JA3100 EXTRACT - MAI 2021

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NO 3100 – MAI 2021

ÉMIRATS ARABES UNIS

Kippas & keffiehs

ÉGYPTE-ÉTHIOPIE

La guerre du Nil aura-t-elle lieu ?

NOUVELLE FORMULE ENRICHIE

ÉTOILES SUR LA TOILE

Fini le temps où la télévision régnait en maître dans les foyers maghrébins. Place à Instagram, Facebook, Twitter ou YouTube et à leurs figures montantes, qui font feu de tout bois. Pour le meilleur ou pour le pire… Algérie 420 DA • Allemagne 9 € • Belgique 9 € Canada /A 12,99 $CAN • Espagne 9 € • France 7,90 € Grèce 9 € • DOM 9 € • Italie 9 € • Maroc 50 MAD Pays-Bas 9,20 € • Portugal continental 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TND • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4800 F CFA • ISSN 1950-1285


N°1 AFRICAIN DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE La transformation de l’hydrogène naturel en électricité sans émission de CO2 est une première dans le monde réussie par HYDROMA. HYDROMA a fait une gigantesque découverte de plus de 700 milliards de m³ d’hydrogène naturel sur le Bloc 25 situé à 60 km de Bamako au Mali. Les découvertes de HYDROMA ont été confirmées par un rapport de qualification et d’évaluation 51-101.

JAMG - PHOTOS DR

L’hydrogène naturel de Bourakebougou est une ressource renouvelable et purement africaine.

Le Mali sera bientôt la première économie décarbonée du continent ! www.hydroma.ca


L’édito

Marwane Ben Yahmed  @marwaneBY

Gbagbo, Bédié, Ouattara

Ils effacent tout… et ils recommencent ?

L

aurent Gbagbo a donc été, le 31 mars, définitivement acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dont il était accusé. Dix ans après avoir été envoyé au Penitentiaire Inrichting Haaglanden de Scheveningen (Pays-Bas), réservé aux génocidaires, satrapes sanguinaires et autres chefs de guerre sans foi ni loi. Un verdict qui s’impose à tous, sauf aux trois mille victimes de la crise postélectorale de 2010-2011, qui doivent se demander à quoi sert cette CPI sans policiers ni experts, et dont les procureurs flirtent souvent avec l’amateurisme. Pas de preuves, pas de coupables, ni dans un camp ni dans l’autre, malgré les millions d’euros dépensés et toutes les années qu’il a fallu pour qu’un verdict soit prononcé. Doit-on pour autant en déduire que les atrocités commises au lendemain du refus de Gbagbo de reconnaître les résultats de la présidentielle n’ont pas existé ? Que les tirs à l’arme lourde de son armée

sur un marché ou sur une manifestation de femmes, les exécutions sommaires, les enlèvements ou la traque organisée de militants n’étaient qu’une vue de l’esprit ? Que le revirement politique actuel, qui voit les principaux protagonistes de ce drame tenter d’entraîner tout un pays dans l’amnésie au nom d’une réconciliation de façade, n’est pas un énième et cynique calcul politicien dont la Côte d’Ivoire a le secret ? Dix ans plus tard, en tout cas, elle n’a guère avancé sur le chemin de la vérité, ni, a fortiori, sur celui de la justice. Gbagbo et Charles Blé Goudé, son ancien « ministre » de la Jeunesse, sont désormais « libres de rentrer quand ils le souhaitent ». C’est ce qu’a indiqué, une semaine après

Ne manquent plus que le tapis rouge et la garde d’honneur sur le tarmac.

l’annonce du verdict, le chef de l’État, Alassane Ouattara, précisant que les frais de voyage de l’ancien président, ainsi que ceux de sa famille, seront à la charge de l’État et que « des dispositions seront prises pour que Laurent Gbagbo bénéficie, conformément aux textes en vigueur, des avantages et indemnités dus aux anciens présidents de la République ». Ne manquent plus que le tapis rouge et la garde d’honneur sur le tarmac… Interrogé sur la condamnation de Gbagbo, en janvier 2018, par la justice ivoirienne à vingt ans de réclusion dans l’affaire du « braquage de la BCEAO » et sur ses conséquences concrètes, Amadou Coulibaly, le nouveau porte-parole du gouvernement, a botté en touche, s’en tenant au sésame accordé par le chef de l’État. Ce qui signifie, si l’on va au bout du raisonnement, qu’il faut s’attendre à une grâce présidentielle, voire à une amnistie. « Je me réjouis […] de l’acquittement définitif du président Laurent Gbagbo et du ministre Charles JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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L’ÉDITO Blé Goudé, a déclaré de son côté le « nouveau » leader de l’opposition, Henri Konan Bédié, à l’occasion du 75e anniversaire du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Je souhaite que le gouvernement prenne toutes les dispositions nécessaires pour favoriser leur retour en Côte d’Ivoire dans les meilleurs délais et dans des conditions sécurisées. » Il y a dix ans, il se délectait de voir l’ex-chef de l’État dans les geôles de la CPI. Allez comprendre… Pour ceux qui auraient oublié tout ou partie de cette sarabande infernale qu’exécutent Gbagbo, Bédié et Ouattara depuis trente ans, ou pour ceux qui observent la Côte d’Ivoire de loin, résumons-en les principaux épisodes. Le passé éclaire l’avenir, dit-on. Les prémices de l’affrontement remontent au début des années 1990. Ouattara, alors Premier ministre d’Houphouët, et Bédié, président de l’Assemblée nationale, unissent une première fois leurs forces pour faire barrage à Gbagbo, seul véritable opposant au « Vieux ». En février 1992, à l’issue d’une manifestation durement réprimée, Gbagbo est arrêté et incarcéré huit mois durant. Il ne l’oubliera jamais. En 1993, la mort d’Houphouët provoque un nouveau duel, entre Bédié et Ouattara cette fois. Le premier accède à la présidence ; le second doit s’effacer, mais emmène nombre de cadres du PDCI. Gbagbo attend son heure et se rapproche de Ouattara, avec qui il crée un improbable Front républicain. Leurs partis respectifs boycottent le scrutin présidentiel de 1995 et applaudissent à l’unisson le putsch de 1999, qui balaie Bédié et porte le général Gueï à la tête d’une junte. Le Front républicain ne résiste pas longtemps à la disparition politique de l’ennemi commun. L’élection de 2000, dont Ouattara et Bédié sont exclus, est remportée par Gbagbo. La rupture avec Ouattara, sur fond de douteuses polémiques quant à son « ivoirité », est consommée. En septembre 2002, une tentative de coup d’État contre Gbagbo attise un peu plus les haines. Trois ans plus tard, Bédié et Ouattara, que l’on

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pensait irréconciliables, concluent un pacte. À la présidentielle de 2010, Ouattara l’emporte, grâce notamment au ralliement de Bédié, que Gbagbo compare à Esaü, ce personnage de la Genèse, petit-fils d’Abraham, qui vendit son droit d’aînesse contre un plat de lentilles. Aujourd’hui, les danseurs ont une nouvelle fois changé de partenaire, mais la folle sarabande continue. Le « Sphinx de Daoukro » a les yeux de Chimène pour « Laurent », qu’il vouait jadis aux gémonies. Tout comme Guillaume Soro, le Janus ivoirien : Mahatma Gandhi le jour, Machiavel la nuit, l’ancien apôtre de Ouattara est devenu un disciple de Bédié et du

Il y a dix ans, le « Sphinx de Daoukro » vouait Gbagbo aux gémonies. Aujourd’hui, il a pour lui les yeux de Chimène… « camarade » Laurent, qui ne le porte pourtant guère dans son cœur. L’inextinguible soif de pouvoir des uns et des autres justifie tous les revirements, même si chacun prend soin de revêtir ses opportunistes reniements des oripeaux de la « réconciliation », du « pardon » ou de l’« humanisme ». On appelle « mon frère », « mon fils » ou « mon aîné » celui que l’on traitait hier encore de voyou, de voleur ou d’assassin. Comme il se doit, les troupes de nos trois éléphants suivent le mouvement les yeux fermés, espérant glaner quelques miettes de pouvoir. Dans la classe politique, l’amnésie et le cynisme sont décidément les vertus les mieux partagées. Les Ivoiriens, eux, rêvent d’une vraie réconciliation. Le pardon, dit le proverbe, ne change pas le passé, il élargit les horizons du futur. Ce n’est cependant pas une raison pour oublier ou travestir l’Histoire. Et pour reproduire les mêmes erreurs, source de tant de chagrin en terre d’Éburnie.

Humour et sagesse Pour réfléchir ou sourire, chaque mois, notre sélection des citations les plus marquantes, les plus intelligentes ou les plus drôles.

Quand le moustique se pose sur tes testicules, tu comprends que la violence n’est pas toujours la solution. Proverbe africain La femme dans notre société contemporaine n’est pas moins volage que l’homme. Elle est simplement plus discrète… Helen Fischer Christophe Colomb fut le premier socialiste : il ne savait pas où il allait, il ignorait où il se trouvait… et il faisait tout ça aux frais du contribuable. Winston Churchill N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. Napoléon Ier

Vos préjugés sont vos fenêtres sur le monde. Nettoyez-les de temps en temps, ou la lumière n’entrera plus. Isaac Asimov Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit, c’est comme ça… Coluche


“Si nous nous engageons tous ensemble pour la paix, nous ne donnerons aucune chance a la violence. C’est pour cela que je m’engage a soutenir la paix.” UA Voix poUr lA pAix Zahra’ Langhi - Activiste pour lA pAix co-fondAtrice et ceo de femmes libyennes plAteforme pour lA pAix (lWpp)


Dans Jeune Afrique et nulle part ailleurs

SOMMAIRE Nouvelle vie

À

60 ans, Jeune Afrique fait peau neuve. Le numéro que vous avez entre les mains inaugure la nouvelle formule de notre mensuel, totalement repensé dans sa structure comme dans sa maquette, qui s’inscrit dans notre projet de transformation, aux côtés de notre offre digitale sur jeuneafrique.com. La promesse globale, quel que soit le support, est simple : être la meilleure source d’informations politique et économique, ainsi que l’espace de débat privilégié de tous ceux qui souhaitent construire une Afrique forte, souveraine et innovante, reconnue à sa juste valeur dans le monde. Comme vous pouvez le constater, vous disposez d’un magazine premium dont le contenu est réalisé au plus près du terrain mais avec la hauteur de vue requise par l’analyse et la compréhension des grands enjeux du continent. À l’heure des réseaux sociaux et des fake news, nous n’avons sans doute jamais eu autant besoin d’enquêtes, d’analyses et d’approfondissement. De comprendre et de ne plus se contenter de savoir. Et, surtout, d’avoir confiance en l’information qui nous est délivrée. Au cours des prochaines semaines, nous écouterons vos suggestions et prendrons en compte vos remarques pour continuer d’améliorer votre magazine. Nous sommes convaincus que la seule voie possible pour Jeune Afrique passe par une exigence toujours plus grande de qualité éditoriale, une identité plus forte et de multiples avancées dans le domaine numérique. C’est donc notre engagement. Bonne lecture ! Marwane Ben Yahmed, directeur de la publication

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JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

38 03 L’édito Marwane Ben Yahmed

PREMIER PLAN 08 L’homme du mois Déby est mort, vive Déby ! 11 Dix choses à savoir sur… Mahamane Sani Mahamadou Issoufou 12 Le match Le roi Abdallah II vs le prince Hamza 14 Le jour où… Lbachir BenMohamed a décidé de quitter l’Institut Pasteur 19 L’actu vue par… Rama Yade 20 L’œil de Glez Migrants, de Charybde en Scylla 22 Le dessous des cartes Gare aux pirates ! 24 Partis pris Abiy Ahmed, un faucon sur le toit de l’Afrique 26 Qu’avez-vous contre le Costa Rica ? 27 Francophonie  : Paris devrait nous dire merci

ENQUÊTE 38 Égypte-Éthiopie La guerre du Nil aura-t-elle lieu ? 44 Infographie Plongée au cœur du plus grand barrage d’Afrique 46 Tribune Un conflit aux conséquences incalculables

POLITIQUE 50 RD Congo Interview de Jean-Pierre Bemba 58 Côte d’Ivoire Un revenant nommé Gbagbo 64 Tribune Du bon usage du boycott 66 Cameroun Un Biya peut en cacher un autre 70 Front Polisario RASD, une « république » ensablée 72 Maghreb Étoiles sur la Toile 78 Émirats arabes unis Kippas & keffiehs 82 Secrets d’histoire Abdelkader en Syrie, l’émir de la paix

LA GRANDE INTERVIEW 30 Souleymane Bachir Diagne Philosophe sénégalais

OBJECTIF MALI 86 Ce qu’il faut attendre de la transition


INTERNATIONAL

FOCUS ÉNERGIE

128 Belgique-Afrique, passé recomposé

174 Transition complexe pour les majors pétrolières

CULTURE

POUR TOUT COMPREN DRE DE L’ÉVOLUTI ON D’UN PAYS

GRAND FORMAT GUINÉE ENJEUX p. 196

| ÉCONOMIE p. 214

| SOCIÉTÉ p. 245

Alpha, acte III

AFP

136 Télécoms Interview de Ralph Mupita, patron de MTN 145 Infographie Baromètre de l’Africa Financial Industry Summit 146 La galaxie de Ngozi Okonjo-Iweala, patronne de l’OMC 148 Interview Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances 152 Transport aérien Qui a tué Air Afrique ? 155 Énergie Grandeur et décadence de Mustapha Bakkoury 158 Agroalimentaire Les pionniers africains de l’alimentation de demain

Après une année 2020 tendue, le président Alpha mandat sous le signe Condé a placé son d’un nouveau mode troisième de gouvernance, dans tous les domaine De quoi apaiser le climat politique s. et social. JEUNE AFRIQUE

– N° 3100 – MAI 2021

CELLOU BINANI /

ÉCONOMIE

182 Exposition L’âge d’or des femmes arabes 187 Panafricanisme Ces pionnières que l’Histoire a oubliées 190 Photographie Autoportraits en lionnes noires

193

GRAND FORMAT 193 Guinée Alpha, acte III

DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE 160 Les recettes d’Henri-Claude Oyima pour donner un second souffle à BGFI

JEUNE AFRIQUE & VOUS 256 Le tour de la question 257 Ce jour-là… 258 Post-Scriptum

58

PHOTO COUVERTURES : ÉDITION CAMEROUN : VICTOR ZEBAZE ; ÉDITION INTERNATIONALE & AFRIQUE DE L’OUEST : JERRY LAMPEN/REUTERS ; ÉDITION MAGHREB & MOYEN-ORIENT : RAFAEL RICOY/JA ; ÉDITION RD CONGO, CONGO, BELGIQUE : CAROLINE THIRION/JA

Fondateur : Béchir Ben Yahmed, le 17 octobre 1960 à Tunis bby@jeuneafrique.com Édité par Jeune Afrique Media Group Siège social : 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris Tél. : +33 (0)1 44 30 19 60 Fax : +33 (0)1 45 20 09 69 Courriel : redaction@jeuneafrique.com Directeur général : Amir Ben Yahmed Vice-présidents : Danielle Ben Yahmed, François Soudan Directeur de la publication : Marwane Ben Yahmed mby@jeuneafrique.com Directeur de la rédaction : François Soudan f.soudan@jeuneafrique.com La rédaction et l’équipe de Jeune Afrique sont à retrouver sur www.jeuneafrique.com/qui-sommes-nous/ Diffusion et abonnements Ventes : +33 (0)1 44 30 18 23 Abonnements : Service abonnements Jeune Afrique, 56, rue du Rocher 75008 Paris Tél. : +33 (0)1 44 70 14 74 Courriel : abonnement-ja@jeuneafrique.com Communication et publicité DIFCOM (Agence internationale pour la diffusion de la communication) S.A. au capital de 1,3 million d’euros Régie publicitaire centrale de Jeune Afrique Media Group 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris Tél. : +33 (0)1 44 30 19 60 Fax : +33 (0)1 45 20 08 23 +33 (0)1 44 30 19 86 Courriel : regie@jeuneafrique.com

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JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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PREMIER PLAN

Le jour où…

C PAU POUR N-MAR JA JEA

… j’ai décidé de quitter l’Institut Pasteur Lbachir BenMohamed L’immunologiste d’origine marocaine, qui travaille sur un vaccin universel contre le coronavirus, revient sur sa période parisienne, lorsqu’il était jeune diplômé. Et explique les raisons de son départ pour la Californie.

J

’ai quitté Paris et l’Institut Pasteur en 1997, après y avoir soutenu mon doctorat – qui portait sur un vaccin contre la malaria. Direction la Californie pour effectuer un post-doc [un contrat après l’obtention du doctorat] en immunologie. Je n’ai pas pris la décision sur un coup de tête, mais de façon mûrement réfléchie. Tout au long de ma dernière année de thèse, je n’ai cessé d’envoyer des candidatures à des universités américaines pour obtenir ce post-doc. Chaque semaine, j’écrivais au minimum cinq lettres tant mon désir de partir était grand. À Paris, je me sentais à l’étroit, bridé dans mes ambitions. Pourtant, quand je suis entré en 1992 à l’Institut Pasteur, où j’étais à ce moment-là le seul Marocain, j’étais très heureux. C’était comme être admis à Harvard : pour un jeune biologiste ou un immunologiste, le nom de Pasteur fait rêver. C’est le gage d’une formation ­d’excellence, reconnue dans le monde entier.

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JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

Sauf que je ne m’y sentais pas à ma place. Durant les années de recherches que j’y ai passées, je travaillais deux fois plus que mes camarades français pour essayer de gagner cette place, ne plus être l’Arabe « invisible », démontrer à mes collègues ma légitimité, et leur faire reconnaître mes compétences.

Pas de culture du risque

En plus de cet environnement, pétri d’a priori et de rejet vis-à-vis des Arabes – je suis d’ailleurs amazigh ! – et des Maghrébins, ce qui n’est pas spécifique au monde de la recherche mais à la société française, j’étais à ce moment-là confronté à une problématique matérielle : je n’avais pas de bourse de thèse. Donc, pour vivre, payer mon loyer, j’effectuais toutes sortes de petits boulots. Je me souviens encore d’un jour où un collègue m’avait interpellé au laboratoire car j’avais les cheveux pleins de peinture : j’arrivais directement d’une mission chez une personne âgée que j’aidais à faire des travaux… C’était des conditions de vie et d’étude assez difficiles.

Tous les week-ends, j’étais au labo, seul la plupart du temps avec mon sandwich, pour faire mes expériences.

Mais le point positif, c’est que cela m’a poussé à me surpasser et à aller vers l’excellence. Tous les week-ends, j’étais au labo, seul la plupart du temps, avec mon sandwich, pour faire mes expériences. Mais malgré tous ces efforts et la formation de qualité dont je bénéficiais, je voyais bien que l’environnement en France était peu favorable au développement d’un travail de recherche véritablement innovante. Ici, à la différence des pôles de recherche que l’on trouve en Amérique du Nord, il n’y a pas ou peu de culture du risque chez les bailleurs de fonds. Or, sans prise de risque, il ne peut y avoir ni découvertes ni grandes avancées scientifiques. Par ailleurs, le volet administratif est parfois très pesant. J’ai pu en faire le constat personnellement, aussi bien dans le cadre des démarches pour obtenir un titre de séjour qu’en matière de procédures de financement de projets de recherche. C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé de quitter Pasteur et la France pour pouvoir travailler dans un cadre plus attrayant, plus flexible, plus ouvert à la diversité et à l’audace, où l’on se fie plutôt aux compétences, où on les valorise, plutôt qu’à l’origine sociale ou ethnique, et dans lequel je pouvais réaliser mes rêves et donner corps à mes ambitions. Propos recueillis par Fadwa Islah


CÔTE D’IVOIRE 2021 • 2025 © BRUNO LEVY / JA

Réussir ensemble « Nous avons, avec le gouvernement, donné le meilleur de nous-mêmes pour consolider la paix et la stabilité dans notre pays, pour relancer notre économie et renforcer le leadership de la Côte d’Ivoire, dans la sousrégion et dans le monde. Nous avons travaillé à améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Nous avons travaillé sans relâche pour chaque Ivoirienne et chaque Ivoirien, pour la Côte d’Ivoire, notre beau pays... Maintenant, nous allons passer à une autre étape. Notre programme pour la période 2021-2025 va accélérer la transformation économique et sociale de la Côte d’Ivoire, avec une participation plus importante de toutes les forces vives de la nation pour une croissance encore plus inclusive vers une Côte d’Ivoire plus solidaire. »

Alassane Ouattara – Président de la République de Côte d’Ivoire

UNION – DISCIPLINE – TRAVAIL « L’émergence est un pari sur l’avenir. L’avenir se planifie, et l’émergence se construit dans la paix, la sérénité, le dialogue et la cohésion sociale. »

COMMUNIQUÉ


© JACQUES TORREGANO / JA

L

a Côte d’Ivoire aujourd’hui, ce sont plus de 26 millions d’habitants et un produit national brut (PNB) de près de 45 milliards de dollars. C’est aussi la première puissance économique de la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Le pays se trouve au cœur des stratégies de défense et de sécurité régionale. Sa stabilité et sa vision d’une Afrique moderne sont essentielles à la sous-région.

Dix ans de croissance ininterrompue, une économie diversifiée, des ressources agricoles et énergétiques en quantité, un cadre macroéconomique sain, une dette sous contrôle, un réseau relationnel international sont le fruit d’un long travail d’élaboration et de préparation, le fruit d’un travail collectif d’une équipe soudée autour du président Alassane Ouattara.

Préserver et poursuivre Malgré les deuils tragiques qui ont cruellement touché le pays en le privant à l’aube de 2021 de deux de ses fils qui depuis des années, œuvraient auprès du président Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire poursuit son chemin et maintient le cap vers l’émergence. C’est pour répondre à ces multiples défis dans des circonstances exceptionnelles, pour que la Côte d’Ivoire reste forte et rassemblée, avec un leadership expérimenté que le président Alassane Ouattara a repris la barre. Le 25 novembre 2020, le pays bouclait un emprunt eurobond de 1 milliard d’euros avec COMMUNIQUÉ

un taux d’intérêt de 5 %. Le 12 février 2021, la Côte d’Ivoire confirmait une autre levée de fonds d’un montant de 850 millions d’euros au taux de 4,7 %. Signaux forts témoignant de la confiance accordée au pays et au président Alassane Ouattara et à son équipe. Patrick Achi, confirmé dans la fonction de Premier ministre, fut, avec Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko, l’un des architectes du programme économique préparé pour 2020-2025. À ses côtés, de nombreux quadras et quinquas, élevés dans la pépinière du RDR/RHDP, assurent la relève. Abdourahmane Cissé, 31 ans, nommé ministre Secrétaire général de la Présidence, en est un symbole.

