Causette#IPJ

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Par les étudiants en journalisme d’IPJ-Dauphine

DRAGUE

VIVE LES QUÉBÉCOISES

LIBRES !

CLANDESTINS

Maman sans papiers Enfants sans papa

ENQUÊTE LE MACHISME CHEZ LES TRANS

CARMEN COLLE

LA FEMME QUI A VAINCU CHANEL

D O S S I E R

JAMBES

JE FANTASME SUR LES PLÂTRES, ET ALORS ?

#IPJ - janvier 2013



É D I T O

Nom d’un chien ! On partait la queue entre les jambes : réaliser un mensuel en deux semaines, ça ne laisse (ouaf ouaf !) pas le temps de grenouilller. On savait qu’il allait falloir courir comme des lapins et suer comme des bœufs. Déjà, trouver sa place dans le troupeau : chefs, rédacteurs, secrétaires de rédac’ (SR) et photographes. À chacun son territoire. Quelques coups de gueule, quelques coups de griffes, pas de combat de coqs pour autant. Les chefs de meute doivent tenir les rênes, les rédacteurs être curieux comme des fouines et les SR chercher la petite bête. Quant aux photographes, travail de précision oblige, un œil de lynx est indispensable. Myopes comme des taupes s’abstenir ! Dans le choix des articles, on a été malins comme des singes. Exit les sujets caméléons qui peuvent se fondre dans n’importe quel canard. À nous l’originalité, on assume notre araignée au plafond. Les rédacteurs furètent à droite à gauche et ouvrent autant d’huîtres que nécessaire pour trouver la perle rare. Mieux vaut être bavard comme une pie que muet comme une carpe pour sortir les vers du nez des interviewés. Après s’être pris le chou pour finir un papier, on chamboule tout comme des chiens dans un jeu de quilles. Difficile pour les rédacteurs d’avaler la couleuvre. Ils traînent un peu la patte, mais, têtus comme des mules, persévèrent jusqu’à nous satisfaire. De leur côté, les photographes ont d’autres chats à fouetter. Shooting en extérieur, chair de poule assurée. Retour dans leur bocal, ils sont comme des poissons dans l’eau. En dernière ligne, les SR, rusés comme des renards, mettent en page images et textes. Ils deviennent chèvre à force de relectures. Dans leur terrier, ça fourmille et ça picore en permanence. Schtroumpfs, crocodiles, nounours, ils se gavent comme des oies. Après 10 heures à cliquer sur leur souris, imaginez l’odeur de putois !

Dans cette jungle, à chacun son caractère de cochon. Entre ceux qui font la mouche du coche et ceux qui bayent aux corneilles, vient le moment où il faut prendre le taureau par les cornes et donner un bon coup de fouet. Tant pis pour ceux qui montent sur leurs grands chevaux. Il est arrivé que l’on se vole dans les plumes, que l’on ait un coup de cafard, que l’on soit d’une humeur de chien à force de se lever avec les poules et de se faire poser des lapins. Les langues de vipères, vraies peaux de vache, se sont tirées dans les pattes et les ours mal léchés ont parfois ruminé dans leur coin-coin. Au final, pas de lézard. Sommes tous gais comme des pinsons le jour du bouclage. Fiers comme des paons avec notre canard sous les yeux.

LAURÈNE ET ÉLÉONORE


Photo de couverture : Gaëlle Coursel, Rémy Chidaine Modèle : Bérengère Friess CAUSETTE #IPJ 24, rue Saint-Georges, 75009 Paris TEL : 01 72 74 80 00 - FAX : 01 72 74 80 01 redchefipj@gmail.com Directeur de la publication Pascal Guenée Rédactrice en chef Laurène Loth Rédactrice en chef adjointe Eléonore Friess Directrice photo & Direction artistique Gaëlle Coursel Photographes, iconographes Rémy Chidaine, Coralie Lemke, Céline Landreau, Anne-Sophie Warmont Secrétaires de rédaction Pierre Stassen (premier secrétaire de rédaction), Sophie Watine, Stéphane Quintin, Léa Autran, Boris Hallier, Thomas-Sean de Saint Leger, Léo Dussollier, William Borel, Apolline Bouchery, Antoine Faivre Journalistes Claire Barrois, Romain Lescurieux, Mario Bompart, Ophélie Giomataris, Léa Bastie, Constance Daulon, Bleuenn Le Borgne, Thibaut Geffrotin, Fabien Mulot, Pierre Menjot, Sophie-Amélie Simonnet, Baptistine Philippon, Antonin Vabre, François-Xavier Lambert, Corentin Pennarguear, Maxime Buathier, Antoine Delcourt, Manon Lemoine, Morgann Jezequel, Marine Deperne, Aurélie M’Bida César Armand, Marie-Caroline Carrère, Elsa Ponchon, Ysaline Herman, Marius Blénet, Laëtitia Kretz, Laura Pouget Illustrateurs Elsa Ponchon, Clément Quintard Remerciements Bérengère Friess, Clément Halborn, Marc Fernandez, Anne Tézenas du Montcel, Patrick Chatellier, Stéphane Parain, Le Chalet Savoyard, L’Agence Buzzman Diffusion France : IPJ / Ce numéro est tiré à 100 exemplaires Prix de vente : NC www.ipj.eu

Facebook.com/pages/ipj Twitter.com/ipjdauphine Les manuscrits et dessins ne sont pas renvoyés.

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19/12/12 18:31


S O M M A I R E

6

DANS LA RÉDACTION DE CAUSETTE IPJ

10 ROMAIN, UN HOMME, UN VRAI 11

ON NOUS PREND POUR DES QUICHES !

17 LA FAUSSE PUB DES NASOBOULES 18 LA COPINE DE CAUSETTE

46 CARRIE CANCÚN Chaud devant !

47 CORPS ET ÂME Lâchez-nous la jambe !

54 ENQUÊTE MÂLE UN JOUR, MÂLE TOUJOURS

58 LA RÉCLAME D’ELSA

Carmen Colle sous toutes les coutures

59 PORTFOLIO 24 REPORTAGE FRANCE : PAPA N’EST PAS EN VOYAGE D’AFFAIRES

Alimentation Générale

66 LA FESSE CACHÉE DE LA MÉNAGÈRE Joséphine : « Je suis la femme de l’ombre »

30 PENDANT CE TEMPS-LÀ Le scarabée idole des fainéants

68 LE CABINET DE CURIOSITÉ Elisabeth Kuyper : Une utopiste au pupitre

31 POLITIQUE 31 Sous le voile, le féminisme ? 36 CAUSETTE IPJ S’ENGAGE POUR LA SYRIE 38 Et un, et deux, et trois livrets de famille

72 LA CABINE D’EFFEUILLAGE CÉDRIC VILLANI : « JE NE SUIS PAS UN ZÉRO »

79 CULTURE 39 COUP DE PROJO Drague : Quand la Québécoise croque monsieur

42 VUE DU LABO La bête en nous

44 LA CHRONIQUE DU DR BISCOTTE Mais qui a le plus gros zizi ?

8O Jil is lucky sort les griffes 82 Sirius Plan, trois rockeuses qui détonnent 84 Cinéma 87 Rero en mode barré 88 Carole Guisnel, folie douce 93 Pour les pitchous

96 BORBORYGMES 97 BONBONOSCOPE

CAUSETTE #IPJ • 1


D A N S

L A

R É D A C T I O N

D E

C A U S E T T E

I PJ

Thibaut

Claire

J’ai réussi à caser Johnny Hallyday dans Causette.

Je suis mannequin à mes heures [très] perdues. Du coup, en raison de ma beauté naturelle, j’ai été choisie pour poser dans la publicité vantant les mérites des bouchons de nez. Non seulement je portais doudoune, écharpe et bonnet alors qu’il faisait 25° dans la salle photo, mais en plus j’avais un rhume. Forcément, quand je me suis inséré des boules Quies dans le nez, c’est vite devenu la cata. J’ai dû lutter pendant 30 minutes contre l’écoulement de ma morve… Sans me moucher. » Claire ? Elle est très distinguée. C.

Thomas-Sean Moi je suis secrétaire de rédaction, je dois assurer la mise en page du journal. Mon problème, c’est que j’ai un chef, Pierre Stassen, très porté sur le SM. Il m’attache à mon ordinateur et me fouette violemment avec sa baguette de pain. Il n’hésite pas non plus à m’insulter en belge, avec des mots extrêmement blessants. Mais le pire, c’est qu’il mange beaucoup de fromage, et cela rend les conditions de travail très pénibles. Ton chef n’y peut rien, son pays est en train d’exploser. C.

Boris

Morgann Grande spécialiste du corps humain, j’ai voulu écrire un papier sur les malformations. J’ai dû visionner des opérations de kystes traumatisantes, mais j’étais comme hypnotisée par ce spectacle déroutant. J’ai aussi tapé « hommes poilus » sur Google et je suis tombée sur des sites pornos. Je n’en avais jamais vu ! Quelle horreur ! Pourtant quand je vois des hommes nus dans la réalité, je trouve ça plutôt plaisant.

6 • CAUSETTE #IPJ

Ma spécialité, c’est les fausses Unes de Causette. Je récupère des photos facebook des gens de l’école dans des positions compromettantes et je les insère en première page et les imprime. « Légumophilie, viens là mon chou », « Chatroulette, les mauvaises surprises »… Les titres ne sont pas tous de moi, c’est avant tout un travail d’équipe. Toute l’équipe salue ta créativité. C.


DANS LA RÉDACTION DE CAUSETTE IPJ

Bleuenn

François-Xavier

En rentrant chez moi, un homme d’une quarantaine d’années m’accoste dans la cage d’escalier : « Bonjour mademoiselle, puis-je acheter vos collants usés ? » Il m’explique être artiste et envisager une fresque réalisée à partir de collants. « C’est de la sublimation, comme dans ‘‘ Belle toute nue ’’ sur M6. Vous connaissez ? », me demande-t-il. Je lui ai légué des collants (propres, je précise). Puis j’ai donné son contact à la rubrique Corps et âmes, spécialisée dans les jambes. Toutefois vous ne retrouverez pas son témoignage dans notre Causette. Antoine a eu trop peur de le rencontrer...

Moi, mon truc, ce sont les zones de guerre, le grand reportage. Dans l’optique du magazine école, j’ai donc proposé de me rendre en Syrie pour rendre compte des exactions de Bachar. On m’a vite signifié un manque de budget. Ok. Je me suis donc rabattu sur les conditions de vie des réfugiés syriens à Paris. J’enquête, je fouille, je sors mes habits de grand reporter en gros. Mon sujet est d’abord trappé, faute de place, puis sauvé, puis à nouveau trappé, puis repris. Maintenant, je pars à Marseille, ça fera l’affaire. Dommage. On est sûrs que tu aurais mis fin à la guerre. C.

Courageux cet Antoine. C.

Marius En tant que Docteur Biscotte, je n’ai fait que parler de cul pendant deux semaines. C’était assez instructif. J’ai pu expliquer des concepts comme la bifle ou l’olive au sociologue Michel Fize. Un grand moment. Un autre temps fort de mon expérience Causette restera ma séance photo en tant que travesti pour illustrer un article. Jupe, collants, collier de perle et rouge à lèvres. Sans oublier le vernis à ongles rouge que j’ai dû garder 24 heures. Au final, ce sont des jouets qui illustreront l’article… Et l’olive tu l’as goûtée en fin de compte ? C.

Anne-Sophie On était à la recherche d’une image pour illustrer la Fesse Cachée de la Ménagère sur le téléphone rose. Ayant un combiné rouge à poils chez moi, je me suis naturellement proposée de la réaliser. Je me suis lancé un défi : faire poser ma lapine. On dit bien « baiser comme un lapin », non ? Fantomette a beau être stérilisée, elle a une pilosité très développée, parfaite pour la Fesse Cachée. Après une heure à l’empêcher de bouffer le téléphone et de sauter partout, j’ai finalement obtenu une photo potable et réussi à recycler mon animal pour Causette. Merci à Fantomette la Poilue. C.

Éléonore Je suis rédactrice en chef adjointe du Causette IPJ. Un poste qui implique de prendre ses responsabilités et de donner des ordres à tout le monde. Forcément, quand je me suis retrouvée à poser en culotte, la jambe entourée de papier toilette pour la rubrique Corps et âmes, j’ai perdu une grande partie de ma crédibilité. C’était improbable mais rafraichissant. C’est un peu ma philosophie de vie : si je peux me mettre nue pour rendre service à la communauté, je le fais ! Faire poser sa chef nue... Y a bien que chez nous qu’on voit ça. C.

CAUSETTE #IPJ • 7




U n

h o m m e ,

u n

v r a i

Ă€ force d'attaquer le machisme, on finit par obtenir une contre-attaque. Causette, belle joueuse, le laisse parfois s'exprimer. Bref, on a retrouvĂŠ Romain.


PHOTO : RÉMY CHIDAINE

On nous prend POUR DES

quiches


On nous prend pour des quiches !

À poil pour sauver l’industrie

Tout tout bio Après les petits manteaux et chaussons chauds pour les papattes ou encore les pochoirs colorés pour donner un

look plus rock à Médor, le vert envahit les gamelles. Au revoir croquettes, pâtés et friandises industrielles. Bonjour au tout bio pour les babines. Au menu de Rantan-

plan : croquettes de volaille et ses trois céréales chez Nestor Bio, pâté de bœuf et ses petits légumes chez Equilibre & Instinct, et biscuits à la pomme pour le plaisir (et l’hygiène buccodentaire) chez Forza10 Bio. Que des produits sains, pour le bien-être de votre sac à puces.

On trouve même des ingrédients inattendus aux vertus thérapeutiques pourtant bien reconnues : de la chicorée pour que Félix fasse sa crotte le matin, de l’aloe vera pour

que les poils de Milou soient tout doux et des algues,

source de vitamines et de minéraux, pour le transit intestinal de Minette. Miam ! Et si comme nous, nos compagnons à quatre pattes se montrent capricieux, pas de

panique ! Certaines de ces recettes existent sans gluten,

version végétarienne ou allégée pour toutous et matous obèses. Le tout, sans OGM ni conservateurs. A quand les shampoings bio pour un pelage soyeux et souple ? Le calendrier le plus corporate de l’année ? Incontesta-

blement celui du « Byelorussian Steel Work », géant sidérurgique biélorusse, qui n’a rien trouvé de mieux que de faire poser nues ses employées pour l’édition 2013.

A chaque mois une position suggestive sur fond d’étincelles métallurgiques. Car les femmes et l’acier, c’est

plus où moins pareil explique le site de BSW : « Au pre-

mier abord, l’acier est un matériau ferme et dur, mais quand il change d’état il devient doux et souple. Inversement pour

les femmes, élégantes et délicates en toutes circonstances, mais en même temps pleines de confiance, de courage et de

volonté. » Précisons quand même qu’un casting a été organisé au sein de l’entreprise afin de sélectionner les

mieux gaulées des salariées. Une bonne idée pour redonner des couleurs à Florange. L.P.

12 • CAUSETTE #IPJ

Ah, bah, ça existe déjà. E.P.


ON NOUS PREND POUR DES QUICHES

Men’s health ou la morpho-baise Messieurs,

doute pas consommables.

légier la posture plus athlé-

rupteur à l’aide d’un petit

dame, il faut adapter la

sa

missionnaire !

Quant aux gros lolos ou

pour bien honorer maposition à sa morpholo-

gie. Si si, c’est Men’s Health

qui nous le dit. Il faut reconnaître que la version

française du magazine US

100% mec est coutumier du fait. Tous les mois, des

conseils plus fins les uns que les autres : comment

repérer la nana « qui veut

du sexe dans les toilettes de la boîte de nuit » (c’est celle

qui a un haut transpa-

rent !), ou bien comment

A

chaque

morphologie

psychologie

(parce

qu’évidemment les deux vont de pair). Les femmes sveltes, celles qui ressemblent

à

des rectangles,

« prennent généralement

soin

tique du kamasutra : le

Pour les petits seins et gros

derrières, alias les

Ne pas dire : « Tu as une belle paire tu sais »

d’elles ».

« poires », gnez

la

mière !

femmes

éteilu-

Ces

Si

leurs atouts. Ne pas dire par exemple : « tu as une

elles prennent la grosse

leur permettent de se montrer

calcitrant, pas de panique !

Logique, il faut donc privi-

ne pas trop les flatter sur

vous

n’êtes pas écolo dans l’âme

sous toutes les coutures ».

surtout recommandé de

belle paire, tu sais ». Il ne

Fières de leur corps, « elles

apprécient les positions qui

« triangles inversés », il est

sont

naturellement

complexées.

schéma explicatif.

et si vous êtes un voyeur réMen’s Health vous rappelle

comment baisser l’inter-

faudrait pas qu’en plus tête. En revanche, il n’est

pas interdit de mater. Restez debout, asseyez-là sur le lit, histoire d’admirer ce qui fait son charme.

faire craquer une femme

Prière de ne pas fesser

chaise et regardez ses cuisses

Et la levrette ? C’est pour

même esprit, le numéro

fesses, gros roberts, type

(« asseyez-vous nu sur une avec envie »). #WTF. Dans le

d’octobre 2012 apprend aux supposés puceaux « à

tirer parti des formes » des donzelles.

Etape numŽro 1 : Žtudier les courbes C’est facile, il existe quatre types de silhouettes. Les

femmes sont soit « rectan-

gulaires » (46,12%), soit « en

poire » (20,92%), soit « en

triangle inversé » (13,62%), soit « curvilignes » (8,4%). Vous

constaterez

que

10,94% des femmes ne

sont pas prises en compte dans

ce

Celles-ci

savant

ne

sont

calcul. sans

les « curvilignes » (grosses Scarlett Johansson).

Ce qui est certain c’est qu’elles aiment être prises

par derrière et tenues par leur petite taille. Adeptes

de la sodomie, ces femmes sont pour vous ! Mais attention,

« résistez autant

que faire se peut à la tentation de leur administrer une petite fessée ».

Un dessin bien pédago

rappelle à l’ordre les petits plaisantins. Voilà, tout est

dit. Du fond du cœur, merci Men’s Health pour cette grosse barre de rire !

BLEUENN LE BORGNE et LAURA POUGET

CAUSETTE #IPJ• 13


ON NOUS PREND POUR DES QUICHES

Le parfum de la victoire Si je vous dit M75, à quoi fais-je allusion ?

bombardements israéliens. Aujourd’hui,

Euh, ce n’est pas vraiment le même délire.

l’heure est à la toilette. Une occupation

fini le bain de sang, les colonnes de fumée :

À un Mathieu anonyme qui vivrait à Paris ?

quotidienne à Gaza, qui a un coût : 10 €

À une arme de guerre ? Vous brûlez. Allez,

le flacon, décliné en version homme et

fin du suspense : le M75, c’est un tout nou-

femme. Preuve de l’engouement que sus-

veau parfum qui nous vient d’un magasin

de mode situé à Gaza. Attention, les Pales-

cite le M75, deux chefs du Hamas ont

tiniens ne s’en servent pas pour vaporiser les Israéliens,

harangué le 8 décembre leurs partisans en brandissant

est tiré du nom des roquettes longue portée du Hamas,

« Made in Gaza ». Pour défendre le « Made in France », on

mais pour humer… le parfum du cessez-le-feu. Car le sigle celles-là mêmes qui ont atteint les environs de Tel Aviv et Jérusalem du 14 au 21 novembre derniers, en riposte aux

une réplique géante du parfum, frappée de l’inscription

a Arnaud Montebourg qui enfile une marinière. Pas vraiment le même délire, effectivement. F.M.

« Rent-a-man »

IBOUFFON

« Vous avez surpris votre compagnon avec une autre ? » Des pro-

blèmes dans votre vie ? IConfi-

dent est probablement l’appli

qu’il vous faut. Un chat pour

iPhone conçu pour répondre à vos problèmes les plus intimes.

Le principe : établir un dialogue « de façon strictement confiden-

tielle » avec des coachs. Prêts à vous aiguiller sur tout, des pro-

blèmes de libido à un patron asiatique

le « réveiller sexuellement », ni de le

dire, le concept vaut le détour.

en droit d’attendre que l’homme

On

tient

la

version

d’Adopteunmec.com et, comment Créée en 2011, la société japonaise

Soine-ya Prime — « dormir ensemble uniquement » — combat le mal

d’amour des Japonaises en leur proposant de louer des hommes pour une soirée. Rassurez-vous, le sexe n’a pas sa place ici. Vous n’êtes

pas convaincu(e)s ? Pourtant, il est

écrit noir sur blanc que la femme

n’a pas le droit de « toucher les parties génitales » de son partenaire, de

14 • CAUSETTE #IPJ

filmer en secret. Par contre, elle est

fasse le ménage, la cuisine et qu’il

l’accompagne dans son sommeil. Moyennant 280 € pour 7 heures,

jusqu’à 440 € pour une demijournée. Fallait pas rêver. L’alibi de

l’entreprise japonaise ? Elle s’est

inspirée d’une série télé dans laquelle une femme divorcée n’arrive plus à

dormir en l’absence de son ex-mari. Avec Soine-ya Prime, madame est de nouveau servie. F.M.

chiant, en passant par les nausées de grossesse. Pièges à

quiches ? Non, non. Attention, rien à voir avec les ex 3615 Love

et autres arnaques à fric destinés à duper le consommateur.

Cette fois, vos coachs sont de vrais professionnels, « formés

et expérimentés », dixit le site web de l’application. Première étape : passer à la caisse. Bu-

siness is business. 1,79 € le conseil ou 14,99 € les 10, c’est donné, non ? L.P.


ON NOUS PREND POUR DES QUICHES

Le drame de la petite frite Difficile au XXIe siècle de vivre avec

année après s’être essayés à l’injec-

taille de son sexe », a cru bon de rap-

tout pour les Thaïlandais, dont le

ou même de silicone. « Une femme

Bangkok. S’il le dit, c’est que c’est

un petit pénis. La honte quoi, sur-

sexe en érection mesure en moyenne 10,2 cm, seulement. Bien loin des

tion d’huile d’olive, de cire d’abeille n’aime pas un homme en raison de la

peler un médecin de l’hôpital de sûrement vrai. F.M.

18,034 cm que peuvent fièrement afficher les Congolais, maîtres en la matière selon une étude irlandaise.

Résultat,

les

grenouilles

thaïlandaises cherchent le moyen infaillible d’égaler les boeufs congolais. Mais, comme dans la fable de

La Fontaine, le succès n’est pas probant, voire carrément absent. Jugez

plutôt : un Thaïlandais de 50 ans a

dû subir une ablation de ses bijoux de famille après s’être injecté de

l’huile d’olive dans le pénis. Le bougre, il avait attrapé un cancer. Comme lui, ils sont des centaines en

Thaïlande à être hospitalisés chaque

100 % geekette Masami Yamamoto a pensé à vous,

rien, en fait. Ah si, j’oubliais l’essen-

100% geekette. Jusqu’ici, ça claque

verture facile « même pour celles qui

mesdames, en lançant la révolution

tiel : l’ultrabook comporte une ou-

non ? Notre ami japonais et son en-

portent les ongles longs », une perle

en novembre dernier le premier or-

ou encore un liseré doré autour de

treprise Fujitsu ont commercialisé dinateur pour femme, sobrement baptisé « Floral Kiss ». Embrassonsnous,

remercions-les.

Attention,

l’engin, décliné en trois coloris –

blanc élégant, rose femme et mar-

ron luxueux -, a été développé « sous la direction d’employées de sexe féminin ». Ca change quoi ? A peu près

dinateurs pour hommes n’ont plus qu’à aller se rhabiller. F.M.

en guise de bouton d’alimentation chaque touche. Girly à en mourir. Les performances de l’ordinateur ?

Résumées en deux mots : proces-

seur core i5, 500 GB de disque dur. Non, l’important est réellement

ailleurs. Fujitsu a pensé au détail qui tue : l’application horoscope.

Avouez que ça change tout. Les or-

CAUSETTE #IPJ• 15


ON NOUS PREND POUR DES QUICHES

PORNO POUR QUICHES Merci à Marc Dorcel, le leader de l’industrie pornographique française qui a enfin pensé à nous, les

femmes. Avec Dorcelle, un site porno dit féminin, emballé dans un ravissant coffret rose. Une chronique

sur Cinquante nuances de

Grey ou des conseils sexo et shopping, pourvus d’un

graphisme glamour. Voilà qui éclairera à coup sûr

notre vie sexuelle de fifilles. Question vidéos en re-

vanche, pas de changement. Le papy du X nous

ressert les films (payants) de

sa vidéothèque : parodies

so orgiaques. Bref, de bons

un partisan du recyclage ?

qu’il nous manquait pour

autres merveilles sado-ma-

trashes à souhait. Dorcel,

comme nous sommes, ce

sign guimauve. L.P.

françaises, porno chic et

vieux classiques du genre,

Pas

grave.

Superficielles

adhérer, c’était juste le de-

Glande Power Léa est une petite veinarde et l’a fait

deuxième annonce, elle n’est même

la main. Car Houra.fr fait vraiment

tous les usagers des transports d’Île-

l’état de nature... sans quitter son ap-

femmes comblées (à moins que ce ne

savoir pendant quelques semaines à

de-France. L’héroïne de la dernière campagne de publicité d’Houra.fr est en passe de devenir la reine de la

glandouille. Car, depuis qu’elle fait

plus obligée de s’habiller. Retour à partement ! Léa atteint le summum

de la paresse dans la troisième an-

nonce où elle « se fait plaisir même

dans son lit » (ouh la coquine !). Elle

ses courses via ce site, elle n’a plus be-

peut désormais passer sa vie toute

là le rêve de toute femme qui se res-

On attend avec impatience la pro-

soin de sortir de chez elle. Elle réalise pecte. Première annonce, Léa se fait

manucurer, à domicile s’il vous

plaît ! De mieux en mieux, dans la

16 • CAUSETTE #IPJ

nue, sous sa couette. Le pied !

chaine pub, celle où l’esthéticienne viendra lui arracher à la cire le poil

qui lui aura pousser dans le creux de

tout pour faire des feignasses des soit l’inverse). B.L.B PHOTO : FEMININLEMPORTE.BLOGSPOT.FR



18 • CAUSETTE #IPJ


L A

C O P I N E

D E

C A U S E T T E

« Mailles à partir »

Carmen Colle sous toutes les coutures CarmenÊColleÊaÊvaincuÊChanel.ÊËÊLure,ÊenÊHaute-Sa™ne,ÊoùÊelleÊaÊfondŽÊsonÊatelierÊdeÊmailleÊWorldÊTricot,ÊcÕestÊ uneÊpetiteÊcŽlŽbritŽ.ÊEnÊ2005,ÊcelleÊquiÊtravailleÊpourÊlesÊplusÊgrandesÊmaisonsÊdeÊhauteÊcoutureÊproposeÊdesÊ ŽchantillonsʈÊChanelÊquiÊrefuse.ÊEnÊvoyageʈÊTokyo,ÊelleÊdŽcouvreÊqueÊsesÊmodèlesÊontÊserviʈÊfabriquerÊuneÊ mini-collection.ÊLeÊ14ÊseptembreÊdernier,ÊlaÊmarqueÊdeÊluxeÊaÊŽtŽÊcondamnŽeÊpourÊcontrefaçon.ÊUneÊpremière.

