Suspendus
GRIMPEURS D’ARBRES entre ciel et terre
Textes : Pedro Lima Préface : Francis Hallé Postfaces : Laurent Pierron, Lionel Picart et Fabrice Salvatoni
GRIMPEURS D’ARBRES
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GRIMPEURS D’ARBRES
Francis Hallé Montpellier, février 2017
Celles et ceux de ma génération s’intéressant aux arbres ont eu le privilège d’assister en 1980, en France, à la naissance d’un nouveau métier, celui d’arboriste-grimpeur ; un beau métier, combinant ce qu’il faut de risques et d’efforts physiques pour être divertissant, suffisamment de poésie et d’esthétique pour que la vie soit belle, et assurant avant tout un contact tellement intime et tellement riche avec la nature que les intéressés se retrouvent à la pointe de la sensibilité écologique, en phase avec l’une des grandes tendances de notre époque. Bien entendu, l’être humain n’a pas attendu 1980 pour grimper aux arbres. Je rappelle le point de vue de l’anthropologue Yves Coppens : l’origine de l’espèce humaine se situe dans les canopées des forêts équatoriales d’Afrique de l’Est, il y a trois millions d’années. L’étude des ossements de l’Australopithèque Lucy révèle des fractures qui font penser à une chute mortelle du haut d’un arbre. Les cavernes ont été souvent ornées par des artistes préhistoriques dont les paléontologues repèrent les œuvres sur les parois peintes ; les images d’animaux dominent, mais Ignacio Abella (2012)1 a trouvé des images d’arbres et l’une d’entre elles montre une grimpeuse occupée à récolter du miel dans une ruche accrochée aux branches les plus hautes. C’est pour l’instant le plus ancien témoignage connu de cette activité aussi vieille que l’espèce humaine : grimper dans les arbres. Un questionnement reste ouvert : le fait de remonter dans le berceau de notre espèce influence-t-il la psychologie du grimpeur ? Notre origine canopéenne est-elle pour quelque chose dans le sentiment de plénitude qu’éprouvent celles et ceux qui séjournent au sommet des grands arbres tropicaux ?
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SUSPENDUS ENTRE ciel et terre
Pendant des siècles, « la grimpe » reste une activité marginale, effectuée de manière empirique et très dangereuse ; cette situation perdure pendant l’Antiquité, l’époque médiévale et toute la période de l’Ancien Régime, jusqu’au XIXe siècle. En 1827, la naissance de la Société nationale d’horticulture de France (SNHF) entraîne l’apparition des premiers grimpeurs-élagueurs, chargés de l’entretien des arbres d’ornement. L’un d’entre eux, Amédée Morange, publie en 1878 un Guide de l’élagueur dans les parcs et les forêts où, pour la première fois, sont décrites les techniques de grimpe et les pratiques de taille.
Huguette Bouchardeau, que puis-je ajouter ? Que si les centres de formation des élagueurs avaient existé lorsque j’avais 20 ans, j’aurais choisi ce métier. Dès le début, la connaissance de la biologie de l’arbre s’améliore ; sous l’influence du « Tree Council » britannique, la taille raisonnée devient une séduisante solution à la taille brutale des décennies antérieures.
Tout cela évolue avec une étonnante lenteur ; dans les années 1950 on grimpait encore en utilisant des échelles, des crampons et des griffes, sans corde d’assurance ni de casque. Jusqu’aux années 1980, on comptait en France dix à vingt chutes mortelles par an. Faites d’abord à la serpe et au croissant, puis à la tronçonneuse lourde, les tailles brutales défiguraient les arbres, mais les responsables se retranchaient derrière la doctrine officielle : « Une bonne taille radicale rajeunit les arbres », et notre patrimoine arboré se dégradait. Un fait significatif : une touriste anglaise dénonce les élagages massifs qui « déshonorent » les platanes dans le Midi de la France ; sa lettre parvient à Huguette Bouchardeau, ministre de l’Environnement, laquelle réagit avec générosité et vigueur en créant en 1985 les premiers centres de formation des élagueurs. Le métier d’arboriste-grimpeur est né cette année-là ; d’emblée, il apparaît que la grimpe d’arbre fait du bien aux jeunes en difficulté, « en déshérence, un peu perdus, pour qui cette activité qui associait le sport, l’altitude et un fort sentiment de liberté, représentait une porte de sortie et un véritable espoir ». À cette vision de Caroline Mollie-Stefulesco, partagée avec
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Ignacio Abella, El gran àrbol de la humanidad, Ed. Integral,
Barcelona, 2012, 206 p.
