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Partis pris
from JA3108 JANVIER
Aïda N’Diaye
Enseignante, auteureetphilosophe française De quoimon prénom est-illenom?
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Jem’appelleAïda. On me demandesouvent :« Comme l’opéra? »Absolument pas. Monprénom estlediminutif d’Aïssatou, portépar l’une des sœursdemon père,décédéedans sonenfance.C’est un prénom d’Afrique,qui me rattache à monhistoirefamiliale, celle de monpère, qui quitta leSénégal pour la France où mesfrèreset moiavons vécu et grandi, et non une référence àcettepratiqueô combien marquéesocialement qu’est la fréquentation de l’opéra…
Pourtant j’aimebien ce lien avec l’œuvredeVerdi, qui n’est pas si erroné puisque l’héroïne estelle-même d’origine africaine. C’estdirelapuissanced’évocation d’un prénom qui résonneennous de plus d’une manière.
Uneétude sociologique parue en 2021, L’Épreuvedeladiscrimination,montrecomment les parentspeuvent choisir pour leurenfantunprénom dont la consonance «passebien »afin qu’il ne subisse pasdediscriminations fondées sur l’originequ’on pourraitsupposerenseréférant àceseul prénom. Lestravaux du sociologue Baptiste Coulmont ont montré, depuis plusieurs années déjà, la corrélation quipouvait êtreétablieentre le prénom des candidatsaubaccalauréat et la mention qu’ils obtiennent à l’examen :25% de mentiontrès bien chez lesGarance,18 %chez lesThéophile, contre2%chezles Ryan et lesSteven.
Faut-il en conclure que le prénomnous assigne àundestin social?Doit-onendéduireque le prénomn’est jamais que le reflet de l’identitésociale ou culturelle que lesparentstransmettent à leursenfants? En faisant de son changement d’état civil l’une
desétapes fondamentalesde sonascension sociale,Eddy Bellegueule devenu Édouard Louis semblenerien dired’autre.
Mais n’est-ce pas un peu réducteur?Comment direde quoi le prénomest le nom?Dans Rire,lephilosophe Henri Bergson livreune analysecritique de la platitude desnomscommuns.Ils ne sont que des«étiquettes posées sur leschoses »etn’endénotent que l’aspectleplus banal, puisqu’il s’agitd’êtrecompris de tous afin de communiquerefficacement. Le langage courant nous coupe de notreintérioritéaux «mille nuancesfugitives»que seuls les romanciers et lespoètessavent restituer avec desmots.Mais ce qui estvraides noms communsne s’applique pasaux noms propres. En choisissant le prénom de notre enfant, nous ne faisonspas que lui apposerune étiquettequi l’enfermerait.
Nommerunenfant estunactepoétiqueet créatif,fondamentalementlibreetquidoit lerester.
«Mille résonances »
Là où j’entends le prénom d’une grand-mère, un autreentendra celui d’un personnagederoman. Là où je penseàungrand sportif, une autrepenseraàunancien amour. Si lesmots sont réducteursdans leur usagecourant, en revanche, dans la poésie ou le roman, ils sont dotés, nousdit Bergson, d’une réelle puissance évocatrice :que je prononce «azur» ou «désert », c’esttout un imaginairequi se meten mouvement.Cette puissance est décuplée parleprénom, porteur de «mille résonances profondes».
Comment démêler ce qui, dans un prénom, renvoieà l’histoire, àlalittérature,àlareligionouà la famille?Comment peut-on penser àdessaisirles parentsde cet acte si intimequi consiste ànommer l’êtrequ’ils mettent au monde?Loin de l’assigner à une identité liée au passé,nous l’inscrivons certesdansune filiation –comment pourrait-il en êtreautrement? –, mais surtout nous ouvrons sondestinetrêvons de sonexistence àvenir,etc’est tout l’imaginairedelavie de notre enfant qui vibreennotre esprit. Nommer un enfant n’estpas un gested’assignation ou de revendication identitaires mais un acte poétique et créatif,fondamentalement libreetqui doitlerester.