L

e cliquetis de la machine à remailler résonne dans Puisqu’il n’y a plus d’emploi, elle les créera, en montant une l’atelier. De la vapeur s’échappe du fer à repasassociation de tricot. « Nous nous souvenons tous des gestes ser. Carmen Colle, 65 ans, embrasse la pièce du de nos mères et grand-mères. Le tricot s’inscrit dans nos regard : les machines sont désormais plus nomgènes. Nos différences sont nos forces. C’est en échangeant breuses que les salariés. Cependant, ni nostalgie ni que l’on va plus loin. » Ces mots ne sont pas de simples amertume ne se lisent dans ses yeux concepts, des idées naïves. Depuis Ç LÕentreprise reprŽsentait le bleus. Seul l’avenir l’intéresse. Si son toujours, Carmen a cette philosophie combat contre Chanel l’a mise à terre, il monde du tricot dans sa dimension ancrée dans l’âme. Elle s’y accroche ne l’a pas tuée. Derrière son apparence comme une aiguille à son fil. Le nom humaine. Tous les jours, nous calme et sereine se cache une volonté même de son entreprise, World Tricot, tricotons des liens entre nous. È d’acier. Les rires résonnent de nouveau incarne son humanité. Jacques Bretel, dans l’atelier et c’est bien le plus imporun ami ingénieur, lui a soufflé l’idée. « Je tant pour elle. Les petites mains récupèrent les bobines et lui ai dit : ‘‘écoute Jacques, je souhaiterais un nom qui reflète World Tricot reprend vie petit à petit. L’humain a de nouveau sa la diversité et le rassemblement‘. Il m’a proposé World Tricot. place au sein de l’entreprise, comme elle l’a toujours souhaité. C’était parfait. Cela représentait le monde du tricot dans sa La société est née d’une idée folle, d’un « pari sur la vie », dimension humaine. Tous les jours nous tricotons des liens comme elle le dit elle-même. Le textile, c’était la spécialité entre nous, n’est-ce pas ? » de la Haute-Saône. Mais déjà à la fin des années 1980, le Nouveau tailleur secteur est sinistré. À Lure, petite ville de 8 000 habitants aux maisons grises, située près de Belfort, les rideaux de fer En 1987, ses amis d’Emmaüs et un prêtre, Jean-Marie Viense baissent au gré des délocalisations. net, lui conseillent de soumettre son projet à l’abbé Pierre. La vie de Carmen s’est construite autour des autres. Dès « J’ai envoyé un courrier en disant ‘‘voilà ce que je veux faire’’. 38 ans, Carmen se consacre en tant qu’animatrice de quarQuinze jours plus tard, j’ai reçu un chèque de 20 000 francs tier à l’alphabétisation des femmes issues de l’immigration. (3 000 euros) signé de la main de l’abbé Pierre. Et là, c’est Ces rencontres la touchent profondément. « Grâce à elles, se devenu angoissant. » Maintenant, Carmen n’a plus le choix. souvient-elle, j’ai découvert ma part de féminité, un aspect Elle a l’obligation, la responsabilité de monter ce projet. Et de ma personnalité que j’ignorais jusqu’alors. » Avec ces contre toute attente, World Tricot naît, respire et grandit. femmes, elle savoure le mélange des cultures, des cuisines, L’idée paraît incongrue, Carmen n’a aucune crédibilité. Elle de l’éducation des enfants, des odeurs et des traditions, prend des cours et s’entête. « Il fallait vraiment y croire. » Les toutes ces richesses gâchées par un taux de chômage écrafemmes avec lesquelles elle travaille sont celles qu’elle a forsant. Elle décide de mettre en avant le talent de ces femmes. mées au sein de l’association. « Nous n’y connaissions rien.

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Moi, à part les layettes pour enfants, je ne savais rien tricoter. Mais j’avais envie de créer une entreprise différente, de produire ce que les autres ne faisaient pas. » Pour son nouveau-né, Carmen ne compte pas ses heures. Sans expérience ni connaissance du milieu de la mode, et encore moins de la haute couture, elle commence à démarcher les grandes maisons parisiennes. Un sacré investissement de temps et d’argent. À partir de 1989, elle épluche toutes les revues et magazines de mode. « Une véritable boulimie », avoue-t-elle en riant. Ainsi, elle identifie une à une les personnes à rencontrer. L’une d’elles retient son attention : Jac-

queline Jacobson, co-fondatrice avec son mari, Elie, de la célèbre marque de maille Dorothée Bis. Le rendez-vous est bientôt pris. Chichement habillée d’un costume coloré, Carmen se présente à l’heure dite et pousse les portes d’un nouveau monde. « Jacqueline Jacobson m’a regardée de la tête aux pieds et des pieds à la tête », se souvient-elle. Dans le silence feutré de la maison de haute couture, l’ambiance est glaciale. « Tout cela ne m’intéresse pas », lui répond sèchement la dirigeante. Sans même regarder les échantillons apportés par Carmen. « Ça m’a fait quelque chose. Vous imaginez, je viens de loin, on a dû financer mon voyage... Pour être reçue de

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cette manière. » À ce moment, deux choix s’offrent à elle. « Je me suis dit, Carmen, soit tu pleures et tu arrêtes tout de suite, soit tu trouves une solution. » Or, se laisser abattre n’est pas dans sa nature. Elle rentre à Lure où l’attendent les femmes de l’atelier. « Je leur ai dit que le rendez-vous s’était très bien passé. Simplement, il fallait être encore meilleures. » Les motiver, c’est aussi se motiver elle-même. La leçon apprise à Paris restera gravée. « Il y avait des codes à respecter. C’était à moi de changer, à moi de m’adapter », explique-t-elle de sa voix bienveillante. Carmen achète alors du coton blanc et fabrique sept à huit échantillons : cols, poignets, etc. Elle les dépose dans une belle enveloppe en dentelle, elle-même placée dans une autre enveloppe enrubannée et envoie le tout à Dorothée Bis. Jacqueline Jacobson n’a vu que son physique et son style provincial. Maintenant, elle regardera son savoir-faire.

Petites mains et grandes maisons Le culot porte ses fruits. Deux semaines plus tard, Elie Jacobson la rappelle. « Mon épouse a reçu vos échantillons. Elle souhaiterait vous rencontrer. » Ni une ni deux, Carmen reprend le train. Qu’importe le coût. Jacqueline Jacobson agit comme si elle ne l’avait jamais vue. « J’avais changé. » Tailleur noir, chaussures noires, Carmen a appris les codes. Et les portes s’ouvrent. D’abord Dorothée Bis, suivront ensuite Christian Lacroix, Dior, Balmain, Yves Saint-Laurent, Hermès, Balenciaga, Lanvin, Jean Paul Gaultier, Thierry Mugler et bien sûr, Chanel.

World Tricot a grandi très vite. En 2000, l’atelier compte près de cent salariés. Les commandes affluent. « Nous n’avions qu’à frapper aux portes, se remémore Carmen, elles s’ouvraient ». Le succès est tel qu’elle se lance dans la production de sa propre marque, Angèle Batist, les prénoms de ses parents. Un hommage à la connaissance des anciens, à leur sagesse. C’est un message : votre savoir-faire ne mourra pas, pas tant que la jeune génération sera là pour le recevoir. « Ce lien intergénérationnel se perd. La personne âgée est de plus en plus exclue de notre monde alors qu’elle a tellement à apporter. » De l’autre côté du bureau, assise en silence, sa maman, Angèle, tricote patiemment un haut de maillot de bain. À côté d’elle se tient une stagiaire d’à peine 20 ans, les aiguilles et le fil rouge à la main. « C’est maman qui lui a tout appris », souffle Camen. Elle se tourne vers la vitre qui la sépare de l’atelier. Serrée dans son tailleur gris vert, le dos voûté, elle se tait un instant. Derrière ses lunettes aux fines branches rouges, elle observe la fabrique, aujourd’hui presque vide. À l’époque, le bruit des machines, les parfums de tissu remplissaient le vaste espace. Pourtant, ce ne sont pas des souvenirs remplis de bonheur. En 2003, Carmen commence à se sentir mal à World Tricot. L’entreprise devient une firme comme une autre, alors qu’elle la voulait différente. La production est telle que le temps manque. La création devient plus superficielle. « Nous nous trouvions à la merci de tout le monde, de tous nos clients. Nous n’avions plus de prise sur la société. Le travail s’effectuait dans l’urgence. » Surtout, elle


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perçoit un changement au sein même des grandes maisons. « Elles se sont transformées en bureaux de styles et de communication. », moins à l’écoute de leurs sous-traitants. Un étrange climat s’installe. D’un côté, la haute couture parisienne, de l’autre les sous-traitants de province. C’est la fin du dialogue.

Accroc Puis, crac, c’est l’accident, le déchirement. En 2005, World Tricot propose à Chanel un carré de maille. Le leader du luxe français n’est pas intéressé. La raison ? Il ne s’intègre pas dans la nouvelle collection. Alors que Chanel est le principal client des confections de Carmen, plus aucune commande ne leur est passée. Les mois se succèdent. Lors d’un voyage au Japon, Carmen s’arrête devant une boutique

Ç Les grandes maisons se sont transformŽes en bureaux de styles et de communication. È

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Chanel à Tokyo, effarée. Les motifs de mailles lurons ont servi à la confection d’une petite collection de la marque. Six modèles en tout. « Je savais que c’était ma création. Je ne vois pas comment j’aurais pu me tromper. » Le choc est rude, la déception, immense. « Je n’aurais jamais pensé cela possible. Pour moi, Chanel était différente des autres maisons de haute couture. J’étais éblouie par leur image de géant du luxe, de respect et de créativité. En réalité, ils agissaient comme une entreprise ordinaire. »

Ç Notre libertŽ, cÕest aussi le pouvoir de dire non È Carmen Colle essaie alors de faire entendre sa voix. Malgré de nombreux coups de fil et courriers, Chanel fait la sourde oreille. La médiation échoue. Carmen, qui a toute sa vie été à l’écoute de l’autre, ne comprend pas cette réaction. « Aujourd’hui, l’être humain n’intéresse le système qu’en tant que part de marché. Pour eux, nous n’étions rien, alors qu’il est essentiel de considérer l’autre, y compris dans ses désaccords. Il n’y a que comme cela que l’on avance. » Carmen doit faire reconnaître la parole de ces femmes qui ont travaillé sans relâche, sans compter leur temps. Elles doivent être reconnues, c’est là son devoir. « La dignité, c’est accepter l’autre dans sa personnalité. Chaque individu est unique. La création représente l’expression de leur identité, de leur liberté. On ne peut pas la bafouer impunément. » Carmen décide alors de porter l’affaire en justice. À près de 60 ans, en avril 2006, elle dépose plainte pour « contrefaçon et rupture abusive de relations commerciales ». Quand elle y repense aujourd’hui, ce choix s’imposait. « Notre liberté, c’est aussi de pouvoir dire non. » Non à Chanel. Il faut dire que la soumission et la discipline n’ont jamais été caractérisques

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de Carmen Colle. Petite, elle fuyait déjà cadres et structures. Un besoin irrépressible de s’échapper l’anime, que ce soit dans ses rêves, dans un livre, dans la nature. Elle n’en oublie pas pour autant ses responsabilités. Originaires de la région italienne de San Pelegrino, ses parents sont venus s’installer en France lorsqu’elle avait six ans. À quatorze ans, malgré ses rêves de peinture, elle entre à l’usine pour les aider. Elle y apprend la solidarité. Les ouvriers les plus âgés restent une

demi-heure supplémentaire et l’aident à finir sa production. « Ils voulaient que j’ai une fiche de paie correcte. » Cette expérience marquera son caractère à tout jamais. Le savoir des aînés, l’envie de partager et de découvrir les autres. C’est ce qui la poussera à devenir animatrice de quartier et à laisser sa chance à ces femmes que personne, à part elle, ne considère. Alors, quand arrivent le procès avec Chanel et les premiers licenciements, Le cœur de Carmen saigne. Sur les


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cent salariés, il n’en reste bientôt que cinquante, et puis plus personne. À cause de la procédure, toutes les maisons de haute couture lui tournent le dos. En quelques années, World Tricot est expulsé de ses locaux deux fois et mis en liquidation judiciaire, mais Carmen est résolue à sauver l’atelier. Pendant plusieurs semaines, elle vient seule pour le faire vivre, « pour ne pas que les odeurs s’évanouissent, que les bruits se taisent et que le savoir-faire meure ». Si le soir elle désespère, le lendemain elle se lève et continue la lutte. « J’ai toujours eu ma famille autour de moi mais aussi des amis, des collègues et des inconnus. Des personnes droites et authentiques. Il y a toujours eu un coup de fil pour me remonter le moral. Ces cadeaux de la vie n’ont pas de prix. » Ses yeux s’embuent à l’évocation de ces mains tendues. « Nous ne sommes rien sans les autres. J’aime être entourée, ne serait-ce que pour partager un bout de pain par terre. Ça me suffit. »

Ce don de soi impressionne. Béatrice Géhant a travaillé avec elle de 1999 à 2007. Elle revient aujourd’hui l’aider bénévolement. « Elle a une foi indestructible en une force supérieure qui la porte. Pour nous, c’est naturel de l’aider. Comme les scouts, nous sommes toujours prêtes. » Les femmes qui travaillent avec elle ne l’ont d’ailleurs jamais considérée comme leur patronne. La relation se fait d’égal à égal. Jamais elle n’accepterait qu’on la désigne comme chef d’entreprise : « Ça ne veut rien dire. » Ce modèle unique de société où l’humain est au service de l’économie a inspiré de nombreuses femmes d’entreprises dans le monde, qui viennent lui demander conseil.

Raccommodage Après sept années de lutte contre Chanel, Carmen Colle a gagné son bras de fer le 14 septembre dernier. Le géant du luxe a été condamné par la Cour d’appel de Paris à verser 200 000 euros à World Tricot pour « copie

servile » et « contrefaçon ». Cet argent sera totalement absorbé par le liquidateur judiciaire. Qu’importe, la vérité est établie. Place au futur. La société, sans fonds propres, se consacre à la marque de Carmen Colle, Angèle Batist. Une école de tricot devrait aussi voir le jour à la rentrée de septembre 2013, à la fabrique. Le savoir-faire se transmettra ainsi de générations en générations, le plus grand rêve de Carmen. Aux côtés de sa maman et des salariés, elle entend déjà les éclats de rire résonner et imagine le bouillonnement de la création. À près de 65 ans, Carmen n’est plus que gérante bénévole de sa société, mais elle n’est pas prête à prendre sa retraite. Admirative, Alexandra, l’un des mannequins d’Angèle Batist, lui assure : « Vous êtes un exemple. » Carmen lui répond dans un haussement d’épaules : « Ce sont les autres qui l’ont été pour moi. »

Baptistine PHILIPPON Photos : Rémy CHIDAINE

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R E P O R T A G E

FRANCE

PAPA N’EST PAS EN VOYAGE D’AFFAIRES

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REPORTAGE

Il y a un an, Changfeng Mo, un jeune chinois sans papiers, a été arrêté à Aubervilliers puis renvoyé dans son pays après dix ans de vie sur le territoire français. Ses enfants, nés en France, vivent aujourd’hui avec leur mère, séparés de leur père par 8 000 km. Pour Félix et Soufia, quatre et deux ans, papa est un monsieur qui apparaît de temps en temps sur l’écran de l’ordinateur. « Je les trouve très tristes, soupire Yu Cai, un ami de la famille, ils sont beaucoup moins vifs, c’est comme s’ils avaient déjà vécu une vie. » Soufia est assise sur les genoux de sa mère. Félix, son frère aîné, tente de s’y faire une place aussi. Le petit garçon de quatre ans est repoussé par les coups de pied de sa sœur. Pas question pour elle de partager sa maman. « Avant, Félix allait sur les genoux de son papa. Soufia sur les miens », commente Hongxia Mo, leur mère, dans un français hésitant. Ces chamailleries se répètent au quotidien dans ce deux pièces d’Aubervilliers. Le radiateur d’appoint maintient une température convenable dans l’unique salle chauffée, grande de 9m², où vit principalement la famille. Un lit en guise de tapis de jeux, un bureau comme table à manger. « Je suis désolée, c’est tout petit chez moi », s’excuse Hongxia en nous invitant à nous asseoir sur le lit. Mais le vrai manque ici, ce n’est pas l’espace, c’est celui de leur père, Changfeng Mo. Soufia et Félix ne l’ont pas vu depuis un an.

« Il est où, Papa ? » Un matin de novembre 2011, la police est venue l’arrêter à son domicile, sous les yeux de sa femme et de sa fille. La famille était en situation irrégulière. « Je leur ai demandé pourquoi ils venaient chercher mon mari. J’ai expliqué qu’il était père de deux enfants et que j’allais me retrouver seule. Je ne comprenais pas pourquoi la France brisait ainsi ma famille », raconte calmement la jeune femme de 31 ans. Également en situation irrégulière, Hongxia risquait, elle aussi, d’être expulsée, mais la présence d’enfants rend la procédure plus compliquée. « Leur statut de mineur les protège jusqu’à leur majorité », souligne Mylène Stambouli, la directrice de l’association d’Avocats pour la Défense des Droits des Étrangers. L’avocate précise que le juge du tribunal administratif décide alors au cas par cas. « Soit une famille entière est expulsée au risque d’une mobilisation de l’opinion publique, soit le père est renvoyé mais dans l’idée que la mère, sous pression, le rejoindra avec les enfants », ajoute-t-elle. « Un cas rarissime », selon le ministère de l’Intérieur. Quand Félix est rentré de l’école, son père n’était plus là. La dernière fois qu’il l’a revu, c’était au centre de rétention de Vincennes. Avant d’être renvoyé en Chine, dans la province du Guangzhou, Changfeng y a passé 45 jours pendant lesquels il a fait une tentative de suicide. Après son départ, Félix demandait tous les matins à sa mère :

« Il est où, Papa ? » Ce à quoi elle répondait : « La police l’a emmené en Chine. » Elle ne raconte pas d’histoires aux enfants. À leur âge, ils sont déjà confrontés aux problèmes des grands. Félix pose de moins en moins souvent la question. Soufia, elle, continue de se réveiller la nuit en pleurant. Hongxia les rassure en leur rappelant souvent que leur père pense à eux. La fillette reconnaît son visage, elle pointe du doigt « Papa Soufia », sur une photographie que lui tend sa mère. Il apparaît une fois par semaine sur l’écran de l’ordinateur lorsque la famille communique par Skype. Après une

Jusqu’au premier emploi de leur mère, ils vivaient de collectes. Mais la solidarité se délite avec le temps. Anne Lafran, enseignante du RESF absence de contact prolongée, il est arrivé que Soufia l’appelle « tonton ». Depuis le départ de Changfeng, les enfants se sont renfermés sur eux-mêmes. Yu Cai est particulièrement préoccupé par Félix parce qu’il n’a plus envie de communiquer. « Il est très calme, ne bouge pas et ne me répond même plus quand je lui pose une question », déplore-t-il. Tout en restant silencieux, sans lâcher son paquet de chips, le jeune garçon détaille les inconnus de ses yeux bruns. Soufia, dont les cheveux noirs sont retenus par un élastique rose assorti à son gilet, sollicite l’attention de sa mère à chaque instant. « Les enfants sentent bien que leur maman est déprimée », glisse Yu Cai. Les sourires et la voix douce de la jeune femme masquent à peine son angoisse. « Comme les enfants sont petits, c’est très difficile », confie-t-elle tout juste. La distance limite le rôle du père. Par le truchement de la webcam, il demande à son fils si tout va bien à l’école, il prend des nouvelles de Soufia à la crèche. Mais pour Hongxia, la charge est aussi physique. « Les courses sont lourdes à porter, il faut monter les briques de lait, la bouteille de gaz... », soupire-t-elle.

Une double séparation Quand les policiers sont venus arrêter le père de Félix et Soufia, ils ont aussi saisi les machines à coudre qui servaient d’outil de travail à Hongxia et Changfeng. Une activité qu’ils

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REPORTAGE

h  De gauche à droite, de haut en bas : la jeune maman et ses deux enfants. Félix, le plus âgé, vient de fêter ses quatre ans. Hongxia a gardé une photo de son mari. Un mari que sa petite fille de deux ans arrive encore à reconnaître sur les photos.

exerçaient sans autorisation pour rembourser leur passeur. Après l’expulsion du père, des associations telles que Réseau Education Sans Frontières (RESF), la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves et Auber sans la Peur se sont mobilisées à plusieurs reprises, en manifestant devant la mairie, pour demander son retour. Avec leur soutien et celui du maire de la ville, Jacques Salvator, Hongxia a obtenu une autorisation de séjour de courte durée et un permis de travail pour subvenir aux

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besoins de sa famille. Par Internet, elle a trouvé un emploi à temps plein comme serveuse dans un restaurant japonais, à plus de deux heures de chez elle. Les enfants ont alors vécu une deuxième séparation. En raison de la distance, leur mère restait dormir dans une chambre au-dessus du restaurant, eux vivaient chez une nourrice. Ils ne se retrouvaient qu’une fois tous les trois jours, lors de son jour de repos. Cette situation a duré six mois. Malgré les efforts de Hongxia, ce n’était pas suffisant pour


REPORTAGE

hLa famille habite un quartier insalubre, à Aubervilliers.

couvrir les frais de la famille. Son salaire permettait à peine de payer le loyer et la nourrice. L’aide extérieure lui était alors indispensable : « Mon patron était très gentil, il me donnait des bonbons, du riz pour les enfants ». Jusqu’à son premier emploi, en mai, ils vivaient aussi des collectes. Pourtant, « la solidarité se délite avec le temps », regrette Anne Lafran, qui suit la famille à travers RESF. Les trois peuvent toutefois compter sur Yu Cai, qui leur apporte régulièrement de quoi manger.Pour ses démarches administratives, Hongxia est

soutenue par Sophie, une fonctionnaire à la retraite, devenue l’amie à qui elle se confie. Depuis fin novembre, les enfants profitent un peu plus de leur mère. Soufia vient d’obtenir une place à la crèche et Hongxia un emploi en tant que serveuse dans un restaurant plus proche de chez eux. Elle a pu accompagner sa fille à la crèche le temps qu’elle s’habitue à son nouvel environnement. « Soufia est ravie d’aller jouer avec d’autres enfants », sourit la jeune femme. Félix, lui, sait que désormais c’est bien sa

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REPORTAGE

Je veux que mes enfants grandissent ici, ils auront un avenir meilleur en France. Hongxia, mère de Félix et Soufia mère qui l’attend à la sortie de l’école. Arrivé au portail de la maison délabrée, Félix affiche un sourire. Dans la cour, il se précipite vers son « chez lui » tandis que sa sœur prend bien soin de refermer la grille. Le bâtiment est insalubre, la cage d’escalier mal nettoyée. Derrière la porte d’entrée, une vielle gazinière est calée sous une fenêtre entrouverte pour évacuer l’humidité. C’est l’heure du goûter, les enfants attendent dans la chambre. Hongxia s’absente un instant dans la cuisine glacée pour aller chercher des petits pains. Elle dépose le paquet sur table, à côté d’un livre pour enfants écrit en

français. Cette langue, ils la comprennent. Félix l’utilise même parfois pour répondre à sa sœur quand ils se disputent.

Des soucis d’adultes aux jeux d’enfants C’est à l’école que l’enfant retisse des liens. Même s’il reste silencieux face aux questions de sa maîtresse de moyenne section, il semble plus à l’aise avec ses camarades. « Il ne parle pas beaucoup mais je ne suis pas inquiète, souligne Angélique Besseas, son enseignante à l’école Marc Bloch, je ne le sens pas malheureux en classe. Il rigole avec ses copains. » Dans sa chemise à carreaux, le garçon au visage

De nouvelles mesures pour les immigrants sans-papiers Le 6 juillet dernier, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a fait passer une circulaire visant à remplacer la mise en rétention des familles sanspapiers par une assignation à résidence, sauf cas exceptionnel. La rétention est alors appliquée seulement si la famille ne respecte pas cette assignation, en cas de fuite d’un ou plusieurs membres de la famille ou en cas de refus d’embarquement. « La lutte légitime contre l’immigration irrégulière doit être menée dans le respect des personnes, et surtout des enfants », justifie un conseiller de Manuel Valls. Elle peut s’effectuer soit au domicile des familles, si elles en ont un, soit en milieu hôtelier.

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L’assignation est « moins coercitive, plus humaine et respectueuse de l’intérêt supérieur de l’enfant », soutient l’Intérieur. L’Association Service Social Familial Migrants (ASSFAM) « approuve la circulaire » et note « une baisse significative des mises en rétention », avec seulement deux cas depuis le mois de juillet. L’ASSFAM regrette cependant le maintien de ces exceptions. Pour l’Observatoire de l’Enfermement des Etrangers, cette mesure équivaut à « une garde à vue bis ». Il dénonce même dans certains cas « un isolement plus drastique encore que dans un centre de rétention »


REPORTAGE

rond désigne son copain Abel sur la photo de classe. Il est d’ailleurs allé à son goûter d’anniversaire. Le 15 décembre dernier, Félix a fêté le sien sans son père. La séparation est le prix à payer par la famille pour la naissance de Félix et Soufia en France. « J’aime les enfants et je ne pourrais pas en avoir deux en Chine, explique Hongxia de sa voix douce. La politique de l’enfant unique est trop restrictive ». Une vie en Chine serait même plus compliquée pour les enfants. Leur mère raconte qu’ils n’ont pas de « Hukou » pour habiter là-bas. Cette autorisation est indispensable pour avoir accès à l’éducation, aux soins et à l’emploi. « Je veux que mes enfants grandissent ici, insiste Hongxia. Ils auront un avenir meilleur. » D’ailleurs, le choix de leur prénom est révélateur : Félix est un prénom français, Soufia est très répandu à Aubervilliers. Bien que le souhait de rester en France soit formulé dans l’intérêt des enfants, ils sont les premiers à souffrir de cette séparation. « On pense d’abord à eux, c’est pour cela qu’il nous faut régler cette situation le plus rapidement possible », souligne Bernard Vincent, le conseiller municipal permanent auprès du maire de la ville, qui s’occupe du dossier de la famille. Hongxia a obtenu en décembre son troisième permis de séjour de trois mois. Si un jour elle obtient un permis d’un an, elle pourra commencer les démarches pour tenter de faire revenir son mari au nom du regroupement familial. De la Seine-Saint-Denis au Guangzhou, la réalité chasse les histoires pour enfants.

Antonin VABRE et Manon LEMOINE Photos : Céline LANDREAU

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P E N D A N T

C E

T E M P S - L À ...

