Livre Charles Zuber, première partie - version 02

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L'homme qui venait de Kriens

D. Malcolm Lakin & Joël A. Grandjean

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un réservé. Discret, il savait se montrer peu disert sur ses sentiments, sur ce qu’il pensait vraiment: sa vie privée était privée, tout comme cette vie professionnelle à laquelle il se dédiait, sans jamais compter son temps. Reconnu dans son métier mais peu connu du grand public, ses réalisations restent immortalisées au fil de collections qui ne portent pas sa griffe mais sont signées des grands noms du luxe et de la mode. Ce jour rimait avec la fin de la vie d'un homme, la fin d'une époque. Il s'appelait Charles Zuber.

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Charles Zuber Un innovateur Pour beaucoup, c'était un jour comme les autres. Un de ces jours où les gens se rendent lentement au travail, parlent du temps qu’il fait, coupent leur matinée le temps d’un café, effectuent des appels professionnels, rient et plaisantent, déjeunent, envoient des courriels et autres messages depuis leur téléphone portable, puis rentrent à la hâte à la maison histoire de profiter de ce qui reste de la journée. Pour les membres d’une famille cependant, la journée fut différente de toutes celles qu'ils avaient connues. Enveloppés dans leurs tristes sourires, leurs larmes, ils s’étaient laissés aller à cette accablante douleur, à cet inexorable chagrin qu'engendre la perte d'un être cher. La vie d'un homme à l’heure de son point final. Un génie qui résolvait les concepts les plus improbables, dont les prouesses de joaillier, le talent créatif et le sens instinctif de l'innovation, avaient servi les plus grandes marques horlogères et joaillières du C'étaitmonde.unintroverti,

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L'immeuble abritait plusieurs familles et, à l’époque où la famille Zuber y vivait, totalisait vingt quatre enfants dont Margerit, Hedy, Marie, Alice et Gebiet, les sœurs et le frère cadet de Karl. Les Zuber vivaient dans un appartement de trois pièces. Un espace plutôt exigu si l’on réalise qu’ils étaient six enfants et deux adultes. Les enfants, qui n’avaient jamais connu autre chose, ne s’en plaignaient pas. Quant aux parents, Hedy et Karl, ils n’avaient d’autre choix au su de leur situation économique.

Les premières années

Heureusement, dès que les enfants étaient en âge de marcher et lorsque la météo le permettait, ils disposaient dehors de tout l'espace nécessaire pour jouer, dans le jardin ou dans la rue. A l’époque, c’était sans danger puisqu’il y avait encore plus de chevaux que de voitures. Aujourd'hui. La Suisse jouit d'une des économies les plus prospères du monde, d'une population en bonne santé et riche. Elle est le troisième pays enclavé le plus riche du monde après le Lichtenstein et le Luxembourg. Son secteur des services en particulier dans le domaine bancaire et le tourisme représente un apport majeur dans la globalité de son économie. La pauvreté en Suisse, c'est à dire tout ce qui se situe 50% en dessous de la moyenne des revenus, se réduit à 7 %, contre près de 10% dans les autres pays européens.

5 Chapitre 1

Au 32 Alpenstrasse à Kriens, en Suisse, il est un petit immeuble de trois étages de couleur ocre où Karl Albert Zuber, tonnelier de métier, et son épouse Hedy, vivent depuis leur mariage en juillet 1927. C'est ici, dans cette rue tranquille, que le vendredi 29 janvier 1932, Hedy donne naissance à un premier enfant, un garçon, Karl Joseph.

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Cependant, dès le début du XXe siècle et surtout entre la Première Guerre mondiale et trois ans après la Seconde Guerre mondiale, la Suisse n'a pas seulement connu une récession économique vertigineuse. Elle a également été le théâtre de troubles politiques graves. Malgré le fait que le pays ait réussi à maintenir sa neutralité, ses installations de production, tant rurales qu’industrielles, furent mises à rude épreuve. Son développement, quelle qu’en était la forme, fut dramatiquement impacté par le conflit sévissant hors de ses frontières, dans les pays voisins. Une grande partie des importations de produits de base dans le pays, en particulier les produits agricoles de première nécessité, fut durement touchée. Les deux guerres mondiales firent ressortir la dépendance de la Suisse à son environnement. Du coup, ses importations et ses flux portuaires sortants furent revus à la baisse de 30%. S’en suivit un taux de chômage à la hausse, 5% en 1936. En outre, la dévaluation de 30% du franc suisse s’avéra dévastatrice pour la population.

Karl n'avait que sept ans quand la Seconde Guerre mondiale éclata. La nourriture se faisait déjà rare et, malgré la poursuite de la fabrication et de la livraison d'armes par les Suisses à la Grande-Bretagne, à l'Allemagne, à la France, ainsi qu’à tout autre pays voisin capable de les importer, l'économie confédérale n’échappa pas au rationnement alimentaire. Les aliments de base comme le sucre, le blé, les pâtes, le riz, le beurre, l'huile, le fromage, le lait, les œufs, le miel, la confiture et le chocolat, bref, les produits de première nécessité pour les familles, étaient réservés à des usages particuliers, lors d’occasions spéciales. Ce n’est qu'en 1948, soit trois ans après la fin de la guerre, que le rationnement prit fin. En septembre 1939, Karl senior fut appelé au service militaire en tant que garde-frontière, à un moment où son activité de fabricant de barriques était à ce point sinistrée qu’elle était devenue quasi inexistante. En effet, le conflit environnant entraînait la généralisation de la baisse de la demande. Karl junior, après avoir terminé deux ans de jardin d'enfant à Saint-Imeldis, avait été inscrit à l’école publique. L'austérité était devenue le mot d'ordre familial. Les Zuber furent obligés

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7 de vivre encore plus chichement qu'auparavant. Les produits de base leur devinrent inaccessibles au point qu’un paquet de 100 grammes de beurre par exemple, prenait des allures de luxe du dimanche. Durant la semaine, on mangeait de la confiture maison sur du pain sans beurre; la viande avait quasiment disparu de la table familiale et les quelques rares légumes qui s’y égaraient, pénurie nationale oblige, se voyaient complétés par ceux qu’on réussissait à faire pousser dans le jardin, à l’arrière de l’immeuble. Des légumes généreusement enrichis par le crottin de cheval que les enfants, sur instruction de leurs parents, parvenaient à gratter sur la route, dès qu’un véhicule de livraison avait la gentillesse d'en déposer alentour. Inutile de dire que les cadeaux d'anniversaire étaient peu nombreux. Gebi, le frère cadet de Karl, se souvient du visage de son son frère illuminé par le plaisir alors qu’il recevait, à l’un de ses anniversaires, une simple saucisse de Saint Gall. Les chaussures, en particulier celles destinées aux enfants, faisaient également partie de la longue liste des articles de luxe.

A tel point que Karl fut obligé d'aller à l'école sans chaussures et, durant les mois d'été, marchait pendant une heure pieds nus pour aller jouer dans l'eau au Vierwaldstättersee (littéralement le Lac des Quatre Forêts) comprenez ce lac qu’on appelle aujourd’hui le Lac des Quatre Cantons ou le Lac de Lucerne. * * A l’école, le jeune Karl avait développé un talent pour le dessin et la peinture. Et il commençait déjà à faire preuve d'une créativité innée et d'une aptitude instinctive à réaliser des ouvrages. À la fin de la guerre, aux abords l’adolescence, sa créativité est à son comble. Et son imagination débordante s'accompagne d’une excitation prolixe, d’une sorte d’hyperactivité qui l’amène à être constamment en mode conception et construction.

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Un été, il passe de nombreuses heures avec son frère et ses sœurs dans une cabane qu'il avait construite dans le chêne à côté de leur immeuble. Tous les enfants du voisinage, du moins ceux qui étaient suffisamment téméraires pour y grimper, y étaient également bienvenus. Toujours occupé, jamais à la recherche de quelque chose à faire, Karl cultive son talent pour créer. Il fait une flûte en bois de noisetier et confectionne d'innombrables arcs et flèches. En hiver, alors qu’il vient de voir des photos d'esquimaux dans leur habitat, il construit un igloo près de l'entrée du bâtiment. Il se sert de blocs de glace. Et bien que la construction soit loin des règles architecturales du genre, elle devient le refuge magique des enfants du quartier. Une année, il s’attaque à la construction en papier d’une montgolfière grandeur nature. Puis il fabrique de nombreuses maquettes d'avion, sans l'aide d'un quelconque patron. Ce passe-temps l’amène plus tard à rêver de s'enrôler dans l'armée de l'air. Une idée hélas vite abandonnée. Car une brève discussion avec ses parents le ramène à sa réalité: les cours de pilotage requis resteront définitivement hors de portée. Une fois, une autre année, alors qu’il a rejoint la section locale des scouts, Karl décide qu'il aura sa propre tente. Il se la construit à partir de vieux sacs de pommes de terre qu'il arrache au fatras de la boutique de l'épicier du cru. Il réussit à les attacher ensemble, à y peindre un tigre en guise de totem et, une fois la stabilité assurée, les plante d'abord dans le jardin avant d’y dormir quelques nuits, lors d’une virée avec un copain dans les montagnes environnantes. Et puisqu’à son avis, pouvoir communiquer entre les deux tentes est primordial, il confectionne deux lampes, une pour son compagnon de fortune et l’autre pour lui, histoire de pouvoir s’envoyer des messages en morse durant la nuit.