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préface
Les progrès techniques sont rapides et spectaculaires : abandon des griffes, généralisation de l’usage des cordes, du « big shot », des petits sacs de grains de plomb qui entraînent un fil de nylon avant la corde de grimpe, usage obligatoire de casques de sécurité. L’Américain Alex Shigo initie les arboristes français à la lutte contre les champignons pathogènes. À partir de 1987, des championnats annuels soudent la communauté des grimpeurs. En 1989, les Accrobranchés se créent à Annonay, ouvrant la grimpe d’arbre au grand public ; c’est un succès immédiat et grandissant dans toute la France. Dans le même temps, grâce à des recherches conduites par des équipes scientifiques du monde entier, notre vision collective de l’arbre s’est considérablement enrichie ; nous sommes maintenant face à un être vivant capable de nous voir et de nous entendre, de sentir les messages odorants envoyés par ses voisins, de faire des choix entre diverses ressources, de réagir à l’attraction lunaire, de s’associer à des champignons du sol pour améliorer son alimentation hydrique et minérale, de faire tomber la pluie s’il souffre de la sécheresse, de faire preuve de mémoire et d’anticipation, de se débarrasser de substances inflammables pour résister aux incendies, et même de nous prévenir de l’arrivée d’un tremblement de terre. Des scientifiques
GRIMPEURS D’ARBRES
contemporains, Trewavas en Écosse, Chamovitz en Israël, Mancuso en Italie, décrivent maintenant l’arbre comme un être sensible et intelligent ; le respect dont les arboristes-grimpeurs font preuve à son égard est donc parfaitement fondé.
d’une cime à l’autre et de l’étourdissant parfum des fleurs. Cette biologie des hautes énergies reste presque entièrement à découvrir ; la canopée équatoriale n’est pas seulement le vrai visage de la forêt, elle est aussi le milieu le plus vivant du monde.
En ce début du XXIe siècle, la France se trouve enrichie d’une communauté professionnelle soudée de près de 8 000 arboristes-grimpeurs, d’une compétence indiscutée, qui embauche et qui gère 4 500 entreprises d’élagage réparties sur tout le territoire. Quarante-six centres de formation délivrent des diplômes nationaux et attirent nombre de candidats étrangers.
J’en profite pour adresser mes remerciements les plus chaleureux à Fred Mathias, Moustapha Bounzel, Lionel Picart, Nouï Baiben, Corinne Bourgery, Marco Rebuttini et Jean-Yves Serein, qui ont joué un rôle décisif dans la réussite de nos opérations d’exploration biologique des canopées. J’ai la chance de connaître bon nombre d’arboristes-grimpeurs et, sans vouloir faire leur apologie, je constate qu’ils ont en commun des points positifs, parmi lesquels une belle forme physique et une belle indépendance d’esprit leur permettant de lutter contre les idées reçues, comme celle qui continue de sévir chez beaucoup de propriétaires et d’élus : « Une bonne taille radicale rajeunit les arbres. » Ils ont aussi une profonde sensibilité écologique et une remarquable connaissance des végétaux sur lesquels ils grimpent et auxquels ils prodiguent leurs soins. Enfin, ils admirent tous Le Baron perché, ce qui me paraît une excellente garantie de santé physique et mentale.
