FRANCTS MOIIHEIM
Ecrire est
un honrretrr
BRUXELLES
1974
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FRANCIS MONHETM
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propos
de l'tffaire
CIrOMEDAVISTER BRUXELLES
1.974
...
dans les convulsions du temps, i'ai êté soutenu par sentirnent obscur qu'écrire était auiourd'hui un honneur...
le
Albert Camus Discours de Suè.de I0 décembre 1957
I'ai écrit
ces pages
Préface
pour Myriam, ma Iille, pour Philippe et Pierre, pour Alain et Pascal nos lils - ils sachent -afin qu'un jour, F.M
Ceci n'est pas une plaidoirie.
Les plaidoiries viendront lorsque I'affaire qui oppose Jules Chomé et Pierre Davister connaîtra sa phase judi.
ciaire.
Ceci est un plaidoyer.
Un plaidoyer pour une certaine façon de
concevoir l'acte d'écrire en général, et le journalisme en particulier. Un plaidoyer pour un peuple que mon père m'apprit à connaître et à respecter, en l'appelant par son nom il y a trente ans déjà : le peuple da Zaire. Un plaidoyer pour un homme qui, ces jours-ci, fut accusé sans raison et condamné en dépit d'elle : Pierre Davister.
Ceci n'a de sens que dans la mesure où I'on admet qu'écrire est un honneur. Bruxelles, Pâques 1974 Francis Monheim
ardi 24 novembre 1,964. A I'aube, six cents para-commandos belges ont sauté sur I'aérodrome de Stanleyville dans l'espoir de sauver quelque deux mille Européens, otages des rebelles. Au même moment, venant du Katanga et du Kivu, les premiers éléments de I'armée nationale congolaise avaient pénétré dans la dernière place-forte de la rébellion. Lorsque nous atterrissons, vers midi, sur le tarmac de Stan, les para-commandos viennent d'achever la première partie de leur mission. Ils ont été en ville, y ont libéré les otages, les ont ramenés à l'aéroport. L'armée congolaise, par contre, se heurte toujours à une vive résistance de la part des bandes rebelles. Les rebelles sont partout et nous avons pu le constater au moment où le petit Cessna allait toucher le sol. Des coups de feu avaient claqué, de part et d'autre de la piste, tandis que de petits nuages blancs s'élevaient des hautes herbes. Aux commandes de I'appareil, un homme avait gardé tout son sang-froid: c'étaii le général Mobutu, commandant en chef de l'armée nationale congolaise et qui avait accepté de nous prendre à bord de son avion de commandement.
ECRIRE EST UN HONNEUR
Les otages ont été rassemblés sous les hangars. Parmi eux, beaucoup de femmes et d'enfants.
Ils ont les yeux rougis par les larmes et la fatigue; ils tiennent par la main; ils parlent très bas.
se
Parfois, un petit cercle se forme autour d'une silhouette que les sanglots agitent. Cette femme a perdu son mari et ses deux grands garçons; cette autre a vu sa petite fille mourir à côté d'elle; telle autre encore n'a plus aucune nouvelle des siens : les rebelles les ont emmenés dans la brousse.
Les paras restent à distance, comme si la douleur les empêchait d'approcher. Graves, émus, ils regardent du côté des hautes herbes, là où les rebelles sont toujours embusqués. De temps à autre, une rafale déchire le silence; quelques appareils de chasse font du rase-mottes et laissent derrière eux des gerbes de flammes. Dans une autre partie de I'aéroport, des centaines de Congolais sont accroupis sur la terre rougeâtre. Des femmes et des enfants surtout : les hommes ont été massacrés par les rebelles, parce qu'ils étaent instituteurs ou fonctionnaires restés fidèles au gouvernement central. Les mamans, exténuées, tentent de calmer des bébés que la soif tenaille et qui n'ont plus mangé depuis longtemps. Quelques hommes ont le regard fixe de ceux qui ont échappé à la mort mais qui ne parviennent pas à chasser de leur mémoire les images d'épouvante. Plus loin encore, les soldats de l'armée nationale rassemblent les premiers prisonniers rebelles. Des prisonniers souvent très jeunes et qui portent tous une petite cicatrice sur le front: cette incision rituelle aurait dû les rendre invincibles.
ECRIRE EST UN HONNEUR
Nous rencontrons Patrick Nothomb, le jeune consul de Belgique qui a négocié pendant plus de trois mois, avec les chefs de la rébellion, la survie des otages. Sa chemise
est maculée de sang. Il nous raconte que, le matin même, il faisait partie d'une colonne de trois cents Européens dont les officiers rebelles voulaient faire u un bouclier humain > pour résister aux paras-commandos. Devant l'hôtel Victoria, un officier rebelle a donné I'ordre d'ouvrir le feu, à bout portant, sur les prisonniers. u Il y a eu vingt morts au moins, nous dit Patrick Nothomb, nous avons rangé les cadavres dans une petite parcelle, à côté de l'hôtel u... Les heures passent, lourdes, chaudes, angoissantes. l.e soleil amorce déjà sa chute dans le vert-sombre de la forêt. Une forêt qui est toujours aux mains des rebelles et qui s'est refermée, hermétique, sur d'autres otages. Les para-commandos tentent de dégager l'ensemble de la piste, pour assurer la sécurité des avions de secours et surtout, pour prévenir toute attaque nocturne. Nous étions trois journalistes à bord de I'avion du général Mobutu : Pierre Davister, Pierre Fannoy (de Belgavox) et moi-même. Nous décidons d'aller en ville pour voir ce qui s'y passe et, surtout, pour recueillir des témoignages sur ce qui vient de s'y dérouler. Un officier para nous déconseille qatégoriquement de tenter l'expérience. Il y a, nous dit-il, sept kilomètres entre I'aéroport et le centre de la ville; les rebelles sont en embuscade des deux côtes de la route et personne n'acceptera de vous y conduire... Nous trouvons quelqu'un qui accepte. Un vieux colon qui veut retourner à Stan pour vérifier u si on n'a oublié personne > et qui dispose d'une camionnettecabriolet.
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Un spectacle hallucinant nous attend tout le long de cette route. Les para-commandos I'ont empruntée ce matin pour aller chercher les européens et ils ont ouvert le feu sur tout véhicule en marche. Sur les accotements et, parfois même, en travers de la route, il y a des dizaines de voitures dont le pare-brise a volé en éclats ou dont les portières sont criblées de balles.
Notre chauffeur roule très vite mais cela ne nous empêche pas de voir des amas de corps dans les véhicules abandonnés. Rebelles ou personnes essayant de leur échapper, nul ne le saura...
A l'entrée
de la ville, nous croisons plusieurs patrouilles de I'armée nationale qui se retranchent dans les fossés pour passer la nuit. De temps à autre, un coup de feu claque à travers les palmiers; alors le chauffeur couche la tête sur le volant et fonce de plus belle. De temps à autre aussi, le chauffeur doit faire une embardée pour éviter des cadavres que semblent garder des chiens faméliques. Plus loin, nous voyons deux formes humaines liées à des troncs d'arbre. Avant d'abandonner leurs prisonniers à une agonie atroce, les rebelles leur ont coupé une jambe à coups de machette.
Nous arrivons enfin à I'hôtel des Chutes. Cet hôtel a été, pendant plusieurs semaines, un des quartiers généraux des rebelles et hier encore, plusieurs dizaines d'otages européens y ont vécu leur dernière nuit d'horreur. Des éléments de l'armée nationale se sont emparés du grand bâtiment blanc au terme d'un bref combat. Les baies vitrées ont volé en éclats et les rafales de mitraillette ont dessiné sur les murs des grains de chapelet.
Dans le patio de l'hôtel, des soldats ont rassemblé un butin pitoyable. Ils en ont fait deux tas : un tas d'armes,
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parmi lesquelles de vieux fusils, des machettes, des lances, des chaînes de vélo; et un tas de documents : journaux, tracts, proclamations, ordres de mission. Pendant toute la nuit, des fusillades sporadiques vont
se
poursuivre tout près de nous tandis que plus loin, on entend gronder le canon et le mortier : I'armée nationale veut prendre pied sur la rive gauche du fleuve, où le gros des forces rebelles s'est retranché. De temps à autre, une balle vient frapper la façade de I'hôtel avec le bruit mat d'un æuf dur que l'on casse sur un zinc de bistrot. Des vitres volent en éclats. Parfois aussi, le ciel s'illumine, embrasé par une rafale de balles traçantes et le feu se déchaîne. Bruits de balles et bruits de voix : les soldats ont fait de nombreux prisonniers qu'ils regroupent dans le patio. Nous les verrons à I'aube : hagards, tremblant de peur, couverts de sueur et de poussière. Parmi eux, un enfant de neuf ans qui était ,, colonel u dans I'armée rebelle.
front porte la cicatrice blanche et il brandit une carte du parti dont il ne sait d'ailleurs pas lire les inscriptions. Les soldats qui le gardent ne I'on pas attaché : " il est trop jeune pour cela o. Son
Cet enfant s'est battu
?
