GUINEE 2008

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50ans

JEUNE AFRIQUE - SPÉCIAL - N°1

GUINÉE 1958-2008

www.jeuneafrique.com

SPÉCIAL N°1

Guinée

1958-2008

FEMMES « Jamais sans les hommes »

INDÉPENDANCE Dr Sékou et Mr Touré

ÉCONOMIE Enfin le bout du tunnel ?

DIASPORA Des Guinéens à part entière

LANSANA CONTÉ Vie et mort d’un soldat-paysan

MINES Nouvel eldorado

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• Plus de 200,000m de forages effectués sur 1200 sites. • 40 millions de dollars investis dans des infrastructures et programmes, contribuant au développement durable des communautés voisines.

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50 ans

GUINÉE 1958-2008


ARCHIVES J.A.

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


ÉDITORIAL

Le pont de Nzérékoré

L

Par FRANÇOIS SOUDAN

a photo ci-contre, prise peu avant l’indépendance, est symbolique. Un Sékou Touré encore jeune, chapeau mou et costume croisé, sourire charmeur et allure svelte, franchit le pont de lianes de Nzérékoré, en Guinée forestière. À l’époque où tous les rêves étaient permis, l’impression qui s’en dégage est celle de l’Histoire en marche, animée d’une force joyeuse. Quel destin attend la Guinée sur l’autre rive? Un demi-siècle plus tard, la réponse oscille entre espoir et désespoir. Un immense gâchis, à la mesure de ressources tout aussi impressionnantes. Ce pays en réalité ne s’est jamais remis des vingt-six années du règne absolu d’Ahmed Sékou Touré. Tout ou presque procède de là. L’isolement total dans lequel la France gaullienne l’avait plongé permit au héros nationaliste de se muer en dictateur absolu, en chef de réseau à la tête d’un clan familial s’arrogeant l’intégralité des ressources de l’État. De plus en plus délirante, la logorrhée révolutionnaire lui servit à s’émanciper de toute velléité de contrôle et à jeter dans la mêlée une bande vorace et impitoyable de demi-frères, demisœurs, cousins, neveux et épouse. De complot en complot, toute opposition au premier cercle du pouvoir disparut progressivement et la vie politique guinéenne se limita bientôt à une lutte à mort, savamment régulée par le chef de l’État et qui se déroulait jusque dans l’enceinte du camp Boiro par l’obtention d’aveux destinés à éliminer tel ou tel concurrent. DANS UN CONTEXTE de stagnation économique et de pénuries généralisées, Sékou Touré poussait très loin la surveillance personnelle de ce qui tenait lieu d’élite. Il connaissait chaque cas d’enrichissement, décidait lui-même de la répartition des revenus et des devises de la Banque centrale. La réponse des Guinéens à ce mélange d’incurie et d’arbitraire fut ce que l’on sait: la désertion. Désertion des institutions, ramenant l’État et son administration à une simple machine répressive. Et désertion de l’espace: la quasi-totalité des professionnels que comptait le pays choisit l’exil, réduisant à néant les capacités productives et inventives de la Guinée. Comment renaître avec un tel héritage? À la mort de Sékou, en 1984, l’incapacité de ses héritiers à s’entendre ouvrit la voie à une intervention de l’armée peu après les funérailles. La saga des Touré, des Keita et de leurs affidés s’acheva quelques mois plus tard par leur massacre en prison. Fin du monopole mafieux. Place à la libéralisation du pillage. Quelle que soit sa bonne volonté initiale, le président Lansana Conté dut rapidement se résoudre à entériner la volonté de tous les groupes autrefois brimés d’accéder au partage des richesses et des postes. Ce qui aurait pu être une saine compétition et une juste redistribution de la part d’un État enfin impartial dégénéra en surenchère explosive. Entre fonctionnaires et privés, entre civils JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

et militaires, entre habitants de Conakry et des régions, entre Guinéens de l’intérieur et de l’extérieur et bien évidemment entre les différents groupes ethniques, les clivages s’aggravèrent. Trafics et jeux d’influence se poursuivirent sur fond de démocratisation et en dépit de l’apparition d’une presse critique et d’une société civile dynamique – deux acquis importants sur lesquels il est aujourd’hui devenu impossible de revenir, même si ces contre-pouvoirs, à l’instar des syndicats, peinent à trouver une expression politique. PAYS SINGULIER, peu perméable aux pressions extérieures, dirigé pendant vingt-quatre ans et jusqu’à sa mort le 22 décembre 2008 par un général-paysan à la mentalité autarcique et qui a toujours su jouer avec une intelligence roublarde du peu d’estime dans lequel le tenaient ses adversaires, la Guinée estelle condamnée à n’être riche que de ses potentialités? La violence quotidienne en moins, beaucoup des tares congénitales du défunt régime Sékou Touré continuent d’imprégner les mentalités et de polluer le présent guinéen de leur arrière-faix. L’armée a succédé au parti-État, aucun leader de l’opposition ne suscite d’adhésion transversale susceptible de transcender les clivages ethniques ou régionaux, et Lansana Conté continua jusqu’au bout de détenir seul ou presque les clés du coffre. Régulièrement pourtant, tel ou tel Premier ministre tenta de secouer le cocotier du pouvoir, avec la bénédiction initiale d’un président que l’on savait malade, mais qui, bien vite et avec un malin plaisir, déjouait les pronostics en poussant l’imprudent vers la sortie. Tant que n’était pas résolue l’hypothèque de la succession de Lansana Conté, les calculs empoisonnés et les manœuvres politiciennes continuaient de paralyser toute perspective de développement. Qu’en sera-t-il demain, alors que le scénario redouté par la plupart des observateurs d’une nouvelle intervention « régulatrice » de l’armée augure mal d’une transition républicaine et démocratique ? Pourtant, si la Guinée est une princesse endormie que le baiser d’un libérateur devenu dictateur a plongée, il y a cinquante ans, dans un sommeil prolongé, ce coma est fort heureusement réversible. Ce grand peuple ne manque en effet ni de cadres, ni de bras, ni de bonnes volontés pour mettre en valeur son remarquable patrimoine. Le temps est proche donc où, sans pour autant passer de la servitude à l’illusion, les Guinéens retraverseront enfin le pont de Nzérékoré. ■

Pays singulier, peu perméable aux pressions extérieures, la Guinée est-elle condamnée à n’être riche que de ses potentialités ?


Document :FNB.pdf;Page :1;Date :08. 12 2008 - 12:27:24;reperes_generes195X270

FIRST INTERNATIONAL BANK SA. SIÈGE SOCIAL Avenue de la République Conakry, Commune de Kaloum – BP.557 Conakry, République de Guinée. TÉLEPHONE : 224-30.43.57 / 30.43.57.48 Fax : 224 – 30.43.59.48 E-MAIL : info@fibgn.com SWIFT :FIBLGNGN. NOTRE RÉSEAU : Agence de Madina Agenca de Coléah

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SOMMAIRE

Dans J.A. et nulle part ailleurs

4 10 12

Éditorial Le pont de Nzérékoré Cinquante ans après Images : par monts et par vaux

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IL ÉTAIT UNE FOIS...

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IMAGES Aperçu dʼun pays à lʼenvironnement exceptionnel.

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PORTRAIT DR SÉKOU ET MR TOURÉ Le premier président guinéen a marqué durablement le pays de son empreinte. Pour le meilleur et, surtout, pour le pire.

20 24 26 28 36 39 49

Anniversaire Et la Guinée devient indépendante Histoire Légende des siècles Chronologie Portrait Dr Sékou et Mr Touré Guinée-France Entre présidents Panafricanisme Le temps des militants Confidences de... Djibril Tamsir Niane

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L ES A NN ÉES LAN S AN A C O N T É

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GUINÉE-FRANCE ENTRE PRÉSIDENTS De Gaulle, Giscard, Mitterrand et les autres. Tous les dirigeants de la Ve République se sont rendus à Conakry.

IIE RÉPUBLIQUE ET POURTANT, ELLE TIENT... Si le bilan politique et économique des années Conté est médiocre, au moins lʼunité nationale a-t-elle été préservée.

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SOMMAIRE

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Le devoir d’informer, la liberté d’écrire

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ITINÉRAIRE VIE ET MORT DʼUN SOLDAT-PAYSAN Militaire de carrière, Lansana Conté, décédé le 22 décembre, était incapable dʼaccepter une quelconque relativité de son pouvoir.

IIe République Et pourtant, elle tient... Politique Démocratisation sous pression Économie En attendant le décollage Armée Bruit et fureur dans les casernes International Dans le maelström des crises régionales Gouvernement Profession : Premier ministre Itinéraire Lansana Conté, vie et mort dʼun soldat-paysan

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UN PAYS ET SES RICHESSES

72 76 80 84 88

Découverte En passant par Conakry Conjoncture Enfin, le bout du tunnel ? Agriculture La clé des champs Mines Nouvel eldorado Infrastructures À bon port

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A I NSI SO N T L E S G U I N É E N S

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JEUNESSE LA VIE DEVANT SOI Dʼun peu plus de 10 millions dʼhabitants en 2008, la population dépassera 15 millions en 2025. Cʼest dire le défi qui se pose au pays.

