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NO 3097 – FEVRIER 2021

www.jeuneafrique.com

BÉNIN DOIT (ENCORE) MIEUX FAIRE

DOSSIER MINES

SPÉCIAL 24 PAGES

8 PAGES

MAROC EL OTHMANI  : « L’intérêt national prime toute autre considération » Une interview exclusive du chef du gouvernement

RD CONGO KABILA DOS AU MUR ENQUÊTE L’ONU EST-ELLE RACISTE ? CÔTE D’IVOIRE LE NORD FACE À LA MENACE JIHADISTE

COVID-19

Quel vaccin pour l’Afrique (et quand) ? Algérie 420 DA • Allemagne 9 € • Belgique 9 € Canada /A 12,99 $CAN • Espagne 9 € • France 7,90 € Grèce 9 € • DOM 9 € • Italie 9 € • Maroc 50 MAD Pays-Bas 9,20 € • Portugal continental 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TND • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4800 F CFA • ISSN 1950-1285


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Tshisekedi-Kabila: l’heure de vérité

J

«

e ne suis en compétition avec personne. Il n’y a qu’un seul patron, c’est moi. » Dans l’interview qu’il nous avait accordée il y a tout juste un an, Félix Tshisekedi laissait déjà transparaître son agacement quand on l’interrogeait sur son autonomie réelle par rapport à son prédécesseur. S’il a longtemps tenté de justifier l’union de la carpe et du lapin que représentait l’alliance entre son Cap pour le changement (Cach) et le Front commun pour le Congo (FCC), de Joseph Kabila, le chef de l’État a finalement tranché. Le 6 décembre 2020, il a officiellement signé la fin du pacte qui liait les deux formations depuis son élection et lui imposait un exercice d’équilibriste particulièrement délicat. Lui, l’opposant de longue date qui a toujours accompagné le combat de son père, Étienne ; lui, le fruit d’une alternance inattendue, qui se retrouve réduit à s’allier à son prédécesseur – lequel, poussé vers la sortie par les Congolais eux-mêmes, n’en a pas moins conservé sa majorité dans les assemblées, nationales comme provinciales. Après tant d’atermoiements pour parvenir à s’entendre (il a fallu sept mois de tractations pour accoucher d’un gouvernement de 65 membres), de querelles intestines, d’insultes, de blocages et de couleuvres avalées, c’était inéluctable. Aujourd’hui, entre les deux hommes, c’est un peu « The

Rumble in the Jungle », le mythique match de boxe entre Mohammed Ali et George Foreman qui s’est déroulé en octobre 1974 dans un Stade du 20-mai plein à craquer. Sous les yeux médusés de 85 millions de Congolais, les deux adversaires s’observent avant, certainement, de se rendre coup pour coup.

Quête d’émancipation

Pour l’instant, c’est Tshisekedi qui a l’avantage. Longtemps moqué pour la faiblesse de ses troupes et sa mince marge de manœuvre vis-à-vis du FCC, « Fatshi béton », comme l’appellent ses partisans, s’est patiemment, et à pas feutrés, donné les moyens de ses ambitions. D’abord en rééquilibrant la composition de la Cour constitutionnelle pour éloigner le spectre d’une éventuelle destitution, puis en reprenant en main l’armée et les services de sécurité, jusque-là sous la coupe des hommes placés naguère par Kabila. Dernière étape de cette quête d’émancipation : mettre à profit les dissensions persistantes au sein du FCC et la versatilité proverbiale de la classe politique congolaise. Avec un franc succès, pour l’instant,

comme l’atteste la chute de Jeanine Mabunda, destituée de la présidence d’une Assemblée nationale pourtant largement dominée par les députés kabilistes. Ou encore la cérémonie d’allégeance à Tshisekedi organisée par l’écrasante majorité des 26 gouverneurs de province les 28 et 29 décembre dernier. Seul celui du Tanganyika s’est abstenu. Un certain Zoé… Kabila, le frère de l’ancien président. Tshisekedi, deux ans après son élection, a donc coupé les liens qui l’entravaient. Et s’est affranchi des lignes rouges qu’avait fixées son prédécesseur. Ainsi n’a-t-il pas hésité à gracier, le 31 décembre 2020, Eddy Kapend et toutes les personnes qui avaient été condamnées, le 16 janvier 2001, pour l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, le père de l’ex-président. Inimaginable il y a seulement quelques mois. S’émanciper est une chose, nouer de nouvelles alliances en est une autre. L’union sacrée – expression un tantinet pompeuse pour désigner une nouvelle majorité recherchée par Tshisekedi – se heurte à de nombreux obstacles. Soudés par leur volonté commune d’isoler Joseph

SOUS LES YEUX MÉDUSÉS DE 85 MILLIONS DE CONGOLAIS, LES DEUX ADVERSAIRES S’OBSERVENT AVANT, CERTAINEMENT, DE SE RENDRE COUP POUR COUP. no3097 – FEVRIER 2021

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Kabila, les nouveaux partenaires de Tshisekedi que sont, entre autres, Moïse Katumbi ou JeanPierre Bemba doivent désormais composer avec leurs propres ambitions pour la présidentielle de 2023. Ils avaient intérêt à briser l’attelage Cach-FCC, mais leur sera-t-il profitable de s’associer au chef de l’État dans la gestion du pays et donc de devoir assumer une partie de son bilan? La confiance peut-elle être de mise alors que tous lorgnent le fauteuil présidentiel ?

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Éditorial par Marwane Ben Yahmed

PROJECTEURS 6 8 10 12

L’homme du mois Tamim Al Thani enterre la hache de guerre Le match Mahamane Ousmane vs Mohamed Bazoum Dix choses à savoir sur… Denis Sassou Nguesso, président du Congo Esprits libres

76 Banque d’affaires Une aventure nommée SouthBridge 81 Transport aérien Olfa Hamdi: une « Américaine » pour sauver Tunisair 82 La galaxie de… Dan Gertler, milliardaire israélien 84 Assurances Couverture santé: la pandémie rebat les cartes 87 Édito Africa Financial Industry Summit

DOSSIER MINES

AFRIQUE SUBSAHARIENNE

CULTURE(S) & LIFESTYLE

MAGHREB & MOYEN-ORIENT

GRAND FORMAT

Covid-19 Quel vaccin pour l’Afrique (et quand)?

32 Côte d’Ivoire La guerre des nerfs 37 RD Congo Joseph Kabila dos au mur 40 Nations unies SOS racisme! 44 Cameroun Jean Rameau Sokoudjou, roi rebelle des Bamendjou

PHOTOS COUVERTURES : ÉDITION GÉNÉRALE : NICOLAS ORTEGA POUR JA ; ÉDITION BÉNIN : VINCENT FOURNIER/JA

ÉCONOMIE

ENQUÊTE 14

Animal blessé

Autre écueil, si tant est que cette union sacrée puisse être décrétée : celle-ci ne doit pas incarner une nouvelle et incohérente alliance destinée avant tout à se répartir les postes et donc le « gâteau ». Ce que les tractations en cours, pour le moins délicates, laissent pourtant à penser… Last but not least, le mutisme de Joseph Kabila n’est jamais bon signe. Retranché dans sa ferme de Kashamata, près de Lubumbashi, l’ancien chef de l’État s’attelle en toute discrétion à remobiliser ses troupes pour contrer l’offensive en cours (lire pp. 37-39). Tel un animal blessé, l’homme s’isole afin de lécher ses plaies. Mais, attention, une bête blessée est une bête dangereuse… Pour Félix Tshisekedi, les semaines à venir seront cruciales. Il est au milieu du gué et doit au plus vite rejoindre l’autre rive, en mettant fin à la séquence actuelle, l’indispensable politique politicienne qui n’est cependant qu’une étape vers l’essentiel : l’action. La priorité des priorités: accélérer la mise en œuvre de son programme et obtenir des résultats concrets. « Le peuple d’abord », tel était le slogan du « sphinx de Limete », Étienne Tshisekedi. C’est aujourd’hui la seule stratégie que les Congolais attendent de son fils.

SOMMAIRE

46 Maroc Saâdeddine El Othmani, chef du gouvernement 51 Tribune Algérie: le Hirak peut-il se réinventer? 52 Algérie L’honneur retrouvé de Mohamed Mediène 56 Tunisie Kaïs Saïed-UGTT: le grand malentendu 58 Diplomatie Arancha González, ministre espagnole des Affaires étrangères

88 RD Congo Quand les multinationales épaulent l’artisanal 100 Gastronomie Mettez de l’huile (d’olive)! 104 Cinéma Le Mali des années 1960 renaît au Sénégal 108 Littérature Dans le ventre du Congo 110 Arts plastiques Frédéric Bruly Bouabré en ses écrits 111 Bénin Doit (encore) mieux faire

VOUS & NOUS

153 En kiosque La Revue 154 Post-scriptum

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COMMUNIQUÉ

LE SOUTIEN DES PME EST CLÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE AMÉLIE THOMAS

AISSATOU-RASSOUL GUEYE

Responsable du marché PME Afrique Responsable de la Maison de la PME de Société Générale du Sénégal à Dakar

Amélie Thomas : Société Générale a une présence solide et historique en Afrique avec 17 filiales de banque universelle. Aussi, l’engagement en faveur du développement durable du continent fait partie du plan stratégique du Groupe et se matérialise par l’initiative « Grow with Africa », dont un des axes majeurs est l’accompagnement des PME africaines. Aïssatou-Rassoul Gueye : En effet, les PME sont au cœur du processus de développement des économies africaines. Elles représentent 90 % des sociétés privées et emploient 70 % de la population. Elles sont donc incontournables, notamment dans l’émergence de la classe moyenne africaine, pour un accès large à l’emploi et pour favoriser ainsi le développement du contenu local. Quels sont les principaux leviers disponibles ?