- Oui, il s'est battu et il dit qu'il a tué beaucoup. - dysç quoi ? - Avec une mitraillette sten. - Quand ? - Les derniers jours surtout; lorsque les chefs rebelles -ont dit qu'il fallait tuer tous les prisonniers. il 1'a jamais été à l'école ? - Jamais. - Que va-t-il se passer maintenant ? - frJsus allons le rernettre à nos officiers. -
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-
Que vous
dit-il?
Qu'il voudrait apprendre à lire et à écrire.
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Nous traversons le quartier résidentiel; toutes les villas ont été pillées; des débris de mobilier jonchent les parcelles.
D'autres prisonniers sont allongés sur les dalles du patio. Ils ne disent rien mais de temps en temps, ils demandent une gorgée de bière.
L'un d'eux est couché sur une civière. Il est entièrement nu et il cache son sexe sous un livre ouvert qu'il a trouvé Dieu sait où. Je lis le titre : < l'Amant de lady Chaterley u. Sa jambe gauche n'est plus qu'un horrible moignon que la gangrène attaque déjà. Sous son bras, il serre une bouteille de bière que les soldats lui ont donnée; il a le regard fou et de l'écume sur les lèvres.
De temps à autre des coups de feu éclatent dans les jardins ou les hautes herbes. Nous plongeons dans les fossés et puis, quand le silence est revenu, nous repartons à l'aveuglette. Parfois des chiens approchent de nous, l'æil luisant, la langue pendante. Ils ont été abandonnés, sans doute, par leurs propriétaires et ils se débattent dans l'étau de la soif.
L'hôtel Victoria dresse devant nous sa masse silencieuse. C'est ici, nous a dit Patrick Nothomb, que le carnage a eu lieu.
Ç'sst un soldat de I'armée rebelle, me dit un de ses -gardiens; il n'avait pas obéi aux ordres, et les rebelles I'avaient enchaîné dans un garuge. Quand ils ont dû prendre la fuite, hier matin, ils lui ont écrasé la jambe à coups de hache et de pierre...
L'avenue est déserte mais nous découvrons, dans un petit enclos, une vingtaine de corps recouverts de couvertures grises.
matin, mais le soleil brûle déjà dans
Ce sont les corps des Européens, tués la veille par les rebelles, alors que les C-130 tournoyaient dans le ciel de Stanleyville, avant de larguer leurs cargaisons de
I1 est sept heures du
un ciel d'argent.
parachutistes.
Pierre Davister nous propose d'aller sur les lieux de la fusillade de la veille, près de l'hôtel Victoria.
Les corps ont été allongés côte à côte, sur trois rangées.
Le concierge de I'hôtel, qui n'a jamais abandonné son poste et qui continue d'ailleurs d'établir avec application les notes de ses clients, nous indique le chemin à
Par miracle, il n'a pas plu cette nuit et les visages de cire sont empreints d'une étrange sérénité.
suivre.
Je reconnais immédiatement celui du docteur Carlson, un missionnaire américain, dont la presse a publié de nombreuses photographies. Au milieu de son front, une étoile vermeille : une balle I'a frappé de plein fouet et a anaché I'arrière de son crâne. Il y a plusieurs femmes aussi, cinq si mes souvenirs sont exacts. Et puis, il y a deux fillettes : de six et de neuf ans. Les cheveux
A trois, nous déanbulons dans les avenues mortes, écrasées de soleil. Des cadavres reposent un peu partout, les bras en croix, auréolés de flaques de sang sèché. L'un d'eux porte encore sur la tête la crinière de lion qui devait le rendre invulnérable.
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Pendant quelques minutes, je n'entendis plus que le crissement saccadé de l'appareil photographique et le bourdonnement de la caméra.
eollent sur leur visage mais elles ont les traits sereins; leur mort ressemble à un sommeil étrange. Leurs petites mains sont croisées sur la couverture grise; quelques gouttes de sang perlent à la commissure des lèvres.
Puis, il y eut à nouveau ce silence et cette immobilité. Comme si nous hésitions à rendre ces morts à leur solitude, comme si nous voulions dans un dernier geste d'affection et de respect, partager sous le soleil de plomb, leur veillée funèbre.
Tous trois, nous nous sommes figés, comme si la douleur nous empêchait de parler, de bouger, de remuer l'air. Je ne sais pas combien de secondes, combien de minutes, nous sommes restés là, pétrifiés et muets. La mort efface le temps, pour ceux qu'elle frappe et pour ceux
Revenant sur nos pas, nous arrivons au rond-point sur lequel se dresse un monument érigé à la mémoire de Patrice Lumumba. C'est ici même que ce sont déroulées les scènes atroces dont le récit nous est parvenu depuis
qu'elle nargue. Je me souviens seulement d'un long, très long silence. Et puis d'une sorte de rupture, comme si nous voulions
briser le maléfice, secouer le malheur, sortir d'un rêve. Notre métier de journaliste donc de témoin nous - là et - Puisque nous étions impose des actes douloureux. que nous voulions que l'on sache ce que nous savions, puisque nous voulions témoigner de tant d'absurdité et de tant de souffrance, il nous fallait construire ce témoigîage, produire les pièces à conviction.
l
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Tandis que Pierre Fannoy mettait au point sa lourde caméta, Pierre Davister arma son Asahi-Pentax. Puis, il me prit par la main et d'un geste de la tête, me désigna le docteur Carlson et la petite fille. Davister ne dit pas un mot, mais j'avais compris ce qu'il attendait de moi. Il voulait que je me penche sur les deux cadavres pour éloigner l'essaim de mouches qui les entourait. Ce geste, je I'accomplis avec une émotion que je parvenais mal à contrôler mais, surtout, avec une infinie tendresse. C'était notre façon à nous de préserver la beauté de deux visages morts auxquels nous liaient déjà une très étrange et très profonde connivence.
I
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plusieurs mois. Au pied de ce monument, les chqfs rebelles rassemblaient la population de Stanleyville pour lui permettre d'assister à des mises à mort d'un extrême cruauté. Ici, des prêtres noirs, des instituteurs, des officiers demeurés fidèles à l'armée nationale, des fonctionnaires nommés par le gouvernement central ont été émasculés, éventrés, décapités. L'ancien bourgmestre de Stanleyville a été dépecé vivant à coups de baionnette; son foie et son cæur ont été distribués à des rebelles que le chanvre avait rendus ivres. Les dalles qui entourent le monument sont rouges encore du sang des victimes, des essaims de mouches ont installé leurs nids dans les pelouses environnantes tandis que des lambeaux de vêtements chemises, pantalons, pagnes - ensanglantés, dans les matitis. aus5l sont accrochés,
-
En'face du monument : une grande villa qui a servi de quartier génêral aux jeunesses commandées par Gbenye et Soumialot. Les portes ont êtê, arrachées, les vitres n'existent plus, une partie du mobilier, éventré, gît dans les parterres de fleurs abandonnés depuis longtemps.
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Nous pénétrons dans la villa. Il n'y a personne mais nous sommes assaillis par une odeur fâde et écæurante : celle de la mort. Des papiers jonchott le sol; des armoires baîllent; dans I'une d'elles, nous trouvons un cadavre recroquevillé et sanguinolant. Les documents que nous ramassons portent tous le sceau de u l'état major de l'armée populaire de libération nationale >. Pierre Davister me montre I'un d'eux une copie au carbonne qui atteste que le missionnaire C... rêsidant au kilomètre I de la route de Buta est sourd et est habilité à porter un appareil auditif -pour mieux entendre.
La veille, hélàs, nous avons appris que le missionnaire C... avait été assasiné parce qu'il portait dans le creux de l'oreille un appareil émetteur lui permettant de communiquer avec d'autres espions... D'autres documents dénoncent les nombreux viols commis par les soldats rebelles et demandent à la population de signaler aux autorités de pareils actes illégaux qui sont souvent commis par bon nombre de Simbas.
Nous trouvons également des journaux dans lesquels les chefs rebelles annoncent que les Belges s'apprêtent à lancer une bombe atomique sur Stanleyvil/e et des tracts invitant les simbas à se revêtir de la peau des blancs...
Nous quittons le quartier général des jeunesses rebelles dans I'espoir de rejoindre notre hôtel. Chernin faisant, nous sommes surpris par une fusillade particulièrement vive. Devant nous, une patrouille de I'armée nationale fait face à un assaut d'une bande rebelle. Les soldats ont pris place dans deux jeeps, munies de mitrailleuses. Les rebelles foncent sur eux, entièrement nus, coiffés de peaux de buffles et brandissant des fusils, des lances et des arcs.
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Les mitrailleuses crachent leurs projectiles; je vois, à une cinquantaine de mètres de nous, un rebelle cisaillé par la rafale. Brusquement, son torse brun se colore de rouge, puis tombe dans la poussière. Mais les jambes et une partie du tronc semblent se mouvoir encore sur plusieurs mètres. Les cris d'agonie se vrillent dans le mur du silence.