Depuis le XVe siècle, Lucerne célèbre, du jeudi au mardi gras, une fête païenne apparue pour annoncer la fin de l'hiver. On la désigne comme étant «les jours de la Fasnacht» ou le «Carnaval de Lucerne». Les participants défilent dans la vieille ville, ils portent des masques bizarres, merveilleux et fantastiques, ils se déplacent au son de musiques traditionnelles. Dans un tel contexte, Karl se sent dans son

expriment

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Ilélément.fabrique

des masques pour lui-même, pour sa famille et ses amis. Hideux et difformes, les muscles distendus, leurs visages la laideur. Ils mettent en scène son imagination, son talent créatif. Ses années d'adolescence sont émaillées par quelques menus larcins que sa famille ne manque pas de désapprouver. Une fois, aidé d’un copain, il dérobe un morceau de viande à la boucherie du quartier. L’événement manque de tourner au vinaigre puisque le boucher, vigilant, avait repéré les coupables. Puis, vers Noël de la même année, il se lève aux aurores un dimanche matin afin de déterrer un vrai sapin, tandis que ses parents assistent au service religieux matinal. Il sait que ses parents n’ont pas les moyens d’en acheter un. S’il fut sévèrement sermonné, l'arbre n’en trôna pas moins au cœur du logis durant toute la durée des fêtes, décoré avec amour, à partir d’objets soigneusement confectionnés par Karl. Son frère Gebi raconte, entre deux éclats de rire, l'ingéniosité et les talents d'improvisateur de Karl: «Lors d'une de ses régulières randonnées sur le lac des Quatre Cantons, il aperçut des touristes anglais en train de travailler sur leur yacht, en shorts blancs. De retour à la maison, comme il ne possédait pas de short, il s’introduisit dans la chambre de ses sœurs, y déroba une paire de culottes amples, s’en grima puis se pavana fièrement dans la maison en mimant les touristes». A la question de savoir ce qu’il était en train de faire, il répondit simplement, «J’imite les Anglais, je fais comme les Anglais…» Certes, tout ce que Karl faisait n’était pas systématiquement couronné de succès. Alors que la famille avait reçu d’un voisin une paire de skis en bois, Karl qui les trouvait trop épais, entreprit de les alléger. Après avoir emprunté auprès d’un autre

10 voisin l’outil adéquat, il entreprit de les réduire d’une épaisseur de trois à quatre millimètres. Dès que la neige arriva, il s’empressa de les chausser pour les essayer. A peine touchèrent ils la neige qu’il se brisèrent en deux. Au début de l’adolescence, Karl avait pleinement conscience de son appartenance à une famille de condition modeste. Pourtant, il ne s’en plaignait jamais, quels qu’étaient les manques. Au contraire, chaque fois que c’était possible, il tentait d’apporter son aide. Ainsi, un jour à la fin d’un été, sans avertir qui que ce soit, il emprunta le train pittoresque de Wängenalp et s’enfonça dans les montagnes. Il rejoignit, après quelques heures de marche, un coin reculé qu’il savait généreux en myrtilles sauvages. Après cette première journée de marche et quelques récoltes, il s’approcha d’une ferme voisine et demanda au maître des lieux de lui offrir le gite et de le laisser dormir dans un coin à l’abri. Il passa la nuit dans l’écurie. Le lendemain, levé aux aurores, il continua la cueillette des baies sauvages, les stockant soigneusement dans les sacs emportés. Il passa les deux nuits suivantes dans l'étable. Sa famille ne sut jamais comment il avait subsisté dans la montagne. On supposa que le paysan avait soit eu pitié de lui et l’avait nourri, soit qu’il avait accepté de monnayer sa subsistance contre une part de la cueillette. Dans la famille, la question de savoir comment il avait survécu dans la montagne ne fut jamais élucidée et de son côté, il n’aborda jamais le sujet. Reste une autre énigme liée à cette aventure. Comment diable avait il pu ramener seul à Kriens les trente à quarante kilos de myrtilles récoltées à la main?

Toujours est-il que l’heure était plutôt au grand chantier qui en résulta. Hedy, la maman, et sur ce point tout le monde s’en souvient encore, fit avec cette récolte une énorme quantité de délicieuses confitures et de compotes maison.

réputation

11 Chapitre L'apprenti2

Nous sommes en 1947, Karl quitte l’école. Il a quinze ans. Un entretien avec un conseiller en orientation professionnelle lui suggère la piste de l’apprentissage. Sont louées sa dextérité, son habileté innée ainsi que son sens pratique naturel si utile à la réalisation d’objets. On lui conseille de tout faire pour décrocher une place d’apprentissage. En pantalon court et doté d’une paire de chaussures neuves, il parvient, après qu’on lui ait pris rendez-vous avec un bijoutier de la place, à le convaincre de l’engager pour les deux ans à venir. Il s’appelle Burger. C’est chez ce bijoutier lucernois que commence l’initiation de Karl au travail de la joaillerie, à tout ce qu’il réclame de minutie, de patience, de temps et de dévouement. Ces acquis et ces valeurs, il s’en servira toute la vie. Comme apprenti, il est initié aux arts du sertissage qui resteront, les années suivantes, l’une des facettes majeures de sa professionnelle. On n’apprend pas un métier sans quelques ratés. Ainsi, alors qu’il tente de dompter un diamant entre les pinces de ses brucelles, celui-ci est propulsé à travers la fenêtre ouverte, à même le gravier d’un chemin cerclant l’arrière-cour de l’atelier. Il se précipite à l’extérieur et, à genoux dans les cailloux, des heures durant, s’échine à le retrouver. Soudain, juste avant la tombée du jour, il l’aperçoit, l’attrape et l’exhibe à tout va, l’offrant au regard de ses collègues. C’est la première fois qu’il manipule un diamant, ce sera loin d’être la Karldernière.s’avère être un excellent apprenti, prompt à apprendre, attentif et concentré. Il fait preuve de dispositions naturelles face aux exigences requises dans l’exercice du métier de la joaillerie, il dispose d’aptitudes innées.

Durant la dernière année de son apprentissage chez Burger, le jeune Zuber participe à un concours de design lancé par le conseil municipal de Lucerne. L’objectif est de dessiner une étoile de Noël qui rejoindra les illuminations urbaines de fin

12 d’année. Son design remporte le premier prix. Noël 1949, son étoile fleurit dans le ciel des rues étroites de Lucerne. Elle y est encore fièrement suspendue aujourd’hui, comme chaque année depuis, à l’approche de la magie des fêtes de fin d’année, lorsque s’embrasent les rues pavées pittoresques de la vielle ville. * * *

Il a désormais dix-sept ans. Karl continue de développer son talent créatif au travers de la peinture. Il réalise un portrait incroyablement fidèle de son grand père. Sa passion pour l'Art l’accompagnera tout au long de sa vie, tout comme ses autres passions, la musique en général, le jazz et la musique classique. Le jazz, il le découvre pour la première fois à l’écoute d’un programme américain diffusé sur la chaîne AFN (American Forces Network) de Berlin. Dès lors, par n’importe quel temps, qu'il pleuve ou qu'il fasse beau, on le voit s’assoir sur une chaise chaque mercredi soir à 20 heures, l'oreille collée au poste de radio. Il se nourrit des sonorités du jazz. Il est également un auditeur assidu du Deutsches Symphonie Orchester, une formation basée à Berlin, fondée en 1946 par les forces d'occupation américaines sous le nom de RIAS Symphonie Or chester, également appelé l’American Sector Symphony Orchestra.

prêt à s’embarquer pour quelque aventure, qui plus est cette fois en compagnie galante et avec la complicité

C'est à peu près à la même période que Karl développe une autre passion qui l’habitera toute sa vie, son inclinaison pour le sexe opposé. Alors qu'il travaille encore comme apprenti orfèvre, il fait la rencontre d’une jeune fille qui, aux dires de ses proches, lui inspire une escapade à bicyclette, l’espace d’un long Karl,week-end.toujours

Au sortir de son apprentissage chez Burger à Lucerne, Karl est enrôlé dans l'armée en 1952. On l’envoie dans l'Emmental pour effectuer son service militaire obligatoire de six mois. A son retour, il officialise sa relation avec Josette. Karl est alors en pleine phase de réflexion sur son avenir. Au bénéfice de son certificat d’apprentissage, désireux de se mettre au travail et armé d’évidentes prédispositions pour le métier d'orfèvre, il décide d’en faire sa carrière. Il doit pour cela être

13 d’une charmante jeune femme, enfourche son vélo. Ensemble, ils pédalent jusqu’à Innertkirchen, un petit village des environs d'Interlaken, non loin des chutes Reichenbach rendues célèbres par Sir Arthur Conan Doyle dans sa saga Sherlock Holmes. A l’époque, les montres bracelets sont rares. Elles viennent de débarquer et n’ont encore rien d’une compagne de tous les jours. Toutefois, sa nouvelle petite amie a la chance d’en posséder une. Or, voici que celle ci, au fil de leur périple, tombe en panne. Karl, en partie en raison de cette assurance que donne la jeunesse, en partie aussi parce qu’il croit en son talent inné pour construire des choses, part du principe qu’il sera capable de la réparer. Malheureusement, l’opération s’avère plus compliquée que prévu et, entre le moment où il la met dans sa poche et où ils reviennent à Lucerne, il trouve le moyen de la Parperdre!inconscience

de ce qu’il lui en coûtera, désireux de réparer sa faute, il insiste pour en acheter une nouvelle. C’est donc toute sa maigre paie d’apprenti qui y passe. La jeune fille accepte, reconnaissante, puis, à la manière de son argent qui vient de disparaître, ne donne soudain plus de nouvelles. Loin de se laisser décourager par cette première aventure qui tourne court, Karl commence à jouer les tombeurs. Il multiplie les conquêtes jusqu’au jour où Josette, jolie brune originaire de Kriens, parvient à l’attirer suffisamment pour qu’il entame avec elle sa première relation sérieuse.***

prêt à s’éloigner de Kriens, de sa famille. Plusieurs choix se présentent à lui. Où aura-t-il le plus de chance de voir son talent reconnu? Zurich, Neuchâtel, Bienne, La Chaux de Fonds ou TandisGenève?que

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Neuchâtel, Bienne et La Chaux-de-Fonds se trouvent à l'ouest et sont des villes importantes pour une industrie horlogère en plein essor, Genève se situe au sud-ouest et demeure la ville la plus internationale de Suisse, celle aussi où les histoires de la bijouterie et de l’horlogerie sont liées. Car si en 1541 Jean Calvin interdisait le port des bijoux, quelques réfugiés en provenance d'Italie et de France se mirent à associer les arts bijoutiers à l’horlogerie. Une association que Calvin approuva puisque les montres restaient des instruments utiles. Ainsi, au fil des siècles, Genève parvenait à dépasser les restrictions de la Réforme pour devenir leader à la fois dans les secteurs de la joaillerie que ceux de l'horlogerie. La voie genevoise est donc toute tracée. Avec à son bras sa jeune épouse Josette, Karl est déterminé. Bien décidé à en découdre, rempli d’une soif de réussite et de cette assurance qui caractérise les ambitions de la jeunesse, il emballe leurs quelques affaires. Ensemble, ils embarquent dans le train, en partance pour leur nouvelle vie.