LE ScarabéE idoLE dES fainéantS

Travailler moins pour manger plus ? À l’heure où le monde entier trime, en voilà un qui a trouvé une sacrée combine pour se goinfrer à volonté sans en ficher une. Eocorythoderus incredibilis, un nom imprononçable pour un opportuniste de génie qui va faire des jaloux.Ce ridicule coléoptère de 3 mm de long, estropié de ses propres ailes et mal-voyant, squatte délibérément des termitières cambodgiennes pour se nourrir des champignons qu’elles produisent. Le scarabée a d’abord réussi à se faire accepter incognito dans la famille en imitant les signaux chimiques émis par les termites. La technique fonctionnerait plutôt bien, avec parfois quelques ratés. Mais pour une patte ou deux écorchées, la duperie mérite d’être expérimentée. Une famille adoptive en or qu’il déniche le scarabée ! Pour ménager les petits muscles de leurs progénitures, les mamans

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poules ont pris l’habitude de transporter leurs larves, tout droit vers les stocks de pitance. Cette délicate attention a suscité une forme de convoitise aiguë chez notre coléoptère. Le disciple de l’effort zéro a alors développé une sorte d’anse derrière sa tête pour jouir du même traitement de faveur que ses frangins de cœur. Rusé le scarabée ! Mais le comble reste que cette poignée sert également à sa survie. Les termitières de Macrotermes gilvus subissent parfois de véritables attaques de fourmis guerrières. Face à l’impétuosité des assaillants, les termites n’auraient pas d’autres choix que de fuir en emportant avec eux leurs rejetons… et les petits scarabées. Si le règne animal obéit à un tel modèle de rationalité, il y a fort à parier que les hommes se voient bientôt coller un canapé à la croupe et une bière au bec.

YSALINE HERMAN


E N Q U Ê T E

Les féministes musulmanes rêvent de concilier religion et égalité des sexes. Loin, disent-elles, du patriarcat traditionnaliste et d’une vision occidentale du féminisme dans laquelle elles ne se reconnaissent pas.

L

a salle est comble. Coiffées à la garçonne ou d’un voile coloré, les participantes écoutent, concentrées, les intervenantes défendre le féminisme musulman. Elles se sont réunies du 16 au 18 novembre dernier au siège du Collectif féministe pour l’égalité, rue Voltaire, à Paris, pour le colloque « Regards croisés de femmes en lutte, chemins vers un féminisme sans frontières ». Portugais, anglais, arabe, français… Toutes les langues résonnent. C’est la deuxième rencontre internationale en France sur le féminisme islamique, après le colloque organisé en 2006 à Paris par l’association Islam et laïcité. Beaucoup acquiescent aux piques lancées contre les militantes laïques, d’autres prennent des notes. Entre les quatre murs un peu décrépis, décorés par de maigres tissus pastel, les questions fusent, les organisatrices courent d’une main levée à une autre. À la pause, les femmes discutent et se rencontrent, un gâteau à la main, ou achètent le livre de Zahra Ali, Féminismes islamiques,1 en se félicitant d’être là. Issues du milieu associatif ou académique, ces musulmanes militent ensemble pour une relecture du Coran.

Selon elles, le livre sacré prône depuis toujours l’égalité entre les sexes. Elles dénoncent les mensonges des hommes qui justifient des pratiques injustes (soumission, violences, exclusion) par des interprétations et des traductions du Coran qui n’ont donc pas lieu d’être. La supériorité masculine ne serait qu’un mensonge pour dominer les femmes. C’est en 2004 en pleine polémique liée à la loi sur le port de signes religieux ostensibles qu’est né le Collectif féministe

pour l’égalité à l’origine du colloque. Depuis, il accueille de nombreuses musulmanes choquées par la façon dont le débat est posé. Nacèra, une jeune fille présente dans la salle, se souvient : « En 2004, je refusais ce terme à cause des positions de ces mouvements laïques qui nous rejetaient et nous blessaient ». Certaines d’entre elles pensent représenter un nouveau mouvement, le féminisme musulman. D’autres, comme Hanane, ont été sensibilisées à l’égalité des sexes au sein d’une association à la mosquée, mais elle ignorait qu’il existait un mouvement qui la défendait. « J’étais féministe sans le savoir, car j’étais pour l’égalité bien avant cette loi et indépendamment d’elle. Mais 2004 a été marqué par un nouvel élan qui revendiquait à la fois l’égalité des sexes et le port du voile, en dépit des accusations de soumission portées par les féministes laïques ». Les intellectuelles du mouvement vont dans le même sens. « Nous parlons d’un féminisme musulman, écrit Malika Hamidi,2 car il s’agit d’une nouvelle façon de penser et d’agir, d’un discours sur le genre à la fois féministe dans ses luttes, réformiste du Texte dans son approche, et fermement ancré dans la pensée et la tradition musulmane ».

De façon surprenante, elles estiment prioritaire de « décoloniser le féminisme qui se prétend supérieur à la femme musulmane, symbole de la nature oppressive, patriarcale et obscurantiste de l’islam », comme l’écrit et l’affirme l’auteur et militante Zahra Ali. Premier grief : le manque de tolérance. « Les occidentales ont leurs propres normes et n’essaient

1. Zahra Ali, Féminismes islamiques, La Fabrique, 2012, 230 p. 2. Existe-t-il un féminisme musulman ? Commission Islam et laicité, 128 p. Ouvrage publié à l’issue d’un colloque organisé par la Commission Islam et laïcité de la Ligue des droits de l’homme (LDH) à Paris en septembre 2006.

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POLITIQUE

dente du collectif Toutes égales, religion et féminisme sont incompatibles, la femme qui porte le voile est soumise à son mari. Mes parents étaient furieux quand j’ai commencé à porter le voile. Ils sont croyants mais pas pratiquants, et pensaient que je m’étais faite embrigader par un imam. Mais j’en ai besoin pour vivre pleinement et sereinement ma religion, sans pour autant être soumise. C’est face à leur incompréhension que j’ai voulu m’engager dans une association. »

pas de comprendre les nôtres », déplore Asma Lamrabet, directrice du Centre national d’études et de recherches féminines en islam de Rabat. Les leur imposer relèverait d’une pratique de colonisation, « comme si elles savaient mieux que nous ce qui est bon pour nous ! », s’offusque Hismahane Chouder, co-présidente du Collectif féministe pour l’égalité. L’Histoire leur a laissé de mauvais souvenirs. « En 1958, on dévoilait les femmes sur les places publiques d’Alger. Ici, on est des écorchées vives, témoigne dans le livre de Zahra Ali Saida Kada, dirigeante de l’association Femmes françaises et musulmanes engagées. On ne peut pas comprendre l’acharnement qu’il y a autour du voile en France, sans relier cela à l’histoire coloniale ». Selon elles, la liberté, c’est réussir avant tout à s’émanciper de ce poids, qui a lui-même exacerbé l’envie de porter le voile. L’islam pratiqué aujourd’hui est le fruit de cet héritage colonial. La France est caractérisée par « un déni de mémoire, un refus de reconnaître l’Histoire », selon Saida Kada. Cette négation génère, comme l’expriment toutes les jeunes femmes interrogées, une stigmatisation récurrente, « une islamophobie banalisée » dans les journaux ou les déclarations politiques. Comme l’écrit Asma Barlas, professeur au Center for the study of culture, race and ethnicity à l’université d’Ithaca, dans le livre de Zahra Ali, « le colonialisme occasionna la radicalisation de certaines pratiques et de certains symboles, notamment le voile, que les musulmans finirent par voir comme des marqueurs identitaires et donc comme des différences par rapport à l’Occident ». C’est pour cette raison que les militantes musulmanes réclament une nouvelle forme de laïcité : « pour les féministes occidentales, constate Hajer Missaoui, 38 ans, vice-prési-

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En face, certaines féministes laïques, comme Caroline Fourest sur son blog pro-choix, affirment que ces militantes sont sous le joug des islamistes. Selon Darina Al-Joundi, comédienne libanaise engagée, « elles sont les armes des islamistes. Ils les manipulent et les mettent en avant pour donner un visage positif à leur organisation ». Elle-même considère le port du voile comme une aberration. « Quand on lit le Coran, on comprend que les femmes ne sont pas contraintes au voile, seulement celles de Mahomet pour qu’on les reconnaisse. Tout est question d’interprétation et de traduction. Tant que des femmes seront obligées de porter le foulard et oppressées au nom de l’islam, celles qui sont libres ne devraient pas se cacher les cheveux. » Le voile reste en France le point de cristallisation. « On doit se justifier tout le temps comme si on était en faute, se plaint Anissa. Porter le voile ne m’empêche pas de vouloir l’égalité entre les sexes et de mettre en question le patriarcat qui domine dans ma religion ! » En face, pour les féministes laïques, le débat sur le voile et l’émancipation semble insoluble. « On peut tout à fait être croyante, affirme Brigitte Martel-Baussant, secrétaire générale de l’association Clef (Coordination pour le lobby européen des femmes) mais on ne peut pas lier la religion à ce combat, c’est antagoniste. Toutes les religions visent à confiner les femmes dans leur rôle de reproduction. » Faux, rétorquent les féministes musulmanes. Pour elles, il existe autant de raisons de porter le foulard que de femmes. « C’est un faux-débat surinvesti par le féminisme occidental et qui n’a pas lieu d’être », considère Zahra Ali.

Résultat : les militantes féministes musulmanes souffrent d’un « conflit de loyauté ». Les premiers obstacles à la diffusion du mouvement et à sa visibilité sont « les femmes musulmanes qui voient le féminisme comme un danger qui pourrait ébranler leur famille », explique Hismahane Chouder. Les féministes musulmanes sont accusées de traîtrise et de blasphème par les traditionalistes, ainsi que de faire le jeu des féministes occidentales. Pour avancer dans leur lutte, elles ont d’abord décidé de


POLITIQUE

réfléchir. La plupart de ces militantes sont des universitaires. Quelques-unes préparent une thèse sur le sujet. Elles n’excluent pas de s’allier aux laïques pour renforcer leurs revendications et être entendues dans la société. « Le féminisme musulman est global, certifie Hismahane Chouder, et ne refuse pas les alliances avec d’autres mouvements ». Elles ont d’ailleurs participé en 2010 à la marche mondiale des femmes à Istanbul. Petites ou grandes, les associations espèrent convaincre à force de pétitions, de colloques et de débats de la légitimité d’un féminisme musulman. Zahra Ali et Hismahane Chouder réfléchissent à un mode d’intervention auprès des autorités religieuses pour déployer leur mouvement sur le terrain. Les activistes se sont aussi donné rendez-vous au Forum social mondial, qui aura lieu en mars prochain à Tunis. Souhaitons-leur bonne chance.

Sophie-Amélie SIMONNET

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POLITIQUE

Noël

Art

Sois sage, criminel !

La musique désarme

Près de Vancouver, Bob Rich, le chef de la police d’Abbotsford, a trouvé un moyen « Christmas friendly » de mettre la pression aux criminels. Début décembre, il a envoyé à plusieurs dizaines de récidivistes connus pour le trafic de drogue ou le crime organisé, une carte de vœux avec un Père Noël policier portant un casque, un gilet pare-balles et une mitraillette. Les flocons de neige tout autour font penser à des impacts de balles. Bob Rich demande alors au destinataire : « Sur quelle liste serastu l’année prochaine ? ». Le verso de la carte propose une alternative étonnante : « méchant ou sympa ? ». On trouve également un numéro de téléphone pour ceux qui voudraient abandonner leurs activités de hors-la-loi. L’initiative est drôle, mais le plus amusant c’est que la police d’Abbotsford y croit. Son porte parole Ian Macdonald a déclaré que si « trois ou quatre personnes visées changeaient de vie cette année, le projet sera considéré comme un succès ».

Un artiste mexicain, Pedro Reyes, a peut-être trouvé le moyen de convaincre ses concitoyens armés de se détourner de la violence. Il a décidé de transformer 6700 engins à feu en instruments de musique pour les utiliser dans son orchestre. Il a pu récupérer les divers calibres dans des stocks saisis par le gouvernement mexicain. Les armes ont d’abord été neutralisées en public dans la ville de Ciudad Juárez avant d’être confiées à l’artiste. Pendant quinze jours, avec ses complices, il les a tordues, sciées, soudées, métamorphosant des fusils en guitares, des casques en caisse de résonance de banjo, ou encore des barillets en flûtes. Au final, ces 50 instruments ont fonctionné parfaitement pendant les concerts de l’orchestre. Pour Pedro Reyes, « cette musique est comme une sorte d’exorcisme : elle a chassé les démons que renfermaient les armes. » Ce n’est d’ailleurs pas sa première initiative originale : en 2008 , il avait récupéré 1527 armes échangées par la population de la ville de Culiacán contre de l’électroménager. Une fois écrasées par un bulldozer, il avait pu en faire des pelles destinées à planter 1527 arbres. F. X. LAMBERT

Laetitia KRETZ

Suède Suède La lumière contre la dépression La nuit, le froid, les idées noires et la libido en berne… L’hiver, c’est déprimant. À Umeå, à 600 kilomètres au nord de Stockholm, en Suède, le soleil se lève à 9 heures du matin et se couche vers 15 heures. Autrement dit, là-bas, les habitants ne bénéficient que de cinq heures d’ensoleillement par jour. Autant dire que les Suédois sont au plus mal. Mais les Nordiques ont des solutions à tous les problèmes. Après le sauna et le glögi (version finlandaise du vin chaud), pour lutter contre le blues hivernal, la municipalité a fait appel à l’entreprise Umea Energie. Elle a installé des lampes de luminothérapie dans vingt-six abribus. Le but : lutter contre le SAD (Seasonal affective order), c’est à dire la dépression saisonnière, qui toucherait, comme dans le reste de la Scandinavie, près de 9,5 % des habitants. L’opération est prévue pour

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trois semaines. Un seul hic : certains chauffeurs de bus, aveuglés par ces abris thérapeutiques, ont déjà fait débrancher deux lampes… César ARMAND


POLITIQUE

Inde

Sale temps pour le 06 Saviez-vous que le téléphone portable « dégrade l’atmosphère sociale » et favorise l’adultère féminin ? Nous non plus. Mais pour les hommes de Sunderbari, une ville de 6000 habitants de l’État de Bihar, à l’Est de l’Inde, c’est une certitude. Le conseil municipal vient en effet d’interdire tout usage de mobile aux femmes. Attention, si vous êtes célibataire et prise en flag’ avec votre mobile, cela vous en coûtera 10000 roupies, soit 150 euros. Si vous êtes mariée, une amende de 2000 roupies, environ 30 euros, devrait calmer vos ardeurs. Selon le responsable local, un certain Manuwar Alam, six femmes auraient quitté maris et enfants pour d’autres bras ces derniers mois. « Les incidents amoureux ont augmenté à cause des téléphones portables, a-t-il argué. Même les femmes mariées quittent leur mari pour rejoindre leurs amants. C’est une honte. » C’est bien connu, aucun homme n’était cocu avant l’arrivée du SMS… C. A.

High Tech

Apple mauvais guide

Ukraine

Réfugiée porno Anastasia Grishay est grande, blonde, Ukrainienne. C’est aussi une ancienne star du porno, connue sous le pseudonyme de Wiska, qui a dû fuir son pays il y a deux ans en raison de son métier. Elle est pourchassée par Leonid Hrach, homme politique exclu du Parti Communiste et proche de la mafia ukrainienne. Il a juré de faire

Apple n’arrive décidément pas à doubler le leader de la cartographie, Google. La police australienne vient de déclarer l’application iOS6 « potentiellement mortelle ». Début décembre, dans l’État de Victoria, les policiers de Mildura ont été affolés de voir que le nouveau système d’exploitation localise la ville en plein cœur d’un parc national à plus de 70 km de l’emplacement réel de Mildura. Plusieurs automobilistes ont appelé au secours après s’être perdus dans le parc. Dans son communiqué, la police insiste : « Certains touristes ont été bloqués une journée sans eau ni nourriture et ont marché sur de longues distances, à travers des espaces dangereux, pour réussir à capter un réseau téléphonique ». Voilà un nouveau « badbuzz » dont Apple se serait sans doute bien passé. le PDG de la marque, Tim Cook, avait déjà dû s’excuser en septembre pour les multiples bugs de l’application « Plans ». L. K.

de cette femme de 27 ans un exemple pour la jeunesse en la jetant en prison et en mettant ses trois enfants à l’orphelinat. Réfugiée depuis 2010 à Prague, Anastasia Grishay s’est vue refuser l’asile politique par les autorités tchèques et fait désormais appel à l’Union européenne pour ne pas être renvoyée en Ukraine. Soutenue par les Femen, un groupe de protestation composé de féministes ukrainiennes créé en 2008, elle espère devenir la première réfugiée pornographique au monde.

Corentin PENNARGUEAR

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C A U S E T T E

I PJ

S ’ E N G A G E

P O U R

L A

S Y R I E

AIDONS-LES ! Depuis mars 2011, plus de 40 000 personnes ont été tuées en Syrie. Le nombre de blessés serait au moins 10 fois supérieur au nombre de morts. Pour les soigner, peu de médecins. Certains centres médicaux sont tenus par des vétérinaires. L’Union des organisations syriennes de secours médicaux (UOSSM) dont le siège est à Paris tente d’apporter des premiers secours et de créer des hôpitaux de fortune sur tout le territoire ainsi que dans les pays voisins. La rédaction de Causette a décidé de s’engager à leurs côtés avant le début de l’hiver qui promet d’être rude. Laëtitia Kretz, François-Xavier Lambert.

LOIN DU PAYS : LES EXILÉS CRIENT LEUR COLÈRE

AU PAYS : LES MÉDECINS MEURENT SOUS LA TORTURE

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osad Barad était médecin à Alep. Comme son ami Housam, il a d’abord exercé dans un hôpital d’État mais là-bas, impossible de traiter les blessés. « Lorsque nous soignions des opposants, l’armée les frappait et rouvrait leur blessure », affirme Housam, encore sous le choc. « En soins intensifs, ils étaient enchaînés à leur lit. Ces endroits sont des lieux de torture ». Pour les soldats du régime, la consultation se passait autrement : « Un jour, un homme de l’armée m’a mis un pistolet sur la tempe. Il m’a dit que si je ne sauvais pas ce ‘‘patriote’’, je le suivrais dans la mort ». Les deux jeunes diplômés ont fini par fuir pour travailler dans la clandestinité. Ils opèrent alors chez l’habitant, parfois même dans la rue. Les médecins sont les premières cibles du régime. Ils sont traqués avec leur famille. Housam préfère partir exercer dans des hôpitaux de fortune de l’autre côté de la frontière turque. Mosad, lui, reste à Alep. Finalement arrêté par la police avec une dizaine d’autres médecins, il sont torturés pendant une semaine. Leurs corps calcinés ont ensuite été jetés dans les rues d’Alep pour avertir ceux qui voudraient soigner les blessés. Seule une étiquette à leur cheville indiquait leur identité.

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Il n’a rien oublié. Ni les tirs sur la foule, ni les corps mutilés d’enfants, ni la traque par les services de sécurité. Ayman AlAswad est un rescapé du conflit qui déchire la Syrie. Depuis un an, il vit en France avec sa famille. Pour rester en vie, il a dû fuir Deraa, l’une des premières villes à s’être révoltée contre Bachar Al-Assad. Cet ancien professeur de mathématiques a été l’une des figures majeures des premiers mois de la révolution. Il a transmis aux médias internationaux des informations sur la répression menée par le régime. Derrière sa longue barbe grisonnante, il raconte avec calme et précision les événements qui ont fait basculer Deraa dans l’horreur. « Tout a commencé en mars 2011 quand les services de sécurité ont arrêté des écoliers qui avaient écrit sur un mur des slogans réclamant le départ de Bachar. Ils les ont emmenés et torturés. » La population laisse alors éclater sa colère et les manifestations se multiplient, en particulier chez les jeunes. Ayman les encadre, rédige les slogans, et devient celui que l’on surnomme « la voix de la justice ». Il sait que le régime le surveille de près et découvre que sa vie est en danger. « J’ai su que je figurais sur une liste de personnes à assassiner. J’ai dû me cacher pendant des mois, passant de maison en maison plusieurs fois par jour. Ma famille a été menacée, ma maison détruite et ma femme arrêtée. Elle a dû dire aux services de sécurité qu’elle souhaitait demander le divorce pour être relâchée. » Refusant de quitter sa ville, Ayman continue d’agir dans la clandestinité, jusqu’à ce que d’autres activistes décident de l’exfiltrer, en mai 2011. Avec sa famille, il obtient l’asile politique en France et une association le prend en charge. Quand il évoque son avenir, son visage s’assombrit : « Ce régime a créé de mini-dictateurs en chaque syrien. Ma génération a été déformée par le clan Assad, j’espère que mes enfants pourront profiter de la liberté. Pour moi, il est trop tard. »


CAUSETTE IPJ S’ENGAGE POUR LA SYRIE

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À LA FRONTIÈRE : L’HIVER SERA LONG

u pied des miradors, le long des barbelés, les réfugiés s’entassent sous des bâches pour se réchauffer. Près d’Atma, à la frontière turco-syrienne, certains sont là depuis deux mois mais la température a baissé. « Il fait froid. Nous avons tout laissé derrière nous. Mon fils n’a que le teeshirt qu’il portait le jour où nous avons fui ». Les vivres se font rares et les quelques tentes de fortune protègent mal. La semaine dernière, trois enfants seraient morts de froid dans ce camp. Çà et là, les amoncellements de déchets s’accumulent. Les jeunes en bonne santé jouent au milieu des détritus. L’un d’entre eux nous montre une cartouche : « c’est avec ça que Bachar a tué mon frère. » La bande semble s’amuser, comme s’ils ne se rendaient pas compte, mais les propos sont graves : « je reviendrai pour tuer Bachar dès que je pourrai », affirme un bambin âgé de 10 ans tout au plus. Voyant des occidentaux, un homme accourt. Il veut que l’on prenne son fils en photo : « Aidez-nous, il est en train de mourir ici. Aidez-nous s’il vous plaît ». Ces milliers de civils qui stationnent entre deux mondes, ne reçoivent presque pas d’aides. Il faudra attendre d’être accepté dans un camp côté

turc, jordanien, ou libanais pour avoir accès aux secours internationaux. « Même là-bas, les conditions de vie sont très précaires », explique le docteur Taghleb qui coordonne l’effort de l’UOSSM (Union des Organisation Syriennes des Secours Médicaux). L’organisation, créée en décembre 2011, est présente sur tout le territoire syrien. Elle distribue des vivres obtenus grâce à des partenariats avec d’autres groupes comme Médecins sans frontière, la Croix rouge ou Médecins du monde.

« Dites-le aux Français à votre retour » Le but premier est de venir en aide aux blessés et aux malades mais cela ne plaît pas au gouvernement. Récemment, les sites de l’UOSSM sont devenus une cible de l’armée de Bachar Al-Assad. L’hôpital al-Dana, mis en place après des mois d’efforts, a été bombardé deux fois en novembre dernier. Le docteur est désespéré. « Nous sommes confrontés à un drame humanitaire. Il faut trouver plus de fonds pour nous organiser, nous cherchons aussi des médecins. Dites-le aux Français à votre retour ».

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POLITIQUE

Et un, et deux, et trois livrets de famille Il était une fois un projet de loi sur le mariage pour tous, qui créait une polémique sur des futurs changements dans le livret de famille. Dans ce pays tricolore, un mauvais sort empêchait ses habitants d’imaginer les effets secondaires d’un projet de loi sur les administrations.

L’

histoire commence lorsque le gouvernement propose de modifier le Code civil afin de l’adapter au mariage universel. Certains habitants crient au loup. Ils refusent qu’on touche à « papa » et « maman », inscrits dans le symbolique livret de famille. La rumeur dit qu’ils seront remplacés par « parent 1 » et « parent 2 ». Ils sont tellement en colère qu’ils n’ont même pas remarqué que le projet de loi ne prévoyait pas ça du tout. À la mairie du XIIIe arrondissement de Paris, Laurent Calderon rassure calmement : « Une fois que le décret d’application sera ratifié, nous y verrons plus clair ». Selon ce grand manitou du service de l’état civil, il n’y a pas de raison de se fâcher comme ça. « Je pressens plutôt un classement par ordre alphabétique des noms de familles des mariés », déclare-t-il. De toute façon, le livret de famille n’en est plus à ça près. Depuis sa création en 1877, il a l’habitude d’être bousculé. Le 15 mai 1974, il est triplé : un livret pour les époux, un pour le papa ou la maman naturels et un dernier pour toute la famille naturelle. Il est encore modifié le 1er juillet 2006 pour devenir le « livret unique ». C’est celui-là que tout le monde connaît avec les extraits d’actes de naissance de tous les enfants d’un même père et d’une même mère. Mais

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en novembre 2011, l’État a provoqué un dernier bouleversement : le tiret entre deux noms de famille a été supprimé. À l’époque, personne n’a rouspété. Si la nouvelle loi est promulguée, les administrations devront jongler avec trois livrets différents car les plus anciens n’ont toujours pas été écoulés. Mais notre mairie parisienne est déjà adepte du bricolage : « Nous faisons attention à ne pas trop en commander pour éviter les surplus. » Et quand la loi sera approuvée, un plan est déjà prévu. Certains livrets seront destinés aux couples hétérosexuels sans double nom, d’autres aux couples hétérosexuels avec double nom, les derniers aux couples homosexuels. Vous avez dit « bazar » ? « Nous risquons d’être très occupés une fois la loi passée, concède Laurent Calderon. Un couple a déjà réservé sa place pour être le premier à se marier dans le XIIIe. Il y a 700 PACS par an dans notre arrondissement dont 10 % de personnes du même sexe, soit entre 70 et 80 couples. Le nombre de mariages homosexuels devrait se stabiliser autour de 50 par an. » La mairie du XIIIe se débrouille toute seule, et elle a l’air de s’en sortir. Un jour, le gouvernement incluera le livret de famille dans le projet de loi. Un jour, le gouvernement informera les mairies. Un jour, la loi viendra…

Constance DAULON


C O U P

D E

P R O J O

DRAGUE

QUAND LA QUÉBÉCOISE CROQUE MONSIEUR Orphelines des tombeurs latins, vulgaires machistes ou gentlemen galants, les Québécoises mènent le jeu de la séduction où les règles sont inversées. Un phénomène unique en Occident.