La reconstruction 2011-2020 fut une décennie d’incroyable évolution pour la Côte d’Ivoire. L’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara a mis en route un programme soutenu de réformes. Et, après vingt ans de stagnation, de divisions et de violence, la Côte d’Ivoire est redevenue le pays phare de la région. L’autorité de l’État a été rétablie. Il assume ses fonctions essentielles que sont l’éducation, l’accès aux soins, à l’électricité, au logement pour tous. Les institutions ont été restaurées, renforcées. Elles sont le rempart en cas de crise et assurent la continuité de l’État. C’est à l’État de se mettre au service de la nation, de se préoccuper des infrastructures indispensables et du bien-être des citoyens.Il doit aussi pouvoir consolider l’unité nationale, lutter contre le tribalisme, renforcer les valeurs de paix, de justice et la démocratie. Le renouveau de la diplomatie de la Côte d’Ivoire fut consacré par son élection à l’un des sièges des membres non permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, après un quart de siècle d’absence au sein de cette institution.


Le président Alassane Ouattara avec la chancelière allemande,Angela Merkel…

… le président de la République française, Emmanuel Macron…

Tous ces changements furent le fruit du travail collectif d’une équipe motivée et solidaire. Aujourd’hui, elle est prête pour une nouvelle phase de l’émergence. L’objectif pour le président Alassane Ouattara est de maintenir un cycle long de croissance, pour une meilleure répartition des richesses et une Côte d’Ivoire rassemblée.

2021• 2025

Une Côte d’Ivoire moderne et solidaire C’est un nouveau challenge que la Côte d’Ivoire se doit de maintenir par un taux élevé de croissance tout au long des prochaines années. Une condition essentielle pour augmenter la richesse nationale, absorber la poussée démographique, garantir des emplois et obtenir des résultats tangibles en matière de développement humain. Le programme pour la période 2021-2025 doit accélérer la transformation économique et sociale. Il repose sur cinq piliers :

> PREMIER PILIER : la paix, la sécurité et la cohésion sociale, préalable indispensable pour que les Ivoiriens puissent planifier leur avenir, se projeter et investir sereinement. > DEUXIÈME PILIER: la création d’emplois. L’État doit jouer son rôle de chef d’orchestre pour organiser la transformation structurelle de l’économie par l’industrialisation et agencer en conséquence les secteurs économiques et motiver le secteur privé national.

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Réussir ensemble

… Sa Majesté Mohammed VI, roi du Maroc…

… et le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping.

> TROISIÈME PILIER : la création d’un cadre de vie agréable et d’un environnement d’investissement attractif dans chacune de nos régions. • Poursuivre les efforts de gestion durable des déchets solides et liquides et dangereux pour un environnement sain. • Améliorer l’organisation de la collecte et du transport des déchets. • Accélérer la création de logements sociaux en zones urbaine et rurale. Ce qui suppose pour le développement de l’habitat, la mise en place d’un programme de sécurisation de réserve foncière et de viabilisation. • Et pour un cadre agréable, s’initier peu à peu à la protection de son environnement.

> QUATRIÈME PILIER: le développement d’une administration plus performante et plus engagée, au service du secteur privé, des régions et des citoyens. C’est l’émergence d’une véritable méritocratie au sein de l’administration publique. Il faut renforcer la décentralisation dans les régions en s’assurant de la viabilité des collectivités territoriales et de la mise en place d’une charte du développement. > CINQUIÈME PILIER : c’est l’homme L’Ivoirien nouveau est au cœur de la Côte d’Ivoire solidaire. Chaque Ivoirien, chaque Ivoirienne, quelles que soient ses origines et ses conditions sociales, doit devenir un acteur du développement, et contribuer par son travail à la création de richesse et au développement. Il doit être imprégné des valeurs nationales, et ses compétences doivent être valorisées. L’homme est la finalité mais aussi le moyen pour atteindre ces ambitions.


© NABIL ZORKOT / ED. DU JAGUAR

Réussir ensemble

Développement durable, une priorité C’est un chantier important, qui doit se faire dans le cadre d’un développement durable. Maintenir une croissance élevée suppose la gestion du capital naturel. La Côte d’Ivoire doit faire face aux défis engendrés par les changements climatiques et les exigences de la transition énergétique. Les menaces sont réelles: inondations, dérèglement de la pluviométrie, affaiblissement du littoral, hausse des températures. Cela pourrait remettre en question la production agricole et menacer des villes comme Abidjan ou Grand-Bassam. La déforestation rapide est un problème, car les forêts tropicales jouent un rôle crucial dans la lutte contre le changement climatique local et dans la régulation de la température des pluies. La priorité nationale est de retrouver

un taux de couverture forestière de 20 % en 2045, soit près de 3 millions d’hectares de forêts. Le plan d’action est chiffré à près de 700 milliards de F CFA, soit plus de 2 milliards d’euros dans la prochaine décennie.

Un label « Made in Côte d’Ivoire »

Mise en place d’une politique volontariste pour la fabrication locale de produits industriels ou semi-industriels. Dans les projets, figure la création d’usines d’assemblage, d’équipements de transport, de matériel électronique et médical ; figure aussi le développement d’une industrie automobile avec des usines de montage. La transformation des produits nationaux donnera lieu au label « Made in Côte d’Ivoire ». De belles capacités d’investissement, de production, de commercialisation et de création d’emplois !

2010

2020

Population en millions

21,9

26

Croissance démographique

2,6 %

2,4 %

Taux de pauvreté

51 %

37,2 %

Taux de mortalité infantile

95,1

65,7

89,30 %

103,03 %

— 4 % (2011)

8%

Utilisateurs d’internet

2,7 %

46,8 %

PIB en milliards de F CFA

12 324

34 447

Taux de scolarisation en primaire Taux de croissance

COMMUNIQUÉ

DIFCOM / DF - PHOTOS © PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE SAUF MENTION.

LA CÔTE D’IVOIRE EN CHIFFRES


PREMIER PLAN

L’actu vue par...

Rama Yade « Joe Biden est entouré d’Africains ! » Mort de George Floyd, réunions non mixtes… Entretien avec la nouvelle directrice Afrique de l’Atlantic Council.

Comprenez-vous que certains veuillent organiser des réunions non mixtes sur ces sujets ? Je comprends le confort de la communauté. Être entre soi, ne plus être une minorité pour une fois, ne pas prendre le risque de subir le regard d’autrui, qui est parfois raciste, cela fait un bien fou ! Pour autant, je ne veux pas m’enfermer dans une case. Il faut encourager la découverte de l’autre. Et plutôt que de vilipender ceux qui sont tentés par ces réunions non mixtes, essayons de comprendre et de mener une action efficace contre le racisme. Certains problèmes ne découlent-ils pas de la cancel culture, cette culture de la dénonciation très en vogue aux États-Unis ? La France n’a pas attendu l’Amérique pour avoir des problèmes avec

une partie de ses enfants. C’est l’affaiblissement de l’idéal républicain qui est à l’origine de cette décomposition. Mais ce n’est pas une fatalité. Souvenez-vous de l’époque où l’écrivain James Baldwin et d’autres Africains-Américains venaient se réfugier à Paris pour fuir les discriminations dans leur pays ! Que pensez-vous de la manière dont le président Macron envisage la relation Afrique-France ? On verra bien. Certes, toute l’Afrique n’est pas sortie du « pré carré », mais il y a un mouvement de fond qui entraîne le continent vers son singulier destin d’autonomie. Il sort des marges où certains ont voulu le confiner pour regagner sa place, au centre. Dans vingt ans, un Terrien sur quatre sera africain. L’Afrique, c’est la Chine de demain. Et quid de la politique africaine des États-Unis ? Il y a un changement de ton très appréciable, comme dans le message que Joe Biden a adressé aux chefs d’État de l’UA. Et je suis frappée par le nombre d’Africains dans son cabinet : pas seulement des Africains-Américains, comme Linda Thomas-Greenfield [ambassadrice à l’ONU] ou Lloyd Austin [secrétaire à la Défense]. Je parle de ces fils et filles de Nigérians qui ont été nommés, comme Wally Adeyemo, au Trésor. Biden avait même un programme à destination des Africains d’Amérique. Cette Amérique-là est incroyable ! Propos recueillis par Clarisse Juompan-Yakam

COADIC GUIREC/BESTIMAGE

Y aura-t-il un avant- et un aprèsGeorge Floyd ? Cette affaire a fait la une de tous les médias. La NAACP [Association nationale pour la promotion des gens de couleur] et le Black Caucus se sont mobilisés. À Washington, les maisons arborent des affiches « Black Lives Matter ». La mort de George Floyd a touché le nerf de l’identité américaine. Plus rien ne sera comme avant. En France, en revanche, on croit encore à cette fiction d’une société color-blind, alors que les discriminations au logement et à l’emploi sont nombreuses et que peu de choses ont changé depuis que j’ai démarré en politique, il y a quatorze ans.

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PREMIER PLAN

L’œil de Glez

Migrants De Charybde en Scylla

A

lors que le coronavirus continue d’inquiéter, faut-il se rêver Africain de cette France aux soins intensifs débordés ou de cette Afrique aux contaminations sporadiques ? Le 16 avril, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) indiquait qu’en France la mortalité des personnes nées au Maghreb avait crû de 21 % en 2020 et celle des individus nés ailleurs en Afrique de 36 %, tandis que les décès toutes origines confondues avaient, eux, augmenté de 9 %. La mortalité des patients étrangers originaires d’Europe, d’Amérique ou d’Océanie a enregistré, elle, une croissance « proche de celle observée pour les personnes nées en France ». Si cette étude « photographique » n’a pas vocation à expliquer ces différences, les acteurs de la société

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civile y lisent une confirmation de ce qu’ils dénoncent depuis des mois : les migrants originaires du Sud sont souvent victimes d’une précarité qui surexpose au virus. Dès la mi-2020, Médecins sans frontières indiquait que le taux de positivité au Covid-19 atteignait, en Île-de-France, 50 % dans les centres d’hébergement et 89 % dans les foyers de travailleurs migrants – lieux « essentiellement peuplés » par des Africains.

Chacun sa stratégie

La valse des pourcentages est-elle de nature à décourager les candidats à l’émigration ? Si les médias occidentaux sont devenus « corona-obsessionnels », la Méditerranée engloutit toujours ceux qui fuient bien d’autres fléaux qu’une pandémie parfois niée sur le continent. Quant à la perspective du miracle vaccinal occidental,

elle pourrait inquiéter, cette fois, les résidents d’une Afrique victime des disparités Nord-Sud. En attendant une justice mondiale en la matière, et l’efficacité des politiques transnationales d’approvisionnement, chaque pays se fixe sa propre stratégie. L’Égypte et le Nigeria ambitionnent de trouver leur propre immunité contre le virus. Certains entendent produire localement des vaccins sous brevets étrangers – chinois ou américains. D’autres négocient des approvisionnements auprès des fabricants, des dons auprès des partenaires ou des assouplissements de l’accès aux brevets. Le Groupe de travail pour l’acquisition de vaccins en Afrique (Avatt) de l’Union africaine semble patiner ? Eh bien, « quand la barbe de ton voisin brûle, arrose d’eau la tienne ».


COMMUNIQUÉ

Entretien avec Mareme Mbaye Ndiaye, directeur général de Société Générale Cameroun, et Cyrille Belamy, CEO de Advans Cameroun

« NOUS AVONS UN OBJECTIF COMMUN : FAVORISER L’INCLUSION DES POPULATIONS ÉLOIGNÉES DE LA BANCARISATION » directeur général de Société Générale Cameroun

CYRILLE BELAMY CEO de Advans Cameroun

Pouvez-vous vous présenter ? Mareme Mbaye Ndiaye. Société Générale a une présence solide et historique en Afrique avec 17 filiales de banque universelle, et Société Générale Cameroun en est une parfaite illustration. Participant au développement du pays depuis près de 60 ans, avec aujourd’hui 38 agences et 658 collaborateurs au service de 235 000 clients dont 5 500 entreprises, Société Générale Cameroun est la 1ere banque du pays par les crédits. Elle vient d’ailleurs d’être élue cette année encore « Best Bank in Cameroon » par Global Finance. La Banque offre des services bancaires aux clients particuliers, aux moyennes et grandes entreprises locales, ainsi que des produits adaptés aux institutions et aux associations. Cyrille Belamy. Advans Cameroun a été la première implantation du groupe Advans International sur le continent africain. Le groupe est désormais présent dans 9 pays, 6 africains, dont le Cameroun, et a vocation à favoriser le développement économique et social à travers l’inclusion financière et l’autonomisation des personnes et des entreprises. Dans un contexte très concurrentiel, Advans Cameroun est aujourd’hui le leader de la microfinance dans le pays et propose une large gamme de services adaptés aux besoins des agriculteurs, commerçants, artisans et entrepreneurs ainsi qu’à leurs familles. Nous couvrons l’ensemble du territoire national grâce à un réseau de 12 agences et avons actuellement plus de 80 000 clients.

Pourquoi un banquier s’intéresse-t-il à la microfinance ? M. M. N. : L’Afrique demeure un continent très peu bancarisé. Au Cameroun, par exemple, le taux de bancarisation est inférieur à 20 %. Nous participons au développement des institutions de microfinance afin de contribuer, par leur intermédiaire, à l’inclusion financière de la population locale qui n’a pas ou a peu accès aux services d’une banque. Société Générale a ainsi décidé dès 2005 de travailler en partenariat avec ces institutions, face à l’ampleur des besoins et à l’émergence de nouveaux acteurs de la microfinance. Cette intervention se traduit par l’octroi de lignes de crédit en monnaie locale et des prises de participation au capital. C’est dans cet esprit que Société Générale Cameroun a choisi d’accompagner Advans Cameroun dès sa création en 2006, que ce soit en capital ou en financement. L’engagement de Société Générale en faveur de l’inclusion financière est ancien et a récemment été réaffirmé dans le plan stratégique du Groupe. Il constitue un des axes majeurs de l’initiative « Grow with Africa » et s’incarne bien sûr également avec d’autres institutions de microfinance ici et dans d’autres pays africains. En quoi l’appui de Société Générale Cameroun a-t-il été un atout pour vous ?

C. B. : Société Générale Cameroun nous a accompagné tout au long de notre

développement en nous apportant un soutien financier permanent en tant qu’actionnaire fondateur et source de financement. Ainsi, par exemple, en décembre 2020, Société Générale Cameroun a contribué au renforcement des fonds propres d’Advans Cameroun et détient 11 % du capital de notre institution. Cet appui sur la durée a permis de faire évoluer notre business model de façon sécurisée. Nous avons pu élargir la gamme de nos services et proposer à nos clients des solutions innovantes (crédits d’investissement, gestion de trésorerie, placements, assurances, etc.) en utilisant notamment les outils digitaux. Nous sommes désormais en mesure de proposer à nos clients un accompagnement sur mesure, pour soutenir la croissance des entreprises qui nous font confiance. Est-ce également le point de vue du banquier ? M. M. N. : Ce partenariat a permis de créer des synergies et de tester des solutions innovantes. Ainsi, nous avons lancé l’un des premiers services de monnaie électronique du Cameroun grâce, entre autres, à notre collaboration. En définitive, ce partenariat a permis à la fois d’élargir notre clientèle et de lui proposer de nouveaux services. Il s’inscrit parfaitement dans notre stratégie de banque universelle au service du développement durable du Cameroun. •

En savoir plus sur l’initiative Grow with Africa sur www.societegenerale.africa

JAMG - PHOTOS : DR

MAREME MBAYE NDIAYE


PREMIER PLAN

Le dessous des cartes

Golfe de aux Guinée : les pirates se professionnalisent Gare Golfe de Guinéepirates ! : les pirates se professionnalisent Golfe de Guinée : les pirates professionnalisent Un modese opératoire sophistiqué Golfe de Guinée : les pirates professionnalisent Un mode opératoire sophistiqué en se 2020 dans le golfe de Guinée

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Duis autem vel eum vulputate velit esse seule année 2020, 130 molestie marins ont et accumsan et iusto odio feugiat nulla facilisis at vero eros iriure dolor in hendrerit in consequat, vel illum eu ainsi été enlevés dans ledolore golfe de dignissim quiet blandit praesent et accumsan iustomolestie odio vulputate velit esse feugiat nulla facilisis at vero eros Guinée – un chiffre record ! luptatum zzril delenit augue dignissim qui blandit praesent consequat, vel et accumsan etillum iusto dolore odio eu duis te feugait nulla luptatum zzril delenit augue Lesdolore pirates ont en outre su faire feugiat nulla facilisis at vero eros dignissim qui blandit praesent facilisi. duis dolore teetfeugait nulla et accumsan iusto odio évoluer leur modus operandi luptatum zzril delenit augue Lorem dolor sitpraesent amet, facilisi.ipsum dignissim blandit pour forces navales duis échapper dolorequi te aux feugait nulla cons ectetuer adipiscing elit, sed Lorem ipsum dolor sit amet, luptatum zzril delenit augue nationales facilisi. qui patrouillent le diam nonummy nibh nulla euismod cons ectetuer adipiscing elit, sed duis dolore te feugait long du ipsum littoral.dolor Les assauts sont Lorem sit amet, tincidunt ut laoreet dolore diam nonummy nibh euismod facilisi. cons menés ectetuer donc deadipiscing plus envolutpat. pluselit, sed magna aliquam erat tincidunt ut laoreet dolore Lorem ipsum dolor sit amet, Ut diam nonummy nibh euismod fréquemment en haute mer, loinUt wisi enim ad minim magna aliquam erat veniam, volutpat. cons ectetuer adipiscing elit, sed tincidunt ut laoreet dolore des denibh la région du quis nostrud tation wisimangroves enim ad exerci minim veniam, diam nonummy euismod magna aliquam erat volutpat. Ut delta Niger, dont les gangs sont ullamcorper suscipit lobortis quis du nostrud exerci tation tincidunt ut laoreet dolore wisi enim ad minim veniam, originaires. Et les pirates sont bien nisl ut aliquip ex ea commodo ullamcorper suscipit lobortis magna aliquam erattation volutpat. Ut quis nostrud exerci consequat. nisl enim ut aliquip ex ea commodo renseignés : ilsminim sont capables de wisi ad veniam, ullamcorper suscipit lobortis Lorem ipsum dolor sit amet, consequat. quis nostrud exerci tation savoir quels sont les équipages nisl ut aliquip ex ea commodo consectetuer adipiscing elit, sed Lorem contre ipsumsuscipit dolor sit amet, ullamcorper lobortis assurés le risque enlèveconsequat. diam nonummy nibh euismod consectetuer adipiscing elit, nisl ut aliquip ex ea commodo ment – en échange desquels ils sed Lorem ipsum dolor sit amet, tincidunt ut laoreet dolore diam nonummy nibh euismod consequat. sont ainsi susceptibles d’obtenir consectetuer adipiscing elit, sed magna aliquam eratsit volutpat. tincidunt ut laoreet dolore Lorem ipsum dolor amet, Ut diam nonummy nibh euismod une rançon. wisi enim ad minim magna aliquam erat veniam, volutpat. Ut consectetuer adipiscing elit, sed tincidunt ut laoreet dolore quis tation wisi nostrud enim ad exerci minim veniam, diam nonummy nibh euismod magna aliquam erat volutpat. Ut De plus en plus violents ullamcorper suscipit lobortis quis nostrud exerci tation tincidunt laoreet dolore wisiassauts enim ut ad minim veniam, Les sont également plus Ut nisl ut aliquip ex ea commodo ullamcorper suscipit lobortis magna aliquam erat volutpat. quis nostrud exerci tation sophistiqués etminim violents. En consequat. Duis velatteste eum nisl enim ut aliquip exautem ea commodo wisi ad veniam, ullamcorper suscipit lobortis iriure dolor inexerci hendrerit in eum consequat. Duis autem vel l’offensive lancée le 23 janvier quis nostrud tation nisl ut aliquip ex ea commodo vulputate velit esse molestie iriure dolor in in ullamcorper suscipit lobortis dernier contre lehendrerit porte-conteneurs consequat. Duis autem vel eum consequat, velex illum dolore eu vulputate velit esse molestie nisl ut aliquip ea commodo Mozart, qui naviguait à 360 km iriure dolor in hendrerit in des feugiat nulla facilisis at vero eros consequat, vel illum dolore eu consequat. Duis autem vel eum côtes. Aprèsvelit six heures d’efforts, vulputate esse molestie et accumsan et iusto odio feugiat nulla facilisis at vero eros iriure dolor in hendrerit in et grâce aux outils trouvés à bord, consequat, vel illum dolore eu dignissim quiet blandit praesent et accumsan iustomolestie odio vulputate velit esse feugiat nulla at àvero eros les pirates sontfacilisis parvenus forcer luptatum delenit augue dignissimzzril qui blandit praesent consequat, vel illum dolore et« citadelle », accumsan et iusto odio eu la le local sécurisé duis dolore te feugait nulla luptatum zzril delenitat augue feugiat nulla vero eros dignissim quifacilisis blanditturc praesent dans lequel s’était facilisi. duis dolorel’équipage teetfeugait nulla et accumsan iusto odio luptatum delenit augue réfugié. Unzzril ingénieur azéri a été Lorem dolor sit amet, facilisi.ipsum dignissim qui blandit praesent duis dolore te feugait nulla abattu durant quinze cons ectetuer adipiscing elit, sed Lorem ipsuml’attaque. dolor sitLes amet, luptatum facilisi. zzril delenit augue diam nonummy nibh euismod consdolore ectetuer adipiscing elit,un sed marins enlevés ont été libérés duis te feugait nulla Lorem ipsum dolor sit amet, tincidunt ut laoreet dolore diamplus nonummy nibh euismod facilisi. mois tard, à l’issue de négocons ectetuer adipiscing elit, sed magna aliquam eratsit volutpat. tincidunt ut les laoreet dolore Lorem ipsum dolor amet, ciations dont contours sont Ut diam nonummy nibh euismod wisi enim ad minim magna aliquam erat veniam, volutpat. Ut cons ectetuer adipiscing elit, sed restés flous. tincidunt ut laoreet dolore quis nostrud exerci tation wisi enim ad minim veniam, diam nonummy nibh euismod Au Nigeria, uneerat loi avolutpat. été adoptée magna aliquam Ut quis nostrud exerci dolore tation tincidunt ut laoreet wisi enim adlutter minim veniam, en 2019 pour contre la magna aliquam erattation volutpat. Ut quis nostrud piraterie, maisexerci aucune poursuite wisi enim ad minim veniam, n’a pour l’instant été engagée. quis nostrud exerci tation Marie Toulemonde

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JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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Des assauts de plus en plus éloignés des côtes TOGO

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NIGERIA

Accra Delta du Niger

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GUINÉE ÉQUAT.