A.T. : Nous souhaitons faciliter l’accès des PME africaines à nos financements et augmenter leur montant de façon significative. Notre objectif est d’accroître l’encours des crédits de 60 %, sur cinq ans, d’ici fin 2022. Mais notre stratégie va bien au-delà. Nous voulons aider les dirigeants des PME à structurer leurs démarches et à lever les principaux freins au développement de leur activité.

A-R. G. : . En définitive, il s’agit d’un accompagnement multidimensionnel que nous menons en coopération avec des acteurs internationaux tels que AFD-Proparco, Bpifrance, Investisseurs et Partenaires, et Réseau Entreprendre. La Maison de la PME du Sénégal à Dakar, créée à l’initiative de Société Générale, est également une parfaite illustration de cette démarche. De quoi s’agit-il ?

A-R. G. : Le concept de la Maison de la PME du Sénégal, inaugurée à Dakar en novembre 2018, est une réponse concrète à la problématique de suivi et de financement des PME, en proposant une offre globale de services financiers et non financiers. La Maison offre, dans un même espace, un accès à des acteurs locaux et internationaux et à leurs services tels que MOOC de formation, private equity, digitalisation, assurances, renforcement de capacités, réseautage, coaching, etc. A.T. : À chaque étape du développement de l’entreprise, les conseillers de la Maison de la PME sont en mesure de faire un diagnostic, d’identifier le besoin spécifique de l’entreprise et de faire une proposition d’accompagnement. La Maison de la PME est ouverte à toutes les entreprises, qu’elles soient clientes ou non de Société Générale. Le concept a été répliqué dans sept autres pays africains (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée et Madagascar). La 9e Maison sera ouverte prochainement au Mozambique.

Vous envisagez de lancer prochainement une application…

A-R. G. : Avec le contexte sanitaire que nous connaissons, nous avons dû nous réinventer digitalement pour maintenir le contact avec les clients et les partenaires. De là est venue l’idée de développer une application « Maison PME », téléchargeable gratuitement sur smartphone. Elle permettra de consulter l’actualité de la Maison et de ses partenaires, de prendre rendez-vous avec un conseiller, d’entrer en contact avec d’autres entreprises via une base de données, de recevoir des notifications des appels d’offres, etc. L’application est en phase de test et devrait être disponible pendant le 1er trimestre de cette année. A.T. : Cette application illustre notre volonté d’apporter un accompagnement qui soit à la fois global et le plus opérationnel possible. Cet outil devrait être disponible prochainement dans les autres pays où ont été installées des Maisons de la PME. •

En savoir plus sur l’initiative Grow with Africa sur www.societegenerale.africa

JAMG - PHOTOS : DR

Pour quelles raisons le Groupe Société Générale a-t-il décidé de s’engager en faveur de la croissance des PME du continent ?


PROJECTEURS

DENIS SASSOU NGUESSO Officiellement investi candidat par le PCT, le chef de l’État congolais briguera sa propre succession en mars. Ancien officier parachutiste aujourd’hui âgé de 77 ans, il a déjà passé trente-six années au pouvoir. « EMPEREUR »

ÉCOLO

La paternité de ce surnom revient à Alpha Condé. Mais, en le reprenant publiquement le 14 décembre dernier à Abidjan, Alassane Ouattara lui a conféré une notoriété panafricaine. La longévité au pouvoir de Denis Sassou Nguesso (trente-six années cumulées en deux séquences séparées par une alternance de cinq ans) y est pour beaucoup, tout comme son maintien strict d’ancien officier parachutiste et la coupe impeccable de ses costumes.

Conscient que le « soft power » congolais repose aussi sur l’environnement, il a lancé un fonds bleu pour le bassin du Congo et préside la commission climat du second poumon vert de la planète. Ce positionnement lui a permis de signer, en 2019, un accord sur la protection des forêts avec Emmanuel Macron. La découverte récente de gigantesques tourbières dans le Nord est une carte de plus dans son jeu.

MWENE

BMA

Lorsqu’il séjourne sur ses terres d’Oyo et d’Edou, il tient beaucoup à son titre de chef traditionnel mbochi. Son ranch, doté d’un abattoir et d’une unité de production de lait, abrite plusieurs centaines de bœufs brésiliens et d’autruches sud-africaines, dont la viande est commercialisée sous la marque Bon Bœuf.

Le dépôt, en 2007, par des ONG de la première plainte qui le vise pour « biens mal acquis » en France est une épine dans le pied pour Sassou Nguesso.

Il a qualifié de « légende » les rumeurs selon lesquelles il préparerait son fils Denis Christel pour lui succéder. Parmi ses enfants, seule sa fille Claudia occupe une fonction officielle (elle est sa conseillère spéciale chargée de la communication). Elle est aussi députée, tout comme Denis Christel. Stella, elle, est maire de Kintélé, dans la banlieue de Brazzaville.

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Conforté par le non-lieu obtenu en octobre 2019 auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à la suite des actions intentées contre le Congo par plusieurs ONG, Sassou Nguesso se voit néanmoins reprocher l’emprisonnement depuis 2016, pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État », de l’ex-général Mokoko et de son ancien ministre Okombi Salissa. Il refuse de voir en eux des détenus politiques.

MULTICARTE

ANTOINETTE

Des heures sombres de la guerre civile aux victoires électorales, elle a tout connu à ses côtés. Cette ancienne institutrice représente aussi, de par ses origines ponténégrines, un atout géopolitique pour son mari. Mariés en 1969, ils forment un couple inséparable. VERNIE R/JBV NEWS

De la Libye à la RD Congo, le président en exercice de la Ceeac poursuit une carrière de médiateur qui connut ses heures de gloire dans les années 1980, avec l’indépendance de la Namibie et le retrait des Cubains d’Angola. Félix Tshisekedi, Faure Gnassingbé Essozimna, Umaro Sissoco Embaló viennent régulièrement recueillir ses conseils.

INTRANSIGEANT

De Giscard à Macron, il a connu six chefs d’État français. Mais aussi Castro, Brejnev, Deng Xiaoping, Ho Chi Minh, Sankara, Mandela et une demi-dizaine de présidents américains…

DYNASTIE

MÉDIATEUR

D’autant que cette affaire concerne, depuis, plusieurs membres de sa famille. Jamais conclu mais toujours rouvert, le dossier BMA pollue régulièrement les relations entre Brazzaville et Paris.

DERNIER MANDAT?

Selon la Constitution, Denis Sassou Nguesso pourra encore – s’il est réélu en mars – se représenter pour un ultime quinquennat. « Otchouembé » (« le lutteur ») n’en est pas à son dernier combat… OLIVIER CASLIN


COMMUNIQUÉ Lesieur Cristal accélère son développement sur le continent africain et devient le fer de lance du groupe Avril dans la conquête de nouveaux marchés sur les produits de grande consommation Suite à l’acquisition des actifs africains du groupe Avril, son actionnaire de référence, Lesieur Cristal franchit une étape clé de son développement sur le continent africain. Il pilotera désormais l’ensemble des activités du groupe Avril dans le secteur des biens de grande consommation, dont il est déjà le leader au Maroc (huiles alimentaires et savons). Ce partenariat franco-marocain s’inscrit pleinement dans l’ambition de long terme du groupe Avril pour le rayonnement de Lesieur Cristal

Lesieur Cristal acquiert deux nouvelles sociétés : Oleosen (Sénégal) et Cristal Tunisie A l’issue d’une opération de fusion-acquisition, Lesieur Cristal prend le contrôle des actifs africains du groupe Avril dans le secteur des biens de consommation. Il acquiert ainsi : • l’ensemble des parts du groupe Avril (46,4%) s’ajoutant à celle déjà détenues par Lesieur Cristal (47,5%) au sein de Cristal Tunisie qui commercialise une large gamme de produits d’huiles de table, de condiments et de savons dans le pays ; • l’ensemble des parts jusqu’ici codétenues par Avril et son partenaire Castel (90,16%) au sein de la société sénégalaise Oleosen, acteur majeur des huiles de table au Sénégal. Les actionnaires locaux de ces deux sociétés demeurent au capital. Lesieur Cristal obtient également la licence d’exploitation du portefeuille des marques du groupe, les huiles de table et condiments Lesieur, l’huile d’olive Puget, ainsi que son fonds de commerce sur l’ensemble du continent africain.

Le continent africain : nouveau levier de croissance pour Lesieur Cristal Alors que le développement à l’international constitue déjà un des piliers du plan stratégique 2023 de Lesieur Cristal et a représenté 20% de son chiffre d’affaires en 2019, ce redéploiement offre à l’entreprise un nouveau tremplin de croissance au-delà de ses marchés historiques. Lesieur Cristal s’inscrit pleinement dans la vision du Royaume du Maroc et de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, qui vise à renforcer la coopération Sud-Sud comme fer de lance de la transformation et de l’intégration des économies africaines. L’entreprise contribuera ainsi à une dynamique de consolidation de la souveraineté alimentaire locale, efficace et solidaire. Plusieurs investissements importants sont d’ores et déjà prévus localement. Lesieur Cristal pourra ainsi réaliser ses ambitions à l’échelle continentale et passer du statut d’exportateur à celui d’acteur de référence sur les marchés africains des huiles de table, des huiles d’olive, des savons, de la margarine et des condiments. A propos de cette opération, M. Samir Oudghiri, Directeur Général de Lesieur Cristal, a précisé : « C’est une étape historique pour le développement de Lesieur Cristal. Je m’en félicite et je tiens à remercier toutes les équipes qui ont œuvré pour ce succès collectif. Lesieur Cristal continuera de consolider son leadership sur le marché marocain, en parallèle de sa conquête de nouvelles positions sur le continent africain. Il s’appuiera sur des marques fortes et connues des populations locales, ce qui est un atout considérable pour la réussite de ce projet. »

Une ambition partagée par l’ensemble des actionnaires M. Khalid Cheddadi Président du Conseil d’administration de Lesieur Cristal, et Jean-Philippe Puig, administrateur de Lesieur Cristal et CEO du groupe Avril, se sont félicités ensemble du succès de l’opération : « Cette opération a été rendue possible par la relation de confiance et l’ambition partagée au sein du Conseil d’Administration par tous les actionnaires. Elle témoigne de l’engagement pérenne du groupe Avril, actionnaire de référence, aux côtés de ses partenaires investisseurs institutionnels, pour développer et faire rayonner Lesieur Cristal sur tout le continent africain. » Ce nouveau projet stratégique reflète les ambitions de Lesieur Cristal et sa capacité à valoriser, à travers son expérience et son capital d’expertises, l’ensemble des opportunités industrielles, marketing et commerciales offertes par un continent engagé dans une forte évolution socio-économique.

