La Chevauchée d'Elentilion

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La ChevauchĂŠe d'Elentilion Illustrations de Claudine Menou Textes de Souryami


Tingiliya (Elfe, 4257 ans) : Habituellement doux et calme, c'est pourtant un guerrier à la longue expérience. Sa tranquillité et sa conciliance peuvent être rapidement éclipsées par son âme de protecteur et de combattant de l'adversité. Prince des Elfes de la forêt des Souffles Bruissants, il a longuement protégé ses frères, pour finalement chevaucher à l'aventure et à la découverte, car la liberté est pour lui indissociable de son être. Sa chevauchée en solitaire le fit rencontrer une jeune elfine, Elvadë, qui choisit de le suivre dans ses pérégrinations. Il chevauche Elessëanar, son cheval elfique, aussi son ami et son compagnon.

Elvadë (Elfine, 726 ans) : Née au

royaume elfique de la forêt des Murmures. Peu de temps après avoir pris sa complète indépendance et étudié certains des arts et connaissances elfiques, elle décida de découvrir le monde. Généralement plus sociable que Tingiliya qui ne se lie pas facilement à n'importe qui, elle prend les devants avec facilité quand il s'agit de rencontrer quelqu'un. Parfois rebelle, toujours curieuse, et rarement soucieuse de son apparence, elle n'en reste pas moins une elfine au grand cœur.

Fard Maggot (Mage à l'apparence de Léprechaun,

12554 ans) : Il fut jadis un Homme studieux ayant donné sa vie à l'étude intégrale de toutes les plus profondes arcanes. Après avoir compris et dépassé la mort, et passé quelques milliers d'années supplémentaires de formation auprès d'un Maître mage, il devint lui-même un mage et choisit de se retirer dans une forêt, où il bâtit sa maison. Intrépide, il fut un jour mêlé à plus forte partie qu'il ne l'avait pensé, ce qui figea une apparence de léprechaun qu'il n'avait voulu que temporaire. De tempérament joyeux, il aime plaisanter et ne se prend au sérieux que lorsque cela devient nécessaire.

ISBN 978-2-918449-19-5 © Claudine Menou (pour les dessins) © Souryami (pour les textes) Mars 2011

http://souryami.blanchelicorne.fr


Il fut un temps où l'Homme faisait part intégrante de la nature et des autres créatures conscientes qui l'habitaient. Il partageait son monde avec les Elfes, les Mages et les esprits de la Nature qui, tout comme lui, possédaient l'incarnation physique. Les Elfes eux-mêmes insufflaient gaiement la conscience aux éléments naturels, et par leur présence, avaient été jusqu'à éveiller certains arbres qui se faisaient alors gardiens de leurs forêts. Les Elfes participaient à l'équilibre du monde, et il n'était pas rare d'en découvrir certains en quête lorsque ces équilibres semblaient menacés... Ainsi chevauchaient deux elfes en quête de réponses, sur les terres jadis nommées Elentilion, qui en langue elfique signifiait mer d'étoiles, car la légende en faisait le berceau du firmament étoilé.



— Bouh ! — Non mais tu n'as pas fini de me taquiner ? Attend un peu que je te rattrape !

— Tu ne perds rien pour attendre... — Heu ! Et si je disais plutôt un poème ?


— ! Par ce lac enchanté sous la lumière d'Anar Je saluais trop fort et elle s'en effraya, Alors je dus courir pour éviter son bras Qui s'éleva soudain pour venger sans retard ! Heureusement je vis par un rire entendu Qu'elle oubliait enfin et ne m'en voulait plus ! " — Moi, m'avouer vaincue ?

— ! Oh ! Mais pourtant jeune elfine Je ne pensais pas à mal, Je suis comme un elfon, une comptine Aussi innocente qu'un cheval. Et comme un cheval je suis doux Comme l'est cette brise qui caresse tes joues... " — Attention, tu l'as réveillé... À force de s'agiter dans un lieu qui ne demande qu'à être paisible, voilà ce qui arrive. — Comment ?