Un souvenir personnel À la fin des années 1980, une convergence aussi intéressante qu’inattendue apparaît entre l’activité des arboristes-grimpeurs et celle des équipes scientifiques qui travaillent, dans les canopées des forêts équatoriales, à recenser la biodiversité à l’aide du « Radeau des cimes ». Les biologistes comprennent qu’ils ont le plus grand besoin de l’aide des grimpeurs et, en retour, ces derniers voient s’ouvrir des perspectives prometteuses. Bien que berceau des primates, et particulièrement d’Homo sapiens, la canopée équatoriale reste pour nous un monde d’une énorme complexité, sans repères connus, qui surpasse si largement nos banques de données cérébrales qu’il est, au sens propre, indescriptible. Force, mystère, sauvage beauté, les mots manquent pour rendre compte du parcours torturé d’énormes branches couvertes de plantes épiphytes en jardins suspendus, de l’ascension verticale des troncs hors des ténèbres sousjacentes, de la danse échevelée des lianes passant
FRANCIS HALLÉ, Botaniste
u C’est à la force des bras et des jarrets que les grimpeurs s’élèvent jusqu’au houppier des plus hauts arbres, comme ce koompassia d’une forêt tropicale, qui atteint 80 mètres de hauteur.
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GRIMPEURS D’ARBRES
PRÉFACE
iNTRODUCTION
p. 6 - 8
p. 13
1
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p. 16 - 53
p. 54 - 71
p. 72 - 115
Postfaces
Annexes
p. 236 - 241
p. 242 - 251
Des arbres et des hommeS
SPLENDEUR ET MISÈRE DE L’ARBRE D’ORNEMENT
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La naissance du métier d’arboristegrimpeur
SUSPENDUS ENTRE ciel et terre
SOMMAIRE
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DU MILITANTISME À L’ARBORICULTURE MODERNE
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LE TEMPS DE LA MATURITÉ
p. 116 - 157
p. 158 - 199
bibliographie
crédits et Remerciements
p. 252 - 253
p. 254 - 255
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6 ANIMATEURS ET CHERCHEURS DES CIMES p. 200 - 235
SUSPENDUS ENTRE ciel et terre
« Le monde vu d’en haut » La scène se déroule par une douce et ensoleillée matinée de printemps, dans une belle forêt du sud de la Dordogne. Une équipe de grimpeurs-élagueurs s’est constituée pour réaliser un « chantier » de taille et de soin des arbres environnants. Plus précisément, il s’agit ce jour-là, pour les solides gaillards équipés de harnais, de cordes et de tronçonneuses, de réaliser le « démontage » de sapins Douglas élancés à plus de quarante mètres de hauteur : c’est-à-dire leur débitage sur pied, tronçon par tronçon, depuis le sommet jusqu’à la base, sans les abattre pour ne pas détériorer les autres essences plantées au sol par un propriétaire désireux de créer un « arboretum » auquel les sapins font trop d’ombrage. Passé le moment de l’observation des arbres, minutieuse et prolongée, l’ascension débute, et les arboristes passent à l’action, perchés à une altitude vertigineuse. Avec des gestes sûrs et précis, assistés par les hommes restés au sol, ils accomplissent leur besogne sans hésitation, malgré les conditions extrêmes et leur position inconfortable, suspendus à plusieurs dizaines de mètres d’altitude.
la profession moderne de grimpeur-élagueur, est apparu au début des années 1980 grâce à l’action d’une poignée de pionniers, élus, techniciens, fonctionnaires, spécialistes et défenseurs des arbres, révoltés par le sort fait aux arbres d’ornement dans notre pays, en permanence mutilés et taillés radicalement. Leur combat pour imposer une approche différente de la gestion de l’arbre d’ornement, considéré non plus comme un simple mobilier urbain ou péri-urbain, mais comme un être vivant respectable, est retracé dans cet ouvrage. Un hommage au courage de toutes celles et ceux qui ont fait de la grimpe d’arbre, activité à la fois riche en émotions mais également périlleuse, leur métier.
Avec des milliers d’autres, ces grimpeurs-élagueurs appartiennent à une vaste communauté professionnelle, constituée en France à partir du début des années 1980, et étendant ses ramifications dans de nombreux pays. Il s’agit des arboristes et grimpeurs spécialistes de la taille, de l’élagage et du soin aux arbres qui, pour accomplir leur tâche, n’hésitent pas à se hisser, au moyen de cordes, à la cime des platanes, chênes et autres essences, pour en tailler les branches trop longues ou en redessiner la forme dans le cas d’alignements le long des routes et des avenues. Ces grimpeurs véhiculent aussi un message et une philosophie en rupture avec un demi-siècle de pratique radicale de l’élagage, au sortir de la seconde guerre mondiale. Une vision raisonnée de la taille et respectueuse du végétal, prônant l’élagage uniquement lorsque cela est rendu nécessaire par des impératifs de sécurité ou des raisons esthétiques. Ce mouvement, né avec
Espérons que ces pages partagent fidèlement la passion qui anime, au quotidien, celles et ceux qui grimpent les arbres pour en prendre le plus souvent grand soin… Et observent depuis leur perchoir naturel, comme le Baron perché cher à Italo Calvino et à tous les amoureux des cimes arborées, « le monde vu d’en haut ». Pedro Lima
i En 2016, le grimpeur Jérémie Thomas redescend le long d’un eucalyptus de près de 100 mètres de hauteur qui se dresse dans la forêt de Tasmanie... Vue imprenable sur le monde !