15 Chapitre 3 Karl devient Charles Vers la fin de 1952, Madame et Monsieur Zuber arrivent à Genève. Non contents d’être confrontés à des différences culturelles majeures, ils viennent de passer d’un canton suisse germanophone à un canton francophone. Certes, ils sont toujours à l’intérieur de leur Suisse natale, mais ils vivent leur installation dans la Cité du bout du lac à la manière d’une arrivée dans un pays cosmopolite. Territoire entouré de France voisine, avec au nord le Jura et au sud la montagne du Salève ainsi que, plus loin en toile de fond, la chaîne des Alpes, Genève c’est aussi le fameux lac Léman, traversé par le Rhône. Le site, magnifique, a quelque chose de somptueux. Et déjà à l’orée des années 1950, on sent la ville vouée à son destin international. De plus, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville fait face à un afflux d’organisations internationales qui, en leurs sillages, drainent autant de nationalités du monde, de coutumes, de langues parfois lointaines. Enfin, il y a aussi ces flux continus de travailleurs en provenance de l’axe frontalier français, qui vont et viennent entre la Suisse et l’Hexagone. En comparaison de Kriens, Genève est une ville où la vie est chère. C’est l’un des centres historiques bancaires d’Europe, c’est aussi la destination prisée des cadres et des mains-d’œuvre spécialisées à hauts revenus. Certes, Karl Zuber le savait déjà avant de s’y installer. Mais il sait surtout qu’il débarque au cœur du berceau joaillier le plus important de Suisse, le leader mondial du domaine de l’orfèvrerie. En joaillier compétent et qualifié, il a donc bon espoir de trouver du travail. Tandis que le couple trouve rapidement un petit appartement à louer dans le quartier de Saint-Jean, sur la rive droite, Karl

De langue maternelle allemande, Karl connaît quelques difficultés à communiquer, d’autant qu’en Suisse, francophones et alémaniques ont tendance à ne pas trop faire d’efforts lorsqu’il s’agit de parler la langue de l’autre. Les Romands, en minorité, estiment que le français, l’une des quatre langues nationales, se doit d’être impérativement pratiqué par quiconque s’établit ou transite en leurs territoires. Quant à eux, les Alémaniques, majoritaires en Suisse, ont de la peine à comprendre qu’on ne puisse pas comprendre l’allemand.

Zuber décoche quasi instantanément son premier emploi chez Weber, le plus grand fabricant genevois de bijoux d’alors.

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Karl fait néanmoins l’effort de maîtriser la langue française même s’il ne parvient pas à se départir complètement de son accent suisse allemand. Il ravale même sa fierté et, comme s’il lui fallait parfaire son intégration, décide de transformer le Karl germanique de son prénom en son équivalent francophone, Charles. Karl Zuber devient Charles Zuber, un nom qui, avec le temps est inextricablement associé à des créations remplies d’imagination, d’innovation, à des réalisations de la plus haute qualité. * * * Nous sommes le 21 février 1954. Charles a 22 ans, il devient père pour la première fois. Sa femme Josette donne naissance à une fille. Ils lui donne le prénom de Micheline, qui signifie «proche de Dieu». En français, il s’agit du féminin de «Michel». Après ses journées de travail chez Weber, Charles se rend à l’Ecole des Beaux-Arts où il s’est inscrit à une formation en cours du soir sur l’art en général, sur la peinture en particulier. S’il se plaît au sein des Ateliers Weber, son ambition prend le dessus: il réfléchit à la manière d’améliorer ses revenus et de développer son statut d’orfèvre, de se faire un nom dans le monde de la bijouterie. Il espère aussi, au passage, pouvoir

La manière de s’habiller, ce que les autres perçoivent de vous, c’est important dans la Genève grouillante des affaires comme dans les contextes professionnels. Alors il décide, quand bien même sa famille et lui continuent d’habiter leur appartement devenu trop petit, qu’à compter de ce jour, il portera toujours au travail un costume, une chemise propre ainsi qu’une cravate. Fallait-il qu’il impressionne son employeur? Ou devait il compenser, inconsciemment, ces années d’enfance passées à porter des vêtements cousus main, à marcher pieds nus sur le chemin de l’école. Toujours est il qu’il se découvre une certaine présence, une indéniable assurance. Il a la vigueur de son âge, il est plutôt grand, il présente bien. Et puisqu’il flotte sur la ville un parfum d’insouciance, il comprend l’impact que peut avoir sur les autres son élégance naturelle dotée d’une certaine sophistication vestimentaire.

Fin des années 1950, Charles Zuber se voit offrir une place au centre de Genève, place du Molard, au sein d’une entreprise joaillière aujourd’hui disparue. Et bien qu’il augmente ainsi son salaire, il semble, hormis la Fiat 500 qu’il vient d’acheter, que son argent supplémentaire passe dans sa seule véritable fantaisie du moment, les vêtements. Tandis que la famille continue d’habiter l’appartement devenu trop exigu, Charles Zuber soigne son look. Il faut dire que depuis son arrivée ici à Genève, depuis le début de sa vie professionnelle, il n’a pas cessé de croiser et parfois de bien connaître, des banquiers, des employés de bureau et des vendeurs, tous bien habillés. Bref, cette faune du centre ville qui s’offre en guise de pause matinale, cigarette au bout des doigts, une flânerie dans un café, ou à mi journée, quelque repas à rallonge qui se donne des allures de repas Charlesd’affaire.enestconvaincu.

17 troquer leur petit appartement contre une maison, pourquoi pas, en tous les cas, contre un lieu d’habituation plus vaste.

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Le grand saut Au début des années 1960 à Genève, deux secteurs florissants totalisent à eux seuls un millier d’entreprises inscrites au registre du commerce. L’horlogerie, évidemment, mais aussi la bijouterie. En tout, ce sont environ 75'000 femmes et hommes qui s’activent à satisfaire la demande à la hausse de consommateurs aisés et fortunés. A l’offre horlogère de certaines grandes maisons bien établies, s’ajoute dès lors, au fur et à mesure que la demande mondiale en montres suisses croît, un volet joaillier: des lignes de bijoux appelées à compléter leurs collections déjà fort luxueuses. Cet essor incroyable favorise dans l’industrie horlogère l’installation de nouveaux venus qui créent des micro sociétés de production. Ils achètent des ébauches, soit des mouvements horlogers incomplets en pièces détachées. Puis des systèmes de chronométrie, des échappements, des ressorts, enfin des boîtiers et des bracelets. Une fois assemblés, ces garde-temps se voient doter d’un nom de marque fraîchement protégé. En parallèle, le besoin sans cesse plus grand de spécialistes horlogers et bijoutiers, incite les marques et les grandes maisons à faire appel à des ateliers indépendants de petite ou moyenne taille afin de sous-traiter leurs travaux spécialisés tels que le sertissage des pierres, la production de cadrans ainsi que la fabrication des boîtiers.

Charles Zuber se dit que cette situation, ce besoin en talents spécialisés autant qu’en produits finis, représente un territoire inespéré d’opportunité. Le temps est propice à quitter son emploi pour se mettre à son compte, créer sa propre entreprise. Pourtant, malgré son expertise et ses acquis professionnels, cette perspective est ambitieuse. Car le hic, c’est qu’il n’a pas d’argent.

19 Chapitre 4

Il s’en ouvre à «Boum Boum» alias Roger Baumgartner, un collègue de travail ainsi surnommé en raison de son entrain communicatif et de approche pétillante de la vie. Or, lui aussi caresse cette même soif d’indépendance, lui aussi y pense de plus en plus sérieusement. Ils en discutent, ils en pèsent le pour et le contre. Finalement, ils conviennent de créer leur propre structure et sont convaincus qu’ils trouveront les montants nécessaires à la couverture des dépenses initiales de location, il faut trouver des locaux appropriés, ainsi qu’aux outils de base du métier. Dès lors, ils prévoient de s’associer et de lancer leur propre Charlesatelier.semet alors en quête de financement, ils poussent quelques portes. Finalement, c’est son frère Gebi qui vient à son secours en lui prêtant les premiers CHF 4'000.00 auxquels s’ajouteront ses économies. Il peut alors s’aligner face à la contribution de «Boum Boum». Leur première mission, trouver un atelier. Au centre de Genève où ils travaillent, le prix des mètres carrés a pris l’ascenseur. Ils se rabattent donc sur l’ARCOOP, un complexe immobilier ouvert par l’Etat de Genève pour tenter de dégorger le centre ville et attirer en périphérie artisans et petites entreprises. Les loyers sont très raisonnables. Ils déposent leur dossier, ils convoitent un espace atelier disposant de possibilités d’agrandissement.

Acceptés comme locataires, Charles et «Boum Boum» signent le bail. En 1962, comme en atteste le Registre du Commerce de l’époque, la société «Ch. Zuber & R. Baumgartner», vient de voir le jour, au 32 rue des Noirettes à Carouge, une commune cantonale genevoise séparée de Genève par la rivière l’Arve. Ainsi démarre la remarquable carrière de Charles Zuber.