— Par les foudres du Tauremorna ! C'était bien la peine que les Elfes insufflent une vie nouvelle à certains arbres ! — Je t'avais prévenu ! Il ne faut jamais s'amuser à embêter une amie, ou cela se retourne toujours contre soi. J'espère que cela te servira de leçon ! — Grmbl... — Hi hi hi !


— Je te prie de nous pardonner d'avoir ainsi rompu ta quiÊtude. Nous allons nous calmer et partir, je te le promets.


Tandis qu'ils reprenaient leur route, et que le crépuscule commençait à étendre son emprise sur les terres, il n'était pas venu à l'esprit de Tingiliya et d'Elvadë qu'ils laissaient derrière eux non seulement la lumière du lac, mais aussi les rayons d'une gaieté insouciante. Leur chevauchée se teintait de la nécessité des réponses qu'ils étaient résolus à trouver. La Colline aux Fées, place sacrée des Elfes et sanctuaire des esprits de la Nature avait été frappée par une bruine givrante totalement inhabituelle et augure d'évènements préoccupants. Les deux elfes cherchaient à rejoindre les terres du Romen et la sagesse des Hommes d'Argent mais, sans qu'ils s'en doutent, cette quête les avait donné comme proie à une ombre menaçante. De sombres nuages couvrirent rapidement le ciel, rapides comme une pluie de flèches, au point que l'on se demandait quelle puissance pouvait se mettre ici à l'ouvrage. Une soudaine pluie glaciale se mit à tomber, contraignant les elfes à trouver un semblant d'abri dans la végétation présente. L'espoir pourtant pouvait se revêtir de manteaux inattendus...


— Mais qu'est-ce que c'est que ce temps ! — Arrêtons-nous et tâchons de nous abriter dans un bosquet !

— Tu as entendu ? Reste-là s'il te plaît... Je vais aller voir.


Cette violente tempête était un présage... Mais le présage de l'arrivée de qui ? L'épée de Tingiliya brilla soudainement face à une ombre menaçante. Pourtant, une voix et un souffle venant de nulle part surgirent, et l'ombre s'enfuit, effrayée...

Le vent ! Le vent venait du nord, il était froid et impétueux mais ne dégageait aucun mal. L'elfe comprit immédiatement qu'il n'était pas lié à la menace qui venait d'étreindre son cœur.


— Je viens, je souffle, mais je ne vous veux pas de mal. Savez-vous qui je suis ? — Noble Vent des Septentrions de Glace ! Une ombre a profité de ta froideur pour nous atteindre, mais en réalisant que tu n'étais pas des puissances ténébreuses, elle a eu peur de toi ! Une étoile brille sur l'instant de notre rencontre. Les Puissances veillaient sur ma destinée et celle de ma compagne, grâce à toi nous sommes saufs. — À cette époque de l'année, je réside habituellement au delà de la grande mer bleue, ne revenant en vos terres que durant la saison que vous nommez hiver... Peu me connaissent et peu m'apprécient, bien que je sois un élément de l'équilibre du grand Tout. Cependant cet équilibre n'est pas ce qu'il devrait être, puisque me voilà ici alors qu'il n'en est pas le temps... Cherchez, cherchez à ramener l'équilibre... Les mots du vent faiblissaient alors qu'il continuait sa route, et les deux elfes, bien que soulagés, n'en étaient pas moins très inquiets. Il fallait donc se hâter... Mais que pouvaient-ils faire ? Le vent de glace s'éteignit tout à fait, et un immense firmament étoilé apaisa leurs cœurs et les convia à dormir, laissant au lendemain leur trouble...


... Et le lendemain, bercé du soleil matinal, sembla remplir leurs cœurs de promesses et de gaieté. Cette nouvelle journée de chevauchée leur réservait en vérité quelques surprises, car à l'approche du soir...

— Elvadë, laisse-moi monter l'avant-garde. On ne sait... — Oh ! Tu as vu ? Mais qui est ce petit... farfadet ? — Léprechaun, je vous prie, les farfadets sont des cousins éloignés. Et laissez donc ma taille tranquille ! Si je ne m'abuse, la vôtre n'a d'ailleurs rien d'exceptionnelle pour une elfine. Non mais ! — Pardonne-moi ! Je m'appelle Elvadë. — Fard Maggot, pour vous servir...