Et cependant, nous ne sommes pas encore au bout de ce calvaire, où I'horreur et la cruauté se chevauchent et se bousculent... Nous sommes à peine rentrés à l'hôtel des Chutes lorsque nous apprenons que des coups de feu ont été tirés sur une patrouille de I'armée nationale, depuis les combles de la villa que nous venons de visiter. La patrouille a riposté en lançant plusieurs grenades offensives qui ont provoqué l'effondrement du faux-plafond au dessus duquel plusieurs u simbas > s'étaient réfugiés.
Nous retournons au rond-point pour y découvrir un spectacle hallucinant. Les grenadès ont éventré littéra-
lement la villa, obligeant une vingtaine de simbas à abandonner leur cachette. Blessés à mort, ils agonisent sur I'herbe dure des pelouses environnantes. La plupart d'entre eux bougent encore; ce sont de très jeunes gens et je remarque qu'ils portent tous la culotte courte.
Un photographe français nous a suivis; il prétend travailler pour un magazine parisien; il est grand, blond, élégant; il porte des grappes d'appareils photographiques. Lorsqu'il apperçoit les mourants remuant au pied d'un bouquet de palmiers comme des poissons de mer ramenés sur la berge, il se saisit d'un fusil automatique et se met à tirer à bout portant, sur les blessés. Entre deux rafales,
il
pousse un juron parce que des
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éclats de cervelle sont venus s'écraser sur les objectifs de ses appareils.
Les balles font un bruit mat lorsqu'elles s'enfoncent dans les corps qui sursautent. Je bondis sur ce confrèreassassin, le prend à la gorge; et lui, me répète dans un hoquet, cette phrase démentielle : " je suis français, j'ai fait ça en Algérie, je fais ça ici u... Comme dans un rêve, je vois Pierre Davister arracher le fusil des mains du forcené, jeter l'arme dans les matitis; puis il me prend par les épaules. Et nous repartons, titubant d'horreur et de dégoût.
ierre Davister, Pierre Fannoy et moi-même, nous ne sommes pas les seuls à avoir vécu ces jours et ces nuits d'épouvante. D'autres confrères ont été les témoins des mêmes drames ou de drames similaires et parmi eux, notre ami Jean-Marie van der Dussen de Kestergat de La Libre Belgique. Ces drames, nous avons dû non seulement les voir mais les regarder, parce que notre métier est de " vivre les choses > avant de porter témoignage.
Nous avons vécu le drame de la rébellion, sur le terrain, dans l'odeur du sang et confrontés à I'horreur de la mort. Dès lors, que I'on veuille bien nous pardonner si nous méprisons ceux qui, dans le confort douillet de leur domicile bruxellois, ont encouragé, loué, exalté cette même rébellion, sans jamais prendre le moindre risque.
Jules Chomé est de ceuxJà. Et je tiens à I'affirmer d'emblée : en tant que personne, Chomé ne nous intéresse pas; il nous dégoûte.
Par contre, lorsque Chomé, par ses écrits, trahit la vérité,lorsqu'il s'en prend à ceux qui ont eu le courage
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d'être là et de faire quelque chose, lorsqu'il abuse de nos témoignages pour servir ses haines et ses rancunes, alors nous éprouvons I'envie et nous avons le devoir de lui répondre.
-
Depuis quinze ans, cet écrivassier nous assomme de ses libelles sordides. Depuis quinze ans, il déverse ses injures, ses accusations, ses crachats sur une histoire qu'il ne connait pas et sur des hommes qu'il n'a jamais tenté de comprendre ni de respecter. Dans son dernier livre
que, pour sa honte, François Maspéro a acceptê de -publier Jules Chomé bat ses propres records de vulgarité et -de bêtise.
Mes confrères ont dit tout ce qu'il fallait penser de cet ouvrage ou presque tout qu'il était médiocre, - méchant, incohérent, -: mal construit, injuoutrancier, rieux, mauvais, inconsistant. J'ajouterai, pour ma part, que l'ouvrage de Chomé est malhonnête et qu'il est vulgaire.
Je sais que ces appréciations pourraient être tenues pour diffamatoires et c'est pourquoi, dès maintenant, je tiens à les étayer.
ECR]RE EST UN HONNEUR
en effet, des passages de plusieurs auteurs qui devraient
lui
donner raison mais qui, jamais, n'apportent la
preuve de ce qu'ils avancent.
Le procédé est odieux, même s'il risque de convaincre les amateurs de ragots. Au demeurant, si nous y prêtons quelque attention c'est parce que nous n'excluons pas qu'un jour, un agent de la Sûreté fasse des o révélations > confirmant, de façon rétroactive, ce minable bobard. Il se trouve toujours, parmi les fonctionnaires obscurs, des frustrés en mal de notoriété, des affabulateurs, des mythomanes. A force d'entendre répéter que < Mobutu était un indicateur u l'un d'eux affirmerait-il un jour en avoir la preuve, que cela ne nous étonnerait pas.
En fait, il faut savoir que la Sûreté belge mobilisa tous les agents dont elle disposait à I'occasion des deux tables rondes belgo-congolaises qui eurent lieu à Bruxelles au cours du printemps 1960. A l'époque, les couloirs du palais des Congrès étaient arpentés par des dizaines de journalistes-marron et de conseillers-bidon, les uns comme les autres travaillant u à la pige > pour la Sûreté du royaume. Le cachet de ces messieurs était proportionnel au nombre de pages de leurs rapports; on les payait à
la ligne... Je choisis, au hasard, trois passages du dernier livre de
Jules Chomé; un livre intitulé u L'ascension de Mobutu >> et publié dans une collection que Maspéro est-ce par dérision ? intitule u cahiers libres u.
-
-
Un premier passage figure à la page 69 de I'ouvrage.
Il
affirme qu'à l'époque de I'indépendance, Mobutu fut
un indicateur de la Sûreté belge et que ce fait
est
attesté par d'innombrables articles et livres. Chomé cite,
C'est dire que tous les hommes politiques belges et - mais aussi qui participèrent à ces travaux, congolais - journalistes qui suivirent ies deux tables tous les vrais
rondes, ont figuré nommément dans les rapports des tâcherons de la Sûreté. Par conséquent, il suffisait de dire tout haut une petite phrase, de formuler une modeste réflexion, pour être cité dans I'un ou I'autre rapport et, partant, pour être considéré comme u indicateur >.
ECRIRE EST UN HONNEUR
ECRIRE EST UN HONNEUR
C'est pourquoi j'affirme sans risque de me tromper - applique aux autres que et sur base des critères qu'il Jules Chomé fut, lui aussi, un indicateur de la -Sûreté
devait être salué comme un succès inespéré par tous les ennemis du Congo.
belge.
Pour preuve de ses allégations, Chomé cite un passage d'un livre que j'ai eu l'honneur d'écrire en 1962 et que j'avais intitulé Mobutu I'homme seul. Yoici ce passage : Le colonel Mobutu est écæuré. Sans consulter personne il donne ordre à ses'troupes de revenir à Léopoldvîlle.
Par le simple fait de communiquer avec des interlocuteurs que nous ne connaissions pas toujours tous, nous fûmes tous des indicateurs. .. La chose est tellement grotesque que nous relevons cette première allégation de Chomé par goût du folklore.
Par contre, un autre passage du livre de Chomé est fondamental et démontre, sur le fond comme dans la forme la malhonnêteté de son auteur. Chomé consacre d'abord 56 pages à un réquisitoire maladroit et bancal contre la colonisation belge avant l'indépendance et contre les derniers soubresauts de celle-ci au lendemain du 30 juin 1960. Son livre ayant pour but d'insulter \e général Mobutu, Chomé cherche le moyen de passer d'un problème général le néocolonialisrne de certains milieux d'affaires-profondément enracinés au Katanga à un problème plus particulier et plus personnel : l'attitude du général Mobutu, commandant en chef de I'Armée nationale congolaise. Pour y. arriver, Chomé imagine de toutes pièces une situation qui n'existait absolument pas en automne
1960. Il prétend que l'Armée nationale congolaise était sur le point de mettre fin aux deux sécessions celle lorsque le-général du Sud.Kasai et celle du Katanga Mobutu rappela ses troupes à Léopoldville et laissa le ( u champ libre aux casques bleus de I'ONU.