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ne belle pitoune (fille) s’avance vers Mathieu, un voyageur français : “Scuse-moi d’te déranger mais ma ‘chum’ (copine) là-bas, avec le haut rouge, elle a un ‘kick’ sur toi (tu lui plais), elle te trouve trop ‘cute’ (charmant).” » Cette scène reprise dans l’essai de Jean-Sébastien Marsan, Les Québécois ne veulent plus draguer et encore moins séduire (2009), illustre un phénomène de société : ce sont avant tout les femmes qui draguent. « Montréal est l’une des capitales mondiales où il est le plus difficile d’aborder une fille », selon Marsan, catégorique dans ses réflexions. Inutile de se montrer galant dans les transports en commun, d’essayer de payer l’addition au restaurant, les Québécoises pourraient se sentir dégradées ou manipulées. Indépendantes et émancipées, elles aiment séduire et choisir leurs conquêtes. Ce phénomène – qui touche surtout les Québécois de naissance – trouve son fondement dans la quête agressive et répressive d’une égalité parfaite entre hommes et femmes au cours des années 60. Ce féminisme radical rejette le système patriarcal en vigueur dans la Belle Province. En 1968, le gouvernement crée la commission Florence Bird sur la place des femmes dans la société. Ce comité militant marque les esprits. Ses réunions - diffusées à la télévision - permettent aux Québécoises de prendre conscience de leur situation et de la justesse de leurs revendications.

LES FRUITS D’UN FÉMINISME RADICAL Le Front de libération des femmes (FLF), regroupant différentes associations féministes québécoises, dont les célèbres « Gouines rouges », se constitue en 1969. Il deviendra l’organe phare d’un féminisme triomphant. Leurs requêtes sont, pour certaines, fondamentales : le partage égal des tâches familiales, l’accès gratuit à l’avortement (obtenu en 1981) et un salaire équivalent aux hommes. D’autres sont moins évidentes : des garderies d’État (ouvertes 24h/24, 7 jours sur 7) pour permettre l’épanouissement des femmes au-delà de leur rôle de mère, combattre l’image dégradée des femmes dans la mode et la publicité ou encore un salaire pour les femmes qui travaillent à la maison. Ces dernières n’aboutiront pas, mais les débats publics autour de ces questions représentent une avancée. Un symbole parmi tant d’autres, le 8 mars 1975, la première marche mondiale pour les droits de la femme est organisée dans les rues de Montréal. Depuis, le 8 mars célèbre les “chicks” (les femmes) dans 161 pays à travers le monde. En 1973, la mise en place du Conseil du statut de la femme (CSF), organe gouvernemental, est une étape cruciale. Cette instance transversale défend depuis quarante ans les droits des femmes et contrôle les actes de tous les minis-

tères. Le 5 septembre dernier, l’élection de Pauline Marois, première femme à la tête du gouvernement, est un nouveau pas franchi par les Québécoises. À l’issue des élections, le parlement compte 32,8 %de femmes, contre 24,9 % en France. La province canadienne est aujourd’hui proche d’une égalité homme-femme réelle, notamment au niveau de l’accès aux postes décisionnels ou la répartition des tâches familiales. Au delà de la libération des femmes, l’inversion des codes de séduction s’explique par le manque de figures masculines et la perte de confiance en eux des hommes.

« UN LÉGER MALAISE » Un récent dossier du magazine Elle Québec, « Sommesnous en mâle de séduction ? », appuie l’idée que les Québécoises sont « directives et autoritaires dans leur rapport aux hommes ». « Autonomes, déterminées, sûres d’elles et dénuées de pudeur, elles ont parcouru beaucoup de chemin et contrôlent désormais leur environnement ». La discrimination sexuelle subie par les femmes est beaucoup plus faible qu’en Europe. « Ici, si tu t’habilles comme une pute en soirée, un mec va te chauffer, mais si tu te respectes un minimum, les chances de te faire respecter en retour sont optimales. Les Québécois se matent mais ne se call jamais (siffler une fille, l’aborder de manière vulgaire) », explique Cynthia Beaulieu, étudiante à Sciences Po Montréal. Clémence Cireau, 25 ans, expatriée au Québec depuis trois ans, est « satisfaite du fait que les rapports soient moins établis, figés sur une domination naturelle de l’homme ». Maîtresses du jeu, les Québécoises rêveraient parfois d’être désarmées par des séducteurs audacieux. « Le paradoxe est que les dragueurs ont un succès fou. Non seulement ils ont le marché pour eux, mais ils offrent à la femme ce qu’elle désire dans son inconscient », estime Jean-Sébastien Marsan. Les Québécoises vivraient désormais une relation d’amour / haine avec le féminisme. « Bien que les femmes adhèrent au principe d’égalité entre les sexes, beaucoup ont peur de se faire étiqueter comme des lesbiennes frustrées ou de ne pas réussir à séduire si elles s’affichent comme féministes », soutient Mélissa Blais, doctorante en sociologie à l’université de Québec. Hélène, Française ayant vécu huit ans à Montréal, a tenu le blog Québec-Expatriation, dans lequel elle observait la séduction : « Il me semble que les hommes et les femmes sont plus complémentaires qu’égaux. Au Québec, on a trop exagéré cette question d’égalité. Les conséquences ne sont pas toujours en faveur des femmes. Parfois, elles rêvent d’un homme fort et protecteur qui leur offre des bouquets de roses... » Ainsi, un léger malaise s’est instauré. « Le renversement des rôles traditionnels ne

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satisfait personne : mesdames sont consternées par l’inaction des mâles, et messieurs ne savent plus comment se comporter face à des femmes si avenantes. » Lors d’un récent sondage de Elle Québec, 73% des interrogées ont répondu oui à la question : « accepteriez-vous de vous faire “cruiser” (draguer) comme une Française ? (comprendre avec vigueur et sans tabou) ». Estelle Richard, 26 ans, serveuse à Québec, avoue : « j’aimerais voir les mecs plus démonstratifs, sans qu’ils deviennent des machos à l’italienne. Je ne ressens pas le devoir de draguer, mais plutôt le besoin si je veux pogner (séduire) un homme ».

« LES PIRES DRAGUEURS » Une large partie des jeunes québécois semble se complaire dans son attentisme. C’est le cas d’Alexandre, étudiant Montréalais, présent dans l’ouvrage de Jean-Sébastien Marsan : « samedi soir j’étais à une party, y avait d’la poupoune ! C’était facile, la moitié des chicks avait l’bonbon d’collé sur la vitrine (elles étaient très excitées) ». Selon Jean-Sébastien Marsan, les Québécois sont aujourd’hui : « les pires dragueurs de l’Occident ». La genèse du problème serait éducative. « Les parents n’apprennent pas à leurs enfants les règles élémentaires de la galanterie, et ce n’est pas l’école qui comble le vide. » Pour remédier à ces

carences, des « ateliers de séduction » fleurissent. Sur l’immense rue Saint-Laurent de Montréal, François Charron en dirige un. Il répète à ses élèves que la drague est un jeu. « Les hommes doivent être positifs, énergiques. Le but n’est pas toujours de “closer” (conclure)... mais simplement de jouer, pour le plaisir. Au lieu de cela, les Québécois se disent : est-ce que je fais quelque chose de mal ? » Un autre constat s’ajoute dans la Belle Province : les couples, formés jeunes, tiennent en moyenne plus longtemps qu’en Europe. À l’âge de 25 ans, deux tiers des Québécois ont un partenaire depuis plus de trois ans, tandis que la majorité des Français sont célibataires ou fraîchement en couple. « Ici on croit dur comme fer à l’existence d’un partenaire qui nous est prédestiné. Ce rêve de contes de fées nous empêche de remarquer des compagnons potentiels, avec qui nous pourrions être heureux », soutient Cynthia Beaulieu. Face à cette séduction conflictuelle, François Charron a une petite idée : « Ici, les gays sont fiers de l’être et ont l’air d’avoir du fun, alors que la morosité règne chez les hétéros. Pourquoi ne pas organiser une hétéro pride, afin que les relations homme-femme redeviennent tendance ? »

Mario BOMPART – Photos : Coralie LEMKE

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V U E 57

D U

L A B O

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La bête en nous Lanthane

Les hommes ne descendent pas d’Adam, les femmes ne descendent pas d’Ève. Nous nous sommes éloignés de notre cousin le singe. Ciao macaque, donc, mais quid des autres bébêtes ? Queue, branchies ou pieds palmés, certaines anomalies mettent à mal la perfection de nos silhouettes d’Homo sapiens. Petit côté freak flippant pour les uns ou parfum d’inachevé pour les autres, Causette rétablit la vérité. Qu’elle soit rassurante... ou pas.

At 210

taquons avec le kyste pilonidal. Le piloky quoi ? Ce terme barbare écorche la bouche autant qu’il peut déformer votre coccyx. Vilaine Astate excroissance qui apparaît juste au-dessus de votre beau postérieur, cette boule douloureuse peut aussi bien avoir la taille d’une bille que celle d’un œuf. Jeunes adultes en pleine post-puberté, sachez que vous représentez une cible de choix. Et désolé pour la gent masculine, mais ce kyste survient cinq fois plus souvent chez les hommes que chez les femmes. Pour nos lecteurs concernés, rassurezvous, vous n’êtes pas seuls, mais pas bien nombreux non plus. 26 personnes sur 100 000 seraient touchées en Europe.1 Et, selon une étude menée dans une université américaine en 1998, 320 étudiants masculins sur 32 000 étaient concernés.2 Pas de panique pour autant, une queue ne va pas vous sortir des fesses. Mais alors, kézako ? Selon certains scientifiques, il s’agit d’une malformation congénitale. Des résidus embryonnaires renfermant un mélange de poils et de peau se formeraient en bas de la colonne vertébrale et ressortiraient sous forme de kyste après la puberté.3 Que nenni ! Pour la Société nationale française de colo-proctologie (spécialiste des affections du côlon, de rectum et de l’anus), c’est la faute des poils. Incarnés sous la peau par des frottements, ces derniers se comportent comme des corps étrangers et déclenchent une réaction inflammatoire. Rien de bien méchant, jusqu’à ce que le kyste s’infecte et se transforme en abcès rougeâtre et purulent. Douleurs, démangeai-

sons, gonflement, l’opération devient indispensable. En quelques minutes et autant de coups de bistouri, un bon chirurgien peut vous retirer cette pseudo-queue.

Le mythe des branchies Quittons l’ère glaciaire pour nous plonger dans les fonds marins abyssaux. Vous souvenez-vous de Kevin Costner dans Waterworld ? L’acteur américain se sert de ses pieds palmés et de ses branchies pour sauver son bateau et pêcher un énorme poisson. Mais dans ce film post-apocalyptique, Kevin, alias « le mutant », nous a bien bernés. Juré craché, l’Homme ne possède pas de branchies. S’il naît parfois avec des doigts palmés, l’explication est à chercher dans les encyclopédies et non chez le véto. La syndactylie, dans le jargon médical, est une malformation congénitale (encore une). Lorsque les mains et les pieds de l’embryon ne ressemblent encore qu’à une petite palette, certaines cellules qui devraient disparaître spontanément pour laisser un espace entre les doigts décident de rester scotchées là. Bébé naît alors avec des doigts collés les uns aux autres. Idem pour les orteils. Moins handicapante, cette anomalie peut aussi prendre la forme d’une membrane qui relie seulement le bas de chaque doigt. Selon le Docteur Stéphane Guéro, chirurgien de la main, la syndactylie concerne un enfant sur 2000 pour les mains, un sur 800 pour les pieds. Souvent bénigne, elle se corrige par une simple intervention chirurgicale. Si celle de la main handicape l’enfant, celle du pied n’entraîne souvent aucune gêne. Reste l’aspect esthétique.

1. Voir le site de la Société nationale de colo-proctologie. 2. Deléaval P.-J., Delgadillo X., « Le sinus pilonidal de Proctologie » HUG, Publ Int Chir, 1 / 1998, p. 1-5. 3. Chamberlain J.-W., Vawter G.F., « The congenital origin of pilonidal sinus ». J.Paeditric Surg, 9 / 1974, p. 441-4.

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PHOTO : RÉMY CHIDAINE

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PHOTO : RÉMY CHIDAINE

VUE DU LABO

Parfois, les parents s’opposent à la chirurgie. Problème : leur vilain petit canard s’expose alors à des railleries rivalisant d’intelligence, du type : « Tu nages plus vite avec ça ? »

Le troisième sein Vous ne possédez ni queue, branchies ou encore pieds palmés ? Mais avez-vous un grain de beauté clair sur le torse qui a durci au moment de la puberté ? Ne cherchez plus, c’est un mamelon. Oui, un mamelon surnuméraire ou « troisième téton », si vous préférez. Respirez, il n’y a pas de quoi s’affoler. L’embryon de chaque mammifère possède des ébauches mammaires, qui évoluent du creux de l’aisselle jusqu’à l’aine. Chez l’Homme, ces ébauches sont censées remonter vers la portion pectorale du corps pour former les seins. Mais cer-

taines se perdent en route et s’échouent sur le torse. D’où le troisième sein, voire le quatrième, le cinquième... Simple auréole, mamelon isolé ou sein complet, la polymastie, c’est son petit nom, adopte différentes formes cliniques et concerne aussi bien l’être humain que les animaux. Elle est même assez fréquente : une personne sur 18 serait dotée d’un troisième téton, soit environ 388 millions dans le monde. Et combien ne l’ont pas encore remarqué ? Selon certaines rumeurs, Anne Boleyn, deuxième épouse de Henry VIII d’Angleterre, avait un troisième sein. Quant à Artémis, déesse de chasse et de la fertilité, elle aurait allaité l’humanité entière grâce à ses nombreux seins. C’est pour dire.

Morgann JEZEQUEL

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L A

C H R O N I Q U E

D U

D R

B I S C O T T E

À l’adolescence, les garçons se révèlent très imaginatifs. Une multitude de nouveaux jeux de groupes apparaissent, plus ou moins délicats. Tous ont un sujet en commun : le sexe. « Puberté rime avec sexualité », précise le sociologue Michel Fize. En attendant de développer une réelle vie sexuelle, les ados s’occupent de manière ludique. Le Dr Biscotte connaît bien la chose. Entre les vestiaires de rugby et l’internat dans lequel il a travaillé, il a observé de près le phénomène.

O

MAIS QUI A LE PLUS GROS ZIZI ?

ui, à l’adolescence les garçons sont obsédés par des comportements anormaux et immoraux à cause de la le sexe. Plus qu’un cliché, c’est une réalité. religion ». De nos jours, les adolescents sont beaucoup plus Quand ils sont seuls, à l’abri des regards, ils pra- à l’aise. Les jeux sexuels sont pleinement assumés. Dans les tiquent le plaisir solitaire. Mais lorsqu’ils sont en bande, dans vestiaires, les internats ou les chambrées en voyage scolaire, un espace plus ou moins confiné, la pudeur disparaît et ils apparaissent forcément à un moment ou un autre. Tous l’imagination se débride. Certaines pratiques relèvent de la ceux qui ont pratiqué un sport collectif vous parleront des légende urbaine, comme la « biscotte » - qui consiste pour voyages en bus, avec leurs lots de chansons paillardes et un groupe de garçons à éjaculer sur une tartine, le dernier à d’amusements violents, les douches collectives où l’on guette qui a déjà des poils pubiens et qui a réussir devant manger la « biscotte » (si vous connaissez quelqu’un qui l’a déjà cro- J’AI SOUVENIR D’UN le plus long pénis. Damien, étudiant en cinéma, confirme que lorsqu’il pratiquait le quée, merci de me contacter). En revanche, RUGBYMAN SE d’autres pratiques ayant réellement lieu MASTURBANT DANS hockey, « [son équipe] jouait à qui a le plus peuvent étonner. J’ai souvenir d’un joueur UNE BOUTEILLE. IL gros zizi en se lavant ». Aujourd’hui surveillant en internat dans un collège, le jeune de rugby évoluant en minimes (13-14 ans), EXHIBA ENSUITE homme de 24 ans est témoin des pratiques s’amusant à se masturber dans une bouL’OBJET À SES des adolescents dont il a la charge. Il a pu teille pendant un déplacement. Il exhiba COÉQUIPIERS. constater à plusieurs reprises que s’organiensuite l’objet devant ses partenaires. Ces comportements sont liés à l’apparition des premières saient des séances de masturbation collective, avec « cinq, pulsions sexuelles à la puberté. Comme l’explique le sociolo- six internes ou plus parfois, réunis sur un lit ». Et souvent, gue spécialiste des adolescents, Michel Fize, des émotions certains s’amusent à éjaculer sur un camarade. Toujours en fortes se développent ainsi que « le désir de passer à l’acte ». internat, Laurent*, un ancien pensionnaire de 22 ans, assure Or, « l’âge moyen pour le premier rapport sexuel se stabilise qu’il se retrouvait souvent avec trois amis le soir venu. À autour de 17 ans, précise le chercheur du CNRS. En atten- chaque fois, l’un d’entre eux était chargé de se masturber devant les autres. dant, il faut bien assouvir ses pulsions ». Les garçons ont toujours été soumis à cette frustration. Le Cet exhibitionnisme n’est pas fortuit. Pour Michel Fize, il sociologue l’assure : « Déjà au XIXe siècle, on savait que s’explique par « le développement de la virilité, qui intervient puberté rimait avec masturbation. Mais la différence, c’est lui aussi à la puberté ». Et qui dit virilité, dit rivalité et compéqu’auparavant les pulsions sexuelles étaient vues comme tition. Chaque membre du groupe cherche à démontrer à

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LA CHRONIQUE DU DR BISCOTTE

ses camarades qu’il a « atteint la maturité sexuelle », en clair qu’il est déjà formé. Le chercheur explique que le pénis a d’ailleurs longtemps été désigné comme « l’élément de virilité ». La rivalité stimule les adolescents qui se lancent parfois dans des jeux d’esbroufe. J’ai ainsi déjà assisté à une « course », sorte de concours de branlette, où celui qui « éjecte » le premier a gagné. Rétrospectivement cela peut sembler stupide de vouloir finir vite. Mais à cet âge cela signifie surtout qu’on l’a déjà fait et même qu’on pratique souvent. La honte ultime étant de ne pas être encore en capacité d’éjaculer. Bien souvent les jeux sont lancés par un meneur, suivi par les autres jeunes. Car il ne faut pas sous-estimer l’importance du phénomène de groupe dans ces pratiques. « Ce sont des défis, explique Michel Fize, comme il peut y avoir des défis sportifs. » À 8 ans on fait la course pour savoir qui est le plus rapide, à 13 ans on cherche à savoir qui est le plus avancé dans sa puberté. Mais le groupe « entraîne toujours sur la mauvaise pente, poursuit le chercheur. Il fait naître un sentiment d’invulnérabilité. » De ce sentiment découlent des jeux qui peuvent se révéler

humiliants pour un des membres de la communauté. Éric*, étudiant en langues de 23 ans et ancien interne, décrit un jeu auquel il s’adonnait régulièrement quand il était en première : « Nous immobilisions le souffre-douleur allongé sur le dos, quatre personnes lui tenant les bras et les jambes, et ensuite je “l’adoubais” avec mon épée ». Une pratique proche de la « bifle », concept aujourd’hui très répandu (« bifle » étant un néologisme formé à partir des mots « bite » et « gifle »). Ces dérives posent problème. Elles peuvent choquer les victimes, et, en l’absence de consentement, elles sont illégales. Néanmoins, les garçons ont toujours pratiqué de tels jeux. « On n’a jamais manqué d’imagination », souligne Michel Fize. On peut parier que l’on n’en manquera jamais. Car il ne faudrait pas voir les adolescents comme simplement victimes de leurs pulsions. S’ils ne peuvent pas les contrôler, bien souvent ils les recherchent, pour le plaisir qu’elles leur procurent. « Contrairement aux filles, pour qui les premières règles sont douloureuses, les premières éjaculations entraînent l’orgasme », détaille le sociologue. Et une fois qu’ils y ont goûté, les hommes passent leur vie à courir après.

DR BISCOTTE

*Les prénoms ont été changés.

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L A

M I N U T E

N É C E S S A I R E

D E

C A R R I E

C A N C Ú N

Résignée face au changement climatique, Carrie Cancùn est désormais bien décidée à apporter sa pierre à l’édifice. Notre chroniqueuse environnementale vous fait part de ses résolutions polluantes pour l’année nouvelle.

Bye-bye 2012, année de la loose. Bonjour 2013, année

2012, alors je me sens pousser des ailes. J’adopte l’au-

de la merguez ! Bah oui, après l’échec de la conférence

truche attitude : creuser un gros trou dans ma conscience

de Doha, niveau climat, ça risque de chauffer sur les

écolo et y enfouir profondément mes inquiétudes. Et ne

balcons. C’est pas demain la veille qu’on va entrer dans

RIEN faire du TOUT. Vague de canicule, sécheresse sans

une nouvelle ère glaciaire. En plus, perso, j’ai toujours été

précédent aux États-Unis, fonte de la calotte glaciaire au

frileuse. Je ne suis pas contre le fait de me débarrasser de

Groenland et élévation du niveau de la mer, disparition des

mes pulls en laine et annuler mes séances ultra violettes.

ours polaires et du hamster alsacien, multiplication des

D’après les experts, ce ne sont pas deux degrés de plus

ouragans (hein Sandy ?!), mort des plus vieux arbres de

en 2100 qui nous attendent mais quatre dès 2060. Pour

la planète et tout le tralala. À moi la merguez party sur ma

accélérer (vraiment) les choses, chacun doit y mettre du

terrasse au mois de janvier !

sien. Alors, que celui qui désire devenir acteur du réchauf-

Résolution n°3 : je me fais plaisir. Mais vraiment. Adieu le

fement climatique me suive. Pour fêter la nouvelle année

sauna, les soldes et les moelleux au chocolat noir. Plaisirs

-et le gros plantage des Mayas-, place aux bonnes résolu-

beaucoup trop courts. C’est mon bonheur qui doit être

tions pro-gaz à effet de serre.

durable, pas le développement. J’envoie valser les résolu-

Résolution n°1 : je me mets au sport. Je ne parle pas de

tions écolo, trop contraignantes et débordantes de bonne

sculpter les poteaux qui me servent de jambes, de raffer-

volonté. Manger local, privilégier les transports en com-

mir mon bidou et blablabla... Non, l’intérêt du sport, c’est

mun, produire moins de déchets et mieux les trier, ça sert

qu’il déplace les foules. Et que j’te prends l’avion, le train

à rien. On vous l’a dit, limiter la hausse des températures

ou le ferry pour aller voir mes champions préférés dans

à 2°C, c’est plus d’actualité. Alors, pourquoi se priver ?

les stades du monde entier. Effets de serre garantis ! Mal-

Bonus : c’est bien connu, le soleil, c’est bon pour le moral.

heureusement, le bilan carbone 2013 du sport s’annonce

Résolution n°4 : je surveille mon porte-monnaie. L’impor-

beaucoup moins important que celui de 2012. Réjouis-

tant n’est pas tant de faire des économies que de bien

sons nous quand même, il reste quelques grandes ren-

dépenser. Vous ne verrez donc pousser dans mon jardin

contres pour booster les émissions de CO2 cette année :

ni une éolienne ni des légumes bio. Je ne vais pas non

le championnat du monde de handball, Roland Garros et la

plus remplacer mes ardoises par des panneaux photovol-

centième Grande Boucle. De toute façon, on peut toujours

taïques et isoler les murs de ma maison avec de la paille

compter sur les fous du volant.

(mais qui fait ça ?). Pas d’énergies vertes, pas d’écologie.

Résolution n°2 : je déstresse ! Pas évident, d’autant que

Pas d’écologie... bah pas d’écologie !

les signaux d’alerte sur la hausse des températures cligno-

Pfiou, c’est moi ou il fait un peu chaud ?

tent plus que la guirlande de Noël sur mon sapin à l’agonie. Mais bon, on a quand même survécu au 21 décembre

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Carrie CANCÚN

PHOTO : TIM PHILLIPS

Chaud devant !


C O R P S

&

 M E

LÂCHEZ-NOUS

LA JAMBE ! Longues, fines, molles, arquées, fuselées, potelées… Croisez-les à droite pour minauder, à gauche pour vous protéger… Plein les jambes d’être ainsi scrutées. Entre le cahier central spécial été et la panoplie parfaite pour les sublimer, ils nous tiennent bien la jambe, sans nous en faire une belle. Jambes qui taquinent, devinent, trépignent ou s’indignent lorsqu’il faut taper du pied. Sans mauvais jeu de jambes, la peur peut aussi vous les couper. Les habiller pour mieux les dévoiler, les emmitoufler pour mieux les camoufler, les jambes nous débarrassent autant qu’elles embarrassent. Entre une paire de collants usés et des bas de soie pour envoûter, les jambes s’expriment ou sexe-priment si par hasard vous l’osez. Leur vouer un culte jusqu’aux extrémités ou même les désirer jusqu’à les adorer plâtrées. Pour les parties de jambes en l’air, pour garder les pieds sur terre. Vivre sans, vivre avec, s’enfuir à toutes jambes face à ses complexes. Sans ronds de jambes, soyons directs… Les jambes idéales sont loin d’être des gambettes parfaites, encore moins des allumettes. Alors, on inspire... On expire... Plions les jambes, déplions-les, étirons-les, détendons-les… Jambes en coton et crocs-en jambe, pas question de les prendre par-dessus la jambe. Causette se dresse sur ses pattes arrière et compte prendre vos jambes à son cou… Et c’est vous, croyez-nous, qui allez les avoir dans les pattes. Dossier coordonné par Marine DEPERNE Illustrations : Céline LANDREAU

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CORPS & ÂME

LE B.A.-BA DES BAS

I

l épouse les courbes des jambes, dévoile plus ou moins la peau et mène les hommes à la baguette. Qu’il soit blanc, noir, chair, en coton, soie ou nylon, le bas habille, affine et embellit la jambe de la femme. Un véritable symbole de féminité et de sensualité. Comme un hommage à ces « Les bas, bouts de tissu si particuliers, les bas, où sont Claude Nougaro1 chantait passés les bas ? déjà sa nostalgie d’une Les bas époque où les femmes ne juraient que par les bas. Un de femmes, temps qui débute à la moitié les si beaux du XIXe siècle, lorsque ces bas de soie… » dames, après quatre siècles de lutte acharnée, arrachent définitivement les bas aux hommes. Parce que oui, le bas était d’abord un vêtement masculin. A la base, tout est une histoire de charme et de virilité. Certains allaient même jusqu’à bourrer leurs bas pour paraître plus forts auprès de ces demoiselles. « Une conquête féminine de plus et pas la moins heureuse », souligne Jean Feixas dans son beau livre, Le bas. Ce collectionneur d’articles insolites et insolents raconte ainsi l’histoire de cet accessoire, objet de tous les désirs et aime à rappeler qu’il y a « plus « N’y a-t-il d’esprit dans les jambes d’une femme que dans beaucoup de têtes de penplus une seule seurs, de savants, et même de femme ici bas, poètes ». Et comme l’a si bien dit Qui agrafe François Truffaut en 1977 : « Les jambes des femmes sont des comses bas pas qui arpentent le globe en tous a son slip sens, lui donnant son harmonie de dentelles ? » et son équilibre ».

