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Père Matthieu la foi en réseaux

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ATD Quart Monde

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De façon inattendue, Matthieu Jasseron, dit «Père Matthieu», est devenu l’une des figures du catholicisme en France, via le réseau social TikTok, sur lequel il est suivi par plus d’un million de personnes. Par Lysiane Larbani

Les cloches sonnent midi. Comme chaque dimanche après l’office, des fidèles attendent le père Matthieu Jasseron sur le parvis de l’église Saint-Jean-Baptiste de Joigny.

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Rituel commun en sortie de messe : quelques échanges sur le sermon, les événements à venir au presbytère… une paroissienne lui tend un ouvrage et un stylo. Depuis la sortie en septembre de Croire ça ne sert à rien. Et pourtant ça change tout !, son essai paru chez

Flammarion, le curé se prête au jeu des autographes. « J’ai trouvé son sermon tellement moderne », se réjouit

Lydie, accompagnée de ses deux petitsenfants. « Il a un langage d’aujourd’hui qui se met à la portée de tous. On aimerait qu’il y en ait plus comme lui. »

Ils ne sont pas les seuls à s’intéresser au père Jasseron : cela fait un an que des journalistes poussent la porte de l’église pour rencontrer le prêtre de 37 ans aux yeux clairs et au sourire franc. Pudique et discret, lui qui a toujours refusé leurs sollicitations, accepte cette fois de raconter son parcours, accompagné de Prune, femelle bouledogue née sourde, adorable gardienne du presbytère. « Je ne voudrais pas la jouer prêtre starlette », commente l’intéressé une fois dans son bureau. « Bien sûr que ça fait plaisir et que c’est grisant, mais je ne voudrais pas flatter mon égo mal placé. » C’est peu de dire que le père Matthieu est connu au-delà de ses quinze clochers du diocèse de Sens et Auxerre. C’est une star sur le « continent numérique », comme l’appelait le pape Benoît XVI, particulièrement sur le réseau social TikTok, extrêmement populaire chez les jeunes. Sur cette plateforme où les vidéos défilent à l’infini, un million de personnes le suit. Un succès improbable, car le prêtre n’est pas du genre à enchaîner les défis futiles dont les utilisateurs sont friands. Dans de courtes pastilles vidéo, il présente les saints, décrypte les homélies, la Bible, et analyse sous le prisme de la théologie les questions qui agitent la société : l’homosexualité, l’avortement, le suicide…

Répondre à la soif de sens

« J’essaye simplement de répondre aux questions que l’on se pose, existentielles comme métaphysiques, tempère-t-il. Je vois bien que les gens ont une soif de sens : pourquoi se lever le matin ? Qu’est-ce qu’on fait ici ? Ils attendent aussi de la nuance, le monde n’est pas binaire. » Longtemps, la question du sens de la vie l’a hanté, lui aussi. Rembobinons.

Père Matthieu Jasseron

avec Capucine Delattre Croire ça ne sert à rien. Et pourtant ça change tout ! (Flammarion, 2022) Le jeune Matthieu Jasseron grandit dans une famille chrétienne non pratiquante. Des études en école de commerce le dirigent vers une carrière dans la gestion de patrimoine. Mais, très rapidement, l’air du quartier d’affaires de Boulogne-Billancourt devient irrespirable : « Je pensais que l’argent me ferait atteindre le bonheur, se souvient-il. Dans ce milieu, j’ai travaillé avec des gens riches, mais superficiels et tristes. Ils avaient tout en matériel, rien dans le cœur. » Et, chaque nuit, cette même question l’habite aux portes du sommeil : « Qu’est-ce qu’on fout là ? »

