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Les cahiers n° 206 novembre-décembre 2013
Des liens pour aimer, partager, servir
Dossier
Attention, famille fragile !
Spiritualité
Noël, magie ou partage d'Espérance ?
L'invité
Tim Guénard :
« On a besoin de vrais "supporters" de la famille »
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Magazine L’événement : Les chercheurs d'or
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Histoire : Saint Vincent de Paul au secours des « enfants du péché » 32 Invité : Tim Guénard : « On a besoin de vrais "supporters" de la famille » 35
Dossier : Attention, famille fragile !
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Famille fragilisée cherche soutien
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Service
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Actus SSVP
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Actus juridiques et sociales
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International 20
Entretien : Dominique Marcilhacy 9
Carnet de route : Bonne Mine, famille sans frontières 2 1
Reportage : Une maison pour des repères 10
Agenda 38
Spiritualité
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Réflexion : Noël, magie ou partage d'Espérance ?
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Témoignage : Xavier Lacroix : « Pour l'église, la famille est un lieu de valeurs très grandes » 27 Contemplation 28 Parole de Dieu
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Prier en Conférence
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Ce numéro comprend un encart d’abonnement entre les pages 2-3 et un bon de commande entre les pages 38-39.
édito
Pour un Noël fraternel
© SSVP
L
a famille est aujourd’hui en pleine mutation. Les relations de couple, de filiation et intergénérationnelles en sont affectées. Or les solidarités familiales sont nécessaires à toutes les étapes de la vie pour permettre à chacun de préserver son équilibre. Le délitement du lien familial génère ou aggrave les précarités parce qu’il entraîne un déficit de protection et un déni de reconnaissance. Si les politiques de solidarité des pouvoirs publics peuvent apporter cette protection, elles ne peuvent répondre au besoin fondamental de reconnaissance, de fraternité. En créant les Conférences de charité, Frédéric Ozanam a voulu enserrer le monde dans un réseau de charité de proxi-
mité. Il a développé une relation fraternelle au-delà du cercle familial pour pallier les ruptures de liens dont souffrent les personnes fragiles, marginalisées et précarisées. Aujourd’hui, le nouveau visage de la pauvreté est particulièrement marqué par ces manques de liens sociaux et familiaux, souvent cumulatifs. Un des enjeux majeurs du projet Ozanam de la Société de Saint-Vincent-de-Paul est d’apporter des réponses à cette situation. Que la période de Noël, fête familiale par excellence, tant appréciée par les enfants, soit pour nous une fête fraternelle avec tous ceux qui souffrent de solitude, encore plus que d’habitude. Bertrand Ousset Président national
n°206 - novembre-décembre 2013 - Les cahiers Ozanam
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Magazine L’événement Le dynamisme du réseau de charité n'est plus à prouver.
Trouver des idées lumineuses pour mettre en œuvre notre projet associatif.
Les chercheurs d'or Plus de cent cinquante Vincentiens, représentants d’un département ou d’une Association spécialisée affiliée à la SSVP, se sont réunis le 26 octobre 2013 pour participer à la Convention annuelle de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Le but de la journée : se creuser les méninges pour assurer la mise en place concrète sur le terrain du projet associatif Ozanam. Par Benoît Pesme, responsable animation et formation du réseau
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n aurait bien aimé enlever les pupitres et les fauteuils de cet amphithéâtre pour faciliter le travail en groupe, mais ce n’est pas possible », regrette Daniel Maciel qui anime la Convention 2013. « Ce qui compte c’est le chemin que l’on fait ensemble et les trésors que l’on découvre », lui répond Jérôme Soprano, introduisant le témoignage des membres de sa Conférence de Pantin, accueillis devenus accueillants. Faire la Révolution n’est pas le but du projet associatif dont les participants doivent s’emparer à travers cette Convention. Ils sont venus curieux de voir quel est ce
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Les cahiers
Ozanam - n°206 - novembre-décembre 2013
renouveau dont leur parlent depuis des mois les cadres du mouvement. Dans le rétroviseur en effet, plusieurs mois d’immersion, de questionnement, de remise en question et parfois d’inquiétude. À ceux qui se demandent encore quel est le but de ce remue-ménage, Laurent, membre des Conférences jeunes de Paris, donne à sa façon la réponse : « Back to basics ! », s’exclame le jeune homme enthousiaste. Il s’agit en effet d’un « retour aux fondamentaux », axe de travail que les Conférences jeunes de Paris ont choisi cette année. Un slogan qui résume assez bien la démarche du projet baptisé Ozanam, initié par la plus ancienne association de laïcs bénévoles exerçant la charité. 2013, année du bicentenaire, a été l’occasion pour beaucoup de puiser justement à la source.
Bouche bée De toute évidence, la participation est active : agitation dans les ateliers, prises de parole, questions, témoignages. Chacun est bouche bée en écoutant la force du témoignage de Charles, handicapé à la suite d’un accident : « Ma vie a basculé. J’étais autonome, j’avais un métier de visiteur médical et je suis revenu à la case départ »,
ce en quoi elle croit », affirme Alexandre, jeune participant venu d’Angers. En écho, revient la Parole de l’évangéliste Matthieu choisi par l’atelier positionnement : « Vous êtes la lumière du monde […] on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau […] Ainsi votre lumière doit-elle briller. » Car tout le monde a conscience de la perte de notoriété dont souffre la Société de Saint-Vincent-de-Paul. « Ah bon, ça existe encore Saint-Vincent-de-Paul ? », a entendu avec regret à plusieurs reprises Jacqueline lorsqu’elle a voulu témoigner de son engagement dans sa ville.
Heureuse coïncidence Après cette Convention s’ouvre une nouvelle période portée par une heureuse coïncidence par les paroles du pape François sur l’exigence de la charité : « Nous faisons beaucoup, mais peut-être sommes-nous appelés à faire plus. » Il nous appelle à réajuster notre démarche de chrétien : « La charité qui consiste à laisser le pauvre comme il est n’est pas suffisante […] donner du pain ne suffit pas ! […] La vraie miséricorde exige que le pauvre ait la possibilité de marcher avec ses deux jambes, de trouver la voie qui le sorte de sa pauvreté. » « Ce projet ne doit pas demander plus de travail aux Conférences, car le projet n’est rien d’autre que l’application de ce qu’est l’engagement originel dans les Conférences », explique Michel Rouzé, responsable du projet Ozanam. Ce n’est pas en quantité, mais en qualité que nous sommes appelés aujourd’hui à en faire « plus ». Pour agir concrètement, Michel lance à chaque Conférence le défi de mettre en place un miniprojet associatif pour les trois ans qui viennent. « Le mouvement est en marche », se réjouit Bertrand Ousset en conclusion, soyons des « missionnaires de la fraternité évangélique ! »
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Photos : © SSVP
témoigne-t-il. « Je ne peux pas me déplacer, le psychologue ne peut pas non plus… alors qui va me visiter ? Un jour j’ai rencontré Christian, bénévole à la SSVP. Il m’a visité et depuis il est devenu un second père pour moi. » Ou bien cette jeune femme, réfugiée d’origine arménienne, accueillie par le 115 à Bordeaux. Elle a appris le français grâce aux Vincentiens. Après cinq ans d’accompagnement par la Conférence, elle a réussi à valider ses diplômes et aujourd’hui est ingénieur au CNRS. Vient ensuite le témoignage de Marine, mère de cinq enfants, qui raconte la naissance de la première Conférence familiale en France, à Caen : une nouvelle forme d’engagement vincentien adaptée au rythme de la vie de famille (cf page 16). Daniel Maciel, animateur de la journée et compagnon de route de la SSVP à travers Diaconia, découvre aussi avec émotion les beautés insoupçonnées Veiller pour révéler de la SSVP : les pépites sont là ! les pauvretés cachées. À table, au cours des discussions, tous se délectent de la richesse et du dynamisme des actions menées par les Vincentiens à travers la France. On ne cesse de découvrir toujours plus les trésors de charité : l’un raconte une anecdote, l’autre confie le parcours touchant d’une personne accompagnée. « Je suis émerveillée par tous ces témoignages, livre Françoise. On a trop le nez dans le guidon. Entendre parler de tous ces fruits de la charité cela nous renforce dans notre action. » Les ateliers qui jalonnent la journée révèlent une réelle attente de la part des participants : accueil des nouvelles pauvretés, développement de la spiritualité, mobilisation pour le recrutement. Sur tous les thèmes, les idées fusent. « La SSVP ne doit pas se battre pour survivre, mais se battre pour
Dossier
Famille fragilisée cherche soutien
avec le père de ses filles se passent bien. « Il me donne 200 € par mois et me prend les filles quand je travaille. » Des petits boulots qui lui permettent d'améliorer le quotidien, car le RSA (revenu de solidarité active) et les aides au logement ne suffisent pas à couvrir les besoins de sa famille. Quand elle vivait en couple, Aurélie travaillait dans un salon de coiffure près de Bordeaux. « Après ma rupture, je me suis rapprochée de mes parents pour être moins seule. » Elle a donc quitté son emploi et la ville pour s'installer dans le village de son enfance. Mais sans permis de conduire, elle ne peut aujourd'hui trouver d'emploi pérenne. Ménages, travaux dans les champs : elle travaille « au coup par coup ». Elle s'est inscrite aux Restos du cœur et se rend chaque semaine à la permanence du Secours Catholique. Là, elle rencontre d'autres femmes seules. Selon la responsable locale de l'association : « Ces familles monoparentales représentent près de 90 % des situations que nous accueillons. »
© Jean-Pierre Pouteau/Apprentis d'Auteuil
D’explosion à rupture
Il était une fois une Maison des familles à Grenoble, accueillant chacun avec son histoire personnelle.
Divorces en hausse, explosion du nombre de familles monoparentales : depuis plusieurs décennies, la cellule familiale est mise à mal. Au-delà des aides financières de l'État, sur le terrain, les associations tendent la main à ces familles fragilisées. Par Anna Latron, journaliste
à
32 ans, Aurélie élève seule ses filles, Léa et Cristal, âgées de 6 et 3 ans. Son histoire résume celle des deux millions de familles monoparentales françaises1. À la
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Les cahiers
naissance de Cristal, Aurélie s'est retrouvée seule. Son compagnon, avec qui elle était en couple depuis quatre ans, est parti « du jour au lendemain ». Heureusement, les relations
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Depuis les années soixante, la part des familles monoparentales ne cesse de grandir. En 2008, une étude de l'Insee2 notait qu'elles étaient 2,5 fois plus nombreuses qu'en 1968. Une explosion qui suit de près les chiffres du divorce : dans une étude réalisée en 2009, le ministère de la Justice note que 134 000 divorces ont été prononcés en 2007, contre 120 000 en 1996. Des séparations qui ont de nombreuses conséquences. Sur le plan humain, d'abord, la rupture du lien entre le père et l'enfant. Après une rupture, l'enfant réside avec sa mère dans sept cas sur dix. Une enquête récente de l’Ined3 montre que près d’un enfant de parents séparés sur cinq ne voit jamais son père (un sur dix quand il est mineur). Parmi les facteurs aggravants mis en évidence : l’âge de l’enfant. « Plus d’un
© Jean-Pierre Pouteau/Apprentis d'Auteuil
enfant sur quatre parmi ceux qui avaient moins de 3 ans au moment de la séparation ne voit plus son père, contre un sur sept parmi ceux qui avaient moins de 8 ans », précise Arnaud Régnier-Loilier, chercheur à l'origine de l'étude. Autre conséquence, économique : les foyers monoparentaux sont surreprésentés parmi les familles pauvres.
Monoparentalité et pauvreté Selon une étude de l'Insee4, 30 % des personnes vivant au sein d'une famille monoparentale sont exposés à la pauvreté, soit une proportion 2,3 fois plus forte que dans l'ensemble de la population. De plus, seule la moitié des mères de famille vivant dans un foyer monoparental occupe un emploi à temps complet. Lorsque la cellule familiale rencontre des difficultés auxquelles elle ne peut faire face, notamment dans le domaine économique, l'État est appelé à intervenir. Un rapport de la Cour des comptes indique que dans l'ensemble des dépenses publiques en matière d'aide sociale, les dépenses consacrées à l'accompagnement social des familles en difficulté se sont élevées à 439 millions d'euros en 2007, soit 12 % des dépenses d'action sociale. « Les chiffres ont beau être alarmants, le désir de lien familial n'a jamais été aussi fort ! »,
Leur vie n’est pas un conte de fées. Ici on prend soin des parents pour le bonheur de l’enfant.
indique Jean-Marie Andrès, chargée de la politique familiale à la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC). Face à l'ampleur de la fragilisation de la famille et à ses conséquences, la société civile s'investit de façon multiple : l'entourage proche, d'abord, mais également le réseau associatif. Sur le terrain, les initiatives sont nombreuses et diverses. Après la séparation, elles visent au maintien du lien familial, par le biais de la médiation qui se développe depuis une vingtaine d'années. À Paris, la Maison de la médiation accueille
© Jean-Pierre Pouteau/Apprentis d'Auteuil
Pas de magie, se confier les unes aux autres permet aux mères de se soutenir.
ainsi régulièrement cent vingt familles afin de les aider à mieux vivre la séparation. « Les parents viennent nous voir quand les modalités du divorce, comme le mode de garde ou la pension alimentaire, deviennent conflictuelles, explique MarieOdile Redouin, médiatrice bénévole au sein de l'association. Les difficultés augmentent en général quand il y a remise en couple des parents et recomposition de la famille. » La médiation, qui se déroule sur trois séances en moyenne, permet de lister les difficultés et de clarifier la situation. Au terme de l'accompagnement, les parents décident
Soutenir la parentalité Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de février 2013 encourage les pouvoirs publics à consolider et à amplifier leur politique de soutien aux parents. Les experts estiment que soutenir la parentalité est « un investissement social rentable qui induit des dynamiques positives et permet des interventions curatives extérieures. Il s’agit d’éviter en premier lieu les mesures de placement, mais aussi l’échec scolaire, et cette spirale infernale dans laquelle sont enfermés les parents et leurs enfants ».