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La jambe et le bas, un couple fusionnel qui sait bien s’entourer. D’abord avec la jarretière, véritable parure qui se devait d’être somptueuse. Orné de pierreries, devises ou pensées, « ce bijou de la cuisse » était destiné à être montré. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle qu’il convient de le réserver à son époux. Puis, arrive le porte-jarretelles au XIXe siècle. Si au départ il est inventé pour soulager les femmes, qui avec la seule jarretière voyaient leur circulation du sang coupée, il deviendra rapidement un atout charme. Comme le confirme Jean Feixas : « Le porte-jarretelles, indissociable du bas, comme le bas l’est du porte-jarretelles, par une contagion magique, a acquis le même et indestructible statut érotique que son complice ». Le sexe, nerf de la guerre pour des jambes parfaites, il fallait s’en douter. Ce n’est pas Jean Feixas qui dira le contraire : « Le bas s’arrête mi-cuisse, il suggère ce qu’il y a plus haut et laisse libre cours à l’imagination, c’est extraordinaire ». Des idées, les femmes n’en manquent pas. Privées de bas nylon pendant la Seconde Guerre mondiale, elles se teintent les jambes avec du thé et tracent un trait noir derrière leurs gambettes « Hélas, tous pour être à la pointe de l’élégance. les collants La guerre terminée, les bas connaîse sont rués tront leur apogée avec la fameuse « pin-up », femme « irrésistible, mais sur elle pas vraiment fatale ». Oh non, Mais toutes les bonnes choses ont tout mais une fin. Les années 1960 marquent le déclin de cet attirail de séduction pas ça » avec l’apparition de la mini-jupe, et avec elle celle d’un accessoire « tue l’amour » mais tellement plus commode : le collant. S’il s’adapte à la vie moderne des femmes, il reste en décalage avec la liberté sexuelle revendiquée à l’époque. La solution ? Le bas-jarretière.


CORPS & ÂME

Ce bas, tenant à la cuisse par une bande élastique intégrée remonte plus haut sur la jambe et permet toutes les tenues. Mais il en faut plus pour détrôner les collants qui sculptent les jambes et gomment les petits défauts. C’est le début d’une longue carrière pour ce vêtement qui ne cesse de se réinventer. De couleur, à pois ou résille, il se décline à l’infini et imite « Où sont même son ancêtre le bas passés en affichant une couture les bas ? à l’arrière de la jambe. Nostalgiques du temps où Les bas, un simple jeu de gamle B. A. BA bettes faisait succomber Des jambes les hommes, les femmes en reviennent aux bas. Dans féminines » les années 1980, les couturiers relancent la mode de cet accessoire, le rendant plus sexy. « Je voulais redonner de la féminité et de la sensualité aux femmes, déclare Chantal Thomass. Quoi de mieux que le glamour des bas pour y parvenir ? » Pour la créatrice de lingerie de luxe, la « jambe c’est ce que nous pouvons montrer le plus facilement sans que cela devienne indécent. Il suffit de lui donner un look ». Les femmes qui font le choix du bas le font souvent avec une idée coquine derrière la tête. « Nous portons des bas pour des occasions particulières, ce n’est pas quelque chose qui se met tous les jours… », rappelle la créatrice. Au moment crucial de le retirer, pas question de le réduire à une vulgaire boule. « Il y a toute une technique à apprendre pour ne pas gâcher le charme du bas et entretenir le désir », confie Jungle Jane, danseuse de cabaret. À moins que vous préfériez les conserver. Raoul Ponchon, écrivait bien dans La Muse gaillarde en 1937 : « Ô fausse pudeur d’être nue ! Et puis d’ailleurs tu ne l’es pas… Pour être complètement nue, Il eût fallu garder tes bas ! »

Maxime BUATHIER 1. « Les

bas », Claude Nougaro. Album Embarquement immédiat, 2 000.

CAUSETTE #29 • 49


CORPS & ÂME

ILS PRENNENT LEUR PIED AVEC NOS JAMBES

« J

eune homme, 30 ans, sympa, recherche de jolies jambes pour une première expérience fétichiste, sans rapport physique ou autre dérive, juste pour un moment de plaisir mutuel et d’érotisme. » Au moins, cela a le mérite d’être clair : nos guiboles l’excitent. ZigZag69 (ben tiens !) « aime beaucoup les filles qui portent des chaussettes car cela met en valeur le mollet ». Bien vu ! « De belles jambes fines et élancées, c’est superbe », souligne enfin Marc qui souhaite poser une question : « Mesdames, que ressentez-vous lorsque notre regard suit le galbe de vos jambes, les caresse jusqu’à s’enfuir à la rondeur de vos fesses? » Oh ! Un peu de tenue, s’il vous plaît ! Car bien souvent, le fétichisme des jambes ne casse pas trois pattes à un canard. « Le phénomène est plutôt répandu », avance le sexologue Claude Esturgie. Tout comme les pieds ou les fesses, les jambes peuvent être une source d’excitation pour les hommes. Pas besoin de plus pour définir un fétichisme. « Mais l’attrait pour les jambes n’est pas très original, reprend le spécialiste, car elles renvoient de toute manière à la silhouette générale de la femme. » En soi, tous les hommes peuvent être fétichistes des guiboles même si « tout est encore une question de hasard dans la construction psychologique de la sexualité. » Demandez à chaque mâle de chercher ce qui, dans sa puberté, a bien pu déclencher cette fixette. La question a été posée à Nimrod Bena Djangrand, auteur du livre Les jambes d’Alice. Dans ce roman, les jolies gambettes d’une lycéenne mettent en émoi son professeur de français. « Le basketball féminin que pratique la jeune fille était le seul sport qui m’intéressait à l’époque, se souvient l’écrivain. Les jambes des joueuses apportent une grâce à ce sport masculin très technique. » De là à

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parler de fétichisme, Nimrod ne le pense pas, « même si le narrateur en vient à embrasser les jambes de la jeune fille »

PASSER SA VIE EN PORTE-JARRETELLES D’autres artistes, prennent moins de précaution. Corsets et autres carcans sont les objets fétiches du photographe Romain Slocombe qui prend des clichés de jambes plâtrées. « Lorsque j’étais enfant, j’ai vu une photo d’une poupée avec le bras en écharpe et je l’ai trouvée mignonne », explique l’artiste. Mal à l’aise ? Attendez d’admirer les photographies de Pierre Molinier. L’artiste, décédé en 1976, a passé sa vie à s’admirer en porte-jarretelles et talons hauts. Pour son biographe, tout a commencé en 1908, lorsque le petit Pierre titillait sa sœur. « Je voulais lui embrasser les jambes. Je l’ai prise contre le mur. « Tu vas faire le crucifix, lui ai-je dit. Alors moi, je me jetais à ses pieds et je lui embrassais les jambes », avait expliqué l’intéressé. Normal, on vous a dit normal... « Certains hommes développent un fétichisme absolu, en considérant l’objet partiel comme unique source de désir », confirme Claude Esturgie. Cela s’appelle désormais une paraphilie, une attitude sexuelle considérée comme anormale. « Le risque pour la femme est d’avoir l’impression d’être désirée uniquement pour une partie de son corps et non pour la totalité de son être », conclut le sexologue. A moins qu’elle n’ose fantasmer aussi sur ses mollets à lui.

Antoine DELCOURT

A LIRE • Les jambes d’Alice, Nimrod, Actes Sud • Pierre Molinier, une vie d’enfer, Pierre Petit, Ramsay/Pauvert


CORPS & ÂME

ÇA ME FAIT UNE BELLE JAMBE ! V erte, noire à pois bleus, tatouée… Ce ne sont pas les dernières tendances d’un produit high-tech, mais plutôt un joli pied de nez fait par la nouvelle génération de prothésistes français au classicisme médical : des jambes mécaniques innovantes qui commencent à séduire les clients. « L’initiative apporte de la modernité dans le monde de la prothèse. J’aime le tatouage et l’idée de m’approprier entièrement ma nouvelle jambe, comme je le ferais avec n’importe quelle partie de mon corps », explique Vladimir Vinchon, en découvrant le concept. Malgré un accident qui lui a fait perdre sa jambe droite il y a bientôt 18 ans, il était impensable d’abandonner l’équitation et les chevaux, sa passion de toujours. Cet ancien lad Jockey est aujourd’hui cavalier de l’équipe de France de dressage handisport et s’entraine avec un cheval de l’école du Cadre Noir de Saumur. Vladimir fait partie des 20% d’amputés traumatiques. Contrairement aux idées reçues, 80 % des amputations sont dues à la maladie et non à des accidents. Les plus touchés sont les personnes âgées de plus de 65 ans, qui représentent 65% des amputations.

ACCEPTER SA NOUVELLE JAMBE Après l’opération, les personnes appareillées ne sont pas limitées dans leurs mouvements. Gérard Fontaine est prothésiste depuis près de 30 ans. Selon lui, avec une prothèse de jambe, on

peut tout faire. Dès qu’ils achèvent leur reconstruction, les amputés arrivent à s’épanouir. Il admet néanmoins que « 5 à 10% des patients rejettent l’appareil et doivent être suivis par un psychologue pour l’accepter. Mais ils sont généralement satisfaits de leur prothèse ». Pour Vladimir Vinchon, « l’amputation est un traumatisme, mais on doit vivre avec. Il ne faut pas perdre de temps pour se reconstruire et trouver ce qui nous plaît. C’est une question d’état d’esprit. Il ne faut rien lâcher. Certes, on passe par des moments difficiles, on doit réapprendre à marcher mais après on fonce, pour être le meilleur et viser toujours plus haut ». C’est grâce à cette philosophie qu’il est parvenu à décrocher trois titres de champion de France et une septième place aux Jeux paralympiques de Londres.

DU CLASSIQUE À L’URBAN Comme Vladimir, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir décorer leur prothèse. « En ce moment, j’ai un patient qui me demande de tatouer une blanche neige sur sa prothèse, ça me laisse perplexe », s’étonne Gérard Fontaine. Comme lui, la majorité des prothésistes souhaitent redonner à l’appareil l’aspect d’une jambe valide, la rendre la plus fidèle possible à la réalité... D’autres considèrent en revanche qu’il faut éviter l’imitation. « Porter une prothèse qui ressemble le plus possible

au membre que l’on vient de perdre, c’est glauque et mauvais pour le deuil du patient », explique Simon Colin, orthoprothésiste à Roubaix. C’est le constat qu’il dresse après avoir étudié le sujet : il en a même fait un mémoire de fin d’études. Conscient du manque d’originalité des jambes standardisées, il a décidé d’ouvrir sa propre entreprise, Custoprothetik. L’orthoprothésiste-créateur a réuni un collectif d’artistes, « urban », avec lequel il propose une personnalisation des prothèses. Grâce à cette alternative originale, les amputés peuvent mieux s’approprier un appareil étranger et en faire un élément à part entière de leur personnalité. Une customisation qui n’est toutefois pas encore remboursée par la Sécurité Sociale. Il faut compter environ 250 euros par motif. Soit le prix d’un tatouage classique.

Marie-Caroline CARRÈRE

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CORPS & ÂME

QUAND LES JAMBES D GUIBOLES POILUES POUR SOURCILS DURS Des sourcils fournis grâce à vos poils de jambe... Encore une drôle d’invention américaine. Le dermatologue Sanusi Umar promet à ses clientes les sourcils les plus touffus possibles. Comptez tout de même 5 000 dollars. Et une anesthésie locale de quatre heures. A l’origine, la greffe de poils de jambe est utilisée pour pallier le manque de pilosité des grands brûlés. Et pour celles qui rêvent – toutes les nuits, dans le plus grand secret - de découvrir les plaisirs du sourcil dru, il vous faudra augmenter votre budget épilation et investir au bas mot dans un rasoir et une bonne paire de ciseaux. Sachez que les poils de jambes repoussent beaucoup plus rapidement autour des yeux. N’est pas King-Kong qui veut.

JAMBES, EN L’AIR Parce qu’on parle aussi de jambes pour les chevaux : lorsque vous croiserez une statue équestre, regardez bien sa position. Si le cheval repose sur le sol, le cavalier n’est pas mort au combat. S’il lève ses deux jambes avant, il est mort sur un champ de bataille.

À TOUTE ALLURE Usain Bolt a plus d’un tour dans ses jambes. Désigné comme l’homme le plus rapide du monde, le champion olympique 2012 du 100 mètres aurait une anomalie… des jambes. Il en posséderait une plus courte que l’autre, en raison d’une scoliose de la colonne vertébrale. Selon le coureur jamaïcain, cette jambe « lui complique la tâche dans les virages ». Une anomalie comme celle-là, on serait tous preneurs.

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GAMBETTES À ÉCAILLES Après les souris à deux têtes, les saumons-sumo et les vaches à trois pis, voici les poissons à jambes. Beurk, quelle horreur ! Pourtant cette équipe de chercheurs en génétique de l’université Pablo de Olavide à Séville œuvrent pour la bonne cause : ils tentent d’expliquer le mystère de la vie terrestre. Ils ont manipulé un gène, au nom barbare de HOXD13. Celui-ci serait responsable de la mutation des animaux marins vers des espèces qui marchent ou pour certaines qui volent. Enfin c’est ce qu’ils avancent dans leur théorie scientifique. Reste encore à savoir comment ce gène a pu être activé. Et qui sait, peut-être ira-t-on jusqu’à l’homme volant...

OÙ SONT LES HOMMES ? Après le pantalon slim et la jupe, les collants pour hommes débarquent. Justin Bieber, véritable bête de scène, a déjà succombé aux meggings léopard, la version « masculine » des leggings. On aura tout vu ! Surtout que cela n’a rien à voir avec le collant de sport, noir et basique. Paillettes, couleurs flashy, simili-cuir ou imprimés animaux, les meggings, c’est fashion. So sexy... Ou le degré zéro de la virilité.


CORPS & ÂME

S DEVIENNENT FOLLES LES JAMBES, ÇA FAIT VENDRE ! Elle a passé un long moment dans le formol cette guibole, Oubliée à l’institut médico-légal de Bordeaux jusqu’en 2007. Elle serait celle de l’actrice Sarah Bernhardt, décédée en 1923. La Divine a été amputée de la jambe droite à 71 ans, suite à une tuberculose osseuse. Sa jambe avait été conservée. Aurions-nous retrouvé la divine jambe ? Pas sûr. Un ancien légiste affirme que ce membre est... une jambe gauche ! Seul un test ADN pourrait faire un pied de nez à ce mystère.

CROCO D’AVRIL Son mari pensait qu’elle faisait un poisson d’avril. Mais Tara Hawkes, 23 ans, se faisait vraiment broyer la jambe par un crocodile. Cette histoire est arrivée près de Dugong Bay, en Australie. « Je n’avais pas mal mais je sentais ses crocs s’enfoncer dans ma jambe qui était toute entière dans sa gueule, raconte la jeune femme, parfois j’arrivais à remonter la tête et à crier « crocodile » pour avertir mes amis de ce qui m’arrivait. » Alerté par une quantité de sang non négligeable, son mari vient (enfin) à son secours. Malgré une jambe mâchouillée, Tara retrouve l’usage de son membre après sept mois de physiothérapie intense et un traitement pour le stress post-traumatique.

BERMUDA PARTY En sport, il n’y a pas que la coquille qui différencie les hommes des femmes. Il y a aussi la longuer du short. Jusqu’à mars 2012, le réglement imposait aux beach volleyeuses un short d’une longueur maximale de sept centimètres, ce qui, après vérification avec un double décimètre, ne faisait pas beaucoup. Marre de disputer leurs matchs en culotte. Désormais, elles peuvent porter un bermuda descendant jusqu’à trois centimètres au-dessous du genou en cas de grand froid.

IL A DIT... « Dans la vie, y’a pas de grands, y’a pas de petits. La bonne longueur pour les jambes, c’est quand les pieds touchent par terre. » COLUCHE, « L’étudiant », 1980

JAMBE BIONIQUE EN HAUT D’UNE TOUR Escalader une tour haute de 103 étages avec une jambe bionique ? Impossible ? Non, pas pour tout le monde. L’Américain Zac Vawter, qui avait perdu sa jambe droite dans un accident de moto en 2009, est parvenu à cet exploit. En contrôlant les mouvements de celle-ci par la pensée, l’ingénieur informatique a réussi son ascension de la Tour Willis. 3000 autres paires de jambes participaient à l’événement en novembre dernier. Mais les plus heureuses, c’étaient les siennes: « Tout s’est super bien passé. Mes jambes ont fait leur travail et moi le mien ». A noter qu’une prothèse bionique coûte la modique somme de 8 millions de dollars…

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E N Q U Ê T E

TRANSIDENTITÉ

MÂLE UN JOUR, MÂLE TOUJOURS Des femmes, en inadéquation avec leur physique, mènent un combat pour accéder à leur Saint Graal : un corps masculin. Cette petite communauté étouffe sous le poids des revendications des transfemmes, ces hommes devenus femmes qui captent toute la lumière et cristallisent les fantasmes populaires.

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ENQUÊTE

«U

n homme c’est comme ça ! Une femme c’est comme ça ! Ta gueule le psy, tu nous embêtes ! Un homme c’est comme ça ! Une femme c’est comme ça ! Ta gueule le psy, tu nous fatigues ! » Sur la place de la Bastille, un samedi pluvieux d’octobre, drapeaux arcen-ciel et banderoles flottent dans les airs. Les rires et les voix fusent. Tout le monde se connaît, s’appelle par son prénom. Femmes ou hommes, souvent un peu des deux, ici on ne sait plus. Le genre ne compte plus. Des dames à forte poitrine, des jeunes femmes aux visages anguleux et virils, défilent sur des talons de 10 centimètres. La peau est parfois marquée, à cause de la prise d’hormones. Le cortège Existrans démarre avec six cents manifestants, tout au plus. Quelques hétérosexuels et des membres de la communauté homosexuelle sont venus les soutenir. Le beau sexe a des sonorités masculines. Avoir des seins et des cheveux longs ne garantit pas une identité féminine. Même dans cette sphère du transgenre, où on peut penser que les individus se sont affranchis des codes d’une société judéochrétienne patriarcale avec des apparences et des codes renversés, le machisme reste prégnant. Jamais clairement évoqué mais bien présent, le sujet est tabou. En clair, lorsqu’un homme devient une femme, son éducation de garçon prend le dessus.

Une éducation mâle menée Premier signe : très peu de trans masculins manifestent. Samuel Bernard est né fille en 1975. Il a débuté sa transition en 2007 et s’est progressivement changé en homme. Les modifications physiques sont radicales et très réalistes. Il nous avoue du bout des lèvres que la discrétion des hommes trans est peut-être liée à une question d’éducation, mais pas seulement : « Il est clair que le petit monde des Female to Male (FtM) est discret et très peu connu. Nous préférons l’anonymat post-transition à une mise en avant d’un parcours de vie encore trop difficile à admettre et à faire accepter. » Les filles reçoivent une éducation en retrait. Censées être plus réservées, elles sont souvent encore élevées pour devenir de

bonnes femmes au foyer. Arnaud Alessandrin, docteur en sociologie et spécialiste de la communauté Trans, le confirme. « Bien qu’en changeant d’identité de genre, on se révolte contre notre société, il y a des choses qu’un individu peine à combattre : ce que Bourdieu appelle l’habitus. C’est la matrice des comportements individuels que l’on acquiert en partie pendant l’enfance. Une petite fille intègre des valeurs qu’elle appliquera spontanément ensuite. Dans une société machiste comme la nôtre, les femmes sont élevées inconsciemment de façon à ce qu’elles soient en retrait, tandis que les hommes se mettent en avant, sont exubérants et bénéficient de plus de privilèges sociaux. »

Les mâles dans l’ombre A l’inverse des trans masculins, les hommes devenus femmes restent dirigistes. « Comme elles sont exotiques, étranges et font réagir le public, les journaux les médiatisent », explique le sociologue. « Est-ce parce que nous étions des femmes que nous sommes encore vues et considérées comme des êtres plus fragiles qu’il faut préserver ? », s’interroge Samuel. Au cinéma aussi, les transfemmes sont bien plus présentes que les transhommes. Peu de films abordent le sujet. Et même dans ceux qui l’évoquent, comme Tom Boy et Boys Don’t Cry, les héroïnes abandonnent leur transition. « C’est quand même symptomatique de la situation sociale des transhommes », souligne Arnaud Alessandrin. Une certaine condescendance sociale existerait à l’égard des transhommes comme Samuel. Car, sous les feux des projecteurs, les Male to Female (MtF) affirment leur féminité avec aplomb et écrasent, sans le vouloir, ceux qui à l’origine appartenaient au « sexe faible. » Discrets, les transhommes préfèrent passer inaperçus et vivre leur vie sans faire de vagues. Ils souffrent pourtant de certains préjugés. Samuel constate que des parcours comme le sien sont encore source de fantasmes et d’interrogations. Et ce, aussi bien dans la société que dans le milieu trans lui-même, très représenté par des transfemmes. En effet, la plupart des associations de la communauté sont montées et dirigées par ces dernières.

TRANS… QUOI ? Transgenre

Transhomme

Transfemme

Personne qui veut faire coïncider son apparence et son identité de genre, sans toutefois aller jusqu’à l’opération.

Homme né dans un corps de femme. On s’adresse à lui au masculin, puisque qu’il se définit comme tel.

Femme née dans un corps d’homme. On s’adresse à elle au féminin, puisque qu’elle se définit comme telle.

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ENQUÊTE

« Les personnes dans mon cas, qui sont en questionnement, se retrouvent souvent démunies par le manque d’informations des associations trans, dévoile Samuel. Cela tend à changer grâce aux réseaux sociaux et Internet. Des associations comme GEsT 1, dont je fais partie, ont pour objectif de former au maximum sur la transidentité. Il y a encore trop d’incompréhension et d’erreurs au sein même de la communauté LGBTQI 2 et dans le grand public pour que chacun vive dans l’apaisement et le non-jugement », regrette Samuel.

Être un homme, c’est pas mâle Contrairement à la réalité, selon certaines transfemmes, la transition FtM est plus simple et moins douloureuse que la situation de MtF, ce qui expliquerait le désintérêt pour leur cause. Affirmative, une manifestante assène : « Chez les personnes nées dans un corps de femme qui s’identifient

comme homme, la transition semble tellement plus facile que pour nous autres ! Ils font une injection de testostérone mensuelle. Nous, c’est chaque semaine. » Elle s’arrête un instant et ajoute : « Leur insertion sociale est bien plus commode. Leur parcours chirurgical est simplifié puisqu’il n’y a ni ablation ni amputation. Tout semble plus aisé pour eux ! », lancet-elle, survoltée. La plupart des transfemmes tiennent toutes ce même discours. Les transhommes souffrent de ces préjugés mais confirment ces divergences. « Nous sommes moins vus et remarqués car notre insertion sociale est plus simple. Physiquement, nous passons facilement inaperçus. Nous nous fondons plus aisément dans la masse. Les MtF subissent encore beaucoup de quolibets du style « t’as vu ce travelo ! », alors même qu’elles sont opérées et ont vu leurs papiers officiellement modifiés. Simplement, leur morphologie initiale ne corres-

1. GEsT : Groupe d’Étude sur la Transidentité, association issue d’un réseau de compétences mixtes, qui s’est donné pour objectifs d’informer et de former sur le sujet complexe de la transidentité. 2. LGBTQI : Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Queer or Questioning, and Intersex

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ENQUÊTE

pond pas à la norme sociale, indique Samuel. C’est un point de friction entre les FtM et les MtF, car nous avons la même démarche et la même souffrance face à nos corps, mais la société est plus clémente avec nous. Peut-être parce qu’un homme qui se dit femme est en opposition avec les codes de virilité de notre société », avance Samuel. « Ce n’est ni tout bleu ni tout rose. Tout est multicolore et complexe. » Selon le sociologue Arnaud Alessandrin, cette inégalité en défaveur des transhommes existe même dans les termes chirurgicaux. Le mot employé pour les femmes et les transfemmes qui ont recours à une reconstruction vaginale est le même : la vaginoplastie. Une femme trans peut accéder à un vagin à part entière. Pour les hommes, il y a deux termes pour qualifier une reconstruction du pénis. Pour un homme biologique, qui aurait subi un accident, c’est une pénectomie, tandis que pour un transhomme, c’est une phalloplastie. « On différencie l’homme et le transhomme. Le terme pénis revient dans le mot pénectomie, ce qui sous-entend qu’après opération, il y aura un pénis, quelque chose de concret, constate le sociologue. Le terme phaloplastie, employé pour les trans, induit que la transformation reste dans le domaine imaginaire,

puisque le physique d’un transhomme ne sera jamais exactement celui d’un homme biologique. » Arnaud Alessandrin déclare cependant : « La situation n’est pas si catastrophique et irrémédiable qu’il n’y paraît. Les transhommes sont de plus en plus nombreux et s’expriment plus qu’avant. D’ailleurs, un des premiers militants trans en France est Tom Reucher, un transhomme. » Samuel Bernard révèle qu’il est facile de tomber dans le radicalisme, d’un côté comme de l’autre. « Comme dans tous les groupes de notre société, nous sommes confrontés à certains radicaux. Quand j’entends un FtM me dire qu’il veut se marier et que sa femme devra rester à la maison, c’est bien la preuve qu’il nous reste encore du chemin à parcourir. Il en va de même avec des MtF qui ne porteront jamais plus de pantalons après leur changement, et qui veulent rencontrer un homme, UN VRAI ! Pour moi, c’est aussi violent que le radicalisme religieux, c’est une fermeture d’esprit dont notre communauté n’a absolument pas besoin. » Décidément, le mâle est partout !

