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Le Cised, des bénévoles au service des étudiants
En Seine-Saint-Denis, des bénévoles accompagnent depuis vingt-deuxans les étudiants qui ont besoin d’aide pour avancer dans leurs études, et dans leur vie.
Par Sandrine Chesnel
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Un petit pavillon de banlieue banal, doublé d’une extension moderne ouverte sur le ciel, à deux minutes de la station de métro Saint-Denis-Université. Dans l’entrée baignée de soleil, deux grands canapés un peu fatigués et une table basse sur laquelle traînent trois tasses de café tout juste bues, une panière de croissants, un pot de confiture ouvert. « Bonjour, bienvenue ! Vous avez raté de peu l’accueil du matin ! » lance joyeusement le père Christian Mellon, l’hôte des lieux, à la journaliste en retard. Nous sommes au Cised, Centre d’initiatives et de services des étudiants de Saint-Denis.
Association loi 1901, le Cised a été fondé par des jésuites en 2000 pour soutenir dans leurs études les étudiants de l’université Paris 8. À l’époque, le constat avait été fait par des membres de la compagnie de Jésus que s’ils étaient bien présents, via les aumôneries, dans les grandes écoles comme HEC ou Sciences
Po, ils étaient absents des établissements moins favorisés. D’où le choix de s’implanter à proximité de l’université dionysienne, dans le département le plus pauvre et le plus jeune de France métropolitaine, au nord de Paris. Si, au départ, le lieu avait été pensé pour les jeunes originaires du département débarquant à l’université, ce sont finalement des étudiants étrangers qui constituent le gros des troupes, avec une moyenne d’âge qui flirte avec la trentaine. Au Cised, ces étudiants, le plus souvent en master ou en doctorat, trouvent de l’aide pour corriger ou relire leur mémoire ou leur thèse, rédiger un CV ou une lettre de motivation, se mettre à niveau en français ou en anglais.
Une aide multiforme L’association propose également des entretiens avec une psychologue, ou bien encore un accompagnement pour les démarches administratives, ainsi que des rencontres interculturelles et interreligieuses, des fêtes, des sorties : « Nous accueillons tous les étudiants, croyants ou pas, précise le père Mellon, qui fut aumônier à Sciences Po Paris. On a peu de catholiques parmi eux, mais ce n’est
pas un critère pour accéder à nos services. D’ailleurs, nous fêtons Noël mais aussi la fête kabyle et le Nouvel An chinois en février, le Nouvel An iranien en mars, et l’Aïd, et nous organisons aussi une fête de fin d’année, avant la fermeture estivale. » Tous les ans, la mairie de Saint-Denis offre également un trajet en car pour une visite en région parisienne : Fontainebleau, Giverny… Toutefois, la pandémie de Covid a entraîné une baisse d’activité de l’association, les étudiants, qui avaient beaucoup de cours à distance, ne venant plus sur le campus.
Des tandems au travail Hors période de pandémie, chaque année environ 300 jeunes passent le portail du petit pavillon de banlieue. Les cotisations qu’ils versent, entre 30 et 50 euros par an en fonction de leur niveau d’études, assurent 10 à 15 % des dépenses de l’association. Le reste est apporté par les jésuites, via la Fondation de Montcheuil – fondation jésuite pour l’éducation reconnue d’utilité publique–, la Communauté de vie chrétienne (CVX), la congrégation des religieuses auxiliatrices et le diocèse de Saint-Denis. Des représentants de ces institutions constituent le conseil d’administration, dont la présidence est assurée par un CVX, Alain Goy, statisticien à la retraite, et la direction par un jésuite, le père Christian Mellon, par ailleurs membre du Centre de recherche et d’action sociales (Ceras). L’association ne compte que deux salariés, Ikrame, arrivée au Cised comme étudiante, en charge de l’administratif et notamment des inscriptions, et Urbain, formateur en français langue étrangère. Les activités du Cised sont assurées par une cinquantaine de bénévoles, presque tous retraités, venant de tous les secteurs professionnels – anciens cadres, enseignants,etc. Ce mardi matin d’octobre, pendant que le père Mellon nous fait visiter les lieux, la maisonnée se réveille tranquillement. « Il est un peu tôt dans l’année, souligne-t-il, les étudiants sont