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Dossier
© Maison de la médiation
Créer un espace de rencontre pour permettre aux pères SDF de tenir leur rôle de parent.
d'une nouvelle organisation et signent tous les deux une convention, accord qui organise concrètement la vie de l'enfant : son lieu de résidence, les droits de visite et d'hébergement, la contribution financière de chacun, son éducation, sa santé, sa religion, ses loisirs… Un dispositif qui repose sur la bonne volonté des participants. « Nous n'avons aucune garantie sur la façon dont la convention sera appliquée », résume la médiatrice.
Père reconnu comme parent Autre dispositif mis en place par la Maison de la médiation, l'Espace de rencontre. Adressées par un juge ou des travailleurs sociaux, les familles y sont accueillies pour que l'enfant garde un lien avec un de ses parents. « Nous permettons, par exemple, à des pères sans domicile de voir leur enfant dans un lieu neutre », détaille Marie-Odile Redouin. « Venir rencontrer son enfant dans un espace de rencontre a des effets éminemment positifs sur des hommes et des femmes qui dans ce contexte se sentent reconnus comme
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Les cahiers
«C'est en amont de la séparation qu'il faut essayer d'agir, pour fortifier le couple et la famille
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parents et, par là même, comme citoyens à part entière », explique Caroline Kruse, viceprésidente de la Fédération française des espaces de rencontre (FFER). Car le champ d'action des associations est bien souvent celui de la parentalité. « C'est en amont de la séparation qu'il faut essayer d'agir, pour fortifier le couple et la famille », note JeanMarie Andrès. Un travail de fortification dont la Maison des familles à Grenoble a fait sa mission. Résultat d'un croisement des expertises d’Apprentis d'Auteuil sur l'éducation et du Secours Catholique sur la précarité, ce projet commun aux deux associations permet aux parents en situa-
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tion de pauvreté d'être soutenus dans leur rôle de parent. « Nous avons constaté que les personnes qui vivent dans la précarité ont une piètre image d'elles-mêmes en tant que parents », explique élisabeth Michel, responsable de la structure qui a ouvert ses portes en 2009. Ici, les parents – dont 70 % sont des femmes seules – peuvent échanger entre eux sur leurs difficultés quotidiennes et se soutenir mutuellement. Le dispositif vise à « favoriser l'expertise des parents en développant le dialogue entre eux plutôt que de rester dans une démarche d'assistanat entre un éducateur qui saurait et un parent qui ne saurait pas », précise Christophe Beau, responsable du déploiement des Maisons des familles. Son objectif : passer de deux à vingt Maisons des familles en France d'ici à 2017. 1. Chiffres publiés en 2011 par la fondation K d'urgence qui vient en aide aux familles monoparentales. 2. Institut national de la statistique et des études économiques. 3. Quand la séparation des parents s'accompagne d'une rupture du lien entre le père et l'enfant, mai 2013 par l’Institut national d’études démographiques. 4. Les niveaux de vie en 2008.
Contacts Maison de la médiation (Paris) www.maisonmediation.fr 01 40 30 98 10 Fédération française des espaces de rencontre www.espaces-rencontre-enfantsparents.org Maison des familles (Grenoble) 04 38 12 98 50 www.apprentis-auteuil.org
Entretien
Dominique Marcilhacy :
« Le divorce fait toujours des dégâts »
Pourquoi avoir lancé cette enquête auprès des enfants de parents divorcés ?
Presque trois millions d’enfants ne vivent pas avec leurs deux parents. Or, leur ressenti est généralement considéré comme un « non-sujet ». Le problème est évacué par des lieux communs : « Si les parents vont bien, les enfants vont bien. » En dehors des pédopsychiatres qui les reçoivent individuellement dans leur cabinet, personne ne leur avait donné la parole. Par cette étude, nous avons voulu alerter sur les fausses valeurs du divorce facile. Quel regard portent les enfants sur le divorce de leurs parents ?
Si environ les deux tiers des sondés estiment qu'il était inévitable, près de 40 % pensent que le couple aurait pu survivre avec des efforts de communication. Au début, beaucoup ont été soulagés et se sont dit que c'était une bonne décision pour leurs parents. Ce qui n’empêche pas la souffrance. Elle est moins forte chez ceux qui avaient moins de trois ans au moment du divorce et qui ne se souviennent pas de leurs parents ensemble. Le fait que le
© DR
Porte-parole de l'Union des Familles en Europe, Dominique Marcilhacy revient sur l'étude « Les enfants du divorce », publiée par l'association en 2011. Elle met en garde contre la banalisation du divorce et appelle à l'accompagnement des familles. Propos recueillis par Anna Latron, journaliste études. Sur le plan sentimental, un tiers des plus de 25 ans a déjà connu une séparation ou éprouve du mal à s’engager. Quelles sont vos conclusions ?
ll faut arrêter de s’imaginer que tout va bien après un divorce par consentement mutuel et il faut demander Développer tout au juge de réinvestir dans ce qui peut entretenir le lien familial. la conciliation, qui n’est pas favorisée aujourd’hui. divorce soit plus fréquent, mieux admis, Depuis la loi de 2004, le divorce est autone change rien : la souffrance ne varie matique au bout de deux ans. Du fait de pas selon les générations. Une fois le ce divorce facilité, les conflits ne sont plus divorce passé, la souffrance des enfants réglés au moment de sa prononciation : est souvent prolongée, car ils sont deve- les enfants se retrouvent ensuite otages du conflit parental, qui porte de plus en nus l'otage du conflit parental. plus sur la résidence de celui-ci. Sans être Que disent-ils de l’impact de la séparation dans l'angélisme – le divorce est nécessur leur vie actuelle ? saire dans certains cas –, arrêtons de croire Certains évoquent un impact positif qu'il n'a pas d'impact sur les enfants. Il est sur leur personnalité. Cela les a rendus essentiel de mettre en œuvre davantage plus débrouillards, plus coriaces. Mais d’aides dédiées aux couples en difficulté : la grande majorité indique qu’ils sont soutien aux parents, thérapies conjuplus fragiles, que cela leur a fait perdre gales, groupes de paroles sur l’éducation, confiance. Sur le plan économique, 74 % conseils en économie sociale et familiale, des sondés évoquent des conséquences ou même des cours de cuisine. Tout ce financières sur leur niveau de vie, ainsi qui peut entretenir et développer le lien que sur la durée et le niveau de leurs familial.
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Dossier Reportage
Une maison pour des repères Aider les plus jeunes à grandir avec des repères et les protéger : c'est la mission des Maisons pour enfants à caractère social. Un foyer accueille quinze enfants de 3 à 9 ans, placés pour cause de défaillance parentale. Reportage à Saint-Estèphe, près de Bordeaux. Par Anna Latron, journaliste
«U
© Jean-Pierre Pouteau/Apprentis d'Auteuil
© Philippe Besnard Apprentis d'Auteuil
n bisou, un bisou ! », Tiphanny1, blondinette aux joues rondes, pose son doudou pour se jeter dans les bras de Valérie, la maîtresse de maison, qui délaisse un moment la préparation du dîner. Juste à côté, dans la salle de jeux, c'est l'heure des devoirs pour les plus grands, sous l'œil attentif de Gérard. Il est l'un des huit éducateurs spécialisés du foyer, antenne de la Maison pour enfants à caractère social (MECS) Saint-Joseph, un service de la protection de l'enfance du département.
Pour la sécurité des enfants
Ne pas traverser seul son enfance.
Être éduqué en recevant avant tout de l’affection.
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Les cahiers
Ozanam - n°206 - novembre-décembre 2013
Cette structure, gérée par Apprentis d'Auteuil2, accueille quatre-vingt-trois enfants de 3 à 21 ans sur six lieux de vie, répartis en fonction de l'âge. « Ils nous ont été confiés parce que leur situation familiale ne garantissait plus, momentanément ou durablement, leur sécurité physique ou psychique », explique Sylvie Dufeu, directrice de la MECS. La plupart sur décision de justice (67 %), les autres à la demande de leurs parents, mais souvent sur l’incitation de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Au foyer des petits, les quinze enfants ont tous été placés à la suite d'une ordonnance de placement provisoire décidée par un juge. « On est dans des cas de protection maximum », reconnaît la directrice. À l'origine de ces placements, une carence éducative, pédagogique, affective, doublée le plus souvent d'un conflit parental. « Ces petits se sont retrouvés à une place inadaptée à leur âge », résume-t-elle. « On n’a pas en tête ce qu’ils ont vécu quand on s’occupe d’eux », confie Ophélie, jeune éducatrice en apprentissage qui surveille la douche des filles. « On n’a pas envie de leur renvoyer ça. Et, pour nous, ça serait intenable. » Car ces enfants très jeunes ont besoin d'affection. « On les câline sans nous retenir, mais on ne leur dit pas " je t'aime". Nous ne sommes pas là pour remplacer leurs parents. » Malgré
«Ces petits se sont
retrouvés à une place inadaptée à leur âge
»
nombreuses situations plus diffuses, faites de carences et de délaissement, le plus souvent le fait d'une mère seule, dépassée par les événements. « Ils ont manqué d'attention, mais surtout de repères, constate Émilie, une autre éducatrice. À nous de leur fixer un cadre. »
des défaillances plus ou moins graves, ceux-ci ont en effet toujours l'autorité parentale. Tout au long du placement, décidé pour un an minimum, les parents sont en contact avec leur enfant selon les modalités fixées par le juge. Sophiane, 8 ans, qui lit une histoire sur son lit avant le dîner, voit ainsi sa maman tous les quinze jours dans une salle neutre à proximité du foyer. « Les parents n'ont pas le droit de pénétrer dans la maison », souligne Linda Dutouya qui, en tant que chef de service, est chargée de la relation avec eux. « Si nous parvenons à tisser une relation de confiance, à leur faire comprendre que nous ne sommes pas là pour les juger, nous pouvons avancer. » Contrairement aux clichés sur la maltraitance, la majorité des enfants du foyer n'a pas été victime de violences physiques ou sexuelles. Mais de ces
Avec ces petits, le travail passe donc surtout par les rituels. « Une heure fixe de coucher, une bonne tenue à table, une hygiène décente. » Mais aussi les règles élémentaires de savoir-vivre. « Valérie vient de te servir de poulet. Qu'est-ce que tu dis ? », Ethan, 5 ans, fronce les sourcils, avant de glisser : « Merci ! » « Les enfants, souvent agités, parfois violents, finissent tous par faire des progrès », poursuit Émilie. Mais difficile pour cette éducatrice de faire comprendre à un petit de cet âge que ses parents, dans le même temps, n'ont pas forcément évolué. « Le maillon d'avant, celui du soutien à la parentalité, manque terriblement. Car l'objectif est bien le retour dans la famille. » L'éducatrice sait pourtant que la majorité des enfants accueillis « sont là pour une paire d'années, sinon jusqu'à leur majorité. » 1. Les prénoms des enfants ont été modifiés. 2. Apprentis d’Auteuil est une fondation catholique, reconnue d’utilité publique, qui accueille, éduque et forme près de 14 000 garçons et filles en difficulté, de la naissance à 26 ans. Ces jeunes lui sont confiés par leur famille ou par les services de l'aide sociale à l'enfance.
Vivre avec un cadre et des règles élémentaires de savoir-vivre.
n°206 - novembre-décembre 2013 - Les cahiers Ozanam
© Philippe Besnard/Apprentis d'Auteuil
Pallier la carence affective sans remplacer les parents.