Marie-Caroline CARRÈRE – Photos : Anne-Sophie WARMONT

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P O R T F O L I O

ALIMENTATION GÉNÉRALE Lieux d’échange et de rencontre au sein des quartiers, les alimentations générales sont des points de lumière dans la ville assoupie par la nuit. Depuis 2010, Marie Hamel capte à la chambre, les façades de ces commerces de proximité. Ce travail est le résultat de discussions chaleureuses avec les épiciers sur leur parcours et les difficultés du métier. Les alim’ disparaissent les unes après les autres, écrasées par les grands groupes d’hypermarchés. À chaque disparition, c’est une page de notre histoire, intimement liée à l’Afrique du Nord, qui s’envole. Mais aussi un savoir-faire reconnu dans la façon d’harmoniser avec délicatesse fruits et légumes, pour le plus grand plaisir des yeux. Gaëlle COURSEL - Photos : Marie HAMEL

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La fesse cachée de la ménagère Parce que la femme, la maman et la putain ne sont pas toujours celles que vous croyez, et surtout parce qu’elles sont souvent une seule et même personne, Causette s’est plongée dans la vraie vie. Comment vivons-nous notre vie sexuelle ? Loin des sondages, des injonctions, des idées farfelues, la vie de la ménagère est-elle aussi normée qu’on le croit ? À voir…

JOSÉPHINE

« Je suis la femme de l’ombre »

‘‘J

e m’appelle Joséphine, j’ai 46 ans. Je suis née et j’ai grandi dans une petite ville de campagne, où le sexe était un sujet tabou. J’ai connu mes premiers émois sexuels à 14 ans lorsqu’à l’école, on nous a fait lire Colette. Cette femme libre avait vécu des choses qui m’excitaient, son univers érotique me touchait. J’ai ingurgité ses livres. J’admirais la façon dont Willy lui faisait raconter ses histoires d’adolescentes et la faisait écrire. À partir de ce moment, l’écriture a pris une place primordiale dans ma vie amoureuse et sexuelle. J’ai couché avec un garçon pour la première fois tard, à 21 ans. Comme je suis très ronde, le minitel rose était un moyen pour moi, à l’époque, de parler à des hommes. Les messages coquins que je leur envoyais les séduisaient. Cela m’a fait prendre conscience de mon érotisme. À ce jeu s’ajoutait pour moi l’excitation de me demander qui ils étaient. Un jour, un homme, avec qui je discutais, m’a demandé de l’appeler. J’ai pris mon courage à deux mains et composé son numéro. Au téléphone, il m’a dit : « Tu as une voix bandante. » Il a commencé à se caresser, ce qui m’a excitée. J’ai mesuré le pouvoir que ma voix pouvait avoir sur les hommes. C’était nouveau pour moi, car jusqu’à présent, dans ma vie, la séduction passait surtout par le minitel. J’ai alors opté pour le téléphone rose. J’avais 25 ans. Cela m’a permis de rencontrer des hommes qui ne vivaient pas dans ma région. L’argent ne me motivait pas, je le faisais pour mon plaisir. Au téléphone il n’y a plus de barrières. Les hommes peuvent révéler leurs fantasmes. Dire qu’ils ont envie

de cul, insulter. J’aime l’idée d’entrer dans l’intimité profonde d’un homme. En étant la femme de l’ombre, je peux me montrer sensuelle, sexuelle. À cette époque, comme je le désirais depuis longtemps, j’ai tenté d’écrire des textes érotiques, sans succès. À partir de 40 ans, ma vie sexuelle s’est enrichie et j’ai eu envie de retenter l’expérience. C’était au moment où les blogs apparaissaient sur internet. Mettre ainsi en scène son subconscient érotique m’a attirée. Aujourd’hui encore, j’aime être découverte par des lecteurs. Ils ne se doutent de rien et s’embarquent d’un coup dans une histoire sulfureuse. Je ne catégorise pas mon blog comme un de ces sites de cul où des femmes racontent leurs expériences sexuelles. Il se trouve juste que j’aime écrire sur le sexe. Chacune de mes liaisons vient nourrir une histoire. Certains lecteurs réguliers ont commencé à m’envoyer des mails. Pas de messages lubriques ou pornographiques. Au contraire, ce qu’ils disaient me touchait beaucoup. Une correspondance s’est engagée entre nous. L’excitation est montée au fur et à mesure des mails et certains sont devenus mes amants. L’échange épistolaire est très important pour moi. J’aime cette connexion intellectuelle dans la recherche des mots. Une femme au physique comme le mien peut être pleine de désirs et de volupté. Commencer une relation en s’écrivant amène les hommes à me considérer autrement que par mon physique. Il m’est arrivé de rencontrer des hommes qui n’assumaient pas d’aimer les rondes. J’en connais une flopée.

« J’aime écrire sur le sexe. Chacune de mes liaisons vient nourrir une nouvelle histoire. »


PHOTO : ANNE-SOPHIE WARMONT

Ils sont mariés à des femmes aux gabarits normaux et cachent leurs maîtresses girondes. Sortir avec une grosse, c’est subir la pression sociale, le regard des autres. Quand ils lisent mon blog, ils ne m’imaginent pas forcément forte. Avec le temps, je leur apprends à aimer les femmes comme moi. Grâce à mon blog, j’ai eu de nombreux amants. Ce n’est pas quelque chose de voulu. Je ne l’ai pas créé pour faire des rencontres. Mais quand j’écris, je cherche à exciter le lecteur. C’est un jeu entre la littérature et la vie. Quand j’entretiens une liaison avec un homme, nous n’allons pas au restaurant ou au cinéma. Nous pratiquons une correspondance du plaisir. Nos rencontres servent à concrétiser cette montée du désir. Je considère mon blog comme un boudoir, pour échanger et pratiquer un art du jouir à deux. Je suis mariée depuis 15 ans, avec un homme qui n’est pas au courant de ma double vie. J’estime que ce que je partage avec mes amants, c’est mon jardin secret. Je fais très attention à ce que mes relations ne portent pas atteinte à mon couple. J’entretiens un rapport différent avec l’homme qui

partage ma vie. J’ai une vie sexuelle avec lui, d’autres centres d’intérêts. En couple, j’ai toujours ressenti ce besoin de relations extérieures. Je veux me sentir libre et non prisonnière d’un seul homme. Pour moi, c’est intéressant de coucher avec des hommes que j’aime d’abord pour leur écriture. Nous développons une relation intime forte par les mots, qui se traduit après par une aventure sexuelle. Je garde tous les mails échangés avec mes amants dans des dossiers. C’est peut-être du fétichisme, je n’en sais rien. Ces hommes ne cherchent pas une maîtresse, qu’ils pourraient obtenir facilement dans la vie. Ces histoires sont sublimées. Notre relation se construit d’abord au travers de l’écriture. La personne qui écrit est fantasmée. Ma jouissance vient de là. ’’

Propos recueillis par Léa BASTIE Si vous aussi vous souhaitez témoigner, écrivez à fessecachee@causette.fr


Bonjour,jem’apelletoujours leo mon voisin s’apellethomas sea C A B I N E T

D E

C U R I O S I T É

Allemagne,ÊdŽbutÊduÊXXeÊsiècleÊ Elisabeth Kuyper

Une utopiste au pupitre PionnièreÊdeÊlaÊbaguette,ÊElisabethÊKuyperÊmonteÊsurÊlÕestradeÊdeÊchefÊdÕorchestreÊauÊdŽbutÊduÊXXeÊ siècle.ÊElleÊimposeÊaussiÊlesÊfemmesÊdansÊlÕorchestreÊetʈÊsaÊtêteÊenÊlesÊfaisantÊsortirÊduÊtriptyqueÊ fŽmininÊchanteuse-pianiste-harpiste.ÊUneÊinitiativeÊquiÊpasseÊtropÊinaperçueÊpourÊrŽvolutionnerÊleÊ mondeÊdeÊlaÊmusique.Ê

æ

mon

tre femme et chef d’orchestre, c’est encore inenvisa- leur carrière de chef demeure confidentielle. Ce n’est pas leur geable au début du XXe siècle. Mais Elisabeth Kuy- talent qui est en cause si l’on en croit la lettre qu’Abraham per refuse que les filles recevant une éducation musi- Mendelssohn a envoyée à sa fille en juillet 1820 : « La musique cale se cantonnent à ce qu’on attend d’elles : devenir deviendra pour Félix son métier, alors que pour toi elle doit interprète - chanteuse, pianiste ou harpiste, professeur dans seulement rester un agrément mais jamais la base de ton existence et de tes actes […], bien qu’il soit tout à ton hondes studios privés ou femme accomplie à la maison. Trois ans après avoir remporté un prix de composition, Elisa- neur d’y avoir montré toi-même de bonnes dispositions ». Il beth Kuyper est la première femme à entrer « Tu devrais plutôt ajoute, en 1828 : « Tu devrais plutôt t’attacher à ce qui est, et doit être ta seule vocadans la master class de composition de t’attacher à ce qui tion, celle d’être une femme et d’apprendre l’Académie des Arts de Berlin, en 1908. est, et doit être ta à bien t’occuper de ton ménage ». Un an Privées d’études supérieures en musique, les femmes sont aussi exclues des seule vocation, celle plus tard, résignée par son sort, elle orchestres qui sont l’apanage des hommes. d’être une femme et écrit : « Le fait que, chaque jour, votre seiet maître vous rappelle la misère de Encore plus de leur direction, symbole de d’apprendre à bien gneur votre condition féminine peut être tellement pouvoir par excellence. Pour y remédier, t’occuper de ton exaspérant qu’une femme pourrait fort bien notre apprentie chef crée un orchestre de ménage » arriver à souhaiter perdre sa féminité si les femmes en 1910. Une initiative qu’elle renouvelle à trois reprises à Amsterdam, Londres et New York conséquences qui en résultaient n’étaient si peu engaau début des années 20. Elisabeth Kuyper ne se contente geantes ». pas de suivre la carrière qu’on l’autorise à faire, elle la mène. La création de ces orchestres permet avant tout à la chef La féminisation des d’orchestre de diriger d’autres œuvres que celles qu’elle a orchestres composées, ailleurs que dans des salons privés. La suprématie des hommes dans la musique, au sein de l’orUn tournant que ses collègues, Fanny Mendelssohn, la sœur chestre et dans son public, a poussé Elisabeth Kuyper dans du célèbre Félix, et l’Anglaise, Ethel Smyth, n’ont pas réussi à l’oubli. Contrairement à Fanny Mendelssohn et à toutes les amorcer. Si leur musique reste réservée à un cercle d’initiés, anonymes qui ont renoncé à leur carrière, elle continue à diri-

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CABINET DE CURIOSITÉ

ger, mais dans l’indifférence feinte des médias et des musicologues. Si la situation des femmes chef d’orchestre évolue peu durant le XXe siècle, le mépris à leur égard se transforme en curiosité. En 1969, Claire Gibault remporte le premier prix de direction d’orchestre au conservatoire de Paris. Elle se retrouve propulsée sur le devant de la scène par les médias. « Les magazines féminins se sont emparés de mon histoire parce qu’elle sortait du commun, se souvient-elle. Cela m’a permis d’être plus connue que mes collègues masculins à ce stade de ma carrière. » Mais il est impossible de trouver une place de chef titulaire dans un orchestre quand les décideurs ne sont pas prêts

à voir une femme au pupitre. Interviewée en 1988, la chef d’orchestre et auteur du livre Les femmes chef d’orchestre au XXe siècle, Elke Mascha Blankenburg, déclare : « Bien que 50 % des personnes ayant fait des études supérieures de musique soient des femmes, 10 % seulement sont dans les orchestres, 40 % ne trouvent pas d’emploi ».

créer son propre orchestre, la solution ? Elisabeth Kuyper l’a bien compris, la présence de femmes dans l’orchestre est indispensable pour servir d’appui aux femmes chefs. C’est pour cela qu’elle a créé des formations pour les femmes, en

espérant qu’elles rejoindraient un jour leurs collègues masculins dans les orchestres nationaux. Car ils se féminisent tardivement. En 1983, les musiciens de l’orchestre philharmonique de Berlin rejettent l’intégration de la clarinettiste Sabine Meyer après sa période probatoire à 73 voix contre et quatre pour… De son côté, l’orchestre de Vienne reste exclusivement masculin jusqu’en 1997 ! Les hommes doivent d’abord accepter des femmes à leurs côtés avant de se subordonner à elles. Mais elles-mêmes s’autocensurent devant la problématique de l’emploi. Aujourd’hui, elles seraient 70 dans le monde, contre 5000 homologues masculins. En France, nombre d’entre elles sont invitées par les grands orchestres nationaux, mais aucune n’a une place de titulaire. Selon Claire Gibault, la solution peut être de créer son propre orchestre : «Tous les postes importants du monde de la musique sont détenus par des hommes qui se donnent le pouvoir entre eux, constate-t-elle. On reste un objet rare, il faut donc qu’on se prenne en main. » D’abord ignorées puis exposées parce qu’elles étaient des femmes, ces chefs d’orchestre voudraient se banaliser au point de n’être mises en valeur que lorsque leur travail est remarquable.

Claire BARROIS

POUR ALLER PLUS LOIN LIVRES • Au cœur de l’orchestre, de Christian Merlin. Ed. Fayard, 2012.

• La chef d’orchestre, de Zahia Ziouani. Anne Carrière Eds, 2010.

EN ALLEMAND • Dirigentinnen im 20. Jarhundert, de Elke Macha Blankenburg. Europäische VAs, 2003.

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travailler demaniea

Ariane Matiakh : « J’ai beaucoup d’espoir pour notre génération » DevantÊ desÊ orchestresÊ fŽminisŽs,Ê lesÊ femmesÊ chefsÊ ontÊ moinsÊ deÊ malÊ ˆÊ sÕimposer.Ê EntreÊ lÕimageÊ masculineÊ quiÊ freineÊlesÊaspirantesÊetÊlesÊrŽticencesÊdesÊconseilsÊdÕadministrationÊ ˆÊ nommerÊ desÊ femmesÊ chefsÊ dÕorchestreÊ ouÊ directricesÊ artistiques,Ê ellesÊ restentÊ peuÊ nombreusesÊ ˆÊ tenterÊ leurÊ chance.Ê ProfessionnelleÊ depuisÊ 2006,ÊArianeÊ MatiakhÊ faitÊ partieÊ deÊ laÊ ÇÊ nouvelleÊ gŽnŽrationÊ ÈÊ deÊ femmesÊauÊpupitre.

s’est adapté. Les matières complémentaires étaient dispensées par des hommes avec lesquels mes rapports étaient plus difficiles. L’un d’eux, qui avait été particulièrement dur avec moi, a fini par s’excuser. Cela m’a fait plaisir parce que ça prouvait qu’il avait réfléchi à son attitude. En même temps, je le remercie parce que c’est grâce à lui que je suis solide et que j’ai remporté (ndlr : à l’unanimité) le concours de chef assistant à l’Orchestre National de Montpellier en 2005.

Causette : Qu’est-ce qui vous a poussé vers la direction d’orchestre ? Ariane Matiakh : À 14 ans, je suis entrée au Conservatoire de Reims en horaires aménagés pour devenir pianiste. Mais en même temps, j’étais passionnée par l’élaboration des grandes symphonies, des opéras, je voulais comprendre leur fonctionnement. Comme je savais que je ne pourrais pas les interpréter dans l’orchestre, j’ai décidé de les diriger. J’ai assisté à quelques cours de direction, ça m’a emballée. Le professeur ne voulait pas me prendre dans sa classe parce que j’étais trop jeune. À force d’insister, il m’a acceptée un an plus tard.

Quelles difficultés rencontrez-vous aujourd’hui ? A.M. : Les musiciens ont pris l’habitude d’être dirigés par des femmes. Je n’ai pas connu les difficultés de mes aînées. Mais il leur arrive de me dire, en pensant me faire un compliment, « au bout d’un moment, on a oublié que tu étais une femme ». J’espère que ces remarques vont disparaître, j’ai beaucoup d’espoir pour ma génération. Celui, par exemple, de voir une femme chef d’orchestre nommée titulaire à la tête d’un orchestre national en France. Le plus difficile reste de concilier la maternité et le travail. Je me souviens des visages fermés des musiciens quand je suis montée sur l’estrade à Vienne, enceinte de six mois : ma féminité leur était imposée, j’ai dû me montrer ferme. J’ai compris qu’en tant que femme je n’avais pas intérêt à entrer dans les luttes de pouvoir des orchestres, et j’ai une approche moins basée sur le pouvoir que sur la psychologie.

Durant vos études, avez-vous bénéficié d’un traitement différent ? A. M. : Les mentalités changent... Lors de mes études à Vienne, mon professeur de direction, Léopold Hager, était très ouvert. Il n’avait jamais enseigné à des femmes, mais il

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Propos recueillis par Claire BARROIS

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L A

C A B I N E

D ’ E F F E U I L L A G E

CÉDRIC VILLANI

je ne suis pas un zéro...

Cédric Villani est un mathématicien de renommée mondiale, l’un des meilleurs spécialistes des équations

de la théorie cinétique des gaz. il a reçu en 2010 la Médaille Fields, la plus prestigieuse des récompenses

du monde mathématique. au mois de septembre dernier, Théorème vivant – son premier livre grand public – est paru chez Grasset. il y raconte le quotidien d’un mathématicien à la recherche d’un nouveau théorème. Vulgarisateur scientifique hors pair, à l’aise avec les médias, il aime partager sa passion avec simplicité et humour. un professeur enthousiaste, une grosse tête qui n’a pas la grosse tête.

« D’

habitude, je reçois dans mon antre à l’Institut Henri-Poincaré », s’excuse presque le mathématicien le plus sollicité de la planète. Ce bureau si personnalisé, avec un grand tableau envahi de signes cabalistiques, et dans lequel s’amoncèlent pêle-mêle un buste d’Henri Poincaré, une grande photo de Catherine Ribeiro, des bols de thé, et bien sûr des livres à perte de vue. Cela ne l’empêche pas de se mettre à l’aise dans le café d’un grand hôtel parisien. Il retire ses chaussures et déplie ses orteils sous la table avant de lancer : « Vous êtes mon septième rendez-vous de la journée. C’est beaucoup ! » Cédric Villani, un prénom aristo et un nom paysan, comme il s’en vante lui-même, c’est un peu l’archétype du premier de la classe qu’on a tous croisé un jour. Il s’appelait Romain, Dimitri ou Thibault, frôlait régulièrement les 20 en maths et évoluait dans son propre monde. Draguer les filles ou jouer au football avec les copains, trop peu pour lui. Il préférait de loin le ping-pong à la récré ou réinventer le théorème de Pythagore. Et puis il faut le dire : son look terminait de le distinguer comme l’intello du collège. Cédric Villani a un style bien à lui. On prononce son nom, tout de suite l’image de l’original aux cheveux longs, portant une lavallière et une broche en forme d’araignée, s’imprime dans les esprits. Le mathématicien ne trahit pas cet a priori. Grand échalas aux longs doigts de pianiste, il se regarde constamment dans le miroir et réajuste la raie de ses cheveux. Son visage émacié semble épargné par le temps. Cédric Villani a

39 ans. Seules quelques rides sur le front laissent deviner qu’il n’a plus 20 ans. Mais ses yeux ne sont pas cernés ni rougis par l’ordinateur. Depuis août 2010 – jour où le Nobel des maths, la médaille Fields, lui a été décerné au Congrès international des mathématiciens à Hyderabad en Inde – Villani vit à 1000 à l’heure. Aujourd’hui, il remplit le rôle de porte-parole et ambassadeur de la communauté mathématique française auprès des médias et des politiques. « La médaille Fields est un levier d’action, commente Cédric Villani. Elle m’a donné de la visibilité. Beaucoup de choses sont devenues possibles. » Exemples à l’appui, le scientifique explique ne plus avoir de problème pour remplir des amphithéâtres à l’Institut qu’il dirige. « Je veux faire une conférence ? Je décroche le téléphone, appelle un certain nombre de journalistes et paf ! Ça se fait. » Cette distinction lui a fait gagner des années pour accéder à la notoriété et développer ses projets.

∆ = b2 - 4ac

Quand Cédric Villani parle, tout son corps s’emballe. Il se plie, se tord, ses mains remuent, ses sourcils s’arqueboutent. Le mathématicien est intarissable en ce qui concerne sa matière… même si on n’y comprend pas grand-chose. Attention, accrochez-vous ! Sa médaille Fields est venue récompenser deux ensembles de travaux. Le premier pour la convergence vers l’équilibre sur l’équation de Boltzmann et le second, sur l’équation de Vlasov. Villani raconte : « J’ai étudié le premier ensemble de travaux avec l’augmentation de l’entropie, le

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désordre moléculaire. » Il poursuit : « Je suis spécialiste de Cédric Villani. Il contrôle tout ce qui se dit sur lui. On peut bien l’équation de Boltzmann qui décrit l’évolution des gaz lorsque tenter de consulter sa page Wikipédia, elle est passée au les molécules rentrent en collision les unes avec les autres. » crible. « J’ai vérifié et modifié. Ce qui est écrit est vrai. » Tout Face aux regards hébétés, l’éloquent mathématicien trouve ce qu’on saura c’est que le mathématicien est marié à une toujours la parade. Il saisit la serviette de table devant lui, biologiste, Claire. Ils ont deux enfants de 9 et 12 ans. Il n’y a débouche son stylo noir et dessine des carrés puis des points pas plus d’informations que celles évoquées dans son roman. en frappant énergiquement sur le tableau improvisé. « C’est Une fois, il a posé avec ses enfants et la peluche de son aniun peu bizarre ce que je fais là, mais en gros c’est ça », alors mal fétiche, le Marsupilami. C’était en 2010, après la médaille qu’il termine son exposé. Fields, pour le magazine Paris Match. Les visages de Neven Vulgariser les maths, convaincre, redorer l’image d’une pro- et Aëlle étaient cachés. Villani a séjourné dans les universités fession méconnue, tels sont les objectifs de Cédric Villani. les plus célèbres au monde, à chaque fois, femme et enfants « La société a un besoin vital de mathématiciens, de gens qui suivaient. C’est son socle, son rattachement à la vie réelle, au font des sciences dures, soutient-il. Les jeunes ne sont plus commun des mortels. emballés par ces carrières maintenant. Il y a un vrai problème de vocation, de valorisation et d’estime de la profession. En ports d’attache même temps, si vous vivez dans votre coin, personne ne parle de vous et on vous regarde comme un extra-terrestre. » Impossible également de définir les origines du phénomène C’est contre cette forme d’ostracisme des scientifiques et de manière précise. « Je suis un mélange d’italien, de corseautres génies en tout genre que Villani grec, d’alsacien, un peu de béarnais, lutte. Il a écrit son roman, Théoun peu de parisien », liste-t-il avec rème vivant, pour montrer comment les fierté. Cédric Villani est aussi fils de La société a un mathématiciens travaillent. Depuis, plupieds-noirs. Natif de Brive-la-Gaillarde, besoin vital de sieurs confrères lui ont témoigné leur il grandit à Toulon, réalise ses études gratitude. « Grâce à ton livre, je peux mathématiciens, de gens supérieures à Paris, s’accomplit en parler de ce que je fais », lui a écrit un tant que mathématicien à Lyon et se qui font des sciences collègue. Un autre lui a avoué : « Ma dures. Les jeunes ne sont considère d’ailleurs comme lyonnais. famille comprend enfin mon travail et le Son rattachement culturel est intéresplus emballés par ces genre de vie que je mène. » sant. Villani est issu d’une famille de carrières maintenant Villani le confesse dans sa « profession littéraires. Ses parents sont profesde foi » rédigée en préface d’un ouvrage seurs de Lettres. De ces origines, il en de maths, la transmission est une des aura retiré l’excentricité de son cosvaleurs cardinales héritées de sa famille. « Convaincu que tume, l’affection pour la lecture et la musique classique (sans l’enseignement est indissociable de la recherche, raconte-t-il, oublier le groupe de rock français des Têtes Raides). Il terj’ai fait toute ma carrière en tant qu’universitaire, sans jamais mine de forger son patrimoine culturel à Paris lorsqu’il intègre candidater à un poste de recherche à temps plein. » Ouvrages l’École Normale Supérieure. Il y fréquente davantage les littéde synthèse, notes de cours sur le transport optimal, sur la raires que les scientifiques, découvre le mélange disciplinaire, théorie de la mesure, sur les équations cinétiques, Villani se écume les salles de concert, de théâtre et de cinéma. Avec démène et dépense son énergie à expliquer. Il communique ce métissage génétique, géographique et culturel, on comvers l’ensemble de la société. Depuis sa chère médaille, il prend mieux le personnage polymorphe. Ajoutez à cela sa arpente les émissions radio et télé, les tribunes et donne des passion pour le thé, « c’est la boisson de référence pour moi conférences publiques. Toujours avec le sourire. « ll y a un quand il s’agit de réfléchir », et on obtient la recette de la côté esthétique dans les formules mathématiques », confiait-il réussite. L’ADN du talent. dans un entretien accordé au magazine Lire en octobre der- Le talentueux Villani profite de sa notoriété et milite pour des nier. C’est cette beauté conceptuelle et fédératrice qui l’anime causes qui lui sont chères. L’Europe, l’enseignement et dans pour présenter son travail au public. une moindre mesure, l’économie. « Je suis un militant euroDans toute cette énergie dépensée pour la sacro-sainte péen, expose-t-il. L’intégration de l’UE, c’est un sujet de tous science mathématique, on se demande bien quelle est la les jours. » Le mathématicien omniscient explicite sa concepplace dévolue à sa famille, à ses loisirs, ses passions. « Je ne tion selon laquelle une Europe unie en ferait la première puistiens pas à associer ma famille à ma médiatisation », stoppe sance mondiale, économique et scientifique. « Nous sommes

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dotés d’une histoire et d’une diversité exceptionnelles », conclut-il. C’est d’ailleurs pour cela qu’il fait partie du conseil d’administration du think-tank pro-européen EuropaNova et du conseil scientifique du Mouvement européen. Vraiment, la médaille Fields permet à ce génie de se positionner sur tous les fronts. Avec force et modestie. Il enseigne les mathématiques et intervient dans les lycées, les collèges et même à l’école primaire. « Je viens en complément du travail de l’enseignant pour parler des choses que celui-ci, bien souvent, n’a pas le temps d’aborder », énonce-t-il. Et toujours, Villani est pédagogue, promoteur. Il utilise moult exemples concrets, dessins à l’appui, pour parler de sa science. « On ne consacre pas assez de temps à l’enseignement des mathématiques », déplore-t-il. C’est pour cela qu’il est ravi de pouvoir apporter sa pierre à l’édifice et communiquer sur le sujet. Qui mieux que lui peut prétendre le faire ? Devant tant de conviction et de verve, on a voulu savoir si le médaillé Fields connaissait la formule pour lutter contre la crise. La réponse est éloquente : « Il n’y a pas d’équation. Tout réside dans la confiance. Avec ma casquette de militant pro-européen, pour moi la solution c’est l’Europe. » Logique.