Distance des côtes

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23 janv. 2021 360 km Porte-conteneurs

São Tomé-et-Príncipe

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Libreville

GABON

Port-Gentil

115 km

2020

278 km

Rançon moyenne Par otage

40 000 $

Presque exclusivement nigérians Quand attaquent-ils ? D’octobre à mars, quand la météo et la mer sont le plus favorables

Selon les experts en sécurité maritime, 10 à 15 gangs opèrent depuis le delta du Niger * Du 1er janvier au 23 avril 2021. Sources : International Maritime Bureau, Bimco, Dryad Global, Cemalaws Africa. JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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STEG INTERNATIONAL SERVICES, un des fleurons des entreprises tunisiennes depuis 15 ans La STEG International Services (STEG-IS) a construit en quinze ans une assise solide qui lui permet de rayonner en Afrique. Son directeur général, Jamil Korked revient sur un développement pérenne qui a su valoriser les acquis de l’expérience et du savoir-faire de la société mère, la Société Tunisienne d’Electricité et de Gaz (Steg). La STEG-IS s’est imposée au niveau de ses prestations ; comment évolue-elle dans un environnement concurrentiel ? La création de la STEG International a été initiée en 2006 par la grande compagnie publique la STEG avec la participation, la contribution du secteur privé dont des firmes, des institutions financières ainsi que des petits porteurs. Finalement la STEG International est une alliance du publicetduprivéquimisesurlessoixanteansdecompétencesetdesavoir faire de la STEG en matière de production, transport, distribution d’électricité et planification de projets. Leader dans la région et en Afrique, ce statut mixte, lui permet d’être plus réactive, efficace et performante. Autant d’éléments qui contribuent avec l’expertise de son personnel et sa maîtrise des coûts à rendre la STEG-IS tout à fait concurrentielle.

Ce partenariat public-privé, développé avant l’heure, est un point fort Il est effectivement un atout supplémentaire pour consolider notre position sur notre territoire d’activité : l’Afrique et plus particulièrement les pays subsahariens. Dans cette zone, la concurrence avec les entreprises chinoises, indiennes, arabes, égyptiennes et turques, qui sont en train de prendre leur part de marché avec l’appui de leur gouvernement, est rude. Cependant notre développement en quinze ans est notable et confirme nos choix stratégiques mis en application depuis 2017 ; un nouveau plan de développement va relayer le déploiement de la STEG-IS. Initialement bureau d’études et de supervision de travaux, la STEG-IS réalise désormais tous types de travaux

Jamil Korked, directeur Général de la STEG-IS.

de distribution d’électricité, des grands projets de réhabilitation et d’expansion de réseaux d’électricité. En cinq ans, nous avons introduit l’activité réalisation de projets de transport d’électricité, lignes et postes à haute tension et tout ce qui relève de l’infrastructure de transport ainsi que la maintenance de centrales électriques notamment avec notre filiale en Arabie Saoudite. Nous avons aussi entamé un autre créneau la concession. La STEG- IS s’implante aussi sur le créneau de la concession comme au Sénégal où nous avons électrifié dix mille ménages dans la région et nous fournissons de l’électricité via une petite structure d’investissement et de vente d’électricité. Le prochain plan de développement accorde une large attention à la réalisation de projets et aux activités intégrées.


COMMUNIQUÉ

L’Afrique se prête-t-elle à ce genre de projet ? L’environnement et la topologie s’y prêtent car l’Afrique est un vaste continent où les territoires sont immenses avec un rural très dispersé. Une production électrique décentralisée, des mini-centrales et des réseaux indépendants sont une solution d’avenir pour le continent.

Quel a été l’impact de La crise du Covid ? Evidemmentl’activitéaétéralentieetagénérédeschargessupplémentaires en termes de coûts de transport et de confinement. Mais la mobilisation du personnel et le stock de matériel existant sur nos chantiers ont permis de poursuivre le travail sans encombres.

Comment la STEG-IS aborde-t-elle le continent africain ? Nous considérons que le rapport est gagnant-gagnant et que nous avons du savoir-faire et des expertises à mettre en commun et à partager. Nos relations ont abouti à un réel échange d’expériences, qui a conduit à un transfert de savoir-faire. Etre à l’écoute d’une culture, de coutumes et de manière de faire, est indispensable pour des partenariats harmonieux et connaître les marchés.

Quelles sont les objectifs de la Steg-IS ? Durant les dix dernières années nous avons électrifié plus de 250 000 ménages en Afrique, réalisé plus de 20 000 km de réseau et plus de 3000 postes de transformation tout en développant une maitrise du volet haute tension et des lignes de transport d’électricité. Ces performances et cette démarche nous ont conduits vers des investissements dans le créneau industriel et très prochainement dans la production d’électricité surtout à partir des énergies renouvelables.

La STEG- IS écrit une success story, qu’en retenez-vous ? La réussite est toujours relative et ne se fait pas sans travail et sans un certain état d’esprit. La majorité des cadres de la STEG-IS sont issus de la grande école publique qui fait prévaloir l’intérêt national. Avant de penser au volet commercial, nous véhiculons l’image de la Tunisie et portons haut notre drapeau. Notre réussite, notre exemplarité et notre crédibilité nous permet de préparer le chemin à d’autres entreprises comme la SONEDE International, l’ONAS International et dernièrement TUNISIE TELECOM International. Les bailleurs de fonds, dont la Banque Mondiale, considèrent qu’avec près de 100% d’électrification, la Tunisie a réalisé une prouesse que peu de pays ont accomplie. Cette expérience de la STEG permet à sa filiale, STEG-IS d’être sur la même trajectoire.

La tendance est mondiale d’autant que le renouvelable avec l’éolien et surtout le solaire sont bien maitrisés et sont devenus compétitifs. Ces énergies alternatives sont aujourd’hui une nécessité telle que les bailleurs de fonds encouragent et appuient les projets dans le renouvelable. La STEG-IS participe à certaines réalisations de ce type mais son objectif est d’investir dans le domaine de la production de l’électricité à partir des énergies renouvelables.

STEG International Services Siège : Résidence du Parc Les Jardins de Carthage - 2046 - Tunis - Tunisie E-mail : stegis@steg-is.com | Tél : (+216) 70 247 800 | Fax : (+216) 70 247 801

www.steg-is.com

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Qu’en est-il des énergies renouvelables ?


Le philosophe sénégalais, auteur du Fagot de ma mémoire.

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JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

EDOUARD CAUPEIL/PASCO

LA GRANDE INTERVIEW


Souleymane Bachir Diagne « Le monde postcolonial est le monde de la pluralité culturelle » Il est l’un des plus grands philosophes de notre temps. Que pense-t-il du mouvement décolonial, de la condition noire, de l’islam, de la crise liée au Covid-19 ? Comment voit-il l’avenir de l’Afrique et sa relation avec la France et le monde ? Entretien avec un optimiste lucide.

PROPOS RECUEILLIS PAR CLARISSE JUOMPAN-YAKAM

I

Il est considéré, aux États-Unis et en France, comme l’un des plus grands penseurs contemporains. Professeur de philosophie à l’université Columbia, spécialiste de l’islam des Lumières et de l’histoire des sciences, Souleymane Bachir Diagne publie Le Fagot de ma mémoire (éd. Philippe Rey), un livre personnel et subjectif, qui retrace son itinéraire intellectuel

et spirituel entre Dakar, Paris, Boston et Chicago. Spectateur attentif de son temps, il raconte des mondes où se reflète le moment du postcolonial (dont l’un des aspects est le mouvement de décolonisation de la philosophie par la prise en compte de son histoire islamique). Conseiller à l’éducation et à la culture du président sénégalais Abdou Diouf, Souleymane Bachir Diagne participe aujourd’hui au « Comité Mbembe », chargé par le président Macron de formuler des propositions en vue de refonder la relation entre l’Afrique et la France. Mais l’enfant des indépendances – il est né à Saint-Louis il y a soixante-cinq ans –, qui vit et habite différentes langues et cultures, exhorte aussi le continent à sortir de son face-à-face avec l’ancienne puissance coloniale pour s’inscrire dans la pluralité du monde.

Islamo-gauchisme, condition noire, montée des fondamentalismes en Afrique de l’Ouest, Covid-19… L’auteur de Bergson postcolonial (publié pour la première fois en anglais, en 2020) et de L’Encre des savants. Réflexions sur la philosophie en Afrique pose un regard lucide mais optimiste sur une humanité fragilisée dans son essence. Jeune Afrique : Vous dites avoir été éduqué dans l’idée d’un islam rationnel et soufi. Que recoupent ces notions ? Souleymane Bachir Diagne : Le soufisme est, au sein de l’islam, cette voie de l’éducation spirituelle qui implique un travail sur soi pour devenir pleinement l’humain accompli que l’on doit être. Il n’est donc pas autre chose que la religion elle-même, dans son aspect le plus intérieur. Il se traduit, en général, par des exercices JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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ENQUÊTE

Le grand barrage de la Renaissance, à Guba, dans le nord-ouest de l’Éthiopie, le 24 novembre 2017.

v

ÉGYPTE-ÉTHIOPIE

La guerre du Nil aura-t-elle lieu ? 38

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JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

GIOIA FORSTER/DPA/MAXPPP

Alors qu’Addis-Abeba annonce vouloir entamer la deuxième phase de remplissage de son barrage de la Renaissance, Le Caire, qui reçoit de plus en plus de soutiens, dont celui du Soudan, assure qu’il ne laissera personne le priver de ses ressources en eau. Dût-il employer la force.

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JOURNÉE DE LA FEMME GABONAISE

Pour protéger, mieux accompagner et mieux soutenir les droits de celles qui représentent la moitié de notre société, continuons de porter haut et fort l’égalité femmeshommes et faisons de notre pays, un modèle d’exemplarité sur le sujet.

Sylvia Bongo Ondimba Première Dame du Gabon

Le Gabon ne doit pas laisser la Covid-19 annuler des décennies de progrès pour les droits des femmes.

L

a crise sanitaire a touché et touche encore ce pan majeur de la vie des femmes qu’est leur place économique dans notre société. Alors même que les petits et grands préjugés restent nombreux tout au long de leur vie, la pandémie a multiplié les freins au quotidien contre leurs droits les plus essentiels, voire les plus évidents. En quelques mois, les conséquences directes et indirectes ont parfois anéanti

des années de mobilisation en faveur de la réduction des inégalités de genre. Dans la stupeur de la pandémie, la crainte et l’isolement ont pris le pas sur les droits, passés au second plan. Dans le même temps, les femmes, elles, se retrouvaient en première ligne : infirmières, soignantes, commerçantes, volontaires et bénévoles... Au front pour lutter contre la maladie, au front pour remplir les services essentiels, au front


COMMUNIQUÉ

En ce 17 avril 2021, journée de célébration de la femme gabonaise, nous avons souhaité accompagner ce questionnement collectif : comment réagir et comment s’investir dans la lutte pour l’égalité économique ? Comment renforcer les droits en soutenant un des fondamentaux les plus essentiels : l’émancipation économique ? Comment expliquer et faire comprendre à quel point la dynamique transformationnelle de notre pays ne pourra se faire si l’on ne

hommes et les femmes. Le McKinsey Global Institute estime ainsi qu’en cas d’égalité parfaite des hommes et des femmes face à l’emploi, le PIB mondial bondirait de 26 % d’ici 2025, soit 28 000 milliards de dollars supplémentaires injectés dans l’économie mondiale. Notre continent en particulier pourrait ajouter 316 milliards de dollars à son PIB, soit une augmentation de 10 % si chaque État parvenait à égaler les progrès réalisés par les meilleurs pays de la région. Pourtant, les femmes, sont encore victimes de multiples discriminations en matière d’accès au financement et à l’emploi, malgré de nombreux progrès, notamment législatifs, enregistrés dans notre pays. Face à ces défis, la Fondation Sylvia Bongo Ondimba a fait le choix aux

 Le Gabon aspire à devenir un modèle en matière d’égalité hommes/femmes à l’échelle mondiale. Tel est l’objectif visé par la « Taskforce Gabon Égalité » proné par la Première Dame.

reconnaît ni n’intègre le rôle primordial que les femmes jouent et ont à jouer dans la croissance économique du Gabon ? Les travaux d’études menés par plusieurs organisations internationales, notamment l’Organisation Internationale du Travail, la Banque Mondiale, ou encore l’OCDE, soulignent combien l’indépendance économique des femmes assure non seulement une croissance collective plus forte mais également une équitable répartition de ses fruits au niveau individuel. Par ailleurs, les chiffres nous rappellent régulièrement le formidable vivier de croissance qu’elles constituent et les multiples bénéfices attendus d’une réduction de l’écart d’activité entre les

premières heures de sa création d’une part de consacrer la place que les Gabonaises jouent au sein de nos familles et de nos communautés, d’autre part d’accompagner le rôle de premier plan qu’elles occupent au sein de nos sociétés. Nous agissons ainsi en appui des associations et des institutions engagées dans le renforcement de leurs droits. Droits économiques, notamment avec l’initiative de microcrédit Akassi pour accompagner les femmes dans la création d’activités génératrices de revenus. Droits civils, avec la reconnaissance de la Journée internationale des veuves. Droits à la santé, avec par exemple les programmes « Toutes les mamans comptent », « Femmes contre le Sida »,

ou encore « Agir contre le cancer », et par le soutien solidaire aux personnes vivant avec un handicap moteur ou auditif. En témoignent, enfin, plus récemment, le concours « Coup 2 Cœur » pour dénoncer les violences faites aux femmes, le lancement des Cafés de l’égalité pour échanger avec le grand public sur les questions du genre, et cette initiative qui nous tient particulièrement à cœur, la création du Prix Agathe Okumba d’Okwatsegue, dédié à primer les associations qui poursuivent le noble combat de cette pionnière de la défense des droits des femmes dans notre pays. Dans notre monde en perte de repères, les associations que nous avons découvertes à travers l’appel à candidatures émergent comme des sources intarissables d’espoir et de dynamisme et illustrent la vivacité de la société civile gabonaise et sa détermination à faire bouger les lignes. Cet espoir, c’est également le travail conduit aux côtés du gouvernement gabonais, avec la société civile gabonaise et les experts nationaux et internationaux dans ce domaine, pour encourager des dispositions légales et institutionnelles ambitieuses en faveur de l’égalité. Dans la continuité de la stratégie que nous avons portée en 2020, nous mesurons jour après jour les petites et grandes avancées que ce travail aura encouragées et révélées : projets de loi inédits portant réforme des code civil, code pénal mais également code du travail, qui consacrent des innovations fortes en faveur de la protection, de l’intégration et de l’émancipation des femmes. Le Gabon, historiquement engagé en faveur des droits de ses citoyennes, ne doit pas laisser la Covid-19 annuler des décennies de progrès pour les droits des femmes. Bien au contraire, la crise que nous traversons doit constituer pour nous le sursaut tant attendu pour renforcer la protection et le rôle de celles qui peuvent contribuer à réinventer nos vies et favoriser l’émergence d’un Gabon plus fort, plus solidaire, plus respectueux des droits individuels et collectifs.

Sylvia Bongo Ondimba Première Dame du Gabon

DIFCOM/DF - PHOTOS: © COMMUNICATION PRÉSIDENTIELLE.

aussi au sein des foyers pour assurer la continuité de l’éducation, l’attention et le soin aux aînés. Dans nos villes comme dans notre Gabon profond, les Gabonaises n’ont cessé de le démontrer : elles sont prêtes à apporter leur pleine contribution au développement de notre pays. Mais, pour quelles reconnaissances ? Pour quelles contreparties ?


Politique RD CONGO

JEAN-PIERRE

BEMBA

« Je n’ai aucune revanche à prendre sur Joseph Kabila » De retour dans la majorité, aux côtés de Félix Tshisekedi, après quinze années dans le costume d’opposant, l’ancien vice-président sort du silence. Interview exclusive.

PROPOS RECUEILLIS PAR ROMAIN GRAS

E

ntre les quatre murs de sa cellule du pénitencier de Scheveningen, à La Haye, Jean-Pierre Bemba a appris la patience. Rallié au président Tshisekedi à la fin de 2020, le patron du Mouvement de libération du Congo (MLC) savoure un discret retour au cœur du pouvoir. Qu’importe si son parti n’a obtenu que trois ministères dans le nouveau gouvernement. Lui qui n’avait plus appartenu à la majorité depuis la fin de son mandat de vice-président, en 2006, sait qu’il revient de loin. Quinze années se sont écoulées. « Une vie entière à son échelle », s’exclame un proche de Bemba. Arrêté en 2008, deux ans après sa candidature malheureuse à l’élection présidentielle de 2006, condamné par la Cour pénale internationale (CPI) à dix-huit ans de prison

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pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité puis acquitté à la surprise générale dix ans plus tard, le chef du MLC a tenté de prendre sa revanche lors de la dernière présidentielle. Empêché par la Cour constitutionnelle de se présenter à cause d’une condamnation pour subornation de témoin qui invalidait sa candidature, l’ancien chef de guerre était depuis l’un des quatre piliers de l’opposition réunis au sein de la coalition Lamuka. Aujourd’hui réinstallé dans la résidence kinoise de son père, grande bâtisse de l’avenue Pumbu bordée par un terrain de tennis sur lequel il travaille son coup droit plusieurs fois par semaine, Jean-Pierre Bemba tente de rattraper le temps perdu. Très discret lorsque Tshisekedi et Kabila se livraient un bras de fer au sommet de l’État, occupé à restructurer


Maghreb Étoiles sur la Toile Émirats arabes unis Kippas & Kieffiehs Secrets d’histoire Abdelkader en Syrie, l’émir de la paix

CAROLINE THIRION POUR JA

Côte d’Ivoire Un revenant nommé Gbagbo Tribune Du bon usage du boycott Cameroun Un Biya peut en cacher un autre Infographie Front Polisario, une « république » ensablée

Le 21 avril 2021, à Kinshasa.

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POLITIQUE

CÔTE D’IVOIRE

UN REVENANT NOMMÉ GBAGBO Acquitté par la CPI, l’ex-chef de l’État prépare son retour au pays, sous le regard vigilant du président Ouattara. Dans quel état d’esprit est-il, où logera-t-il et, surtout, quel rôle jouera-t-il ? BENJAMIN ROGER, AVEC VINCENT DUHEM, À ABIDJAN

JERRY LAMPEN/REUTERS

U

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n sourire discret perceptible sous le masque. Les pouces levés vers son avocate à l’énoncé du verdict. Quand le juge Chile Eboe-Osuji, le président de la cour d’appel de la Cour pénale internationale (CPI), prononce son acquittement définitif, le 31 mars, Laurent Gbagbo éprouve un immense soulagement. Il est enfin libre de se déplacer sans restriction, enfin libre de rentrer quand il le souhaite en Côte d’Ivoire.

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Près de dix ans après son arrestation, à Abidjan, quand les caméras l’avaient filmé assis sur son lit, en marcel et hagard, l’ex-­ président retrouve sa dignité. Le voilà, au terme d’un procès à rallonge, innocenté des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dont il était accusé. Huit années de détention à La Haye l’auront marqué dans sa chair. Il suffisait de le voir arriver, d’un pas lent, à la Cour, au bras de son épouse, Nady Bamba, pour


POLITIQUE

Laurent Gbagbo, à La Haye, le 6 février 2020.

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POLITIQUE

CAMEROUN

UN BIYA

PEUT EN CACHER UN AUTRE Franck, le fils de Paul, n’approuve pas, mais ne désavoue pas non plus, le « mouvement citoyen » qui promeut son image. En attendant de savoir s’il nourrit des ambitions présidentielles, le point sur ses atouts et sur ses handicaps. GEORGES DOUGUELI

«

F

ranck président ! » Le slogan fleure bon la présidentielle avant l’heure. L’impétrant a le visage souriant, et les affiches, sur fond bleu, ont des airs de photos officielles. Franck Emmanuel Olivier Biya, 49 ans, envisagerait-il de succéder à son père ? Les auteurs de cette surprenante campagne ne semblent pas en douter une seconde… Curieuse assurance que celle de ces promoteurs du Mouvement citoyen des franckistes pour la paix et l’unité du Cameroun, la nébuleuse qui a mis en branle cette communication pour le moins malhabile. Pourquoi maintenant ? La prochaine élection présidentielle aura lieu dans quatre ans, aucune vacance du pouvoir n’est en vue, et Paul Biya, 88 ans, ne manifeste aucune volonté de quitter le palais d’Etoudi. Les « franckistes », dont on se demande s’ils ont le soutien de celui dont ils se réclament, ne donnent aucune réponse.

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Contacté par Jeune Afrique, Franck Biya ne souhaite pas non plus s’exprimer. Ne jamais se justifier, s’expliquer, démentir : sans doute tient-il cette réserve de l’éducation parentale, Paul Biya ayant fait de la rareté de sa parole sa marque de fabrique, comme si cette absence calculée était à elle seule un gage d’autorité et de solennité. Prudent, Franck Biya s’est jusqu’à présent bien gardé de désavouer ces militants. Il a néanmoins laissé son entourage démentir toute ambition. « Il ne connaît pas ces gens, jure l’un de ses amis. Ils ont agi de leur propre initiative, il n’a rien à voir avec eux ! » Sauf que, une étincelle ayant mis le feu à la plaine, le seul fait d’évoquer le nom du fils aîné de Paul Biya a affolé la machine à fantasmes. D’autant qu’en Afrique centrale les successions familiales ne relèvent pas de la fiction. En RD Congo, Joseph Kabila avait succédé à son père, Laurent-Désiré. Au Gabon, Ali Bongo Ondimba a pris la suite d’Omar. Au Tchad,


VICTOR ZEBAZE

Franck Biya, lors d’un meeting du RDPC, à Douala, le 6 octobre 2011.


POLITIQUE

MAGHREB

Étoiles sur la Toile Toile Sur YouTube, Facebook et Instagram, leurs comptes ou leurs chaînes de télévision font un tabac. Le secret de leur réussite : liberté de ton, humour corrosif et révélations croustillantes. Qui sont ces stars 2.0 ? FRIDA DAHMANI, À TUNIS, NINA KOZLOWSKI, À CASABLANCA, ET NADIA HENNI-MOULAÏ

C

était presque une autre époque. Celle où l’attente du ftour – la rupture du jeûne pendant le mois de ramadan – s’accompagnait immanquablement d’un feuilleton égyptien, d’un vieux film, d’un documentaire historique ou animalier. Le tube cathodique régnait en maître dans les foyers maghrébins, et le choix alors limité des programmes contribuait à forger des références communes. Depuis, internet est passé par là, et avec lui le razde-marée des ordinateurs personnels, des tablettes et des smartphones. Si la télévision n’a pas disparu – elle s’est simplement aplatie –, le constat est évident : les plus jeunes ne la regardent que d’un œil distrait, lui préférant des univers plus proches de leurs inclinations et de leurs goûts, facilement accessibles sur la Toile. Jadis passage obligé pour quiconque souhaitait se faire entendre ou connaître, la télévision est ringardisée. Instagram, YouTube, Facebook et autres Twitter

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offrent à ceux qui croient en leur talent ou en leurs idées la possibilité d’influencer fortement l’opinion. La liberté de ton y est incomparablement plus grande que celle qui règne sur les chaînes de télévision nationales, souvent étroitement contrôlées par le pouvoir et qui peinent à renouveler leur offre. Même si elle continue de les crédibiliser, la « télé » ne « fait » plus les stars d’aujourd’hui et de demain. Lesquelles, loin d’attendre le blanc-seing des médias traditionnels, parviennent à rassembler des milliers de fidèles sur différentes plateformes, autour de thèmes variés, allant des scandales politico-­ économiques aux recettes de cuisine, de la condition féminine aux questions de société. En cette période de ramadan, leurs posts et leurs vidéos devraient encore gagner quelques millions de vues. Humour corrosif, révélations fracassantes, dénonciations sans compromis, théories délirantes : ces nouvelles stars du web font feu de tout bois. Souvent pour le meilleur, parfois pour le pire.