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21 Chapitre 5

. A la même époque, Piaget envisage de passer la vitesse supérieure dans la production de ses montres bracelets ultraplates. La Manufacture n’a alors pas la capacité interne nécessaire face à l’accroissement de la demande. Elle cherche des acteurs externes indépendants. Camille Pilet, directeur de ventes, convainc sa hiérarchie de confier à la nouvelle entité des travaux plus créatifs que la production de boîtes. Car il a eu l’occasion déjà de tester et d’apprécier le travail effectué par Zuber & Baumgartner

Josette et Micheline Naturellement, l’associé Boum-Boum Baumgartner, qui a la responsabilité de la comptabilité, prend en raison de son caractère jovial et de son caractère très sociable, le rôle du commercial. Il est donc la majeure partie du temps hors de l’atelier, en quête de missions. La maison Piaget qui a commencé à fabriquer des bijoux dans le but premier de maximiser son expertise interne, confie à l’extérieur ses travaux de sertissage. Boum-Boum parvient à la convaincre d’en sous traiter une partie au nouvel atelier Zuber & Baumgartner

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Faire face aux délais, répondre aux exigences des nouveaux clients qui ne cessent d’affluer, tout s’accélère. Zuber & Baumgartner recrute et engage d’autres artisans pour digérer l’afflux de commandes. En 1964, l’entreprise jouit déjà d’une réputation d’excellence dans le secteur. Ses fondateurs commencent à récolter les bénéfices financiers engendrés par leur effort. Charles Zuber troque sa Fiat 500 contre une Jaguar Mark 2. La première de ce qui va devenir son acquisition bisannuelle. * * *

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Au contraire du succès de l’entreprise, les choses se dégradent à la maison. Entre Josette et Charles, le climat se détériore. Micheline Clouet, la fille aînée de Charles, aujourd’hui maman de deux filles, révèle son éclairage sur les problèmes conjugaux de ses parents. Une mère peu maternelle, une relation mère-fille difficile, un mal être grandissant. Elle se souvient que son père est sous pression, que quoiqu’il fasse ou donne, ce n’est jamais assez. * Père et fille se rapprochent. Micheline se souvient. «J’avais 11 ans quand ils ont divorcé, et comme ma mère est partie avec un autre homme, je suis restée avec mon père. Il était le meilleur, le plus beau, je l’aimais...». L’entreprise tourne à plein régime, son père est un bosseur, les heures en semaine sont longues. Les vacances ou les week ends, Charles Zuber emmène sa fille à l’atelier. Elle est jeune, elle découvre l’exigence, la concentration ultime. Cigarette éternellement pendue à ses lèvres, son père cache ses sentiments, garde pour lui ses émotions, ne les montre que très rarement. Il est pourtant toujours là pour ceux qui cherchent des conseils ou des conseils. «Dès qu’il entrait dans l’atelier, son esprit était entièrement concentré sur ce qu’il faisait», se rappelle Micheline. La procédure de divorce aboutit en 1965. Départ définitif de la maman avec un autre homme.* * En dehors du travail, Charles Zuber est un homme complètement différent. Sa fille Micheline Clouet le raconte. «À la maison, il s'asseyait quelque part, tranquille, il écoutait de la musique, plutôt du jazz habituellement. Quand nous étions ensemble à l'extérieur de la maison, il se montrait très discret. Il

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23 avait ses habitudes quotidiennement, comme une sorte de routine bien rôdée. Au Relais de Champel, il s’arrêtait sur le chemin du travail, pour un café et un croissant le matin. C’était ses quartiers puisqu’il s’y arrêtait aussi chaque soir pour l’apéro, sur le chemin du retour. Les fois où je n’étais pas à l’école, je l’accompagnais souvent au Relais. Ses amis semblaient toujours être là tous en même temps. C’était son chez lui, il adorait l’endroit. Il y était à l’aise pour bavarder avec ceux qu’il connaissait, pour quelques verres, pour une partie de billard ou pour fumer… Ses journées étaient longues, il travaillait énormément à l’époque. J’ai donc été en pensionnat, à Monthey, dans le canton du Valais. Durant les mois d’hiver, il faisait la navette en voiture depuis Genève pour m’emmener skier. Il profitait des vacances scolaires pour s’absenter du travail. Nous nous rendions tantôt en Italie pour quelques jours, parfois plus loin, au Kenya ou en Tanzanie, le temps d’un safari. Nous y passions des moments d’autant plus merveilleux qu’il était à l’abri de son stress habituel, celui de diriger un atelier avec plusieurs collaborateurs. Il était détendu, totalement. Ceci dit, même très occupé, il parvenait toujours à trouver du temps pour les femmes, surtout les brunes. C’était un homme très élégant, toujours bien habillé et, en dehors des heures de travail, il possédait une prestance et un charme qui plaisaient. S’il donnait l’impression d’une certaine aisance financière, il savait aussi se montrer généreux. Cela participait à son attrait. Je me souviens d’une Marie Claire qu’il avait invitée lors d’une de nos vacances au Maroc où nous avions séjourné à La Réserve à Casablanca. Nous avions tous trois pris le car, le temps d’une visite. C’est là qu’il a fumé son premier joint. Je l’avais supplié de me faire goûter, de m’en garder une bouffée. Il se montra intraitable, m’estimant trop jeune. Puis, il a eu aussi une relation d’assez longue durée avec une certaine Marlène qui travaillait quelque part à Genève dans l’horlogerie. Pour mon père, les années 1960 et 1970 furent la belle époque. Et malgré son plaisir à faire partie de ceux qui comptent en ville, il ne laissait jamais sa vie privée interférer sur son travail.

24 Mon père, Charles Zuber, avait beaucoup de centres d’intérêt, une passion pour les voyages, l’art, le bien-manger et les femmes. Toutefois, même si ses revenus lui permettaient d’accéder à ces plaisirs de la vie, sa passion première, primordiale, restait son travail».

Myriam et Rebecca Myriam Magdamena Torres est née à Porto Rico le 29 mai 1941. Ses parents sont très pauvres. A l’âge de 6 ans, Myriam participe déjà aux tâches ménagères telles que les courses. A travers les collines, de l’autre côté de la rivière, elle accompagne sa sœur à l’école à pied. En 1952, à la poursuite d’une vie meilleure, ses parents déménagent à Philadelphie aux Etats Unis où une tante habite déjà. Ils rejoignent le quartier portoricain. Myriam à 11 ans. A 15 ans, elle quitte l’école et trouve un emploi au sein d’un couvent local de religieuses. Sur les 37 dollars US gagnés par semaine, elle en réserve 15 pour aider son frère à payer ses études. Puis, elle gravit les échelons et trouve un travail mieux rémunéré de réceptionniste dans une entreprise privée. Elle gagne suffisamment pour mettre un peu d’argent de côté et s’offrir de temps à autre des vacances au Mexique. En juin 1969, en feuilletant un magazine, Myriam tombe sur une annonce de vacances au Club Med, en Guadeloupe. Elle convainc sa tante de l’accompagner. La date est fixée au mois Durantsuivant.la première semaine, elle remarque un homme plutôt élégant, sandales aux pieds, chemise à fleurs et pantalon blanc. Visiblement, il attend quelqu’un. Une jeune femme arrive, il l’enlace et disparaît avec elle. Soudain, la deuxième semaine, l’homme lui adresse un bonjour. Elle se retourne, elle le reconnaît. Il ne parle pas bien l’anglais, elle ne parle pas bien le français. Il s’appelle Charles, elle apprend que la jeune femme qui l’accompagne est sa fille, Micheline. Ils commencent à se voir, à se revoir, tous les jours. Leur idylle prend forme… Le temps des au revoir arrive, quitter la Guadeloupe, rentrer. Il note son téléphone et son adresse à Philadelphie, ils se disent au revoir.

25 Chapitre 6

«Charles me téléphonait quasiment tous les jours de Genève.

Vers la fin de l’année, il s’est envolé pour Philadelphie, m’a rendu visite, a rencontré mes parents. Son élégance tranchait dans le quartier, il était toujours bien habillé. Je travaillais la journée, il m’attendait le soir et le week-end pour m’amener en ville, m’acheter des vêtements, me faire partager de bons moments dans de bons restaurants. Puis il est reparti à Genève et m’a suggéré de l’y rejoindre. J’ai pris quelques jours de congé, il m’a envoyé mon billet d’avion et, à mon arrivée, m’a directement mis au doigt une bague de fiançailles. Les jours suivants furent un tourbillon de périples autour de la ville, de haltes gastronomiques dans des restaurants chics. J’ai adoré. De retour à Philadelphie, après quelques semaines passées à mettre en ordre mes affaires, j’ai fait mes valises et je suis revenue à Genève. Tout s’est enchaîné, nous nous sommes mariés le 25 mars 1970, lors d’une cérémonie civile en présence d’Eddy Renevey qui, je crois, travaillait chez Piaget, de son épouse Antoinette et de son associé Roger Baumgartner accompagné de son épouse Josiane. Dix mois plus tard, le 29 janvier 1971, notre fille Rebecca est née. Je ne connaissais rien aux bébés! Il a fallu que je me débrouille, avec un français peu efficient à l’époque. Charles était très occupé, il fallait faire tourner son affaire. Il rentrait entre midi et deux, brièvement, toujours pressé de retourner au travail après une brève sieste. Il ne se plaignait jamais de ce que je n’étais pas une bonne cuisinière au début. Je me sentais seule. Lorsque mes parents décidèrent de retourner à Porto Rico, Charles leur a généreusement acheté une maison et a pourvu, fidèlement, à leurs frais de subsistance. Puis la distance s’est creusée entre Charles et moi, les absences dues au travail, les rentrées de plus en plus tardives, les rumeurs, le désintérêt. Notre divorce a été prononcé en 1987, j’ai refait ma vie.»