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Jeunesse La vie devant soi Femmes « Jamais sans les hommes... » Profil Hadja Rabi Émigration Diaspora : le grand gâchis Musique Du Bembaya au reggae yankadi Littérature Maîtres de la plume Patrimoine Zeinab Koumanthio Diallo, lʼâme de Labé Football Les riches heures du Syli et du Hafia Profil Chérif Souleymane Et pour conclure La Guinée de demain...

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FOOTBALL LʼÉPOPÉE DU SYLI ET DU HAFIA Dix ans durant, lʼéquipe nationale et le grand club de Conakry ont brillé sur les pelouses du monde entier.

Direction : Danielle Ben Yahmed et François Soudan ■ Rédacteur en chef : Dominique Mataillet ■ Rédaction: Muriel Devey, Cheikh Yérim Seck, Cécile Sow, Tshitenge Lubabu M.K. (envoyés spéciaux), Jean-Louis Adonaï, Samir Gharbi, Frédéric Lejeal, André Lewin, Faouzi Mahjoub, Tierno Monénembo ■ Rédaction graphique : Zigor Hernandorena (directeur artistique), Emeric Thérond ■ Photographie : Dan Torres (directrice photo), Nathalie Clavé, Mathilde Rieussec, Claire Vattebled ■ Révision : Dominique Huynh, Cécile Demailly ■ Fabrication : Philippe Martin Groupe Jeune Afrique : 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris. Tél. : 33 1 44 30 19 60. Fax : 33 1 45 20 09 67 JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


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Cinquante ans après Émotion et fierté à Conakry, le 2 octobre 2008. Ce jour-là, la République de Guinée célèbre le cinquantième anniversaire de son accession à lʼindépendance. Fanfares, feux dʼartifice, parade militaire... Pas moins de quatre heures seront nécessaires pour permettre aux différentes divisions des armées de terre et de lʼair, de la marine, ainsi quʼà certains corps paramilitaires comme la gendarmerie et la douane, de parcourir, impeccablement alignés et en tenue dʼapparat, lʼitinéraire du défilé. Signe de lʼimportance symbolique de lʼévénement, presque tous les chefs dʼÉtat de la sous-région ont fait le déplacement et se retrouvent, côte à côte, dans la tribune dʼhonneur. Beaucoup dʼhôtes ont probablement en tête la fameuse formule de Sékou Touré, lorsque, annonçant le 25 août 1958 son refus de la Communauté proposée par le général de Gaulle, il sʼétait exclamé: « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans lʼesclavage. » Comme leur avait annoncé leur futur président, les Guinéens ont bien connu la pauvreté, mais ils nʼont certainement pas eu, pendant les vingt-cinq ans de son règne, la liberté espérée. Il reste quʼen proclamant sa souveraineté le 2 octobre 1958 leur pays accomplissait un pas historique puisquʼil devenait le premier territoire subsaharien de la France à accéder à lʼindépendance. Le mouvement ne sʼarrêtera plus. Du Sénégal au Tchad, de la Côte dʼIvoire au Congo, du Togo à la Centrafrique, lʼensemble des colonies de lʼAOF (Afrique occidentale française) et de lʼAEF (Afrique équatoriale française) acquerront leur liberté en 1960, suivies, une quinzaine dʼannées plus tard, à lʼautre bout du continent, par les Comores, en 1975, et Djibouti en 1977. Lʼœuvre pionnière de la Guinée valait bien, cinquante ans plus tard, un si long défilé...

Défilé à Conakry, le 2 octobre 2008. Pas moins de quatre heures seront nécessaires pour permettre aux différentes unités de l’armée de passer devant la tribune d’honneur.

À la tribune, au premier plan des invités de marque, les chefs d’État des pays voisins. De gauche à droite: Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire), Abdoulaye Wade (Sénégal), João Bernardo Vieira (Guinée-Bissau), Ellen JohnsonSirleaf (Liberia), Ernest Koroma (Sierra Leone). JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


© APA

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IMAGES PAR MONTS Des plaines côtières de lʼAtlantique aux grandes forêts du Sud-Est en passant par le massif du Fouta-Djalon et les savanes du pays mandingue, aperçu dʼun pays à lʼenvironnement naturel exceptionnel.

Les chutes de la Sala, près de Labé, dans le Fouta-Djalon.


ET PAR VAUX PHOTOGRAPHIES DʼAGNÈS RODIER


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« Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest »: le Fouta-Djalon, où naissent plusieurs fleuves de la région, porte bien son surnom (à droite, les chutes de Kinkon, non loin de Pita). Mais les autres parties du pays ne sont pas en reste, telle la HauteGuinée, où coulent le Niger et ses premiers affluents tel le Milo (ci-contre). Quant à la côte, longue de trois cents kilomètres et entaillée par de nombreux estuaires, elle a longtemps été appelée Rivières du Sud. Ci-dessus, le port de pêche de Boulbinet (Conakry).

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Tout pousse, ou presque, dans un pays bien arrosé et dont la plupart des sols sont propices à l’agriculture. Entre cette plantation de palmiers près de Kissidougou (Guinée forestière), ces plants de manioc en Haute-Guinée et cet ananas cultivé dans les environs de Kindia (Guinée maritime), un échantillon des productions nationales. Ci-dessus, une marchande d’avocats passant devant un magnifique fromager à Kérouané (Haute-Guinée).

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IL ÉTAIT UNE FOIS

CRITON

Sékou Touré face aux congressistes du Parti démocratique de Guinée, en novembre 1978.


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... Lʼhomme qui harangue ici les militants de son parti a marqué durablement la Guinée de son empreinte. Pour le meilleur et, surtout, pour le pire. Car si Sékou Touré a permis à son pays de se libérer de la domination coloniale, il lʼa laissé dans un piteux état à sa mort, en 1984, au terme dʼun quart de siècle de règne dictatorial. Sʼinstruire du passé, récent ou plus ancien, pour mieux construire lʼavenir. Cʼest ce que tentent de faire aujourdʼhui les Guinéens.

Anniversaire Et la Guinée devient indépendante

p. 20

Histoire Légende des siècles

p. 24

Portrait Dr Sékou et Mr Touré

p. 28

Guinée-France Entre présidents

p. 36

Panafricanisme Le temps des militants

p. 39

Confidences de Djibril Tamsir Niane

p. 49


20 IL ÉTAIT UNE FOIS… ANNIVERSAIRE

Et la Guinée devient indépendante Le 2 octobre 1958, lʼAssemblée proclame la souveraineté nationale et internationale du pays. En fait, tout sʼétait joué lors de la visite du général de Gaulle, alors président du Conseil français, le 25 août.

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BOULAT PIERRE

evenu au x a f fa i res en juin 1958, le général de Gaulle veut doter la France et ses possessions outre-mer d’une nouvelle Constitution : régime davantage présidentiel pour la métropole (ce sera la Ve République), création d’une Communauté française pour les colonies, déjà semi-autonomes depuis la loicadre Defferre de 1956. Il fait pendant l’été 1958 un périple africain. L’étape de Conakry, les 25 et 26 août, est rajoutée à la dernière minute, car déjà on se méfiait de Sékou Touré, dont l’emprise sur son pays était puissante. Il n’est pas le seul à être réticent devant le projet, qui perpétue l’émiettement des territoires au lieu de renforcer les amorces de fédérations qu’étaient l’Afrique occidentale et l’Afrique équatoriale françaises, et qui exclut l’option de l’indépendance, sauf à faire sécession en restant hors de la Communauté. Le 25 août, l’accueil enthousiaste de la foule de la capitale guinéenne s’adresse autant à de Gaulle qu’à Syli, l’éléphant symbolisant Sékou Touré,

mais aussi le Rassemblement démocratique africain (RDA), dont le Parti démocratique de Guinée (PDG) est l’émanation locale. Puis ce sont les discours. L’extraordinaire tribun qu’est Sékou Touré galvanise la foule massée devant l’Assemblée territoriale : « Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l’indépendance. » Il entrouvre cependant une porte en précisant : « Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir sans hésitation l’interdépendance et la liberté dans l’union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France. » Mais de Gaulle, à qui personne n’a montré le texte que Sékou a pourtant communiqué au préalable à la hiérarchie coloniale, reçoit ce discours, fréquemment interrompu par les hourras des militants, comme un affront à la France et à sa personne (voir le témoignage de Jean Mauriac). Le lendemain matin 26 août, il s’envole vers Dakar après un bref « Adieu, la Guinée », en

Charles de Gaulle et Ahmed Sékou Touré, à Conakry, le 25 août 1958.