— Enchantée. Je suis désolée mais nous devons continuer notre route, qui est fort longue, et... — Allons ! Vous n'allez pas vous enfoncer dans ces bois alors que le soir est sur le point de tomber sur vos têtes ! J'habite à quelques pas d'ici : vous y serez beaucoup mieux. — C'est que... — Mais si. Pas de crainte, mon logement est assez grand pour tous vous abriter !


— Vous êtes en route pour trouver les Hommes d'Argent ? Je vous déconseille d'aller là bas... Tout comme sur la colline aux Fées, leur royaume est la proie d'un désordre dont ils ne savent pas les aboutissants. — Vous, vous n'êtes pas un léprechaun ! J'aurais dû m'en douter plus tôt ! — Vous êtes perspicaces... Cependant, je vous assure que je ne fais pas partie de vos ennemis. C'est en toute sincérité que je vous déconseille fortement d'aller là où vous comptez aller. Si vous aviez malgré tout ce courage, peut-être vous accompagnerai-je néanmoins. Je sais pertinemment que nous devons agir et que le temps est compté. — Nous ne saurions pourtant vous faire confiance avant de savoir qui vous êtes. — Si vous, vous êtes des Elfes, maîtres de certaines forces de la nature, moi je suis un Mage. Or les Mages peuvent comprendre et contrôler bien plus que les forces de la nature, comme les forces de l'esprit... ou de l'obscur... Depuis toujours, les Mages veillent à l'équilibre du monde, parmi trop d'imprudents qui ne savent parfois prévoir les terribles conséquences de leurs actes. — Ce sont les Gestes des Héros qui chantent l'alliance des Mages et des Elfes. Je ne m'en croyais pas un ! Serions-nous retournés aux Épopées de nos aïeux ? « Soudain cet Oharnag, par le feu de la haine, Contra la fière épée de l'Elfine sereine, Voilant par son horreur sa brillante clarté Qui se dressait toujours et encore le défiait ; Pourtant l'Ombre était forte, faisait trembler la terre Et tout-à-coup sembla triompher des lumières. Mais c'était oublier le Mage enfin venu Seconder par ses mots le bras elfique et nu Qui brandissait son arme avec tant de superbe – Alors Mage et Elfine unissant Force et Verbe Vainquirent le Démon qui menaçait la Vie Par la bénédiction les ayant réunis... »


— Mais, les Mages... — N'aie pas peur, petite elfine, je ne suis effectivement pas un Léprechaun... Admettons que c'est une histoire un peu longue et compliquée qui m'a amené à être... comme je suis actuellement. Voilà pourquoi ma demeure vous paraît sans doute disproportionnée. J'ai toujours habité ici depuis que j'ai décidé de vivre seul. — Il me semble que les Mages choisissent à leur guise l'apparence qui leur sied le mieux. Alors, cette maison n'est sans doute pas si grande, car vous pourriez très bien avoir la fantaisie de vous faire Géant. — Il est vrai que nous pouvons changer de forme à notre convenance, mais c'est un art difficile et dangereux. J'en ai payé le prix, comme vous le voyez... Quand on ne sait pas à quoi on a affaire, ou qu'on croit le savoir alors qu'on ne sait rien du tout, cela se retourne toujours contre vous. J'en ai usé avec trop d'insouciance et de fierté, et à présent je ne sais plus retrouver ma véritable apparence. — À partir de l'instant où cet aspect seulement entre en jeu, cela n'a que peu d'importance. Si vous aviez gardé votre apparence de Mage et perdu les mots de votre Art, cela serait bien différent. — Certes ! Bon. Une longue route nous attend à l'aube, si je comprends bien ? Voulez-vous que je vous montre vos chambres ? — Ah non ! Foi d'elfine, j'ai pour l'instant beaucoup trop de questions à vous poser. Ne fut-ce que sur les Mages ! — Elvadë, la curiosité ne doit pas t'empêcher de dormir ! Moi, je vais vérifier si nos chevaux sont bien installés. À tout à l'heure, et ne bavardez pas trop !