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Rebecca Zuber Sirdey, deuxième et dernière fille de Charles Zuber: Quel âge a t elle exactement? Elle ne s’en souvient pas. Elle se souvient juste d’une scène, quand elle était petite, de son père lui lavant les cheveux, dans le bain. «Dès l’âge de 8 ans, j’avais pris conscience qu’il n’était pas très présent la journée car il était très pris par son atelier. Il partait au travail à 07h30, rentrait toujours à la maison pour le déjeuner et, après une courte sieste, repartait au travail. Ma maman, en revanche, se levait le matin, préparait mon petit déjeuner puis m’emmenait à l’école. Papa m’emmenait faire du patin à glace à la patinoire de Genève et, les week ends d’hiver, m’emmenait skier. Il n’était pas très sportif, mais il était fort et musclé. Souvent, en été, nous allions à la Réserve à Bellevue, juste à la sortie de Genève, où nous passions des heures autour de la piscine. C’est à l’âge de mon adolescence que mes parents ont divorcé. Il m’emmenait alors le samedi à son atelier qu’il nettoyait et préparait pour le lundi matin. Le dimanche, on le passait quasiment toujours à regarder la télévision à la maison. Chaque printemps, il allait à la Foire de Bâle, au salon de l’horlogerie et de la bijouterie. Il revenait avec des pierres précieuses qu’il déballait devant moi, tout en me racontant. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser aux bijoux, à l’orfèvrerie, et surtout aux diamants. Mon père gagnait suffisamment et il aidait toujours la famille. Ainsi a t il payé le loyer de sa mère jusqu’à sa mort. Il donnait souvent de l’argent à ma sœur Micheline et à moi même. Il changeait aussi tous les deux ans sa Jaguar bien-aimée. A l’âge de 17 ans, été 1987, il m’a emmenée en vacances en République dominicaine. De retour à Genève, je suis allée à Paris chez ma sœur qui s’était arrangée pour que je puisse travailler dans l’un de ses magasins de vêtements. A mon retour, Fatima, la nouvelle compagne de mon père, avait emménagé dans notre appartement. J’étais à l’Université, j’avais des tonnes de devoirs, un besoin d’indépendance. Finalement, après l’Université, en attendant de savoir ce que je voulais faire, j’ai trouvé un job dans un magasin de vêtements et j’ai emménagé dans un petit appartement.

Malgré l’autonomie financière que m’autorisait mon modeste salaire, c’est papa qui payait mon loyer même si, officiellement, il n’avouait à la maison n’en régler que la moitié. Les pierres m’intéressaient, les bijoux aussi. Papa a accepté que je suive un cours du GIA (Gemological Institute of America), à Vincenza en Italie. Revenue à Genève, j’ai travaillé pour quelques acteurs des ventes aux enchères. Puis, j’ai rencontré David Gol, un marchand de pierres précieuses qui avait fourni mon père pendant des années. Il a envoyé mon CV au GIA à Los Angeles où j’ai été acceptée. C’est là que j’ai a appris à classer les diamants. Puis je me suis retrouvée à Santa Monica pour étudier le design de bijoux. J’ai finalement été transférée à New EnYork.2003, de retour à Genève, j’ai ouvert une boutique dans la vieille ville et j’ai épousé quelques années plus tard Pierre Sirdey. C’est à mon mariage que mon père a revu ma mère pour la première fois depuis leur divorce. La dernière aussi…»

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précieuses

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29 Chapitre 7

Fatima Consuelo Mendez Baldeon, nait le 14.10.1961 en Équateur à Guayaquil. Après avoir enseigné deux ans dans une école primaire, elle devient en février 1986 professeur d’enseignement secondaire au terme d’études à la Faculté d’Histoire et Géographie. «Ma sœur qui habitait en Suisse, était mariée et avait des enfants. Elle m’avait alors proposé de venir à Genève afin de continuer d’autres études. J’ai voyagé le 23 mars 1986. Un mois après environ, elle organisait une fête à laquelle Charles et sa femme Myriam furent invités. Personne ne se doutait qu’entre eux, tout n’allait pas pour le mieux. Alors que je m’occupais de choisir la musique durant la soirée, je remarquai que Charles m’observait de temps en temps. Je ne parlais pas un mot de français, nous avions juste échangé quelques regards.

» * * *

Fatima Zuber Juin 1986, Charles Zuber et sa femme Myriam sont invités dans leur quartier chez une amie équatorienne. Bonne humeur, vin qui coule à flots, paella et musique. L’ambiance sud américaine typique. Un esprit cosmopolite. Dans un coin, un peu en retrait, Fatima, la jeune sœur de leur hôte. Charles est pensif, il l’observe. Personne ne le sait, Myriam et lui sont alors en procédure de divorce.

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Presqu’une année après, au printemps 1987, la sœur de Fatima reçoit au téléphone une demande un peu spéciale: «Charles l’invite dîner au «Relais de Champel», il souhaite que je sois là. Il explique que son divorce a été prononcé, il lui demande l’autorisation de sortir avec moi. Je lui plais, notre idylle commence. Chaque vendredi, chaque samedi, nous prenons l’habitude de nous rendre au «Relais de Champel», son restaurant préféré. Là, il a ses habitudes, de nombreux amis, là il aime passer son peu de temps libre. Il y a un jukebox, il me laisse choisir nos chansons préférées, «I just called to say I love you» et Stevie Wonder et «What a wonderful world» de Louis Armstrong. Je veillerai d’ailleurs à ce que ces deux chansons soient jouées lors de de son enterrement. Avant les vacances de l’été 1988, Charles m’invite à vivre avec lui, dans l’appartement qu’il habite avec sa fille Rebecca. Elle a 17 ans et demi, je commence à étudier le français, trois ans durant, à l’Académie de Langues et de Commerce. Notre fils Charles-Olivier nait le 13 mars 1992. * En mai 1993, Charles organise à Krienz la fête d’anniversaire des 96 ans de sa maman. Le 27 juin de la même année, un mois seulement après, Hedy Zuber, décède. Dans son testament, sa chère maman lui lègue CHF 5'000.00. Ce sont les économies qu’elle a faites à partir de l’argent que Charles lui envoyait chaque mois.

» * *

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31 «Mon homme aime voyager. Hélas, il doit y renoncer en raison de ma situation irrégulière en Suisse. Finalement, nous nous marions le 16 décembre 1994. C’est notre fils qui, en smoking de velours vert, chemise blanche et nœud papillon, nous apporte les alliances. Elles ont été, comme celles du mariage de sa fille Rebecca, conçues et réalisées par Charles lui même. Consciente que mon époux se doit de consacrer beaucoup de temps à son travail, qu’il risque de ne pas voir notre fils grandir, je lui impose de l’emmener au parc tous les dimanches matin. Je les revois partir, main dans la main, avec un petit sac contenant biberon, Petit Suisse et… Pampers! Je revois aussi Charles baignant notre fils, chaque fois que je le lui demandais. Mon mari est habité par son travail. Il ramène parfois à la maison les sublimes créations qu’il réalise, des parures ornées d’émeraudes et de diamants. Il me demande de les essayer, il veut s’assurer qu’elles tombent bien à plat sur le cou. Il me fait aussi essayer des bracelets sertis de saphirs et de rubis. Il arrive aussi qu’il nous fasse découvrir, à son fils et à moi, les pièces uniques en partance pour la Foire de Bâle. Il enfile alors ses gants blancs, il nous les commentent. Il nous en détaille par le menu la mécanique et le fonctionnement. Nous ne comprenons pas tout. Je m’en veux aujourd’hui de ne pas avoir accordé toute l’attention que ses explications méritaient. Car aujourd’hui, j’en ai conscience, je pourrais prendre une part plus engagée dans la transmission et la mise en lumière de son art, de son talent. Combien de fois ne l’ai-je pas trouvé assis au salon, vers 2h ou 3h du matin, l’esprit torturé par la résolution d’un problème de création ou de mécanisme? Il s’emparait alors d’un crayon, d’un papier qu’il couvrait de dessins et de calculs. Puis il revenait se coucher pour, au matin, se précipiter à l’atelier plus tôt que d’habitude, avec sur le visage, une expression de victoire.

Charles est une personne très réservée, il exprime peu ses sentiments. Il s’anime toutefois lorsqu’il s’agit de ses créations.

Alors il parle d’Espace et d’Histoire, surtout il raconte ses

fabriquées

32 créations avec enthousiasme et passion. Ses employés l’apprécient énormément. C’est un patron juste, respectueux, humain, compétent. Il laisse le droit à ses collaborateurs de créer leurs propres bijoux pour eux-mêmes et leur famille. Seule la matière doit alors alors payée.

Tous les ans, chaque 12 décembre, il célèbre dans atelier le jour de l’Escalade, une fête propre à Genève. Il achète des canapés, du champagne rosé de Laurent Perrier et cette fameuse grande marmite en chocolat symbole de cette tradition. Lorsque notre fils a trois ans, nous y allons aussi. A chaque anniversaire, chaque Noël, Charles couvre ses filles, et moi aussi, d’attentions de ses mains: petits bijoux, bagues, pendentifs, boucles d’oreilles… Dieu, que nous avons été gâtées!»