Lesieur Cristal, Siège : 1, rue Caporal Corbi. BP 3095 Roches Noires - Casablanca - R.C. 4171 ICE 001569079000005 Tél. : (+212) 522 67 93 00

Pour consulter le communiqué de presse de Lesieur Cristal : www.lesieur-cristal.ma/Groupe/Finances/Communication financière/Communiqués de presse


NICOLAS ORTEGA POUR JA

ENQUÊTE


COVID-19

QUEL VACCIN POUR L’AFRIQUE (ET QUAND)?

Alors que les campagnes de vaccination contre le coronavirus s’accélèrent à travers le monde, le continent semble à être la traîne… Pourquoi ce retard et comment le rattraper? JA fait le point.

D

PAR CAMILLE LAFRANCE, OLIVIER MARBOT ET LÉA MASSEGUIN

abord, il y a eu Covax, vaste dispositif international censé garantir l’accès équitable de tous les pays au vaccin. Mais très vite le chacun pour soi et le « nationalisme vaccinal » ont repris le dessus, et chacun a compris qu’il lui faudrait se débrouiller. L’Afrique a alors vu arriver ses « amis » chinois, russes et indiens, prêts à lui venir en aide. Mais, en ce début d’année, bien peu sont ceux qui ont effectivement reçu des doses, et plus rares encore ceux qui ont commencé à vacciner. Pourquoi ce retard ? Quand l’Afrique va-t-elle pouvoir s’approvisionner. Et auprès de qui ? Tour d’horizon en dix questions.

1 Le dispositif Covax est-il efficace?

« Garantir un accès rapide et équitable » à tous les pays, quel que soit leur niveau de revenu, aux vaccins contre le Covid-19. Telle était l’ambition du mécanisme Covax, mis en place par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Alliance internationale pour les vaccins (Gavi). L’initiative est louable: elle devrait permettre de vacciner 20 % des personnes les plus vulnérables dans 92 pays à revenu faible ou intermédiaire. L’OMS a d’ores et déjà obtenu des contrats pour deux milliards de vaccins, qu’elle sera prête à distribuer « dès qu’ils seront livrés ». Mais les doses tardent à arriver sur le continent. En cause, notamment, les accords bilatéraux conclus entre les pays riches et les fabricants « au détriment du

dispositif Covax », regrette Tedros Adhanom Ghebreyesus, le chef de l’agence onusienne, qui appelle à davantage de « solidarité ». Selon l’OMS, 36 des 42 pays diffusant actuellement des vaccins sûrs et efficaces sont à revenu élevé, et six à revenu intermédiaire. « D’entrée de jeu, les pays riches ont accaparé les doses, explique l’épidémiologiste camerounais Yap Boum. Même si elle n’est, pour l’instant, pas la plus à plaindre d’un point de vue épidémiologique, l’Afrique ne sera que partiellement servie à la fin 2021. » « Certains pays ont réservé plus du triple des doses dont ils ont besoin pour leur population! » ajoute Mamady Traoré, médecin et référent vaccination et réponses aux épidémies au sein de Médecins sans frontières (MSF).

2 Combien de doses pour l’Afrique?

La grande majorité des pays du continent a longtemps cru qu’elle pouvait se reposer sur le dispositif Covax pour recevoir, en temps et en heure, des doses en nombre suffisant. Les dirigeants politiques ne se sont donc, pour la plupart, pas inquiétés, même quand les pays d’Europe et d’Amérique du Nord ont commencé, durant l’été 2020, à communiquer sur les précommandes massives de doses réalisées auprès de Moderna, Pfizer-BioNTech et autres Johnson & Johnson. Avec un taux de contamination et un nombre de décès très inférieurs, en proportion, à ceux du reste du monde, l’Afrique restait sereine. Et la ruée des pays riches, souligne Yap Boum, n’avait rien d’une nouveauté : « On avait observé la même chose lorsqu’on pensait que la chloroquine était efficace pour lutter contre le virus. »

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OBJECTIF TUNISIE

SPÉCIAL SANTÉ

Comment les réanimer HÔPITAUX

Le diagnostic n’est pas nouveau, la crise du Covid-19 ne l’a rendu que plus évident : le système de soins se détériore. Que faire pour inverser la tendance?


E

À la Clinique internationale Hannibal, à Tunis.

BURGER / PHANIE

CAMILLE LAFRANCE

n Tunisie comme ailleurs, la crise du Covid-19 a mis en lumière l’importance des systèmes de santé. Le constat n’est pas brillant : délitement du secteur hospitalier public et mauvaise gouvernance alimentent des inégalités en cascade. Et, dans un contexte d’instabilité gouvernementale et de crise économique, la réforme tant attendue peine à voir le jour. Éreinté par la pandémie, le personnel médical a longtemps serré les dents. Mais la mort du docteur Badreddine Aloui, le 3 décembre 2020, des suites d’une chute de cinq mètres dans une cage d’ascenseur en panne, à l’hôpital de Jendouba (Nord-Ouest), a réveillé son exaspération. La journée de colère et de deuil national du 8 décembre avait été précédée par d’autres mouvements d’indignation, dont la campagne « #balance ton hôpital », organisée en 2019 à la suite du décès, à l’hôpital tunisois de La Rabta, de douze nouveau-nés qui avaient contracté une infection nosocomiale. Hichem Mechichi, le chef du gouvernement, a promis, à la fin de décembre dernier, la création d’une Instance nationale de réforme de la santé publique. Reste à en définir la composition et les objectifs. Cette instance pourrait s’inspirer du Dialogue sociétal, qui a travaillé sur la réforme du système de santé et dont les recommandations portant sur la création d’une couverture santé universelle à l’horizon 2030 sont restées lettre morte depuis 2019. « Certaines solutions peuvent être mises en œuvre à court terme. Encore faut-il que professionnels et politiques partagent une même vision », assure le docteur Hédi Achouri, rapporteur général du Dialogue. Priorité serait donnée aux soins de santé de base (et donc à la prévention) : les structures existent, mais toutes ne fonctionnent pas, comme certains dispensaires locaux qui n’ouvrent que quelques heures par jour. Renforcer cette première prise en charge des patients permettrait de mieux coordonner les parcours de soins et de désengorger les centres hospitaliers universitaires. « Quand vous êtes dans l’ouest du pays, le premier spécialiste se trouve à 150 km, dans le meilleur des cas »,

déplore le Dr Achouri. Face à la mauvaise répartition des effectifs, à l’hypercentralisation des structures et des prises de décision, des spécialistes référents, dans les hôpitaux, pourraient appuyer les généralistes grâce à la télémédecine.

Vols de médicaments

Le Dr Achouri préconise en outre de créer des protocoles communs agréés pour le traitement des maladies et d’assurer le suivi de celles-ci, de l’acquisition des médicaments à leur distribution aux patients. Car l’opacité et la corruption gangrènent le secteur. Dans un récent sondage réalisé par l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM) auprès de 235 professionnels du pays, 48 % de ces derniers font état de vols de médicaments commis par le personnel de santé. « Quand j’étais ministre de la Santé, en 2014, j’ai demandé le nombre exact des respirateurs dont nous disposions. En vain. Cela est vrai pour la majorité du matériel acquis par le ministère. Pourtant, faire un état des lieux rigoureux est indispensable pour avancer », insiste Mohamed Salah Ben Ammar, chef de service anesthésie-réanimation au Centre hospitalier national d’ophtalmologie des QuinzeVingts, à Paris, depuis 2015. Lui aussi ancien ministre – il avait démissionné au lendemain des décès de La Rabta –, Abderraouf Cherif, chef du service de consultations externes à Habib-Thameur (Tunis), a fait de la numérisation des activités hospitalières une priorité pour assurer une meilleure gestion et dégager des économies. Or seul son établissement vient progressivement à bout de ce chantier. Répondre aux mauvaises conditions de travail, qui précipitent la fuite des médecins vers la France, l’Allemagne et les pays du Golfe, constitue un autre défi urgent. Les services d’anesthésie-réanimation, de radiologie, de chirurgie et de gynécologie seraient les plus touchés. La situation est pire dans les régions de l’intérieur. Les mesures incitatives ou coercitives n’ont pas porté leurs fruits. En tentant d’obliger les jeunes médecins à exercer une année dans ces zones dans le cadre de leur service militaire, les pouvoirs publics n’ont fait qu’accentuer le phénomène des départs à l’étranger.

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ÉCONOMIE

81 Transport aérien Olfa Hamdi, une « Américaine » pour sauver Tunisair

BANQUE D’AFFAIRES

Une aventure nommée

SouthBridge Grâce à l’entregent de ses influents fondateurs, le Franco-Béninois Lionel Zinsou et le Rwandais Donald Kaberuka, la firme s’est installée sur la scène financière africaine. Mais peut-elle rattraper ses nombreux rivaux?