disant: « Voilà un homme avec qui nous ne nous entendrons jamais. » Les jeux sont faits. Ce sera « non ». Quelques émissaires du RDA envoyés par Houphouët-Boigny tentent en vain de fléchir le leader guinéen. Le PDG est uni derrière son chef, bon nombre d’opposants se rallient à sa position. Paris ne se fait guère d’illusions et prépare le retrait, conseillant aux enseignants de ne pas regagner la Guinée après les congés. Les Américains s’inquiètent de l’évolution future d’une Guinée coupée de la France et font des démarches à Paris. Pierre Messmer, haut-commissaire à Dakar, envoie des parachutistes et fait rapatrier en catimini les réserves de billets de banque conservés à Conakry. Le gouverneur Jean Mauberna quitte Conakry le 26, remplacé le surlendemain par Jean Risterucci, déjà porteur de la note qu’il doit remettre à Sékou après le scrutin. Les griots guinéens chantent une petite rengaine: « Dis-moi oui, dismoi non, dis-moi oui ou non. »

Les griots chantent une rengaine : « Dismoi oui, dis-moi non, dis-moi oui ou non. » La journée du 28 se passe dans le calme. À travers le pays, les électeurs se pressent nombreux. Les résultats du référendum sont nets: 1130292 « non », 56959 « oui », ces derniers surtout dans le Fouta-Djalon. La métropole et les treize autres colonies ont largement voté « oui », même celles où se manifestaient des réticences (le Niger avec Djibo Bakary, le Sénégal avec un Senghor qui craint la balkanisation de l’Afrique et la diminution du rôle fédérateur de Dakar). Dans les jours qui suivent, la France accepte le fait accompli, mais ne procède pas immédiatement à la reconnaissance. Paris transfère à la Guinée les bâtiments officiels, laisse sur place des équipes réduites, annonce qu’il n’y aura plus d’aide budgétaire et que de nombreux projets seront arrêtés. On brûle des dossiers, on emballe des archives, on rapatrie militaires et fonctionnaires, dont certains partent en commettant des dégradations. Le 2 octobre, la nouvelle Assemblée nationale présidée par Saïfoulaye Diallo proclame l’indépendance, choisit son JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


D.R. PIERRE BOULAT

Le leader du Parti démocratique de Guinée galvanisant la foule massée le 25 août devant l’Assemblée territoriale.

drapeau aux trois couleurs de l’Afrique, et son hymne national, Liberté (Horoya), composé par Keita Fodéba d’après un air traditionnel du Fouta, avec un texte rédigé par un enseignant français, Jean Cellier. Sékou Touré octroie des dizaines de titres de compagnon de l’Indépendance.

Cependant qu’arrivent dès le 2 octobre les premiers télégrammes de félicitations (Ghana, Liberia, Bulgarie), Sékou Touré, qui dirige le gouvernement en attendant d’être élu en janvier 1959 chef du nouvel État, envoie des messages à de nombreux chefs d’État. Il adresse

un télégramme au général de Gaulle pour demander la reconnaissance de la Guinée, solliciter le parrainage de Paris pour son admission à l’ONU, proposer des accords de coopération et le maintien dans la zone franc. Le général répondra évasivement, avant de s’enfermer dans un silence hostile, tout en laissant se préparer et se dérouler des tentatives de déstabilisation. Les relations entre Paris et Conakry se détérioreront progressivement jusqu’à la rupture de novembre 1965. Les années suivantes seront marquées par des tentatives avortées de réconciliation et des mises en cause réciproques, et ce jusqu’au 14 juillet 1975, date de la normalisation définitive entre les deux pays. ■ ANDRÉ LEWIN

« Nous avons vu le Général blessé » Le journaliste Jean Mauriac raconte le fameux épisode du 25 août, où le sort de la Guinée a été scellé par le discours de Sékou Touré.

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mener forcément, tôt ou tard, à l’indépendance ? Après le oui des capitales visitées précédemment, ce n’était même pas envisageable. En ce 25 août, donc, dans l’après-midi, la Caravelle présidentielle se posa sur le petit aérodrome à l’aspect provincial de Conakry. Le Général passa en revue les troupes de la garnison française et reçut aussitôt tous les corps constitués du pays. Le ciel était assombri de lourdes nuées noires. La pluie allait venir. La chaleur était écrasante. Tout ce que l’on touchait était humide, poisseux.

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À not re a r r ivée à Cona k r y, le 25 août, tout semblait aller bien. La Communauté franco-africaine que le Général était venu présenter à nos anciennes colonies avait été jusque-là acceptée dans l’enthousiasme à Tananarive, Brazzaville et Abidjan. Nous pensions tous qu’il en serait de même avec Sékou Touré. Nous le savions jeune, turbulent, très à gauche, plutôt tourné vers Moscou… Mais comment imaginer que, devant de Gaulle, il oserait dire non ? Non à une Communauté qui devait


PAUL ALMASY/AKG-IMAGES

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chancelant littéralement. Curieusement, plus que le texte même de Sékou, c’était l’atmosphère qui régnait dans cette salle qui créa le drame. Jamais je n’avais connu pareil déchaînement lorsque le chef guinéen déclara: « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage », puis : « Nous affirmons que la force militaire ne peut plus préserver les intérêts et le prestige d’une métropole », ou encore : « Nous voulons la disparition totale du régime colonial ». Les soixante envoyés spéciaux, français et étrangers, qui, par devoir, cachaient toujours le moindre sentiment, montrèrent leur extrême émotion en se levant tous comme un seul homme quand, après le discours de Sékou Touré, de Gaulle s’approcha des micros. Le Général ne dissimulait pas sa fatigue ni sa propre émotion. Plus, une immense tristesse était visible, trahie d’abord par sa voix, basse, grave, amplifiée par les haut-parleurs. Je le Le chef du gouvernement français écoutant l’allocution de Sékou Touré. voyais ainsi profondément atteint pour la première fois en public. J’observais le Général dans son uniforme léger, En cet instant, il se passait quelque chose de si pathétique kaki clair. Pressentiment ? Je le trouvais fatigué. Quelque dans cette salle de l’Assemblée de Guinée, quelque chose chose de sourd dans sa voix, une sorte de lassitude dans de si déchirant et de crépusculaire que la scène n’avait plus ses gestes, de tristesse aussi. Notre représentant à Conakry, grand rapport avec le texte même du discours du général : le gouverneur Mauberna, l’avait-il mis en garde au sujet « Il n’y a pas de raison pour que la France rougisse de son du discours de Sékou Touré ? De Gaulle fit comme si de œuvre ici… L’indépendance est à la disposition de la Guirien n’était, écouta sans impatience le doyen des corps née. Elle peut la prendre en disant non, le 28 septembre, à constitués, répondit par une brève allocution chaleureuse, la Constitution. La métropole n’y fera pas obstacle et votre salua chaque femme en boubou multicolore, le képi à la territoire pourra suivre la route qu’il voudra dans les condimain, s’inclinant selon son habitude et répondant avec son tions qu’il voudra. » extrême courtoisie aux uns et aux autres, comme s’il avait Bien sûr, le Général prononça des paroles d’espoir. Mais l’éternité devant lui. personne ne s’y trompa. Son discours était un adieu à la GuiPuis tout sembla s’accélérer brusquement. Le Général murnée. L’émotion des Français fut à son comble quand il déclara mura quelque chose à son aide de camp, le lieutenant-colonel pour terminer, sur un ton très lent, détachant chaque mot : de Bonneval. Dépôt rapide d’une gerbe au monument aux « Si je ne devais pas vous revoir sachez que le souvenir que morts. Sonneries. Arrivée au palais du gouverneur. Courts j’emporte de la Guinée, je ne l’oublierai pas. Vive la Guinée, entretiens protocolaires. Les journalistes avaient précédé le vive la France ! » Sa voix alors était comme brisée. Général. Nous l’attendions à l’Assemblée territoriale. Il y arriva à pied, accompagné du ministre de l’Outre-Mer, Cornut-Gentille, de Pierre Messmer, haut-commissaire à Dakar, et de Sékou Touré, tout en blanc. Nous autres, journalistes, nous sentîmes aussitôt que le drame était noué et qu’il allait éclater. D’une Les jeux étaient faits. Le lendemain, il dit à Sékou Touré, part, les hurlements frénétiques d’une salle surchauffée. Fréqui était venu le saluer à l’aérodrome : « Bonne chance nétiques, le mot est faible : délirants, plutôt. De l’autre, un pour la Guinée ! » Dans ses Mémoires d’espoir, le Général Général qui savait que tout était accompli : la Guinée dirait ne reprend pas cette phrase, mais écrit : « À Sékou Touré, je non et quitterait la Communauté avant même qu’elle soit dis : Adieu, la Guinée. » Comme nous, le Général s’était senti née, donnant par là un redoutable exemple. humilié. Mais, pour lui, bien sûr, c’était avant tout la France Comment vous dire ? Tant d’années après, j’en ressens qui avait été humiliée par ce jeune leader africain, et il allait encore comme un serrement au cœur. Le Général (nous lui en faire payer cher le prix. » ■ l’avons su après) n’avait pas pris connaissance du discours de Sékou Touré. Nous avons assisté en direct au coup de poiExtrait de Le Général et le Journaliste, de Jean Mauriac, éditions gnard qu’il reçut. Nous avons vu en direct le Général blessé, Fayard, 304 pages, 20 euros.

« Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. »

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Document :Sans titre-1.indd.ps;Format :(195.00 x 270.00 mm);Date :09. 12 2008 - 17:10:00

50 ans

En cette année 2008, la Guinée fête donc ses 50 ans d’indépendance. Cette célébration donne l’occasion à COCACOLA à travers son embouteilleur en Guinée, la société BONAGUI S.A d’adresser ses vives et chaleureuses félicitations au courageux peuple de Guinée. Installée en Guinée depuis 1987, BONAGUI a partagé la vie des Guinéennes et des Guinéens. Depuis plus de20 ans, la boisson gazeuse la plus vendue au monde est fabriquée localement et distribuée sur tout le territoire national à travers un réseau de distribution composé uniquement de nationaux.

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24 IL ÉTAIT UNE FOIS…

HISTOIRE

Légende des siècles Du royaume mandingue à la théocratie peule du Fouta-Djalon, de Soundjata Keita à Samory Touré, une succession de glorieux épisodes et de brillantes figures.

L

’ h i stoi re de la Gu i née ne commence évidemment pas avec l’indépendance en 1958. Ni avec l’établissement de la colonisation française, même si le pays se constitue dans ses frontières actuelles à la fin du XIXe siècle. Elle remonte à la nuit des temps, bien qu’on connaisse très mal les périodes les plus reculées. Les premières traces humaines, des éclats de pierre à double tranchant découverts près de Conakry, datent de plusieurs milliers d’années. On a retrouvé aussi des objets ressemblant à des houes qui pourraient être significatifs d’une activité agricole fort ancienne. À Blandé, dans le sud-est du pays, ce sont des outils en pierre

et des poteries du troisième millénaire qui témoignent d’une occupation humaine au néolithique. ARRIVÉE DES PEULS

Les recherches archéologiques ne permettent pas jusqu’ici de savoir grand-chose sur ces lointains ancêtres des Guinéens actuels. De même les siècles qui suivent restent-ils très mal connus. Les premiers peuples identifiés, des chasseurs-cueilleurs sédentarisés, semblent être originaires de la boucle du Niger. La Guinée apparaît véritablement dans l’Histoire avec la formation des grands empires ouest-africains. Le premier, celui du Ghana, dont l’épicentre se situe au sud-est de la Mau-

ritanie actuelle, est né vers le VIIe siècle de la rencontre de Sarakolés noirs et de Berbères blancs descendus du Sahara. Les territoires qui forment la Guinée actuelle échappent à son influence, du moins jusqu’à la fin du XIe siècle, lorsque l’invasion du Ghana par les Almoravides arabo-berbères repousse vers le sud des populations du groupe mandé, qui constituent le royaume mandingue. Le X III e siècle voit l’émergence d’une nouvelle construction étatique d’envergure, le Mali, fondé par le légendaire Soundjata Keita. Niani, aujourd’hui petit village de HauteGuinée, sur le Sankarani, en sera longtemps la capitale. Cet empire connaît son apogée au XI Ve siècle JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


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De g. à dr.: carte portugaise du XVIe siècle; pesée d’or dans une factorerie au XVIIIe siècle; représentation d’un village peul du Fouta-Djalon (début du XIXe siècle); portrait du chef malinké Samory Touré (1830-1900).

sous le règ ne de K a n k a Moussa, demeuré célèbre par son pèlerinage à La Mecque, en 1324. Accompagné de milliers de serviteurs et d’esclaves, il aurait emporté tellement d’or (environ dix tonnes) que le cours du métal jaune se serait effondré pendant plusieurs années… VAGUES MIGRATOIRES

À partir du XIIIe siècle, des groupes de nomades peuls partis de la zone sahélienne s’établissent au Fouta-Djalon, région montagneuse favorable à l’élevage bovin. Au fil des siècles, les migrations, notamment celles des Malinkés, majoritaires aujourd’hui en Haute-Guinée, submergeront les peuples préalablement installés, dont subsistent aujourd’hui quelques groupes tels que les Kissis, les Guerzés, les Tomas en Guinée forestière, les Bassaris, les Coniaguis, les Badiarankés dans le nord-ouest du FoutaDjalon. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

Une nouvelle vague migratoire se produit au XVIIe siècle avec l’arrivée au Fouta-Djalon de Peuls islamisés originaires du Macina, le delta intérieur du f leuve Niger, dans le Mali ac t uel, a i n si que du Fouta-Toro, la vallée moyenne du Sénégal. Au début du XVIIIe siècle, ils fondent un puissant État théocratique subdivisé en provinces, dirigées chacune par un Almamy. Son rayonnement contribuera à l’expansion de l’islam en Afrique occidentale. L e X I X e sièc le voit l’avènement d’un autre royaume musulman, dans le nord-est du pays, celui d’El-Hadj Oumar Tall. Originaire lui aussi du Fouta-Toro, ce Toucouleur adepte de la confrérie tidjane s’installe en 1850 à Dinguiraye, d’où il propage sa foi. Entre-temps, à la fin du XVe siècle, les côtes de la Guinée ont été abor-

dées par les navigateurs portugais. Même si la traite esclavagiste s’avère moins virulente que sur le littoral du golfe du Bénin, les négriers européens (Portugais, Hollandais et Français) séviront dans la région du XVIe au XIXe siècle. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que les Français commencent à s’in-

Stratège hors pair, Samory Touré réussit à défier l’armée française trente ans durant. téresser véritablement à la Guinée. Dans les années 1840, des commerçants bordelais signent des accords avec des chefs de la région côtière pour y ouvrir des comptoirs. Quelques décennies plus tard, c’est du nord que l’armée française, après avoir conquis le Soudan, pénètre à


26 IL ÉTAIT UNE FOIS… l’intérieur du pays. En juillet 1881, un protectorat français est établi sur le Fouta-Djalon. Mais la conquête se heurte à l’opposition du chef malinké Samor y Touré. Ce dernier, après s’être constitué un solide fief autour de Kankan, parvient à partir de 1870 à se tailler un vaste empire dans une région s’étendant de Bamako, au nord-est, à la Sierra Leone, au sud-ouest. Stratège hors pair, il équipe ses troupes d’armes modernes et réussit à défier l’armée française trente ans durant. Finalement défait en 1898, Samory est déporté au Gabon, où il mourra en 1900. Même si son combat a été entaché de nombreux dérapages sanguinaires, il demeure dans l’imaginaire ouest-africain comme l’une des grandes figures de la résistance à l’occupation européenne.

Devenue colonie française en 1893, la Guinée est intégrée à l’AOF (Afrique occidentale française) en 1895. L’économie de traite qui se met en place, caractérisée par l’échange, très inégal, de produits manufacturés contre des produits agricoles d’exportation, ébranle fortement l’agriculture vivrière traditionnelle. DES SYNDICATS STRUCTURÉS

La lutte contre la domination coloniale, bien que sporadique et souvent à caractère corporatiste, commence dès les années 1910. Elle prend de l’ampleur après la Seconde Guerre mondiale avec la naissance de partis politiques et de syndicats structurés. C’est à la tête d’un syndicat d’agents de l’administration que se révèle le talent d’un certain Ahmed Sékou Touré. Ce dernier devient vite

l’un des principaux animateurs de la vie politique au sein du Parti démocratique de Guinée (PDG), fondé en 1947, et dont le combat s’oriente peu à peu vers un objectif clair : l’indépendance. Lors du référendum de 1958, qui suit l’accession au pouvoir du général de Gaulle, la Guinée est le seul territoire africain à rejeter la proposition d’intégration des colonies de l’AOF au sein d’une Communauté française. Le pays proclame son indépendance le 2 octobre 1958. La conséquence en est une rupture immédiate des relations politiques et économiques avec l’ancienne métropole. Cet épisode tumultueux va marquer durablement l’histoire du pays, conduit à se replier sur luimême. ■ DOMINIQUE MATAILLET

CHRONOLOGIE

La préhistoire de la Guinée est mal connue. De même n’a-t-on qu’une connaissance très fragmentaire des siècles qui ont précédé la constitution de l’empire du Ghana, au sud-est de la Mauritanie actuelle, vers le VIIIe siècle. VIIIe siècle Les Nalous et les Bagas peuplent la région. IXe-XIe siècle Le royaume mandingue, vassal de l’empire du Ghana, s’établit du Haut-Sénégal au Haut-Niger. XIIIe siècle Fondation en 1235, par Soundjata Keita, de l’empire du Mali. Niani, dans la Haute-Guinée actuelle, en sera longtemps la capitale. XVe siècle Déclin de l’empire du Mali.

1957 Victoire du Parti démocratique de Guinée (PDG) aux élections territoriales. 2 octobre 1958 Proclamation de l’indépendance. Ahmed Sékou Touré deviendra président en janvier 1959. 22 novembre 1970 Tentative de débarquement de forces portugaises assistées d’opposants guinéens. 26 mars 1984 Mort de Sékou Touré. 3 avril 1984 Coup d’État militaire des colonels Lansana Conté et Diarra Traoré. Lansana Conté est nommé président.

Fin du XVe siècle Des navigateurs portugais longent les côtes guinéennes et entrent en contact avec les populations locales.