RAFAEL RICOY POUR JA

POLITIQUE


POLITIQUE

ÉMIRATS ARABES UNIS

KIPPAS KEFFIEHS Jusque-là très discrète, la communauté juive de cette pétromonarchie du Golfe sort de l’ombre, avec l’aval des autorités. Son rêve : promouvoir un modèle de coexistence avec les Arabes, au Moyen-Orient. Peut-elle y parvenir ? AMÉLIE MOUTON, À DUBAÏ

C

e 27 mars, dans un luxueux cinqétoiles de Dubaï, des enfants se pourchassent en riant, sur une moquette feutrée. Des adultes en tenue de soirée les regardent distraitement, alignés devant l’entrée d’une salle à la décoration rétro­ futuriste. La scène serait presque banale si l’on ne distinguait des kippas, quelques papillotes et des redingotes noires. Au V Hotel, c’est la nuit du Séder, qui ouvre Pessah, la Pâque juive. Une fête ritualisée, où l’on se remémore le récit fondateur : l’exode des Hébreux d’Égypte, sous la conduite de Moïse. Ce soir-là, pour la première fois, la petite commu­nau­té juive des Émirats arabes unis va pouvoir la célébrer publiquement. Tous, d’ailleurs, n’ont pas osé venir. « Certains préfèrent continuer à rester discrets », glisse Jean Candiotte, l’une des organisatrices. Longue chevelure brune et visage avenant, cette productrice américaine siège au Jewish Council of the Emirates (JCE), créé en 2018 pour représenter la communauté juive établie dans la pétromonarchie. Une communauté diverse, à l’image des quelque

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150 convives qui s’élancent vers les tables rondes sur le coup de 20 heures. Ils sont américains, sud-africains, britanniques, français ou russes, issus de milieux plutôt aisés et de toutes les franges du judaïsme. « Il y a des progressistes, des orthodoxes et des ul­tra­­ orthodoxes », précise Benjamin Taylor, un autre administrateur du JCE. Lui-même n’est pas très pratiquant. « Je suis intéressé par l’aspect communautaire. Pour moi, c’est comme une grande famille. » Ils seraient un bon millier à vivre dans ce pays de 10 millions d’habitants. Difficile de déterminer un chiffre précis, car une autre communauté s’est également formée autour des Habad, un mouvement juif messianique implanté dans le monde entier. Le rabbin Habad Lévi Duchman organise le même soir une autre fête de Séder dans une villa de Jumeirah – un quartier de Dubaï aux faux airs de Los Angeles – à laquelle participent, dit-il, 400 personnes. Il a créé sa propre organisation, le Jewish Community Center of UAE, au nom si semblable à celui choisi par l’autre communauté qu’une certaine confusion


POLITIQUE

OAP

Première rencontre interreligieuse organisée, le 30 mars, par les rabbins Sarna et Abadie, au V Hotel, à Dubaï.

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UN PAYS, SES DÉFIS

OBJECTIF MALI

H.DIAKITE/EPA/MAXPPP

De g. à dr., Assimi Goïta, vice-président, Bah N’Daw, président de la transition, et Malick Diaw, président du CNT, le 24 septembre 2020, à Bamako.

POLITIQUE

Ce qu’il faut attendre de la transition Révision constitutionnelle, élections transparentes, lutte contre la corruption… Il reste moins d’un an au discret président Bah N’Daw, à son vice-président, Assimi Goïta, et au chef du gouvernement, Moctar Ouane, pour mener à bien les nombreuses réformes dont le pays a besoin.

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AÏSSATOU DIALLO, ENVOYÉE SPÉCIALE

«

M

a plus grande satisfaction résidera dans la passation de témoin au futur président de la République, élu proprement et indiscutablement », insiste Bah N’Daw. Tonnerre d’applaudissements des invités, réunis au Centre international de conférence de Bamako, le 25 septembre 2020, pour son investiture en tant que président de la transition ainsi que celle de son vice-président, le colonel Assimi Goïta. Dans un discours d’une vingtaine de minutes, Bah N’Daw égrène ce qui orientera la boussole de la transition : lutter contre le terrorisme, éradiquer la corruption, organiser des élections transparentes, amorcer la réconciliation nationale, renforcer les mesures contre l’épidémie de Covid-19… Le 20 février, cette volonté du président, déclinée dans un programme d’action gouvernemental, a été présentée par le Premier ministre, Moctar Ouane, devant le Conseil national de la transition (CNT). Alors que la présidentielle et les législatives arrivent à grands pas – leur premier tour a été fixé au 27 février 2022 –, de nombreux défis leur restent à relever. L’un des chantiers majeurs de la transition demeure la gestion de la crise sécuritaire. La forte présence de militaires dans l’équipe au pouvoir a suscité de l’espoir. Les principales figures de l’ex-Comité national pour le salut du peuple (CNSP), qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) le 18 août 2020, étaient présentées comme des militaires de terrain, au

fait des réalités. Bien que celles-ci demeurent au cœur des pouvoirs exécutif et législatif, la situation sécuritaire du Mali n’a fait que s’aggraver au cours des derniers mois, selon plusieurs observateurs. Le cas du village de Farabougou, dans la région de Ségou, a suscité l’émoi. Sous embargo jihadiste depuis octobre dernier, et ce malgré l’intervention de l’armée puis la visite d’Assimi Goïta, la localité n’a vu cette crise résolue que récemment, grâce à l’intervention du Haut Conseil islamique du Mali, avec la bénédiction des autorités. Le 14 mars, un accord de cessez-le-feu a été conclu entre les jihadistes – affiliés à la katiba Macina, groupe lui-même lié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) – et les chasseurs traditionnels dozos, marquant la première étape d’un accord plus durable. « Le cycle de l’insécurité n’a pas pu être inversé. Au contraire, cela s’aggrave, regrette Housseini Amion Guindo, le président de la Convergence pour le développement du Mali (Codem). Désormais, de grandes villes comme Bandiagara et San sont aussi attaquées. Le pays a besoin d’une nouvelle doctrine sécuritaire. » Les autorités de la transition ont plusieurs fois réaffirmé leur volonté de dialoguer avec les chefs jihadistes maliens, Amadou Koufa et Iyad Ag Ghaly, conformément aux conclusions du Dialogue national inclusif qui a eu lieu à la fin de 2019. Mais, pour l’heure, aucune indication n’a été donnée sur d’éventuelles tentatives d’entrer en contact avec ces derniers, ni sur les points qui pourraient faire l’objet de négociations. Outre l’épineuse question sécuritaire, les autorités de la transition ont hérité d’une économie durement fragilisée par plusieurs mois d’instabilité politique et par la pandémie

Ceux qui ont renversé IBK étaient présentés comme des militaires de terrain. Pourtant, la situation sécuritaire n’a cessé de s’aggraver.

de coronavirus. D’autant que, face à une deuxième vague du virus qui s’est révélée plus meurtrière à la fin de 2020, l’exécutif a dû prendre une nouvelle série de mesures restrictives qui auront un impact sur l’économie. Cependant, malgré la grave crise du secteur cotonnier, le pays a été porté par la bonne santé de l’or et a pu tenir le cap, avec une récession de seulement 2 % en 2020, selon le FMI (lire pp. 111-112). Ses prévisions sont même optimistes pour 2021, avec une croissance attendue de 4 %. Et force est de constater que le gouvernement y travaille, en essayant d’agir sur les filières clés. En février, le ministre de l’Agriculture, Mahmoud Ould Mohamed, a lancé des assises du coton afin de relancer la production. Le ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, Lamine Seydou Traoré (lire pp. 114-115), veut dynamiser le secteur minier en accélérant la mise en application du nouveau code minier, adopté en 2019… Mais cette relative stabilité de la croissance permettra-t-elle de répondre aux doléances des syndicats, dont ceux du domaine de l’éducation et de la santé, qui multiplient les grèves depuis le début de la transition ?

Refondation attendue

En plus du front social bouillonnant, les autorités de la transition doivent faire face à de nombreuses attentes sur le plan politique : réformes institutionnelles et électorales, redécoupage territorial, lutte contre la corruption et l’impunité… Autant de points pris en compte dans le programme d’action du gouvernement. « C’est très ambitieux au vu du temps imparti à la transition. Mais ce sont des dossiers qui doivent être pris en charge par différents départements. Cela devrait donc aller, se réjouit un diplomate basé à Bamako. La politique du Premier ministre est déclinée, et il s’est entouré d’une équipe compétente. » La majeure partie des réformes envisagées est d’ailleurs acceptée par tous les Maliens, car la plupart d’entre elles ont été répétées au fil de divers forums depuis plusieurs années. Mais si l’introduction de la proportionnelle dans l’élection des députés pour obtenir une JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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INTERNATIONAL

BELGIQUE-AFRIQUE

Passé recomposé Dotés d’un nouveau gouvernement depuis octobre, après plus d’une année d’attente, les Belges relancent progressivement leur diplomatie, notamment sur le continent, avec qui ils préparent l’avenir en exorcisant de vieux démons.

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BENOIT DOPPAGNE / BELGA VIA AFP

Le Premier ministre Alexander De Croo, alors ministre des Finances et de la Coopération au développement, en visite à Kinshasa, le 6 février 2020.

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INTERNATIONAL BELGIQUE-AFRIQUE

OLIVIER CASLIN

I

I ngouvernable, la Belgique ? Le royaume est, en tout cas, à nouveau gouverné, depuis le 1er octobre 2020 et la nomination du libéral Alexander De Croo au poste de Premier ministre. Le pays aura dû patienter près de 500 jours – 493 exactement – après les résultats des élections législatives du 26 mai 2019 pour disposer d’un gouvernement fédéral de plein exercice. C’est moins que durant la crise de 2010-2011 durant laquelle la Belgique était restée sans exécutif pendant 541 jours, mais le plus dur commence peut-être maintenant pour le nouveau chef de gouvernement, le premier d’origine flamande depuis dix ans, qui devra composer avec une co­­alition de sept partis, représentative du morcellement du paysage politique belge depuis l’éclatement de la précédente équipe gouvernementale de centredroit à la fin de 2018. Pour contrecarrer la poussée de l’extrême droite et récompenser celle des environnementalistes lors du dernier scrutin fédéral, les partis traditionnels en perte de vitesse ont réussi à s’entendre – sous la pression constante du palais royal –, autour d’une équipe gouvernementale composée de quatre couleurs politiques : libérale, socialiste, écologiste, auxquelles vient s’ajouter la démocratie ­chrétienne flamande. Alexander De Croo a donc la lourde tâche de mettre en musique les actions de cette mosaïque baptisée « Vivaldi »

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par la presse belge. Cet ancien ministre des Finances du gouvernement précédent pourra s’appuyer, pour le seconder, sur celle à qui il a succédé. Également d’aspiration libérale, Sophie Wilmès est désormais vice-Première ministre et a récupéré le portefeuille bien garni des Affaires étrangères et européennes, du Commerce extérieur et des Institutions culturelles fédérales (lire p. 128). « Une reconnaissance de son travail très apprécié pendant l’année qu’elle a passé à la tête du gouvernement d’affaires courantes », estime un fin connaisseur du sérail belge. Notamment pour sa gestion de l’épidémie de Covid-19, qui s’est vite imposée dans l’agenda de son successeur.

Communication éludée

Comme le pays, la diplomatie belge n’est donc pas vraiment sortie du confinement dans lequel elle est maintenue depuis le départ de Didier Reynders, aujourd’hui commissaire européen à la justice et habitué des chancelleries après avoir été en charge des Affaires étrangères de son pays pendant huit ans. Après l’inexpérimenté Philippe Goffin, c’est au tour de Sylvie Wilmès de découvrir une fonction occupée pour la première fois par une femme dans le royaume. Aussi jeune que son Premier ministre – elle a eu 46 ans en janvier, lui les aura en novembre –, « elle ne s’est pas montrée très agissante jusqu’à présent », persifle un observateur européen depuis Bruxelles. Pas plus que ses services, qui préfèrent communiquer par médias sociaux interposés sur les tourments causés par le sofagate à l’ancien Premier ministre Charles Michel, « que de s’exprimer sur les derniers événements en RD Congo ou sur les conclusions du rapport publié en France sur le Rwanda », constate un journaliste belge. L’Afrique fait d’ailleurs figure aujourd’hui de parent pauvre, « au regard de ce qu’a pu être l’implication passée de la Belgique sur le continent », reprend notre observateur. Fidèle à sa doctrine tri­dimensionnelle (diplomatie, défense, développement) en matière de relations extérieures, la Belgique semble avoir essentiellement concentré son attention sur le Sahel, où son armée est présente aux côtés des Français depuis l’opération

Serval de 2013. Sur le reste du continent, « Bruxelles délègue beaucoup à Bruxelles », sourit notre diplomate européen. Peut-être plus encore depuis ces derniers mois et la nomination de Bernard Quintin, ancien directeur de cabinet de Philippe Goffin, au poste de directeur général adjoint en charge de l’Afrique au Service européen pour l’action extérieure. Même en RD Congo, la Belgique ne semble pas vraiment profiter des bonnes relations retrouvées avec son ancienne colonie depuis l’élection à la présidence de Félix Tshisekedi, en janvier 2019. Seul dossier – d’importance –, sur le bureau de la ministre : le rapatriement solennel à Kinshasa des restes de Patrice Lumumba, dans le cadre des festivités du 61e anniversaire de l’indépendance congolaise en juin prochain. Sujet hautement inflammable que la diplomatie belge tente de manier avec précaution. Un temps envisagée, la visite pour l’occasion du roi Philippe, la première d’un souverain belge depuis celle d’Albert II en 2010 pour le cinquantenaire du pays, n’aura finalement certainement pas lieu, « pour ne pas prendre le risque d’éclipser l’événement », souffle-t-on dans les couloirs du ministère.

Le royaume semble avoir concentré son attention sur le Sahel, où il se tient aux côtés des Français depuis l’opération Serval de 2013. Autre sujet d’actualité tourné vers le passé, la Commission parlementaire vérité et réconciliation, chargée, depuis juillet 2020, de « faire la paix avec le passé colonial » du pays, n’a toujours pas rendu ses conclusions, pourtant annoncées pour le 3 mars. De ces dernières dépendront également les décisions à prendre par le gouvernement belge en matière de restitution d’œuvres d’art. Une façon de préparer, à l’aune de ce qu’elles ont pu être, l’avenir des relations entre l’Afrique et le royaume.


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Agence wallonne à l’Exportation et aux Investissements étrangers (AWEX) Tél. : (+32) 2 421 82 11 Email : info@awex.be www.awex.be

Afrique et Wallonie sous le signe du partenariat…

À

l’image de la Belgique, l a Wa l lon ie , p a r t ie francophone du pays, s’investit e n A f r ique p ou r l a p a i x e t la stabilité, le respect de la démocratie et des droits de l’homme, la bonne gouvernance, la coopération au développement et l’émergence économique.

présent s da n s des pay s avec lesquels la Wallonie entretient des relations privilégiées, comme la Tunisie, l’Égypte, la République démoc rat ique du Con go et le Rw a nda ». De cet te m a n ière, l ’e n s e m b l e du c o nt i n e nt e s t parfaitement couvert.

Dominique Delattre Inspecteur général

L’AWEX orga n ise bon a n ma l

Mais l’action économique de l’AWEX

an une quinzaine d’actions en

ne se limite pas aux missions

domaines liés à l ’économie

A frique. Depuis 2015, l ’AWEX

et aux relations commerciales...

internationale pour la

a dédié à ce continent deux de

De multiples coopérations entre

Wa l l o n i e , l ’AW E X – A g e n c e

ses m a rc hés c ibles a n nuel s :

institutions publiques ont ainsi

wallonne à l’Exportation et aux

l ’A frique du Sud en 2015 et le

été mises en place ces dernières

I nvest i ssement s ét r a n ger s –

Ro y au me du Ma ro c e n 201 8 .

années, à l’instar de la coopération

soutient tout naturellement les

Preuve supplémentaire de

mise en œuvre entre l’AWEX et son

Responsable de l’ensemble des

efforts en matière d’émergence

l ’intérêt de l ’AWEX pour cette

pendant tunisien, le CEPEX. « Plus

é conom ique. Une ac t ion de

partie du monde, trois missions

largement, détaille Dominique

l ’AW E X q u i e s t n o t a m m e n t

économiques princières y ont été

Delattre, l’objectif principal de ces

soutenue par un important réseau

organisées ces dernières années…

collaborations est de faire émerger

de neuf Conseillers économiques

« En 201 3, le déplacement en

sur le continent africain un secteur

et commerciaux (CEC) établis

A n gol a et en A f r ique du Sud

privé dynamique porteur de belles

sur le continent africain. « Ces

était la première mission de SAR

coopérations à venir avec nos

CEC sont localisés dans des pays

la Princesse Astrid de Belgique,

entreprises. C’est pourquoi, notre

pa r t ic u l ièrement i mpor t a nt s

se souvient Dominique Delattre.

démarche et notre action visent

pour leur rôle stratégique dans

Tout un symbole… La mission

à permettre une appropriation

le développement économique du continent africain, comme l’explique Dominique Delattre,

en Côte d ’Ivoire de 2017 était

des projets par les populations

également un beau succès. Mais

locales. En l ’occurrence, nous

ce n’était rien à côté de celle de

créons des projets plutôt que de

inspecteur général à l’AWEX en

2018 au Ma roc, avec quelque

vendre des produits. Des projets

c ha rge de l ’A frique. Ces pays

470 participants belges, dont une

qui produiront demain des effets

const ituent aujou rd ’ hui les

majorité de Wallons. Un record

multiplicateurs et dont le maître-

vér itables por tes d ’ent rée du

à l ’époque… » Et une nouvelle

mot reste le partenariat . » Un

continent : le Maroc, le Sénégal , la

mission économique princière

partenariat qui se doit de s’inscrire

Côte d’Ivoire, le Kenya et l’Afrique

est annoncée au Sénégal, en mai

dans une dynamique toujours

du Sud. Les CEC sont également

2022.

mutuellement bénéfique.


INTERNATIONAL BELGIQUE-AFRIQUE

ENTRETIEN

Sophie Wilmès « Nous voulons voir nos voisins africains se développer en paix » Diplomatie, défense, développement… La ministre fédérale belge des Affaires étrangères et du Commerce extérieur a répondu aux questions de Jeune Afrique, sept mois après sa nomination. PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER CASLIN

C

hef d’un éphémère gouvernement d’affaires courantes, entre octobre 2019 et 2020, Sophie Wilmès est aujourd’hui à la tête de la diplomatie fédérale belge. À 46 ans, la numéro deux de l’actuel gouvernement de plein exercice découvre ses fonctions et revient pour Jeune Afrique sur les priorités et l’agenda de la Belgique sur le continent africain.

132

JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

La diplomatie belge s’inscrit-elle toujours dans l’approche 3 D – diplomatie, défense, développement – suivie par votre ministère depuis plusieurs années ? Cette approche a été renforcée en 2017, quand la Belgique a décidé de suivre une approche globale en matière d’action étrangère, face à des situations souvent très complexes qui requièrent un renforcement de la coordination et de la synchronisation de nos instruments. Cette stratégie dépasse donc les simples Affaires étrangères, même si nous restons le centre de gravité de leur mise en

E IQU ELG EB MA

Jeune Afrique : Vous avez été nommée ministre il y a quelques mois, avec quelle feuille de route concernant l’Afrique ? Sophie Wilmès : Notre intérêt est que nos voisins se développent en paix. Notre accord de gouvernement identifie en particulier deux zones prioritaires d’engagement sur le continent : la région des Grands Lacs et le Sahel. Nos liens sont historiques avec la première, plus récents avec la seconde, ce qui est lié à son instabilité grandissante qui inquiète l’Europe. La Belgique continue donc de participer aux efforts internationaux entrepris dans la région comme elle le fait depuis l’opération Serval de 2013. Nous comptons par ailleurs approfondir nos relations avec les États d’Afrique du Nord. Nous restons enfin très attachés au renforcement des relations de continent à continent et souhaitons la mise en place d’un partenariat stratégique

et global entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA).

œuvre au quotidien. C’est l’approche que nous appliquons au Sahel, peutêtre plus encore que partout ailleurs, pour faire face aux multiples causes d’instabilité de la région. Comment évolue la présence belge sur le continent ? La Belgique est sensiblement plus présente en Afrique de l’Ouest ces dernières années, avec l’ouverture de nouvelles ambassades, comme en Guinée. L’armée belge a considérablement étendu son action au Sahel, qui est désormais son premier théâtre d’opérations à l’étranger. Au niveau économique aussi, bien que l’Afrique du Sud reste notre premier partenaire commercial sur le continent, les échanges avec les pays de la Cedeao montent en puissance, notamment la Côte d’Ivoire, où une importante mission princière s’était rendue en 2017, et le Sénégal, où une autre mission est prévue, si possible en 2022. En ce qui concerne la coopération au développement, tous les pays partenaires de la Belgique, à l’exception de la Palestine, se trouvent sur le continent. Et nous sommes bien sûr très présents en RD Congo, où j’ai personnellement eu le plaisir de rouvrir, en tant que Première ministre, le consulat-général de Belgique à Lubumbashi, en 2020. Cela faisait dix ans qu’un chef de gouvernement belge ne s’était pas rendu dans le pays.


INTERNATIONAL BELGIQUE-AFRIQUE Comment qualifiez-vous l’état de vos relations avec Kinshasa ? La Belgique salue et soutient la volonté du président Tshisekedi de mener des réformes en faveur de sa population. Nous partageons son analyse de la situation de la sécurité dans l’est de la RD Congo, de l’état de l’économie et des finances publiques du pays, ainsi que sa vision de la lutte à mener contre la corruption et l’impunité. Nous sommes en contacts très étroits pour voir comment soutenir au mieux les autorités. Le chef de l’État a montré depuis son arrivée au pouvoir une volonté de dialogue et de réengagement avec la communauté internationale. Sa visite de travail, en 2019, a débouché sur une série d’accords qui ont permis de relancer la coopération dans les domaines de la finance et de la défense. Nous espérons la ratification prochaine de la convention bilatérale sur la protection des

investissements, qui serait un très bon signe pour les investisseurs belges en RD Congo. Quelle est la posture du royaume à l’égard des conclusions du rapport Duclert sur la position de la France au Rwanda ? Ce rapport représente un travail historique considérable, mais qui reste spécifique à la France. Je rappelle que la Belgique a effectué son devoir d’introspection sur cette

Nos échanges avec les pays de la Cedeao, notamment la Côte d’Ivoire et le Sénégal, montent en puissance.

période tragique. Après dix-huit mois de travaux en commission parlementaire, le Sénat a rendu un rapport d’enquête détaillé dès 1997, qui a mis en évidence certains dysfonctionnements. Et, en 2000, mon prédécesseur, Guy Verhofstadt, a exprimé à Kigali les excuses de la Belgique auprès du Rwanda. Comme la France, la Belgique travaille sur la question de la restitution d’œuvres d’art à l’Afrique. Comment évolue ce dossier ? Les discussions entre experts sont en cours, il s’agit de trouver la bonne formule, et nous sommes ouverts au dialogue avec nos partenaires africains. Diverses pistes sont étudiées, notamment dans le cadre de la célébration du 61e anniversaire de l’indépendance de la RD Congo. Et j’espère que certaines auront pu aboutir d’ici au 30 juin.