84 Assurances Couverture santé: la pandémie rebat les cartes

87 Africa Financial Industry Summit Quelle finance africaine souhaitons-nous véritablement?

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OLIVIER HOLMEY, À LONDRES est à Cotonou, en août 2015, q u’e s t p o s é e l a première p i e rre de ce qui deviendra SouthBridge. Donald Kaberuka, le président sortant de la Banque africaine de développement (BAD), est en ville pour une dernière rencontre officielle avec le président béninois Thomas Boni Yayi, dans le cadre de sa tournée d’adieu. Il en profite pour déjeuner avec Lionel Zinsou, une vieille connaissance. Ce dernier, Premier ministre du Bénin depuis deux mois seulement, envisage de quitter la politique dès la prochaine échéance électorale. Lionel Zinsou lui confie : « En avril 2016, je me consacrerai à ce à quoi je veux me consacrer depuis des années. » Celui qui a été associé chez Rothschild et PDG de la société de capital-investissement française PAI Partners souhaite consacrer sa fin de carrière au conseil financier et à l’investissement en Afrique. Donald Kaberuka, qui a été durant huit ans ministre des Finances du Rwanda, partage cette envie. Les deux hommes s’accordent pour réfléchir à un projet commun: une nouvelle banque d’affaires panafricaine. Lionel Zinsou finira par se présenter à l’élection présidentielle de mars 2016, mais sans succès. Défait par le candidat indépendant Patrice Talon, il peut s’employer, l’année suivante, à créer la start-up.

Donald Kaberuka (à g.) et Lionel Zinsou ont fondé la banque d’affaires panafricaine en 2017.

Un carnet d’adresses volumineux et une visibilité immédiate

ERIC LARRAYADIEU POUR JA ; VINCENT FOURNIER/JA

82 RD Congo La galaxie de Dan Gertler, milliardaire israélien

Le nom « Kaberuka Zinsou Bank » est vite écarté : il s’agit de créer une institution qui les dépasse et qui leur survivra. Ce sera finalement « SouthBridge », leur activité se concentrant sur l’hémisphère Sud et sur l’intégration des économies africaines. Un nom anglais pour une société qui veut agir partout sur le continent. Une dizaine de proches – des entrepreneurs d’Afrique de l’Est et d’Afrique de l’Ouest – entrent au capital via une levée de fonds modeste. L’entreprise démarre sur les chapeaux de roues. Avant même d’être formellement constitué, ou d’avoir ses propres locaux, SouthBridge décroche son premier mandat : conseiller le groupe hôtelier français Accor sur la constitution d’un fonds africain de

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DOSSIER MINES RD CONGO

Quand les multinationales épaulent l’artisanal

Confrontés à des envahissements répétés de leurs concessions par des creuseurs, les groupes extractifs tels que Trafigura et Glencore ont décidé d’appuyer les efforts du gouvernement en faveur d’une activité minière artisanale responsable coexistant avec les sites industriels.


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CHRISTOPHE LE BEC

Sur le site de Mutoshi, dans le Lualaba, le géant Trafigura a mené une expérience pilote d’accompagnement des mineurs artisanaux en partenariat avec l’ONG américaine Pact.

n juin 2019, la plupart des concessions des grands groupes miniers industriels installés en RD Congo ont été envahies par des creuseurs à la recherche de minerai de cobalt et de cuivre. Ces incursions ont entraîné un arrêt complet de la production de ces sites pendant plusieurs jours, notamment à la mine de Kamoto (dans le Lualaba), détenue majoritairement par le suisse Glencore, où 2000 creuseurs avaient franchi les clôtures de la concession. Sur ce site, le 27 juin 2019, l’effondrement de deux galeries percées artisanalement avait entraîné la mort de 19 creuseurs. Une semaine plus tard, les autorités faisaient intervenir l’armée pour déloger ces quelque 2 000 mineurs illégaux. Des événements similaires avaient également eu lieu à la même période dans la mine de Tenke Fungurume (TFM) de China Molybdenum, l’autre mégacomplexe minier de la région, plus à l’est, dans le Haut-Katanga. À la suite de ces interventions de l’armée, dans les rues de Kolwezi, la capitale provinciale du Lualaba, des centaines de creuseurs avaient manifesté leur colère contre leurs gouvernants et les compagnies, réclamant leurs propres zones minières pour subsister. En RD Congo, les conflits entre mineurs artisanaux, industriels et autorités sont récurrents. Mais dans le Lualaba et le Haut-Katanga, les activités minières artisanales sont cruciales pour l’économie et les populations locales. En 2016, pas moins de 10 000 creuseurs avaient envahi la concession de Tenke Fungurume. « On estime qu’il y a dans ces deux provinces entre 140 000 et 200 000 creuseurs vivant de cette activité, dont les revenus nourrissent sans doute cinq fois plus de personnes! » explique Jean-Dominique Takis, le directeur général de l’Entreprise générale de cobalt (EGC). Ce responsable estime qu’environ 20 % du cobalt extrait de RD Congo (70 % de la production mondiale) provient de cette filière, qui pose de nombreux problèmes de sécurité, de protection des enfants, de pollution et de traçabilité. « Les creuseurs sont nombreux, très mobiles, et s’adaptent rapidement aux fluctuations des cours : à la fin de 2018, lorsque les prix du cobalt

ont chuté, ils se sont rabattus sur l’extraction de cuivre ou d’or. Aujourd’hui, alors que le cours du cobalt remonte, le mouvement est inverse », observe Jean-Dominique Takis.

« Réduire les risques en ayant un impact local positif majeur »

EGC est la toute nouvelle filiale de la Gécamines (qui, depuis l’indépendance, gère les intérêts miniers de l’État dans l’ex-Katanga), créée en novembre 2019 par décret présidentiel. Il lui a été octroyé le monopole d’achat, de transformation et de commercialisation du cobalt extrait artisanalement. Minerai stratégique, le cobalt concentre en effet les efforts des autorités pour encadrer et accompagner le développement de mines artisanales responsables. Utilisé dans la fabrication des batteries de véhicules électriques, peu disponible ailleurs dans le monde, il suscite l’appétit des constructeurs, ainsi que de leurs fournisseurs – négociants et fabricants de batteries –, désireux de sécuriser leur approvisionnement. Cela a entraîné l’engouement des creuseurs autant que l’inquiétude des ONG – en particulier Amnesty International, auteur d’un rapport remarqué sur le sujet en 2018 –, qui craignent l’exploitation des mines par des groupes armés, le travail des enfants et des risques pour l’environnement. Kinshasa veut profiter de cette conjoncture dans la filière extractive pour changer la donne. Pour développer ses activités, EGC va s’appuyer sur l’expérience du géant du trading Trafigura. Cet autre groupe suisse – 147 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020 – s’est en effet lancé en 2017 dans une expérience atypique pour une entreprise de négoce de cette envergure en nouant un partenariat avec un site extractif artisanal à Mutoshi, au nord-est de Kolwezi. « Les mines artisanales font partie de notre industrie, les creuseurs sont là depuis la nuit des temps. Cette activité comporte bien sûr des risques très importants, mais, plutôt que de nier leur existence, Trafigura a décidé de s’engager dans un projet pilote pour déterminer comment une compagnie comme la nôtre, acheteuse d’hydroxyde de cobalt, pouvait aider à réduire ces risques en ayant un impact local positif majeur », explique James Nicholson,

TRAFIGURA

« LES MINES ARTISANALES FONT PARTIE DE NOTRE INDUSTRIE, LES CREUSEURS SONT LÀ DEPUIS LA NUIT DES TEMPS. »

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DOSSIER MINES

chargé des programmes de responsabilité sociétale du groupe. « En 2017, nous avions le projet de signer un contrat d’achat avec le groupe Chemaf, concessionnaire de Mutoshi, qui voulait mécaniser le site. Mais cette décision suscitait des tensions avec des mineurs artisanaux illégaux présents sur place, auxquels Chemaf refusait d’acheter du cobalt. Il y avait de nombreux accidents. Cette situation nous préoccupait, tout comme nos acheteurs internationaux. En accord avec Chemaf, nous avons décidé de lancer un projet pilote pour aider les mineurs artisanaux à être légalement enregistrés et à gérer les risques de leur activité en nouant un partenariat avec l’ONG américaine Pact », raconte le cadre de Trafigura. Enregistrement des membres de la coopérative, amélioration des équipements des creuseurs, audit et amélioration des processus de production, contrôle et clôture des sites, formations techniques et de sécurité, une série de standards et de procédures ont été élaborés et mis en place par les creuseurs congolais de Mutoshi, appuyés par Trafigura, Chemaf et l’ONG Pact. Selon Trafigura, cette expérience de plus de deux ans à Mutoshi – de la fin de 2017 au début de 2020, jusqu’à ce que les couches exploitables artisanalement soient épuisées – a été couronnée de succès. « Les quelque 1 000 creuseurs accompagnés ont injecté collectivement plus de 1 million de dollars par an dans l’économie locale grâce à leurs revenus », fait valoir James Nicholson, heureux de n’avoir déploré aucun accident mortel sur le site.

Promouvoir une coexistence collaborative entre mineurs industriels et artisanaux

Haut cadre de la Gécamines, JeanDominique Takis Kumbo épaule depuis dix ans son président, Albert Yuma Mulimbi, à son conseil d’administration et au comité stratégique. Cet ex-député de Dungu (Haut-Uélé), bien connecté politiquement, a été choisi pour piloter l’Entreprise générale de cobalt (EGC, filiale de la Gécamines), créée en novembre 2019, qui a le monopole de l’achat, de la transformation et de la commercialisation du cobalt extrait artisanalement en RD Congo.