A la page 58 de son ouvrage,
Chomé écrit que ce rappel constituait évidemment une trahison et que i/
Ce passage qui doit étayer le propos principal de son Jules Chomé l4 11 trahison > de Mobutu ouvrage en dehors de son contexte. le cite
Aux pages Il4 et 115 de mon livre, j'avais raconté, en effet, que Mobutu avait approuvé I'envoi de troupes à Bakwanga, dans l'espoir de mater la sécession fomentée dans le Sud-Kasai par les partisans de Kalonji. Mais j'ajoutais que Mobutu ignorait la présence à Bakwanga d'agents civils de la Sûreté nationale. Des civils qui allaient organiser un véritable pogrom. Des femmes sont éventrées; Ies soldats pénètrent même dans la maternité pour se livrer au carnage. Des enfants sont massacrés à coups de baïonnettes : les ball'es sont trop rares 'et :on les réserve aux adultes. On organise une véritable chasse aux intellectuels et tous ceux qu'on découvre sont exécutés sur place. Mobutu reçoit plusieurs rqpports sur les atrocités de Bakwanga, dont l'un émane du président de la Croix-rouge tnternationale. (Jn mot revient constamment dans ces documents et il ligurera plus tard dans le rapport de M. Hammarskioeld lui-même : gênocide. Le colonel Mobulu est écæuré. Sans consuller personne etc...... on vient de le voir L'historien Jules Chomé : c'est un escroc.pas seulement un compilateur
n'ss[
ECRIRE EST UN HONNEUR
Un escroc et, de plus, un esprit vulgaire. Car s'il
est à
une chose que Jules Chomé ne nous pardonne pas - lie Davister et à moi-même c'est I'amitié que nous à Mobutu. Une amitié qui est née avant I'indépendance, dont I'acier fut trempé au feu d'événements souvent tragiques et qui résista à toutes les tentatives de dénigrement et de diffamation.
En octobre 1961 déjà, Jules Chomé m'accuse
dans
Remarques alricaines d'être un ami intime de Mobutu et d'écrire sous sa dictée; en 1967, dans un petit ou-
vrage intitulé Mobutu et la contre-révolution en Afrique, il accuse Ie c'ouple Davister-Monheim d'avoit l'inTluence la plus néfaste sur les destinées du Congo et 1l ajoute qùe une attitude ferme à l'égard de ces indésirables sera Ie critère auquel se reconnaîtra un gouvernement réellement indépendant... (ce qui est une curieuse façon, soit dit en passant, de favoriser la liberté de la presse).
Dans son dernier ouvrage le libelle publié par Mas- d'être passé avec armes péro Chomé accuse Davister et bagages au service de Mobutu après avoir reç:u des capitaux très importants de Moïse Tshombe. Non seulelement cette dernière assertion est-elle totalement fausse, mais il faut rappeler que le journalisme avait rap-
proché et lié Mobutu et Davister depuis 1956, - ans avant - f indépendance... Est-ce un crime soit quatre aux yeux de Chomé ? Et est-ce un crime, surtout, que les liens d'amitié entre un journaliste belge resté ce qu'il était et un journaliste congolais, devenu président de la République du Zaïre, ait résisté à l'usure du temps, des médisances, de la médiocrité jalouse de quelques chacals
?
De même, il faut noter qu'à la page 67 de son dernier libelle, Jules Chomé croit me donner le coup de grâce
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en citant les sentimenls auxquels j'avais donné libre cours à la fin de mon ouvrage sur Mobutu : Si, à travers ces pages, I'admiration et l'alfection que je voue à Mobutu apparaissent, malgré tout, que mes lecteurs veuillent bien me le pardonner. Je ne suis qu'un témoin mais personne ne peut m"empêcher de témoigner avec enthousiasme.
L'amitié, I'affection, I'admiration... Depuis quand ces mots sont-ils des injures ? Faut-il avoir honte de les avoir prononcés, de les avoir écrits ? Quelle est cette étange alchimie qui fait qu'un cerveau, qu'une bouche altèrent et avilissent ce qu'il y a de plus précieux dans la vie d'un homme ?
n février 1973, les étudiants africains de l'Université Libre de Bruxelles annoncent qu'ils ont invité Jules Chomé à faire une conférence sur u Mobutu et la contre-révolution en Afrique ,. Le jour convenu, partisans et adversaires des thèses de Chomé sont à leur poste, mais I'avocat n'y est pas. Quelques minutes avant I'heure prévue, il fait dire par téléphone, qu'il est indisposé, qu'il ne sera pas là.
Adversaires et partisans se séparent, non sans avoir proclamé bruyamment leurs convictions.
Un an plus tard, les circonstances ont changé. Chomé vient de publier son libelle chez François Maspéro.
Il
faut que ce livre rapporte et que ce livre fasse du bruit.
il faut, par conséquent,
Chomé accepte donc l'invitation qui lui est adressée par
la section u tiers-monde " du foyer international qu'il
des
s'empare du micro, étudiants de Liège. Mais, dès ce jeudi 7 mars 1974, des étudiants zaïrois protestent.
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L'un d'eux , Mukuna Tshibombo, déclare qu'il
serait
inconvenant que des étudiants zaïrois assistent au réqui-
sitoire insolent que l'avocat bruxellois se propose de prononcer contre le président daZaire. Par conséquent, il invite ses compatriotes à évacuer la salle. Chomé hausse les épaules, ricane et poursuit la lecture du texte qu'il a pÉparé. C'est alors que Tshibombo monte à la tribune et qu'une brêve bagarre I'oppose à I'orateur. Dans la confusion générale, Chomé encaisse un coup de poing, tombe puis retrouve ses esprits pour déclarer à quelques journalistes locaux : u Je ne comprends pas, je n'avais encore rien dit de méchant C'était oublier
".
un peu vite ou tenter de faire oublier que la - bénéficiait cette conférence - avait été publicité dont axée uniquement sur le tombereau d'injures que Chomé, par la grâce de Maspéro, versait sur Mobutu.
Quatre jours plus tard, Pierre Davister rédacteur en chef de u Spécial v s'esfilne dans I'obligation, non pas de justifier mais-d'expliquer la réaction de Tshim-
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Ce qui amène Davister à poser la question : ,, Masochisme ou évident besoin d'argent ? ,>. ,< De son prochain lit de souffrance, poursuit-il, s'i/ peut encore écrire, s'il peut encore parler, Iules Chomé acceptera sans doute de répondre. Sauf , bien'entendu, s'il nous faut déplorer la mort du commis-voyageur >>. Quelques jours plus tard, le président Mobutu qui vient de rentrer d'un long voyage dans plusieurs pays du Moyen-Orient, accuse la Belgique d'avoir une attitude équivoque dans cette affaire.
Il faut savoir qu'avant bes, le chef de
de partir pour les capitales aral'Etat zakois a eu à Muniçfi un
- premier -minislong entretien avec Edmond Leburton, tre, et Renaat Van Elslande, ministre des Affaires étrangères du gouvernement belge. Nos deux ministres ont effectué ce déplacement dans l'espoir d'atténuer les effets de la zaïrianisation sur les avoirs de nos compatriotes et d'obtenir confirmation des commandes très importantes que le Zake a confiées à l'industrie belge.
bombo et de ses amis.
Il
connait parfaitement l'indignation que les Zaïrois ont ressentie à la lecture des écrits de Chomé et il sait que ces Zakois n'ont pas I'habitude de cacher leurs sentiments. Par conséquent, il fait remarquer qu'il serait difficile pour Jules Chomé << de continuer à insulter publiquement le général Mobutu Sese Seko s'il veut garder le faciès intact et connaître d'autres lits que des lits d'hôpitaux rr. Bien entendu, Davister devine que Maspero et Chomé veulent entourer la parution de ce méchant libelle d'une publieité aussi tapageuse que possible. En fait, Chomé encaisse les coups dans I'espoir d'encaisser le fric.
Les deux hommes sont revenus à Bruxelles, rassurés et satisfaits, ce qui permet au président Mobutu de faire remarquer le 25 mars : Iorsqu'il s'agit de discuter " milliards, je redeviens aux yeux des autorités belges le prêsident du Zaire, mais lorsque ie demande que cesse ce flot d'injures que l'on déverse impunément sur ma personne, je ne rencontre que le silence rr.
Il faut attendre une semaine encore avant que les autorités belges ne réagissent. Elles brandissent les grands principes de la liberté d'opinion et s'en remettent aux autorités judiciaires. Cependant, le gouvernement consent à ajouter cette petite phrase : ... les autorités belges ont condamné dans le passé les actions imesponsables de certains citoyens belges au Zaïre et regrettent
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et réprouvent auiourd'hui ce qui est de nqture à alfecter les relations belgo-zaïroises.
le gouvernement se trouvât réellement désarmé sur le plan juridique...
Notons, en passant, la tartufferie qui a inspiré la rédaction de ce document. Lorsque nos ministres parlent des actions irresponsables de certains citoyens belges au Zaïre, il ne peut évidemment s'agir de Me Chomé puisqu'il n'y a jamais mis les pieds; quant à la réprobation de ce qui esl de nature à aflecter les relations belgo-zairoises, e)le est tellement vague, tellement peu en aucune façon courageuse qu'elle ne peut satisfaire les autorités de Kinshasa.
Il
Le président Mobutu qui, lui, n'a pas I'habitude
de
mâcher ses mots, fait remarquer que le document belge constitue une Tuite devant les responsabilités et la manif estation d' une hy pocrisi'e caractérisée.