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INTRODUCTION
Ce livre, ponctué de nombreuses rencontres et de portraits d’essences arborées autant que d’arboristes passionnés, remonte également le temps, plongeant ses racines à la recherche des liens très étroits qui ont uni, dès les origines, notre espèce aux arbres des forêts primitives. Ce faisant, en découvrant la petite Lucy perchée sur une branche il y a plusieurs millions d’années ou en révélant le soin apporté aux vergers par les jardiniers de la Babylone antique, en visitant les somptueux jardins à la française de Versailles et d’ailleurs ou en faisant revivre les élagueurs parisiens du début du XXe siècle, l’ouvrage inscrit la pratique de la grimpe d’arbre, devenue également loisir de masse, dans une longue histoire commune de l’humanité et des grands arbres, géants verticaux qui nous ont de tous temps impressionnés et attirés.
Des arbres et des hommeS
Chapitre 1.
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Des arbres et des hommeS
« La forêt, c’est encore un peu du paradis perdu. » Marcel Aymé, écrivain
Splendeur et misère de l’arbre d’ornement
o Avec l’avènement de la tronçonneuse, après guerre, les arbres d’alignement routiers subissent l’assaut des élagages drastiques et mutilants, comme ici sur la Nationale 6, entre Sens et Rosoy (Yonne) en 1960.
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Splendeur et misère de l’arbre d’ornement
« Arbre, je n’en puis plus de te voir meurtri, malade, réduit par la taille à d’infâmes candélabres surmontés d’un maigre panache. » Emmanuel Michau, L’Élagage, la taille des arbres d’ornement
grimpeurs d’arbres
Le temps des pionniers Au retour de ce voyage fondateur, Francis De Jonghe, Pierre Descombes et l’ensemble du groupe « Arbres » de la Mission du paysage s’attellent avec enthousiasme à la création des premières formations au métier d’élagueur. Dès le départ, le caractère social associé à l’activité de grimpe d’arbre est pris en compte, aspect qui se confirmera par la suite, avec par exemple la naissance des activités d’Accrobranche à destination de publics en difficulté. Caroline MollieStefulesco se souvient : « Huguette Bouchardeau insistait pour que les formations se mettent en place, car elle était persuadée de leur importance pour changer la donne de l’arbre d’ornement. Elle croyait aux vertus positives de l’arbre, en particulier pour des jeunes en difficulté. Elle a grandement facilité et accéléré les choses, en particulier en débloquant des fonds grâce à une mission interministérielle pour l’emploi. » Pour identifier le public cible des formations, les membres de la Mission se déplacent dans des bassins d’emploi sinistrés, en banlieue et dans des zones économiquement et socialement défavorisées. « Là, on a rencontré des jeunes en déshérence, un peu perdus, pour qui cette activité qui associe le sport, l’altitude et un fort sentiment de liberté, représentait une porte de sortie et un véritable espoir », évoque Caroline Mollie-Stefulesco. Grâce à ce travail préparatoire, et au programme mis au point par messieurs De Jonghe et Descombes, les deux premières formations ont pu ouvrir en 1984 : une au CFPF de Châteauneuf-du-Rhône, dans le sud de la France, du 25 juin au 7 décembre, et une quelques mois plus tard au CFPPA (Centre de formation professionnelle et de Promotion agricole) de Tours-Fondettes, avec qui la Mission était également entrée en contact. Au total, une vingtaine de pionniers suivent cette première formation historique, pour devenir grimpeurs-élagueurs (ou monteurs-élagueurs) en quelques mois d’apprentissage, comme le relèvent les archives de la Mission du paysage : onze à
o Dès les premières années de formation à l’élagage au CFPF de Châteauneuf-du-Rhône, ici au milieu des années 1980, les gestes de secours à l’élagueur blessé sont enseignés aux stagiaires.
