planches supplémentaires. Le texte parut finalement à Paris en 1931, aux éditions Stock, accompagné de reproductions de trente-deux dessins de jeunesse de l’auteur : la traduction en fut assurée par André Salmon, mais chaque phrase fut revue par la femme de Chagall, Bella, qui fut aidée par Ludmilla Gaussel et Jean Paulhan dans cette tâche.

hagall tackled engraving in 1922 at the age of thirty-five, to illustrate his autobiography, at the demand of the art market and the request of Berlin publisher Paul Cassirer. From 1915 to 1922, Chagall collected his memoires in a text written in Russian, which he began when he was unable to leave Russia because of the war, after having stayed in Paris and Berlin from 1910 to 1914. His brother-in-law, Jacob Rosenfeld, came to his aid by offering him a position as head of the press review in his Petrograd war economy office. It was the tediousness of this work, which held no interest for him, that led Chagall to embark on this literary work. In 1922, the Berlin gallery-owner and publisher Paul Cassirer, on the advice of his partner Walter Feilchenfeldt, decided to publish the text, and commissioned etchings from Chagall to illustrate it. He introduced him to the printer, Hermann Struck, who introduced the artist to intaglio processes, including etching and dry point. In just a few weeks, Chagall realized around thirty engravings. Some were inspired by paintings or earlier drawings, while others were true to the text. The project, however, did not see the light of day in this form: Cassirer ultimately gave up on publishing the text, editing an album in 1923 that brought together a selection of twenty prints under the title Mein Leben (My Life). He later published six additional plates. Éditions Stock in Paris finally published the text in 1931, with reproductions of thirty-two of the author’s early drawings; the translation being provided by André Salmon, but each sentence was reviewed by Chagall’s wife, Bella, assisted by Ludmilla Gaussel and Jean Paulhan.

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Cat. 1 La Mère et le fils, 1923 Eau-forte et pointe-sèche, 27,8 x 21,8 cm Bibliothèque nationale de France, Paris

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Les planches de Mein Leben ont été gravées à l’eau forte et à la pointe sèche. Contraint de s’exprimer en noir et blanc, Chagall a mis à profit son talent de dessinateur. Les sujets sont gravés à l’eau forte, l’épaisseur du trait étant apportée par la pointe sèche, surtout à partir de la quatrième planche de la série : la pointe sèche vient colorer le trait et suggérer des valeurs. Elle permet également de créer les ombres. Les tendances cubistes, présentes dans ses œuvres parisiennes antérieures, sont atténuées. Abram Efross décrit bien le graphisme caractéristique de Chagall : « Les noirs et blancs de Chagall sont encore plus denses, plus nourris que sa peinture. Dans le graphisme, le dynamisme impétueux de son art se révèle absolument pur. Ces lambeaux noirs, ces noires poussières, ces noirs échantillons, ces fragments noirs d’objets ou de personnages, raides et tournoyants à l’extrême, assaillent le spectateur et l’entraînent irrésistiblement dans leur tornade. » Il ajoute, à propos des blancs du papier : « Ils ne constituent pas un fond pour la figure, mais en sont une partie : substance vivante qui leur donne forme et individualité1. »

etchings, the thickness of the line provided by the dry point, particularly from the fourth plate of the series: the drypoint colours the line and suggests the hues. It also helps conjure shadows. Cubist tendencies, present in Chagall’s Paris works are attenuated here. Chagall’s characteristic graphics are well described by Abram Efros: “Chagall’s black and white works are even denser, fuller than his paintings. In graphics, the impetuous dynamism of his art reveals itself in its absolute purity. These black shreds, the black dust, the black samples, the black fragments of objects or characters, stiff and swirling in the extreme, assail the beholder and irresistibly drag them into the tornado.” And regarding the white paper: “They do not make up a background for the figure, but are part of it: a living substance that gives them shape and individuality.” 1

Parmi les vingt-six gravures éditées par Cassirer, vingt-cinq illustrent la vie de Chagall en Russie avant la révolution d’Octobre. Seule la dernière, La Promenade, fait référence à un événement

Of the twenty-six prints published by Cassirer, twenty-five illustrate Chagall’s life in pre-Revolution Russia. Only the last one, The Promenade, refers to a later event since it reuses a picture painted

Cat. 1 La Salle à manger, 1923 Eau-forte et pointe-sèche, 27,6 x 21,7 cm Bibliothèque nationale de France, Paris

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Cat. 1 Maison à Vitebsk, 1923 Eau-forte et pointe-sèche, 18,9 x 24,9 cm Bibliothèque nationale de France, Paris

postérieur, puisqu’elle reprend un tableau peint en 1917. Toutes s’inscrivent pleinement dans les premières œuvres de l’artiste, véritable chronique de la vie à Vitebsk. À son retour dans sa ville natale, en 1914, après son séjour parisien, Chagall fit plusieurs portraits de sa famille dont le style est proche de celui des gravures de Mein Leben : contrairement aux travaux parisiens empreints de surnaturel, il n’introduit pas dans ces œuvres d’éléments fantastiques. Jean-Michel Foray établit une distinction entre les représentations relevant de la sphère de l’intime qui ne donnent pas lieu à des déformations surréalistes et les scènes d’extérieur situées dans la rue que l’artiste transforme selon sa fantaisie2. Chagall traduit en images sa vision enfantine du monde qui l’entoure, son art possède une dimension nostalgique : nostalgie de son enfance et de son pays qu’il vient de quitter, mais également nostalgie des œuvres passées sur lesquelles il ne cesse de revenir. 22

in 1917. They are completely consistent with the artist’s early works, a true chronicle of life in Vitebsk. Upon his return to his hometown in 1914, after his stay in Paris, Chagall painted ​​several portraits of his family, their style reminiscent of the engravings in Mein Leben: unlike his Parisian work, imbued with the supernatural, he did not introduce any fantasy elements in these works. Jean-Michel Foray distinguishes between his pictures set within the sphere of intimacy, which do not give rise to surreal distortions, and his outdoor scenes, in particular those taking place on streets, which are transformed according to the artist’s fancy.2 Chagall translated his childhood vision of the world around him into images, giving his art has a nostalgic aspect: a nostalgia for his childhood and the country he had just left, but also of his past works, to which he kept returning. In a gallery of portraits, Chagall presents his relatives, but also characters from his childhood, the protagonists of the story he tells, creating a sort of typology of the inhabitants of the shtetl, the zone imposed on Jews as a place of residence by the tsarist regime. Family members, traders and artisans, pursuing shtetl trades, since Jews


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