33 Chapitre 8

Charles Olivier * * * Charles a 60 ans à la naissance de son troisième enfant, Charles Olivier. Il aligne de sacrées journées de travail de 10 à 12 heures, il ne profite de son fils qu’à l’heure des repas ou durant les vacances. «Ce n'est qu'à l'âge de 15 ans que j'ai vraiment fait la connaissance de mon père», confesse Charles Olivier. «Il était toujours bien habillé, il était classe. Un jour, il a ramené à la maison un bijou fabuleux qu'il avait fabriqué. Il me l’a montré dans ma chambre à moi et à mes amis, nous indiquant qu’il valait un million de francs. Jusque là, mes amis n’avaient aucune idée de ce qu’il faisait dans la vie. Je dois admettre que j’étais très fier de lui». Les moments privilégiés où père et fils partagent plus intensément, c’est lorsqu’ils sont en vacances ou lorsqu’il emmène Charles Olivier au Relais de Champel pour jouer au billard. «Son travail était sa passion» réalise le cadet.

Charles-Olivier n’a pas tort. Lorsque Charles Zuber vend son entreprise, il devient morose. L’arrêt du travail est la pire chose qui pouvait lui arriver, lui qui a toujours été si actif. Lui qui a toujours travaillé avec ses mains et, lorsqu’il s’agissait de résoudre un problème technique, se servait de sa réflexion. Il vit mal la situation. Il s’ennuie, devient l’ombre de lui-même. «Je le savais aimer l’art et la peinture, alors avec mon argent de poche, je lui ai acheté des pinceaux et des tubes de couleurs. Bien qu’il n’ait plus touché un pinceau depuis des années, il a passé de nombreuses heures à peindre. Il semblait oublier ses problèmes». Son fils se souvient: «Mon fils, trouve toi une passion dans la vie», lui répète-t-il. En six mois, il se transforme en vieil

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Le 25 septembre, il part entame une chimiothérapie. Il troque la douzaine de cafés ingurgitée quotidiennement par du thé.

34 homme. Sa maladie s’aggrave, il passe d’une personne totalement indépendante à un être qui ne peut se passer de l’aide des autres.

Les problèmes de santé de Charles Zuber débutent peu après la vente de son entreprise en juillet 2010. Il dort mal, ses rentrées diminuent. Il commence à avoir des problèmes de déglutition et d’acidité. Malgré les cachets, la douleur persiste. Le gastroentérologue consulté le 26 août, pose son terrible diagnostic. Cancer de l’œsophage. On lui intime l’ordre d’arrêter de fumer.

Charles est soigné à la maison, ma maman s’en occupe à domicile, parfois aidé par du personnel soignant. Il a de la difficulté à se nourrir.«En larmes, il m’a dit ‘je ne veux pas mourir, je veux vivre’» se rappelle Charles Olivier.

Il perd ses cheveux, ne parvient plus à marcher sans l’aide d’un déambulateur, se fatigue très vite. Finalement, il opte pour le fauteuil roulant. En décembre, une violente sciatique le fait hurler de douleur. Il ne peut plus dormir dans son lit. Depuis le grand canapé suédois qui a été acheté, il part en clinique pour d’autres traitements en février 2011. Lorsqu’il quitte les lieux le 26 mars 2012 pour rentrer à la maison, il faut appeler une ambulance tant il a de la peine à respirer. Il est transporté d’urgence dans une autre clinique, à Meyrin.

Charles Zuber, l’histoire d’une vie On est loin d’une vie classique de contes de fée faite de haillons qui se transforment par magie en paillettes. Certes, issu d’un milieu modeste, pauvre, Charles Zuber accède toutefois à la richesse grâce à son travail, grâce au succès qu’il connaît dans son métier. C’est la colonne vertébrale de sa motivation existentielle, c’est son stimulus, son plaisir de vie. Déjà au cours de ses études, lorsqu’il était apprenti chez le joaillier de Lucerne, il usait de ses talents d’improvisateur. Puis il n’hésitait pas à déménager en 1952, troquant les un peu plus de 7'000 habitants de Kriens contre la dimension cosmopolite d’une population genevoise composée d’environ 140'000 âmes. Troquant son prénom Karl pour Charles, s’installant dans un environnement pétri d’élégance et de sophistication. Puis, nourrir une saine ambition, comprendre qu’il y a quelque chose au delà des longues heures passées assis à son établi à œuvrer pour les intérêts d’autrui, réaliser que ce n’est pas tout de travailler très dur lorsqu’en fin de mois, il est toujours aussi difficile de joindre les deux bouts. Oser alors l’indépendance en 1962, dix ans après son arrivée dans la Cité du bout du lac, avec la complicité de son collègue de travail Roger Baumgartner.

La toute première grande marque à avoir commandé des travaux à l'atelier de confection «Ch. Zuber & R. Baumgartner» fut Piaget. Satisfaite de l'excellente qualité des pièces livrées et du respect des délais, un point déterminant essentiel, la maison Piaget a multiplié les commandes. Inévitablement, à mesure que le bouche à oreille se répandait au sujet de ce nouveau venu

Créer son entreprise, instaurer la précision et la perfection issues de ses mains, de son travail, comme sa signature personnelle, comme une norme. S’engager à ce que chaque bijou qui quitte l’atelier soit impeccable.

35 Chapitre 9

36 dans l'industrie, d'autres enseignes ont fait appel à ses services.

Il a fallu engager du personnel pour faire face à la demande croissante et l’entreprise est devenue, en relativement peu de temps, un sous-traitant majeur pour de nombreuses signatures de renom. Et tandis que la réputation de Charles Zuber se construit, de plus en plus de commandes de pièces uniques et d’œuvres parfois ultra complexes sur le plan artistique affluent. Dans ce registre, il se fait un nom dans tout le secteur. Un nom unique basé sur un talent incroyable, celui de maîtriser le perfectionnement de l’explication incomplète reçue, de trouver des solutions géniales, parfois peu orthodoxes, pour résoudre des problèmes techniques dépassant largement le cadre du joaillier orfèvre. C’est son génie, il a ce talent de l’improvisation, à l’image de ces musiciens de jazz qu’il aime passionnément et qu’il ne se lasse jamais d’écouter. Il peut passer dix à douze heures quotidiennement dans son atelier, et quelques heures de plus encore pour créer et réaliser des bijoux et des montres pour des marques telles que Piaget, Van Cleef & Arpels, Delaneau, Chopard, Cartier, Parmigiani, Mouawad, Audemars Piguet, Baume & Mercier et de Grisogono… Il conçoit littéralement des dizaines et des dizaines de bagues pour diverses sociétés. Chacune d'entre elles est différente mais a le don de contenir un petit quelque chose de caractéristique. Et lorsqu'il rencontre le CEO d’une marque qui lui fait part de vœux spéciaux, il revient rarement à l'atelier pour faire une estimation des coûts du travail, du temps ou du matériel nécessaire. Il a cette faculté exceptionnelle d’écoute active, ce silence religieusement concentré sur la visualisation mentale de la pièce finie et surtout, de l’avancement de sa réalisation, quel qu’en soit le stade. Il est alors capable de l’améliorer sans cesse, d’en traquer la moindre imperfection de parcours, puis, de manière totalement surprenante, de communiquer une estimation des coûts. Ses estimations, comme son travail, ont un caractère instinctif et génial.

Grâce à l'excellente équipe de son entreprise, il pouvait préférer la réalisation des pièces qui l’inspiraient le plus, souvent les pièces uniques, glamour, les objets d'art, aux travaux plus conventionnels qu’il confiait à ses collaborateurs. Fumeur invétéré, Charles avait l'habitude d'allumer une deuxième cigarette alors qu'il en avait encore une accrochée au coin de la bouche. Lorsqu’il travaillait dans son bureau, sans fenêtre, c'était aussi grave qu'une journée de smog à Londres dans les années 70 ou au milieu des années 1900, alors que le charbon noircissait le ciel. Au cœur même de son atelier, lorsqu’il travaillait ainsi et fumait en même temps, il avait la capacité de se concentrer totalement sur son travail au point d’être inconscient de tout le reste. Inconscient évidemment de ces nombreuses cigarettes qu'il laissait se consumer tout autour de l'atelier alors qu'il passait d'une section à l'autre. Tellement inconscient qu'une fois, alors qu'il travaillait sur le tour, tiré à quatre épingles comme toujours et habillé en costume cravate, sa cravate s'était prise dans la machine et avait commencé à s'enrouler autour de l'axe en rotation. Si un membre de son personnel ne s’en était pas aperçu et ne s’était pas précipité, il aurait pu être étranglé. Une autre fois, il avait mélangé dans la bouilloire de l’atelier un produit nettoyant utilisé pour les toilettes. Il avait alors fait chauffer l’eau afin de nettoyer une des machines et de faire en sorte qu’elle soit prête à l’usage pour le jour suivant. Le lendemain matin, quelqu'un utilisait la bouilloire pour se faire du café. Quelqu’un qui manqua de s’étouffer dès la première Ungorgée.eautre fois, il avait dû faire face à un sacré problème, la perte d’un diamant de grande valeur, une pierre qui avait échappé à sa vigilance. Et même s’il avait fait en sorte que tout l’atelier se mobilise à sa recherche, le caillou était resté introuvable. Le lendemain matin, en faisant son entrée dans les ateliers, il annonçait à tout le monde qu’il l’avait retrouvée… dans son caleçon.