Château neu f- du-R hône, dont u ne femme (Mireille Vernet) et une quinzaine à ToursFondettes, sous la houlette, entre autres, de José Braz, formateur historique de ce centre. Les documents de la Mission du paysage précisent également le montant des financements alloués aux deux centres pour ces « Formations d’élagueurs qualifiés » : 900 000 francs du Fonds national de l’Emploi (FNE), 1,4 million de francs des Directions départementales des territoires (DDT), et 700 000 francs de la Mission emploi-environnement, pour un total de 3 millions de francs (460 000 euros).
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La naissance du métier d’arboriste-grimpeur
o Une archive rare du premier stage d’élagage du CFPF de Châteauneuf-du-Rhône, qui réunit onze participants du 25 juin au 7 décembre 1984. Il s’agit de Mireille Vernet, Gilles Arsac, Michel Auternaud, Jacques Baratier, Jean-Marc Fournier, Marc Douillet, Gilles Lhert, Laurent Marmain, William Pons, Roger Sassolas et François Vanbervliet. INTERVIEW VIDÉO
Le nœud Prussik Découvert par les arboristes-grimpeurs français lors d’un voyage d’étude en Angleterre au début des années 1980, le nœud « Prussik », ou « Prusik », tient son nom de l’alpiniste autrichien, né en 1896 à Vienne, qui l’a mis au point en 1931. Il s’agit d’un nœud autobloquant symétrique, qui peut être déplacé, à la main, à la montée et à la descente le long d’une corde. Employé par les alpinistes et en spéléologie comme système de contre-assurance ou système de secours, les élagueurs-grimpeurs l’emploient comme système de friction. Il se réalise à l’aide d’un anneau de corde ou un bout de cordelette épissurée à ses deux extrémités. Sa maîtrise parfaite conditionne bien sûr le niveau de sécurité garanti pour le grimpeur, d’où l’importance d’un bon apprentissage. Son introduction et sa généralisation ont offert aux grimpeurs d’arbres des conditions de sécurité et de confort améliorées.
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grimpeurs d’arbres
o Un grimpeur-élagueur équipé du matériel de la fin des années 1980, en particulier des griffes permettant de faciliter l’ascension et une tronçonneuse.
La naissance du mÊtier d’arboriste-grimpeur
1990
grimpeurs d’arbres
CHAMPIONNATS à lyon
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u 1. Guy-Bernard Jan, pionnier du métier d’élagueur, arbore un t-shirt à l’image de sa philosophie professionnelle : « taille douce ». o 2. François Cornu s’essaye à l’épreuve de grimper à l’aide de griffes lors des championnats de grimpeurs-élagueurs de Lyon en 1990.
u 3. L’épreuve du mât est une course de vitesse. Chaque concurrent doit atteindre le sommet, à onze mètres d’altitude, le plus rapidement possible, et taper sur une cloche. Stefen King fut un grand champion de cette discipline, avec un score inférieur à six secondes !
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La naissance du métier d’arboriste-grimpeur
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5 u 4. Jean-Philippe Courteville en pleine concentration lors de l’épreuve de vitesse de grimpe au mat.
o 5. Guy-Bernard Jan, pionnier du métier d’élagueur, participe à l’épreuve de vitesse de grimpe au mat, et attend le signal du départ.
u 6. Les concurrents se maintiennent au mât grâce à une longe.
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GRIMPEURS D’ARBRES
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Du militantisme à l’arboriculture moderne
u 1. L’épreuve de déplacement dans l’arbre lors du championnat régional de Thoiry, en 2015. Le concurrent doit effectuer le plus rapidement possible un parcours imposé, ponctué de cloches qu’il fait tinter pour être entendu depuis le sol par le jury. u 2. Lors du championnat de France organisé en 2008 à l’Haÿ-les-Roses, les concurrents Yannick Scally et Fritz Vanderwerff participent à l’épreuve de technique du « foot lock », en face à face, qui consiste à grimper le plus rapidement possible au moyen d’une corde par traction sur les bras et les jambes.