Les Mages... Même parmi les Elfes, leur origine n'était pas clairement établie. D'aucuns disaient qu'ils étaient des Hommes parvenus à la sagesse, dont la plupart quittaient les terrestres rives pour un mystérieux ailleurs, le monde n'étant pas suffisamment compatible avec leur sensibilité et appréhension de l'existence. Il se racontait aussi qu'il y avait toujours eu des Mages, mais jamais de jeunes Mages – ce qui faisait généralement admettre l'hypothèse de la sagesse et du pouvoir d'un homme parvenu au point de l'immortalité, car les Mages ne souffraient pas de la vieillesse.

Tingiliya laissa le mage affronter seul une marée de questions passionnées, et sortit engager une douce discussion avec son compagnon cheval. Pourtant celui-ci, généralement tendre et confiant, restait tendu, les oreilles dressées vers une direction bien précise. L'elfe sentit la menace et tenta de la dévoiler. L'ombre du précédent soir était revenue... Tingiliya marcha à sa rencontre, décidé à en finir une fois pour toutes ; qu'il puisse ou non triompher, la fuite n'était pour lui d'aucune façon une solution acceptable. La force de la confrontation alarma le mage et l'elfine, qui accoururent vers lui, avec d'autant plus de précipitation que l'elfe semblait en fâcheuse posture, et tombait à genoux.


— Mon... Mon épée... — Tingiliya, il faut que tu utilises ton esprit ! C'est une attaque subtile, si tu restes dans le physique tu es perdu. Repousse l'attaque, ne te laisse pas prendre au piège ! Fard Maggot... Il faut l'aider ! — C'est une attaque magique à distance... L'agresseur n'est pas concrètement ici, je ne peux donc rien faire. Tingilya doit faire face à l'attaque, seul. — Oui... Je ne puis triompher ici. Mais si je vais le rejoindre là où il est, il tentera de m'emporter, que je sois vainqueur ou non. Elvadë, si tu veux me revoir, il me faut un ancrage... Serre ma main bien fort. Pense à moi. Ne pars pas... Tingiliya s'affaissa complètement tandis qu'il immergeait son esprit au sein du monde subtil dans lequel son agresseur se trouvait. Son corps éthérique s'éleva au dessus du mage, de l'elfine et de son propre corps puis, au dessus des arbres, il sut enfin discerner les formes véritables de l'Ombre. Il s'élança vers elle et, libéré de la forme statique de son corps terrestre, insuffla à son être l'énergie du Dragon. Il grandit jusqu'à égaler la taille de son adversaire, sous la majestueuse apparence d'un dragon doré aux yeux rougeoyants comme la braise.


Il fondit sur l'immense ombre noire et ils tombèrent l'un et l'autre avec des grands mouvements illuminés par les flammes que le dragon soufflait. Il sembla que ce souffle de feu faisait fondre son assaillant, de plus en plus diminué jusqu'à paraître un simple petit nuage sombre, qui se dissipa d'une seule flamme.



Le dragon pourtant n'ouvrit pas ses ailes pour clamer sa victoire. Il est blessé et erre comme un feuille au gré du vent, ses yeux clos... Cependant, la main, la voix et l'espoir d'une amie guidaient son retour, et il fut reconduit à son corps physique inerte, qui tressaillit enfin.

— Tingiliya... Tu es revenu ? Mais tu me fais peur. J'ai peur de te perdre, tu sais... — La mort... est la porte de notre immortalité. Et puis, nul ne pourra jamais être séparé de ceux qu'il aime... La mort est un voyage qui peut cruellement séparer les corps, mais pas les âmes. Quand nous nous sommes retrouvés, la première fois en cette existence, c'étaient les retrouvailles qui suivaient notre dernière mort... N'aie pas peur de perdre ce que tu ne peux pas perdre. — Moui. — J'ai froid... C'était... Nous avons combattu une chose que je n'aurais jamais cru connaître. Seul, je n'en serais pas revenu. Merci...


L'aube illuminait une petite bruine cristalline qui par l'éclat du soleil matinal se teintait des reflets de l'arc-en-ciel. Il ne faisait plus froid, comme si la chaleur que dégageait le petit groupe avait été jusqu'à réchauffer l'atmosphère. Leurs montures s'ébrouaient seulement parfois pour se débarrasser de la rosée qui perlait de cristal leur robe soyeuse...