© Jean-Pierre Pouteau/Apprentis d'Auteuil
Un travail de rituels
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Service Actus SSVP
Retour sur une année de Bicentenary2013 L’année 2013, année du bicentenaire de Frédéric Ozanam, fondateur de la Société de Saint-Vincentde-Paul, et les 180 ans de charité de l'association s’achève bientôt. Les festivités sont terminées, mais l’enthousiasme demeure. Retour sur une année de commémorations, de rencontres et de découvertes. Par Emmanuelle Duthu, alias Bicentenary
C
ela n’a échappé à personne, Ozanam aurait eu 200 ans en 2013. La Société de Saint-Vincent-de-Paul, dont il est le principal fondateur, n’avait pas prévu de laisser passer cet anniversaire, à tel point qu’elle lui a dévolu une personne au nom inoubliable de Bicentenary2013 !
À la découverte de quatre facettes inédites d’Ozanam.
Sur les traces de Frédéric, professeur à la prestigieuse Université de la Sorbonne.
© SSVP
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Ozanam est né le 23 avril 1813. C’est cette date qui a été choisie pour mobiliser les bénévoles du monde entier. L’affaire n’était pas simple. Comment faire venir huit cent mille bénévoles enthousiastes en provenance de cent quarante-huit pays ? Raison est vite revenue lorsqu’il s’est agi des contraintes logistiques et financières. Ce sont donc les représentants de cinquante-cinq pays qui ont eu la chance de célébrer notre héros. Ils arrivaient du Nigeria, de Nouvelle-Zélande, du Sri Lanka, du Liban, de Roumanie, etc. Ils ont chanté l’hymne universel du joyeux anniversaire dans toutes les langues. Et après trois jours de partage, de joie et de promenades sur les traces du Parisien qu’il a un temps été, tous sont repartis pleins du message de notre bienheureux Frédéric. Quarante années plus tard, le 8 septembre 1853, disparaissait celui dont on attend impatiemment la canonisation. C’est autour de cette date que la Société de Saint-
Les cahiers
Ozanam - n°206 - novembre-décembre 2013
Vincent-de-Paul, avec le Centre d’Histoire du XIXe siècle, a choisi d’organiser une journée d’études dévoilant les différentes facettes de Frédéric Ozanam dans le prestigieux amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne, où il a lui-même enseigné. Ozanam et la mort, Ozanam et les évêques, Ozanam sous le regard d’un psychanalyste, autant d’aspects inédits du personnage qui ont permis, même aux plus avertis sur la question, de repartir enrichis d’un nouveau savoir.
La relève est assurée Nous le savons, Frédéric séduit les jeunes qui suivent ses traces pour être toujours plus proches des pauvres. Mais ce colloque a permis de constater qu’il est également suivi par les étudiants, et que la relève universitaire est assurée. C’est enfin autour du sépulcre d’Ozanam que se sont achevées les célébrations, avec le dévoilement de la plaque annonçant son tombeau dans la crypte de l’église SaintJoseph-des-Carmes à Paris. Se seront finalement mobilisés : plus de soixante pays, des milliers d’admirateurs et bénévoles, plus de vingt spécialistes, mais également deux cents Conférences en France, plusieurs télévisions dont une brésilienne, des acteurs, des techniciens du son, un graveur sur pierre, des dizaines de journalistes, une pianiste, des maires, plus de cent paroisses, des graphistes, des déménageurs, la préfecture de Paris, etc. Vivement le tricentenaire !
Heureux hasard du calendrier !
Nouveaux mandats Sylvie Courtois Présidente du CD 21 (Côte-d’Or)
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« J’espère faire naître des Conférences dans les zones rurales et affermir les jeunes dans leur engagement vincentien par la permanence de la prière. » © SSVP
mélie Ozanam désirait que son mari repose dans une église, mais les inhumations de laïcs dans des lieux de culte étaient interdites. Le cercueil fut provisoirement déposé dans la crypte de Saint-Sulpice, à Paris, puis transporté de nuit La ville de Paris fait honneur à Frédéric Ozanam. dans celle de Saint-Joseph-desC’est donc en présence de Michael Thio, Carmes. Le projet de signaler le tombeau d’Oza- Président international de la SSVP, Bertrand nam par une plaque apposée au 70 rue Ousset, Président national, l’adjointe au de Vaugirard, tout près de cette crypte, maire du VI e arrondissement de Paris, date des années 1990. Mais les aléas des Mgrs de Dinechin, Bordeyne et Brossolette, administrations ont ralenti les procédures. les pères Aubert, Delsinne, Coquet, Puis, heureux hasard du calendrier, la pré- Germaix, et de nombreux Vincentiens, que le fecture de Paris, dernière décisionnaire dévoilement d’une plaque commémorative dans le long parcours des autorisations, a eu lieu ce 9 septembre 2013, sous le a donné son accord le 2 septembre 2013, seul rayon de soleil de la journée, suivi soit une semaine avant l’anniversaire de d’une très belle messe du souvenir. Emmanuelle Duthu la mort de Frédéric.
2 Dans les médias Entretien avec Bertrand Ousset, Président de la Société de Saint-Vincentde-Paul France. Si la SSVP fête ses 180 ans, l’action de cette vieille dame est toujours d’actualité et répond aux nouvelles pauvretés.
x 26/09/2013
Émission La Voix est libre. Bertrand Delattre, Président de Conférence SSVP à Roubaix (59) raconte son expérience de charité de proximité auprès des Roms, « pauvres parmi les pauvres » et pose un regard chrétien sur leur situation en France.
« Je veux sortir certaines Conférences de leur isolement, mieux associer les jeunes à l'action du Conseil de Paris, et trouver des financements pour faire face aux nouvelles pauvretés. »
Francis Michon Président du CD 74 (Haute-Savoie)
« Je souhaite travailler en étroite collaboration avec les Conférences et les partenaires associatifs et surtout recruter des bénévoles. »
Julien Spiewak Secrétaire général international
x 06/09/2013
Émission Ecclesia Magazine. Charles Mercier, maître de conférences en histoire contemporaine, et Vanessa Feuillebois, jeune bénévole de la SSVP, nous confient leur admiration pour Frédéric Ozanam, modèle d’engagement contemporain.
« Ma priorité, me mettre au service des jeunes, mais aussi de tous les bénévoles de la SSVP. »
Jacqueline Bresler
Présidente du CD 972 (Martinique)
« Faire avancer la " Yole " (bateau) SSVP avec beaucoup de nouveaux membres et surtout des jeunes. »
n°206 - novembre-décembre 2013 - Les cahiers Ozanam
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x 28/09/2013
Jean de Mathan Président du 75 (Paris)
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Service Face à face
Stéphanie : « Pour assumer
au mieux ma situation délicate » Stéphanie est une jeune femme de 30 ans, qui élève courageusement seule son fils de 6 ans. Accompagnée depuis un an par les Vincentiens du Conseil départemental de l’Hérault (CD 34), elle raconte le parcours du combattant qu’elle traverse en tant que mère célibataire. Propos recueillis par Catherine Fier et Marie-France Mani, Vincentiennes du CD 34
C’était en octobre 2012, grâce à une amie qui pratique le sport solidaire avec moi et qui connaissait l’épicerie sociale de la SSVP. Quand elle m’en a parlé, je suis allée demander à une assistante sociale le droit d’en bénéficier. À l’époque, j’étais dans une situation très difficile : mon dossier de surendettement venait d’être clôturé et je subissais une procédure d’expulsion de mon logement. Je me battais parallèlement pour obtenir une pension alimentaire pour Hamza, mon fils. Comment en êtes-vous arrivée à une telle situation ?
Après la naissance d’Hamza, lorsque mon congé parental s’est terminé, je n’ai pas retrouvé mon poste d’hôtesse de caisse à plein temps. L’entreprise m’avait mutée sur un mi-temps. J’ai alors cherché un nouvel emploi et ai eu la chance de trouver un contrat longue durée, qui malheureusement s’est arrêté au bout d’un an à la suite d’une baisse d’activité. J’ai ensuite enchaîné les petits boulots. J’ai même passé mon permis de bus, mais n’ai jamais trouvé d’emploi dans ce domaine ! On m’a mise en relation avec des associations pour faciliter la reprise d’emploi et lorsque je suis venue vers vous, je faisais juste des ménages en remplacement d’une personne malade.
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Les cahiers
Comment avezvous géré votre budget ?
La procédure de surendettement après un dépôt d’un deuxième dossier a permis d’« effacer » les dettes liées à des crédits imprudents. Avec une avocate, j’ai pourLe bien-être de mon fils suivi sans relâche est prioritaire. les démarches pour obtenir le paiement d’une pension alimentaire. Actuellement, j’attends une décision du tribunal pour pouvoir me rapprocher de la Caisse d’allocations familiales (CAF) et monter un dossier d’obtention de l’Allocation de soutien familial (ASF).
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Par quel biais avez-vous rencontré la SSVP ?
procédure pénible pour que son père n’ait plus aucune autorité parentale sur lui, ce qui évitera des poursuites incessantes pour obtenir son autorisation pour les papiers administratifs. Quel avenir en perspective ?
Où en sont les relations avec le père de votre enfant ?
Les ponts sont coupés, les relations très distendues. Hamza est suivi par un pédopsychiatre qui recommande la régularité des relations pour favoriser son équilibre, d’autant plus qu’il a des problèmes de santé : orthophoniste, asthme, ophtalmologiste, etc. Je suis moi-même suivie par une psychologue pour assumer au mieux cette situation délicate. Je suis dans une
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Depuis septembre, je travaille à La Gaminerie, une entreprise d’insertion qui m’assure un contrat pour six mois et je suis repasseuse à la friperie. L’accès à l’épicerie solidaire et votre soutien dans les moments les plus difficiles m’ont permis de nous assurer une alimentation correcte. Aujourd’hui, j’aimerais refaire ma vie et trouver un compagnon, tant pour « le petit » que pour moi… Mais le bien-être de mon fils est prioritaire.
Dominique : « Fabrice, mon filleul,
est un petit bonhomme rigolo »
Dominique Halperin, professeur de mathématiques à la retraite, dispense des cours aux enseignants, notamment pour les sensibiliser à l’illettrisme. Il y a quatre ans, elle et son mari Patrice ont choisi de vivre l’aventure de l’association Parrains Par'Mille : offrir une ouverture culturelle, éducative, à un enfant qui le souhaite en le parrainant. Propos recueillis par Bénédicte Jannin, responsable communication
Comment êtes-vous devenue la marraine de Fabrice ?
Imaginez-vous votre vie sans eux aujourd’hui ?
J’ai vu un reportage TV sur Parrains Par'Mille. C’était bien avant d’être à la retraite, mais c’est là que j’ai su ce que je ferai de mon temps libre. Le moment venu, j’ai présenté mon dossier pour devenir bénévole. Dans le cadre de la procédure, j’ai été reçue par deux psychologues, dont un avec mon mari. Après les tests, j’ai pu choisir mon filleul : Fabrice.
À présent, toute ma famille est concernée : Fabrice et sa famille sont venus en vacances chez nous dans la Creuse, puis une fois par an, nous organisons une journée peinture dans l’atelier de mon mari avec la famille de Fabrice, mes petits-enfants et quelques amis. C’est notre « famille élargie ». On ne mesure pas tout cela lorsque l’on s’engage. Avec mon mari, nous faisons plein de petites choses qui jalonnent le parcours de nos filleuls. J’espère qu’il en restera quelque chose. Personnellement, Fabrice et moi avons une vraie complicité. C’est un petit bonhomme rigolo. Il aime répéter : « Ma marraine et moi, nous avons plein de points communs. »
Comment s’est passée la rencontre ?
J’ai tout d’abord rencontré Kadet, sa maman. Nous nous sommes très vite entendues pour que je rencontre Fabrice. La première fois, nous sommes allées le chercher ensemble à l’école, il avait 6 ans. Par la suite, je suis allée chez lui, plus tard encore je l’ai invité chez moi. Avec le temps des liens se sont créés avec lui et sa famille. Nous avons appris à nous connaître et à nous comprendre. Kadet est d’origine ivoirienne, nous avons donc des familles de cultures différentes. Nous n’avons pas les mêmes codes. Aujourd’hui Fabrice fait partie de votre vie, comment vous organisez-vous ?
Comme pour mes petits-enfants, je suis très disponible sans être à sa merci. Il faut sans cesse mettre des limites, des repères. Parfois, il me « pose des lapins », parce qu’il
Parrainer un enfant, c’est lui donner des repères.
n’a pas envie de venir ou parce qu’il est trop fatigué. J’ai fini par lui écrire une lettre lui demandant de s’engager dans notre relation, autrement on ne se verrait plus. Maintenant, je sers en quelque sorte de « passeur ». Je connais bien Fabrice, et sa maman a une grande confiance en moi. Son souhait est de donner une ouverture à ses enfants. Elle me demande de la conseiller. Je ne prends pas sa place, je l’accompagne. Fabrice vient une fois par semaine à la maison pour faire ses devoirs. Il les fait plus vite ici, car il peut travailler au calme. Nous jouons beaucoup aussi. Je l’emmène voir des expositions ou à des concerts. La prochaine fois nous irons au cinéma.