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o 3. L’épreuve de secourisme, ici Jérémie Thomas lors des championnats d’Europe de grimpeursélagueurs organisés à Monza (Italie) en 2015, illustre la préoccupation constante des spécialistes, depuis les origines de la pratique, pour les questions de sécurité au travail. o 4. Un concurrent s’essaie à l’épreuve du grimper rapide, lors du championnat régional d’Île-deFrance organisé à Thoiry en 2015. u 5. Toujours lors du championnat régional d’Îlede-France organisé à Thoiry en 2015, l’épreuve du lancer du petit sac. Le concurrent doit maîtriser la trajectoire du petit sac, entraînant une corde légère, pour atteindre une fourche de l’arbre, pour ensuite y faire passer sa corde d’accès.
INTERVIEW Vidéo
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le temps de la maturité
Reconnaissance officielle des spécificités du métier « Cette étape importante récompense l’action, depuis la fin des années 1990, de la MSA en lien avec des fonctionnaires motivés et compréhensifs du ministère de l’Agriculture, de la SFA, de l’INRS et de certains fabricants d’EPI et formateurs, pour faire reconnaître la spécificité des techniques du métier de grimpeur-élagueur, en particulier par rapport aux “cordistes” du BTP », rappelle Christian Pagniez, membre à l’époque du collège Enseignants, chercheurs et vulgarisateurs de la SFA. Conséquence de cette mobilisation, en 2001, un texte européen sur la protection contre les chutes en hauteur admet pour la première fois l’existence du travail spécifique dans les arbres, avec accès au moyen de cordes. Dans une lettre de la SFA datée de la même année, Christian Pagniez raconte les dessous de cette Directive européenne du 27 juin 2001, connue sous le numéro de code 2001/45/CE, et négociée par les représentants de tous les États membres lors d’une réunion à Bruxelles : « M. Arconte, chargé à l’époque du dossier pour le ministère de l’Agriculture, avait obtenu de haute lutte, avec ses collègues anglais et belges, que les quatre lignes reconnaissant le droit à l’usage des cordes avec double-corde et système antichute soient ajoutées au dernier moment à la fin de l’annexe de la directive. » Trois ans après cette reconnaissance européenne in extremis de la spécificité du métier de grimpeur d’arbre-élagueur, la fameuse directive était enfin transcrite dans le droit français. Et cela, grâce au décret n° 2004924 du 1er septembre 2004, qui marque d’emblée un tournant pour la profession, avant d’être définitivement transposé dans le droit du travail par une circulaire datée de juin 2007. Fabrice Salvatoni raconte cette nouvelle évolution, aux conséquences importantes pour les professionnels : « Le décret de 2004 a marqué un moment important pour tous les arboristes-élagueurs. En modifiant le code du travail, il introduisait en
effet un nouveau cadre réglementaire pour les grimpeurs d’arbres, et surtout, il reconnaissait définitivement la spécificité de notre activité. » En effet, si le décret stipule que « les techniques d’accès et de positionnement au moyen de cordes ne doivent pas être utilisées pour constituer un poste de travail en hauteur », il précise bien que « lorsque l’évaluation du risque établit que l’installation ou la mise en œuvre d’un tel équipement est susceptible d’exposer des travailleurs à un risque supérieur à celui résultant de l’utilisation des techniques d’accès ou de positionnement au moyen de cordes, celles-ci peuvent être utilisées pour des travaux temporaires en hauteur ». Autre alinéa important : « Dans des circonstances spécifiques où, compte tenu de l’évaluation du risque, l’utilisation d’une deuxième corde rendrait le travail plus dangereux, le recours à une seule corde peut être autorisé, à condition que le travailleur concerné ne reste jamais seul. » Pour la première fois dans le droit du travail français, un texte autorise donc l’emploi de cordes pour accéder à un poste de travail, et donc un arbre… Tout en précisant les normes de sécurité, très strictes, à respecter dans cette situation, avec entre autres la nécessité de doubler le point d’ancrage et d’être en double rappel au poste de travail, comme le stipule précisément l’article du 4 août 2005 dans son article 2 : « Dans les cas où il est fait usage d’une seule corde lors de la progression, le mode opératoire utilisé doit être tel qu’en cas de rupture d’un point d’ancrage, la chute de l’opérateur, muni de son équipement de protection individuelle, ne dépasse pas un mètre. Une fois que l’opérateur est stabilisé, un moyen de sécurité complémentaire ayant un point d’ancrage indépendant doit être utilisé, de telle sorte que si l’un des dispositifs casse, l’opérateur, muni de son équipement de protection individuelle, soit retenu. »
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GRIMPEURS D’ARBRES
o Le choix très précis de la position des points d’ancrage des cordes, comme ici lors d’un stage de formation organisé au CFPF de Châteauneuf-du-Rhône, est un élément clé de la sécurité du grimpeur.