Bref, les relations entre Kinshasa et Bruxelles se dégradent rapidement, alors que notre gouvernement aurait pu, très facilement éviter qu'il en fût ainsi. Admettons même que ce gouvernement ne dispose pas des moyens juridiques qui lui permettent d'interdire la vente du livre de Chomé. L'hypothèse n'est pas solide, puisqu'il y a dix ans à peine, le gouvernement faisait saisir un numéro du u Pourquoi Pas ? , sous prétexte qu'il contenait des injures à I'endroit du président Kasavubu; à l'époque, il faut le rappeler, la décision fut prise par le ministre de la Justice, Pierre Vermeylen, qui est socialiste et qui est, de plus, un des juristes les plus éminents de notre pays...
ne l'était pas, pour autant, sur le plan politique.
Il aurait pu, par exemple, faire une déclaration publique pour dénoncer le caractère diffamatoire, injurieux,
Il aurait pu affirmer publiquement que ce livre portait atteinte non indécent, odieux des écrits de Chomé.
seulement à la vérité historique la plus élémentaire mais aussi à l'amitié qui unit nos deux pays et dont le gou-
vernement, précisément, se prétend I'artisan.
pu rappeler ce que la Belgique doit au
Il
aurait
président
Mobutu. Ripostant aux injures d'un irresponsable, il et combien aurait pu rendre un hommage officiel justifié à un chef d'Etat qui a sauvé la-vie de milliers qui a préservé les bonnes relations de nos compatriotes, entre son pays et le nôtre en dépit de toutes les incompréhensions, de toutes les embûches, de toutes les ingratitudes.
Voilà ce que le gouvernement belge aurait pu faire, au lieu de se voiler la face et de se cacher derrière le paravent d'un juridisme qui veut que la liberté d'opinion se réduise à la licence de mentir ou d'insulter. Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'une prise de position de ce genre eût été incompatible avec la notion des affaires courantes. Lorsque MM. Leburton et Van Elslande s'en allèrent à Munich, personne n'y vit d'inconvénients. Et puis, la défense et I'honneur du pays est un devoir tellement élémentaire qu'il doit transcender toutes les vicissitudes de la vie politique.
Mais admettons donc que les choses aient changé, que la jurisprudence ait évolué avec I'esprit du temps, que la médiocrité génêrale de nos mæurs politiques ait entraîné la caducité de certaines de nos lois, bref, que
Le gouvernement autait dû s'en souvenir. Il ne I'a pas fait et il est donc responsable de ce qui arrive aujourd'hui.
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Mais nous vivons en pleine absurdité; à tel point que plusieurs éditorialistes belges attribuent la responsabilité de cette nouvelle crise entre Bruxelles et Kinshasa à d'autres journalistes qui auraient voulu ( gonfler > ou .. exploiter I'affaire Chomé. En particulier, ils accu" sent Pierre Davister... On croit rêver ! C'est Jules Chomé qui insulte le président Mobutu; c'est le gouvernement qui manque de courage et de dignité; mais c'est Davister que I'on charge de tous les péchés d'lsraëI.
I
I
serait fastidieux d'énumérer tous les articles endosser à Pierre Davister la responsabilité de la crise actuelle entre la Belgique et le Zaire.
qui prétendent
Nous nous bornerons à analyser I'un d'entre eux parce qu'il est représentatif de la vulgarité et de I'hypocrisie de l'ensemble.
Il
s'agit de l'éditodal publié le 27 mars par u La Libre Belgique " et qui prétend faire le procès o d'un certain M. Davister ,. Comme cet article n'est pas signé, je suppose qu'il est de la plume d'un certain M. Daloze, qui préside aux destinées de ce journal. Et nous allons voir que ce M. Daloze a la mémoire bien courte et la gratitude plus courte encore.
Ce M. Davister, donc, fut le correspondant de " La Libre Belgique " le 4 janvier 1959, lorsque le général Janssens fit ouvrir le feu sur les nationalistes kinois qui avaient commis le crime d'assister à un meeting politique...
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Plus tard, u La Libre Belgique > eut encore l'occasion de reparler de ce journaliste qu'elle feint de mépriser aujourd'hui. C'était au printemps et en été de I'année 1961, lorsque la province orientale ne reconnaissait plus I'autorité du gouvernement central de Léopoldville et que M. Gizen; avait installé à ga un autre ami de Jules Chomé de terreur. et d'arbitraire régime Stan un
La terreur s'était accentuée encore, lorsqu'était parve-
nue la nouvelle de l'assassinat de Patrice Lumumba, par les autorités sécessionistes du Katanga. Dans la Province orientale, les arrestations, les brimades, les passages à tabac étaient devenus le pain quotidien des Européens et, en particulier, des Belges.
C'est à cette époqueJà cependant, que Pierre Davister décida de se rendre dans la capitale de Gizenga. Pourquoi ? Parce que le L3 janvier, huit carabiniers belges en garnison au Rwanda s'étaient trompé de chemin, avaient traversé sans le savoir la frontière entre Rwanda et le Kivu et s'étaient retrouvés aux mains des soldats
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Gbenye,obtenir l'autorisation de voir les carabiniers et, si possible, de parler aux prisonniers.
A Léo, des amis européens tentent de le dissuader. Il lui font remarquer, selon leurs tempéraments, soit qu'il
prend des risques énormes, soit qu'il est complètement cinglé, soit encore qu'il ne verra Jes " huit " que lorsqu'il sera enfermé, lui aussi, à la prison centrale de Stanleyville.
Il se rend dans la capitale rebelle, obtient une audience de Gbenye et finit par rencontrer les " huit u qui lui confirment d'ailleurs qu'ils sont en bonne santé. Mais Davister s'obstine.
Un exploit, répétons-le, dont la presse, en Belgique et ailleurs, fait largement état. Faut-il penser que M. Daloze ne
lit
pas les journaux
?
Un exploit qui suscite un écho très particulier
dans
I'imagination fertile de Paul-Henri Spaak.
il
gizengistes.
Lorsque Davister rentre à Bruxelles, ministère des Affaires étrangères.
L'arrestation de ces huit miliciens avait suscité une émotion considérable en Belgique et malgré toutes les du gouve:rneincohérentes, il est vrai initiatives > risquait o huit des détention la ment Lefèvre-Spaak, façon dramatique. de prolonger de se
Vous avez eu des entretiens cordiaux avec M. Gbenye, tui dit en substance M. Spaak, vous connaissez parfaitement la situation qui règne à Stan, accepteriez-vous d'v retourner et de négocier, au nom du gouvernement belge, la libération des huit carabinters ?
Fin mars, Pierre Davister effectue un reportage
Davister accepte; le 3 juin, il se retrouve dans I'avion Bruxelles-Léo ayant, comme il l'écrira plus tard, cornme seule lronde et comme seul b'ouclier, le message de Paul-Henri Spaak. Un message fait de mots fragiles et prudents. I'avais I'impression d'être tout nu...
à
Léopoldville et c'est 1à qu'il décide de tenter ce que le u d'exploit , : > " Pourquoi Pas ? qualifiera lui-même aller à Stanleyville, tenter d'y renconter Antoine Gizenga ou son ministre de I'Intérieur, Christophe
est reçu
au
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Le 10 juin, il se retrouve sur le tarmac de Stan et, le même jour, dans le bureau de Gbenye. Commencent alors de longues et pénibles négociations au cours desquelles Davister ne doit pas seulement se méfier de la susceptibilité et de la versatilité de ses interlocuteurs africains mais aussi des coups-fourrés de I'ONU et des I'une crocs-en-jambes de I'ambassade de France qui veulent s'attribuer le bénéfice -exclusif comme l'autre de la libération- éventuelle des huit carabiniers... Lorsque, dix jours plus tard, les " rivaux u du journaliste belge espèrent enfin lui avoir porté le coup de Iarnac (le 20 juin, en effet, Davister est expulsé de Stanleyville), la décision de Gbenye est prise : les miliciens belges seront rendus à leurs familles.
A
Bruxelles, M. Spaak déclare à la tribune du Sénat que Pierre Davister a agi avec audace et courage; aù nom de I'opposition libérale, M. Hougardy se joint à cet éloge gouvernemental: au mépris de sa propre sécurité, ce iournaliste a mis au service d'une cause particulièrement louable ses connaissances et son courage. La Belgique accorde à Pierre Davister ce qu'elle réserve habituellement à ses < grands hommes , : la < une > de ses journaux, une décoration dans un ordre national, un dîner au Cercle Gaulois, des réceptions auxquelles se presse le tout-Bruxelles.
Il est possible évidemment
que M. Daloze n'y fût pas invité. Qu'il se console, la prochaine fois il recevra son bristol. ..