— Que diriez-vous d'un petit détour à la Cité des Cascades ? — Mais... — La Cité des Cascades ! Qui doit son nom aux cascades qui se déversent sur elle, invraisemblable paysage mais absolument magnifique selon la légende ! De son autre nom, la Cité des Savoirs ! — C'est cela même, jeune elfine ! — Méconnue pour qui n'est pas un Mage ! Quand on ne la considère pas comme simplement légendaire ! On dit aussi qu'on peut y apprendre... — Une minute ! Les Elfes ne vont pas à la Cité des Cascades... Si seulement ils y parviennent, ils s'arrêtent à ses murs pour le plaisir de la contempler, sans pouvoir y entrer. Ses murs sont bâtis de magie. Seul un Mage... — Oui, seul un Mage... ! Ou un elfe et une elfine, pourvu qu'ils tiennent la main de ce Mage.



Leur première nuit avait semblé paisible, mais en plein milieu de celle-ci les chevaux réveillèrent les trois compagnons. Quelles pouvaient être les forces qui entravaient leur marche avec tant d'acharnement ? L'heure n'était pourtant pas à la réflexion. Profitant de leur sommeil, une nuée de petits êtres les avaient semblait-il encerclés. L'atmosphère était lourde et menaçante, et bien que leur courage était sans failles, cette attaque nocturne semblait devoir les submerger...



Qui aurait cru, alors, que le salut de la quĂŞte pouvait tenir Ă une enfant sauvage ?


L'enfant et ses loups renversèrent la situation. Fard Maggot poussa de joyeux cris, visiblement connaisseur de qui la mystérieuse jeune inconnue pouvait être. Dès la fin du combat, il se hâta de lui souhaiter la bienvenue.

— Vous aviez besoin de moi, je crois... — Mais... Qui es-tu ? — Une amie... Fille de la forêt protectrice et protégée par les êtres sauvages. Comment vas-tu, Elyane ? — Je vais mieux que vous, il me semble ! — Comment te remercier ? — En me laissant me joindre à votre quête ? Même si, hors des bois, mes amis ne pourront plus nous aider... Cela fait bien longtemps que notre mage n'est pas parti ! La raison doit être d'importance, n'est-ce pas ?



Ainsi la chevauchée se poursuivit-elle à quatre. Ils ne furent plus inquiétés, comme si la force que dégageait le petit groupe suffisait à déclarer provisoirement la paix. Peut-être aussi la Cité des Cascades, plus proche de jour en jour, éloignait également toute malveillance... Lorsqu'ils arrivèrent à destination, la stupeur figea leurs visages à la vue de tant de beauté. Fard Maggot semblait plus habitué à ce spectacle, mais une grande émotion l'habitait néanmoins. Ils se dirigèrent en silence vers les portes de la ville, leurs cœurs pétillants d'un mélange d'excitation et d'émerveillement.


— Cette cité n'est pas abandonnée, tout de même ? — Si vous ouvriez vos yeux subtils, vous ne pourriez dire pareille chose. — Tout de même ! À quoi servent ces murs, dont chacun semble receler les livres d'une bibliothèque entière, si personne n'est là pour feuilleter leurs trésors ? — C'est une chose de lire le Savoir, c'en est une autre de le préserver. Ces livres sont lus par beaucoup plus que vous ne pouvez imaginer. Oh, pas directement, ça non. Mais partout dans le monde, des êtres inspirés écrivent des livres pour partager un savoir. D'où croyez-vous que vienne leur inspiration ? — Oh... Alors, ce lieu n'est pas une bibliothèque... Vous voulez dire... Serions-nous... dans une Mémoire ? À la source de l'inspiration des Savoirs qui furent, qui sont et... qui seront ? — Comprenez-vous maintenant pourquoi ce lieu est si bien gardé ?