Parrains Par'Mille Parrains Par'Mille s’adresse à tout adulte ayant envie de s’investir dans le devenir d’un enfant et de lui apporter des repères, et d’œuvrer ainsi à davantage de cohésion sociale. Il est urgent de sortir des comportements individualistes et d’agir en prévention auprès des familles isolées afin de recréer un maillage de solidarité civique de proximité. www.parrainsparmille.org
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Service Initiatives
Charité en famille : une cure de jouvence La Société de Saint-Vincent-de-Paul est heureuse de vous annoncer la naissance de la première Conférence familiale de France, à Caen. Marie Rivola, Présidente, épouse et mère de famille, raconte la genèse de cette Conférence avant-gardiste et ses premiers pas. Par Capucine Bataille, RC
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ette Conférence familiale n’a pas été créée ex nihilo, mais est née d’une mutation d’une Conférence dite traditionnelle. Petit à petit, l’équipe vincentienne de Caen se restreignait, les jeunes partant, les uns pour se marier, les autres pour leurs études. Les Vincentiens décidèrent alors de calquer leur emploi du temps vincentien sur leurs modes de vie, plutôt que d’essayer de soumettre leur vie au fonctionnement habituel des Conférences.Forts de cette décision, ils décidèrent de faire, du mieux possible, dans la limite de leurs rythmes d’actifs. Ils ont recruté des jeunes via les aumôneries ou les collèges, mais le même problème s’est vite reposé : ils les quittaient tous pour vivre leur vie. De là s’est posée la grande question : celle de la transmission. Comment donner envie à ces jeunes d’être fidèles à leur engagement, sur du long terme ? Les trois ménages, avec quatre, cinq et six enfants, ont trouvé leur
rôle : transmettre à leurs enfants ce goût du service, pour qu’eux s’investissent sur le long terme une fois adolescent, puis adulte. Une fois par mois, les trois couples se retrouvent, prient en Conférence, pour leurs intentions familiales et les personnes accompagnées.
Deux temps de mission Pendant l’année, ils rendent visite aux personnes âgées chez les Petites Sœurs des Pauvres. Rien d’exceptionnel pour une Conférence. À la différence près qu’ils servent le repas et visitent ces personnes de manière sporadique et en famille. Mais on ne s’arrête pas là ! Deux temps de mission sont aussi fixés : l’Avent et le Carême, pendant lesquels ce service chez les Petites Sœurs des Pauvres devient hebdomadaire. Pour ces missions annuelles, d’autres familles se joignent aux Vincentiens
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Une poussette en maison de retraite déclenche une épidémie de sourires.
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Les cahiers
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et choisissent un soir où vivre la charité avec les personnes âgées. Les familles souhaitent leur apporter de la joie, de l’aide et rompre leur solitude. Elles partent avec des points d’avance : une poussette dans une maison de retraite déclenche vite une épidémie de sourires. Des enfants poussant un chariot de plateaux-repas en riant égayent des soirées monotones. Un adolescent ou des parents se confiant à une personne âgée, comme ils le feraient avec leurs grands-parents, ou leurs propres parents, souvent éloignés ou décédés, engendrent des relations d’une réciprocité évidente. Une Conférence familiale, c’est une cure de jouvence pour les personnes âgées visitées.
Charité complice et confidences De leur côté, les parents sont heureux de pouvoir montrer l’exemple à leurs enfants et de vivre ces temps de charité complices. La transmission du respect des anciens, de la dignité de tout homme ne s’apprend pas, elle se vit. Les petits Vincentiens ne sont pas non plus en reste ! Ils découvrent que lorsque l’on donne, on reçoit beaucoup. Ils apprennent les fruits de l’effort et du service, sont de plain-pied dans la réalité. Ces visites provoquent des discussions en famille, des confidences entre parents et enfants, frères et sœurs. La prière en famille prend un nouveau sens quand on prie pour ceux qu’on aime, qui souffrent ou disparaissent. Souvent, ce sont d’ailleurs les plus jeunes qui réclament : « Maman, ça fait longtemps qu’on n’est pas allé visiter les Petites Sœurs ! »
Actus juridiques et sociales
Compta SSVP L’essayer c’est l’adopter
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Les écritures comptables ont toujours été pour moi un grand mystère, voire un monde inaccessible. Et voilà qu’il me revient de vous présenter Compta’SSVP, le logiciel qui facilite la gestion de vos comptes SSVP. Par Bénédicte Jannin, responsable communication
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récédemment, certains d’entre vous utilisaient le système Atalante sur clef USB et d’autres étaient revenus à une valeur sûre : le tableau Excel ! Bon an, mal an, tout cela fonctionnait. Il a fallu trouver une solution plus accessible et Compta’SSVP a vu le jour. Patrick d’Arcangues (président du CD 77 et ancien trésorier de Conférence) n’a pas hésité une seule seconde quand on lui a présenté le projet pour que son CD devienne pilote. « C’est un produit utile car nous avons besoin d’un logiciel comptable, il est simple d’utilisation et intuitif. Il suffit d’une connexion internet. Pour la consolidation, c’est génial ! Nous gagnons du temps sur l’édition des statistiques. J’appuie sur un bouton et puis voilà, c’est fait ! » Notez que Patrick n’est pas comptable. Lorsque, dubitative, je lui ai demandé si moi aussi, je serais capable d’utiliser ce logiciel : « Sans problème, m’a-t-il répondu. Il suffit de suivre la formation dispensée par
David Barreteau, passionné par sa mission, il est à l’écoute et pédagogique. » Bernard Martin (trésorier de sa Conférence et trésorier adjoint du CD 78) renchérit : « Une fois le paramétrage au point, l’outil n’est pas bien compliqué. Mais pour aboutir à cette version, nous avons beaucoup travaillé et les tests, eux, n’étaient pas toujours satisfaisants. » Notez que Bernard n’est pas comptable non plus. Il a pourtant beaucoup œuvré pour faire aboutir le projet. Même s’il tient beaucoup à sa clef Atalante, qu’il garde précieusement, il trouve deux avantages indéniables à Compta’SSVP : la consolidation des comptes devenue automatique et le renforcement des procédures répondant aux exigences du Comité de la Charte. Enfin, Bernard ajoute : « Nous sommes redevables vis-à-vis de nos donateurs, des bénévoles et des bénéficiaires. Et si Compta’SSVP peut aider à aller dans le bon sens, nous devons le faire. » rreteau David Ba
3 questions à
David Barreteau
Chargé de projets SSVP Formateur Compta’SSVP 1 Compta’SSVP, c’est quoi ? Un logiciel de comptabilité associative adapté aux trésoriers ou comptables des Conférences et Conseils départementaux (CD), accessible sur internet. 2 Pourquoi changer de logiciel ? Pour favoriser la transparence et améliorer la gestion des comptes. Si nous voulons conserver nos donateurs et en obtenir des nouveaux, il faut apporter davantage de clarté sur l’utilisation des ressources et respecter un cadre comptable officiel, selon les exigences du Comité de la Charte, et du label du don en confiance que nous nous devons d’obtenir, au niveau national et départemental. Techniquement, l’avantage de ce logiciel est d’être en ligne. L’enregistrement des informations est automatique et il n’y a plus aucun risque de perte de données. Les mises à jour et améliorations se font en temps réel. Et le plus important : si l’utilisateur change, il devient très aisé de reprendre la comptabilité. C’est un outil facile à utiliser, demandez à ceux qui l’ont adopté ! 3 Combien de formations ont été dispensées ? En un an, treize formations sur Compta’SSVP Conférence ont été réalisées, idem pour Compta’SSVP CD. Le logiciel couvre aujourd’hui une quarantaine de départements. Nous allons continuer à accompagner les CD et les Conférences, et avancer tous ensemble. J’en profite pour adresser un grand coup de chapeau à tous les trésoriers pour leur immense travail !
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Service Actus juridiques et sociales
7 professionnels au service des familles Pour accompagner les familles fragilisées vers l’autonomie et faciliter leur réinsertion, de nombreux professionnels du secteur social sont sur le terrain chaque jour. Mais qui sont ces professionnels ? Par Sophie Rougnon, responsable administratif et financier
1 L’assistant de service social (ASS), ou assistant social, aide les per-
4 Le technicien de l’intervention sociale et familiale intervient dans des
sonnes à résoudre leurs problèmes d’ordre familial, professionnel, financier, scolaire ou médical. Il les informe sur leurs droits et travaille en collaboration avec des médecins, des magistrats, des éducateurs, etc.
2 L’éducateur spécialisé participe
situations particulières (décès d’un parent, hospitalisation, naissance, handicap, longue maladie, etc.). Il soulage et épaule la famille en assumant le quotidien : préparation des repas, entretien du logement, aide aux devoirs, soutien des parents dans l’éducation des enfants.
à l’éducation d’enfants et d’adolescents en les aidant à devenir autonomes et à s’insérer socialement.
5 Le conseiller en économie sociale et familiale (CESF) aide les
3 Le moniteur-éducateur accompagne les enfants et les adolescents en les aidant à développer leurs capacités d’adaptation et à accomplir les gestes du quotidien.
familles en résolvant leurs problèmes de vie quotidienne par l’information, le conseil technique et l’organisation de formations, participant à la prévention de l’exclusion sociale.
D’autres professionnels peuvent intervenir auprès des familles, sans relever du champ du social. Parmi eux, il faut citer deux principaux :
6 La puéricultrice de PMI travaille
7 Le juge des enfants est compé-
dans un centre de protection maternelle et infantile. Elle effectue les tâches promouvant la santé et le bon développement de l’enfant de 0 à 6 ans comme la coordination des différents modes de garde, le bilan de santé (à 3 et 4 ans) dans les écoles maternelles, les visites à domicile après l’accouchement, ou la prise en charge des enfants maltraités.
tent pour s’occuper des mineurs en danger. Il intervient quand la santé, la sécurité ou la moralité d’un enfant sont en danger ou quand les conditions de son éducation sont compromises. Il travaille étroitement avec les services sociaux et éducatifs des administrations agissant pour la protection de l’enfance.
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Le point sur
Protection renforcée des bénéficiaires de pension alimentaire Dans le cadre de la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, et plus relativement dans la lutte contre la précarité des femmes seules, une nouvelle loi a été adoptée récemment. Le texte permet de s’assurer du versement de leur pension alimentaire. Lorsque celle-ci, fixée par le juge, n'a pas été payée, il est possible d'engager une procédure de paiement direct auprès de l'employeur, de la caisse de retraite, de la banque du parent redevable de la pension ou de Pôle emploi. Muni de cette décision de justice exécutoire, il faut faire appel à un huissier de justice, qui fera une demande de paiement direct auprès d’un de ces organismes. Le nouveau texte augmente également le pouvoir des caisses d’Allocations familiales (CAF). Si le parent ne verse pas la pension alimentaire due, totalement ou partiellement, la CAF paiera à sa place et récupérera ensuite les sommes en question. La CAF sera même en mesure de croiser les fichiers fiscaux, bancaires et de prestations sociales pour vérifier l’exactitude de la déclaration de revenus que le parent redevable de la pension aura faite auprès du juge. Bertrand Decoux, secrétaire général
Laurence d’Harcourt : « La famille est
le dernier rempart avant la misère absolue » Laurence d’Harcourt est juge des enfants en détachement chez ATD Quart Monde depuis 2011. Elle témoigne de son combat pour « le droit de vivre en famille », pour l’accompagnement et la protection des familles les plus pauvres. Par Evelyne Ahipeaud, Vincentienne
Quel est votre rôle au sein du mouvement ATD Quart Monde ?
Ma mission est d’accompagner ces personnes pour qu’elles trouvent en elles les ressources pour s’en sortir. Je fais aussi le lien entre les familles, les services de la jus-
parents pour qu’ils aient les moyens culturels, matériels, etc., de l’élever. Il faut dépasser le conflit entre le droit des parents et le droit des enfants, pour que malgré les problèmes rencontrés, les parents soient traités avec respect ! Protéger un enfant en prenant soin de ses parents pour qu’ils aient les moyens de l’élever.
tice et les services sociaux, afin que chaque acteur puisse se parler. La justice, par les décisions qu’elle rend, peut participer au délitement ou à la reconstruction du lien familial. Les familles ont le sentiment que la justice ne les voit pas comme des sujets de droit, mais comme des « cas sociaux ». Nombreuses sont celles qui vivent dans un sentiment de peur face à toute intervention sociale. Les institutions parlent de « protection de l’enfance » alors que nous, au sein d’ATD, nous préférons la « protection de la famille ». Protéger un enfant c'est aussi prendre soin de ses
«Les institutions parlent
de " protection de l'enfance ", nous préférons la " protection de la famille "
»
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Pourquoi le droit de vivre en famille est-il une revendication si importante pour les familles les plus pauvres ? L'individualisme poussé à outrance fragilise autant le lien social que le lien familial. Pour les plus pauvres, la famille est le dernier rempart avant la misère absolue. Le projet familial est le centre de la vie de la plupart d’entre nous. Mais alors que chacun peut trouver d’autres lieux d’engagement qui donnent sens à sa vie, les personnes démunies n’ont pas d’autre lieu que leur famille, où ils peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes. Le projet familial est donc le seul qui les mobilise et donne sens à leur vie. La plupart de ces familles voient leurs enfants placés par les institutions judiciaires. Leur combat consiste alors à mettre toutes leurs forces à conserver intacte leur famille.