37 Charles Zuber disposait d’un statut de star dans l'industrie.

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Dans les années 1970, les affaires «Ch. Zuber & R. Baumgartner» étaient devenues florissantes au point qu’une fois dehors de son atelier, Charles pouvait s’adonner aux privilèges que seule la richesse procure. Il savait savourer ce luxe lui qui, depuis son arrivée à Genève, s’était toujours montré d’une élégance impeccable, à la ville comme à l’atelier. Ainsi pouvait-il désormais fréquenter de grandes tables, changer sa Jaguar tous les deux ans, partir en vacances dans des endroits lointains, vers des destinations de rêve, vivre la vie d’un séducteur aisé, qu’il ait été ou non en couple. Avoir de l’argent? Certes, mais surtout se faire plaisir à le dépenser. S’il parlait ici ou là d’acheter une propriété, il ne le fit jamais. Une fois, il avait tenté d’acquérir l’appartement qu’il louait dans le quartier de Champel, à Genève. Le propriétaire s’y était opposé, il n’avait pas envie de vendre. Alors Charles Zuber abandonna l'idée de posséder sa propre maison et vécu dans cet appartement loué pour le reste de sa vie. Comme beaucoup, il s’essaya aux investissements financiers, à l’achat d’actions. Mais, peu enclin à rechercher les conseils avisés ou l’expertise de professionnels, peut être par pudeur ou fausse modestie, il y laissa des plumes et perdit une grosse somme d’argent. Il n’empêche que Charles Zuber était d’une grande générosité, et ce ne sont en tous cas pas ses amies femmes qui le démentiraient. Côté vie privée, il a bâti et entretenu une vie très confortable pour ses deux filles, son fils, ses trois épouses et luimême. Il envoyait régulièrement de l'argent à sa mère afin qu’elle puisse, durant des années, faire face au paiement de son loyer. Il fit des voyages réguliers, chaque année, pour célébrer à Kriens les anniversaires, pour devenir le parrain de nombreux enfants du voisinage, pour jouer à Lucerne les Père Noël. Sa famille le surnommait Goldfingers. Reste qu’avec les femmes

39 qui partagèrent sa vie, il se montra d’une extrême discrétion. Il leur cachait tout ce qui était financier, même s’il leur donnait de quoi subvenir à leurs dépenses quotidiennes et à leurs envies de s’acheter ce qu’elles voulaient. Mais elles ne savaient rien pour autant de ses finances, ni de son compte bancaire, ni de ses revenus ou dépenses. Ce côté ci de sa vie lui appartenait à lui et à lui seul. Il se montra extrêmement secret face à ses épouses qu’il considérait comme des mères ou des femmes au foyer. Fier, il ne leur parlait jamais de ce qui avait été avant elles, il se montrait peu disert sur son vécu et sur les raisons de divorces qu’il considérait malgré tout comme des échecs personnels. Surtout, il ne mélangeait pas les choses et s’employait à entourer son affaire, sa seule réelle motivation, d’un maximum de secret. Impossible pour ses proches, en particulier pour ses épouses, d’être au courant. Car moins son entourage en savait sur sa vie et ses amours, moins il s’exposait au risque de répercussions ou de confrontations inutiles. * * * En 1985, l'entreprise, comme tant d’autres dans l’industrie, traverse une période difficile. Roger «Boum Boum» Baumgartner, le partenaire historique de Charles, s’était mis à boire. Boire toujours plus, au fil des jours, des semaines, boire au point d’arriver souvent totalement ivre le soir au bureau et de s’y endormir jusqu’au matin. C’était lui qui avait la responsabilité comptable de l’entreprise. C’était ainsi depuis le début et Charles n’avait aucune raison de ne pas lui faire confiance. Sauf que soudain, il lui semblait que les revenus financiers ne correspondaient plus aux travaux livrés. Plus artiste qu’homme d’affaires, totalement concentré sur l’exercice de son métier, Charles Zuber entreprit cependant de jeter un œil à la comptabilité. Il avait l’impression que la somme des dépenses de la société ne collait plus avec les entrées. Il fit alors appel à sa fille Micheline qui vint depuis Paris pour l’assister. Ils investiguèrent alors ensemble dans un système comptable qui, non content d’être parfois truffé de bizarreries, présentait

40 quelques irrégularités et quelques déséquilibres. Clairement, l’argent était détourné. En temps normal, Charles Zuber aurait certainement botté en touche, ignoré le problème de fond et préféré faire l’autruche. Il aurait fermé les yeux, se serait surtout concentré sur son travail, son unique raison d’être en fait, sur les commandes à livrer. Reste que que la coïncidence entre l’argent manquant et le récent achat par son partenaire d’un appartement à Vésenaz, une commune aisée à la sortie de Genève, s’avérait trop flagrante. Charles, comme à son habitude, était trop fier pour admettre que les choses n’allaient pas. Affronter une affaire de fraude avec celui qui fut son partenaire des débuts, il n’en avait pas le cœur. Alors, pour garder la tête haute et pour échapper à l’inévitable confrontation, il opta pour une résolution discrète de l’affaire. Roger «Boum Boum» Baumgartner dut vendre ses parts dans l’entreprise, ce qui lui permit d’empocher encore un montant extrêmement généreux. L’entité a immédiatement changé de nom pour devenir l’entreprise Charles-J. Zuber. Il en confia une part à sa secrétaire Anne Marie et sur le plan de la communication, il fit circuler la version officielle que son partenaire se retirait pour raisons de santé. Hélas, la crise financière dans le secteur se poursuivait, contraignant Charles Zuber à prendre des décisions draconiennes. Il lui fallait soit réduire le nombre de ses employés, soit trouver les moyens d'attendre la fin de la crise. C’est cette deuxième option qu’il tenta, allant jusqu’à mettre la main à la poche pour honorer le paiement des salaires. Ainsi puisa t il dans ses économies à hauteur de plus de CHF 200'000.00. Finalement, il dut se résoudre à réduire la masse salariale ce qui permit aux ateliers de survivre à la crise et d’accueillir le siècle nouveau avec optimisme.

Parvenu dans sa soixante-quinzième année, il se mit donc à chercher un compromis acceptable, une solution qui assurerait la pérennité de ses ateliers tout en lui permettant de continuer à travailler, mais avec moins d'heures. Finalement, quelle que fut l’option explorée, tout l’amenait au scénario de la vente. Or, il savait que s’il se vendait à l’une des nombreuses entreprises ou marques avec lesquelles il collaborait, il deviendrait inévitable que son nom et sa réputation soient engloutis dans la nouvelle infrastructure et disparaissent. Or Charles était fier de ce qu'il avait accompli. «Il était fier de son entreprise», affirme Jean-Pierre Husistein, son ami de toujours. «C'était un homme exceptionnel avec un immense talent, c'était un professionnel hors pair. Il était généreux à l'intérieur et à l'extérieur de son environnement de travail, mais il n'était pas un homme d'affaires.» Charles s’est finalement mis en tête d’identifier dans le même milieu une petite structure, si possible une entité indépendante, dans l'espoir que celle-ci continuerait à marcher dans ses traces et à lui permettre d’y jouer encore un rôle actif. Il a finalement trouvé deux indépendants, André Perrin et Enrique Garcia, qui étaient prêts à reprendre son entreprise et à le garder comme Chef d'Atelier. «J'ai tout essayé pour décourager cette vente, mais je n’ai pas réussi», souligne JeanPierre Husistein. Charles avait pris sa décision, il leur avait donné sa confiance. Au point qu’en décembre 2007, il signa un contrat élaboré par l’avocat de Perrin et Garcia sans même

L’improbable association Après pratiquement 60 ans de labeur, Charles Zuber se mit en tête qu’il lui serait possible de lever le pied, de ralentir. Certes, pas question pour lui d’envisager arrêter le travail à l’établi, la conception, la création, la réalisation et l’innovation. Son entreprise était son travail et son travail, c’était toute sa vie. Autant il lui était impossible d’imaginer une fermeture de son entreprise pour raison d’âge, autant il ne se voyait en aucune façon s’arrêter de travailler.

41 Chapitre 10

* * * S’il connaissait du monde, s’il avait beaucoup de relations tant dans son travail qu’au travers de son cercle du Relais de Champel, alias son QG quotidien et le lieu de prédilection autant de ses cafés matinaux que de ses apéritifs de fin de journée, Charles Zuber avait un seul véritable ami, Jean-Pierre Husistein.

42 requérir un propre conseil juridique. Il a signé les documents qu’on lui présentait, tout simplement. Au début, tout allait bien et il continuait à travailler au cœur de l’atelier. Mais peu à peu, les nouveaux propriétaires se sont affirmés et ont imposé leur politique de gouvernance de l’entreprise, également sur le plan des travaux vers lesquels ils voulaient se diriger. Au final, Charles fut progressivement mis sur la touche, au sein même de l’entreprise qu’il avait créée. Il vécu cela comme une ultime humiliation: se voir empêché de faire ce qu’il aimait, sa passion, ce à quoi il avait consacré sa vie… Inévitablement, les choses devinrent intenables. La relation entre les trois hommes s’était à ce point dégradée qu’il ne perçut plus aucun salaire en 2010 et qu’il fut purement et simplement licencié de l’entreprise qu’il avait créée et qui portait son nom. Blessé par l’issue désastreuse de cette improbable association, trop fier néanmoins pour admettre l’échec de sa société, il dissimula la réalité à sa famille. Chaque matin, il se levait et quittait la maison à l’heure habituelle, puis, comme si de rien n’était, revenait le soir pour ruminer devant la télévision. Deux ans après, l’entreprise décidait de changer de nom pour devenir officiellement La Manufacture Artisanale. Ainsi disparut l’entreprise Zuber. Déception profonde pour Charles, rongé par son incapacité à sauver ce qui lui avait donné tant de fierté et de joie. Culpabilisé aussi d’avoir si longtemps entretenu pareil mensonge vis à vis de sa famille. Tous avaient vécu sur ses économies… Sans son travail, la vie de Charles Zuber perdait tout son sens. L’homme, devenu morose, sombrait dans la mélancolie…

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Son amitié avec ce diamantaire négociant en pierres précieuses

commença lorsqu'ils se rencontrèrent via leur univers professionnel. C’était en 1965, Jean Pierre Husistein débarquait pour la première fois à Genève. Quarante-sept, c’est le temps que dura leur amitié. «Charles était un homme ultra sensible avare en démonstration de ses sentiments», explique Jean Pierre Husistein. «S’il a eu des débuts modestes dans son travail, il a ensuite connu le succès qui devint son moteur. Surtout, il prenait plaisir dans ce qu’il accomplissait et savait transmettre la flamme de sa passion à ceux qui travaillaient avec lui, surtout les plus jeunes. Il savait se montrer généreux avec ses employés, les embarquant souvent tous pour un repas hors atelier, dans un bon restaurant, ou pour un week end de ski tous frais payés. C’était un patron parfait» se souvient l’ami fidèle. «Nous parlions pendant des heures chaque fois que nous nous rencontrions pour boire un verre ou dîner… Je dois admettre que nos rencontres avaient souvent des allures de confessionnal.» Il n’en dira pas plus, il s’en excuse. Il ne pourra jamais entrer dans le détail de leurs conversations, car elles étaient privées et trop personnelles pour qu’il en divulgue ne serait ce que partiellement le contenu. «Je le lui avais promis, jamais je ne révélerais ce dont nous parlions. J’étais la seule personne à qui il se confiait» conclut celui que Charles Zuber considérait certainement comme son seul véritable ami.