19 décembre 1993 Première élection présidentielle pluraliste. Lansana Conté, à la tête du Parti de l’unité et du progrès (PUP), est élu.

Début du XVIIIe siècle Constitution d’un État théocratique au Fouta-Djalon.

14 décembre 1998 Réélection de Lansana Conté. L’opposant Alpha Condé est arrêté.

1840 Premiers traités entre la France et des chefs locaux.

21 décembre 2003 Lansana Conté est réélu. L’opposition boycotte le scrutin.

1850 El-Hadj Oumar Talla s’installe à Dinguiraye, d’où rayonne la confrérie musulmane des tidjanes. 1881 Le chef guerrier Samory Touré s’empare de Kankan et étend son emprise sur la région. 1893 La Guinée est proclamée colonie française. 1898 Défaite de Samory Touré face aux Français. 1912 La région est totalement sous contrôle français après la défaite d’Alfa Yaya Diallo.

Janvier-février 2007 Manifestations populaires sévèrement réprimées. 26 février 2007 Nomination de Lansana Kouyaté, Premier ministre de consensus. 20 mai 2008 Nomination de Ahmed Tidiane Souaré à la tête d’un gouvernement d’ouverture. 22 décembre 2008 Mort de Lansana Conté. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


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28 IL ÉTAIT UNE FOIS… PORTRAIT

Dr Sékou et Mr Touré tique, en dépit des obstacles dressés par l’administration française et de la vive compétition d’autres mouvements guinéens, provoquant de vifs affrontements qui montrent que la violence révolutionnaire est déjà en germe. Conseiller territorial de Beyla en 1954, e « non » massif du peuple de Dès la fin de la guerre, en 1945, il il est député à l’Assemblée nationale Guinée lors du référendum du participe à la création de syndicats liés française en 1956 (au sein du groupe 28 septembre 1958 succédait à la Confédération générale du travail RDA, apparenté à l’UDSR – Union démoà l’affrontement verbal du (CGT) française et y milite activement. cratique et sociale de la Résistance –, 25 août entre le général de Gaulle et Toutefois, il se rend compte assez vite aux côtés de François Mitterrand et de Sékou Touré. L’homme du 18 juin 1940 que les intérêts des Africains ne sont Roland Dumas), maire de Conakry cette et de la France libre, l’homme qui lancepas forcément les mêmes que ceux des même année 1956, vice-président en ra dix ans après sa visite à Conakry son métropolitains. Il participe au Congrès 1957 du conseil de gouvernement insfameux « Vive le Québec libre », n’a pas de Bamako, où est fondé en octobre tauré par la loi-cadre Defferre, membre compris le désir de liberté alors exprimé 1946 le Rassemblement démocratique du Grand Conseil de l’Afrique occidenpar le bouillant jeune leader guinéen. africain (RDA), dont la section guitale française à Dakar. La Guinée sera indépendanEt puis c’est le retour aux te le 2 octobre 1958. Sékou affaires de De Gaulle en Touré et son régime seront juin 1958, le projet de Constiimmédiatement et durabletution de la Ve République, ment « mis au coin » par la le « non » guinéen, et l’indéFrance officielle et sévèrement pendance. Pour le meilleur critiqués par plusieurs leaders comme pour le pire, Sékou africains (dont Léopold Sédar Touré incarne alors son pays Senghor et, surtout, Félix et, dans une large mesure, son Houphouët-Boigny) qui pourpeuple. tant suivront son exemple Avec une vigueur sans faille, deux ans plus tard, mais sans souvent avec une rigueur en supporter les conséquences excessive, Sékou Touré imprinégatives dont les effets pour À Casablanca, en 1961, avec ses amis politiques Ferhat ma sa marque sur la Guinée la Guinée ne sont pas complèAbbas, Kwame Nkrumah, Modibo Keita, Mohammed V. pendant plus de trente années tement effacés aujourd’hui. révolutionnaires, une révoluEn Afrique, et dans le Tiers tion qu’il croyait, proclamait et Monde, les cadres et la jeunesvoulait éternelle : aux heures se s’enthousiasment et portent les plus difficiles que connut Sékou Touré au pinacle, comme son régime, il fut institué en témoignent les écrits d’Aimé « Responsable suprême de la Césaire, de Jacques Rabemarévolution ». nanjara, de Mongo Beti et de Auprès de lui, son époubien d’autres. Nombre de prose, Andrée Touré, métisse gressistes (africains et aussi née catholique avant de se français) affluent en Guinée convertir à l’islam, a toujours pour aider le jeune État et comexercé comme première dame penser le départ précipité des une influence modératrice cadres français, en particulier (ou a essayé) et a modestedans l’enseignement. ment joué un rôle socia l Né en 1922 à Faranah, Avec l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny (au centre), utile. C’était loin d’être le cas apparenté par sa mère au à Bamako, en 1957. Entre eux, des relations difficiles. de tous les membres de leur légendaire almamy Samory famille, presque tous placés Touré, héros de la lutte contre à des postes de responsabilité, dont les néenne, créée le 14 mai de l’année suiles forces coloniales françaises, Ahmed ambitions et les jalousies ont trop souvante, se transforme en 1950 en Parti Sékou Touré, après de modestes études vent favorisé népotisme, corruption, démocratique de Guinée (PDG). Sékou primaires et professionnelles, devient règlements de comptes. Peu soucieux Touré en devient en 1952 le secrétaire commis aux écritures, puis agent des pour lui-même de bien-être matériel général, cependant qu’il se lance en polipostes, enfin cadre du Trésor.

Héros révolutionnaire pour les uns, dictateur sanguinaire pour les autres, tantôt charmeur, tantôt brutal, lʼ« homme du non » était un personnage ambivalent sur tous les plans.

ARCHIVES J.A.

ARCHIVES J.A.

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JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


IL ÉTAIT UNE FOIS… 29 et d’aisance financière, Sékou Touré a malheureusement couvert certains agissements, fermant les yeux au nom de la solidarité familiale. NI FRANCOPHONIE NI NÉGRITUDE

Sur le plan international, Sékou donne d’emblée la priorité à l’unité africaine, à l’appui aux mouvements de libération, à la lutte contre l’impérialisme et le néocolonialisme, au non-alignement. Après une escale (très brève) à Abidjan et une étape au Liberia, son premier voyage après la proclamation de l’indépendance est pour le Ghana, indépendant depuis dix-huit mois. Cinq ans avant la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), il proclame alors avec Nkrumah une Union des États africains. Il prononce à l’ONU – en un français brillant – des discours véhéments lors des sessions de 1959, de 1960 et de 1962 (il n’y retournera qu’en 1982), intervient en particulier lors de la session de 1960 où sont discutés et adoptés les principaux textes sur la décolonisation.

Avec Saïfoulaye Diallo, président de l’Assemblée nationale, le 2 octobre 1958. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

AFP/GETTY IMAGES

D’emblée, il donne la priorité à l’unité africaine et au nonalignement. Sékou Touré envoie un contingent de Casques bleus au Congo ex-belge, où – contre les séparatistes comme Tshombe au Katanga – il soutient Lumumba, dont l’assassinat en 1961 le meurtrit, comme l’affectent plus tard les coups d’État qui éliminent les uns après les autres ses amis politiques : Olympio au Togo (1963), Ben Bella en Algérie (1965), Nkrumah au Ghana (1966), Modibo Keita au Mali (1968). Beaucoup de figures du Tiers Monde engagé (Frantz Fanon, Ben Barka, Félix Moumié, Che Guevara, Nelson Mandela, Stokely Carmichael) passent ou résident dans la capitale guinéenne, où s’installent de nombreux mouvements de libération (GPRA algérien, OLP palestinienne, PAIGC de la Guinée-Bissau), et divers opposants politiques (sénégalais, ivoiriens, camerounais, congolais, etc.). Il reçoit d’illustres visiteurs, leaders de pays du Tiers Monde (Tito, Sihanouk, Nasser, Soekarno, Castro, Kaddafi, Chou En-lai…), mais aussi des Occidentaux (le président ouest-allemand Lübke, les


30 IL ÉTAIT UNE FOIS… Français François Mitterrand, Pierre Mendès-France, André Bettencourt). Il dénonce les regroupements régionaux qui se substituent à la Communauté française évanescente, comme l’Ocam (Organisation commune africaine et malgache) ou l’Union africaine et malgache (UAM). Il accuse de toutes les manigances les services secrets français, et stigmatise Jacques Foccart, conseiller aux affaires africaines du général de Gaulle, puis de Georges Pompidou. Tout en se reconnaissant comme d’expression française, il récuse longtemps la francophonie comme instrument néocolonialiste. Et refuse la négritude prônée par Senghor, envoyant les fameux Ballets africains de la République de Guinée (créés naguère en France par Keita Fodéba) ou le Ballet Djoliba, ainsi que les meilleurs orchestres (Bembeya Jazz, Balla et ses Balladins, Keletigui) au Festival culturel panafricain d’Alger de 1969 plutôt qu’à Dakar au Festival des arts nègres de 1966.

et l’élection du président Valéry Giscard d’Estaing, pour que la normalisation intervienne le 14 juillet 1975, en même temps que la libération d’une vingtaine de détenus politiques français. Le climat nouveau se caractérise par le démarrage d’une politique de coopération, par de nombreux contrats et

n’ont jamais été interrompues. Sékou a été, dès 1959, reçu à Washington par Eisenhower, puis par Kennedy, et ultérieurement par Carter et Reagan. Sékou Touré, qui n’a sans doute pas cru en une réaction aussi drastique et durable du général de Gaulle, n’a en réalité jamais, en son for intérieur, renoncé à l’idée d’une réconciliation avec Paris. Des relations diplomatiques détestables ont perduré jusqu’en novembre 1965, lorsque intervient pour dix ans la rupture c o m pl è t e . Q u e l q u e s accords de coopération ont été signés, mais la Guinée a quitté la zone franc en mars 1960, la plupart des sociétés françaises ont été nationalisées, des ressortissants français inquiétés, arrêtés ou expulsés. Les échanges commerciaux se sont fortement réduits, les pensions des anciens combattants guinéens de l’armée française (ils étaient plus de

Les oppositions grandissantes amènent à une radicalisation du régime.