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pour l’accompagner dans son développement. « Quatre groupes internationaux se sont manifestés, indique Jean-Dominique Takis. Un consortium japonais, un nord-américain, et deux européens, dont Trafigura, mais pas Glencore », précise-t-il. Cet autre géant des matières premières a également évolué dans son approche des mines artisanales, mais a défini une autre stratégie en la matière. « Contrairement à nos concurrents négociants, nous avons en RD Congo des infrastructures industrielles majeures, avec notre site de Kamoto, qui produit environ 30000 tonnes de cobalt par an, mais aussi celui, temporairement suspendu, de Mutanda, capable d’ajouter à cela entre 15000 et 20000 t. Nous n’avons pas besoin d’acheter du minerai artisanal », explique David Brocas, le responsable de la filière cobalt de Glencore. En revanche, marqué par les événements dramatiques de juin-juillet 2019 à Kamoto, le groupe suisse, jusqu’alors peu disert sur le sujet, entend désormais promouvoir une coexistence pacifique et collaborative entre mineurs industriels et artisanaux. « D’une part, nous avons besoin de continuer l’exploitation de nos sites miniers sans risques pour les personnes et sans perturbation de production ; et, d’autre part, nous devons établir la réputation de la marque Glencore Cobalt comme étant socialement responsable », fait valoir David Brocas. Glencore s’est donc impliqué dans la Fair Cobalt Alliance (FCA), qui fédère les efforts des miniers – le chinois Huayou Cobalt en est membre –, de leurs clients (dont Tesla) et d’ONG pour appuyer les autorités congolaises et les coopératives artisanales afin de changer la donne pour les creuseurs de cobalt. Selon David Brocas, même s’il existe, outre FCA, plusieurs autres initiatives autour des mines artisanales – notamment Cobalt for

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Lorsque le monopole EGC a été créé par les autorités congolaises, la nouvelle entité s’est logiquement tournée vers Trafigura, sélectionné après un appel d’offres en juin 2020,

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RD CONGO


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DOSSIER MINES

RD CONGO

faut agir progressivement, mais nous sommes confiants sur la capacité à multiplier ces mines artisanales rapidement par la suite », fait valoir James Nicholson.

Development, porté par la coopération allemande entre Volkswagen et BMW, mais aussi la Global Battery Alliance (GBA, émanation du World Economic Forum) et la Responsible Mining Initiative (RMI, appuyée par Apple, Google et Microsoft) –, cela n’empêche pas ces différentes organisations de collaborer entre elles et de se répartir les rôles. « GBA considère FCA comme son interlocuteur sur la filière du cobalt en RD Congo ; l’initiative allemande va rejoindre FCA ; quant à RMI, elle a la responsabilité de définir les standards de production minière artisanale et responsable », décrypte le cadre de Glencore. Épaulés par ces organisations et par les grands miniers et négociants tels que Glencore et Trafigura, la RD Congo et EGC ont deux grands défis à relever pour assainir radicalement la filière du cobalt artisanal. Le premier d’entre eux est de délimiter les zones d’exploitation artisanales (ZEA) et de les attribuer à des coopératives de creuseurs. « Des ZEA ont été délimitées par les ministères nationaux et provinciaux des Mines, et l’Autorité de régulation et de contrôle des marchés des substances minérales stratégiques (Arecoms) délivre les permis aux coopératives, mais cela prend du temps » , reconnaît Jean-Dominique Takis, conscient que l’activité artisanale illégale continue de se développer dans les zones reculées en dehors des ZEA et des canaux de commercialisation officiels d’EGC, qui ne prévoit de commencer à acheter du minerai qu’à partir de mars 2021. Quant aux sites miniers artisanaux coopératifs choisis par EGC pour commencer ses achats, et accompagnés par Trafigura et Pact, ils devraient dans un premier temps se limiter à trois : deux dans le Lualaba, et un dans le Haut-Katanga. « Il

Le chemin vers l’assainissement? Encore long mais en bonne voie

LA MOBILISATION DE L’ÉTAT ET DES ACTEURS PRIVÉS A IMPULSÉ UN CHANGEMENT POSITIF DANS LA FILIÈRE.

Le second défi est celui de la première transformation du minerai en hydroxyde de cobalt, qui peut être exporté. « Jusqu’à présent, une dizaine de centres de traitement, pour la plupart appartenant à des Asiatiques, achetaient le minerai brut de cobalt aux mineurs artisanaux pour le transformer. Désormais, du fait de l’établissement d’EGC en monopole sur cette filière, ils n’ont plus le droit de le faire », indique le patron de la filiale de la Gécamines. Jean-Dominique Takis prévoit de s’appuyer sur les structures de sa maison mère, mais qui, au démarrage de l’achat du minerai artisanal, devraient se révéler insuffisantes. « L’usine Gécamines de Shituru devrait être opérationnelle, mais cela prendra plus de temps à Kolwezi, indique le DG d’EGC. Nous envisageons donc de nouer un partenariat avec l’un ou l’autre de ces centres de traitement capable d’un taux de récupération du minerai de plus de 75 %. » Le chemin de l’assainissement de la filière minière artisanale du cobalt sera encore long. Mais la mobilisation de l’État et des acteurs privés de la filière a impulsé un changement positif sur la réputation du cobalt congolais… et sur son marché. « Il y a deux ans, du fait du risque réputationnel, plusieurs de nos grands clients cherchaient par tous les moyens à restreindre leurs besoins en cobalt congolais en lui substituant d’autres minerais. Ce n’est plus à l’ordre du jour. Nous signons désormais des contrats de vente à terme non plus d’un an, mais de cinq, voire dix ans, pour ce minerai crucial pour la transition énergétique », se réjouit David Brocas.

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L’AFRIQUE, UNE PRÉSENCE À LONG TERME Monaco Resources Group est un fournisseur d’une grande gamme de services à l’international dans les secteurs des Métaux et Minéraux, de l’Infrastructure et de la Logistique et de l’Agribusiness. Un groupe qui connecte l’Afrique, l’Europe et l’Asie.

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DOSSIER MINES

MAROC

MANAGEM

Imad Toumi, l’argonaute de Managem Cet ex-cadre d’Areva et de La Mancha, bon connaisseur du sous-sol continental, veut doper la production d’or subsaharienne du groupe marocain. EL MEHDI BERRADA, À CASABLANCA

À

son arrivée, en 2016, Imad Toumi, 57 ans, était le premier PDG de Managem, depuis plusieurs années, issu d’un autre groupe. À l’inverse de son prédécesseur, Abdelaziz Abarro – qui a dirigé l’entreprise pendant plus de douze ans et effectué pratiquement toute sa carrière chez Al Mada (maison mère du groupe minier) –, ce diplômé de la prestigieuse École polytechnique n’avait encore jamais travaillé pour le holding royal. Qui plus est, diriger Managem était sa première expérience de management d’entreprise dans son Maroc natal. « Même s’il a été choisi par Hassan Ouriagli, PDG de SNI depuis 2014, il existait certaines craintes relatives à sa capacité d’adaptation, fort heureusement vite dissipées », se souvient un spécialiste du secteur. Au sein d’une compagnie où il n’est jamais aisé de faire parler les employés de leur patron, l’on estime que le changement est intervenu opportunément. « Il y avait besoin de renouveau. Toumi venait d’un groupe étranger et possédait une grande expérience en Afrique, ce qui rejoignait les ambitions de Managem », nous explique un fin connaisseur du minier marocain, qui ajoute que le dirigeant a trouvé sur place une équipe aguerrie et compétente. Réputé pour son ouverture d’esprit et sa placidité, Imad Toumi, fidèle à la tradition des grands patrons marocains, limite ses prises de parole et cultive une discrétion absolue. Avant de prendre les rênes de Managem,

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ce fort en thème – il est également titulaire d’un doctorat de mathématiques et d’un MBA à HEC – cumule plus de vingt ans d’expérience dans la gestion de projets industriels dans le domaine de l’énergie et des mines. Il a commencé sa carrière comme chef de service au Commissariat français à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, avant de déménager en 2002 en Normandie, où se trouvait le centre de traitement du combustible nucléaire du groupe Orano (anciennement Areva). Ce Casablancais a passé onze ans au sein du groupe français, dont presque six à sillonner l’Afrique pour la branche minière dévolue à l’extraction d’uranium. Après une première expérience en Afrique du Sud, on lui a confié le développement de plusieurs projets sur le continent : au Niger, en Namibie et en Centrafrique. En 2013, il rejoint le canadien La Mancha, entreprise aurifère du milliardaire égyptien Naguib Sawiris, aux côtés de Sébastien de Montessus – également un ex-Areva – avant d’être débauché par Managem. « C’est cette dernière expérience qui a sûrement plu aux dirigeants d’Al Mada, en plus de la connaissance de l’Afrique, qui est un prérequis pour ce poste », estime notre analyste.

À MOYEN TERME, MANAGEM DEVRAIT PRODUIRE AUTOUR DE 7 TONNES D’OR PAR AN, CONTRE 600 KG EN 2018.

Avant de prendre sa retraite, Abdelaziz Abarro avait amorcé un virage stratégique, validé par l’actionnaire majoritaire, qui aspire à faire de Managem un acteur aurifère majeur au sud du Sahara. C’est d’ailleurs l’ancien PDG qui a préparé le terrain pour la mine de Wadi Gabgaba, dans le nord-est du Soudan, ainsi que pour le mégaprojet de Tri-K, en Guinée. Une stratégie dont Imad Toumi a hérité et qu’il poursuit. Le groupe devrait produire à moyen terme autour de 7 tonnes d’or par an. Bien loin certes des majors Barrick et AngloGold Ashanti, mais Managem n’avait extrait que 600 petits kilos en 2018. « La stratégie aurifère est essentielle. Nos activités couvrent plusieurs métaux, et notre portefeuille doit absolument être diversifié pour atténuer l’impact de la forte volatilité et de la fluctuation des cours », nous expliquait Imad Toumi au début de 2019.