ÉCONOMIE

Trio gagnant Depuis la loi de régionalisation de 1993, les provinces belges ont repris le flambeau du commerce extérieur, avec la création de trois organismes – francophone, néerlandophone et bruxellois – résolument tournés vers l’Afrique. OLIVIER CASLIN

P

our assurer la promotion de ses entreprises à l’international et attirer les investissements étrangers, la Belgique joue depuis le début des années 1990 la carte linguistique et régionale. Trois organismes ont vu le jour : l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (Awex) pour les régions francophones, le Flanders Investment & Trade (FIT) pour les néerlandophones, et­ hub.brussels pour la capitale fédérale. Ce qui n’empêche pas les trois entités de travailler ensemble. « L’essentiel est d’être présent en Afrique en tant qu’État belge pour pouvoir présenter une offre complète et représentative

des savoir-faire propres à chacune des trois régions », explique Carole Moné, manager export pour l’Afrique subsaharienne.

FIT, les Flamands osent

FIT a vu le jour en 2005, après la décision du gouvernement flamand de fusionner Export Flanders et le Service of Investment in Flanders, les deux entités qui géraient les différents aspects du commerce extérieur de la région depuis le début des années 1990. Pour promouvoir la destination flamande ou aider ses entreprises à exporter leur savoir-faire, FIT dispose de cinq représentations sur le territoire belge (une à Bruxelles et quatre

en Flandre), ainsi que d’un réseau de 75 bureaux à travers le monde, dont trois en Afrique (au Maroc, en Égypte et en Afrique du Sud), le continent accueillant également deux antennes, établies au Nigeria et au Ghana. La province néerlandophone s’adresse donc en priorité aux pays de l’Afrique anglophone. Son agence gouvernementale mutualise avec l’Awex et hub.brussels la couverture du continent dans son ensemble. En Afrique, ses actions visent essentiellement à soutenir les PME flamandes qui souhaitent s’implanter sur le continent en fournissant conseils et renseignements ainsi que certaines aides financières JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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INTERNATIONAL BELGIQUE-AFRIQUE

LIONEL MANDEIX / PRÉSIDENCE DU SÉNÉGAL

Les Belges savent bien que pour aider leurs entreprises à s’implanter en Afrique, rien ne remplace le contact direct.

Signature de déclarations d’intentions autour de la production de vaccins anti-Covid-19 entre le Sénégal et la start-up belge Univercells, soutenue par l’Awex, en présence de Macky Sall (à l’arrière-plan, à gauche), le 13 avril 2021, à Namur.

dans le cadre de missions explo­ ratoires. FIT, comme ses deux autres « collègues » régionaux, sait bien qu’en Afrique rien ne remplace le contact direct. Faute de pouvoir par­ ticiper, en cette période de mobilité restreinte, aux visites organisées à l’échelon fédéral, l’organisme fla­ mand garde néanmoins le contact avec le continent. Un événement est organisé en mai, à distance, avec le Sénégal, comme une alternative à la mission princière prévue pour 2020 dans ce pays. En juin, c’est en compa­ gnie de hub.brussels que FIT s’inté­ ressera au marché tunisien.

Awex, l’atout wallon

Depuis le début des années 1990, le tissu économique wallon, composé à 99,5 % de PME, toujours en recherche de nouveaux marchés, bénéficie du soutien de l’Awex. L’organisme public dispose de trois structures de repré­ sentation : les centres régionaux dissé­ minés dans les provinces wallonnes, les réseaux de conseillers commer­ ciaux déployés dans les ambassades belges, et, au centre, le siège de l’or­ ganisation à Bruxelles, « véritable quartier général stratégique et opéra­ tionnel », selon Dominique Delattre, inspecteur général de l’Awex, chargé notamment de l’Afrique. Le conti­ nent tient d’ailleurs une bonne place dans le dispositif international de

134

JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

l’agence wallonne, qui dispose de neuf bureaux, un dans chaque pays du Maghreb, ainsi qu’au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en RD Congo, au Rwanda, au Kenya et en Afrique du Sud. Plus de 6 500 sociétés wallonnes s’appuient aujourd’hui sur l’Awex, qui de son côté note un intérêt certain pour les mar­ chés africains, « même si cela ne se confirme pas encore dans les chiffres d’affaires », constate Dominique Delattre. La province peut également s’ap­ puyer sur ses diasporas marocaines et congolaises, vecteurs d’échanges historiques autant que culturels, pour tisser ses liens avec l’Afrique et renforcer ainsi la confiance des entre­ preneurs. « Ils ont besoin de savoir où ils mettent les pieds », reprend le responsable de l’Awex, qui mul­ tiplie les missions sur le continent, seul, avec ses consœurs de FIT et de brussels.hub ou sous drapeau fédé­ ral. L’Awex dispose également avec la Sofinex de l’outil financier suscep­ tible de les aider dans leurs projets. Le réseau bruxellois d’accompa­ gnement des entreprises a connu sa petite révolution en 2018 lorsque les trois organismes alors existants ont fusionné leurs missions respec­ tives en une seule. « hub.brussels » s’écrit en lettres minuscules mais remplit une fonction ô combien capitale auprès du secteur privé

régional, essentiellement constitué de PME, notamment en direction de l’international.

hub.brussels, en lettres capitales

L’organisme public dispose d’un réseau de conseillers économiques et commerciaux à travers le monde, dont plusieurs sur le continent africain. Son bureau de Nairobi suit le Kenya, ainsi que l’Ouganda, la Tanzanie ou la Zambie, celui de Kinshasa s’occupe aussi de Brazzaville, et le dernier en date, installé à Dakar, couvre aussi la Guinée, la Gambie et le Cap-Vert. hub.brussels partage avec l’Awex une représentation à Abidjan, qui couvre le Ghana, le Togo et le Bénin, et s’in­ téresse également à l’Afrique du Nord – l’agence bruxelloise possède un bureau à Tunis en attendant l’ouver­ ture prochaine de celui de Rabat. hub.brussels en profite pour multi­ plier les échanges avec le continent, entre missions économiques en Afrique et réception d’entreprises afri­ caines en Belgique. « C’est le meilleur moyen pour instaurer la confiance des deux côtés », estime Carole Moné, qui veut aussi travailler avec les diasporas congolaises, camerounaises et séné­ galaises pour renforcer la dynamique des entrepreneurs bruxellois vers l’Afrique qui, malgré la pandémie, ne faiblit pas.


COMMUNIQUÉ Agence belge de développement Rue Haute 147 - 1000 Bruxelles +32 2 505 37 00 info@enabel.be www.enabel.be

AVIS D’EXPERT

« Notre réseau de partenaires permet d’apporter des solutions adaptées aux besoins de l’Afrique » Pouvez-vous vous présenter ?

possible.Ainsi, nous concentrons nos

L’Agence belge de développement

actions en Afrique. Pour des raisons

(Enabel) exécute la politique de

historiques, l’Afrique centrale occupe

coopération gouvernementale entre

une place prépondérante, mais nous

la Belgique et quatorze pays par-

souhaitons être davantage présents

tenaires, dont treize sont situés

en Afrique de l’ouest,y compris dans

en Afrique. Nous avons un rôle de

des projets à vocation régionale. Tel

plus en plus actif au niveau euro-

est le cas, par exemple, de la Grande

péen. Le contrat de gestion conclu

Muraille verte qui vise à restaurer

avec l’État belge nous permet de

cent millions d’hectares de terres au

travailler pour d’autres bailleurs

Sahel, à créer des emplois verts en

de fonds, dont l’Union européenne,

faveur des riverains et à améliorer

et d’élargir notre champ d’action

la sécurité alimentaire.

Jean Van Wetter Directeur général de l’Agence belge de développement (Enabel)

géographique à d’autre pays africains. Par ailleurs, Enabel assure actuellement, conjointement avec l’agence luxembourgeoise LuxDev,

« La coopération belge a ciblé l’Afrique : le partenariat fait partie de notre ADN »

la présidence tournante du PractiNous disposons d’une expertise

est d’apporter des solutions globales

dix-sept agences de développement

interne solide que nous complétons

parfaitement adaptées aux nou-

européennes.

grâce à des partenariats stratégiques

veaux besoins des pays africains.

Quelle est votre stratégie ?

(entreprises, ONG, associations, etc.),

Nous avons déterminé notre ambi-

belges ou européens. Nous sommes

tion et les domaines où Enabel offre

ainsi en mesure de mobiliser des

une valeur ajoutée pour arriver à

compétences pointues dans une

La crise sanitaire liée au Covid-19 vous a-t-elle conduit à prendre de nouvelles initiatives ?

un positionnement autour de cinq

approche partenariale et sur-mesure.

La nouvelle ministre de la Coopé-

enjeux mondiaux : la paix et la sé-

Ainsi, au Bénin nous travaillons en

ration au développement, Meryame

curité, le changement climatique, les

coopération avec le port d’Anvers,

Kitir, souhaite mettre l’accent sur le

inégalités sociales et économiques, la

qui assure l’exploitation du port de

renforcement des systèmes de santé

mobilité humaine et l’urbanisation.

Cotonou, en mettant en place des

des pays africains. Compte tenu de

tioners’ Network (PN), le réseau des

avec des acteurs publics et privés

Notre stratégie tient compte de l’évo-

coopérations sur les services avec

l’expertise belge en matière de vac-

lution de l’environnement dans le-

des opérateurs spécialisés (douane,

cins, nous réfléchissons également

quel nous travaillons et se caractérise

logistique, etc.). Nous sommes ainsi

au développement de capacités de

par la volonté d’être le plus efficace

des « facilitateurs » : l’objectif final

production dans les pays africains.


Économie

CHRIS RATCLIFFE/BLOOMBERG/GETTY

À 49 ans, Ralph Mupita est à la tête du premier groupe de télécoms du continent.

136

JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021


Galaxie Ngozi Okonjo-Iweala, directrice de l’OMC Interview Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances Transport aérien Qui a tué Air Afrique ? Énergie Grandeur et décadence de Mustapha Bakkoury, PDG de Masen Agroalimentaire Ces pionniers africains de l’alimentation de demain

TÉLÉCOMS

Ralph Mupita « Nous ne craignons pas la concurrence » Huit mois après son arrivée à la tête de MTN, le Zimbabwéen dévoile en exclusivité pour JA les détails de la stratégie qu’il souhaite mettre en œuvre jusqu’en 2025. QUENTIN VELLUET

«H

ello Quentin, how are you ? » La voix de Ralph Mupita retentit avant même que son image n’apparaisse sur l’écran. Comme si le patron du plus grand opérateur de télécoms du continent (205 millions d’abonnés en Afrique sur un total de 280 millions) trépignait d’impatience, en cette mi-avril, de se prêter au jeu des questions-­ réponses par visioconférence. Au début d’avril, celui qui dirige MTN depuis août 2020 a annoncé l’intention du groupe d’ouvrir le capital de MoMo, sa branche de mobile money, anticipant une valorisation à 5 milliards de dollars. Et le dirigeant zimbabwéen, fan de Formule 1, est prêt à dérouler son plan à la manière d’un Lewis Hamilton propulsé à plus de 300 km/h. Reste à savoir si l’enthousiasme de Ralph Mupita sera à la mesure des chantiers qui l’attendent aux commandes du colosse de Johannesburg. « Nous n’avons pas la tête dans les nuages, nous sommes réalistes », prévient

néanmoins ce père de deux garçons, très au fait de la situation sanitaire de son pays et soucieux de l’impact que la pandémie aura sur le continent. Ce financier de formation souhaite progressivement mener MTN vers un modèle de plateforme ressemblant à l’américain Apple ou au chinois WeChat. Pour Jeune Afrique, il dévoile les priorités, les arbitrages et la méthode de sa stratégie baptisée « Ambition 2025 ». Jeune Afrique : Après Safaricom (M-Pesa) et Airtel Money, MTN est le troisième opérateur du continent à vouloir séparer l’activité de monnaie mobile et ses autres opérations. À quelles fins et pourquoi maintenant ? Ralph Mupita : Nos activités de fintech représentaient l’an dernier 46 millions d’abonnés pour 8 % des revenus tirés des services et 152 milliards de dollars de transactions via notre système MoMo. L’activité a pris une ampleur colossale, et nous pensons qu’une séparation structurelle est nécessaire. Le prix actuel de

l’action MTN ne reflète pas la valeur intrinsèque de l’infrastructure et des actifs de cette activité. En en faisant une structure distincte, nous permettons à d’autres d’investir dans cette entreprise et, ainsi, de révéler sa véritable valeur. MoMo pourrait atteindre une valorisation de 5 à 6 milliards de dollars. Et ce même en excluant le Nigeria, où nous n’avons pas la licence de mobile money que nous souhaiterions acquérir. Par ailleurs, il est plus logique de gérer séparément ces business [mobile money d’une part, activités télécoms « classiques », d’autre part], car ils font face à des obligations réglementaires différentes, et comportent des profils financiers et des profils de risques différents. L’objectif à terme est-il d’introduire MoMo en Bourse ? Pas nécessairement. Nous suivrons la voie qui révèle le mieux la valeur de cette activité. Si cela passe par une entrée en Bourse, nous le ferons. Mais nous ne sommes pas dogmatiques. JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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Dossier Finance et assurance BANQUE

Les recettes d’Henri-Claude Oyima pour donner un second souffle à BGFI Alors que le leader du secteur en Afrique centrale vient de présenter de bons résultats malgré une conjoncture difficile, il est confronté à plusieurs déboires et à une concurrence accrue. Son patron mise sur une gouvernance « exemplaire », une meilleure communication et l’entrée de nouveaux actionnaires internationaux. AURÉLIE M’BIDA

C’

est un personnage qui manie le « nous » avec abondance. « Nos pays », « nos économies », « nos concitoyens »… Pour Henri-Claude Oyima, l’indéfectible PDG du groupe bancaire et financier BGFIBank originaire du Gabon, plus qu’un tic de langage, le tout inclusif paraît aller de soi. Après trente-cinq ans à la tête du premier groupe bancaire d’Afrique centrale, le Gabonais dissimule à peine un sourire satisfait quand il évoque la longévité d’une banque qu’il a fait grandir. Depuis la pose de la première pierre il y a tout juste cinquante ans, en 1971, quand la Banque de Paris et des Pays-Bas

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JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

(Paribas) voit le jour à Libreville, en passant par sa privatisation et son internationalisation, deux grands chantiers que le jeune ancien de Citibank a entamés lorsqu’il a pris les rênes de Paribas Gabon en 1986. Jusqu’à l’avènement d’un groupe financier structuré autour d’une

Relativement épargnées par la crise du Covid-19, les performances de l’entreprise ont décollé en 2020.

maison mère, actif dans les métiers de la banque et des services financiers associés (asset management, affacturage, immobilier…), et implantés dans onze pays*.

Bilan positif

Au 31 décembre 2020, le groupe BGFIBank représente 3 500 milliards de F CFA (5,3 milliards d’euros) de total au bilan, en hausse de 12 % par rapport à l’année précédente. Relativement épargnées par la crise du Covid-19 car opérant sur un segment de niche – la clientèle haut de gamme et les PME à fort potentiel –, les performances de l’entreprise ont décollé l’an dernier. Son produit


BGFI

À la tête du leader du secteur bancaire en Afrique centrale depuis trois décennies, le Gabonais entend en pérenniser la domination dans la région. JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

161


DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE net bancaire consolidé grimpe de 13 %, à 197 milliards de F CFA, pour un résultat net de 44 milliards (+ 114 %). « Nous avons pensé et mené à bien notre projet au regard des objectifs que nous nous étions fixés. Ces derniers ont été atteints, au-delà même de nos projections », se réjouit HenriClaude Oyima, faisant le point sur les réalisations de son projet d’entreprise Excellence 2020. Un bilan « très positif » qui assoit davantage son statut de leader en zone Cemac (lire p. 164).

Soin du risque réputationnel

Et même s’il ne se dit pas inquiet lorsqu’on évoque l’environnement très concurrentiel du secteur, le banquier gabonais sait que, pour durer, il faut savoir s’adapter : « Nous serons toujours leader, en perpétuelle recherche de l’excellence. En Afrique centrale, nous sommes chez nous. » Même si son groupe a essuyé, de près ou de loin, ces dernières années, une série de déboires. Soupçons de blanchiment au niveau de sa filiale en RD Congo, affaire de fraude des cartes prépayées Visa au Gabon, soupçons de détournement d’actifs au Cameroun… Ou encore l’année noire de 2013, au cours de laquelle sa filiale béninoise a dû être recapitalisée, une pléthore de cadres remerciés, touchant au Gabon – principale filiale du groupe – l’ex-directeur de cabinet du président Brice Laccruche Alihanga. De l’intérieur pourtant, cette période n’est pas vécue comme une « crise ». « Des tentatives de fraudes, il y en a dans tous les groupes bancaires, des départs également », soutient un cadre du groupe qui souhaite conserver l’anonymat. Il évoque, en revanche, une vraie prise de conscience au sein du groupe BGFIBank de ce qu’étaient le risque réputationnel et l’image. Et pour cause. Depuis deux ans environ, Henri-Claude Oyima mène, sans pour autant le nommer, un combat pour redonner à la marque BGFI ses titres de noblesse. Une meilleure communication, plus de transparence et une gouvernance « exemplaire » sont ses nouveaux leitmotivs. À ce titre, le financier a

162

JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

fait de la gouvernance le premier des cinq piliers de son nouveau plan d’entreprise Dynamique 2025. Dans cette idée également, la multiplication des certificats ISO obtenus par le groupe, ou directement au niveau des filiales, y contribue. « Nous venons d’obtenir la certification AML 30 000 en RD Congo », évoque à ce sujet Oyima. Il précise, enthousiaste : « Il s’agit de la seule banque du pays, et même d’Afrique subsaharienne, à obtenir un tel certificat qui reconnaisse sa conformité au référentiel permettant de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. » Le patron de BGFI a même ­lancé, à la fin de janvier, son propre compte Twitter…

« Ce n’est pas la banque d’Henri-Claude Oyima mais une organisation de plus de 3 000 collaborateurs. » Mais le principal indice du changement en marche à BGFI est la prise de recul – certains diront de hauteur – du « président », ainsi que tout le monde l’appelle en interne. Il y a encore trois ou quatre ans, pour tous les sujets qui impliquaient BGFIBank, maison mère ou filiales, seul le patron gabonais s’exprimait. Aujourd’hui, on observe davantage les prises de parole des directeurs généraux locaux pour évoquer leur filiale. En parallèle, le groupe met les ­bouchées doubles sur la communication institutionnelle : performances, Fondation BGFIBank, BGFI Business School (BBS)… Il se veut irréprochable, et souhaite que cela se sache. Une gouvernance différente donc, comme en attestent également les transactions récentes dans le groupe. Comme l’ont dévoilé nos confrères de Jeune Afrique Business+, la filiale BGFI Bank Europe vient en effet d’accueillir l’italien Export Trading Cooperation au capital. Même si la prise de participation est symbolique, cet accord illustre bien le

changement au niveau de la gouvernance. C’est la première fois qu’un institutionnel étranger entre dans le groupe au niveau d’une de ses filiales. Alors le commandant Oyima, réputé pour être particulièrement alerte, toujours en veille sur les sujets financiers et qui connaît « son bébé » sur le bout des doigts, est-il en train de lâcher du lest ? « Contrairement à l’idée reçue, BGFIBank est loin de se résumer à un individu », soutient le PDG. Et d’enchaîner : « Ce n’est pas la banque d’Henri-Claude Oyima mais une organisation de plus de 3 000 collaborateurs qui s’investissent au quotidien au service de la performance et du développement de notre groupe. » Pourtant, ce n’est pas vraiment de la sorte que le groupe et lui-même sont perçus. En témoigne la surprise initiale de l’agence de notation panafricaine, qui évalue BGFI Holding Corporation et trois de ses filiales depuis 2019. « Les premières fois, nous avons discuté avec HenriClaude Oyima en se disant, comme tout le monde, que c’est lui qui porte la vision du groupe : c’est le capitaine qui a toutes les casquettes », se remémore Soraya Diallo, vice-présidente senior, à la tête du département notations chez Bloomfield Ratings.

Un solide entregent

Elle a finalement constaté que le pouvoir n’était pas centralisé entre les mains uniques du Gabonais. Tant et si bien que ce dernier n’est pas l’interlocuteur de Bloomfield : ce sont Huguette Oyini (lire page ci-contre), la directrice générale adjointe du holding et pilier de l’état-major d’Oyima, et Germaine Nanfa, la directrice financière, qui officient. Cela dit, l’influence ­d’Henri-­Claude Oyima est encore manifeste. Et c’est d’ailleurs le fait qu’il ait de l’entregent, notamment auprès du monde politique en Afrique centrale, qui est perçu positivement par Bloomfield pour attribuer à la banque d’Afrique centrale la note de « A+ », avec une perspective stable. « Au-delà de la solidité financière et de l’ancienneté du groupe, le leadership de son PDG fait de BGFI une institution centrale au sein de la zone Cemac », évoque l’analyste. Et d’illustrer : « On


DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE

PHOTOS : BGFI

Les lieutenants du président Oyima

1

2

1. Huguette Oyini

Gabonaise, nommée directrice générale adjointe de BGFI Holding Corporation en juin 2016. À ce titre, elle veille à l’efficacité des filiales. Anciennement directrice de la gestion globale des risques, elle intègre le groupe bancaire panafricain en 2002 en tant que gestionnaire des garanties et assurances au sein de BGFIBank SA.

3

4

2. Malick Ndiaye

Sénégalais, chapeaute quant à lui la zone Uemoa - Europe-océan Indien. Il est à la tête de BGFIBank Côte d’Ivoire, filiale créée en 2012.

zone Gabon, l’une des trois zones d’implantation de BGFI. Waidi est par ailleurs président de l’Association professionnelle des établissements de crédit du Gabon.

3. Loukoumanou Waidi

4. Narcisse Obiang-Ondo

Gabonais, l’ancien directeur général de BGFIBank Cameroun a pris les rênes de la filiale gabonaise, qui représente plus de 40 % des revenus du groupe, en 2019. Il pilote ainsi la

Gabonais, supervise la zone Ceeac et dirige la filiale congolaise de BGFI. Il est également président de l’Association professionnelle des établissements de crédit à Brazzaville.