Il est l’un des plus ardents promoteurs de l’OUA, dont il signe la charte en juin 1963 à Addis-Abeba, et dont le premier secrétaire général sera, pendant près d’une décennie, le Guinéen Diallo Telli – qui sera aussi, hélas, l’une de ses plus illustres victimes. Mais il cesse de participer aux sommets dès 1966, car il reproche à ses pairs d’accepter que siègent à leurs côtés les auteurs des coups d’État qui ont renversé et parfois tué ses proches. Sékou ne retrouvera le chemin des sommets de l’OUA qu’à partir de 1978, et invitera à Conakry celui de 1984 (celui du vingtième anniversaire). Sa mort empêchera ce projet de se réaliser. La Guinée s’appuie essentiellement sur les pays du bloc socialiste (Union soviétique, Allemagne de l’Est, Yougoslavie, République populaire de Chine, Corée du Nord, Cuba…), dont l’aide, importante souvent en volume, est loin d’être toujours adaptée aux conditions locales et aux habitudes de la population. Il ne renonce pas pour autant aux investissements occidentaux (l’exploitation de la bauxite, dont la Guinée détient les deux tiers des réserves mondiales, est assurée sur deux sites par des sociétés occidentales et sur un troisième par l’URSS) et à l’aide alimentaire américaine. Ses relations avec Washington, qui ont connu quelques soubresauts, essentiellement verbaux,

Diallo Telli, premier secrétaire général de l’OUA, la plus illustre des victimes de Sékou Touré.

20 000) ont cessé d’être payées par le Trésor français. Parallèlement, les relations de la Guinée avec ses voisins (Sénégal de Senghor, Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, ou encore Ghana après le renversement de Nkrumah) se dégradent. Sékou ne quittera plus son pays pendant près de dix ans. Il ne recommencera à se déplacer qu’après la reprise des relations avec la France et le lancement de ce que Sékou appellera l’« offensive diplomatique ». Pour cela, il faudra attendre les bons offices des Nations unies en 1974-1975

UNITED NATIONS

RUPTURE COMPLÈTE AVEC PARIS

investissements (en un an, la France redevient le premier partenaire commercial du pays), par la visite d’État en Guinée de Giscard d’Estaing en décembre 1978, et par deux visites de Sékou Touré en France, où il est désormais accueilli par François Mitterrand : en 1982 pour une visite bilatérale, et l’année suivante pour participer à la conférence franco-africaine de Vittel. C’est également en 1978, lors d’une réunion à Monrovia sous l’égide des présidents Tolbert du Liberia et Eyadéma du Togo, qu’ont lieu les retrouvailles – cette fois-ci pour de bon – entre Ahmed Sékou Touré, Félix HouphouëtBoigny et Léopold Sédar Senghor. Désormais, Sékou voyage intensément, assiste à tous les sommets de l’OUA comme à ceux des non-alignés, mène une politique active dans les pays arabes, devient vice-président du Comité Al-Qods (Jérusalem), fait entrer la Guinée dans l’Organisation de la conférence islamique (musulman pratiquant plus assidu que par le passé, il fait le pèlerinage de La Mecque), effectue au nom de celle-ci une tentative de médiation dans le conflit entre l’Irak et l’Iran. De même s’efforce-t-il en Afrique de favoriser des solutions au différend entre le Mali et le Burkina Faso, au problème du Tchad, à la question du Sahara occidental (où il appuie les positions marocaines). Parallèlement, Sékou prend quelques distances vis-à-vis de Moscou. Ainsi, il met fin aux facilités accordées aux avions d’observation soviétiques qui pouvaient contrôler à partir de Conakry l’espace aérien de l’Atlantique Sud. De même, s’il autorise le transit par la Guinée des renforts cubains dépêchés en Angola pour soutenir le régime d’Agostinho Neto, il refuse la même requête au président Mengistu d’Éthiopie pour lutter contre la sécession érythréenne. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


IL ÉTAIT UNE FOIS… 31 Le subtil et progressif changement de cap amorcé par la réconciliation avec la France en 1975 intervient alors que l’économie mondiale connaît un début de crise avec le premier choc pétrolier et que la Guinée ne peut profiter pleinement de son potentiel minier. Par ailleurs, la campagne sur les droits de l’homme en Guinée a fortement terni l’image d’un leader dont l’influence internationale était réelle. Sur le plan intérieur, les difficultés quotidiennes et les oppositions grandissantes amènent une radicalisation croissante du régime (notamment après 1968, lorsque Sékou lance la « révolution culturelle socialiste »), l’exil de nombreux cadres et la multiplication des complots ou tentatives de renversement dont le point culminant sera la tentative de débarquement de commandos portugais et d’exilés guinéens du 22 novembre 1970. Le tout entraînant une répression de plus en plus intense, dont le camp Boiro de Conakry devient le tragique symbole. Le Parti démocratique de Guinée, parti unique qualifié de « Parti-État », était étroitement plaqué sur l’ensemble des structures du pays et son agencement permettait, quelles que fussent la tiédeur naturelle ou les réserves de certains, de mobiliser en un temps record des foules de militants et de militantes. La totalité de la vie publique en Guinée était modelée par la pensée de Sékou Touré. Celui-ci l’exprimait généralement dans des discours prononcés (en français le plus souvent) lors de grandes manifestations de masse. Parfois écrites à l’avance, mais fréquem-

Défilé du 1er mai 1961. Le Parti démocratique de Guinée (PDG) était capable de mobiliser en un temps record des foules de militants et de militantes.

force notes. Sékou Touré prisait également les rencontres avec les étudiants, devant lesquels il se livrait à un véritable travail pédagogique, reconstruisant le monde, l’Afrique et la Guinée à sa manière. Admirablement informé par un réseau de fidèles répartis sur tout le territoire, le président recevait à Conakry et lors de ses déplacements de multiples citoyens venus seuls ou en délégat ion lui soumettre leurs doléances ou leurs critiques. Des dizaines de personnes envahissaient sans protocole chaque soir le grand salon de l’ancien Palais du gouverneur, devenu résidence et bureau présidentiels. Le contrôle était vigilant mais débonnaire. Intransigeant en ce qui concerne les grands principes révolutionnaires, Sékou Touré était ouvert à la discussion, et nombre de décisions, y compris les siennes, furent

Fréquemment improvisés, ses discours pouvaient durer quatre ou cinq heures. ment improvisées, ces allocutions pouvaient durer quatre ou cinq heures. Sékou affectionnait aussi les réunions plus restreintes de cadres, qu’il fustigeait pour leurs manquements et devant lesquels il définissait interminablement les lignes directrices de l’action à venir, entrant parfois dans les détails d’exécution les plus minutieux, cependant que les auditeurs prenaient JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

réformées ou amendées à la suite de tels contacts avec la base. Parfois même, la revendication prenait une forme collective qui échappait aux canaux de transmission du Parti et contestait ouvertement certaines pratiques. Ainsi, des manifestations d’étudiants mécontents des affectations d’office dans les régions lointaines ou hostiles à l’instauration de l’« université à la campagne », qui leur faisait passer une année entière aux travaux des champs. Ainsi, surtout, des manifestations des femmes et des marchandes des marchés de Conakry, en août 1977, qui amenèrent Sékou Touré à satisfaire leurs revendications en supprimant la police économique – corrompue et répressive –, en instaurant l’autogestion des marchés et en renonçant à l’interdiction du commerce privé, édictée en 1975. Celle-ci n’avait contribué qu’à provoquer la méfiance des producteurs et à favoriser une fraude intense qui tout à la fois palliait et suscitait la pénurie.