Capacité à garder son sang-froid et à tenir ses engagements

« Dans le milieu, un patron est jugé sur sa capacité à affronter des fluctuations de cours et des crises souvent violentes, à garder son sang-froid, à mettre en place une stratégie réaliste et à tenir ses engagements. En la matière, Imad Toumi a clairement démontré ses compétences », fait valoir un connaisseur du groupe. Après un exercice 2019 marqué par la chute des cours, Managem a pu faire le dos rond, avant de profiter d’un retour au beau fixe des cours du métal jaune en 2020, ce qui a fait progresser son chiffre d’affaires… et son cours boursier. L’an passé, l’entreprise a d’ailleurs été l’une des valeurs les plus en vue de la Bourse de Casablanca.


Tribune

Pour la transparence des contrats extractifs Bady Baldé

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Directeur exécutif adjoint et directeur pour l’Afrique de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Itie)

es projets du secteur extractif peuvent contribuer grandement au budget d’un État, mais restent sensibles au risque de corruption, réduisant leur impact positif. Depuis le 1er janvier, l’horizon s’éclaircit cependant. Les 26 pays africains mettant en œuvre la Norme Itie devront en effet publier les nouveaux contrats ou les amendements à des contrats existants. Certains pays francophones d’Afrique ont déjà publié des éléments clés d’accords régissant leur secteur extractif. D’autres ont voté des lois permettant leur divulgation. Le gouvernement guinéen dispose d’une loi datant de 2011 qui exige la publication des contrats, accessibles sur un portail gouvernemental. Peu de pays ont en revanche atteint une divulgation exhaustive et systématique des contrats. La publication de ce type d’information améliore la supervision du secteur. En octobre 2020, un contrat a été publié en RD Congo portant sur la vente du projet Metalkol – plus de 112 millions de tonnes de cobalt et de cuivre – à une entreprise dont le propriétaire serait Dan Gertler. L’Itie-RDC a joué un rôle essentiel dans l’analyse et la publication du contrat. Les médias couvrant le sujet ont pu avoir accès à l’accord en ligne et l’utiliser pour informer le public.

Effectuer un meilleur suivi

La publication des contrats en RD Congo a donné lieu à une meilleure compréhension de leurs conditions fiscales. Les contrats liant des entreprises étrangères à des entreprises d’État ont été clarifiés. Il est à présent possible d’effectuer un meilleur suivi des revenus versés par les entreprises extractives aux entreprises d’État et des transferts vers le Trésor public. Les intérêts des gouvernements, des entreprises et des citoyens concernés convergent sur la transparence des contrats. Publier les termes des contrats pour une entreprise lui permet de démontrer facilement qu’elle respecte ses obligations financières et sociales. Diffuser les termes des contrats contribue à aligner les attentes en matière de bénéfices fiscaux potentiels d’un projet extractif. Les accords ont ainsi plus de chances d’être durables.

Étant donné la crise sanitaire actuelle et la volatilité des prix qui en découle, les renégociations de contrats seront sans doute plus courantes, et il est important de prêter davantage d’attention à la stabilité contractuelle. La major française Total est l’une des premières entreprises à avoir reconnu ces avantages et à avoir promu la divulgation des contrats, convaincue que celle-ci ne se fait pas forcément aux dépens des intérêts commerciaux. D’autres entreprises partagent cet avis. « Le ciel ne nous est pas tombé sur la tête » avec la publication des contrats, admet Tom Butler, PDG du Conseil international des mines et métaux (ICMM), une association regroupant vingt-sept grandes entreprises minières.

Comparer, analyser, modéliser

Les communautés peuvent également bénéficier de l’accessibilité des informations contractuelles: elle leur permet de comprendre les obligations incombant aux entreprises, dont des mesures de protection de l’environnement, des paiements sociaux, l’obligation d’embaucher localement ou de faire appel à des fournisseurs locaux. Divulguer les contrats permet de comparer, d’analyser et de modéliser des régimes fiscaux. Compte tenu des incertitudes provoquées par la pandémie de Covid-19 dans le secteur extractif, les gouvernements voient davantage la nécessité d’une modélisation des futurs revenus extractifs, a fortiori lorsque ces revenus représentent une part significative du revenu national. La transparence n’est pas la panacée pour lutter contre la corruption, mais son effet dissuasif est significatif. La publication des contrats extractifs décourage les représentants de l’État de conclure des contrats qui seraient contraires aux (ou mal alignés avec les) intérêts nationaux. Voilà de bonnes raisons d’aborder avec confiance l’année qui commence. Que les gouvernements mettent ou non en œuvre l’Itie, il est dans leur intérêt de divulguer les contrats, d’encourager leur analyse et de créer des opportunités de dialogue inclusif sur l’avenir du secteur.

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DOSSIER MINES

GUINÉE

YOURI LENQUETTE POUR JA

Une fois que SMB-Winning sera capable de transformer la bauxite guinéenne, une partie de sa production ira alimenter l’usine française d’Alteo. Ici, le port minéralier de Dapilon, dans la région de Boké.

Fadi Wazni étend à l’Hexagone ses ambitions industrielles

Avec le rachat du français Alteo, leader mondial de l’alumine de spécialité, le président du consortium SMB-Winning et patron d’UMS mise sur l’intégration verticale de la filière bauxite.

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DIAWO BARRY, À CONAKRY

e plan de rachat par le guinéen United Mining Supply (UMS) de l’industriel français Alteo, numéro un mondial d’alumine de spécialité, en redressement judiciaire depuis décembre 2019, a été validé le 7 janvier par le tribunal de commerce de Marseille. Déjà présent dans l’exploitation de la bauxite par le biais de la Société minière de Boké (SMB), dans laquelle son groupe UMS est associé – à hauteur de 30 % – au singapourien Winning Shipping et au chinois Shandong Weiqiao, le Franco-Guinéen Fadi Wazni s’assure donc le contrôle d’une grande partie de la filière en intégrant la transformation finale du

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minerai. L’industriel, qui projetait déjà de construire en Guinée une raffinerie d’alumine, vise désormais une transformation de qualité supérieure, allant jusqu’à l’alumine de spécialité utilisée dans la fabrication des écrans de smartphones ou des batteries de voitures électriques notamment.

Un projet à plusieurs dizaines de millions d’euros

« C’est une démarche naturelle, a-t-il confié à Jeune Afrique. Alteo a une histoire et un savoir-faire exceptionnels. Nous étions initialement en pourparlers pour leur vendre de la bauxite, mais, comme ils étaient en difficulté, nous avons jugé utile de saisir cette opportunité puisque nous sommes l’un des plus grands producteurs de

bauxite du monde et que nous allons développer une raffinerie en Guinée. » Son projet, pour lequel il assure engager plusieurs dizaines de millions d’euros, entre la transaction, l’apurement des dettes d’Alteo et les investissements – notamment 30 millions d’euros pour mettre en service un nouveau four de fabrication d’alumine à très forte valeur ajoutée –, prévoit la fermeture de l’unité de raffinerie de bauxite en alumine sur le site de Gardanne, dans le sud de la France, au profit d’une importation d’alumine. Pour la région de Marseille, c’est un soulagement. D’une part, parce que Fadi Wazni, dont l’offre a notamment été préparée par le cabinet KPMG, s’est engagé à « tout faire » pour maintenir les 480 emplois d’Alteo, malgré


COMMUNIQUÉ

LA RADIO NUMÉRIQUE DANS LES MINES, UN APPORT CONSIDÉRABLE EN TERMES DE SÉCURITÉ ET DE PRODUCTIVITÉ Motorola Solutions est un leader mondial des communications stratégiques. La société conçoit des plates-formes de radiocommunication, des logiciels de centres de commande, des solutions de sécurité et d’analyse vidéo afin de rendre les villes plus sûres et de contribuer à la prospérité des communautés et des entreprises. Dans le monde entier, sa gamme de communication « push-to-talk » répond particulièrement aux différents besoins de communications critiques dans le domaine de la mine.

onsieur Houman Sanchez Guerrero, Mo uvez-vous présenter la mission pou otre entreprise ? de vo

Bouyguess DTP Mining (Bouygues Travaux Publics) est actif d 4 pays ett estt présent é dans en Afrique depuis 20 ans. Nos clients bénéficient d’une gamme complète de solutions. La Guinée dispose des plus grandes réserves mondiales de bauxite avec un niveau de production de plus de 40 millions de tonnes. DTP Mining en République de Guinée exploite pour le compte de la compagnie minière GAC (filiale EGA) en tant que sous-traitant pour une production annuelle d’environ 12 millions de tonnes. Partenaire fiable et expérimenté, notre entreprise s’engage pleinement aux côtés de ses clients pour la sécurité et la performance. Cela s’illustre par : • Un taux de fréquence d’accident parmi les plus bas du secteur. • Une maintenance du parc matériel assurée sur site. • La participation au développement local : 95 % des collaborateurs DTP Mining sont des nationaux.

Quels sont les principaux usages pour la radiocommunication professionnelle dans l’exploitation d’une mine ?

La radio joue un rôle essentiel au niveau HSE (Hygiène Sécurité Environnement) puis pour organiser les opérations en toute fluidité avec nos différents départements tel que chargement, transport, maintenance, processing, drill & blast, load & haul... Au niveau de la production, la radio représente le seul moyen de communication dans des zones reculées. Elle permet aux différentes équipes de travailler ensemble en toute efficacité.

Pouvez-vous nous décrire brièvement le système que vous utilisez ?

Nous avons choisi un système MOTOTRBO™ reliant les 2 sites d’extraction de la bauxite, la plateforme, le camp et sa salle de contrôle radio. L’ensemble de nos véhicules (lourds ou légers) sont également équipés. Avec le numérique, la radio devient un véritable outil de sécurité et de productivité. Par exemple, l’existence d’un groupe « Emergency », constitué de l’ensemble des agents, permet d’alerter en temps réel lors d’un incident. Même si l’agent n’est pas en état de communiquer, la salle de contrôle peut écouter à distance et organiser l’intervention si nécessaire. Au niveau de la productivité, le numérique nous permet de travailler sur 6 canaux différents correspondant parfaitement à notre organisation. L’économie de fréquences est substantielle.