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45 Chapitre 11

La fin d’une époque Affirmer que Charles Zuber ait eu le cœur brisé par la perte de ce qui était sans conteste l’amour de sa vie, c’est peu dire. Il devint littéralement l’ombre de lui même. Il pouvait alors rester des heures assis dans son fauteuil, à fumer, à boire tasse de café sur tasse de café, à écouter du jazz, à broyer du noir sur la disparition de sa société bien aimée. Les yeux dans le vide, il observait alors distraitement ces deux colombes qui avaient décidé de lui rendre visite et qui, sur sa terrasse, faisaient escale quotidiennement pour se nourrir de soleil et se faire belles.

Comme le souligna son fils Charles-Olivier, cet arrêt forcé de travail fut la pire chose qui pouvait lui arriver. Lentement, inexorablement, sa santé se détériora. Un cancer fut diagnostiqué, suivi d’une chimiothérapie. Informée de cette maladie, sa fille Micheline, accompagnée de son mari Guy, organisa une virée à Yvoire, un village français fortifié pittoresque, à fleur de Léman, à quelques kilomètres de la frontière. Ancrée dans son éducation rigoureuse, la culture du secret, fierté paternelle oblige, n’avait pas osé avouer la souffrance psychologique, la déchéance sociale ni même la peine physique. Jusqu’à cette confession, lancée soudain dans un trop plein de fatigue et de douleur: «J’ai un cancer, mais je vais y remédier, pour novembre.

»

Au fil des mois qui suivent, Charles Zuber, pleinement conscient de l’issue fatale qui l’attend, avoue en pleurs à ses proches. «Je ne veux pas mourir, je veux vivre». Lentement, implacable, la maladie l’emporte et lui fait faire des navettes entre son domicile et cette clinique qui finalement, pour lui épargner quelques souffrances physiques et morales, l’a placé sans grand succès dans un coma artificiel. Il perd la vision de l’œil droit, en raison d’une lésion au nerf optique. Et comme si cela ne suffit pas, il faut le traiter pour des escarres au bas du dos. Cette année-là, il passe paisiblement Noël et Nouvel An à la maison

Fatima se souvient: «Pour ses 80 ans, à la Clinique, j’avais demandé la permission d’utiliser une partie de la cafeteria. J’ai invité ses sœurs, son frère, ses plus anciens employés, ses trois amis-es les plus proches et d’autres membres de la famille. Il a pu souffler les bougies et nous lui avons chanté un joyeux anniversaire. Quelques jours plus tard, il était de retour à la maison. Le 13 mars, nous sommes allés au restaurant indien afin de fêter les 20 ans de notre fils CharlesOlivier. Il était heureux, ce fut la dernière fois qu’il put sortir en famille au restaurant.» Le 26 mars 2012, à 19h00, Charles commence à avoir de la difficulté à respirer. Sa femme appelle immédiatement l’ambulance, il est admis aux soins intensifs, à la Clinique La Lignière à Meyrin, une commune de la rive droite attenante à Genève. On le place en coma artificiel. Micheline et sa fille Emmanuelle ont été averties. Elles viennent de Paris, elles sont aussi à ses côtés à sa sortie du coma. Gebi, son frère, a été informé. Il fait le déplacement depuis Kriens, pour lui dire adieu. Le lendemain, le médecin informe les proches sur place que ses organes vitaux ne fonctionnent plus et qu’il est condamné. A 22h00 le 4 avril 2012, Charles Zuber Ledécède.11avril 2012, au cours d’une cérémonie au Cimetière de Saint Georges à Genève, Charles est incinéré. Seule sa famille est présente. Il n’y ni amis, ni connaissances, ni collègues ou représentants de ces dizaines d’entreprises et de marques à qui il a offert une partie de sa vie si productive. Un unique bouquet de fleurs, en provenance d’un admirateur anonyme ou d’un ami

46 avec son fils et sa femme Fatima. Inévitablement, sa maladie ne cesse de le ramener en clinique pour y recevoir de nouveaux soins. Le 29 janvier, il est en fauteuil roulant, il fête son 80ème anniversaire en compagnie de Jean-Pierre Husistein, son fidèle Saami.femme

Le samedi 9 juin 2012, sa veuve Fatima et son fils CharlesOlivier, ses filles Micheline et Rebecca avec leurs familles, son frère Gebi, sa sœur Heidi ainsi que sa cousine Susi, ceux de ses camarades d’école avec lesquels il avait gardé le contact grâce à ses visites régulières à Kriens, assistent à une brève cérémonie: ses cendres sont dispersées dans les branchages de ce chêne où il avait passé tant d’heures dans son enfance. Un peu comme un fils qui retrouve les pas de sa jeunesse, face à l’immeuble qui le vit naître. Charles Zuber était à la maison… Etrangement, à Genève, les deux colombes que Charles avait eu le loisir d’observer sur sa terrasse durant toute sa maladie, disparurent à tout jamais.

47 désireux de rester dans l’ombre, tranche avec cette absence d’hommages de la part de tous ceux qui pourtant l’admiraient.

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Épilogue Charles Zuber était un homme très élégant, très secret. Un introverti, un bon vivant toutefois. Un homme qui se maria trois fois, divorça deux fois. Un être dont les vœux de mariage n’eurent que peu ou pas d'influence sur sa vie et sur ses nombreuses affaires. S’il savait se montrer généreux envers ses amis et ses relations, il conservait secrètes ses finances, obsessionnellement, même pour ses épouses. C’était un patron inspirant, moins doué pour les affaires que pour offrir sa confiance à ceux qui, au nombre de ses partenaires, en abusèrent. Au travail, il brûlait la vie par les deux bouts. Socialement, il se trouvait toujours sur son chemin quelque brune à séduire. Il aimait sa famille de Kriens, ses enfants et ses petits-enfants, tous l'aimaient en retour, tout comme ses femmes même s’il n’avait rien du mari idéal. Ses vrais amis étaient peu nombreux.

Nombre de femmes portent encore de magnifiques bagues et boucles d'oreilles serties de diamants ou de pierres précieuses, sans savoir qu’elles arborent un chef d'œuvre de Charles Zuber. Sa chanson préférée, c’était «It's a Wonderful Life» chantée par Louis Armstrong. Lui a eu une vie merveilleuse, il l'a vécue

C'était un homme avec tous ses défauts, ses échecs, ses enthousiasmes, ses fêlures, ses qualités, ses vertus, un homme de chair et de sang. Personne n'a jamais rien dit de malveillant à son sujet. Pour ceux qui travaillèrent avec Charles Zuber, jusqu’au dernier de ses clients, il était le professionnel accompli. Sa vie a été son œuvre et il l'a consacrée à ses clients, les marques prestigieuses de Pourrenom.lesuns c'était un génie, pour les autres une inspiration. Pour tous, un maître de la perfection. Il était une source inépuisable de créativité, il avait une passion insatiable pour trouver des solutions aux réalisations les plus improbables. Il avait l’imagination impatiente et l’énergie vigoureuse de l’enfant. A ce jour pourtant, seule une poignée de personnes externes à l’univers des montres et des bijoux connaît son nom.

50 pleinement. Mais il était mortel, lui qui ne voulait pas mourir.

Puis il est parti, à la même date que son père. A l’heure de son dernier voyage, il avait légué à des milliers d’inconnus, ici un joyau précieux, dont certains incomparables, là un chef d’œuvre d'art unique. C'est son héritage, c’était sa raison d'être.

Charles Zuber était une icône ignorée.

Remerciements particuliers à Micheline Clouet, la fille aînée de Charles, à Rebecca Zuber Sirdey, sa fille cadette, à Charles Olivier Zuber, son fils, pour les nombreuses heures qu’ils ont bien voulu consacrer à parler de leur père, en toute franchise, avec clairvoyance. Merci également à son frère Gebhart Zuber, alias Gebi, pour les récits sur sa jeunesse.

J’exprime ma reconnaissance à Myriam Torres-Mangold, sa deuxième épouse, ainsi qu’à Fatima Zuber (née Consuelo Mendez Baldeon), sa dernière épouse durant 23 ans, pour leur temps et pour leur acceptation à se confier à un parfait inconnu sur leurs relations personnelles complexes avec Charles.

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Remerciements

La rédaction de cette biographie aurait été impossible sans l'aide, l’engagement sincère et la collaboration sympathique de la famille, des connaissances, des anciens employés ou collaborateurs de Charles Zuber.

Je remercie enfin Philippe-Leopold Metzger, ancien président de Piaget, Alexandra Delez, joaillière, ex employée chez Chopard, Jacqueline Dimier, créatrice de bijoux et ancienne collaboratrice, Estelle Fallet, Conservatrice des collections d'horlogerie, d'émaillerie, de bijouterie et de miniatures au Musée d'Art et d'Histoire de Genève, Jean Pierre Husistein, bijoutier et ami proche de Charles, Philippe Belais, CEO de Claude Meylan. Que tous ceux que j’ai omis de mentionner et qui se reconnaitront, veuillent bien accepter mes excuses. Qu’ils soient eux aussi vivement remerciés.

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