COMMUNIQUÉ

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continent africain. Il y a également une possibilité d’effectuer des transferts vers des comptes sur smartphone (« Mobile Money »). Nous avons conclu des accords avec les principaux opérateurs de télécommunication du continent. Excellent Card c’est un compte fait par nous, pour nous. Christian KUKABU, Nous accompagnons nos clients, CEO et Fondateur d’EXCELLENT CARD particuliers et entreprises, dans leurs projets d’investissements en Afrique. approuvons les opérations. Les prêts sont

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ERIC LARRAYADIEU POUR JA

DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE

Sans ambition politique revendiquée, le « président » a pourtant été évoqué après l’AVC d’Ali Bongo Ondimba.

ressent cette influence par le soutien apporté par le groupe à ces pays en matière de financement de l’activité et des budgets. Mais aussi au Congo et au Gabon, où le groupe BGFI a activement soutenu

l’État, notamment en contribuant à ­l’­organisation du Club de Brazzaville et de celui de Libreville. » À ce propos, le banquier parle d’engagement par « conviction per­ sonnelle ». Et l’engagement, ce natif

de Ngouoni, dans la province gabo­ naise du Haut-Ogooué, à quelques encablures de Bongoville, l’a dans le sang. S’il est discret, et qu’aucun fait ne vient confirmer son intention de briguer un quelconque mandat électoral, son nom a pourtant été évoqué par certains pour succéder à Ali Bongo Ondimba, après l’AVC de celui-ci, en octobre 2018. Mais de là à lui prêter un destin politique, à bien­ tôt 65 ans… Henri-Claude Oyima, qui a toujours nié nourrir ce type d’am­ bition, a encore beaucoup de pro­ jets à mener, dont l’introduction de BGFIBank à la BVMAC, qu’il préside. En tout état de cause, s’agissant de la succession à la tête de sa banque, les dispositions sont en réalité déjà prises . Henri-Claude Oyima l’affirme lui-même : « Nous avons un conseil d’administration responsable qui saura, le moment venu, désigner la personne le mieux à même de pour­ suivre le développement du groupe. Les équipes sont préparées. » * Gabon, Congo, RD Congo, Guinée équa­ toriale, São Tomé-et-Príncipe, Cameroun, Côte d’Ivoire, Bénin, Sénégal, Madagascar et Europe (en France).

La course au leadership bancaire en Afrique centrale

A

ffirmer que l’envi­ ronnement ban­ caire est difficile en Afrique centrale, davan­ tage que dans d’autres par­ ties du continent, n’est pas un euphémisme. Ces der­ niers mois, l’activité des banques de la région, très dépendante du cycle des matières premières – et déjà affectée par la chute des cours du pétrole de 2014 –, a été fortement tou­ chée par la crise sanitaire. Le secteur est morcelé en un grand nombre de petits acteurs – on recense pas moins d’une cinquantaine d’établissements bancaires dans la région. Tirer son

164

épingle du jeu n’est donc pas entreprise aisée. Si les enseignes sont légion, les principales banques de la place sont, elles, solidement a ­ rrimées à leurs positions. Ainsi de BGFIBank, leader en Afrique centrale, focali­ sée sur des segments de niche (la clientèle haut de gamme et les PME à fort potentiel), a été peu tou­ ché par les aléas macro­ économiques. Avec un total au bilan de plus de 3 500 milliards de F CFA (plus de 5,3 milliards d’eu­ ros) au 31 décembre 2020, le groupe bancaire dirigé par Oyima progresse par

JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

rapport à 2019, où il attei­ gnait 3 100 milliards. Selon le dernier clas­ sement des banques afri­ caines publié par JA, les poursuivants du groupe BGFI, et de sa filiale de tête BGFIBank Gabon, opèrent essentiellement sur les segments classiques de la banque de détail.

Classement provisoire

Il s’agit, dans l’ordre, de la camerounaise Afriland First Bank (1 150 milliards de F CFA de total de bilan en 2019), la congolaise Rawbank (environ 990 mil­ liards de F CFA), la filiale au Cameroun de Société

générale (982 milliards de F CFA) ou encore, tou­ jours dans ce pays, la Bicec (982 milliards de F CFA), cette dernière ayant été rachetée par le marocain BCP à la fin de 2019. Ce classement promet d’être chamboulé avec la fusion, effective à la fin de 2020, en RD Congo de la filiale locale du géant kényan Equity et de la B anque commerciale du Congo – dont le bilan cumulé totalise 2,6 mil­ liards de dollars (1 400 mil­ liards de F CFA, pour la comparaison), selon les intéressées. Aurélie M’Bida


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

www.apmollercapital.com

Tirer parti du savoir-faire industriel et de l’expertise opérationnelle sur les marchés de croissance africains En quoi A.P. Moller Capital se distingue-t-il des autres fonds d’investissement ? Nous nous distinguons par notre héritage industriel, notre savoir-faire et notre expertise opérationnelle combinés à une approche pratique et un engagement financier. Notre différence vient aussi de notre engagement à être une «nyttig virksomhed » (entreprise bénéfique en danois). Pour nous, le meilleur moyen de soutenir les régions les moins développées du monde est d’y créer des entreprises durables. Et AP Moller Capital ayant été fondé en 2017 par le groupe danois A.P. Moller, dont l’une des principales filiales est A.P. Moller Maersk, leader mondial du transport maritime, cela nous donne le meilleur point de départ pour créer de la valeur pour nos investisseurs et les entreprises dans lesquelles nous investissons. Nous développons des infrastructures essentielles dans les pays en développement où le déficit d’infrastructure est le plus profond. Grâce au financement des fonds de pension scandinaves, nous avons lancé le Fonds pour les Infrastructures en Afrique doté d’un milliard de dollars. L’Afrique vous intéresse particulièrement ... Oui, l’Afrique a d’importants besoins non satisfaits en infrastructures, notamment en transports et en énergie. Près de 600 millions d’africains subsahariens (2/3 de la population) n’ont pas accès au réseau électrique alors que l’Afrique est le continent à la croissance économique et de sa population les plus rapides. Combler le fossé des infrastructures est majeur pour son développement économique, pour la qualité de vie de sa population et pour les opportunités des entreprises locales. De nombreux gouvernements ont un endettement croissant et sont limités dans leurs financements des infrastructures. La mobilisation de ca-

pitaux privés est donc plus importante et imminente que jamais. Quelle est votre approche de l’investissement ? Nous avons une stratégie d’investissement à deux niveaux. Les investissements doivent générer un rendement raisonnable pour nos investisseurs, car cela est nécessaire pour mobiliser des capitaux privés et nous permettre de continuer à investir dans l’avenir. Mais tout aussi important, nous cherchons à créer et à investir dans des entreprises qui profitent à l’Afrique et aux sociétés dans lesquelles nous opérons grâce au développement économique et social. Ces deux éléments sont inextricablement liés car ils conditionnent la viabilité d’un investissement sur le long terme.

Kim Fejfer,

directeur général de A.P. Moller Capital

faisant des dons ou en facilitant la fourniture et l’approvisionnement d’équipements médicaux et de protection individuelle.

Comment promouvez-vous et mesurez-vous l’impact sur l’environnement et sur la société ? Tous nos investissements sont associés à des objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Ils peuvent varier mais on y retrouve la création d’emplois, la réduction des émissions de CO2, le paiement des taxes, la gouvernance, l’égalité hommes-femmes, etc. L’atteinte de ces objectifs est un indicateur clé de performance pour nos participations et nous les suivons trimestriellement nous permettant de détecter tout non-respect et d’apporter les corrections nécessaires.

L’énergie et la logistique sont des domaines d’investissement clés, donnez-nous quelques exemples ? En 2019, au Nigeria, nous avons acquis 90% d’Impala Energy Holdings, spécialisée dans le gaz naturel comprimé, ce qui s’inscrit pleinement dans la logique de la transition énergétique. En 2020, nous avons, aux côtés d’Olam et Africa Finance Corporation, pris 43 % du capital de Arise Ports & Logistics, société panafricaine d’infrastructures, de solutions logistiques et de terminaux portuaires en Côte d’Ivoire, au Gabon et en Mauritanie. Les investissements dans le transport et la logistique sont, en effet, très impactants dans la mobilité, les échanges, le développement économique, la création d’emplois et l’amélioration du niveau de vie des populations concernées.

Comment avez-vous réagi à Covid-19 ? La crise sanitaire a illustré cette stratégie et dès l’arrivée de la pandémie en Afrique, nous avons mis en place des procédures pour sauvegarder nos entreprises et nos employés. Toutes nos participations ont soutenu les communautés locales en distribuant de la nourriture en cas de pénuries alimentaires, en

Quelle est la prochaine étape pour A.P. Moller Capital ? Plus des 2/3 du Fonds pour les Infrastructures en Afrique ont été investis et notre stratégie à deux niveaux a obtenu d’excellents résultats pour nos investisseurs et pour l’Afrique. Le moment venu, nous espérons pouvoir mobiliser encore plus de capital pour cette stratégie.


DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE

TRADE FINANCE

Les banques africaines entrent dans la danse Les groupes panafricains, notamment marocains, se sont positionnés sur ce créneau bancaire et commencent à ravir des parts de marché aux grands établissements européens et américains. ALAIN FAUJAS

L

orsqu’un exportateur européen ou chinois de turbines veut avoir l’assurance qu’il sera payé par son client africain, qui entend lui aussi savoir si la marchandise est bien sur le bateau, ou quand le producteur de fleurs kényan entend être rassuré sur le paiement de la facture par le grossiste d’Amsterdam, qui souhaite être sûr de l’embarquement des roses dans l’avion, ils se tournent vers leurs banques. Une banque pour l’importateur, une autre pour l’exportateur et une troisième « confirmatrice » au milieu pour émettre et garantir les outils des lettres de crédit, de l’encaissement documentaire, etc. Ce financement du commerce international, appelé trade finance par les professionnels, semble avoir été relativement peu affecté par la pandémie. « Passé le premier moment d’observation, au global le business s’est relativement bien porté par rapport à d’autres activités bancaires », constate Yoann Lhonneur, directeur associé chez Devlhon Consulting. « Certains pays ont été plus impactés que d’autres, déclare Blandine Gamblin, responsable Trade Finance pour l’Afrique à la Société Générale, mais, dans l’ensemble, la baisse a été légère, et nous attendons un rebond en 2021. » Pas de bouleversement donc, mais une tendance sur le long terme

166

JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

s’affirme, qui n’a rien à voir avec le virus : la montée des coûts et de la complexité. « Le trade finance a vécu une révolution silencieuse, explique Yoann Lhonneur, car on assiste à un fort resserrement des règles de conformité, et de leur application, sous l’effet du durcissement des normes antiblanchiment, des embargos et des exigences réglementaires en matière de fonds propres. » Les banques africaines n’ont pas toujours les capitaux requis pour assumer le risque de certains gros contrats, et elles doivent se tourner vers les grandes banques internationales, qui vendent chèrement leurs services. Deux parades se dessinent. La ­première vient des institutions financières de développement, comme Afreximbank ou Oikocrédit, investisseurs pour l’inclusion financière. « Nous fournissons aux banques soit des parts de capital soit des prêts seniors, explique Ouloufemi Cédrick Montetcho, responsable des investissements financiers chez Oikocrédit.

Reste à disposer des capitaux requis pour assumer les risques de certains gros contrats.

Ecobank a un département financier pour les PME qui nous intéressent ainsi que pour les coopératives agricoles, qui n’ont pas beaucoup d’actifs ni les moyens de financer leur production. Nos marges sont étroites, et notre rôle est d’apporter aux banques les ressources nécessaires pour qu’elles puissent faire leur travail sans avoir à se montrer trop gourmandes. » La deuxième parade, c’est l’accompagnement des entrepreneurs un peu perdus dans le labyrinthe des procédures et des financements. « Les PME occupent une très grande place dans notre stratégie, rappelle Blandine Gamblin. Nous avons ainsi créé des “Maisons de la PME” dès 2018 : nous en comptons huit aujourd’hui [Sénégal, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Bénin, Ghana, Cameroun, Guinée Conakry, Madagascar], et une neuvième devrait bientôt ouvrir ses portes au Mozambique. Qu’elles soient clientes de la Société générale ou non, les PME et TPE y trouvent une expertise et des conseils auprès de partenaires locaux [cabinets d’audit, cabinets de conseil, experts-comptables…] qui les aident à construire un business plan, une stratégie et un plan de financement afin de sécuriser notamment leurs projets de développement à l’export ou à l’import. »

Virage numérique

Société générale travaille aussi avec BPI France, dans le cadre de l’organisation de missions pour accompagner les entrepreneurs dans l’exploration de nouveaux marchés, et avec Proparco, dans le cadre de conventions de partage de risque sur des instruments trade finance. « L’Afrique est un formidable relais de croissance pour nous, ajoutet‑elle. En matière d’innovation, nous avons mis au point l’offre Green Trade Finance, avec des critères d’éligibilité que nous présentons actuellement à nos clients, par exemple pour l’importation de panneaux solaires. » L’innovation digitale fait aussi partie des solutions. « Le trade finance est très consommateur de papiers, aussi nous proposons déjà des solutions alternatives, comme la plateforme digitale we.trade, en Europe, qui utilise la technologie blockchain


DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE

HASSAN OUAZZANI POUR JA

Le groupe marocain Attijariwafa Bank rattrape ses concurrents internationaux dans le domaine du trade finance.

et dont l’Afrique pourrait constituer l’un des prochains axes de développement. Cette plateforme permet le traitement d’une opération “de bout en bout”, de la saisie du contrat commercial au règlement de l’opération. Une autre plateforme digitale pour le trade finance, Komgo, utilisée en Europe par plus de 160 entreprises et 40 banques est actuellement en test au sein de certaines de nos filiales en Afrique », annonce Blandine Gamblin. Même avis pour Yoann Lhonneur, qui déclare : « Les acteurs africains ont démontré une agilité propre à travers le mobile banking, et i­ ls j­ oueront notamment la carte de la dématérialisation de documents. Ils auront recours à des technologies capables d’analyser des ­factures, des contrats, les documents de connaissement, et de faciliter la surveillance de la conformité. » L’emploi des cryptomonnaies comme le bitcoin pour faciliter le paiement et le dénouement des contrats ne semble pas séduire les banques. Elles sont plus concernées par la mise à niveau des normes du système de paiements interbancaires Swift, qui adoptera, en 2025, la norme ISO 20022. Finalement, « le marché africain du trade finance est à fort potentiel, estime Yoann Lhonneur. Les acteurs sont rodés, car ils ont fait leurs

premières armes dans le commerce des matières premières. Le poids de l’Asie y est de plus en plus fort, ce qui pousse les banques continentales à étendre leur présence en Afrique de l’Est et en Afrique anglophone ». Les banques africaines semblent profiter de vents favorables. Il y a d’abord le phénomène de derisking, qui dissuade certaines grandes banques de financer des contrats jugés trop compliqués, par exemple vers la RD Congo. « Des banques plus petites profitent de l’aubaine », constate Yoann Lhonneur.

Montée en puissance

On voit aussi certaines grandes institutions, telle la BNP, fermer boutique sur le continent. Les banques continentales prennent leur place. Pour réduire les coûts, elles ouvrent des bureaux à Londres ou à Paris. « Elles ont compris qu’il leur fallait surmonter le handicap de leur trop faible ratio de fonds propres en montant en puissance, car elles n’ont pas le bilan de la Deutsche Bank, poursuit-il, et qu’il leur fallait s’acheter des parts de marché en renforçant leurs capacités humaines et techniques pour maîtriser le domaine réglementaire et s’adapter aux besoins de leurs portefeuilles. » Les « champions » du trade finance avec l’Afrique se répartissent, selon lui, en plusieurs groupes.

Les européens comme Société Générale ou Caceis (Crédit agricole), et leurs filiales sur le corridor Europe voisinent avec les grandes banques américaines sur le corridor Amérique, comme Citi ou JP Morgan. Le corridor Asie est dominé par les Standard Chartered, HSBC, ICBC et autres Mitsubishi. Et puis il y a le groupe des banques africaines de taille continentale, souvent marocaines, BMCE, Ecobank, BCP, Attijariwafa, Absa, qui comblent

Certaines grandes institutions ferment boutique et sont remplacées par des banques du continent. peu à peu l’écart qui les sépare des stars internationales. Elles ont moins peur de traiter avec les exportateurs et importateurs chinois menacés de sanctions par les États-Unis ou l’Europe. Surtout, elles seront plus à l’aise que leurs concurrents internationaux pour développer le trade finance quand la Zone de libreéchange a ­ fricaine (Zlecaf) deviendra une r­ éalité et que le commerce intra-­ africain prendra enfin son envol. JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE

TRANSACTIONS DIGITALES

Faut-il miser sur les cryptomonnaies ? Le continent n’échappe pas à l’engouement pour le bitcoin et ses congénères. Les fluctuations monétaires, l’envie de spéculer et d’épargner et la cherté des transferts internationaux expliquent le développement de ces devises d’un nouveau genre. KÉVIN POIREAULT

L

e bitcoin jouit d’un véritable moment de grâce en ce début de 2021. Tesla et BlackRock ont investi dans cette cryptomonnaie ; Visa, Mastercard et PayPal commencent doucement à l’intégrer dans leurs moyens de paiement, et quelquesunes des plus grosses banques mondiales, comme Morgan Stanley, JP Morgan ou BNY Mellon, autrefois très réfractaires, s’y sont très récemment ouvertes. Des signaux encourageants qui ont participé à l’envolée de la première des cryptomonnaies, qui a atteint en avril une valeur record de plus de 63 000 dollars. Et, avec elle, l’ensemble de ces devises d’un nouveau genre en profitent. Un élan qui n’échappe pas aux Africains. Selon le cabinet américain Chainalysis, les transferts mensuels de moins de 10 000 dollars en ­cryptomonnaies vers et depuis le continent ont bondi de 55 % entre juin 2019 et juin 2020, pour s’élever alors à 316 millions de dollars. Le faible taux de bancarisation du continent et la forte pénétration de la t­ éléphonie mobile font de l’Afrique un terreau fertile pour une adoption de ces nouvelles devises numériques. Mais cet essor au printemps 2020 est principalement à attribuer à une nouvelle dévaluation, en mars, du naira, la monnaie du Nigeria, pays qui représente 8 % des transactions mondiales de cryptomonnaies.

168

JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

« Le cours du naira est très volatil, notamment à cause de l’existence d’un véritable marché noir », indique Daniel Ouedraogo, enseignant-­ chercheur en économie à l’­­Université Paris-Dauphine. « L’inflation y est actuellement de 17 %, ce qui implique que le pouvoir d’achat des Nigérians ne cesse de baisser, complète son collègue Jérôme Mathis. Il y a donc une volonté de la population, jeune, urbaine et ne jouissant pas d’un accès au dollar ou à l’euro, de s’affranchir de cette politique inflationniste, ce que les cryptomonnaies peuvent permettre. » Selon Jérôme Mathis, les Nigérians utilisent les cryptomonnaies, et le bitcoin en particulier, pour « mettre à l’abri leur épargne et, parfois,

Selon une étude réalisée en 2020 par Statista, le Nigeria est le pays comptant le plus d’utilisateurs de cryptomonnaies au monde :

32 %

des sondés sur un panel de plus de 1000 internautes interrogés par pays.

spéculer », mais aussi, et c’est beaucoup plus récent, « pour échanger des biens et des services, même si cette activité reste encore marginale ». Timi Ajiboye, fondateur et PDG de la plateforme nigériane BuyCoins, affirmait en septembre, à Reuters, que les échanges de cryptomonnaies y avaient triplé, après la dévaluation du naira, pour atteindre 21 millions de dollars en juin 2020. Le Nigeria n’est pas seul dans cette situation. D’autres populations africaines souffrant d’une monnaie à la valeur volatile, comme les Kényans, les Ghanéens, les Égyptiens ou les Zimbabwéens, ont recours aux monnaies virtuelles. Mais le Nigeria est un pays de cryptomonnaies pour une autre raison majeure : « Elles y sont aussi utilisées à des fins de cyber­c riminalité, assure Jérôme Mathis. Si les grandes organisations mafieuses et terroristes n’utilisent plus le bitcoin, comme beaucoup le croient encore, lui préférant des cryptomonnaies plus anonymes comme le Zcash, les petits acteurs de l’extorsion de fonds, nombreux au Nigeria, y ont, eux, souvent recours », détaille le chercheur. Voilà donc un tableau bien sombre. Mais les cryptomonnaies pourraient aussi servir à faciliter les transferts vers et depuis l’étranger, afin de remplacer « les frais de transactions confiscatoires, s’élevant parfois jusqu’à 20 %, des sociétés comme Western Union, MoneyGram ou


DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE WorldRemit », estime Jérôme Mathis. Les transferts extra-africains sont encore assez peu répandus sur le continent, mais certains services pourraient bien changer la donne, comme la plateforme BitPesa au Kenya ou la banque virtuelle KDBox, projet lancé par la start-up KodePay en Tunisie et au Kenya.

3 pays africains parmi les 10 ayant les indices d'adoption des cryptomonnaies* les plus élevés

Monnaie des élites

Dans certains pays à la monnaie plus stable, comme en zone franc CFA, l’usage des devises numériques reste, toujours selon Mathis, « réservée à une élite aisée souhaitant diversifier ses actifs ». Malgré cette adoption limitée, les pays africains francophones voient émerger nombre d’initiatives de cryptomonnaies locales ou régionales liées à des projets techno­ logiques – comme l’akoin, future monnaie de la smart city du rappeur sénégalo-américain Akon, à quelques kilomètres de Dakar –, ou politiques, comme l’ubuntu pour moraliser la finance en Côte d’Ivoire, ou encore l’ambacoin, pour les séparatistes des régions anglophones du Cameroun.

1

Ukraine

2

Russie

3

Venezuela

4

Chine

5

Kenya

6

États-Unis

7

Afrique du Sud

8

Nigeria

9

Colombie

10

Vietnam

(*) Élaboré par le cabinet spécialisé Chainalysis, basé sur le nombre et les montants des échanges en cryptomonnaies

COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Les réponses des autorités monétaires africaines sont d’ailleurs tout aussi dispersées que l’engouement des Africains pour les cryptomonnaies. Certains pays, comme l’Algérie, le Maroc ou le Zimbabwe, les bannissent purement et simplement. La banque centrale du Nigeria, a, elle, réitéré en février dernier une interdiction promulguée en 2017 pour les banques de participer à la conversion de cryptomonnaies en devises courantes. Celle du Kenya, en revanche, a récemment affirmé qu’elle ­envisageait de se procurer des crypto­ monnaies, « un pied de nez au FMI, qui y est très hostile et qui prétend toujours que le shilling est surévalué, argue Jérôme Mathis ». « Je pense que beaucoup d’États africains voudraient engager leur pays sur des projets de blockchain, voire de stablecoins [cryptomonnaies au cours stable], mais se heurtent à la réticence de leurs banques centrales » , conclut le spécialiste, qui prône une régulation des cryptomonnaies plutôt que leur interdiction.