Comment les aidezvous à vivre ce projet familial ou à rétablir le lien familial ?
Il faut partir des besoins de ces familles, écouter ce qu’elles ont à nous dire. Des projets pilotes sont menés. C’est ainsi qu’est née La Maison Familiale de La Bise, qui accueille pour des séjours de vacances les familles les plus pauvres. De nombreuses familles ont leurs enfants placés, et ce temps favorise des retrouvailles. De tels projets permettent de préserver les liens fondamentaux de la famille, quelle que soit la situation, ainsi que les liens qui unissent les personnes. Il ne faut pas déposséder les parents de leur rôle et il faut permettre aux parents et aux enfants de vivre un temps harmonieux ensemble. Ces expériences positives valorisantes leur donnent à tous des forces pour affronter leur quotidien.
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Service International
Liban : 1,5 million de réfugiés syriens Le point sur la situation extrême du Liban, au cœur de laquelle soixante-deux Conférences vincentiennes mènent des beaux projets de charité. Yvette Camilleri, récemment nommée responsable du « Pôle pays » Liban est allée à leur rencontre l’été dernier. Par Yvette Camilleri, responsable du « Pôle pays » Liban
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ès mon arrivée à Beyrouth, je suis accueillie par Lamia Géha, présidente de la Conférence du Sacré-Cœur à Zahlé. Ensemble, nous filons vers cette grande ville chrétienne de la plaine de la Beeka, où les membres de cinq Conférences nous attendent. Le constat est dur. À l’évidence, le nombre de réfugiés syriens dans la plaine est très important. Les Vincentiens les soutiennent en confectionnant des colis alimentaires, leur permettant de subsister. Le lendemain, les membres du Conseil national m’attendent à Beyrouth. La présidente Ella Bitar me confirme la présence dans tout le Liban d'environ un million et demi de réfugiés syriens pour quatre millions de Libanais. De là naît inévitablement un climat de crainte et d'insécurité. Un couvre-feu a même été instauré
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Les cahiers
Aide des Conférences françaises Dans Beyrouth et sa banlieue, j'ai été reçue par des Confrères de dix-huit Conférences. Mais j’ai aussi vu de près la misère qui sévit au Liban. Sur la côte, j’ai pu rencontrer deux Conférences en bord de mer, puis une en montagne. Partout, les Vincentiens libanais s’inquiétaient de la terrible situation des réfugiés syriens. En effet, l'hiver approchant, tous se demandent comment ils vont pouvoir les aider à se nourrir, à se chauffer, à s'habiller. C'est une de leur principale préoccupation. C’est aussi celle du Pôle Liban, qui envisage de solliciter les Conférences françaises jumelées pour aider leurs Confrères libanais à mener à bien ces actions.
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Ils sont la première préoccupation de la SSVP Liban.
Appel au jumelage Quatre Conférences libanaises recherchent encore des Conférences françaises pour établir un jumelage. Il est urgent pour les chrétiens français de soutenir les chrétiens du Liban, qui restent une référence pour les chrétiens du Moyen-Orient.
© Photos : SSVP
La drame vécu par les réfugiés syriens au Liban.
depuis peu pour les Syriens, qui n’ont plus le droit de sortir après 20 heures. Elle m’explique également que la SSVP Liban prévoit un grand projet : la rénovation de l'école de Bourj Hammoud, tout près de Beyrouth. Cette vieille école Saint-Vincent-de-Paul a besoin d’un rajeunissement pour pouvoir accueillir dans de bonnes conditions près de six cents enfants, dont la plupart sont issus de familles pauvres.
Carnet de route Trois jeunes bénévoles vivent un été auprès des orphelins de Kalofer.
Bonne Mine : famille sans frontières
Dominiq pour des ce ue est une grand-mèr ntaines d’en e fants bulgar es.
« Institutions pour enfants dépourvus de soins parentaux » : dans le pays le plus pauvre d’Europe où le SMIC est aux alentours de cent trente euros mensuels, ces maisons accueillent les enfants abandonnés ou retirés à leurs parents par les services sociaux, ou ceux que les parents eux-mêmes ont déposés, par manque de moyens pour les éduquer. Par Clotilde Lardoux, assistante communication
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ouchée par leur situation cruelle, Dominique Bayard s’est consacrée à l’aide des enfants bulgares, depuis les années 2000, en fondant l’association Bonne Mine, association spécialisée de la SSVP. Actuellement une dizaine de maisons est soutenue, dont la moitié de façon très régulière. Cela représente près de six cents enfants et jeunes dont les conditions matérielles et d’éducation sont très améliorées. Ils retrouvent ainsi confiance en la vie, comprenant qu’ils sont dignes d’intérêt, qu’ils sont aimés. Mettre « Du soleil dans la vie des enfants abandonnés de Bulgarie », telle est la devise de Bonne Mine. Et Dominique
Clotilde Lardoux, assistante communication
Bayard d’ajouter : « La joie de l’âme est dans l’action. » Dans l’action pour aider ces enfants à sortir de la précarité à travers le sport, l’art-thérapie, l’éducation, etc., mais aussi à travers les relations affectives avec les bénévoles qui passent du temps avec eux tout au long de l’année. Dès ses débuts, l’association Bonne Mine a choisi de favoriser la pratique du sport en finançant installations, équipements, matériel et entraîneurs. Ce club sportif est depuis longtemps déjà un facteur de réussite dans la vie de ces jeunes. Le dépassement de soi, le goût de l’effort ou de la compétition, l’esprit d’équipe sont autant d’ingrédients
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Service Carnet de route pour aider ces enfants qui ont soif de reconnaissance à retrouver leurs repères. Un stade nommé « Stade Ozanam » a d’ailleurs vu le jour et permet à bon nombre d’enfants de se libérer à travers le sport. Dominique Bayard mise beaucoup sur l’art-thérapie, dont essentiellement l’art musical. Cette méthode canalise les enfants, diminue l’agressivité et la dépression, favorise l’écoute et l’expression personnelle, les aide à retrouver équilibre et joie de vivre. L’éducation, point essentiel pour Dominique. Les jeunes qui montrent l’aptitude et la motivation à poursuivre des études supérieures à l’université reçoivent une bourse (60 € par mois pendant les dix mois que dure l’année scolaire) ou une aide ponctuelle. Ainsi, la jeune Vassilka qui suit aujourd’hui des études d’économie écrit : « Je vous rends grâce pour l’ordinateur que vous m’avez offert. Il me permettra de faire de bonnes études. Vous n’avez pas l’idée de ce que vous facilitez mon travail à l’école. Une fois de plus, merci ! Beaucoup d’amour. Vassilka. »
L’esprit d’équipe pour dépasser sa souffrance personnelle.
Redonner à un enfant sa joie de vivre grâce à des jeux éducatifs.
Douze jeunes sur un tremplin Dernièrement, ce sont douze jeunes qui ont reçu une formation en pâtisserie financée par Bonne Mine. D’autres sont actuellement en formation de cuisinier, coiffeur, couturière, chauffeur... Tous sont motivés et ne veulent pas lâcher ce tremplin pour leur insertion dans la vie adulte. Dominique est fière de citer l’exemple d’une jeune femme en études de médecine, touchée par l’aide dont elle bénéficiait à Bonne Mine, elle remercie Dominique. Elle souhaite, elle aussi, se tourner vers les autres pour rendre aux plus nécessiteux ce qu’elle a reçu. Chaque année, des jeunes de France et de Belgique partent en Bulgarie animer les loisirs des enfants, et surtout leur donner un peu d’attention et de l’amour dont ils ont tant besoin. Le but : aider ces enfants à retrouver un peu de « lien familial » qu’ils ne connaissent pas. Ils apportent beaucoup de bonheur aux enfants, et ces derniers le leur rendent bien. Un jeune témoigne : « C’est bouleversant de voir tous ces enfants s’attacher aussi rapidement. C’est bouleversant de recevoir autant d’amour de leur part alors que cet amour leur fait défaut. C’est bouleversant de ne communiquer qu’avec des regards et des gestes. » Dans la « grande famille » Bonne Mine, comme dans beaucoup de familles à travers le monde, en période de Noël,
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Les cahiers
Ozanam - n°206 - novembre-décembre 2013
les orphelinats prennent un air de fête. Grâce à quelques groupes d’étudiants qui viennent passer la semaine de Noël en compagnie des enfants : « Nous passons tout notre temps avec eux, du réveil au coucher, nous nous occupons d’eux en permanence, nous organisons des activités manuelles, des jeux et nous décorons leur orphelinat, nous allons nous promener avec eux et nous montons un véritable arbre de Noël en y déposant, au pied, des jouets récoltés en France. Mais ce projet est surtout un moment de partage intense, car ce que nous leur apportons surtout c’est de l’amour, du réconfort… Ce qui les rend le plus heureux c’est qu’on soit là avec eux au quotidien. » Une fois par trimestre, les anniversaires sont célébrés avec goûter et cadeau pour chacun. Encore une marque d’affection très grande pour ces enfants qui sont dépourvus de tout. Une jeune fille confiait récemment : « J’ai 17 ans, ça fait un an que je suis à l’orphelinat, c’est la première fois qu’on me fête mon anniversaire. » Une fois par an, un camion emporte en Bulgarie un cadeau de Noël personnalisé pour chaque enfant et ce qui leur manque le plus : chaussures, produits d’hygiène, fournitures scolaires, matériel de sport, jeux éducatifs, etc.
Donner de l’attention, de l’amour et en sortir enrichi.
Tout cela est fourni par des élèves de la région parisienne. L’association ne doit pas se reposer sur ses lauriers après avoir reçu, en 2011, du maire de Plovdiv le prestigieux trophée Dimitar Koudoglou pour son œuvre humanitaire. Cette reconnaissance des Bulgares doit au contraire encourager à aller de l’avant avec l’espoir qu’un jour tous les enfants abandonnés de Bulgarie connaissent des conditions de vie décentes et épanouissantes qui leur permettent d’envisager l’avenir avec espoir. Dominique Bayard, elle aussi, s’est découvert une nouvelle famille : « Au départ, je prévoyais de faire cela pendant dix ans seulement. Mais ce fut impossible, je suis trop attachée aux enfants et passionnée par ce que je fais ! » Quand ses amies lui disent : « J’ai x petits enfants », elle répond : « Moi, j’en ai quatre « officiels », mais j’en ai six cents en Bulgarie. »
«J’ai 17 ans, c’est la première fois qu’on fête mon anniversaire.» Belges et Français viennent donner un coup de pouce dans la construction de l’orphelinat.
© Photos :Bonne Mine
Célébrer un anniversaire, une attention personnelle pour faire grandir chacun.
Les enfants retardés de l’école Stefan Karadja ont bien des choses à nous apprendre.
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Spiritualité Réflexion
Noël, magie ou partage d'Espérance ? Noël, naissance du Christ, fête de la famille, moment de l’année tant apprécié par les enfants. Peu importe que le sentiment éprouvé soit nommé « magie » ou « Espérance », la période de Noël ne laisse personne indifférent. Comment, pouvonsnous, chrétiens et Vincentiens, témoigner auprès de ceux que nous visitons du sens profond de la Nativité ? Comment transmettre à toutes les familles ce besoin de vivre cette fête comme un temps privilégié en famille ? Par Migueline Houette, Vincentienne membre du CA
n France, 20 % des familles sont monoparentales. Dans les familles que nous suivons, ce nombre est souvent bien plus élevé, et c'est la raison pour laquelle, depuis des années, à travers la campagne solitude, la Société de Saint-Vincent-de-Paul tente de faire passer le message qu'être seule avec ses enfants, c'est une forme de solitude. « Seule » au féminin, parce que 85 % des familles parentales sont composées de femmes isolées avec enfants. Seule face aux colères d'un enfant, seule avec un adolescent mal dans sa peau, seule pour boucler les fins de mois quand il a fallu racheter une paire de baskets à l'aîné. Seule pour les démarches administratives, seule, si seule qu'on n'a plus envie de sortir...