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BOIRO, TRAGIQUE SYMBOLE


32 IL ÉTAIT UNE FOIS…

REZA/SIPA

ne sont pas oubliées, les L’une des formes les plus échecs économiques du remarquables de l’instrurégime ne sont pas contesmentalisation de la sensités, mais ses portraits se bilité populaire en faveur vendent au marché, des du régime était l’appui tracts circulent, le nouconstant donné à la vie veau palais présidentiel culturelle. Si les écrivains s’est vu donner par l’actuel ou poètes s’étaient souvent président Lansana Conté exilés, si les productions l’appellation de Sekhoutoudramaturgiques étaient le reya (« Chez Sékou Touré » plus souvent fastidieuses et en langue soussou). Un idéologiquement lourdes, parti politique défend son au contraire les chanteurs souvenir, son action et son et musiciens, les griots, les programme, une fondation orchestres et ensembles porte son nom. À la fin de instrumentaux, les groul’année 2002, il a été réhapes de danse et de ballets, bilité et ses biens restitués étaient de tout premier à sa famille. Hadja Andrée plan. Ils se produisaient Touré, sa veuve, réside de régulièrement au Palais nouveau dans la capitale du peuple (construit par guinéenne. Un club Sékou les Chinois et inauguré en Touré, fondé à Bamako 1967) lors de brillantes soimais actif dans plusieurs rées données à l’occasion p a y s d e l ’A f r i q u e d e d’événements nationaux l’Ouest, célèbre sa pensée ou de visites officielles et son influence, sans trop étrangères. s’appesantir sur les aspects De nouvel les for manégatifs de son action. tions étaient sélectionnées D u v iv a nt de Sé kou lors de réguliers concours Touré, déjà, ses thuriférégionaux ou nationaux. raires et ses détracteurs Bien entendu, les thèmes s’opposaient vivement. devaient être plus ou moins À la mort de Sékou, en mars 1984, les portraits officiels et La population guinéenne révolutionnaires ou protoutes les autres manifestations de son pouvoir sont effacés. elle-même, y compris des gressistes, mais ils étaient cadres importants du Parti, le plus souvent intelligempratiquait souvent le double langage, et, ment adaptés à partir d’anciens thèmes ciels, effacés les slogans, supprimé le s’ils lançaient avec un enthousiasme traditionnels. Parti-État, abandonnées les structures apparent les slogans révolutionnaires, anciennes, interdite l’idéologie, oubliée beaucoup exprimaient leurs réserves et NAISSANCE D’UN MYTHE la révolution. leurs craintes en petit comité. Les affirSékou Touré mourut, comme un Au milieu des projets de réforme et mations les plus contradictoires avaient simple mortel, des suites d’une banale des plans de développement, le bilan cours à son sujet et peu de personnaopération cardiaque, à Cleveland (Étatsde Sékou Touré fut qualifié de désasges contemporains ont soulevé autant Unis), le 26 mars 1984. Quelques jours treux dans tous les domaines ; ses de controverses. Même après sa mort, après ses obsèques, en dépit des dispoparents et les principaux dignitaires certains affirment que sa dépouille sitions constitutionnelles, l’armée prit furent emprisonnés ; certains d’entre n’est pas inhumée dans le Mausolée de eux exécutés. Un bon Conakry – mythe parfait du héros dont nombre de Guinéens, le cadavre a disparu, transformant la beaucoup d’exilés pleins tombe en cénotaphe et lui conférant le d’espérance condamnèsupplément charismatique qui n’apparrent jusqu’au souvenir tient qu’aux dieux. de Sékou Touré. Ainsi, Sékou Touré, malgré ses excès, ou en quelques heures, tout peut-être même à cause d’eux, s’est l’appareil que l’on croyait admirablement coulé dans la lignée des le pouvoir, instaura la IIe République, installé à jamais s’était effondré comme grandes figures charismatiques de son ouvrit les portes des prisons, proclama un château de cartes. pays ou de son continent. Ses ambivases intentions libérales et démocratiQuelque vingt-cinq ans après sa dislences sont celles de son peuple, qu’il ne ques. Accueilli par la population avec parition, le nom de Sékou Touré peut subjuguait à ce point que parce qu’il le des transports de joie et d’espoir, le noude nouveau être évoqué sans trop de connaissait, le reflétait, le « possédait » veau régime fustigea l’ancien. Les manipassion. Certes, les horreurs du camp profondément. ■ festations de ce dernier disparurent en Boiro, où souffrirent et périrent des ANDRÉ LEWIN un instant : arrachés les portraits offimilliers de prisonniers politiques,

Il mourut, comme un simple mortel, des suites d’une banale opération cardiaque.

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Document :Sotelgui 1P-FR-… 1P-Ang.qxp.pdf;Page :3;Date :08. 12 2008 - 14:44:28;reperes_generes195X270

SOTELGUI EST DEVENUE LA FAMILLE DES GUINÉENS


Message

L'évolution de la SOTELGUI a permis à l'opérateur historique des télécommunications en Guinée d'établir avec ses abonnés des liens privilégiés. La palette des services développés par cette entreprise phare en est un moteur permanent. Il n'est donc pas surprenant que le parc d'abonnés ne cesse de s'accroître. Pourtant l'histoire de la SOTELGUI, maintenant stabilisée, à été particulièrement mouvementée au cours du temps. Il est possible d'identifier quatre périodes qui ont chacune marqué une étape dans le développement de la SOTELGUI. A l'origine, d'Août 1993 à Décembre 1994, France Câbles et Radio, filiale de France Telecom, apporta une assistance technique. C'était l'époque préparatoire de la déréglementation et des secousses qui accompagnent toute révolution. La seconde phase transitoire dite phase intérimaire a duré de Janvier 1995 à Février 1996 et pour aboutir à la privatisation de la SOTELGUI. Il est important de noter qu'elle a été entièrement animée par les cadres nationaux de l'entreprise, dont le capital humain est toujours resté, à travers son histoire un capital reconnu. La privatisation s'exprime ensuite dans une troisième période qui s'étale de Mars 1996 à décembre 2005, à la suite d'un accord de partenariat signé entre le Gouvernement de Guinée et Telekom Malaysia Berhad, opérateur public de télécommunications de la

Document :Sotelgui 1P-FR-… 1P-Ang.qxp.pdf;Page :1;Date :08. 12 2008 - 14:44:13;reperes_generes195X270

COMMENT LA SOTELGUI EST DEVENUE LA FAMILLE DES GUINÉENS


Fédération de Malaisie. Il était alors convenu que le Gouvernement de Guinée conserverait 40 % des parts de la société, tandis qu'une majorité de 60 % était réservée à Telekom Malaysia Berhad.

C'est en Janvier 2006 qu'a démarré la phase actuelle qui a coïncidé avec la fin du monopole de la SOTELGUI et ce sont de nouveau les cadres nationaux qui assurent la gestion de l'entreprise. Depuis 1995 le paysage des télécommunications s'est profondément modifié dans le monde en général et en Guinée en particulier. Le GSM en effet a fait son apparition en 1997 et est devenu avec le temps un moyen de communication indispensable et apprécié. La SOTELGUI a pris efficacement le virage du cellulaire sans pour autant négliger le développement dans la téléphonie fixe. Ainsi le parc GSM a connu une progression spectaculaire depuis 2005, passant de 157 000 abonnés à près de 580 000 à la fin du 1er trimestre 2008. Le mouvement continu de s’amplifier puisqu’à la fin Août 2008, le parc GSM de l’entreprise était de 651.000 abonnés. Les services offerts aux abonnés ne cessent de se diversifier et la qualité d'écoute s’améliore en permanence tandis qu'un effort approprié de réduction des coûts permet rde maintenir le rythme des souscriptions d'abonnements malgré une capillarité du marché déjà forte. Il est aujourd'hui reconnu que la SOTELGUI rapproche les régions, la couverture nationale bien sûr ne cesse d'être plus dense, mais le trafic international témoigne encore plus de cette qualité de service. Il arrive ainsi que certains mois le trafic avec l'étranger approche les 30 millions de minutes. Le roaming en exprime les multiples acquis, et les techniques les plus élaborées sont rapidement introduites, comme le CDMA, TDMA et W. MAX, les technologies sans fil. SOTELGUI est animée par une philosophie dont l'ensemble de ses collaborateurs et partenaires est fier. Rester proche de nos clients est notre philosophie dans le cadre de l’amélioration de la qualité tout court. A l'écoute de chacun, afin d'offrir la technologie maitrisée dont chacun reconnaît qu'elle est ici une marque de fabrique, SOTELGUI. C'est pourquoi nous sommes heureux de l'affirmer avec force. En Guinée, SOTELGUI est votre famille.

Document :Sotelgui 1P-FR-… 1P-Ang.qxp.pdf;Page :2;Date :08. 12 2008 - 14:44:15;reperes_generes195X270

Parallèlement à cette convention de partenariat des objectifs commerciaux étaient assignés à l'ensemble. Le parc était en 1995 de 9.534 lignes, il devait être porté à 50.000 lignes dès 1998 et atteindre 500.000 lignes en 2010, alors que les investissements prévus sur la période étaient évalués à 1 milliard de Dollars US.


MELLOUL

36

Valéry Giscard d’Estaing et Ahmed Sékou Touré à Conakry, le 22 décembre 1978.

GUINÉE-FRANCE

Entre présidents Du général de Gaulle à Jacques Chirac, et en attendant une visite de Nicolas Sarkozy, tous les dirigeants de la Ve République se sont rendus à Conakry.