Quels ont été les apports de vos partenaires ?

La société SES Plus, basée à Conakry, a géré notre projet de « A à Z ». Les solutions apportées ont permis d’atteindre l’ensemble des objectifs que nous avions assigné à notre réseau radio. Tous les sites tels que les fosses minières, les zones d’atelier, les camps miniers, les zones de chargement et de transport et les camps bénéficient d’une couverture radio de haute qualité. L’apport de SES a intégré la programmation, la formation de nos agents et la maintenance du réseau. Choisir SES, revendeur officiel de Motorola Solutions, c’était l’assurance de recevoir du matériel neuf et d’origine, élément essentiel à la pérennité de notre projet. Motorola Solutions nous apporte des produits de haute fiabilité répondant aux exigences du secteur minier (chocs, chutes, vibrations, poussières...). Éviter les pannes et leurs conséquences financières et sécuritaires était au cœur de notre démarche.

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ENTR RETIEN AVEC MONSIEUR HOUMAN NCHEZ GUERRERO SAN Dirrecteur de Projet de Bouygues DTP Miining Guinée


DOSSIER MINES

GUINÉE

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Des inquiétudes que balaie Fadi Wazni : « Pour ceux qui disent qu’on va venir polluer le continent, je répondrais que l’alumine importée viendra d’Allemagne. » « Ensuite, poursuit-il, nous utiliserons les moyens modernes de séchage et de décontamination de l’eau, de nouveaux procédés utilisés en Allemagne. » L’industriel, qui a mobilisé les fonds nécessaires à son offre de rachat auprès de différents banquiers, assure aussi que l’extension de l’usine de Gardanne la rendra plus compétitive. « On va investir pour augmenter sa capacité et conquérir plus de marchés,

TF

Soutien des institutions financières

et pouvoir ainsi financer des opérations dépolluantes. Nous sommes engagés dans des projets chiffrés à des milliards de dollars en Guinée, dans la bauxite, mais aussi pour le développement du mégaprojet de fer du mont Simandou. Et nous avons la confiance des banquiers et des institutions financières », assure-t-il. Si huit concurrents s’étaient au départ positionnés pour la reprise NC VI d’Alteo, ancienne propriété du groupe anglo-australien Rio Tinto, revendu en 2012 au fonds d’investissement américain HIG Capital, UMS a été le seul à se maintenir jusqu’au bout du processus, les autres candidats s’étant retirés. Le tribunal a jugé que le nouvel actionnaire du groupe avait « une capacité d’autofinancement suffisante pour lui permettre de faire face aux engagements prévus par le plan de poursuite ». EN

également pour le maintien des 98 emplois. « Il n’y a aucune garantie pour ces gens, dont le savoir-faire et l’expérience font pourtant toute la valeur de l’entreprise », regrette-t-il.

la fermeture de cette unité qui concernait 98 postes. « Nous avons entre douze et dix-huit mois pour les reclasser. Certains se verront proposer de venir en Guinée ou ailleurs sur des contrats d’expatriation, d’autres pourront intégrer certaines activités qui sont actuellement sous-traitées », commente le repreneur. Les riverains se réjouissent aussi de la disparition d’un processus de transformation très polluant, producteur de boues rouges, rejetées pendant des années dans la Méditerranée avant d’être stockées à ciel ouvert, au grand dam de la population. Pourtant, François-Michel Lambert, député écologiste de la circonscription, s’inquiète : « Cela revient à exporter ce qui a été ici un réel problème de pollution dans un cadre qui n’est pas rassurant, ni du point de vue environnemental ni du point de vue social », confie-t-il à Jeune Afrique, dénonçant « les problèmes que cause, à Fria, la raffinerie du russe Rusal ». L’élu s’inquiète

COMMUNIQUE

Notre mission… …vous servir au bout du monde

TFE, un groupe international de services liés aux achats. Une notoriété conquise en proposant des solutions d’approvisionnement pour des matériels et équipements des secteurs miniers et industriels, pétroliers et pétro-chimiques.

Présence mondiale sites répartis sur 4 continents

14

TFE, un interlocuteur privilégié des grands groupes mondiaux dans leurs achats de maintenance et dans leurs projets . Une gestion de bout en bout de la Supply Chain, en toute sécurité et dans des délais contraints. TFE Group Inc. - Houston - Tel : +1 281 445 7690 TFE South Africa - Cape Town - Tel : +27 (0)21 418 0310 KPO - Angola - Tel : +244 930 892 128 TFE Burkina Faso - Tel : +226 25 37 55 31

création : www.ideo-creation.com

Entités et hubs logistiques

Représentation du groupe TFE Bureaux et hub logistique Bureaux de représentation Pays couverts

TFE France - Head Office Tel : +33 (0)4 66 70 64 10 tfe@grouptfe.com


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERTS

EY et Associés Email : christian.mion@fr.ey.com moez.ajmi@fr.ey.com raphael.salganick@fr.ey.com www.ey.com

Covid-19 : comment les entreprises minières en Afrique résistent-elles au choc ? Marqué par une crise sanitaire

effectifs, les opérations de produc-

mondiale sans précédent, le sec-

tion se sont poursuivies comme

teur minier en Afrique tient bon. La

en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso,

Covid-19 a certes impacté de façon

au Mali et en Guinée. Néanmoins,

durable l’ensemble des secteurs

la révision des budgets été mise à

d’activité dans le monde, mais la

l’agenda des directeurs financiers

capacité d’anticipation des entre-

car garantir la continuité opéra-

prises minières a permis d’amortir le choc. Considérées comme un des ferments de la croissance du continent, elles ont su faire preuve de résilience, en accélérant leur transformation numérique et en s’adaptant à ce contexte inédit grâce à : • Une culture HSE qui donne la priorité à l’hygiène, la santé et à la sûreté des installations ;

Christian MION

Moez AJMI

Raphael SALGANICK

EMEA Advisory Mining Leader, Western Europe, Maghreb, French Speaking Africa and Mena Mining Leader

WEM Mining Leader, Western Europe, Maghreb, and Frenchspeaking Africa Mining Leader

WEM Mining Knowledge Leader

tionnelle a un coût, les nouveaux protocoles sanitaires impliquant

en 2021. Les permis d’exploitation

l’achat d’équipements spécifiques.

et les critères environnementaux,

Il est bien évident que l’impact

sociaux et de gouvernance (ESG)

global de la pandémie est variable

ont regagné de l’importance, pen-

au sein du secteur. Chaque matière première a été affectée de manière différente en fonction de sa demande actuelle et future, des

dant que la responsabilité sociale des entreprises et les exigences des parties prenantes au sens large se sont intensifiées.

niveaux de stocks existants et de

Sur la base de ces constats, il est

l’impact du virus sur l’offre.

raisonnable de penser que la crise

• L’excellence de la gouvernance qui a permis une gestion agile de la crise sanitaire ; • Une collaboration accrue avec les pouvoirs publics, dont les experts de santé et les communautés environnantes, dans la droite ligne d’un SLTO bien compris et bien mis en œuvre.

La crise sanitaire agit comme un accélérateur et l’horizon sera fait de changements structurels majeurs pour les entreprises minières en Afrique. Plus globalement, la crise sanitaire

sanitaire agit comme un accélé-

Contrairement aux autres pays

a fait naître de nouvelles oppor-

rateur et que l’horizon sera fait de

producteurs de matières premières,

tunités pour le secteur comme le

changements structurels majeurs

l’Afrique résiste. Le business as

démontre notre dernier classement

pour les entreprises minières en

usual est de mise sur les sites

des principaux risques et opportu-

Afrique à l’heure du numérique et

miniers, où malgré la baisse des

nités business du secteur minier

de la transition énergétique.


CULTURE(S) & LIFESTYLE

104 Cinéma Le Mali des années 1960 renaît à Dakar

GASTRONOMIE

Mettez de l’huile (d’olive)!

Le Mucem, à Marseille, propose une exposition sur ce patrimoine culinaire méditerranéen aujourd’hui menacé par la malbouffe, laquelle favorise le risque d’accident cardio-vasculaire.

A

udébutdesannées1950, un nutritionniste américain de l’université du Minnesota, Ancel Ke y s , p a r t m e n e r des recherches sur l ’a l i m e n t a t i o n e n Italie et en Espagne. Effaré par l’envol alarmant des maladies cardio-vasculaires dans son pays, de plus en plus prospère, il tente de savoir si une modification du régime alimentaire peut améliorer la santé de ses concitoyens. En 1975, après avoir poussé ses recherches dans plusieurs pays européens, il publie avec sa femme Margaret How to Eat Well and Stay Well the Mediterranean Way (« le régime méditerranéen pour bien manger et rester en bonne santé »), qui formalise la plupart de ses découvertes et popularise le concept de « diète méditerranéenne ».

100

no3097 – FEVRIER 2021

L’alimentation que préconise le couple américain pour être en bonne santé est en fait celle qui existe depuis des siècles dans le bassin méditerranéen, au sud comme au nord. Plutôt végétarienne, elle s’appuie sur la consommation de légumes de saison variés, de céréales et de légumineuses (lentilles, fèves, pois…). L’huile d’olive est privilégiée pour l’assaisonnement. On ajoute à cela des fruits frais ou secs, en petite proportion, et on évite les boissons sucrées ou alcoolisées. Enfin, on peut diversifier le menu en ajoutant des viandes maigres (mais seulement deux fois par semaine), des poissons et des œufs (deux à quatre fois par semaine), et de la viande rouge (deux fois maximum par semaine). Cette diète méditerranéenne, documentée depuis plus d’un demi- siècle, a été particulièrement mise sous le feu des projecteurs en 2010, lorsqu’elle a été intégrée à la

FRANCK BICHON/EPICUREANS

LÉO PAJON

Bouteilles et carafes d’huiles d’olive diverses.