La famille se transforme Migueline Houette, Vincentienne membre du CA
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Les cahiers
Il y a 30 ans, Jean-Paul II écrivait : « La famille, comme les autres institutions et peut-être plus qu’elles, a été atteinte par les transformations, larges, profondes et rapides, de la société et de la culture. De nombreuses familles vivent cette situation dans la fidélité aux valeurs qui constituent le fondement de l'institution familiale. D'autres sont tombées dans l'incertitude et l'égarement devant leurs tâches, voire dans le doute et presque l'ignorance en ce qui concerne le sens profond et la valeur de la vie conjugale et familiale. D'autres enfin voient la réalisation de leurs droits fondamentaux entravée par diverses situations d'injustice1. »
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Des « transformations larges, profondes et rapides » sont vécues par les familles issues de l'immigration, qui n'ont plus leurs repères familiaux dans notre pays, et qui ne réussissent pas à transposer ici le modèle familial qu'elles avaient connu là-bas. Nous sommes témoins de ces difficultés lors de nos visites, des souffrances engendrées par une incompréhension grandissante entre des parents qui ont grandi « là-bas » entourés d'une famille bien plus grande, et leurs enfants qui trouvent ici la famille étouffante et qui ne veulent pas en sentir la contrainte. Nous voyons des familles vivre « dans le doute et presque l'ignorance en ce qui concerne le sens profond et la valeur de la vie conjugale et familiale » et nous sommes bien incapables d'aborder ce sens profond lorsque, à côté, ils manquent aussi du pain quotidien.
Entre magie et Espérance, la période de Noël ne laisse personne indifférent.
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Si nous ne croyons pas en eux, qui le fera ?
Souvent, surtout dans les grandes villes, nous nous battons jour après jour aux côtés de familles qui mènent la lutte, le combat pour que soient reconnus « leurs droits fondamentaux entravés par diverses situations d'injustice ». Lorsqu'une famille de six personnes vit dans un logement d'une seule pièce ; lorsqu'une famille unie est brisée parce que le père est expulsé, car sans-papiers ; lorsqu'un père de famille accepte de travailler en heures supplémentaires sans pourtant être payé, de peur de perdre son emploi… La liste est longue des injustices. Et elles sont bien plus injustes, car les personnes qui les subissent sont en situation de fragilité et moins armées pour se défendre. Alors quel peut être le message de Noël à ces familles ? Chaque année, je suis frappée de voir à quel point le message d'espérance de Noël, d'un jour meilleur à venir est un message qui porte. « Le présent, même un présent pénible,
«Nous pouvonsquepartager, au même titre nos peines et nos joies, ce qui donne sens à nos vies » peut être vécu et accepté s'il conduit vers un terme et si nous pouvons être sûrs de ce terme, si ce terme est si grand qu'il peut justifier les efforts du chemin2.» Un message que les familles que nous visitons traduisent avec des mots plus simples par « ça ira mieux demain… » Les mots d'Isaïe, lus lors de la messe de la nuit de la Nativité sont faits pour ceux que nous visitons : « Car le joug qui pesait sur eux, le bâton qui meurtrissait leurs épaules, le fouet du chef de corvée, tu les as brisés3.» Par ces mots, l'espérance de Noël est pour tous : pour ceux dont la vie
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Spiritualité
quotidienne est trop pesante, pour ceux qui sont seuls, qui sont loin de chez eux, pour ceux qui ont été abandonnés, pour ceux qui souffrent au travail ou ailleurs. Dans nos visites, nous devons avoir et transmettre cette même espérance que demain sera meilleur pour ceux que nous accompagnons. Si nous ne croyons pas en eux, qui le fera ?
Une porte ouverte à Noël Ceux qui ne sont pas chrétiens ressentent et parlent aussi de la magie de Noël : les lumières, les cadeaux, la joie. Ne méprisons pas ce côté-là de la Nativité. Cet aspect culturel et traditionnel est une porte ouverte pour partager le message de paix, d'espérance que nous apporte Noël. Pendant des années, j'ai accompagné une femme qui avait cinq enfants, de quatre pères différents. Elle ne travaillait pas depuis 15 ans, et avait tellement usé les assistantes sociales qu'elle n'en avait plus de référente. Elle avait une vie dure, des dettes partout. Elle parlait de chez elle en disant « mon trou à rat », n'avait aucune espérance pour elle-même, mais en débordait pour ses enfants… À la demande d'une association familiale cherchant une femme avec enfant, je lui ai proposé de passer à la télévision. C'était au moment de Noël. Elle n'en revenait pas, elle, passer à la télé ! Elle devenait quelqu'un !
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Dans son salon, au pied du sapin, et alors qu'elle était musulmane, il y avait une crèche : « Parce que c'est Noël quand même », sourit-elle. Après une hésitation, j'ai pris le temps d'expliquer le sens de Noël à ses enfants. Au début, cela les faisait un peu rire. Mais quand j'ai parlé de Dieu qui vient nous rendre visite, elle était à côté et comprenait le sens que cela pouvait avoir. Lorsque nous visitons à domicile des personnes que nous accompagnons, nous ne sommes pas là pour les convertir. Comme le rappelle Benoît XVI dans son encyclique Deus Caritas Est, paragraphe 31c : « La charité ne doit pas être un moyen au service de ce qu’on appelle aujourd’hui le prosélytisme. L’amour est gratuit. Il n’est pas utilisé pour parvenir à d’autres fins. » Mais nous pouvons partager, au même titre que nos peines et nos joies, ce qui donne sens à nos vies. Et Dieu en fait partie. Et nous, que pouvons-nous découvrir de ce Dieu qui se fait petit et pauvre pour nous rendre visite, si ce n'est à travers le regard de ceux qui, en situation de fragilité, peuvent bien mieux L'entendre et Le percevoir que nous ? Quel est le sens de Noël si, même cette nuit-là, nous ne sommes pas capables d'ouvrir grand nos cœurs et nos maisons ? On peut méditer sur les moyens et la manière de transmettre au mieux le sens de Noël aux familles que nous visitons. Mais la véritable question n’est-elle pas plutôt : comment puis-je me laisser convertir par ceux que j’accompagne ? Comment découvrir en eux le visage du Messie qui vient pour eux, et pour moi ?
Quel message transmettre aux familles accompagnées ?
1. Jean Paul II, Familiaris Consortio. 2. Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi. 3. Isaïe 9, 1-6.
Témoignage
Xavier Lacroix : « Pour l’église,
la famille est un lieu de valeurs très grandes » Professeur de philosophie et de théologie morale à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon, membre du Comité consultatif national éthique, ce spécialiste de la « famille » encourage tous les chrétiens à se comporter en tant que tels, auprès de celles qui souffrent. Propos recueillis par Capucine Bataille, RC
Je pense que la situation est alarmante. Lorsque les couples se séparent – ce qui arrive de plus en plus souvent – la relation parents-enfants est aussi affectée. Elle l’est bien sûr pour le parent qui s’éloigne – le plus souvent le père ; elle l’est aussi pour le parent qui reste, car il n’est pas facile d’être à la tête d’un foyer dit « monoparental ». Ceci dit, la famille reste le cadre d’épanouissement de l’enfant aujourd’hui. Mais uniquement dans la mesure où il se sent aimé. Lorsque le parent qui reste se remet « en couple », les choses ne sont pas toujours faciles. Les relations avec celui qu’on appelle le « beau-père » ou la « belle-mère » ne sont pas souvent aisées. Il est complexe pour l’enfant de retrouver sa place. Que manque-t-il le plus à un enfant qui vit dans un contexte familial complexe ?
Souvent, ce qui lui manque le plus est la relation quotidienne, incarnée, avec le parent absent. En général, il s’agit du père. Il lui manque aussi d’être en relation avec des parents qui s’aiment. Car l’enfant a besoin, en profondeur, de l’amour conjugal de ses parents.
de ses enfants est jugé comme une conduite bonne, c’est-à-dire éthique, humanisante.
En tant que chrétiens, ne pas juger les personnes qui font face avec courage.
Quel regard l’Église porte-t-elle sur la famille ?
L’Église pense à la fois que la famille n’est pas un absolu et qu’elle peut être le lieu de valeurs très grandes. Elle n’est pas un absolu : il est des cas où la quitter au service du Royaume est recommandé. La critique des liens « du sang » fait partie de l’éthique chrétienne. Mais elle est aussi le lieu où sont vécues des valeurs incontestables. Au rang de celles-ci deux principales : la longue, très longue durée (on est parents, cousins, enfants pour longtemps, très longtemps). Et aussi le lieu de l’union du charnel et du spirituel. Le plus charnel : la procréation, la sexualité, les liens « du sang » ; le plus spirituel : la parole, l’amour, la responsabilité, la vie sociale. Cette union du charnel et du spirituel est au cœur de l’éthique chrétienne et de la vision chrétienne de l’homme. © DR
On parle beaucoup du délitement du lien familial, des couples qui se séparent. La situation est-elle réellement alarmante ?
En tant que chrétiens, comment pouvonsnous agir auprès de ces familles ?
Tout d’abord, il faut distinguer « faire face à » de « vouloir délibérément » une telle situation. Nous ne jugeons pas les personnes qui « font face », souvent avec courage. Mais nous encourageons aussi les personnes à vouloir le lien, vouloir la durée, offrir à leurs enfants la chance d’avoir des parents qui s’aiment. En tant que chrétiens, ne jugeons surtout pas les personnes, l’Évangile lui-même nous le demande. Il est bon cependant d’avoir un jugement éthique sur l’acte en lui-même. D’où l’importance de la différence entre le volontaire et l’involontaire. Par exemple : avoir le souci du présent et de l’avenir
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Spiritualité Contemplation
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Prière pour nos familles Ô Dieu, Toi qui pour être plus proche des hommes a voulu que ce soit par une famille que Ton fils Jésus vienne nous enseigner ton amour, Regarde avec bienveillance et patience nos familles qui connaissent à la fois tant de joies et de crises. Guide-les à l’élan de Ton cœur pour qu’elles soient reflets de Ton amour ; Réchauffe-les au souffle de Ton Esprit pour qu’elles rayonnent de Foi sur leur entourage, et que Ton mystère se révèle progressivement à elles ; pour qu’au sein de leur amour, chacun, du plus jeune au plus ancien, réponde à ce que tu attends de lui. Donne-nous de montrer à nos jeunes, la force d’un engagement profond et durable, et de leur offrir la chance de devenir des adultes autonomes et responsables, engagés, confiants tant en eux-mêmes que dans les autres, sûrs du soutien qu’ils recherchent en Toi. Amen. Jean-Claude Peteytas, diacre et Vincentien
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Spiritualité Parole de Dieu Par Juliette Asta, Vincentienne et membre du CA
«J
oseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse. »
Mt 1,18-24
A
u lendemain de Noël, nous fêtons la Sainte Famille qui nous est donnée comme exemple. Pourtant ce n’est pas une famille sans histoire, car elle ressemble étrangement à une famille recomposée. Elle est marquée dès le début par un projet de fiançailles rompu par un contretemps : Marie, promise à Joseph, est enceinte sous l’action de l’Esprit-Saint. Joseph pense à la répudier, mais averti en songe, il prend Marie pour épouse et l’enfant à naître sous sa protection. Il légitime ainsi sa paternité et, par Joseph, Jésus est rattaché à la lignée du roi David. Puis c’est un accouchement en plein voyage, dans la précarité. Mais la solidité du couple et leur amour vont permettre de surmonter ces premières épreuves. Comme l’écrit Frédéric Ozanam : « La fin principale du mariage, c’est de donner l’exemple, le type, la consécration primitive de toute société humaine dans cet amour qui en est le lien1. » Dans les couples chrétiens, avons-nous toujours conscience de la force du sacrement de mariage ? 1. La Civilisation au Ve siècle, Quatorzième leçon, « Les femmes chrétiennes », Œuvres Complètes, 3e édition, 1855, tome II, p. 81-82.
«L
ève-toi ; prends l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte. » Mt 2, 13-15
Certes, la famille de Jésus est sainte, mais elle nous est proche, car elle ressemble à nos familles ou à celles que nous accompagnons par la diversité des épreuves traversées : précarité, exil, difficultés rencontrées avec les adolescents. Comment accueillons-nous les familles de demandeurs d’asile toujours plus nombreuses à arriver sur notre territoire ? Sommes-nous attentifs aux problèmes rencontrés par nos adolescents dans la recherche de leur personnalité ?
«Q
ui est ma mère ? Qui sont mes frères ? »
C
e sont les questions que pose Jésus alors qu’il est en train d’enseigner à ses disciples et que sa mère et des membres de sa famille le font demander. Jésus saisit ici l’occasion d’enseigner une leçon très importante. « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui te cherchent. » Ce à quoi il répond : « […] Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. » Jésus ne renie pas sa famille charnelle terrestre, mais il ouvre sur le monde le message de son Évangile. Il nous fait comprendre que nous sommes tous appelés à entrer dans la famille de Dieu en le cherchant et, en écoutant Sa Parole, à chercher à « faire la volonté de Dieu ». Que faisons-nous de notre baptême ? Cherchons-nous à convertir notre cœur chaque jour pour mieux connaître Jésus ?