— Fard Maggot ! Si je comprends bien, il y a dans ce Savoir de quoi vaincre toute adversité ! S'il y a réellement ici toutes les réponses... Pourquoi ne bannissez-vous pas toutes les ténèbres de ce monde ? — Parce que le Mage, petite elfine, est le gardien de l'Équilibre. Il n'agit pas pour lui ou pour son temps seulement. Il veille sur un tout en travaillant la juste dualité des choses, par laquelle chaque parcelle de cet Univers est appelée à se révéler. Les bonnes, comme les mauvaises. Car il n'y a ni bon, ni mauvais, il y a juste l'équilibre, ou le déséquilibre. — Mais... ! — Certains Savoirs attendent un accomplissement que nous n'avons pas encore révélé. Parce que nous avons besoin de l'expérience de l'obscurité pour en saisir toutes les lumières. — Oui mais... — Pour toucher le Soleil, il faut soi-même devenir le Soleil...


— Bienvenue, mon vieil apprenti. Bienvenue, jeunes gens. — Puissent les étoiles continuer longtemps de scintiller dans votre chevelure, mon maître. — Si vous voulez tenter d'accomplir cette quête, il vous faudra plus que du courage. Seul un cœur sage pourra triompher. — Je suis un prince elfique, et il est naturel pour moi d'offrir jusqu'à ma vie, si je peux sauver ces nombreuses existences féeriques menacées par la main funeste qui semble s'être abattue sur nous. — Certains doivent en effet conduire le retour du juste chemin de l'âme. La souffrance, le chaos et la mort baignée de pleurs n'ont pas forcément la réalité que vous leur prêtez. Ce qui vous semble mauvais fut un temps à sa place. Si ce n'est plus la sienne aujourd'hui, il vous appartient de le lui faire entendre. Le Portail, derrière vous, vous conduira à la source, si tel est votre destin. Rappelez-vous toutefois que si vous le franchissez, vous ne saurez faire demi-tour.


— Ne condamnez pas le mal. Remerciez-le pour le progrès qu'il a permis de réaliser. Pour l'unité qu'il a permis de trouver. Pour le Sens qu'il a permis de dévoiler. Voyez comment, alors, le mal est finalement le bien. Voyez comment le bien, séparé de cette sagesse, peut devenir le mal. Soyez bénis.

Tandis que le grand mage bénissait leur départ et leur faisait don de ses dernières recommandations, les quatre compagnons prirent le portail de lumière. Ils avaient agi presque sans réfléchir, comme si leur choix avait déjà été fait avant même leur entrée en ces lieux. Le grand mage en personne semblait les avoir attendu, et dans son regard brillait une flamme mystérieuse, comme s'il connaissait à la fois tout sur eux et tout sur ce qu'ils allaient entreprendre. Que nous réserve l'avenir ? Le savez-vous ? cria intérieurement le cœur d'Elvadë, alors qu'elle lui lançait un dernier regard. La réponse résonna dans tous leurs esprits : le futur est ce que votre pensée construira.


Ce qui les attendait de l'autre côté arracha un cri d'effroi aux deux elfes, qui reconnurent soudainement l'endroit. Il s'agissait de la Colline aux Fées, entièrement gelée et déserte. — C'est affreux ! Le printemps faisait fleurir cet endroit depuis des générations de fées ! — Il n'y a plus âme qui vive à une grande distance. Même pas des animaux sauvages...

Un souffle les enveloppa soudain. Leur ami le grand vent était revenu... — Ainsi, vous voilà à nouveau ? Même moi, le vent glacé, je suis peiné par ce spectacle. Ici, je me contentais seulement d'y verser quelques flocons de neige, une fois l'an. — Il faut faire quelque chose ! — Vous êtes arrivés par un chemin de lumière, qui continue là où vous devez aller... — Peux-tu nous le montrer ? — Suivez-moi.



Ils suivirent le vent, et un chemin de lumière finit effectivement par les conduire au terme de leur attente. la lumière s'éclipsa progressivement, les laissant flotter dans un improbable décor de cavernes et de gouffres. Tous ensemble, unis dans l'obscurité, ils virent soudainement apparaître deux immenses yeux rougeoyants...