encore en train de prendre leurs marques, on va les voir davantage arriver courant novembre, et l’activité va devenir plus intense entre avril et juin, à la période de remise des mémoires. » À l’étage, dans deux petites pièces toutes blanches donnant sur le jardin, il y a deux tandems bénévole/ jeune au travail. Deux étudiantes asiatiques, l’une originaire de Corée, l’autre de Taïwan. « Des relectures de thèse, souffle Christian. C’est une grande partie de notre activité, on ne compte plus le nombre de travaux étudiants à la fin desquels le Cised est remercié ! » Parmi les jeunes fréquentant l’association, il y a Stefan, jeune diplômé français d’origine serbe, titulaire d’un master recherche en histoire. Plongé dans l’écriture d’un récit très personnel inspiré de sa jeune vie, il cherchait une âme bienveillante pour le relire : « Toutes les offres étaient bien trop chères, autour de 800 euros pour un manuscrit, ici c’est seulement 30 euros pour toute l’année et il y a toujours quelqu’un pour m’aider sur la syntaxe, la grammaire, l’orthographe… »
Un lieu de convivialité « Oh, c’est l’heure, je monte ! » interrompt Christian Mellon. L’heure de la messe. Deux fois par semaine, à 13heures, dans une toute petite pièce sous les toits, les bénévoles et les jeunes qui le souhaitent peuvent se retrouver pour l’eucharistie. « Quand je suis arrivé, à l’été 2022, expliquera plus tard Stefan, je ne me suis pas senti dans un “esprit catholique”, mais
j’ai été tout de suite très bien accueilli. Ici je me sens comme à la maison. » GuyRégis, doctorant spécialiste de Goethe originaire de Côte d’Ivoire, loue lui aussi l’ambiance très familiale du Cised, où tout le monde se tutoie : « C’est ma directrice de thèse à Paris 8 qui m’a conseillé de venir pour une aide à la relecture. Le travail des bénévoles du Cised est plus qu’utile pour certains étudiants qui se retrouvent un peu noyés dans l’ambiance universitaire et la vie en France. C’est aussi un lieu de convivialité, de rencontres et de fraternités, où il n’y a pas de distinction suivant les religions des uns et des autres. »
Un calme œcuménique Au rez-de-chaussée arrive Chrismate. Étudiante en master de sciences de l’éducation, elle file aussitôt s’enfermer pour travailler dans l’une des salles équipées d’ordinateurs connectés à Internet : « C’est plus calme que chez moi », commente-t-elle. Entre 10 h 00 et 18 h 45, du lundi au vendredi, la maison est ouverte pour les étudiants qui souhaitent se poser au calme, sans distraction. Dans une grande pièce du rez-de-chaussée, Urbain vient de terminer un cours de français : « Il y a quelque chose qui me porte ici, explique le sexagénaire. Je vois ces jeunes qui grandissent, évoluent, s’intègrent au fur et à mesure qu’ils maîtrisent de plus en plus le français, c’est
«J’aime la grande liberté que nous avons dans cette association. Ici, tout le monde donne et reçoit.»
beau ! Pour moi, c’est une autre façon de transmettre l’Évangile, dans le respect des croyances. Ici, il y a surtout des musulmans, mais ça se passe bien, c’est enrichissant pour nous tous. » Et, source de fierté, Christian Mellon se souvient ainsi de cet étudiant chinois qui, à son arrivée à l’été 2018, ne parlait pas le français : « Il a pris des cours chez nous, et un an après il lisait Marguerite Yourcenar ! Aujourd’hui, il est en master à la Sorbonne, où il travaille sur les auteurs inconnus du théâtre du xviie siècle. » Pour les bénévoles, la richesse des profils des étudiants est une source de grand plaisir – d’ailleurs l’association pourrait accompagner bien plus d’étudiants, car elle ne manque pas de volontaires pour le faire. « Ce que nous faisons au Cised nous apporte beaucoup à nous, confirme Alain Goy, le président. Ça devrait être remboursé par la sécurité sociale ! » Après vingtans de bénévolat au Cised, Claude Sterlin, la psychologue à la retraite qui assure les consultations psychologiques, partage cet avis. À 83 ans, elle continue deux fois par semaine de faire tout le trajet en transports en commun depuis la porte de Saint-Cloud : « J’aime la grande liberté que nous avons dans cette association, on apporte ce qu’on est et ce qu’on veut. Ici, il n’y a pas des gens qui donnent et des gens qui reçoivent. Tout le monde donne et reçoit. » La définition de l’harmonie. •