Oikocredit Côte d’Ivoire Immeuble Alliance B - 1er étage Abidjan, Plateau - Côte d’Ivoire T: +225 27 20 31 90 40 / 41 F: +225 27 20 22 62 87 Office.ci@oikocredit.org www.oikocredit.coop/fr/afrique

L’investissement à impact peut-il soutenir la reprise économique ?

O

ikocredit est un investisseur à impact social fondé en 1975 qui promeut le développement durable par ses investissements. L’institution offre des prêts et du capital-investissement en Afrique de l’Ouest depuis 1988 aux entreprises de l’inclusion financière, l’agriculture et les énergies renouvelables.Au 31 décembre 2020,Oikocredit avait 845 millions d’euros investis auprès de 560 partenaires à travers le monde. En 2020, nos partenaires ont dû faire face à des défis financiers causés par la pandémie de Covid-19. Oikocrédit s’est mobilisé pour les soutenir en leur accordant notamment : des reports d’échéance, des

renouvellements de facilités de prêt, de l’assistance technique et la formation,afin qu’ils puissent, également, offrir le même soutien aux personnes qu’ils servent. L’accent a été mis sur l’impact social. À l’horizon d’une sortie de crise proche, il est essentiel de continuer à soutenir le segment de population à faible revenu afin de favoriser une reprise économique effective. Les défis des entreprises se présentent sous forme d’un besoin de liquidités et/ou d’une dégradation de leur capital. En offrant des lignes de financement et capitaux à long terme, Oikocredit permet la relance durable de leur activité, le développement du por-

Yves Komaclo, Directeur d’investissement, Afrique de l’Ouest

Prevost Kla,

Responsable du Capital Investissement, Afrique de l’Ouest

En offrant des lignes de financement et capitaux à long terme, Oikocredit en tant qu’investisseur à impact s’inscrit au cœur de la reprise. tefeuille des institutions financières, la dynamisation des PME, et s’inscrit ainsi au cœur de la reprise.


DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE

TECH

Des startupers africains qui assurent Venus du Sénégal, du Cameroun, du Bénin et du Ghana, ces « disrupteurs » se sont emparés de l’un des plus vieux métiers de la finance pour proposer des services connectés et accessibles. QUENTIN VELLUET

S

i le dynamisme entrepreneurial kényan et sud-africain domine actuellement le secteur de l’assurance connectée, l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest ne sont pas en reste. En témoignent ces quatre portraits d’entrepreneurs que nous avons choisi de mettre en lumière au regard de leur parcours et des solutions qu’ils

proposent dans leur pays d’origine et au-delà. Qu’ils soient motivés par une expérience personnelle, un goût affirmé pour la technologie, ou par ces deux expériences réunies, tous se donnent pour mission de répondre concrètement à des besoins du quotidien en matière de santé, à savoir la facilitation de l’accès aux soins et la couverture des frais qu’ils nécessitent.

Tirer parti des bonnes pratiques des télécoms, comme la définition d’indicateurs de performances, c’est l’idée qu’a eue cet ingénieur sénégalais de 40 ans en créant Assuraf. Formé dans les télécoms en France, Souleymane Gning est de ces personnalités dont la fibre entrepreneuriale prend le dessus sur une progression hiérarchique toute tracée. Après des débuts à SFR, ce titulaire d’un double MBA de HEC et de Darden Business School aux États-Unis décide, en 2003, de rentrer au Sénégal pour diriger Sonatel, pendant trois ans, et assurer le lancement de multiples services à valeur ajoutée (USSD, SMS, plateformes WAP). Suivent plus de dix années à des postes à responsabilité dans plusieurs groupes de télécoms et technologiques, dont l’américain Cisco, l’helvétique Swisscom et le britannique Upstream. Il fonde en 2018 eConnect, son propre cabinet de conseil en télécoms et technologies digitales. C’est dans ce cadre et à la faveur d’un projet dans les assurances qui n’aboutit pas qu’il crée Assuraf, une plateforme de digitalisation de toute la chaîne de valeur du secteur, de la souscription au paiement, en passant par le service client et la déclaration de sinistre. 170

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SEWEDOPROD/ASSURAF

SOULEYMANE GNING ASSURAF (SÉNÉGAL)


DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE

Un parent malade au Cameroun, des coups de fils réguliers de sa famille au pays lui réclamant des fonds pour couvrir les soins, la découverte que ces ressources sont parfois utilisées à d’autres fins, et, au bout, la tragique nouvelle… C’est une perte

personnelle et intime qui a fait basculer Bertrand Nkengne dans le monde de l’assurance en 2018. Avec sa plateforme Izikare, il propose aux diasporas africaines d’assurer leurs proches pour un minimum de 50 centimes d’euros par jour, leur garantissant l’accès à un réseau de 900 praticiens certifiés. Diplômé de l’université de Compiègne, en France, en ingénierie informatique, Bertrand Nkengne est titulaire d’un certificat du Babson College de Boston et a effectué un executive MBA en entrepreneuriat et innovation à HEC Paris. Un temps dirigeant d’une franchise spécialisée dans l’achat-vente d’occasions en banlieue parisienne, il cofonde en 2006 Cyslog, une société de conseil en informatique. Soutenue par BPI France et sa start-up, Izikare est incubée par HEC au sein de la Station F à Paris.

SUSU

IZIKARE

BERTRAND NKENGNE IZIKARE (CAMEROUN)

BOLA BARDET SUSU (BÉNIN)

En septembre 2020, son entreprise a noué un partenariat avec Prudential, poids lourd britannique de l’assurance mondiale, un temps dirigé par Tidjane Thiam, présent au Ghana depuis le rachat en 2013 d’Express Life Insurance. Nelson Korshi Da Seglah, ingénieur ghanéen des systèmes d’information, est le fondateur de Korba, une solution de paiement interopérable créée en 2014, qui vient donc d’ajouter une corde à son arc en proposant une couverture maladie et vie à ses clients.

KORBA

NELSON KORSHI DA SEGLAH KORBA (GHANA)

La Béninoise Bola Bardet s’est, elle aussi, lancée dans l’assurance après la perte d’un proche, faute de compétences et de structures médicales localement adaptées. Créée en 2018, Susu propose – comme Izikare – une couverture santé en Côte d’Ivoire, payée par les membres de la diaspora. Paiement à distance, suivi médical personnalisé, simplification des produits via une application mobile, cette diplômée en télécommunications a su profiter de la digitalisation pour séduire un géant comme Allianz, qui fait partie de ses partenaires. Elle a également effectué un MBA à HEC et pilote ses activités depuis la Station F à Paris.

L’ex-cadre dirigeant de UT Bank, spécialiste de l’e-business, use des ressorts du marketing traditionnel en proposant son nouveau produit comme outil de fidélisation. JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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DOSSIER FINANCE ET ASSURANCE

Tribune Ridha Meftah Associé chargé de l’offre conseil pour le secteur financier en Afrique francophone – EY

« Il est temps de réinventer l’assurance santé ! »

A

vant même l’apparition du Covid-19, pas moins de 53 % des Africains sondés par Afrobarometer déclaraient avoir manqué des soins nécessaires au moins une fois au cours de l’année passée, avec les proportions les plus élevées au Gabon, au Togo, au Niger et en Guinée. Selon l’OMS, la mauvaise santé des Africains a un effet majeur d’aggravation de l’appauvrissement des personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté –  qui représentent 41 % de la population du continent. Avec une concentration de près de 70 % des adultes et 80 % des enfants porteurs du VIH dans le monde, et plus de 30 % des maladies à l’échelle mondiale, l’accès aux soins est un enjeu de taille pour le continent. Le grand challenge des pays africains, encore plus crucial par ces temps de pandémie, est de se doter de stratégies de financement de la santé efficaces, en tenant compte de leurs réalités économiques, sociales et culturelles. Des initiatives ont déjà été prises par différents pays, telles que la mise en place de régimes d’assurance maladie obligatoires. Ces efforts ont à ce jour permis la couverture de 15 % à 30 % de la population africaine, avec un recours à l’assurance spontanée pour le reste de la population non couverte par ce type de régime.

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En parallèle, les gouvernements africains ont mené diverses réflexions autour de l’instauration d’une couverture santé universelle (CSU), permettant de garantir une plus grande dispersion du « risque santé » et, in fine, d’assurer un financement plus équitable et pérenne de la santé en Afrique. De leur côté, les groupes privés du secteur de l’assurance en Afrique sont en train de réajuster leur offre pour mieux répondre à l’émergence des nouveaux besoins en matière d’assurance maladie, notamment dans le cadre d’un partenariat entre public et privé avec les gouvernements du continent. En effet, l’assurance peut offrir une protection sociale à moindre coût à destination des populations ayant des revenus réguliers. Elle peut aussi, à travers des montages financiers spécifiques appuyés par des subventions des États, devenir un moyen de protection abordable pour les populations les plus vulnérables. Dans le but de favoriser le développement de l’assurance santé, l’essor des mutuelles et de la

Elle peut devenir un moyen de protection abordable pour les plus vulnérables.

micro-assurance a permis de créer une offre destinée aux besoins spécifiques de certaines professions ou communautés, telles que les agriculteurs, souvent dans l’informel, qui voyaient jusque-là l’assurance maladie comme une protection réservée à une élite. Le Sénégal est l’un des premiers pays d’Afrique à avoir exploré cette piste en proposant des offres de micro-­assurance ciblées pour couvrir une large frange de sa population.

Étendre la couverture

Grâce aux nouvelles technologies – et à l’émergence du mobile payment –, assureurs et pays africains peuvent promouvoir des systèmes de prépaiement des frais de soins, y compris dans les régions les plus reculées. Toujours en s’appuyant sur le digital, des initiatives ont été lancées pour mobiliser la diaspora africaine, qui mettent à disposition les compétences médicales de ses membres, mais aussi via des contributions solidaires pour l’assurance santé des membres de leurs familles vivant sur le continent. Finalement, pour une Afrique en bonne santé, le secteur de l’assurance a plusieurs bonnes cartes à jouer. Avec les professionnels du secteur, les pays africains sont capables d’instaurer progressivement un financement des soins efficace, innovant et rentable.


Rawbank lance la première salle de marchés aux standards internationaux en RDC Afin de répondre aux besoins et aux attentes de ses clients tant entreprises que personnes privées, Rawbank a investi dans une salle des marchés aux standards internationaux. Dotée de départements intégrés que sont le Front-Office, le Middle-Office et le Back-Office, la salle des marchés de Rawbank peut maintenir servir ses clients en leur offrant les réponses appropriées tant en matière de financement que d'investissements. De nouveaux produits financiers, comme le Commercial Paper, source alternative de financement et d’investissement pour les sociétés en RDC ou des produits de couverture sont maintenant accessibles à tous les clients entreprises de Rawbank grâce à sa salle de marchés. Cette innovation majeure tant pour Rawbank que pour la RDC offre des perspectives telles l'ouverture aux marchés internationaux des capitaux et la possibilité d'offrir aux acteurs actifs en RDC des solutions locales aussi bonnes voire meilleures que celles trouvées à l'international.


Focus Énergie EMPREINTE CARBONE

Transition complexe pour les majors pétrolières Sur le continent, pour limiter leurs émissions de CO2, les géants de l’or noir Total, Eni, BP et Shell ont mis l’accent sur le développement gazier. Mais leurs projets dans le renouvelable et la compensation carbone restent encore modestes. PIERRE-OLIVIER ROUAUD

B

onne nouvelle pour les écologistes, mauvaise pour les pays pétroliers africains qui bénéficient de la manne fiscale et des emplois de l’or noir. Sous pression de l’opinion publique et des régulateurs occidentaux, mais aussi de leurs actionnaires et partenaires financiers, les majors du secteur, surtout européennes – Shell, BP, Total et Eni en premier lieu – ont entamé une mue sans précédent : leur déclin volontaire dans l’extraction de pétrole brut au profit d’énergies plus « vertes ». Le PDG de Shell, Ben van Beurden, vient de l’affirmer : la production de pétrole du groupe néerlando-britannique a atteint son pic en 2019 et décline désormais de 1 % à 2 % par an. Leur but affiché, appuyé par l’Union européenne et le RoyaumeUni, est celui de la « neutralité carbone » à l’horizon 2050. Sans avoir à ce stade d’obligations légales, les majors européennes ont décliné cette cible sur l’ensemble de leurs activités, y compris en y intégrant l’usage final des carburants qu’ils vendent (scope 3), facteur de très loin le plus important en émission carbone. À titre

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d’exemple, les émissions directes de Total se chiffrent à environ 45 millions de tonnes d’équivalent CO2 mais celles liées à la carburation des véhicules sont estimées par le groupe français à 450 millions de tonnes.

Améliorer l’accès à l’énergie

Dans la valse mondiale des émissions de CO2, le continent est pourtant spectateur plus qu’acteur. Il génère 9 % de la production mondiale de pétrole liquide (huiles) – soit 7,2 millions de barils par jour – et 6 % de celle de gaz naturel. Mais il reste un modeste émetteur de gaz à effet de serre : avec 17 % de la population planétaire, l’Afrique ne compte que pour 3 % dans les émissions. Et la moitié de sa production d’or noir est exportée. De fait, en matière d’énergie, pour

Avec 17 % de la population planétaire, l’Afrique ne compte que pour 3 % dans les émissions de gaz à effet de serre.

l’Afrique la priorité des gouvernants est d’abord et avant tout celle de l’amélioration de l’accès à l’énergie : 600 millions de personnes y restent dépourvues d’accès à l’électricité, et le recours massif à la biomasse (charbon de bois) a des effets délétères sur la santé ou l’environnement. Mais cette transition énergétique des majors s’impose, malgré tout, aux États africains. L’enjeu pour eux ne tient pas aux gisements déjà exploités car ceux-là trouveront toujours des investisseurs, quand bien même ils ne seraient plus menés par des majors : au Nigeria, Shell, Total et Eni viennent de céder pour 1,1 milliard de dollars 45 % du champ offshore OML 17 au milliardaire Tony Elumelu. Le risque est celui du ralentissement des développements. Jonathan Evans, directeur des nouveaux projets africains de BP, a ainsi affirmé à la fin de 2020, lors de l’Africa Oil Week, que, du fait de la contrainte carbone, BP lancera désormais très peu de projets d’extraction d’huiles sur le continent Ce mouvement s’affirme d’autant plus que les partenaires financiers occidentaux des majors sont désormais plus réticents à investir dans les


GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES

L’entrée en production rapide, en décembre 2017, deux ans après sa découverte, du mégagisement égyptien de gaz de Zohr illustre la volonté de la major italienne d’augmenter la part de cette énergie fossile - présentée comme « verte » - dans sa production africaine.

grands projets extractifs. Barclays et Crédit Suisse viennent ainsi d’annoncer qu’ils s’abstiendraient de financer en Ouganda et en Tanzanie l’oléoduc EACOP, qui doit permettre l’exploitation des champs du lac Albert par le français Total et le chinois Cnooc. « Les agences de développement et même les bailleurs de fonds multilatéraux sont de plus en plus hésitants à financer des projets dans les énergies fossiles, même le dans le gaz », explique Stéphane His, consultant senior au cabinet d’études français Enerdata. Une politique qui n’est pas du goût de tous. L’avocat camerounais NJ Ayuk, président de l’African Energy Chamber, dénonce la « diabolisation » du secteur et l’attitude « anti-africaine » des gouvernements ou des environnementalistes occidentaux comme Greenpeace. Comme, par exemple, la décision de l’assureur public britannique UKef de ne plus soutenir les projets gaz au Mozambique. Dans ce contexte, comment les majors européennes mettent-elles en musique la réduction de leur empreinte carbone en Afrique ? Outre « l’efficacité opérationnelle »

(réduction des fuites de méthane sur les puits ou fin du torchage, optimisation du forage de puits, réduction de l’empreinte au sol), leur plan tient en trois points : le gaz, les renouvelables, et les projets de compensation carbone basés sur la nature

Une option contestée

En Afrique, si les majors lèvent le pied dans l’huile, elles appuient à fond sur le gaz. Par dizaine de milliards de dollars. « Sur le plan mondial, le basculement des majors est en marche. La plupart tirent souvent déjà la moitié de leurs revenus du gaz », indique Stéphane His. La justification est connue : le gaz, s’il se substitue au charbon (37 % de l’électricité mondiale en 2019) pour produire des électrons, réduit les émissions de CO2 de moitié. C’est « l’énergie de transition », vantée par Patrick Pouyanné, patron de Total. Une vision fortement contestée par les ONG environnementalistes qui rappellent que la production de gaz reste polluante et émettrice de CO2… et qu’il n’est pas une énergie renouvelable. Sur le continent, à côté des pays établis dans la filière gazière

comme l’Algérie, les majors se sont implantées dans de nouveaux pays de production où des découvertes majeures ont été faites. En Égypte, Eni, avec son champ géant Zohr, a changé la donne énergétique du pays. Le Mozambique compte pour sa part trois méga­projets totalisant plus de 55 milliards de dollars d’investissements prévus. Les deux plus importants sont Mozambique LNG, porté par Total, qui a déjà validé sa décision finale d’investissement – en dépit d’une situation géopolitique risquée sur le plan local – ; et Rovuma LNG, piloté par Eni avec le soutien d’ExxonMobil, toujours en attente du feu vert final. En Afrique de l’Ouest, Shell (25 % des parts) et Total (15 %) conduisent au Nigeria, avec le groupe semi-­ public NLNG, 4 milliards de dollars d’investissement dans un septième train de liquéfaction sur Bonny Island. Au Sénégal et en Mauritanie, le gisement offshore Grand Tortue Ahmeyim (GTA), porté par BP, associé au découvreur Kosmos, devrait produire ses premiers pieds cubes de gaz en 2023 et bouleverser l’économie de ces pays. Enfin, en Angola, JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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FOCUS ÉNERGIE Chevron Eni (opérateur), Total et BP, avec Sonangol conduisent un projet de gaz naturel liquéfié (GNL) intégré à Soyo et cumulant 12 milliards de dollars. Si l’équation gazière repose surtout sur l’exportation de GNL vers les pays développés ou les grands pays émergents (comme la Chine, par exemple), elle se combine aussi avec des projets d’électrification locale (« gas-topower »). C’est le cas au Mozambique ou encore au Sénégal, avec le projet GTA, qui doit alimenter plusieurs centrales électriques. Au Ghana, Shell vient de son côté d’investir dans le terminal Tema LNG, qui, ces prochaines semaines, va faire de ce pays le tout premier au sud du Sahara à importer de GNL. Total compte faire de même en Côte d’Ivoire et au Bénin. En Angola, le futur terminal de Soyo alimentera une centrale électrique de 750 MW. Le second levier pour les majors, ce sont les énergies renouvelables, principalement le solaire et l’éolien. Dans le monde, Total prévoit d’y investir 60 milliards de dollars d’ici à dix ans et vise 100 GW de capacité. C’est l’équivalent de 322 parcs éoliens du lac Turkana, au Kenya, pourtant le plus grand d’Afrique, qui doit être à pleine capacité en 2030. BP cible 30 GW à même échéance. Shell a, quant à lui, promis d’engager entre 2 et 3 milliards de dollars par an sur le plan mondial.

Un puits de carbone au Congo pour Total

L

d’essences locales et l’approvisionnement de Brazzaville et de Kinshasa en bois scié et contreplaqué.

Des partenaires reconnus

Selon le patron Afrique subsaharienne de Total E&P, Nicolas Terraz, il s’agit du premier projet du genre sur le continent pour le groupe français qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. Ses performances écologiques seront certifiées par des auditeurs indépendants sous les standards VCS (Verified Carbon Standard) et CCB (Climate Community and Biodiversity). « Nous souhaitons développer ces projets aux côtés de partenaires reconnus, comme FRM, dont nous avons beaucoup à apprendre, et en dialogue avec les territoires, afin d’ancrer notre engagement dans le temps long et de contribuer au développement local », a fait valoir Adrien Henry, directeur de la branche Nature Based Solutions chez Total, à l’annonce du lancement du projet, le 16 mars 2021. Christophe Le Bec

Mauvaise volonté ?

DESIREY MINKOH/AFP

e pétrolier Total et le bureau d’études spécialisé français Forêt Ressources Management, piloté par Bernard Cassagne, ont signé avec le Congo Brazzaville un partenariat pour la plantation d’une nouvelle forêt de 40 000 hectares sur les plateaux Batéké. Elle doit constituer un puits de carbone d’environ 13 millions de tonnes de CO2 séquestrées sur vingt ans. La plantation d’acacias sur ces plateaux sableux situés à quelque 200 km au nord de la capitale du pays, à proximité de la rivière Léfini et du fleuve Congo, devrait créer un environnement forestier plus résistant aux feux de brousse et accroître la biodiversité. L’opération, financée intégralement par Total – autour de 230 millions de dollars sur la durée du projet –, inclut des cultures agroforestières développées avec les populations locales pour des productions agricoles et de bois énergie durable. À l’horizon 2040, l’exploitation responsable, en futaie jardinée, doit permettre la régénération naturelle

La plantation sur les plateaux Batéké permettrait de séquestrer 13 millions de tonnes de CO2.

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Mais, pour l’instant, contrairement au gaz, l’investissement des majors dans le renouvelable sur le continent reste cosmétique. Si Eni promet des projets solaires en Égypte ou en Angola (Solenova, avec Sonangol), elle n’affiche à ce stade que des petites centrales photovoltaïques en Tunisie, en Algérie et en Angola pour moins de 40 MWc. Un peu plus allant, Total opère dans le solaire par différentes filiales dont Total Eren et la société américaine Sunpower qui a notamment porté la centrale sud-africaine Prieska (86 MWc). Après l’Ouganda, en 2016 (10 MWc à Soroti), Total Eren a, à la mi-2019, mis en service en Égypte, près d’Assouan, un parc photo­voltaïque de 126 MWc. Le groupe vient aussi de s’engager avec Greentech pour construire une


LAURENT ZYLBERMAN/GRAPHIX IMAGES/TOTAL

FOCUS ÉNERGIE

La centrale solaire de Prieska, de Total, en Afrique du Sud.

centrale solaire de 35 MWc en Angola. Il a également développé des projets à visée industrielle, comme pour la mine d’or d’Iamgold Essakane, au Burkina Faso (15 MWc). Shell est quant à lui quasiment absent de l’Afrique en tant que meneur de projets dans le renouvelable, tout comme BP, en dépit notamment de son association en 2018 en Égypte avec Hassan Allam Utilities. « Les grandes compagnies ont une approche mondiale du carbone et concentrent leurs efforts liés à la transition sur les pays développés et grand émergents. En raison de la structure

de ces économies et de leur mix énergétique, l’impact y est plus rapide et plus massif qu’en Afrique », constate Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South, à Rabat, et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques. Mauvaise volonté ou pas ? Plusieurs raisons connues à ce retard, dont la lenteur dans le montage des projets ou encore le déficit d’inter­connexions électriques. À cela s’ajoutent d’autres problèmes comme le risque cyclonique pour l’éolien en zone tropicale, l’absence, dans bien des pays, de

cadre législatif, ou encore l’ambiguïté des droits fonciers et coutumiers : le Kenya bute sur ce type de difficultés.