C
’est alors une fuite précipitée en Égypte pour protéger le nouveau-né de la fureur d’Hérode et Jésus va ainsi passer ses premières années à l’étranger comme un enfant de réfugié. Revenue d’Égypte, la famille s’installe à Nazareth, où va grandir Jésus. À douze ans, il accompagne ses parents à Jérusalem à la fête de la Pâque. À la fin de la fête, ne le revoyant pas, Marie et Joseph, très inquiets, partent à sa recherche. Quand ils le retrouvent enfin au temple, c’est un dialogue de sourds : « […] Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! » Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être. » (Lc 2, 48-49), réponse étonnante pour ses parents, mais qui révèle sa mission future.
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Les cahiers
Mc 3, 31-35
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La fuite en Égypte, d'Annibale Carracci, huile sur toile, 1603.
Prier en Conférence Par Jérôme Delsinne, cm
En famille avec Dieu En la fête de saint Joseph travailleur, lors de l’audience générale du 1er mai 2013, le pape a adressé ce message aux francophones : « Je vous invite tous à apprendre à prier en famille et comme famille ! »
Apprendre à prier en famille, à l’image de la Sainte Famille de Nazareth. « Dans le silence de l’action quotidienne, saint Joseph, avec Marie, n’ont qu’un seul centre d’attention : Jésus. Ils accompagnent et protègent, avec application et tendresse, la croissance du Fils de Dieu fait homme pour nous, en réfléchissant sur tout ce qui arrive. Dans les Évangiles, saint Luc souligne à deux reprises l’attitude de Marie, qui est aussi celle de saint Joseph : elle "retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur”, (Lc 2, v. 19 et v. 51). Pour écouter le Seigneur, il faut apprendre à Le contempler, à percevoir Sa présence constante dans notre vie ; il faut s’arrêter pour
dialoguer avec Lui, Lui faire une place avec la prière. Chacun de nous, si nombreux ce matin, devrait se demander : quelle place est-ce que je laisse au Seigneur ? Est-ce que je m’arrête pour dialoguer avec Lui ? Depuis que nous étions petits, nos parents nous ont habitués à commencer et à terminer la journée avec une prière, pour nous éduquer à sentir que l’amitié et l’amour de Dieu nous accompagnent. Souvenons-nous davantage du Seigneur pendant nos journées ! » Le pape François termine son allocution : « La prière faite ensemble [ecclésiale] est un moment précieux pour rendre encore plus solide la vie familiale, l’amitié ! Apprenons à prier davantage en famille et comme famille ! Chers frères et sœurs, demandons à saint Joseph et à la Vierge Marie qu’ils nous enseignent à être fidèles à nos engagements quotidiens, à vivre notre foi dans les actions de chaque jour et à laisser plus de place au Seigneur dans notre vie, à nous arrêter pour contempler Son visage. »
Apprendre de la Sainte Famille à nous arrêter. Prier, c’est d’abord se tourner vers Dieu. Si nous ne prions plus, nous nous tournerons alors vers nousmêmes. Et très rapidement, nos relations, nos actions et nos engagements vont en pâtir.
À Chicago, au début du XX e siècle, le pasteur et directeur de l’Institut biblique, Reuben A. Torrey, se lamentant sur la vie débordante d’activité des chrétiens, soulignait ce problème : « Nous sommes trop occupés pour prier, et également trop chargés pour avoir une quelconque puissance. Nous nous agitons beaucoup, mais nous accomplissons peu de choses. Nous offrons de nombreux services de culte, mais il y a peu de conversions. Nous employons de nombreux mécanismes, mais n’obtenons que peu de résultats. » Au début, vous vivrez cet arrêt comme un arrachement. Et le temps passé, consacré, à la prière, pourra vous sembler trop long, ne jamais finir : persévérez avec humilité, donnant à Dieu tout le temps que vous réussissez à Lui donner, mais jamais moins que celui que vous avez établi de pouvoir Lui donner chaque jour. Vous verrez que de rendez-vous en rendez-vous votre fidélité sera récompensée, et vous vous rendrez compte que petit à petit le goût de cette prière ecclésiale, car familiale, croîtra dans votre Conférence. Vous verrez que ce qui au début vous semblait inatteignable deviendra toujours plus facile et beau. Vous comprendrez alors que ce qui compte, ce n’est pas avoir des réponses, mais vous mettre, en Conférence, telle la Sainte Famille, à la disposition de Dieu : et vous verrez que ce que vous portez ensemble dans la prière sera peu à peu transfiguré.
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Magazine Histoire
Saint Vincent de Paul au secours des « enfants du péché » De toutes les œuvres charitables de saint Vincent de Paul, la plus touchante était celle des enfants trouvés. Les enfants, à travers les Dames et les Filles de la Charité, et aussi à travers les missionnaires, ont fait de Vincent, le « père des pauvres » et un pionnier de ce qui deviendra plus tard l’assistance publique. Par Jérôme Delsinne, cm.
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ans la capitale, des enfants abandonnés dans les rues ou aux portes des églises, il y en avait des quantités (N.D.A. : pour les raisons, lire l’encadré). Au cours du XVIe siècle, le mal avait diminué du fait des ordonnances royales et municipales qui essayaient d’adoucir le sort de ces êtres sans défense. Mais on n’avait pas eu beaucoup de résultats. Les enfants qui ne mouraient pas de faim ou de froid pendant les heures, quelquefois les jours, où ils restaient exposés, étaient conduits dans un établissement officiel, la Couche.
Petites créatures mal assistées
Jérôme Delsinne, conseiller spirituel national de la SSVP
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Les cahiers
à la tête de l’établissement se trouvait une veuve, aidée de deux servantes. La responsabilité de cette maison retombait sur le Chapitre cathédral. La Couche, située près du parvis, disposait de très peu de ressources. Vincent décrivait la situation sous des traits bien sombres : « 1. On était informé que ces pauvres petites créatures étaient mal assistées : une nourrice pour quatre ou cinq enfants ! 2. Que l’on les vendait à des gueux huit sols la pièce, qui leur rompaient bras et jambes pour exciter le monde à pitié et leur donner l’aumône, et les laissaient mourir de faim ; 3. Que des femmes qui n’avaient point d’enfants de leurs maris et des misérables qui les entretenaient, en prenaient et les supposaient comme leurs ; et d’effet nous en avons trouvé trois ou quatre depuis deux ans en çà ; 4. Qu’on leur donnait des pilules de laudanum pour les faire dormir, qui
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est un poison ; que de tout cela est arrivé ; 5. Qu’il ne s’en trouve pas un seul en vie depuis 50 ans, si ce n’est que depuis peu il s’est trouvé que quelqu’un des supposés a vécu ; 6. Et enfin, qui était le comble de tous maux, c’est que plusieurs mouraient sans être baptisés1. » Tel était le scandaleux état de choses dont Monsieur Vincent se fit le réformateur. Il fallait commencer par changer les regards. Les enfants abandonnés étaient les « enfants du péché », donc maudits, et l’illégitimité une tâche sociale avilissante, au moins pour la morale bourgeoise, car les nobles et les rois n’hésitaient pas à afficher leurs bâtards et allaient jusqu’à les pourvoir d’un évêché. Vincent eut le courage de s’opposer, au nom de l’Évangile, à ce courant de pensée : « C’est parce que l’homme a été maudit de Dieu à cause du péché d’Adam, que Notre-Seigneur s’est incarné et est mort, et que c’est faire une œuvre de Jésus-Christ que de prendre soin de ces petites créatures, quoique maudites2. » Le premier pas fut d’inviter les Dames de la Charité à visiter la Couche. Il ne visait pas tant à leur faire connaître le mal, mais plutôt à suggérer des remèdes. Le Chapitre leur adressa une semblable invitation. Les Dames délibérèrent, prièrent, demandèrent conseil et résolurent de faire un essai. C’était à la fin de l’année 1637. On commença par accueillir douze enfants, tirés au sort pour éviter tout favoritisme et « honorer la divine Providence ». Ils furent installés d’abord dans la maison
© Photo Gusman/Leemage
La misère en France au XVIIIe siècle, panneau scolaire de « La Maison des Instituteurs », années 1950-1960.
« Vous avez été leurs mères selon
la grâce depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnés ; voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonner.
»
de Mlle Le Gras (née Louise de Marillac) et ensuite dans un immeuble loué, dans la rue des Boulangers. Plusieurs Filles de la Charité se chargèrent de l’œuvre. On acheta une chèvre, mais le remède ne donna pas de bons résultats et il fallut recourir à des nourrices. On dut vaincre bien des difficultés. Pour ne pas perdre les fonds qui leur étaient destinés, une Dame suggéra que les enfants aillent à l’ancienne Couche et qu’ils y
soient visités par les Dames. L’essai fut positif. Peu à peu, le nombre des enfants augmenta, toujours tirés au sort, car on ne pouvait les recevoir tous à cause des ressources limitées : une rente de mille deux cents livres par an. Et il fallut déménager, car la petite maison de la rue des Boulangers était devenue trop petite. Une partie des enfants fut transférée à la maison-mère des Sœurs, située à l’époque à La Chapelle. De là ils partirent, encore avec les sœurs, à la nouvelle maison du faubourg Saint-Laurent. Mais l’espace continuait d’être insuffisant. En 1645, Vincent fit construire, à côté de la maison des sœurs, treize petites maisons pour les enfants. Les Dames payaient pour celles-ci un loyer annuel de mille trois cents livres. Les enfants récemment reçus y étaient logés. Quelques-uns y demeuraient aux soins des sœurs et des nourrices. D’autres étaient confiés à des nourrices externes, soit de Paris soit des
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Magazine Histoire environs. Deux ans après ce premier essai, Vincent décida d’assumer entièrement l’entreprise et, pour cela, il convoqua une réunion extraordinaire des Dames le 17 janvier 1640.
Toute la haute société Toute la haute société était présente, y compris la duchesse d’Aiguillon et la princesse de Montmorency. Deux mois plus tard, le 30 mars 1640, l’œuvre commençait avec une autre difficulté : le manque d’argent. Cette difficulté fut par la suite récurrente jusque 1653 avec un pic dramatique en 1649, première année de la Fronde : les Dames faillirent tout arrêter. Louise de Marillac, sur qui retombaient les préoccupations quotidiennes de la gestion, était sur le point de s’avouer vaincue et parlait d’abandonner. Vincent les exhorta à nouveau : « Mesdames, la compassion et la charité vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants ; vous avez été leurs mères selon la grâce depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnés ; voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonner. Cessez d’être leurs mères Saint Vincent de Paul visite l'institution des enfants trouvés devant les Dames de La Charité, peinture de Louis Galloche,1732.
pour devenir à présent leurs juges ; leur vie et leur mort sont entre vos mains3. » Les Dames répondirent avec générosité à l’admirable plaidoyer. L’œuvre des enfants trouvés était sauvée. Après 1653, il semble qu’il n’y ait plus eu de problèmes économiques. En 1656, on arriva à un quasi-équilibre entre les entrées et les dépenses. Avec les Filles de la Charité, leurs « mères » et leurs « anges gardiens », garçons et filles apprenaient à lire, et les premiers à écrire. L’instruction religieuse occupait naturellement une place importante. Mais tous étaient formés pour un métier. À douze ans, les garçons étaient placés comme apprentis. On procurait aux filles un emploi, généralement le service domestique, à quinze ans. La préoccupation pour l’enfance parait être une des grandes conquêtes de notre époque. À la racine de ce changement de sensibilité qui l’a rendue possible se trouve l’activité caritative de Vincent de Paul, au milieu du XVIIe siècle, prolongée pendant trois siècles par les Filles de la Charité dans tous les pays d’Europe. 1. SV XIII, 798-801, canevas d’entretien aux Dames, Sur l’œuvre des enfants trouvés. 2. SV XIII, 775-776. 3. SV XIII, 797.
éclairage
© Photo Josse/Leemage
Qui expose son enfant En France, l’exposition des enfants aux portes des églises remonte au IVe siècle. Le premier asile pour enfants fut fondé par l’évêque d’Angers au VIIe siècle, et Montpellier s’est vu doté d’un hôpital-maternité dès le Xe siècle. L’Église s’efforça de secourir les enfants et certaines municipalités importantes comme Marseille s’illustrèrent dans ce secours au XIIIe siècle. À Paris, plusieurs établissements accueillirent les enfants délaissés. L’Hôpital du Saint-Esprit-en-Grève fut créé dès 1363 pour s’en occuper. L’Hôpital des Enfants-Rouges reçut les enfants dont les parents étaient hospitalisés à l’Hôtel-Dieu en 1531. L’Hôpital de la Trinité réceptionna dès 1545 les enfants de plus de 6 ans dont les parents étaient internés ou emprisonnés.