Le théorème, héros de roman En définitive, pas si énigmatique que ça le maître du chiffre. Il a bien essayé de nous confondre avec le titre de son roman. Théorème vivant se veut volontairement ambigu. Mais on comprend que ce théorème-là, c’est un peu son auteur. L’histoire d’un homme qui a voulu montrer que les mathématiques sont passionnantes. Ce projet fou est né au printemps 2010, avant la médaille Fields. Lors d’un dîner à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain, Villani rencontre Olivier Nora, dirigeant des éditions Grasset. L’éditeur est intrigué par le personnage. « Mais qui est ce gugusse avec sa lavallière et son araignée », s’exclame-t-il. Très vite, une discussion sur un projet éditorial débute. À cette époque, Cédric Villani a des idées d’ouvrages de vulgarisa-

F(x) = CédriC ViLLani

f(1973) = naissance à Brive-la-Gaillarde f(1992) = école normale supérieure f(1996) = agrégé-préparateur

f(1998) = thèse sur la théorie mathématique de l’équation de Boltzmann f(2000 - 2010) = enseignant-chercheur à l’ens Lyon, invité à Berkeley et princeton

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f(2008) = prix de l’european Mathematical society f(2009) = direction de l’insitut Henripoincaré f(2010) = professeur à l’université de Lyon f(2010) = médaille Fields f(2012) = roman Théorème Vivant (Grasset)


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tion mais ce n’est pas ce que souhaite Nora. Il veut un témoignage plus personnel, plus intime. « Un mathématicien, ça fait quoi de ses journées ? », lui demande-t-il. Un défi de taille pour celui qui n’est pas habitué à parler de lui. « M’étaler au grand jour ? J’étais sceptique... Je me demandais par quel bout prendre le problème. » Le manuscrit est finalement rédigé. Villani décide de faire du théorème le héros. Il raconte sa construction, sa fécondation, sa gestation et sa naissance, comme celle d’un être biologique. Un travail intense en équipe, avec son ancien élève et collabo-

rateur, Clément Mouhot. Théorème vivant paraît en septembre 2012 dans la collection jaune de Grasset. C’est donc son premier roman. Un mystère reste entier aussi bien après avoir lu son livre qu’après l’avoir rencontré. Mais pourquoi porte-il toujours une araignée à son col de veste ? « Ça c’est secret défense ! »

Aurélie M’BIDA - Photos : Coralie LEMKE

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Exposition BNF Des bananes en barbapapa, une bague et un piercing pour un style rockabilly. La série de photographies Barbapapa d’Isabelle Chapuis joue avec les codes de l’enfance et de la mode. La jeune photographe a choisi une beauté froide qui contraste avec la légèreté du produit de confiserie. Résultat : un travail plein d’humour et de poésie. Isabelle Chapuis expose en France comme en Chine et travaille pour plusieurs grands magazines de mode. Lauréate du prix Picto de la jeune photographie en 2010, elle a remporté en octobre la Bourse du Talent, qui soutient la photographie

émergente dans la catégorie mode. Sa série Barbapapa est exposée jusqu’en févier à la Bibliothèque nationale de France. On en reprendrait bien un peu. Et vous ? Ophélie GIOMATARIS Exposition Bourse du talent 2012. Bibliothèque nationale de France (site François Mitterrand) jusqu’au 17 février 2013, organisée par la Bourse du Talent.

Culture Jil Is lucky P. 80 Rero P. 87 Carole Guisnel P. 88 Rentrée littéraire P. 90 CAUSETTE #28 • 79

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CULTURE

M U SIQU E

Jil Is Lucky sort les griffes Torturé, passionné, envoûtant, Jil Is Lucky est un musicien français au style inqualifiable. Pour In the Tiger’s bed, son deuxième album qui sort en février, il a puisé son inspiration dans sa rencontre avec un fauve. Un miroir de son art et de sa personnalité...

P

our ouvrir la rubrique culture, nous n’avons pas rencontré un musicien, mais un tigre. Un artiste-tigre. « Jil Is Lucky ». Il ne s’agit pas d’un type complètement cinglé qui se prend pour un félin. C’est beaucoup plus réfléchi. L’animal vit dans la peau de Jil, ou l’inverse. Jil est un personnage double. C’est en Inde qu’il en a pris conscience. « J’étais dans la forêt à Bandipur avec deux de mes musiciens, et nous nous sommes retrouvés face à un tigre. Une rencontre fortuite et terrifiante. On est monté à un arbre. On l’entendait grogner, et là j’ai pensé à

mon chat. On a tergiversé deux minutes pour savoir s’il pouvait nous atteindre et finalement, on a sauté et on s’est enfui. Ce qui était complètement irresponsable devant un fauve mais ça nous a sauvé. » Cette histoire devient le mythe de Jil Is Lucky.

« Je dessinais des vrais nus, pas des gribouillages » « J’y ai vu une mise en abîme. Je venais de trouver mon monstre intérieur. Ce tigre est devenu l’incarnation de mes angoisses. » Un an plus tard, The Tiger’s Bed est né, deuxième album de

Jil Is Lucky. Toujours en anglais. Cet opus est celui d’un artiste anxieux, qui passe son temps à produire. Écriture, composition, peinture, sculpture. « Ce besoin constant de créer est une sorte de malédiction car je dois purger sans cesse mes angoisses. C’est aussi une chance qui me permet de créer en pemanence, d’où le nom Jil Is Lucky. » À Paris, dans un hangar sombre, enfumé et traversé de flashs verts, Jil tourne son prochain clip avec son groupe. Seul son art l’apaise. Depuis l’âge de cinq ans, Jil fascine par son talent, par la maturité de son trait. « Je

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dessinais des vrais nus, pas des gribouillages. Mon père et ma mère étaient un peu sidérés. » Tout petit, il joue déjà de la guitare et de la basse. C’est aussi une histoire de famille, même si ses parents ne sont pas musiciens. « Mon oncle avait un studio radio et diffusait des morceaux des années 70. C’était notre temple. » À douze ans, il accompagne un groupe chaque week-end, dans un bar. « C’était interdit à mon âge ! Quand les flics arrivaient, je me planquais derrière mon ampli qui était plus grand que moi ». Aujourd’hui, la musique, c’est partout et tout le temps. Entre une question et une photo, le chanteur ne peut pas s’empêcher d’aller montrer deux-trois accords à son bassiste. Le morceau le plus ensorcelant de l’album est sans doute Dead Star. Crescendo, fortissimo, un titre qui fait d’abord planer avant de donner une envie irrésistible de sautiller. Jil le vit encore : « C’est une montée d’angoisse qui se libère à la fin, avant de s’évanouir. Cette chanson est un bad trip lié à la prise de

substances. J’avais l’impression de ne plus toucher terre. La Dead Star est une étoile morte qui tourne dans l’univers et ne sert plus à rien. J’étais le spectateur froid et glacial de ma vie. » Emmitouflé dans sa grosse écharpe zébrée noire et blanche, Jil explique que pendant un temps, il a dû prendre des pilules le soir pour s’endormir. C’est ainsi qu’est née la chanson Pills.

« Le tigre m’effraie mais j’ai peur de le perdre » Plusieurs fois, il s’est réveillé le matin en découvrant ses textes écrits la veille. Encore ce fichu tigre ? Car on y revient toujours. Son monstre, il ne le veut plus, il le veut encore. Jil est coincé entre deux désirs opposés. Le chanteur accepte le côté masochiste de sa personnalité torturée et magnifique. « Le tigre m’effraie mais j’ai peur de le perdre, car si je retrouvais mon selfcontrol, je n’aurais plus d’inspiration. » Son souffle lui vient aussi des poètes maudits dont il dompte le spleen. Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud…

Jil se trouve là où on ne l’attend pas. Hybride, il mêle la pop au folk, le rock à l’électro, chatouille le RNB et fait du Jil Is Lucky. Impossible de déterminer la couleur de son album, pour nous comme pour lui. « J’ai voulu que celui-ci n’entre dans aucune case. » À moins de créer la catégorie tigre…

Sophie-Amélie SIMONNET et Thibaut GEFFROTIN Photos : Rémy CHIDAINE

À ÉCOUTER In the Tiger’s Bed, de Jil Is Lucky. Nouvel album le 5 février 2013. En concert à La Maroquinerie (Paris) le 6 février 2013 et en tournée dans toute la France, en Suisse et en Belgique.

BIOGRAPHIE 10 février 1984 : naissance de Jil Bensénior à Nice. 1991 : première guitare. 1996 : premiers concerts dans des bars. 2008 : première chanson et naissance du groupe Jil Is Lucky. 2009 : premier album appelé Jil Is Lucky. 2009 : la chanson The Wanderer est choisie pour la publicité mondiale Kenzo à la TV. 2011 : rencontre de Jil avec un tigre dans la forêt indienne. 2013 : sortie de l’album In the Tiger’s Bed en février.

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Sirius Plan, trois rockeuses qui détonnent Sirius Plan, c’est tout le contraire d’un plan sérieux. Ce girl’s band old school fait se lever les salles de concert en France et en Belgique. Depuis deux ans, les trois musiciennes jouent, sans pression ni impératif.

«O

n casse la gueule aux chansons que l’on reprend. » Sirius Plan, c’est la folie. Imaginez trois filles. Trois rockeuses à l’oreille différente, l’une est plutôt blues-rock, l’autre métal, la dernière groove. Les trois voix ne se ressemblent pas, elles se complètent. Seules, elles font tout, mais rien comme les autres. Skye est gauchère et joue à l’envers sur une guitare de droitière. Claire Joseph gratte une guitare baryton à quatre cordes. Quant à Gaëlle Mievis, elle tape sur une caisse claire et un tom en guise de batterie. Tout le temps elles chantent, en anglais et en français, elles ont toujours le « smile » et à chaque fois elles hurlent au public qu’il est « magnifique ». Sirius Plan, c’est l’histoire de vacances qui ne se sont jamais terminées.

Casser la gueule aux chansons Un soir, Claire Joseph et Skye assistent à un concert parisien de la chanteuse

Beverly Joe Scott. À la batterie et au chant, elles découvrent la Belge Gaëlle Mievis. « Sa façon de jouer nous a tapé dans l’œil. » Pendant quelques années, les trois filles se suivent, s’écoutent, se croisent, jusqu’à ce soir d’octobre 2010. Paris, une chambre d’hôtel, une guitare posée sur le lit : des heures de jam ! « C’était une rencontre musicale, la symbiose de nos trois voix. » Skye ne veut pas s’arrêter là. Au même moment, la marque de guitares Santa Cruz lui propose, à elle seule, un concert. « J’ai dit ‘OK mais on sera trois’. Les filles ont accepté tout de suite. » Les voilà parties dans le sud de la France pour une semaine express de répétitions. « On a écouté George Lang sur RTL dans la voiture et on a noté les chansons qu’on voulait reprendre. Puis on a dormi quelques heures. » Et c’est ainsi que les trois rockeuses ont appris la première fois à « casser la gueule » aux chansons. Leurs reprises, elles se les approprient pour créer leurs classiques. Depuis son premier concert en

avril 2011, Sirius Plan s’est produit une cinquantaine de fois en France, Belgique, Luxembourg et même…aux États-Unis. Deux festivals féminins en Alabama et à New York qui ont émerveillé les trois musiciennes. « On a joué dans le Bayou ! Au début, on devait faire un seul concert. Juste des vacances ! » Les trois filles n’imaginaient pas enregistrer un album. Sirius Plan, c’est une « récréation » dans la carrière individuelle des jeunes femmes, qui par ailleurs chantent, écrivent et composent. Quand elles sont Sirius Plan, Skye, Claire Joseph et Gaëlle Mievis se permettent tout. « On est toutes les trois dans notre délire et on rêve comme des gosses. Parfois, on se dit qu’on peut chanter à Wembley. Seules, on n’oserait pas l’imaginer. » Dans le premier titre de leur EP, les filles chantent « Don’t be scared to be a hit » (n’ayez pas peur d’être un succès). Les Sirius Plan n’ont peur de rien. Thibaut GEFFROTIN

Sirius Plan sera en concert au Café de la danse à Paris le 22 avril. Une tournée et un album sont en préparation. les rockeuses ont déjà sorti un EP de 5 titres avec 3 compositions et 2 reprises. (California de Mylène Farmer et La nuit je mens, d’Alain Bashung.)

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W E B DOCU MENTAIRES

À Predappio, on fait encore le salut fasciste

Predappio. Petite bourgade de 6 500 habitants du Nord de l’Italie entourée de champs d’oliviers et de collines. En 1883, Benito Mussolini y est né. Depuis, sa maison a été transformée en lieu d’exposition, sa villa en musée et des boutiques de souvenirs à son effigie se sont multipliées. Durant la commémoration de la mort du Duce, le 28 avril, et l’anniversaire de la marche sur Rome, le 28 octobre, la ville se remplit de centaines de manifestants et de journa-

listes. Cyril Bérard et Samuel Picas ont décidé d’y rester quelques mois, le temps de vivre le quotidien de ses habitants. Et de s’interroger : Comment vivent-ils ? Que pensent-ils ? Sont-ils tous fascistes ? Le résultat, c’est La Duce vita. Un documentaire interactif passionnant qui allie des instants de vie à des éclairages de philosophes, hommes politiques et historiens sur le fascisme et l’Italie d’aujourd’hui. Entre mémoire et histoire, ce webdoc est le récit d’un pays désemparé face à un héritage trop encombrant. Comme l’explique le maire : « Benito Mussolini a lié de manière indissociable son nom à celui de Predappio. La ville est tiraillée de tous les côtés. Il y a les extrémistes de gauche qui voudraient qu’elle n’existe pas et les extrémistes de droite qui voudraient qu’elle leur appartienne. Nous voudrions au contraire qu’elle soit à tout le monde. » Ophélie GIOMATARIS

La Duce vita, documentaire interactif de Cyril Bérard et Samuel Picas.

Gothiques à l’état brut Le mouvement gothique fête ses trente ans. Pour l’occasion, le webdocumentaire I Goth My World explore les origines et les métamorphoses d’un milieu fascinant. Il casse le cliché de l’ado boutonneux mal dans sa peau, les yeux maquillés au feutre et les vêtements «dark», qui revendique l’anarchie devant ses amis. Le webdoc, extrêmement coloré, a le mérite de montrer la réalité du mouvement, avec tout ce qu’il a de complexe et de varié. Les réalisateurs, une jeune équipe de trois journalistes fraîchement diplômés, donnent la parole à trois générations de gothiques français. Le boucanier, 48 ans, est un précurseur du mouvement. Il a hérité de certaines particularités du Punk. Katmi, 34 ans, vit sa passion entre la France et l’Allemagne. Elle s’intéresse à la littérature et la mythologie nordique. Chancy, 17 ans, est un jeune goth branché mode et techno d’origine congolaise. Y a-t-il un lien entre l’extrême droite et les gothiques ? Où se cachent les vampires à Paris ? David Bowie étaitil goth ? Autant de questions évoquées par les trois personnages et dans les bonus. Les témoignages, les

interviews d’experts et les vidéos d’acteurs permettent d’avoir une vision transversale du mouvement gothique depuis les trente dernières années. Le webdocu, diffusé sur Arte, allie informatif et participatif. Ni triste ni troublant, il révèle une qualité d’image irréprochable qui en fait sa force. Ysaline HERMAN

I Goth My World,Webdocumentaire de Guillaume Clere, Brice Lambert et Avril Ladauge.

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C I NÉMA

Reconquête en poussette

Thomas et Marie sont amoureux. Marie voudrait un enfant. Thomas la perd par peur de s’engager. Un an après cette rupture, le trentenaire est toujours inconsolable. Pendant quelques jours, il est contraint de s’occuper du bébé de sa voisine hospitalisée. C’est l’occasion pour lui de reconquérir la femme de sa vie . Influencé par Paul, un de ses amis persuadé que les filles ne craquent que

pour les jeunes papas, Thomas va s’embarquer dans un gros mensonge.

tant en imposteur jusqu’au-boutiste. Respectivement ex-Miss Météo sur Canal+ et ex-candidate de Nouvelle Star sur M6, Charlotte Le Bon et Camélia Jordana étaient attendues au tournant. La performance livrée par ces jeunes actrices est convaincante. Charlotte Le Bon, l’ex de Thomas, est toujours aussi pétillante et Camélia Jordana attendrissante en fille-mère de 19 ans, un brin paumée. Mais dans cette comédie, ce sont surtout les acteurs secondaires qui détonnent. Jérôme Commandeur est hilarant en prof de tennis tyrannique et dragueur mythomane. Quant à Julie Ferrier, on l’adore en maman allumeuse, adepte de techniques de massage pour bébés. O. G.

Des acteurs secondaires détonnants À mille lieux d’un énième film sur la paternité, La Stratégie de la poussette, de Clément Michel, est une comédie tendre et décalée. Thomas, joué par Raphaël Personnaz, est à la fois touchant en adolescent attardé et inquié-

La Stratégie de la poussette, de Clément Michel. Sortie le 2 janvier 2013.

Road-trip fraternel Ce film, c’est le voyage qu’on rêve tous de faire. Deux frères partent en Argentine, au mariage de leur cousin. Leur but: rejoindre Mendoza, dans l’ouest du pays. Mais à l’aéroport, Antoine, le cadet, ne peut pas aligner trois pas, gavé d’antidépresseurs. Sa femme vient de le quitter. Marcus, le poète, le fantaisiste, décide de prendre les choses en main. Grâce à l’hôtelier qui devient leur guide et leur « brother », ils se retrouvent à faire du karaoké dans un bordel, à boire

du bon vin, à courir après leur voiture en peignoir le fusil à la main… Leur road-trip deviendra la grande aventure avec la belle Gabriela. Chaque étape est une équipée. Mais quand Antoine va mieux, c’est Marcus qui déchante. C’est au tour du petit frère de remonter le moral du grand. Au mariage, on trinque à Pôle emploi, aux maladies mentales, aux météorites, à la famille… La musique entraînante et chaloupée d’Herman Dune accompagne parfaitement les

personnages. On a envie de danser avec eux. Un film vibrant qui met de bonne humeur. S-A. S.

Mariage à Mandoza, de Edouard Deluc, 1h34. Sortie le 23 janvier 2013.

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Jamais sans mon chien prend jusqu’à la fin. Les sept psychopathes sont tous plus timbrés les uns que les autres. Entre un quaker obsédé par la mort de sa fille, un ancien serial killer collé à son lapin ou un mystérieux tueur masqué, le tableau est explosif. Même avec des scènes de carnages très crues, le réalisateur Martin McDonagh signe une comédie magistrale. C’est varié, c’est pertinent. Nos oreilles sont conquises. Y. H.

Alors que Marty, un scénariste hollywoodien, peine à écrire son nouveau projet de film, son meilleur ami Billy, comédien raté et kidnappeur de chiens à ses heures, décide de l’aider en met-

tant sur sa route de véritables criminels. L’affaire tourne au vinaigre lorsque le Shi Tzu adoré d’un gangster disparaît. Un film au scénario totalement improbable qui nous transporte et nous sur-

Seven psychopaths, de Martin McDonagh. Sortie le 30 janvier 2013.

La chair et la couleur

Andrée, une jeune actrice, est engagée comme modèle chez le peintre Renoir, sur la Côte d’Azur. Nous sommes en 1915. Le vieil homme est malade, ses mains tordues ne tiennent les pinceaux que grâce à des bandages. Infirme, il est cloué à sa chaise roulante. Il a perdu sa femme et ses deux fils sont à la guerre. Elle, la belle rousse, est libre, rayonnante et insolente. Comme Jean qui revient du front blessé, boiteux, le vieillard trouve en cette fille une source de jouvence. En filigrane se dessine l’image du cinéaste que deviendra Jean Renoir et de

sa femme, sa muse, Dédé Heuschling, connue sous le nom de Catherine Hessling. Grâce à la jeune femme, chair, formes et couleurs reprennent vie sur les toiles. « Je veux peindre du vivant », « ce que j’aime c’est la peau », dit le peintre. Chaque plan du film est un tableau. Les couleurs éclatent. Tout est beau. Les rondeurs du modèle, les entrailles des poissons en sang, la nature luxuriante. Cette grâce se heurte parfois à l’horreur de la guerre, aux gueules cassées, hors de ce huis clos à ciel ouvert. La peinture de Renoir est une réponse aux souffrances qui l’entourent. « Tout dans son quotidien aurait dû le conduire à peindre les motifs proches du Cri de Munch, explique le réalisateur Gilles Bourdos, et bien au contraire, alors que sa chair le fait souffrir horriblement, sa peinture est là pour célébrer la peau d’une jeune fille. » La beauté sauvera-t-elle le monde ? S-A. S.

Renoir, de Gilles Bourdos. Sortie le 2 janvier 2013.

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Grotesque à l’italienne

Sous le soleil de Palerme, pendant les années 70, la famille Ciraulo est pauvre et vivote du cuivre ramassé sur des bateaux échoués. Lors d’un règlement de comptes entre mafieux, leur fille, la petite Serenella, est tuée d’un coup de revolver. Mais ils apprennent qu’un fonds d’indemnisation existe pour les victimes de la mafia. Pour gagner les 20 millions de lires promises, le père se jette dans une course folle, entre un avocat véreux aux épaules pleines de pellicules et un créancier douteux au sourire carnassier. Avec l’argent qu’il finit par récupérer, il s’achète une Mercedès. Cela s’avère être une très

mauvaise idée. Ce film est une comédie car on rit du grotesque des personnages. Ils font bénir leur auto par un prêtre. Le grand-père, à moitié sourd, reste planté toute la journée devant une télé cassée. Il a toujours une bonne histoire à raconter à Tancredi, l’idiot de la famille. Mais c’est aussi une tragédie. La mafia gangrène toute une ville, décime les familles et tue les innocents. La misère et le manque d’avenir réduisent les habitants au désespoir. Danièle Cipri nous plonge dans une ambiance légère et pesante à la fois. Les personnages dansent et chantent sur l’épave qui leur rapporte un maigre pécule. La tristesse

de la famille devant la mort de leur fille et leur joie devant l’argent gagné en échange. Comment ils s’accommodent de la mafia et leur collaboration, malgré eux. Un film troublant et déroutant.

mise au courant. « En voilà une qui ne mourra pas facilement, affirme le producteur. Je sais, elle est parfaite pour nous », répond son collègue. Tavernier annonçait sans le savoir, en 1980, la téléréalité, dans tout ce qu’elle a d’obscène et de cruel, où l’indice d’écoute surpasse toutes les règles de la morale. « La nudité ne choque plus personne. Il faut faire pleurer aujourd’hui », entendon dans le film. Les sentiments qui naissent entre les deux protagonistes sont suggérés. Tout est à l’émotion du spectateur, entre dégoût et attendrissement

pour Roddy, l’ami, le traître. Une tension permanente, sous les traits de Romy Schneyder, juste et poignante. S-A. S.

S-A. S.

Mon père va me tuer, de Daniele Cipri, 1h33, sortie le 2 janvier 2013.

Fuite en avant Katherine Mortenhoe (Romy Schneider), une écrivain célèbre, apprend qu’il ne lui reste plus que quelques semaines à vivre. Une chaîne de télévision la contacte pour filmer sa mort en direct. Elle refuse et s’enfuit. Sa vie sera enregistrée à son insu par Roddy (Harvey Keitel), un « ami » qu’elle rencontrera sur son chemin et qui ne la quittera plus. La caméra incrustée dans son cerveau permettra la diffusion de l’émission sans que Katherine ne soit

La Mort en direct, de Bertrand Tavernier, réédition (1980), 2 h 08, avec Romy Schneider, Harvey Keitel, sortie le 30 janvier 2013.

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A RT U RBAIN

Rero en mode barré Adepte du mot barré, l’artiste Rero réveille nos esprits endormis et souffle un vent de renouveau dans le monde du street-art. Simple et accessible, son art se veut à la portée de tous. C’est sûr, en 2013, vous ne pourrez pas le rater ! de lettrages à l’aérosol dans des lieux abandonnés ou en friche. « Je voulais retrouver la matière des murs et aller vers quelque chose de plus esthétique », confie-t-il. Chaque œuvre est photographiée, archivée. En parallèle, il continue le travail sur des supports intérieurs : papiers brodés, toiles travaillées à l’acrylique et à la résine, installations. Toujours, le mot barré revient pour interroger de nouveaux concepts.

Une ascension rapide

I

l arrive de Miami, où ses pièces ont été présentées dans une foire d’art contemporain. Des mots barrés pour interpeller le passant : J’aurais préféré un mur blanc plutôt que ces affiches de merde, Is your child a tagger ?, No susbtance. Ces phrases frappent le milieu urbain de leur interrogation. La négation est-elle un effet de style ou signifie-t-elle que l’artiste ne pense pas vraiment ce qu’il dit ? Rero, Alexis dans la vraie vie, est un objet artistique non identifié, à mi-chemin entre streetart et art contemporain. « Tout a commencé au collège. Il y avait des groupes de jeunes. Chacun faisait des graffitis pour poser son nom. Cela n’avait pas trop de sens », se souvient-il, alors qu’il fêtera ses 30 ans l’année prochaine. À l’époque, le jeune homme écume les terrains vagues et les friches, multiplie les exercices de style, et cherche son langage. « J’avais l’impression d’être enfermé dans les codes du graffiti. »

Overdose d’images Un an passé à Londres, et c’est le déclic. « Je me disais : qu’est-ce que je peux apporter de nouveau ? Face à la profusion d’images, j’ai choisi une police simple, du noir et blanc, et j’ai commencé à coller des affiches dans la rue avec des messages. » Les mots sont barrés d’une ligne, comme pour nier l’évidence de messages faussement naïfs. Avec ses textes, Rero questionne tour à tour la propriété privée, le vivre-ensemble, le monde virtuel. « Je trouve que la société manque souvent de sens », déclare-t-il, un brin songeur. En France ou en Allemagne de l’Est, Rero laisse sa trace à coups

En 2010, il se fait repérer par une galerie d’art contemporain qui le propulse rapidement comme la nouvelle figure montante du street-art. « Je ne pensais pas du tout pouvoir un jour vivre de mon travail », s’étonne-t-il. Dans la vraie vie, Rero travaille comme graphiste et ressemble à M. Tout le Monde. Certaines de ses grosses pièces ont été vendues autour de 12 000 euros. « J’ai de la chance. Aujourd’hui je fréquente les gens que j’admirais hier. Je fais des choses parfois difficiles à collectionner et les gens trouvent cela génial. C’est un peu dingue… », analyse-t-il. Malgré une ascension récente, Rero figure déjà parmi les artistes conviés au musée de la Poste, à Paris, pour l’exposition intitulée Au-delà du street-art. En avril, il s’attaquera même aux coursives du centre Pompidou, à Paris, pour y afficher ses mots barrés. Il animera aussi des ateliers pour initier des adolescents au plaisir du détournement par le langage. Rero tient à rester à la portée de tous. « Mon message vient de la rue. Il doit être vu et compris par n’importe qui ».

Gaëlle COURSEL - Photos de BACKSLASH et Philippe BONAN

À VOIR Au-delà du street-art, avec Rero. Exposition jusqu’au 30 mars 2013 au musée de la Poste, 34 boulevard de Vaugirard, 75015 Paris. Entrée de 5 à 6,50 euros.