Où les choses se corsent, c'est lorsque le même éditorialiste écdt: on ne peut que regretler de voir certains personnages prendre le risque de compromettre les relations entre la Belgique et Ie Zaïre pour satisfaire
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des rancwrcr personnelles. Me vister sont de ceux-Ià.
lules Chomé et M. Da-
Que Jules Chomé en soit, il faudrait être aveugle pour ne pas s'en rendre compte. Voilà bientôt quinze ans que cet avocat utilise toute sa hargne, toute sa méchanceté, tout son fiel pour empoisonner I'existence de la coopération que des hommes de bonne volonté qu'ils soient Belges ou Zaïrois tentent de préserver et de renforcer entre les deux pays. Or, si u La Libre Belgique u possédait une once d'objec-
tivité, elle serait obligée de reconnaître que Pierre Davister est de ceux-ci, qu'il n'a jamais cessé de l'être et qu'il le fut contre vents et marées môme et surtout dans les circonstances les plus difficiles.-
Je viens de rappeler I'affaires des carabiniers. Je voudrais rappeler aussi un autre souvenir que je conserve précieusement et que, dans les circonstances actuelles, il me parait bon d'évoquer. C'est à Stanleyville également, le 24 novembre 1964, au cours de la nuit d'épouvante décrite au début de ce petit ouvrage, que nous décidâmes, Davister et moi, de créet << Spécial >. Notre rêve était celui de tout journaliste : qéer un grand hebdomadaire d'information; mais notre but était aussi de mettre cet hebdomadaire au service d'une idée qui nous était infiniment précieuse et qui, cette nuitlà, paraissait gravement compromise : I'amitié entre la Belgique et le Zaïre. Nous mesurions alors combien la tâche serait difficile; mais devant ces victimes noires et blanches, que la mort unissait au terme d'une tragédie démentielle, nous décidions de poser un acte de foi, nous faisions le serment de ne pas désespérer.
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Depuis lors, que d'articles écrits pour présenter les choses sous leur jour véritable; que d'articles écrits pour combattre les campagnes de haine, les provocations, les mensonges systématiques; que d'articles écrits pour répondre aux paniquards, aux revanchards, aux charo-
gnards; que d'articles décrivant les efforts de tout un pour sortir du marasme, peuple et de son chef d'une décolonisation pour vaincre les convulsions bâclée, pour retrouver son indépendance, son identité, c'est sa dignité, pour devenir en moins de neuf ans en novembre 1965 que le général Mobutu -vint au pouvoir une grande nation africaine, une grande puissance- du tiers-monde. Mais depuis lors aussi, en contre-partie, que d'attaques mesquines, que d'insinuations malveillantes, que de sous-entendus sordides, que de bave, que de venin ! Pourtant, si c'est là le prix qu'il faut payer, pour continuer de parler du Zafue en termes réalistes et constructifs, que les Chomé, les Daloze, les scribouillards de u Pan en fassent leur deuil : nous le payerons. ',
Qu'ils en fassent leur deuil et qu'ils se consolent : ils auront d'autres occasions de vilipender un certain M. Davister... Mais qu'ils sachent aussi que Rous ne sommes pas seuls.
Qu'il y a une grande partie de l'opinion belge qui découvre progressivement leur supercherie. Que des milliers de Belges, connaissant l'état dans lequel nous avions abandonné le Congo, mesurent le chemin parcouru par le Zafte. Qu'il y a, au cæur de I'Afrique, des centaines de nos compatriotes qui entendent rester fidèles à leur seconde patrie même si les choses deviennent difficiles, qu'il y a en Belgique même des hommes
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qui se battront jusqu'au bout pour défendre une certaine conception de I'amitié entre deux peuples libres et égaux.
C'est à tous ceux-là que je pense en écrivant ces lignes. Aux obscurs comme aux notables; à ceux qui travaillent dans I'anonymat et à ceux que tout le monde connait; aux anciens missionnaires qui se sont mis au service de l'église nationale du Zaïre; aux médecins qui ont refusé de quitter leurs hôpitaux de brousse; à un Benoît Verhaegen qui, depuis quinze ans, enseigne à Kinshasa et à Kinsangani, malgré les sarcasmes de quelques intellectuels de gauche qui n'ont jamais eu le courage de se mouiller; au professeur Doucy qui, dans des circonstances extrêmement délicates, réussit à sauver les relations
entre Bruxelles et Kinshasa, dont il reste l'éminent défenseur; au ministre Alfred Cahen dont I'intelligence souriante vint à bout, pendant dix ans, des lacunes et des maladresses de notre diplomatie et que qui a rang d'institution, rue des la mesquinerie - d'écarter de Kinshasa; à cet offiylslf Quatre-Bra5 - usages m'interdisent de nommer ici que les cier et qui a mis toute sa vie au service de sa patrie d'adoption; à ces capitaines d'industries car il y en a quelques uns malgré tout qui ont compris que l'élaboration d'une nouvelle économie zaïroise devait avoir le pas sur leurs intérêts; à ce fonctionnaire de la coopération qui m'écrit spontanément : < vous ne direz jamais avec assez de force que Mobutu a donné à son peuple la seule arme qui puisse assurer son développement et qui est la fierté d'être zaïrois, d'être africain ,. Je pense à tous ceuxlà et à tant d'autres. Je connais leur enthousiasme et leur obstination. Et je dis, pour I'honneur de mon pays, que cette obstination et que cet enthousiasme pèseront plus lourd que les écrits de quelques nabots.
u cours de son assemblée générale du 30 mars 1964, I'Union professionnelle de la presse belge adopte une motion qui condamne Pierre Davister pour l'article dans lequel il relatait I'incident provoqué à Liège par la présence de Chomé. (1) Cette motion me sidère d'autant plus que je sais ce que les dirigeants de cette Union ont fait en d'autres - notre profescirconstances, il est vrai pour valoriser sion, pour en garantir l'indépendance et pour en faire reconnaître la dignité.
Ayant pris
conna:issance de I'éditorial de M. Pierre Davister paru dans Spécial du 13 mars 1974, sous le titne << La Chute de lules Chomé profession'r, l'Union nelle de la presse belge constate que M. Davister a manqué fondamentalement aux règles déontologiques qui d'oivent régir l'exercice de Ia profession de iournaliste. Elle souligne combien cette attitude est de nature à compromettre gravement Ia réputation de I'ensemble de la presse belge.
(I) Il
est consternant de devoir constater que cette motion a été adoptée par 223 voix contre une et huit abstentions. Mais il est significatif, sans aucun doute, que le vote négatif émane d'un des doyens.de notre profession, dont I'indépendanèe d'esprit, la probité professionnelle et le courage intellectuel sont exempfaires.
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A plus d'un titre,
ce texte me parait franchement ahu-
rissant.
Et tout d'abord, quel est ce tribunal qui condamne sans même I'avoir entendu celui qu'il prétend juger
-
?
Que Pierre Davister ne soit pas membre de I'Union, importe peu en I'occurrence. D'ailleurs, le serait-il que d'aucuns lui en feraient le reproche: I'Union ayant pour raison d'être de défendre les intérêts syndicaux des journalistes, il est préférable que les propriétaires de journaux n'en fassent pas partie. Il arrive cependant que des ( patrons > continuent d'exercer leur métier d'écrire; c'est incontestablement le cas de Davister. Dès lors, comment comprendre comment admettre qu'une assemblée de professionnels ne convoque pas -un des siens, ne I'invite pas à s'expliquer, à se défendre, avant de le juger ?
En
second lieu,
la motion de I'Union
professionnelle constitue une ingérence intolérable dans une affaire
judiciaire.
En effet, dès le lendemain de la parution de I'article de Pierre Davister, Jules Chomé annonce qu'il entend poursuivre le rédacteur en chef de u Spécial > pour provocation à attentat et menaces sous condition. Se taillant un joli succès parmi les gens de robe qui arpentent la salle des pas-perdus de la place Poelaert, Jules Chomé affirme même qu'il va traîner Pierre Davister en Cour d'Assises. Le 2O mars, Me Chomé
donne le feu vert à ses amis chroniqueurs judiciaires : ils peuvent annoncer la nouvelle. Et va pour la cour d'Assises
!
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Dès lors, la motion adoptée par I'Union professionnelle dix jours plus tard, apparait d'une rare inconvenance. On imagine I'usage que l'avocat de Chomé pourra en faire, lorsqu'il s'agira de plaider...
L'affaire est d'autant plus scabreuse que, d'un point de vue strictement juridique, l'article de Davister ne contient rien de répréhensible. Il ne suggère rien, ne souhaite rien : il prévoit. Davister évoque l'éventualité de la mort du commis voyageur mais c'est pour /a déplorer. Ce sont ces mots-là qui figurent dans le texte.
Bien entendu, les défenseurs de Me Chomé soutiendront-ils une thèse différente, se plaçant au niveau des intentions, des intonatons, des ellipses, bref, de ce qu'il faut lire entre les lignes. C'est, sans doute, leur droit et c'est, de toute évidence, leur affaire. Mais fallait-il pour autant que I'Union de la presse leur tende la perche, leur facilite la tâche, bref, prenne position dans une affaire qui si elle concerne la liberté d'expression
- Jules ChomS çsnçs1ne également la dont se réclame liberté de la presse dont se prévaut Pierre Davister ? Enfin, il est une question que je ne puis m'empêcher de poser. L'Union professionnelle accuse Davister d'avoir manqué fondamentalement aux règles de la déontologie. Quelle déontologie
?