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L'invité Tim Guénard accueille avec sa femme des jeunes en difficulté dans sa maison des Pyrénées. Enfant battu et abandonné, de familles d’accueil en maisons de correction, Tim était tombé dans la délinquance. Aujourd’hui, cet homme de 55 ans est parvenu à se libérer de la haine qui l’habitait. Multipliant les rencontres avec des jeunes touchés par son parcours d'enfant bafoué, il veut leur redonner à son tour le désir de pardonner, l’ambition d’être heureux et de fonder leur propre famille. Propos recueillis par Capucine Bataille, RC.
© N.JUNG esprit-photo.
Quand on souffre d’une situation complexe : divorce, abandon, violence, comme vous en avez vous-même souffert étant enfant, quels leviers pour s’en sortir ?
J’ai gardé ma mère toute neuve dans ma tête. Elle m’avait abandonné, mais j’étais tout petit. Je l’ai idéalisée. Pour survivre, je crois qu’on a besoin de rester accroché à quelqu’un de sa famille, de garder une « personne bien ». Même si elle ne l’est pas. On a besoin de ressembler à quelqu’un de bon. Certains parents aiment dire que la séparation s’est correctement passée, que les enfants le vivent bien. Mais ce n’est pas vrai. J’accueille plein de jeunes qui souffrent pour ces raisons-là. Ils oublient qu’ils sont la trace ineffaçable d’un amour passé. Quand on vit dans une famille
Tim Guénard : « On a besoin de vrais "supporters" de la famille » n°206 - novembre-décembre 2013 - Les cahiers Ozanam
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Magazine L'invité éclatée où, par exemple, la maman s’est remariée, on est appelé « demi-frère ». Enfant, tu ne comprends pas. Tu te regardes dans la glace et tu te vois entier. Mais tu souffres de ne pas trouver ta place, surtout quand de nouveaux enfants arrivent. Et en grandissant, tu te dis : « Quand je serai grand, j’aurai des enfants entiers. » Ce sont des sentiments qu’on ne peut pas comprendre quand on ne les a pas vécus. Même si aujourd’hui, cela touche tous les milieux sociaux. Après tant de souffrances, comment avez-vous pu désirer fonder une famille ?
Au départ, je ne croyais pas à la famille. J’ai été abandonné par ma mère à trois ans. Puis j’ai eu des nourrices, un peu… originales, dirons-nous. Pour moi, tout ce qui était « famille » était un luxe réservé à certains. Un peu comme quand on est pauvre, et qu’on regarde une belle vitrine. La chance que j’ai eue dans mon malheur, c’est que j’étais vide. J’avais besoin de me remplir d’amour. Ça m’a rendu jaloux de tous ceux qui semblaient ne pas en souffrir comme moi. Mais comme un pauvre qui regarde trop les riches, j’ai fini par avoir envie d’être riche. J’ai rencontré des gens qui s’aiment. Je les ai observés. Un jour, j’ai eu la chance de déjeuner à leur table... Et en partant de chez eux, j’ai décidé : « Plus tard, j’aurai une famille comme ça. » Quand on souffre, il faut sortir de chez soi et se mettre à l’ombre de gens qui vont bien. Beaucoup de gens sont vides d’amour, mais ils ne pourront pas se remplir tout seuls. Il faut qu’ils soient à l’ombre de gens bien, pour avoir des rêves, des ambitions, des envies. Le luxe, cela donne envie parce que c’est rare. Aujourd’hui, le luxe c’est de voir des familles unies qui s’aiment. Il n’y a pas que des familles malheureuses sur cette Terre. Il y a beaucoup de familles heureuses, unies qui doivent se montrer, rayonner ! Il ne faut pas avoir peur de montrer aux autres son bonheur. Certains s’inquiètent de rendre les autres jaloux. Je réponds qu’au contraire il ne faut pas hésiter ! Aujourd’hui, on a besoin de vrais « supporters » de la famille.
« Quand on souffre, il faut sortir de chez soi et se mettre à l’ombre de gens qui vont bien »
Avec votre femme, vous avez fondé un accueil près de Lourdes, La Ferme Notre-Dame. Quels sont la genèse et l’objectif de ce projet ?
Ma femme et moi sommes très différents. Nous ne venons
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Les cahiers
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pas du même monde. J’ai été grand délinquant, j’ai été battu par mon père, abandonné par ma mère. Elle vient des jolis quartiers, d’une grande famille. Ma vie, c’est du rock and roll désaccordé, elle une jolie musique classique. Quand nous nous sommes mariés, nous voulions que notre maison ne soit pas que pour nous. J’avais souffert de manque, je fondais maintenant ma propre famille et je voulais que ceux qui en manquent puissent aussi en profiter. J’avais ce souhait pour « mon pas assez » et elle pour son « trop plein » d’amour. Elle ressentait aussi ce besoin de donner, de témoigner, de faire profiter les autres de son bonheur. C’était aussi notre manière de croire en Dieu. Nous avions dans le cœur cette parole du Christ : « J'étais étranger, et vous m'avez recueilli ; […]
© N.JUNG esprit-photo.
Récemment, nous avons accueilli un jeune d’à peine 14 ans, pris dans le trafic de drogue. Je l’avais croisé dans la rue, je l’ai regardé dans les yeux et lui ai dit qu’on se reverrait. J’en avais le pressentiment. Et un an plus tard, il a donné rendez-vous à ces deux parents divorcés au même endroit pour leur faire part de son désir d’arrêter de se droguer. Et il a demandé à venir chez nous, à La Ferme Notre-Dame, près de Lourdes. Nous les accueillons dans ce luxe d’une famille unie, ma femme, mes enfants et moi. Ils nous mettent souvent à l’épreuve au départ. Ils ont du mal à recevoir l’amour qu’on leur propose et préfèrent le détruire avant de souffrir à nouveau. Mais petit à petit, dans une ambiance familiale et souvent festive, ils se laissent apprivoiser. Nous ne les forçons pas à se confier. La vraie charité est de ne pas poser de questions indiscrètes et de s’intéresser à la personne au présent. Quand elle aura décidé de nous faire visiter son cœur, ce sera un cadeau. C’est pareil avec les adultes. Intéressez-vous à ce qui est important pour l’autre : ses enfants, son conjoint, sa femme. Ils raconteront ce qu’ils arrivent à vous dire, mais vous ouvrez une vraie discussion, vous les considérez.
« Il y a
beaucoup de familles heureuses, unies qui doivent se montrer, rayonner !
»
Montrer son bonheur familial pour donner à ceux qui souffrent l’envie de fonder leur propre famille.
j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus vers moi. […] toutes les fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, vous me l'avez fait à moi-même » (Mt 25, 41-45). C’est ce Dieu-là que j’aime. Ce Big boss qui aura parfois les traits d’un adolescent délinquant, des gens d’origines différentes, etc. Pourquoi ces jeunes viennent-ils chez vous ?
Tous vivent des difficultés familiales, ou n’ont plus de famille du tout. Ils savent qui je suis : un ancien délinquant, un adolescent violent. Ils savent qu’aujourd’hui j’ai une famille et n’y croient pas. Aucun d’eux quand ils arrivent n’a ce désir de fonder un jour la sienne. Ils en ont trop souffert et ils n’y croient plus.
De telles situations familiales peuvent effrayer, parce qu’elles renvoient à des craintes personnelles, ou nous laissent totalement démunies face à des souffrances qui nous sont étrangères. Que faire ?
La peur est saine. C’est la crainte de ne pas pouvoir rejoindre l’autre dans sa souffrance, ou d’être maladroit. Cela signifie qu’on accepte que l’autre est précieux. Mais il faut la dépasser. Il faut, comme le Christ, commencer par aimer. Sans juger. Avant ces rencontres, priez le Big boss et les saints de faire ce que vous ne savez pas faire, de voir ce que vous ne verrez pas. Mais soyez des témoins de votre bonheur. Ils en ont besoin. Le plus beau cadeau que vous puissiez leur faire c’est de les recevoir à votre table familiale pour leur donner l’ambition d’être heureux.
n°206 - novembre-décembre 2013 - Les cahiers Ozanam
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Magazine Agenda Agenda national
Le comité de rédaction des Cahiers Ozanam, vous souhaite un joyeux Noël, ainsi qu’une sainte et heureuse année 2014 !
5-6 décembre 2013 Formation des présidents de CD (Paris)
13-14 décembre 2013 Conseil d’administration (Paris)
14 juin 2014 Assemblée générale SSVP France (Paris) 6-7-8 juin 2015 Congrès national (Metz)
Les Cahiers Ozanam, revue de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, 120, avenue du Général Leclerc, 75014 Paris www.ssvp.fr Directeur de la publication : Bertrand Ousset l Rédactrice en chef : Capucine Bataille l Rédacteurs : Evelyne Ahipeaud, Juliette Asta, Capucine Bataille, Bertrand Decoux, Jérôme Delsinne, Bénédicte Jannin, Clotilde Lardoux, Benoît Pesme, Bertrand Ousset, Jean-Claude Peteytas. l Ont participé à ce numéro : David Barreteau, Yvette Camilleri, Emmanuelle Duthu, Catherine Fier, Valérie Grabé, Migueline Houette, Xavier Lacroix, Anna Latron, Marie-France Mani, Sophie Rougnon. l Service abonnements : Clotilde Lardoux, 01 42 92 08 17 l Photo de couverture : Jean-Pierre Pouteau/Apprentis d'Auteuil. l Fabrication / production : CLD, 33, avenue du Maine, 75015 Paris l Graphisme : Florence Vandermarlière. l Impression : Imprimerie de Champagne, Z.I. les Franchises, 52200 Langres l Numéro CPPAP : 310G79517 l Dépôt légal : Novembre 2013 – n°206 – 11/2013. l ISN : 1965 2917 l Abonnement 1 an, 5 numéros : 13 € l Toutes vos informations et photos sont à envoyer à la rédaction huit semaines avant la date de parution (édition sous réserve d’espace) à capucine.bataille@ssvp.fr
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Agenda des régions Bordeaux (CD 33) 15 novembre 12 décembre : Exposition du bicentenaire 4 - 7 décembre 11h -18h : l Exposition « La SSVP hier et aujourd’hui : deux siècles de lutte contre la solitude » l Remise du « prix Ozanam » aux élèves pour leur action pour « Le Pain de l’Amitié » 5 décembre - 17h30 : Conférence sur Ozanam par B. Cattaneo, suivie d’une table ronde 7 décembre - 19h : Dîner-concert « Musique et chansons de tous les temps » et vente de vin au profit de la SSVP
Lille (CD 59) 7 - 8 décembre Animation SSVP au marché de Noël (La Madeleine) 8 décembre Repas de l'amitié pour les personnes seules et en difficulté (Tourcoing) 11 décembre Noël des familles (La Madeleine)
14 décembre Noël des familles accompagnées (Lille) 18 décembre l Noël des familles accompagnées avec la participation de lycéens (Rosendaël) l Noël des familles accueillies par l’Accueil Frédéric Ozanam de Lille 21 décembre Clermont-Ferrand l Noël des familles (CD 63) accompagnées (Roubaix) l Noël coorganisé par 1er - 15 décembre : les familles accompaExposition du gnées et les bénévoles bicentenaire au Centre (Tourcoing) diocésain de pastorale 6 janvier 2014 6 décembre - 12h : Fête annuelle de la SSVP Galette des Rois des familles accompagnées du Puy-de-Dôme (Tourcoing)
Ozanam - n°206 - novembre-décembre 2013
La Roche-sur-Yon 18 janvier 2014 Soirée dansante au (CD 85) profit des actions SSVP à 6 décembre Lille (Marcq-en-Barœul) Soirée concert avec les chorales du conservaMontpellier (CD 34) toire (Sables d'Olonne) 22 décembre 11 décembre Repas de Noël pour Repas de Noël personnes âgées avec inter- associatif servi aux plus démunis animation musicale (Fontenay-le-Comte) 23 décembre 20 décembre Grand repas de Noël Livraison à domicile de avec chorale 60 colis alimentaires « spécial Noël » Poitiers (CD 86) 14 janvier 2014 24 décembre Goûter spectacle Grand repas de Noël organisé par les scouts pour personnes seules Reims (CD 51) 1er décembre Soirée comédie musicale Sœur Térésa pour les bénévoles et accueillis de Reims (Paris) 7 décembre Après-midi récréative des familles avec Arbre de Noël 26 - 29 décembre Animation SSVP au chalet des associations du Marché de Noël
Strasbourg (CD 67) 6 octobre : Concert de charité en l’église Saint-Florent de Strasbourg 8 novembre : Conférence de B. Cattaneo sur « Réflexion sur la modernité de Frédéric Ozanam à la lumière des bouillonnements de son époque et d’aujourd’hui »
Retrouvez l'agenda sur le site www.ssvp.fr