Rattraper les retards

Les pétroliers habitués au gigantisme sont mal outillés pour multiplier les petits projets, les microréseaux ou l’énergie solaire à la carte façon M-Kopa, un segment pourtant très dynamique. « Le futur de l’électrification en Afrique passe en partie par la production décentralisée renouvelable. Mais les majors restent encore peu présentes sur ce créneau », note Stéphane His.


FOCUS ÉNERGIE Pour accélérer, les compagnies cherchent des partenariats. Shell vient d’apporter, à travers sa fondation, 45 millions de dollars de dons à une initiative sur la micro-électrification en Afrique soutenue par l’agence américaine DFC. En 2019, le groupe avait, avec Sumitomo, pris 15 % dans Powergen, un développeur kényan de microréseaux. Total a, quant à lui, créé la société Tates, sur la problématique « d’accès à l’énergie », en développant des projets pilotes, notamment en Ouganda, et soutenant des start-up en Afrique de l’est.

degradation). Cette initiative des Nations unies s’appuie sur une méthodologie stricte et des certificateurs indépendants, comme l’américain Verra (VCS). Total a créé une filière – Nature based solutions – vouée à investir dans ces puits natu-

Shell vient d’apporter 45 millions de dollars de dons à une initiative sur la micro-électrification du continent.

Reforestation

Le troisième levier pour les majors tient aux solutions « à impact CO2 négatif » (puits de carbone) venant compenser les émissions résultant de leurs activités. En Afrique, leurs efforts se concentrent sur les projets forestiers, notamment dans le cadre REDD+ (reducing emissions from deforestation and forest

rels. Dotée de 100 millions de dollars par an depuis 2020, elle vise à capter, d’ici à 2030, 5 millions de tonnes de CO2 par an. L’entreprise vient de s’engager en ce sens au Congo (lire p. 176). Shell conduit ses plus gros projets en Asie (en Indonésie, notamment),

COMMUNIQUÉ

mais participe à des projets de reforestation au Ghana et au Kenya. Pour sa part, Eni s’est lancé, en Zambie, dans le soutien au projet REDD+, Luangwa Community Forest Project, qui vise à capter 1,5 million de tonnes de CO2. Le groupe promet d’autres partenariats au Mozambique, au Ghana, au Congo, en RD Congo ou en Angola ces prochaines années. La route vers la transition énergétique des majors européennes sera encore longue. Petite consolation pour leurs dirigeants, les géants américains Exxon et Chevron – moins présents que les Européens sur le continent et peu convaincus par les risques liés au changement climatique – ou les chinois Cnooc et Sinopec sont bien plus à la traîne. Quant aux compagnies nationales africaines, elles ne sont clairement pas dans cette optique de transition énergétique, leur but étant d’optimiser l’exploitation des ressources en hydrocarbures, dont elles détiennent une bonne part des réserves sur le continent.

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Pas de transition énergétique en Afrique sans flexibilité Gérons efficacement l’intermittence des renouvelables Il n’est plus contestable que les énergies renouvelables constitueront la base de la production d’électricité dans le futur. Cette transition s’opère à travers l’Afrique et va s’accélérer avec la chute déjà constatée des prix du kilowatt-heure renouvelable. Cependant, les énergies renouvelables sont intermittentes et génèrent de l’instabilité sur les réseaux électriques, posant d’énormes

difficultés aux opérateurs. Pour parer à cela, les capacités de production non flexibles (typiquement les centrales au charbon), devront être remplacées par des moyens de production beaucoup plus flexibles. Nous devrons ainsi compter sur un mix de solutions de stockage d’énergie et de technologies à base de moteurs pour nous adapter aux excès ou déficits soudains de production re-

nouvelable et satisfaire les pics de demande. L’optimisation des mix énergétiques est LA priorité Encore plus aujourd’hui qu’avant, le prix de production d’un kWh n’est optimisé qu’en combinant les différentes technologies pour les meilleures performances, le moins de risques d’interruption, quelle que soit l’évolution de la consommation.

Introduire une forte part de flexibilité dans notre production électrique n’est pas une option.

Marc Thiriet Directeur Afrique de l’Ouest

C’est pourquoi introduire une forte part de flexibilité dans notre production électrique n’est pas une option si nous voulons faire la part belle au renouvelable : sans flexibilité, la révolution énergétique n’aura pas lieu.


FOCUS ÉNERGIE

STRATÉGIE

Dakar et Nouakchott cherchent le mix gagnant Les deux pays voisins, qui bénéficient à la fois de gigantesques réserves gazières et d’un fort potentiel solaire et éolien, élaborent des feuilles de route similaires pour accélérer l’électrification et en baisser le coût. ALAIN FAUJAS

A

vril 2015 : la junior texane Kosmos Energy annonce la découverte d’un gigantesque réservoir de gaz baptisé Grand Tortue Ahmeyim (GTA) à 125 km au large des côtes sénégalaises et m ­ auritaniennes. Pile sur la frontière maritime entre les deux pays, les obligeant à partager avec les exploitants BP et Kosmos les 425 milliards de mètres cubes de gaz et le pactole des ventes, estimé à une centaine de milliards de dollars sur plus de vingt ans. Les explorations suivantes font apparaître de nouveaux puits. Dans les eaux mauritaniennes, c’est le bloc de Bir Allah qui laisse espérer 50 % de gaz supplémentaire. Dans les eaux sénégalaises, le bassin gazier de Yakaar-Téranga s’avère lui aussi de taille mondiale. Cerise sur le gâteau, l’importance du champ mi-pétrolier mi-gazier de Sangomar est mise en évidence, cette fois par les australiens Woodside et FAR. Les retombées de l’exploitation de ces gisements provoqueront des révolutions dans les budgets, dans les ­économies et dans le développement des deux pays. Il leur faut se préparer

– à partir de 2023, en p ­ rincipe – à l’arrivée de recettes budgétaires accrues, d’une électricité plus abondante et moins chère, d’une énergie plus propre et de nouvelles possibilités d’activités manufacturières. En ce moment même, les deux gouvernements finalisent leurs stratégies ­énergétiques respectives pour tirer le meilleur de cette manne annoncée. Le Sénégal semble bien avancé dans sa réflexion. « Notre pays va bientôt entrer dans le cercle restreint des pays producteurs d’hydrocarbures », a annoncé Mamadou Fall Kane, secrétaire permanent adjoint du Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (COS-Pétrogaz), lors d’un webinaire organisé le 7 avril par Business France. « Une partie sera monétisée par l’exportation et apportera des recettes qui seront utilisées pour financer les infrastructures, l’éducation, la santé dont notre pays a grand besoin. Le reste sera consacré à une approche de la demande intérieure. » Chaque jour viendront de GTA 35 millions de pieds cubes, ­complétés ensuite par la totalité de la production de Yakaar-Téranga, et seront consacrés au marché domestique. Objectif

numéro un : atteindre l’accès à l’électricité pour tous en 2025, alors que le pourcentage des personnes y ayant accès s’élève à 65 %. Pour ce faire, poursuit Mamadou Fall Kane, « il nous faut atteindre une puissance installée de 1 000 MW cette année-là, et notre entreprise publique d’électricité Senelec devra convertir au gaz ses centrales au fuel d’ici à 2023 ». Le 31 mars, la première pierre de la future centrale à gaz du Cap des Biches a été posée. Exploitée par le consortium West African Energy, dont la Senelec est actionnaire à 15 %, elle aura une capacité de 300 MW et coûtera 220 milliards de F CFA (335 millions d’euros). Elle sera livrée en juin 2022 et abaissera les coûts de production de 40 %. La raffinerie de Mbao, exploitée par la Société africaine de raffinage, sera mise à niveau par Technip pour pouvoir traiter de façon optimale le brut extrait du champ de Sangomar. Les ambitions sénégalaises dans le solaire et l’éolien sont également majeures, avec déjà une belle progression. En quelques années, les énergies renouvelables sont passées de 0 à 220 MW grâce à une dizaine de centrales photovoltaïques et à la centrale éolienne de Taïba Ndiaye, d’une puissance de 50 MW. L’objectif est d’atteindre 386 MW et 30 % de la production totale d’électricité.

Expansion et compétitivité

Le Sénégal n’entend pas s’arrêter là. « Avec un gaz moins cher grâce à une plus grande consommation, nous en aurons assez pour couvrir les besoins des investissements importants que nous espérons dans le domaine minier par exemple, déclare Mamadou Fall Kane. Cela devrait booster l’exploitation et la transformation des phosphates, de l’or, du fer, du zircon et de la bauxite de la sous-région. Par exemple, la Guinée expédie sa bauxite aux Émirats pour qu’elle y soit transformée. Nous pourrions devenir aussi compétitifs que les Émirats. » La Mauritanie suit le même chemin que son voisin, avec lequel elle partage à égalité le champ de GTA. L’arrivée, en 2023, du même quota de gaz (35 millions de pieds cubes) qu’au Sénégal accélère la réflexion JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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BP

FOCUS ÉNERGIE

La future unité flottante Grand Tortue Ahmeyim, située sur la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie.

à Nouakchott, où l’on veut aboutir à l’accès à l’électricité pour tous en 2030, objectif qui sera difficile à atteindre compte tenu des grandes distances entre les centrales et les zones ­reculées, où le taux d’accès est à peine de 3 %. « La production de la première phase de GTA sera intégralement consacrée à la génération d’électricité à usage domestique, explique Moustapha Béchir, directeur des hydrocarbures au ministère du Pétrole, de l’Énergie et des Mines. Actuellement, nous disposons de la centrale hybride de Nouakchott d’une puissance de 180 millions de MW. Nous étudions deux options : relier GTA à celle-ci ou bien à une nouvelle centrale à cycle ­combiné de 250 millions de MW dans la région de Ndiago. » Une ligne à haute tension sera mise en service entre Nouakchott et Nouadhibou d’ici à la fin de l’année. La construction d’une autre ligne vers le centre minier de Zouérate devrait bientôt débuter. Une troisième vers Néma est en cours d’étude. « Nous avons un potentiel énorme en matière de solaire et d’éolien, poursuit Mamadou Fall Béchir. Mais le pourcentage de notre énergie renouvelable devra être déterminé en fonction de la stabilité de notre réseau.

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Notre vision est de nous appuyer au maximum sur le gaz afin de diminuer notre consommation de fuel dans la mesure du possible. Vers la fin de cette année, nous devrions arrêter notre plan directeur de l’électricité, ainsi que notre schéma d’exploitation. Nous déciderons alors si l’activité production de notre entreprise publique Somelec doit être séparée de son activité de distribution. » Les deux États n’ont donc pas fini de revoir de fond en comble leurs arsenaux juridiques, leurs codes gazier et électrique, leur organisation de production, de commercialisation et de distribution énergétique. « Pour le Sénégal, c’est un grand chamboulement, analyse Florent Germain, responsable de l’équipe Projets énergie à l’Agence française de développement (AFD) et spécialiste du pays. Il n’y aura pas de grands problèmes techniques à substituer le

« La Mauritanie mène une politique énergétique identique à celle du Sénégal : moins de fuel et plus de renouvelable. »

gaz au fuel. Ils tenteront de m ­ aintenir le mix à 30 % d’énergies ­renouvelables en faisant croître ces dernières au même rythme que le gaz. Cela leur permettra de répondre à la formidable croissance de la demande, à deux chiffres chaque année. Profitant de la baisse du prix de l’énergie, le gaz étant moins cher que le fioul, ils pourront réduire les subventions à la Senelec. »

Balance commerciale allégée

La problématique de la Mauritanie est comparable. « Elle mène une politique énergétique identique à celle du Sénégal : moins de fuel et plus de renouvelable, complète Mohamed Lemine, de la même équipe à l’AFD, qui ne participe pas au financement de ces projets. Une part de 70 % à 80 % de leur production électrique vient du fuel, soit un tiers des importations du pays. La balance commerciale s’en trouvera allégée. Le gaz contribuera aussi à diminuer la pression sur l’environnement en réduisant le recours au charbon de bois. » Reste le déficit de moyens financiers des deux pays. Ils commencent à peaufiner leurs réglementations sur le partenariat public-privé pour, notamment, séduire les investisseurs étrangers.


PERENCO,

MESSAGE

UNE STRATEGIE GAZIERE EN AFRIQUE Depuis plus de 20 ans Perenco est un acteur majeur de la production de gaz naturel qui constitue aujourd’hui un tiers de sa production totale. Le gaz de Perenco représente une contribution significative pour l’ensemble du continent africain. Il génère de l’électricité pour le développement des industries locales et soutient la production tout en fournissant à des millions de foyers une énergie plus fiable, plus propre pour cuisiner, se chauffer mais également comme carburant, à plus faibles émissions.

LEADER INTERNATIONAL DU PÉTROLE ET DU GAZ Perenco est présent dans 5 pays africains (Cameroun, Congo, Gabon, RDC et Tunisie), mais également en Europe, en Amérique Centrale et du Sud et en Asie du Sud-Est. Fondé en 1975 par Hubert Perrodo, Perenco s’est régulièrement développé grâce à ses opérations de forage, de développement et d’acquisitions. Spécialisé dans l’exploitation des champs matures et marginaux, Perenco produit aujourd’hui 465 000 boepd et emploie plus de 6000 personnes à travers le monde.

UNE CONTRIBUTION DURABLE Grâce à sa vision long terme, Perenco continue d’apporter une contribution positive et durable à ses pays partenaires, basée sur l’écoute de leurs besoins et ainsi faire partie de leur solution énergétique. Au Gabon, Perenco est le seul fournisseur de gaz commercial depuis 2006, produisant 50mmscfd qui assurent les besoins en gaz des centrales thermiques de Port-Gentil et de Libreville. En Tunisie, le Groupe génère plus de 30mmscfd pour produire de l’électricité et du Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Au Cameroun, sa production de 30mmscfd produit 250MW à Kribi et permettra le développement industriel de la zone. Au Cameroun encore, Perenco a réalisé avec succès l’installation et la mise en production de la première usine de GNL flottante, ce qui eut un impact positif pour le pays avec la production de 30 000 tonnes de GPL réduisant ainsi ses importations de près de 40%. En RDC, 3MW sont fournis à la ville de Muanda grâce à un mélange de kWh et de gaz naturel. INVESTIR DANS LE FUTUR Perenco rend disponible une ressource naturelle locale, afin d’accompagner la croissance et le développement des pays au sein desquels il est implanté. Perenco travaille main dans la main avec toutes ces nations afin de les aider à équilibrer les besoins énergétiques nécessaires à leur développement économique avec leurs objectifs en matière de transition énergétique. Ainsi, le Groupe continue de travailler sur de nombreux projets innovants autour du gaz dans chacun des pays où il est présent, au travers de projets d’alimentation en gaz pour les centrales thermiques générant de l’électricité, de développement des industries locales, de production de gaz domestique et de conversion de voitures au Gaz Naturel Comprimé (GNC). Quand cela est possible ou nécessaire, ces projets sont complétés par la production de Gaz Naturel Liquéfié.


CULTURE SHIRIN NESHAT/COURTESY NOIRMONT ART PRODUCTION.

Ask My Heart, Looking for Oum Kulthum, par la photographe Shirin Neshat.

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EXPOSITION

L’âge d’or des femmes arabes Des années 1920 aux années 1970, le monde arabe voit les femmes apparaître sur les pochettes de disque, écrire dans les journaux, prendre possession de leur image et de leur vie. « Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida », organisée à l’IMA, raconte cette période faste. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

JANE ROUSSEL

P

Pénétrer l’exposition « Divas », à l’Institut du monde arabe (IMA), c’est débarquer dans les rues du Caire, au cœur des années 1920. Images d’archives, vidéos d’époque, radio en fond, le visiteur plonge dans ce qui est alors l’une des villes les plus importantes du pourtour méditerranéen. « Elle accueille de grands bouleversements, tant dans les rues que dans les salons. Dans ces deux espaces publics et privés, on entre en ébullition, et on réfléchit à une question cruciale : peut-on être arabe et moderne ? » introduit Élodie Bouffard, commissaire de l’exposition qui devrait ouvrir ses portes

(espère-t-on fermement dans les couloirs de l’Institut) en mai 2021. Au cœur de cette réflexion, la place des femmes. Ces dernières jouent un rôle inédit dans l’histoire des mondes arabes, elles prennent position, se mettent à écrire dans les journaux, s’imposent dans une industrie culturelle en remaniement total. D’hier à aujourd’hui, historiens et archives racontent le combat des féministes au fil des salles. En 1906 et pour la première fois, la voix d’une femme est enregistrée sur disque. Il s’agit de Mounira al-Mahdiyya. En quelques années, la collection de « premières fois » des femmes s’agrandit. En 1919, Hoda Chaaraoui, fille de pacha, fait manifester les femmes pour la première fois. En 1923, elle crée la première internationale féministe (l’Union féministe égyptienne), et se dévoile en pleine rue, sous l’acclamation du public. Dévoilement des cheveux, mais aussi du corps, avec Badia Massabni, chrétienne syrienne, qui invente le premier cabaret oriental, sur le modèle de ceux existant déjà au Caire et réservés aux Européens. Elle ouvre le Badia et invente la danse orientale, basée sur un mélange de baladi et de french cancan. Perles, strass et ventres dénudés sont alors

accessibles aux femmes arabes, dans ce milieu tout du moins. « Les danseuses, notamment Samia Gamal et Tahiya Carioca, qui ont débuté chez Badia Massabni avant de devenir des stars du cinéma, ont représenté la liberté par l’émancipation du corps », illustre l’historienne et réalisatrice Feriel Ben Mahmoud.

Activiste de la plume

Dans le même temps, la littérature et la presse sont elles aussi devenues le terrain de jeu des femmes. May Ziadé, véritable activiste de la plume, reçoit dans son salon et discute de politique, de vie sociale, de modernité et d’anticolonialisme en rédigeant des articles de journaux. Ces derniers sont notamment publiés par Rose El Youssef, première magnat de la presse, à l’origine d’un journal féministe à son nom, qui devient une référence absolue en matière de culture en Égypte et tout autour. Bref, des années 1920 aux années 1940, sous l’impulsion de ces pionnières qui s’affichent et se dévoilent, se tisse une véritable toile d’araignée militante féministe. Ces femmes sont classées dans la catégorie des « oubliées » du grand public. Elles défrichent un terrain historiquement patriarcal,

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POUR TOUT COMPRENDRE DE L’ÉVOLUTION D’UN PAYS

GRAND FORMAT GUINÉE ENJEUX p. 196 | ÉCONOMIE p. 214 | SOCIÉTÉ p. 245

CELLOU BINANI / AFP

Alpha, acte III Après une année 2020 tendue, le président Alpha Condé a placé son troisième mandat sous le signe d’un nouveau mode de gouvernance, dans tous les domaines. De quoi apaiser le climat politique et social. JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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Post-Scriptum Téguia Bogni Chercheur camerounais au Centre national d’éducation, à Yaoundé

L’escalope de la discorde

parti, les gens l’ont transporté dans d’autres pays, peu importe. Le pays où tu vas, ils font du kilichi, c’est des Nigériens, c’est des Haoussas qui partent là-bas, qui l’apportent là-bas avec eux. » Selon l’entendement de cette dame, les kilichi faits au Cameroun, au Nigeria et au Tchad, par exemple, seraient l’œuvre exclusive des Nigériens haoussas. À bien y regarder, ces propos sont problématiques à plus d’un titre. Car tous les Haoussas présents dans d’autres pays que le Niger ne sont pas forcément des Nigériens. Et le fait qu’ils se retrouvent dans autant de pays est consécutif à l’établissement de frontières nationales après les indépendances. Alors, comment le kilichi pourrait-il appartenir à un seul pays plutôt qu’à l’ethnie haoussa, laquelle est par ailleurs transnationale ?

Appropriation culinaire

L

e kilichi est une très fine escalope de viande séchée, marinée, encore séchée et enfin grillée au feu de bois. Généralement fait à base de viande de bœuf, de chèvre, de dromadaire et d’une marinade composée de pâte d’arachide et d’épices, ce mets est une spécialité culinaire du peuple haoussa. Les Haoussas sont un peuple d’Afrique centrale que l’on retrouve principalement au Nigeria et au Niger. Leurs qualités de grands commerçants se déplaçant sur de longues distances ont conduit à la dissémination, au long des siècles, d’importantes communautés au Cameroun, au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Soudan, au Togo, au Burkina Faso, au Gabon, au Bénin et au Ghana. Cette dispersion de part et d’autre de l’Afrique a fortement contribué à faire du haoussa l’une des langues véhiculaires les plus utilisées sur le continent, selon l’Atlas des peuples, édition 2018. Le mot kilichi vient de l’arabe qulūs, le pluriel de qals, qui signifie « câble » ou « corde ». On peut faire un rapprochement avec le khlii, un en-cas de viande qu’on retrouve au Maroc. La piste d’une influence arabe est donc envisagée. Par

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ailleurs, plusieurs autres produits carnés de la gastronomie camerounaise, tels le marara, le soya, le siré ou encore le siré bakourou, viennent de la culture et de la langue haoussas. En effet, les Haoussas sont reconnus pour être d’excellents bouchers depuis plusieurs générations ; ils sont d’ailleurs au cœur de la gestion d’un grand nombre d’abattoirs.

Rivalités latentes

Si la cuisine peut apaiser les tensions, force est de constater que cette escalope d’exception est au cœur de rivalités latentes. En effet, Canal+ Afrique a diffusé le 16 mars 2021 l’émission Rendez-vous : street food à Niamey. On peut y voir, lors d’une séquence sur le kilichi, le chef Raoul Coly dire ou demander à son interlocutrice : « Et le kilichi, en fait, on le trouve qu’ici au Niger ? » Ce à quoi celle-ci répond : « Le savoirfaire vient du Niger. Même si c’est

Comment le kilichi appartiendrait-il à un pays plutôt qu’à l’ethnie haoussa ?

Y a-t-il une volonté du Niger de revendiquer l’appellation « kilichi » ? Visiblement, oui. Puisque Niamey cherche à obtenir une Indication géographique protégée (IGP) dénommée « Kilichi du Niger » auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi). Cette initiative fait suite à un atelier sur les indications géographiques, tenu les 27 et 28 décembre 2019 à Niamey. Au vu des enjeux identitaires et économiques que revêt ce feuillet d’escalope, le Cameroun s’est lui aussi positionné avec l’inscription du kilichi, par arrêté ministériel le 21 février 2020, comme élément culturel immatériel au patrimoine national. La prochaine étape est à coup sûr son inscription sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’Unesco. En 2016, la création du label « kilichi de Ngaoundéré » avait déjà été évoquée. Seule la reconnaissance transnationale de ce produit carné aux différentes communautés haoussas peut permettre de désamorcer le conflit d’appropriation culinaire qui pointe à l’horizon. Par ailleurs, l’organisation d’un concours international pourrait contribuer à valoriser le kilichi et, par prolongement, à rapprocher le grand peuple haoussa.


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