Un succès surprenant

Sa recherche de sens le conduit en Bourgogne, où le futur curé s’investit comme bénévole au Café sourire du Secours catholique de l’Yonne : « J’ai rencontré des gens très abîmés et, pourtant, ils avaient les plus beaux sourires que j’ai jamais vus. Le bonheur se trouvait ici. » Au gré de son activité bénévole, Matthieu Jasseron rencontre le frère Marie-Benoît de la communauté Saint-Jean. Une révélation : « Il a donné de l’eau à mon moulin. J’ai trouvé des cœurs purs et une rationalité de l’existence. » Dix ans plus tard, en 2019, dont six de séminaire, le père Matthieu est ordonné prêtre, à 34 ans. « Si c’est grâce à un prêtre que j’ai pris conscience de l’existence de la vie, pourquoi ne pas devenir prêtre à mon tour et prendre le relais ? » Son succès sur TikTok était inattendu, l’intéressé en est le premier surpris. « Je n’ai jamais été sur aucun réseau social, mais j’ai toujours le souci de communiquer avec les moyens que les gens ont. La vidéo en fait partie, nous sommes une génération de l’image animée. » C’est en 2020 que l’abbé Jasseron se lance sur TikTok, « un outil simple à essayer ». Le succès est vite au rendez-vous, il plaît par son côté prêtre beau gosse et cool, s’amuse des lieux et des objets de l’Église, mais la foi reste toujours au centre de son contenu. Il a compris comment combiner avec modernité les codes des réseaux sociaux et son dévouement pour le catholicisme. Les utilisateurs sont conquis. Certaines de ses vidéos dépassent régulièrement le million de vues, comme, récemment, celle d’une prière commune avec le rabbin de la grande synagogue de la Victoire et le recteur de la grande mosquée de Paris. « Les vidéos qui fédèrent le plus sont toujours celles qui amènent à la bienveillance. C’est bien la preuve qu’il y a encore de l’espérance. » Une belle surprise dans un monde numérique d’apparence sans foi ni loi. Fin août, il poste une vidéo en compagnie de Benjamin, un jeune homme qui a provoqué la colère de croyants de tous bords pour s’être filmé effectuant une danse provocatrice dans une église. Une rencontre sur le pardon. « Il me semblait que, face à cette vague de haine, il était intéressant de montrer qu’on peut voir la lumière dans l’obscurité, mais aussi de lui tendre la main, détaille l’abbé Jasseron. Je l’ai fait pour contrer cette vague d’insultes à son endroit. Jésus lui aurait tendu une main, et je suis très heureux qu’il ait pris la mienne. » Mais Père Matthieu ne s’est pas fait que des amis en ligne. Des grincheux émettent de nombreuses critiques sur la forme légère de quelques vidéos. Et ses prises de paroles sur l’homosexualité ou l’avortement reçoivent aussi un accueil mitigé. Des internautes saluent sa tolérance, mais d’autres l’accusent de déformer les textes. En août2021, en réponse à la question d’un internaute « Est-ce qu’en étant gay nous sommes toujours chrétiens ? », il affirme qu’il « n’est marqué

© Bruno Levy

strictement nulle part, ni dans la Bible, ni dans le Catéchisme de l’Église que d’être homosexuel ou de pratiquer l’homosexualité est un péché. » Le père Matthieu Jasseron a aujourd’hui la charge de 80 bénévoles et 8 000 âmes. Plus 1 million d’autres en ligne. Pour l’aider, la quinzaine de volontaires qui l’accompagnent modèrent les commentaires sous ses vidéos, lisent ses courriers électroniques. Une vraie « petite fourmilière ». « Je reçois entre quinze et vingt mails par jour, explique-t-il. Mes bénévoles rédigent un brouillon de réponse aux mails et ils me préparent trois fois par semaine les intentions de prières. » Ses sollicitations en ligne sont variées : « La moitié concerne des questions assez triviales sur la foi, le permis/défendu. L’autre moitié est presque de l’ordre de la confession, les gens ressentent le besoin de raconter leur histoire. » Quand une personne semble en détresse, son équipe décroche le téléphone : « On les réoriente toujours vers de l’incarné : la paroisse près de chez eux, une association, un groupe de parole… » Une chose est sûre, l’« influence » du père Jasseron a suscité de l’intérêt jusque dans les plus hautes instances de l’Église. Le dicastère pour la communication de l’Église l’a récemment chargé de continuer son travail sur les réseaux et, début juillet, le Vatican lui a demandé de l’aide pour mobiliser les jeunes sur les réseaux sociaux dans le cadre du synode en cours. « L’Église, j’entends par là l’institution et la hiérarchie, est sensible à ces nouveaux enjeux sur les réseaux sociaux. Internet est un vrai lieu où on peut rencontrer des gens, les évêques sont très conscients de cela. L’Église prend du temps, patience est mère de vertu. Elle se méfie mais elle y va quand même, avec la confiance. Ça bouge beaucoup plus qu’on ne l’imagine. »•

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