Celle de la prudence ou celle de l'engagement ? Celle que l'on se mitonne dans la quiétude des salles de rédaction ou celle que l'on se forge sur le terrain ? Celle qui est enfermée dans des textes de loi ou celle qui est libre comme la vie, comme I'action ?
J'ai toujours pensé que le journalisme était un métier
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il
consiste à témoigner; c'est-à-dire, de connaître et ensuite, d'exprimer ce que ['on connait.
difficile dans la mesure où
On dit généralement que notre premier devoir est d'être objectif. Après avoir exercé ce métier pendant vingt ans, je crois pouvoir dire que ce n'est pas tout à fait exact. Tout simplement parce que l'objectivité me parait impossible.
Le journaliste n'est pas un historien, même s'il
est
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prolongés, étalés dans le temps et dans l'espace, ceux-là ont une opinion très différente. Hélàs, nous ne fûmes qu'une douzaine à suivre régulièrement, sur le terrain, les évènements des années sombres que le Congo connut entre 1960 et 1965. Et depuis que le général Mobutu a pris le pouvoir, nous ne sommes plus que cinq ou six, en vertu du principe regrettable qui veut que le métier d'envoyé spécial s'accomode des guerres et des drames, mais perd sa raison d'être lotsqu'un pays retrouve la paix et la prospérité. (1)
plongé dans I'histoire immédiate. Sa première tâche est
de vivre dans le concret, de côtoyer des hommes vivants, de réagir en homme vivant à des situations concrètes. Même s'il voulait être objectif, le pourrait-il Je ne crois pas.
Depuis quinze ans, qu'avons nous vu Congo, puis au Zaire ?
-
et vécu
-
au
?
Par contre, il a le devoir d'être honnête. L'honnêteté, voilà notre tâche première. Nous ne pouvons pas trahir, ni ceux dont nous parlons, ni ceux auxquels nous nous adressons; et nous ne pouvons pas nous trahir nousmêmes, en tombant dans les pièges de l'écriture. Mais je pense aussi que ce devoir fondamental celui - : le de I'honnêteTé s'accompagne d'un double droit - et le droit à I'enthousiasme. droit à f indignation C'est de cela qu'il s'agit dans I'affaire qui nous occupe.
Dans un premier temps, des sécessions, des luttes fratricides, des interventions étrangères, des trahisons, des déchirements, des défaites diplomatiques.
Et pourtant, à l'époque déjà, un homme seul fait front devant tant de malheurs. Au lendemain même de son indépendance, la jeune république se trouve brusquement privée d'une armée disciplinée, amputée de sa province la plus riche, abandonnée par quatre-vingt pour cent de ses cadres administratifs. Par son extraordinaire sang-froid, sa force de persuasion, un labeur incessant, Mobutu réussit en quelques mois à conjurer la mutinerie, la panique, le désastre économique.
Dans nos journaux, on a beaucoup médit du Zaire et de ses dirigeants. La plupart de ces articles négatifs étaient écrits par des gens qui n'avaient jamais mis les pieds à Kinshasa; d'autres séjournèrent at Zdire le temps qu'il fallait pour habiller leurs préjugés et leurs parti-pris des oripeaux de la véracité. Ceux
ont effectué, au Zaire, des séjours fréquents,
En 1961 et 1962, le chef de I'armée congolaise livre un long combat contre la sécession katagaise et les impérialistes qui la soutiennent. Finalement, il en vient à bout.
(l)
Actuellement, il n'y a pl:us qu'un serrl journaliste belge qui réside en permanenoe au Zaïre: Omer Marchal, envoyé spécial
permanent de n SÉcial ,.
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En 1963 et 1964, il doit affronter une rébellion sanglante qui frappe tour à tour le Kwilu, le Kivu et la Province orientale. La lutte est inplacable mais, une fois de plus, Mobutu force la victoire et sauve I'unité de son pays.
Pendant toutes ces années, iI a eçpéré que les hommes politiques enterrent leurs querelles, renoncent à leurs divisions, organisent I'Etat. En vain.
En novembre 1965, l'armée congolaise constate les carences et les errements de la classe politicienne. Le 24, elle confie le pouvoir au général Mobutu. Depuis lors, les évènements ont subi une accélération vertigineuse.
Sur le plan politique, le président Mobutu réussit à forger une conscience nationale pour ce peuple dont nous avions dit si souvent qu'il était composé d'une multitude d'ethnies. Il crée des institutions solides pour ce pays qui s'était balkanisé, deux ans plus tôt, en plus de vingt n républiquettes >. It rétablit I'ordre et la sécurité dans des régions que les luttes tribales et les ambitions personnelles avaient déchirées. Il veut que le Zaire puisse disposer d'un bureau politique qui décide, d'un conseil exécutif qui gouverne, d'une assemblée nationale qui réfléchisse, d'un parti qui anime. Et il y réussit.
Sur le plan économique, le président Mobutu nationalise les ressources naturelles, met fin au pillage de son pays par les sociétés multinationales, rend vigueur et crédit à une monnaie qui s'était littéralement effondrée, encourage la création de tout un réseau d'industries de transformation et d'entreprises de services, veut transformer I'agriculture coloniale en cultures vivrières,
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enfin, par la zaïrianisation, entend confier l'ensemble du secteur économique à des nationaux zaïrois. Sur le plan culturel, le président Mobutu crée l'université nationale, encourage les églises à se rapprocher des valeurs authentiques du peuple, appelle à une réforme radicale de I'enseignement afin qu'il soit mieux adapTé
aux réalités nationales, invite tous les Zaïrois à
se
débarasser des aliénations coloniales et à retrouver leur
identité profonde. Sur le plan international enfin, alors que le Congo était devenu l'homme malade de l'Afrique, le Zifue est aujourd'hui une des nations-pilotes du tiers-monde. Le président Mobutu à joué un rôle déterminant sur le plan de I'unité africaine et il est un des grands artisans de la solidarité entre I'Afrique noire et les pays arabes. Avec les présidents Kaunda et Nyerere, il â pris la tête de la lutte contre le colonialisme portugais, le racisme rhodésien, I'impérialisme sud-africain. Il a su établir des rapports d'un type tout nouveau avec la Chine populaire mais il n'a pas rompu, pour autant, ni avèc -les Etats-Unis d'Amérique, ni même avec l'Union soviétique. Dans les capitales européennes, il s'est imposé comme un interlocuteur de tout premier plan. Dans les conférences internationales Organisation de I'Unité Africaine, sommet des non-alignés, assemblée générale des Nations-Unies il est un des leaders les plus écoutés de ce monde- nouveau qui entend faire respeiter ses droits face à I'impérialisme et à la domination économique. Il est, avec le président Boumediène et le shah d'Iran, de ceux qui veulent remplacer les rapports de pillage par des rapports de coopération.
Voilà l'homme qui préside aux destinées du Zaire
et
voilà l'énumération très succinte des évènements auxquels nous avons assisté.
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Et l'on voudrait nous thousiasme
d'en parler avec
en-
?
Et I'on voudrait
condamner I'indignation
qui
nous
par envahit lorsque nous lisons les écrits de ceux qui pure bêtise, par pure ignorance ou par pure méchanceté insultent cet homme-là, le traînent dans la boue,-I'accusent des pires turpitudes ? C'est
que
je
reviens
à I'affaire
Chomé-Davister.
Parce que je comprends mieux que quiconque l'enthousias'me de celui qui fut le témoin le plus assidu et le plus proche de la renaissance zaïroise, je comprends
aussi mieux que quiconque, son indignation. Je la
comprends et je la partage. Et je comprends que dans un article, concernant les écrits de Chomé, il utilise des expressions que d'aucuns jugeront passionnelles et d'autres malhabiles. Peu importent, après tout, les sensibilités et les sensibleries. Ce qui compte c'est que dans
notre monde d'allusions prudentes et d'euphémismes Iénifiants, un journaliste puisse encore veuille encore, ose encore dire ce qu'il pense et l'écrire sans fard.
-
Voilà notre déontologie. Et il me semble qu'elle en vaut bien d'autres.
u'ils soient de gauche ou de droite, les nostalgiques du Congo Belge ont en commun la hargne dont ils poursuivent les Zaïrois et leurs dirigeants.
Les nostalgiques de droite ne pardonnent pas à ces dirigeants de les avoir dépossédés de leurs privilèges. économiques. Les nostalgiques de gauche de leur avoir enlevé le privilège de penser à leur place. Cela se vérifie pour le Zaïre comme cela se vérifie pour
I'Algérie. Une partie de la gauche française, qui s'était montrée favorable à la lutte de libération nationale et qui, parfois même, I'avait soutenue activement - ne cesse - en partide critiquer I'Algérie indépendante et insulte, juin culier, les hommes qui depuis le 19 1965, président à son destin.