108 Littérature Dans le ventre du Congo

109 Polar Et il est comment le dernier… Parker Bilal?

110 Arts plastiques Frédéric Bruly Bouabré en ses écrits


CULTURE(S) & LIFESTYLE

ARTS PLASTIQUES

DR

Frédéric Bruly Bouabré en ses écrits Les éditions Syndicat-Empire et Faro publient en fac-similé le récit du voyage parisien du plasticien ivoirien à l’occasion du vernissage de l’exposition « Magiciens de la terre », en 1989.

E

NICOLAS MICHEL

110

no3097 – FEVRIER 2021

sur les personnes qu’il rencontre : son « fils » André Magnin, ses « fils » Pierre et Christophe, chargés de le véhiculer dans Paris, et l’incontournable ministre de la Culture Jack Lang. Témoignage rare, lumineux de candeur, le texte touche par la sincérité et la joie qui s’en dégagent. « Ici, pour être bref, je vais tout droit au but en disant que mon très cher fils André Magnin me présenta, dans cette joie excitante, à presque toutes les grandes personnalités composant cette “curieuse réunion fêtée” qui me fut expliquée que c’est une “réception de libation” ou “vin d’honneur” donné à l’honneur de tous les artistes !! Bien sûr, j’eus mon petit

SYNDICAT-EMPIRE/FARO

n janvier 2014, la Côte d’Ivoire perdait l’un de ses artistes les plus étonnants, Frédéric Bruly Bouabré. Le galeriste André Magnin nous déclarait alors : « Il inventoriait tout ce qu’il pouvait, il observait les nuages, les signes sur la peau des fruits, les empreintes sur le sol. Il y avait toujours des dessins sur ses écrits, et il revendiquait l’écriture comme étant du dessin. » Surtout célèbre pour ses petits croquis colorés, en apparence naïfs, réalisés sur des cartons d’emballage de mèches de faux cheveux, le plasticien, qui voulait entrer au « Panthéon de Victor Hugo », était l’inventeur d’un syllabaire de 448 unités manuscrites et dessinées qui devait lui permettre de retranscrire la culture bétée, et l’auteur de nombreux textes. Aujourd’hui, les éditions SyndicatEmpire et les éditions Faro publient un document exceptionnel : le facsimilé d’un texte manuscrit complet de Frédéric Bruly Bouabré intitulé Paris la Consciencieuse, Paris la guideuse du monde. Il s’agit de la relation, de la main de l’artiste, de son voyage et de son séjour dans la capitale française en mai 1989 à l’occasion de l’exposition « Magiciens de la terre », au sein de laquelle ses œuvres étaient exposées. Dans un langage qui n’appartient qu’à lui, en majuscules d’imprimerie couvrant 325 pages, Bruly Bouabré racontesondépartd’Abidjan,sonvolen avion, son séjour parisien et son retour au pays, s’attardant avec enthousiasme sur ce qu’il découvre – l’avion, les restaurants parisiens, l’hôtel, les escaliers mécaniques, les ascenseurs – et

Paris la consciencieuse, Paris la guideuse du monde, Frédéric Bruly Bouabré, 352 pages, 35 euros

verre de “sucrerie” », écrit celui qui se décrit comme « un nègre d’aspect violâtre » appartenant à la « “race violette” malconnue et confondue à la “race typiquement noire” ». Petit fonctionnaire de l’administration coloniale, amoureux de la langue française, Bruly Bouabré avait eu une révélation le 11 mars 1948, au Sénégal. Dieu lui avait confié une mission, inventer une écriture pour sauver la culture bétée. « Le ciel s’ouvrit devant mes yeux et sept soleils colorés décrivirent un cercle de beauté autour de leur mère soleil, je devins Cheik Nadro : celui qui n’oublie pas », avait-il coutume de raconter. Ce rapport compulsif et mystique à l’écriture peut rappeler celui d’autres « graphomanes extravagants » que la docteure en histoire de l’art Lucienne Peiry décrit dans Écrits d’art brut, son nouvel ouvrage. On notera alors que des descendants d’esclaves africains, comme John B. Murray (États-Unis, 1908-1988) ou Arthur Bispo Do Rosario (Brésil, 1911-1989), marginaux qui furent des graphomanes invétérés, eurent eux aussi des révélations mystiques. Do Rosario vit, en décembre 1938, le Christ lui apparaître, « escortés de sept anges auréolés de bleu », tandis que Murray, irradiée par une lumière dorée dans son jardin, entra en contact avec Dieu en 1978 et reçu de lui la mission de transmettre sa parole par des « spririt scripts », des écrits spirituels. Autant d’histoires qui interrogent la proximité des liens et les frontières, dans l’histoire humaine, entre création artistique, religion, écriture et parole.


GRANDFORMAT

BÉNIN

Doit (encore) mieux faire

BAMBOU STUDIOS/PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DU BÉNIN

Pour tout comprendre de l’évolution d’un pays

Les progrès réalisés ces dernières années ont permis au pays d’éviter la récession malgré le Covid-19. Mais le prochain président aura la lourde tâche de maintenir cet élan et de renouer le dialogue entre majorité et opposition pour rendre sa vigueur à la démocratie béninoise. no3097 – FEVRIER 2021

111


Fouad Laroui

Qui avait prédit la pandémie?

E

n décembre 2019, dans le monde entier, dans toutes les langues – y compris le tagalog et peut-être même le silbo de La Gomera et l’artchi du Daguestan –, des femmes et des hommes se dressèrent – ou s’accroupirent, pour ce que j’en sais – et ils firent ce qu’ils font chaque année à la même époque : des prédictions. Ils prédirent. Le verbe signifie littéralement : « dire avant ». Ils nous dirent donc, avant même que l’année ait commencé, ce qu’elle allait apporter. Des tremblements de terre, des tsunamis, la mort du duc d’Édimbourg – cela fait une décennie qu’ils le tuent –, des troubles dans les Andains et le Bangladesh inondé, ce qui constitue la définition même du Bangladesh. Combien de ces voyants avaient prédit cette pandémie qui allait engloutir le monde, donner un coup d’arrêt au tourisme et provoquer la pire récession depuis les années 1930 ? Aucun. Qui avait annoncé qu’on verrait en France et dans d’autres pays cette mesure ahurissante en temps de paix : le couvrefeu à 18 heures ? Aucun. Sur un mode plus positif, qui avait claironné que de nouveaux vaccins allaient être développés en quelques mois, ce qui

constitue une première dans l’histoire de l’humanité ? Aucun. Contentons-nous de compulser un livre publié en octobre 2019 par la plus célèbre des astrologues de langue française, intitulé 2020, le grand tournant. On lit ceci en guise de résumé : « Ce livre tente, avec l’éclairage original et précieux des grands cycles planétaires qui reflètent notre devenir collectif et individuel, de livrer ma vision d’ast r o l o g u e /s o c i o l o g u e , à travers des analyses géopolitiques : thèmes d’Emmanuel Macron, de Donald Trump, des ÉtatsUnis et des prochaines élections, de Vladimir Poutine… […] Quel rôle vont jouer l’islam et l’État islamique ? Notre civilisation chrétienne vit-elle ses dernières heures ? Dans quel sens l’économie va-t-elle évoluer : allons-nous vers un krach boursier, ou pire ? » En gros, l’année 2020 aurait dû être celle de l’État islamique (qui a disparu entre-temps), de la fin de la civilisation chrétienne et de l’inévitable krach boursier (où ?). Aucune trace de virus. Je fais chaque année ce petit exercice, assez répétitif. Mais on connaît le mot de Voltaire : « Je cesserai de me répéter quand on se corrigera. » On peut constater chaque année que les médiums et les astrologues

LES MÉDIUMS N’ONT RIEN VU.

154

no3097 – FEVRIER 2021

ne voient rien, sauf des banalités (« troubles de santé pour un homme politique en vue »). Et pourtant, ils sont peu, ceux qui se corrigent, parmi les consommateurs : on continue de les lire, de les consulter – jusqu’à 2 000 euros la consultation, paraît-il – de les inviter à la radio ou à la télévision.

Tous embarqués

Cela dit, la situation est exceptionnelle cette fois-ci. Comme son nom l’indique, la pandémie a touché le monde entier. Personne n’a échappé à ses effets, ne serait-ce que le port du masque, la fermeture des restaurants, les restrictions de déplacements. Nous sommes tous embarqués. Est-il vraiment possible que, l’an prochain, un de ces clowns puisse s’approcher de nous, la face enfarinée, et susurrer : « Pour l’année prochaine, je prédis que… » ? Bref, pour ceux qui ont des yeux et une cervelle, la pandémie a eu au moins un effet positif. Les choses sont claires. Il y a d’un côté les scientifiques qui peuvent faire des prévisions, avec des modèles solides, des données chiffrées et l’usage de la raison – et qui n’hésitent pas à reconnaître qu’ils se sont trompés quand ils se trompent. Et il y a les charlatans qui prétendent faire des prédictions à l’aide d’une boule de cristal ou des élucubrations de Nostradamus. À chacun de choisir.


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L’AFRIQUE EN MOUVEMENT Moov Africa est la nouvelle marque commerciale qui rassemble désormais l’ensemble des filiales de Maroc Telecom dans les 10 pays de présence du groupe : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gabon, Mali, Mauritanie, Niger, République Centrafricaine, Tchad et Togo. La nouvelle marque Moov Africa révèle au monde l’empreinte panafricaine du Groupe Maroc Telecom et illustre sa vision d’une « Afrique en mouvement » qui réside dans le principe de partage du savoir-faire du groupe et sa capacité d’innovation au profit des pays dans lesquels il opère. Moov Africa c’est la promesse d’une offre multiservices pour répondre aux besoins essentiels des populations dans les domaines des télécoms, de l’éducation, du mobile banking, de la culture et du développement durable. MOOV AFRICA UN MONDE NOUVEAU VOUS APPELLE


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