l’Inspection du travail, de l’emploi et de la politique sociale agricoles (ITEPSA). Ce jour-là, les fonctionnaires nous ont appris qu’un décret, en cours d’étude par le Conseil d’État, ouvrait une dérogation aux travaux en hauteur pour les travailleurs dans les arbres : élagage, démontage, éhoupage et cueillette des graines, afin de transposer la directive européenne. Toute la matinée, nous avons travaillé ensemble sur l’avant-projet qu’ils nous ont soumis, en faisant reconnaître nos techniques de travail sur une seule corde, en précisant des points de vocabulaire et des détails techniques. Le reste de la journée, Christian Ambiehl et Alain Gourmaud ont démontré, dans un beau marronnier du centre de formation, la sûreté et la qualité des techniques d’ascension, de déplacement et de secours aérien adaptés.
À la fois permissif sur l’utilisation de cordes et extrêmement pointilleux sur les normes de sécurité, ce décret « révolutionnaire » marque bel et bien l’aboutissement d’un long processus de concertation et de lobbying des arboristes, commencé dès les années 1990. Il aura fallu une ultime et savoureuse opération de séduction, et de démonstration, destinée aux instances décisionnaires, pour remporter la partie. Christian Pagniez se souvient encore de cette journée du 4 juin 2004 au CFPPA de Tours-Fondettes, rondement menée par quelques grimpeurs déterminés : « Nous avions rendez-vous avec M me Florion, chargée au ministère de l’Agriculture des questions de réglementation et sécurité au travail dans les domaines “Paysages et forêts”, accompagnée de trois fonctionnaires de
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GRIMPEURS D’ARBRES
Grimpeurs et scientifiques en canopée Parallèlement au développement et au succès grandissant de la Grimpe d’arbre et de ses dérivées, des liens précoces se sont noués entre grimpeurs et scientifiques, conduisant à une collaboration fructueuse et toujours d’actualité. À nouveau, c’est à la fin des années 1980 que s’écrit le début de l’histoire. À l’époque, trois inventeurs, chercheurs et explorateurs lancent une épopée scientifique hors du commun, baptisée « Radeau des cimes ». Il s’agit d’une plate-forme légère de forme hexagonale, d’une surface de 300 à 600 mètres carrés, permettant d’étudier la canopée des forêts tropicales en étant déposée sur la cime des arbres au moyen d’un dirigeable. Le projet est conçu et dirigé par Francis Hallé (professeur de botanique tropicale), Dany CleyetMarrel (concepteur, designer et pilote d’aérostat) et Gilles Ebersolt (architecte et inventeur). Validé dans son principe lors d’une expédition à caractère technique en Guyane en 1986, le Radeau des cimes est utilisé au cours de plusieurs missions scientifiques qui se succèdent à partir de 1989, entre autres en Guyane, au Cameroun, au Gabon, à Madagascar et à Panama. Pourquoi vouloir accéder ainsi à la canopée des forêts tropicales, partout menacées par la déforestation et les activités humaines ? « Car cette zone d’interface entre la forêt et l’atmosphère, qui ne peut être observée depuis le sol, recèle une richesse extraordinaire en termes de biodiversité animale et végétale », répond Francis Hallé.
LIENS INTERNET
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ANIMATEURS ET CHERCHEURS DES CIMES
o Spécialement conçu pour l’exploration de la canopée, le Radeau des cimes se pose sur le toit de la forêt primaire de Madagascar, en 2001.
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