Il faut noter ici
que le régime du président Mobutu est attaqué uniquement par des ( progressistes ) belges alors que le régime du président Boumediène I'est uniquement par des ( progressistes français. "
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Cela nous confirme dans la conviction qu'il s'agit chaque fois d'un phénomène de post-colonialisme intellectuel. Dans un cas comme dans I'autre, ces censeurs u durs et purs > sont des colonisés du cerveau. Qu'ils parviennent à entraîner dans leur sillage quelques étudiants expatriés ou quelques opposants politiques ne change rien aux faits. A chacun ses harkis !
Cette attitude de dénigrement systématique procède d'un mépris très profond et même d'un certain racisme. Lorsqu'elle est le fait de journalistes, elle leur permet d'écrire n'importe quoi, sur base de ( sources généralement solides )) ou de u rumeurs émanant de milieux bien informés dont la nature n'est jamais précisée.
"
Prenons un exemple concret et récent, qui concerne précisément le Zaire. Dans son numéro du 5 mars dernier, le u Journal d'Europe > annonce I'arrestation du commandant en chef de I'Armée zaïroise, le capitainegén&al Bumba-Moasa. Information qui ne repose sur aucun fondement et que le capitaine-général démentira quelques jours plus tard en venant lui-même à Bruxelles. Mais le petit frère hebdomadaire du u Soir ,, ne s'arrête pas en si bon chemin. Dans le même article, en effet, il écrit que le décès du directeur politique du MPR, Mandrandele-Tanzi, ne serait peut-être pas tout à fait naturel.
Et voilà. Cette information est lancée
la moindre précision, sans la moindre preuve, sans indiquer la moindre source et même sans porter de signature. sans
Imagine-t-on le u Journal d'Europe > écrivant que la mort du président du Sénat belge, Paul Struye, ne serait peut-être pas tout à |ait naturelle ou que le décès du président de la République française, Georges Pompi-
ECRIRE EST UN HONNEIJR
dou, pourrait être dû à une cause qui ne serait pas la ? Poser la question, c'est y répondre. Et la
maladie
réponse est négative.
Le président Struye était Belge et il est mort en Belgi-
que; le président Pompidou était Français et il est mort en France. Mandrandele-Tanzi,lui, était Zaîrois, et il est mort au Zaïre. Dès lors, aux yeux de certains, toutes les insinuations sont permises, tous les ragots, toutes les malveillances. La déontologie journalistique là-dedans ? Pas d'importance ! On nous dirait que l'auteur de ces qui ne respecte même pas la mort d'un homlignes - la seule raison que cet homme est noir on me pour nous dirait que cet auteur a voté la motion de I'Union que cela professionnelle condamnant Pierre Davister, ne nous étonnerait pas. Pire : cela procéderait d'une certaine logique...
La hargne et les sarcasmes avec lesquels certains u spécialistes > ont accueilli la politique d'authenticité lancée par le président Mobutu, est sans doute de la même veine.
Que les Zaïrois appliquent des critères qui ne sont pas les nôtres, inventent des catégories qui ne sont pas les nôtres, retrouvent des valeurs qui ne sont pas les nôtres, cela parut invraisemblable, intolérable même, aux yeux de certains ( penseurs ). Cette réaction relève d'ailleurs d'une attitude beaucoup plus générale qui veut que l'Afrique centrale n'ait pas de pensée propre et qu'elle soit incapable de définir pour elle-même un système de valeurs"
la justification fallacieuse donnée pendant si longtemps à la colonisation : notre but n'était pas d'exploiter les ressources naturelles de I'Afrique, il était de " civiliser " les Africains. . " D'où
ECRIRE EST UN HONNËUR
Ce complexe de supériorité imbécile n'a pas disparu avec I'accession de l'Afrique à son indépendance politique : bien au contraire. Très souvent, il cache une vulgarité intellectueile ahurissante et, de toute façon, une méconnaissance totale des valeurs culturelles des Africains.
Faut-il rappeler comment fut reçue, ici, la décision du président Mobutu d'inviter ses concitoyens à échanger les prénoms que les missionnaires ou les administrateurs leur avaient imposés, contre des noms appartenant aux
traditions et aux langues du Zaïre? Que de commentaires désobligeants, que de sous-entendus malveillants et, même, que de plaisanteries de corps de garde. .. Pire et c'est cela qui est franchement - fausses traductions de la part de que de infâme
- linguistes, que d'interprétations fallacieuses prétendus dans la bouche de pseudo-ethnologues ! Que de phrases dans le genre de celle-ci : ( ce nom-là, savez-vous ce que cela veut dire ? moi je le sais ! u, suivies de précisions grotesques et farfelues. Quelle dérision et quelle honte ! C'est à ce moment-là, sans doute, que j'ai le plus ressenti la bassesse et la bêtise dont certains sont capables, qui prétendent connaître I'Afrique etle Zaire et qui ne cessent de répéter : u ces gens-là, je les connais, je sais comment les prendre, au fond je les aime bien u.. . Mais vous ne les respectez pas, salauds, alors que c'est çsln et rien que cela qui importe. Le respect,
c'est-à-dire, la déférence; la- certitude d'être égaux même si I'on est différents; la volonté de connaître I'autre pour lui-môme; le sentiment profond d'appartenir à la même race qui transcende les races.
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Ce respect-là nous amène à comprendre le sens profond
de cette première mesure, prise dans le cadre de la politique d'authenticité: la substitution des noms. I1 s'agissait de faire comprendre à des hommes souvent peu cultivés, qu'ils avaient une culture; de les convaincre qu'ils devaient se libérer de la forme la plus abjecte du colonialisme: celle qui consiste à conquérir les âmes; de les amener à poser un acte personnel qui les rapproche de leur identité réelle; de les inciter à retrouver leur dignité, leur originalité; en un mot, de les aider à être eux-mêmes. Comme tant d'autres, Jules Chomé est de ceux qui n'ont pas pu qui n'ont pas voulu comprendre - de son livre l'indiqte: - du sergent cela. Le sous-titre I,oseph-Dêsiré... Comme si Mobutu (qu'un règlement imbécile de l'administration coloniale ernpêchait d'avoir un grade supérieur à ce grade-là) était responsable de ce prénom imposé par les missionnaires... Si Chomé avait lu honnêtement le livre que j'ai écrit sur Mobutu en 1962, il aurait peut-être retenu ce passage : on lui donna un d'ouble prénom : Ioseph-Désiré et son père y aiouta le nom de Mobutu pour faire honneur à l'oncle guerrier.L'authenticité déjà ! Parce qu'elle n'est pas I'invention d'un régime, parce qu'elle répond au génie séculaire d'un peuple.
Un peuple dont Mobutu est le fils avant d'en être le pour son bonheur et par fidélité chef. Et qui le
- tel. reconnaît comme
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POSTFACE propos de l'affaire Chomé-Davister, j'ai dit ce que je I'ai écrit. j'avais à dire. Mieux ou pire ?
A
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Que les esprits soupçonneux se rassurent : je ne fais pas partie de la rédaction de u Spécial " et je ne suis pas appointé par la société qui édite cet hebdomadaire. J'ai quitté la rédaction de " Spécial , il y a cinq ans, pour des raisons personnelles. Je suis un homme libre et c'est de cette liberté-là que j'ai fait usage dans les pages qui précèdent.
Je n'ai pas montré ce manuscrit à Pierre Davister, ni à son avocat, ni à aucun de ses proches. En fait, je ne l'ai montré à personne et je n'en aurais d'ailleurs pas eu le temps : je l'ai écrit d'un trait, en deux jours, puis je I'ai remis à I'imprimeur. (1) J'espère que ces pages puissent contribuer à cerner la vérité dans une affaire qui a soulevé tant de passions, tant de malentendus, tant d'hypocrisies. (l) Si j'ai eu I'occasion de publier cette plaquette et de la je le dois aux encouragements publier en un temps si court et aux appuis de quelques amis,- parmi lesquels je cite avec plaisir André et Rayrnond Naumann des éditions Dereume.
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J'espère qu'elle puissent servir un métier que j'aime par dessus tout et qui fut mis en cause ces jours-ci. J'espère qu'elles puissent faire mieux connaître l'action d'un homme qui a fait d'un pays à la dérive, une grande
nation.
Mais la franchise exige son tribut. J'en mesure tout le risque. L'enthousiasme dérange, f indignation indispose.
On ne prend pas position impunément, surtout lorsqu'on le fait par écrit.
Je devine quels seront, demain, les reproches qui me seront adressés. J'imagine les procès d'intention qui me seront faits, le doute que feront planer certains de mes confrères sur les mobiles cachés, sur les motivations réelles de ma démarche. Auraient-ils oublié neur ?
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ceux-là
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qu'écrire est un honFrancis Monheim
Editeur responsable
D.
1974 - 0584 -
0i
:
Francis Monheim 3, Square de Biarritz 1050 Bruxelles