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CULTURE

S P ECTAC LE

Carole Guisnel, folie douce Qui n’a jamais rêvé d’entendre Phèdre avec l’accent belge ? Avec Carole Guisnel, le dicton « le ridicule ne tue pas » n’a jamais aussi bien fonctionné. Dans son one woman show, Maniac, l’humoriste de 31 ans campe plusieurs personnages hauts en couleur : de la professeure de théâtre ratée et hystérique à une princesse-sirène-fée, en passant par une racaille qui zozotte. Rencontre avec une comédienne à la fois sensible et un brin frappée. Causette : Pourquoi avez-vous appelé votre spectacle Maniac ? Carole Guisnel : Je suis fan de Flashdance, qui est le film culte de mon enfance. J’aime aussi beaucoup la danse, surtout le classique que j’ai pratiqué pendant longtemps. Ce qui se voit d’ailleurs beaucoup (rires). Ce que j’aime bien dans ce film, c’est que l’héroïne évolue dans un univers de garçons tout en étant très féminine. Elle reste fidèle à elle-même. Maniac, ça signifie aussi taré, obsessionnel, mais dans le sens d’une folie douce. On me dit souvent que je suis tarée mais c’est quelque chose de positif pour moi. Et puis, je me suis aussi rendu compte qu’il y avait ce jeu de mots, ma niaque, comme une énergie que je m’approprie. Dans votre spectacle, il y a beaucoup de personnages un peu borderline. Comment qualifieriez-vous votre style ? C. G. : J’ai du mal à le qualifier mais j’ai entendu des adjectifs qui semblent me correspondre. On dit souvent de Maniac qu’il a un côté punk, dans le sens de borderline. L’esprit de mon spectacle, c’est d’être à la marge et de l’assumer. Et ce n’est pas grave d’être un peu hors limite, du moment qu’on est généreux. Quand les spectateurs ont apprécié mon spectacle, ils ressortent en ayant la pêche. Et c’est ça mon travail, essayer de donner une bonne énergie. Vous jouez aussi beaucoup avec l’autodérision… C. G. : Quand je ris de moi-même, ça parle à tout le monde, car on vit tous des moments de détresse ou de solitude

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CULTURE

immense. Je me moque de moi et des autres parce qu’on est tous pareils. Je n’ai pas confiance en moi, comme beaucoup de gens d’ailleurs. Ce spectacle est une sorte de consécration. Je commence à gagner en assurance. Il faut prendre des risques pour aller sur scène. Parfois, en coulisse je me demande : « Pourquoi je fais ça ? Qu’est-ce que je cherche à me prouver ? » Et souvent, il faut vraiment oser pour y aller. Vous écrivez seule vos textes. Qu’est-ce qui vous inspire ? C. G. : Je m’inspire de ma vie et de celle des autres. J’ai envie de faire passer des émotions. Je parle très peu d’actualité et de politique car je considère que certains humoristes le font mieux que moi. Vous avez été iconographe dans la presse écrite, auxiliaire de vie scolaire et animatrice. Rien à voir avec les planches… C. G. : J’ai toujours voulu être humoriste. Mais on ne naît pas comique, on le devient. C’est quelque chose qui s’apprend au fur et à mesure. J’ai fait beaucoup de théâtre. Quand j’ai commencé, j’ai découvert un lieu d’expression que je n’avais jamais eu nulle part ailleurs. Je pouvais tout exprimer sur scène. J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer des drames, à m’essayer à des genres complètement différents. Et il y a aussi certaines personnes qui m’ont donné envie de faire ce métier, comme Philippe Caubère. Son jeu et son écriture sont brillants. Quoi qu’il en soit, tous ces petits jobs que j’ai exercés pendant de courtes durées m’ont énormément nourrie. Jouer dans des pièces classiques, c’est quelque chose qui vous tente ? C. G. : Oui, j’adorerais ça. Et des pièces

contemporaines aussi. Ce qui me fait peur, c’est de jouer dans une troupe, d’apprendre à nouveau à travailler en groupe.

dans ce métier. Mais ça ne fait pas tout. Il y a des humoristes brillants comme Florence Foresti ou Kyan Khojandi qui n’ont jamais remporté de prix.

Pourtant, parallèlement à Maniac, vous jouez dans Wanted, une pièce avec trois autres comédiennes… C. G. : Oui, on est quatre sur scène, mais on est toutes humoristes. On s’entend très bien sur ce projet car on connaît la dynamique d’un spectacle comique. Mais j’espère qu’un jour, je serai suffisamment légitime pour jouer Phèdre sans l’accent belge.

Existe-il un humour féminin ? C. G. : Non, je ne pense pas. Il y a des sujets féminins qui font rire les hommes et les femmes. Par exemple, quand Florence Foresti fait son sketch sur la grossesse, c’est un thème très féminin mais ça parle aussi aux hommes. Il y a peut-être un humour girly qui joue beaucoup sur les sentiments. En revanche, il y a de plus en plus de femmes humoristes, ce n’est plus un métier réservé aux hommes.

Vous parlez de légitimité. Y a-t-il un regard condescendant porté sur les humoristes ? C. G. : De moins en moins, mais ça a été le cas pendant longtemps. Aujourd’hui, les humoristes sont reconnus comme des auteurs, des acteurs. En plus, on crée notre propre entreprise, on s’occupe de la lumière, de la musique, de la promotion, de la communication. Je pense que les comiques ont gagné en légitimité. Dans mes cours de théâtre, il y avait beaucoup de mépris envers la comédie sur scène et le théâtre de boulevard. Aujourd’hui, tout ça est en train de changer, de perdre en complexe. Aux États-Unis, par exemple, les acteurs de comédie sont très respectés, mais en France on a un peu de retard. Vous avez reçu le prix du Jury au Festival de l’humour de Lyon et le prix de la ville au Festival du rire de Villeneuve-sur-Lot. Qu’est-ce que cela représente pour vous ? C. G. : Les festivals d’humour sont super parce qu’on y rencontre beaucoup de professionnels. On obtient une reconnaissance du métier et c’est porteur, je me dis que je suis sur le bon chemin. C’est comme si on recevait un petit diplôme alors qu’il n’y en a pas

Êtes-vous drôle au quotidien ? C. G. : Je ne fais pas des blagues en permanence. Je peux être très marrante ou pas du tout. Comme tout le monde en fait. Mais j’adore rigoler et je pense que c’est une lutte. Si on ne rit pas, on meurt. Et ce qui nous fait vraiment rire, c’est ce qui nous a d’abord fait pleurer. Donc j’ai beaucoup pleuré mais j’en ai ri après coup. On dit souvent « on en rigolera dans dix ans », eh bien je fais en sorte d’écourter le délai. Quels sont vos projets ? C. G. : Continuer à jouer mes spectacles et à écrire. J’aimerais aussi beaucoup faire des chroniques à la radio.

Ophélie GIOMATARIS - Photo : Delphine ROYER

À VOIR Maniac, de Carole Guisnel. En spectacle au Point-Virgule, 7, rue Sainte-Croixde-la-Bretonnerie, à Paris. Sur scène tous les lundis à 19 h jusqu’à fin juin. Entrée de 12 à 19 euros.

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CULTURE

L I VR ES

La poésie comme un cri LE GENRE : EXTASE LACRIMALE sance des textes transmet une urgence, une alarme. « Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelques mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser la détente et il était sauvé ! », écrit René Char. Du Moyen-Âge à aujourd’hui (même Michel Houellebecq y trouve sa place), les textes expriment des émotions intenses, racontent des adieux, une angoisse « acide et trouble » (Artaud), des amours puissantes ou perdues (« Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire / j’ai vu tous les soleils y venir se mirer », Louis Aragon). Le recueil contient un dossier explicatif sur la poésie lyrique, ses origines et ses figures de proue. Chaque poème déroulé y est pertinent, il n’y en a pas un de trop. Au contraire, on en redemande.

Sophie-Amélie SIMONNET Ces poèmes écorchent. Ils empoignent le lecteur, lui qui, lisant Anthologie de la poésie lyrique sur la couverture, s’attend peut-être à des mièvreries sans nom. Dans ce recueil, il y a du désespoir et de la souffrance. De la joie aussi. La puis-

Poèmes pour émouvoir. Anthologie de la poésie lyrique, dossier par Sylvie Jopeck. Éd. Gallimard, 192 pages, 5,10 euros.

Presqu’île arabe LE GENRE : ROMAN D’EXIL de son pays, comment le bureau des renseignements l’assaille de questions. « Il était une fois un passé effacé », répètet-elle comme un refrain. Elle rencontre son mari Yazid lorsqu’ils travaillent comme traducteurs dans le même bureau. Après dix-sept années d’exil, elle revient voir sa mère, malade, qui ne la reconnaît pas. On lit ce livre comme on écouterait une confidence qui a du mal à sortir et qu’on a peur d’interrompre. Ce qu’il reste, c’est une atmosphère, une ambiance à nulle autre pareille. Des phrases lancées restent en suspens, d’autres reviennent en ritournelle. Comme une presqu’île, Hazar est entre deux mondes, entre quête du passé et foi en l’avenir, poussée par le désir de liberté. « Petite, je m’étais promis de vivre selon mes envies. J’aimais mieux prendre un train qui déraille que suivre une voie ferrée tracée par d’autres. » Entre mélancolie et sérénité. S-A. S. Presqu’île arabe, c’est le monologue intérieur d’Hazar, une Syrienne exilée à Paris qui a choisi de vivre loin pour vivre libre. Née d’une mère chrétienne et d’un père musulman, elle raconte à la première personne comment elle fuit la dictature

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Presqu’île arabe, de Salwa Al Neimi. Traduit de l’arabe par Leïla Tahir. Éd. Robert Laffont, 208 pages, 15 euros.


CULTURE

Un écrivain, un vrai LE GENRE : ROMAN-RÉALITÉ

Gary Montaigu vient de gagner le prestigieux International Book Prize et accepte d’être filmé 24 heures sur 24 dans une émission de téléréalité pour montrer sa création en direct. Son but ? Rendre la littérature accessible à tous. Chaque téléspectateur suit ce qu’il écrit et donne son avis. Si ça lui plaît,

il clique sur j’aime-je partage. Gary ne peut plus faire un pas sans avoir une caméra sur le dos, sans que son roman soit passé au scalpel. L’écrivain, poussé par une épouse castratrice, se retrouve embringué dans un tourbillon de médiocrité. On lui vole sa liberté, il perd toute inspiration. « La putain de l’écriture », voilà ce qu’il est devenu. Ce roman est une dénonciation mordante du storytelling, de la téléréalité, de Facebook aussi, où chacun peut devenir un héros, pourvu qu’il soit ordinaire. Gary déplore ce monde régi par la vitesse et le profit, où la pensée n’a plus sa place. Où tout est fait de paillettes et de vacuité. Heureusement, il y a encore un peu d’espoir : l’amour est possible même dans le pire des mondes. Dans un style enlevé et caustique, Pia Petersen interpelle sur la place de l’artiste dans la société contemporaine. Son rôle est de penser, de créer. Librement. S-A. S.

Un écrivain, un vrai, de Pia Petersen. Éd. Actes Sud, 208 pages, 20 euros.

Le dîner LE GENRE : COMÉDIE DE MOEURS GLAÇANTE

« On n’a pas besoin de tout savoir les uns des autres. Les secrets ne sont pas un obstacle au bonheur », songe Paul, le narrateur du Dîner. Deux couples se donnent rendezvous dans un restaurant huppé d’Amsterdam. Dès l’entrée, les tensions s’installent entre les membres du quatuor. Rivalités et mépris ressurgissent entre Paul, l’ancien

professeur d’histoire, et son frère, Serge, le politicien. Entre une salade de chèvre chaud et un homard, on lance des sujets de conversation futiles pour adoucir l’ambiance. Mais il faudra bientôt aborder l’inévitable sujet qui les a réunis. Car leurs fils se sont livrés à un acte d’une terrible violence. Un acte relayé par les médias, pour lequel les deux adolescents n’ont pas été identifiés. Seuls leurs parents ont compris. Jusqu’où aller pour les couvrir, pour préserver sa famille, se préserver ? Le dîner d’Herman Koch est un roman à l’humour noir, un huis clos qui nous interpelle sur les valeurs morales de notre société. Le lecteur plonge dans la débauche de cette famille bourgeoise et en sortira peut-être écœuré. 360 pages qui se dévorent d’une traite.

Ophélie GIOMATARIS

Le dîner, d’Herman Koch. Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin. Éd. 10-18, 360 pages, 7,70 euros.

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CULTURE

B E AUX LIVR ES

Récits de paysans LE GENRE : TRÉSOR INTIMISTE

Revivez cent ans de vie agricole française en pénétrant au cœur du quotidien des paysans. Ce livre-objet se manie et s’explore comme on le ferait

avec de vieux journaux poussiéreux. Une multitude de photographies d’époque, de citations d’auteurs, d’extraits de romans, de témoignages, de vieilles publicités et de lettres défraîchies nous permettent de parcourir de manière ludique l’évolution de la campagne française entre 1870 et 1970. Plus séduisant encore, d’autres documents curieux retrouvés dans les greniers de familles paysannes se sont cachés dans les pages ou glissés dans des enveloppes. À la manière d’un chercheur d’or, on extirpe chaque trouvaille avec la plus grande précaution. Entre un livre de comptes, un plan de ferme, un permis de chasseur, un agenda, une affiche du deuxième Salon de l’agriculture ou une lettre d’un pay-

san dans les tranchées à sa jeune épouse, nos yeux se régalent et notre esprit s’évade. L’ouvrage, abondamment illustré, est très bien construit. Il se divise en trois périodes décisives pour les mutations du monde agricole. Chaque double-page correspond à un thème. Du temps des attelages à la fée Électricité en passant par les vignes dévastées, le livre se lit avec délice et promet d’intéresser grands-parents, parents et enfants !

Ysaline HERMAN

Les paysans - Récits, témoignages et archives de la France agricole (1870-1970), de Philippe Madeline et Jean-Marc Moriceau. Éd. Les Arènes, 120 pages, 29,90 euros.

La pub dans tous ses éclats LE GENRE : POLITIQUEMENT TRÈS INCORRECT rez un monde où les médecins prescrivent des cigarettes contre l’asthme, où les bébés boivent de la bière, du CocaCola et dorment sous des lampes UV, où les femmes au foyer tombent amoureuses de leur grille-pain, où les hommes frappent leur épouse et où la lessive de la ménagère sert à blanchir les Noirs. Découvrez « Les pubs que vous ne verrez plus jamais » d’Annie Pastor. Racistes, sexistes, machistes, naïves : ce livre hilarant compile 200 publicités corrosives datant des années 30 à 70. Aucune n’est une parodie. 160 pages de trouvailles publicitaires, tout sauf politiquement correctes. Alors l’auteur s’interroge : « Dans quel drôle de siècle vivait-on avant ? » Un délice à consommer sans modération et avec une bonne dose de second degré.

Ophélie GIOMATARIS « J’aime ma femme. J’aime la Kronenbourg. Ma femme achète la Kronenbourg par six. C’est fou ce que j’aime ma femme. » Halte à la démagogie ! Adieu bien-pensance ! Explo-

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Les pubs que vous ne verrez plus jamais, d’Annie Pastor. Éd. Hugo et Desinge. 176 pages, 14,99 euros.


CULTURE

BD

Jours de destruction, jours de révolte LE GENRE : CHRONIQUE CORROSIVE

« Parce qu’ils ont semé le vent, ils moissonneront la tempête. » Dans Jours de destruction, jours de révolte, les méchants capitalistes sont taillés en pièces dès le préambule. La plume acérée de Chris Hedges et les dessins en noir et blanc de Joe Sacco livrent une vérité crue sur l’Amérique des

laissés-pour-compte. Difficile de rester insensible à la lecture de vies tragiques et tourmentées. Celle de Mike, descendant d’un chef Sioux, se partage depuis toujours entre beuveries et règlements de compte. À Pine Ridge, dernière réserve d’Amérindiens du pays, l’alcoolisme touche 80% des gens. Affalé dans un fauteuil miteux, Rudy, rongé par la silicose après 40 ans passés à la mine, attend, lui, que la mort l’emporte. Oui, le misérabilisme guette les deux auteurs à chaque page. Non, ils ne tombent pas dans cet écueil et truffent leur investigation de chiffres, d’extraits de discours et de citations. Saviez-vous que les États-Unis étaient le pays à la plus forte consommation d’antidépresseurs au monde ? L’American Dream en prend un sacré coup. Rien que pour ça, le road-trip de Sacco et Hedges aura valu le détour.

Fabien MULOT

Jours de destruction, jours de révolte, textes de Chris Hedges, récit et dessins de Joe Sacco. Éd. Futuropolis, 320 pages, 27 euros.

Pour les pitchous L’enchanteur

L’écolo

Ouvrir le livre de Rebecca Dautremer, c’est se plonger dans un théâtre en dentelle. À chaque page, un personnage en relief déclame sa réplique sur fond de jardin prédécoupé. Le décor change au fur et à mesure de la lecture. Le roi de cœur rencontre le petit poucet. Une princesse imaginaire s’adresse à un mouton carnivore. Cyrano pense à Roxane… « Amoureux, c’est comme un rêve ! », s’écrit Thomas. Et c’est bien dans un songe que le lecteur se plonge. Comme Alice au pays des merveilles, qui fait d’ailleurs quelques apparitions. Dans le petit théâtre de Rebecca, tout est étrange, tout est possible.

Mademoiselle Oignon a pas mal de problèmes : le premier, le plus urgent, c’est qu’elle craint pour sa vie et compte sur le lecteur pour la sauver de la fatale friture. Au fil de la lecture, il faut détacher les couches du bulbe prisonnier des pages du livre tout en réfléchissant. « Si je mange un poulet qui a mangé un ver, est-ce que je mange aussi le ver ? », « Quand tu repenses à des moments heureux, es-tu triste ou heureux ? » Une fois la lecture terminée, on se sera creusé la cervelle, on aura bien rigolé, philosophé et, si tout va bien, on aura sauvé Mademoiselle Oignon, qui trônera en 3D sur une étagère.

Le petit théâtre de Rebecca, de Rebecca Dautremer. Éd. Gautier-

Un ragoût p^ our la Terre et les Krotezurines, de Marie Fripiat, Noémie Malbecq, Aline Wauters, Lise et Tinne Kieckens.

Languereau, 208 pages, 35 euros.

Éd. Nature et Progrès, 52 pages, 16,50 euros.

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BD

CULTURE CD

Johnny, séducteur comme à 20 ans « Je rêve encore le soir en fermant les yeux. Refaire l’histoire pour toi au creux de mes bras. » Dans son dernier album, Johnny Hallyday se la joue très rocker-lover. L’amour et les femmes sont des thèmes omniprésents dans ses textes, écrits par six paroliers différents, trois femmes et trois hommes. Johnny interprète l’homme inquiet : « Que vais-je faire de mes deux mains si elles espèrent en vain ? » Le torturé, lorsque « chaque nuit [il] rêve de toucher ton corps et de l’amour à mort ». Il doit retrouver son amour perdu, « un nouveau jour, pour tout recommencer, pour se faire pardonner, les fautes du passé. » Il avait pourtant prévenu que « si jamais on s’endort, dans notre petit confort, on changera de port, l’amour peut prendre froid. » À 69 ans, Johnny se sent jeune et résume son état d’esprit dans une chanson qu’il a appelée « 20 ans », âge auquel « on joue toujours avec les allumettes, avec les flammes, avec le désir. » Pourrait-il être séduit par Causette ? Début de réponse dans les morceaux trois et quatre. Causette, femme aux cheveux longs, devra sortir d’un tableau d’Edward Hopper.

Harmonijka « Mon fils, tu seras pianiste. » Le petit Grzegorz aurait préféré cosmonaute. Ah, ce fichu métronome qui le torture dans les premières planches de la BD… Dans la Pologne communiste des années 70, on ne choisit pas son destin. Pourtant, celui de « Greg » va basculer deux fois. Alors qu’il observe de sa fenêtre la révolution, il reçoit en cadeau d’un oncle un harmonica. Le petit instrument devient son ami. Quelques années plus tard, sa mère obtient un poste de bibliothécaire à Paris. Ado, Greg découvre la liberté et les bars où l’on joue du blues. Son harmonica devient son outil de travail. Aujourd’hui, Greg « Zlap » accompagne les plus grands. Une formidable histoire vraie croquée par le talentueux Miras. Un Polonais, lui aussi. « Harmonijka », de Greg Zlap et Philippe Charlot. Dessins de Miras. Éd. Glénat, 96 pages, 15,50 euros.

« L’Attente », de Johnny Hallyday. Warner Music, 15,99 euros.

CD

Le clavecin, c’est bien Le claveciniste Christophe Rousset a débusqué une perle. Jacques Duphly, compositeur oublié du XVIIIe siècle, reçoit enfin les honneurs qu’il mérite. Pas besoin de connaître grand-chose à la musique classique pour se délecter de ses mélodies. Elles restent dans l’oreille. Elles font tantôt sautiller, tantôt pleurer. Leur auteur est un homme bien mystérieux. On ne sait presque rien de lui. Relégué au rang de petit maître, il enseigne la musique et écrit un article dans le Dictionnaire de Musique de Jean-Jacques Rousseau, s’inspirant allègrement de Rameau. « Duphly n’est pas un innovateur, écrit Christophe Rousset, il ne révolutionne ni l’écriture, ni la technique ». Mais ses pièces sont étincelantes, servies par l’interprétation subtile du musicien, entre scintillement et profondeur. « Jacques Duphly », par Christophe Rousset, Aparté (Harmonia Mundi), 25,80 euros.

94 94 •• CAUSETTE CAUSETTE #20 #IPJ 94 • CAUSETTE #28

FILMS À LA DEMANDE

Faites votre cinéma Marre des effets spéciaux, des images de synthèse et des films en 3D ? La nostalgie de Grease ou de La traversée de Paris vous gagne ? Ne désespérez pas, le site web « I like Cinema » est là pour vous ! Il suffit de renseigner son département de résidence et d’aller assister aux séances proposées aux alentours. Dès que le nombre minimum de participants est atteint, le film est projeté dans une salle. Il est aussi possible de créer sa propre affiche et d’inviter des amis à la séance. www.ilikecinema.com


CULTURE

AU THÉÂTRE CE SOIR

La princesse et le fanfaron Le cheval de la reine d’Espagne s’est emballé. Il faut la sauver, mais quiconque touche à sa Majesté encourt la peine de mort. Un vaillant capitaine s’y colle. C’est Don Gaspar. Apprenant que la première dame donne sa main au sauveur de la reine, Don Melchior, l’imposteur fanfaron, dispute à Gaspar l’acte de bravoure. Entre burlesque et quiproquos, ça danse et ça chante sur les planches. Des yeux qui roulent, des princesses qui se pâment, un preux chevalier… Tous les ingrédients sont là pour une comédie désopilante. Jamais jouée depuis sa création (1847), cette pièce fait un tabac au Lucernaire, à Paris. « Regardez mais ne touchez pas », de Théophile Gautier. Prolongations jusqu’au 20 janvier au théâtre du Lucernaire, du mardi au samedi à 21h30. Entrée de 10 à 30 euros. Plus d’informations sur www.arts-spectacles-prod.com. Photo de Laurent Emmanuel.

CD

Concentré de cynisme « Quand vous êtes tout pourris, que personne ne veut être votre ami, que vous vivez seul ou en couple desséché, que votre métier est à chier, vive le chocolat, l’héroïne et la vodka ». Des textes détonnants pour une chanteuse française qui déboîte. Si vous ne connaissez pas encore Constance Verluca, vous loupez une bonne dose d’humour vache et d’impertinence. Son unique album, sorti en 2007, est délicieusement sombre et frais à la fois. La musique est légère et sa voix sonne comme un doux mélancolisme. « Tu es laide », « Judas » et « Les trois amis » sont trois titres contagieusement entêtants ! « Adieu Pony », de Constance Verluca. Warner Music, 5,42 euros.

EXPOSITION

Pompidou, vie de nomade

EXPOSITION

Les grands esprits font la causette Les tables parlent à Jersey. Une joyeuse bande d’illuminés les écoutent et suivent leurs préceptes. Des fous ? Des artistes. Victor Hugo en tire ses plus belles créations, poèmes et dessins. C’est par exemple l’esprit du Drame qui lui commande des vers sur les êtres immondes. Autour du médium, ouvrier ou écrivain, on papote avec Napoléon ou Moïse, Jésus ou Platon. Shakespeare et Molière leur apprennent qu’ils vivent sur Jupiter et qu’ils s’y trouvent admirablement. Dans l’exposition, des voix racontent des séances de spiritisme. Des dessins guidés par les esprits côtoient des photos d’expériences bizarres où le spectre se transforme en une drôle de substance. Les surréalistes aussi ont tâté de l’esprit. Aujourd’hui encore, un artiste, Philippe Deloison, fricote avec les puissances supérieures et nous livre ses toiles. Une expo insolite et passionnante.

Après Chaumont, Cambrai, Boulognesur-Mer : le Centre Pompidou mobile fait étape à Libourne jusqu’au 20 janvier. Avec dans ses bagages des œuvres d’art de Kupka, Kandinsky, Vasarely, Léger, Duchamp, Buren… Quatorze pièces choisies dans la collection du Centre pour un nouvel accrochage sur le thème « Cercles et Carrés ». Le musée itinérant s’installe sous un chapiteau dans le parc d’une ancienne caserne de gendarmerie. Cette structure mobile et nomade présentant des chefs-d’œuvre de l’art contemporain a déjà attiré 130 000 visiteurs entre octobre 2011 et septembre 2012. Un objectif : aller à la rencontre d’un public nouveau et hors-les-murs. N’attendez plus ! Centre Pompidou mobile à Libourne jusqu’au 20 janvier. 15, place du Maréchal-Joffre. Entrée libre et gratuite. Du mardi au vendredi : de 12h30 à 14h00 et de 17h30 à 19h00.

« Entrée des médiums, spiritisme et art de Hugo à Breton ». Jusqu’au 20 janvier, à la Maison de Victor Hugo, 6 place des Vosges, Paris. Entrée de 3,50 à 7 euros. Ouverte tous les jours sauf lundis et jours fériés de 10h à 18h.

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B O R B O R Y G M E S

Ce que murmurent petites annonces et courriers à l’oreille de notre époque. Avec des vrais morceaux de nous dedans…

Sources : Tumblr Chers Voisins, le Bien Public, la Marseillaise, l’Est Républicain, Libération, Topannonces.fr, lepetitgratuit.fr, animaux.vivastreet.com, Nice matin. Sélection : Thomas-Sean DE SAINT LEGER, Léa BASTIE

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L E

B O N B O N O S C O P E

DansÊmonÊcamion,Êj’aiÊdesÊbonbons.ÊDoux,Êacides,Êdurs,Êmous,ÊlongsÊouÊpetits...Ê EnÊ2013,ÊilÊyÊenÊauraÊpourÊtousÊlesÊgoû ts.ÊPourÊsavoirÊceÊquiÊvousÊattendÊvraiment,ÊcomptezÊjusqu’àÊ999,ÊsansÊrespirer,ÊpuisÊlisezÊdeÊdroiteÊàÊgaucheÊenÊcommençantÊparÊleÊhaut.

Méfiance

Ça pique !

Votre elfe sautera le pas. Vous finirez la bague au doigt.

Bonjour tristesse

Sauvez Willy!

Votre meilleure amie a la tête sous l’eau. Vous savez ce qu’il vous reste à faire...

Seigneur des anneaux

Tout a une fin, sauf la banane qui en a deux. (Proverbe africain bis).

Remarques acides et coups bas. Cette année, l’enfer, c’est votre boss.

Attendez d’avoir traversé la rivière avant de vous moquer du crocodile. (Proverbe africain).

Bonne nuit les petites

Nounours vous recommande moins d’alcool et davantage de sommeil.

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