Une lutte aussi soudaine que féroce sembla la seule issue et s'ensuivit avec fracas, heureusement soutenue par les lueurs que le mage avait immédiatement invoquées. À chaque fois que l'un des compagnons paraissait en mauvaise posture, il était sauvé par l'autre, et la situation se révélait stationnaire bien que la bête fut d'une puissance considérable et apte à terrasser le premier à se retrouver isolé. La jeune Elyane s'était contentée de croiser le regard du monstre, et étonnamment, celui-ci la menaçait avec une distance presque respectueuse. Épuisés, les deux camps finirent par s'accorder une petite distance. Elvadë, Tingiliya et Fard Maggot avaient de la peine à reprendre leur souffle et ne se rendirent pas compte qu'Elyane, plus calme et sereine, se rapprochait de leur terrifiant adversaire.

— Puisse la foi en notre destinée ne jamais faillir... — Une telle puissance que, si nous réussissons même à le terrasser, il est à craindre que nous périssions ensemble. À côté de ça, nous aurons malgré tout réussi... — Je n'en suis pas si sûre. La victoire ne se trouve-t-elle pas dans les mots du Mage de la Cité ? — C'est fort probable... — Oui. — Mais... ! Elyane ! Qu'est-ce que tu fais ?


À la surprise générale, la petite fille se dirigea vers le monstre et lui parla très simplement. Il répondit d'une puissante voix grave amplifiée par les échos de la caverne...

— Noble combattant, par nos forces, nous avons fait connaissance. Nous ne te haïssons pas. Nous suivons notre chemin, tel que tu suis le tien. Tu as vécu. Tu es vieux. Tu brilles des reflets d'un ancien monde... — J'ai beaucoup vécu. Je suis vieux. Je suis las, je crois. — Parce qu'un autre devenir doit maintenant s'offrir à toi. Ta lassitude ne décrit-elle pas ton besoin de changement ? J'ai compris un vieux sage... Un vieux sage qui voulait me faire comprendre : l'ombre va vers la lumière tandis que la lumière brille par l'ombre. — Je ne peux aller. Je suis lié à l'appel de la violence des hommes. — Nous aussi, sommes des incarnations de la Terre. Prends appui sur nous. À nous quatre, nous te conduirons vers une nouvelle liberté. Nous ferons de nos corps un fil de la paix pour se substituer au fil de la haine.



Tingiliya, Elvadë et Fard Maggot rejoignirent Elyane et, tous les quatre, s'étreignirent de toute la puissance de quatre cœurs unis. Alors, une colonne de lumière, s'élevant au dessus d'eux, devint le chemin par laquelle la créature s'élança vers la reconquête de la propre lumière de son âme. Le rayonnement prit des teintes colorées et chatoyantes, pleines d'étoiles et de scintillements, puis finalement, l'obscurité revint. Un rayon de lumière dévoilant une sortie, ils s'y dirigèrent, et émergèrent dans un paysage étincelant des promesses de l'aube. Une aurore merveilleuse semblait baigner tout le paysage.

— Mais ! Comment nos chevaux ont-ils fait pour nous retrouver si vite ? — Oh ! Ma louve ! — C'est un cadeau du Maître Mage. Il a toujours réponse à tout... Ne le saviez-vous pas ?


— Je crois qu'un doux jour se lève pour beaucoup. — Je le crois aussi... — À nous maintenant de bâtir le meilleur sur de nouvelles fondations ! — Et de veiller sur l'équilibre du Monde...

Comment raconter des adieux qui ne laissent transparaître que le cœur, et qui sont bénis par la joie évidente de futures retrouvailles ? Chacun, en reprenant sa route, continuerait longtemps de se sentir chevaucher aux côtés des amis de cette puissante aventure. Leur quête avait forgé le plus grand des trésors, une amitié qui ne s'éteindrait jamais.


Et tandis que chacun reprenait sa route, c'était comme si le grand mage de la Cité des Cascades parlait encore en leur for intérieur... « Il ne sert à rien aux héritiers d'un monde de se plaindre ou de se décourager. Il leur appartient déjà de rendre honneur à tout ce qui fut fait pour leur construire ce qu'ils ont. Il leur appartient enfin de faire émerger ce souhait de devenir qui ils sont vraiment, afin de révéler la vérité, les potentialités et la richesse de leurs vies. Auditeurs et compositeurs de la symphonie des mondes, nous avons tous notre propre quête, qui est de trouver la Vie, sans avoir peur des discordances préliminaires aux merveilles qui se trouveront enfin... »



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