Q

uand on évoque les présidents français et la Guinée, ou les présidents guinéens et la France, on ignore généralement que le premier président de la Ve République, Vincent Auriol, fit une visite à Conakry en avril 1947, mais l’on pense immanquablement à l’orageux échange verbal entre Charles de Gaulle et Ahmed Sékou Touré, onze ans plus tard. Et pourtant, si de Gaulle est venu cinq fois en Guinée, cela n’a jamais été comme chef de l’État. Il est passé en bateau au large de Conakry à deux reprises en 1940, en venant de Dakar et en y retournant, comme chef de la France libre. Puis en 1944, quand il était chef du gouvernement provisoire, en faisant escale en avion sur le chemin de la conférence de Brazzaville. Ensuite en 1953, lorsque, à l’invitation du Grand Conseil de l’Afri-

que occidentale française, il est allé à Bamako pour y inaugurer une statue du gouverneur Félix Éboué en passant encore par Conakry. Et, enfin, les 25 et 26 août 1958, dans le cadre du périple qu’il faisait en Afrique pour y présenter le projet de Constitution de la Ve République et la Communauté française. Il était encore à l’époque président du Conseil et avait déjà entendu Sékou Touré lui présenter en juillet les vues du Rassemblement démocratique africain (RDA) sur ce texte. DU BOUT DES LÈVRES

L’affrontement oratoire entre les deux hommes est bien connu. De Gaulle ne comprit pas le désir de liberté alors exprimé pour son pays par Sékou Touré et ne le lui pardonna jamais, reconnaissant du bout des lèvres l’indépendance de la Guinée, puis mettant toutes sortes d’obstacles sur son chemin.

En janvier 1959, l’un et l’autre sont devenus présidents de leurs pays respectifs. De Gaulle ne voulut jamais répondre positivement à diverses tentatives de réconciliation faites par Sékou Touré, qui envoya une délégation aux obsèques du général en novembre 1970, et fit à plusieurs reprises son éloge, notamment lors de sa visite de 1982 en France. Sékou Touré connaissait très bien la France, et y comptait beaucoup d’amis. Il y avait effectué des dizaines de séjours depuis 1946, date à laquelle il participa à Paris à un congrès de la centrale syndicale communiste CGT, jusqu’aux années 1956 -1958, où, comme député à l’Assemblée nationale française, il côtoya entre autres François Mitterrand (qu’il a également rencontré à Bamako lors du troisième Congrès du RDA en septembre 1957) et Valéry Giscard d’Estaing. Après vingt-quatre années d’absence, il y retourna en septembre 1982 pour une visite officielle de travail, à l’invitation de François Mitterrand, devenu président à son tour, et de nouveau l’année suivante, en octobre 1983, pour la conférence franco-africaine de Vittel. François Mitterrand connaissait bien la Guinée et avait accepté l’invitation que Sékou Touré lui avait faite lors de son voyage en France. Son conseiller JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


François Mitterand reçu par Lansana Conté le 12 novembre 1986.

p ou r l ’A f r ique Guy Pe n ne av a it d’ailleurs annoncé en février 1984 une prochaine visite, mais Sékou Touré décéda en mars. RÉCONCILIATION

Mitterrand n’est donc venu en Guinée qu’une seule fois comme chef d’État, en novembre 1986. C’est alors le président Lansana Conté qui l’accueillit. Il y était venu en 1951, alors qu’il était ministre de la France d’outre-mer, et avait visité Conakry, Kindia et Kankan, à une époque où Sékou Touré venait d’être révoqué de l’administration coloniale. Il y revint ensuite en 1961, en compagnie de Pierre Mendès-France, à l’invitation de Sékou Touré. Les deux hommes, qui s’appréciaient et avaient de l’amitié l’un pour l’autre avaient aussi en commun d’être en opposition avec le général de Gaulle. Mitterrand se rendit de nouveau à Conakry en 1962, comme envoyé spécial du journal L’Express, pour lequel il fit un long reportage, et enfin en 1972, en compagnie de Roland Dumas, pour le deuxième anniversaire des dramatiques événements du 22 novembre 1970, qu’il avait condamnés, mais dont il avait critiqué la répression sanglante. C’est d’ailleurs à propos des droits de l’homme en Guinée que Sékou Touré l’attaqua avec virulence en 1977, parce JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

que le Parti socialiste français, dont Mitterrand était devenu le premier secrétaire, avait voulu mettre ce thème à l’ordre du jour de son congrès. Les deux hommes se réconcilièrent à l’occasion de la visite de 1982, et se revirent à la conférence de Vittel en 1983. Étrange coïncidence : François Mitterrand était en visite officielle aux États-Unis lorsque Sékou mourut au cours d’une opération dans une clinique cardiologique américaine, le 26 mars 1984. Auparavant, le président Georges Pompidou avait, en mars 1974, quelques jours avant son décès, donné le feu vert à la médiation que l’auteur de ces lignes devait commencer entre Bonn, Paris et Conakry en tant que représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, et qui aboutit à la normalisation des relations diplomatiques le 14 juillet 1975. Trois ans plus tard, en décembre 1978, le président Valéry Giscard d’Estaing, qui avait de son côté voulu cette réconciliation et fait les gestes nécessaires, effectua en Guinée une visite d’État très réussie, qui le conduisit à Conakry, Kankan, Faranah et Labé. Plus de vingt ans s’étaient écoulés depuis la fatidique visite de De Gaulle.

Le président Jacques Chirac, qui avait accueilli Sékou Touré en tant que maire de Paris en 1982, rendit visite à la Guinée en juillet 1999. Et peut-être Nicolas Sarkozy voudra-t-il lui aussi un jour se déplacer en Guinée. Quant à Lansana Conté, sa connaissance de la France était des plus modestes, puisque, contrairement à beaucoup d’officiers des futures armées africaines, c’est pour l’essentiel en Afrique (Côte d’Ivoire, Sénégal, Algérie) que s’est déroulée sa formation et qu’il a eu ses premières affectations. Mais il a effectué une visite officielle en France en 1987 (François Mitterrand l’a reçu

Sékou Touré connaissait très bien la France, et y comptait beaucoup d’amis. à l’Élysée le 28 avril), et il a rencontré ses homologues français lorsqu’il a participé aux sommets Afrique-France de décembre 1988 à Casablanca, de novembre 1994 à Biarritz (le dernier auquel a participé François Mitterrand), de décembre 1996 à Ouagadougou (le premier auquel a participé Jacques Chirac) et de novembre 1998 à Paris. ■ ANDRÉ LEWIN

A. NOGUES/SYGMA

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IL ÉTAIT UNE FOIS… 39 PANAFRICANISME

Le temps des militants

de la nationalité française), un certain nombre de ressortissants de ce pays débarquent en Guinée en 1959 et en 1960. L’un des plus connus est le géographe Jean Suret-Canale, qui enseignera au lycée de Donka avant de le diriger. Il sera ensuite responsable de l’Institut national de recherche et de documentation de Guinée, puis de l’École normale supérieure de Kindia. Son épouse, Georgette, travaille à la rédaction du journal Horoya. À signaler aussi les noms de Christiane Grange, auteure de deux manuels de géologie et botanique;

L’historien voltaïque Joseph Ki-Zerbo (ici en 1979).

Daniel Blanchard, professeur d’histoire et de géographie au lycée de Labé; Gérard Cauche, économiste ; Maurice Houis et Pierre-Charles Aguesse, chercheurs ; Yves Benot (pseudonyme d’Édouard Helman), écrivain et journaliste… BEAUCOUP D’ANTILLAIS

Les nouveaux venus côtoient leurs compatriotes installés depuis quelque temps dans le pays à des titres divers : Jean Cellier, professeur de musique et coauteur avec Keita Fodéba de l’hymne guinéen, et son épouse, Rolande, directrice du collège de filles; Fanny LalandeIsnard, bibliothécaire; Maurice Gastaud, spécialiste du monde syndical ; Anne Blancard, qui travaille à l’information. On compte une forte proportion d’Antillais. Ainsi, les trois sœurs guadeloupéennes Joseph-Noël, dont l’une, Yolande, historienne, épousera le futur ministre Béhanzin; l’écrivaine d’origine guadeloupéenne Maryse Boucolon, mariée pour un temps au comédien guinéen Mamadou Condé, dont elle gardera le patronyme pour devenir célèbre sous le nom de Maryse Condé ; la cinéaste guadeloupéenne Sarah Maldoror, conjointe de l’écrivain Mario de Andrade, qui représente à Conakry la résistance angolaise; ou encore le célèbre psychiatre et essayiste martiniquais Frantz Fanon…

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JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

La chanteuse sud-africaine Miriam Makeba et son compagnon américain Stokely Carmichael, figure des Black Panthers, en 1968.

D.R.

L

a proclamation de l’indépendance de la Guinée, le 2 octobre 1958, coïncide avec la rentrée scolaire. Dans le courant de septembre, la plupart des enseignants français, partis dès juillet en vacances en métropole, se préparent au retour. Mais dès lors que Paris est certain que le résultat du référendum du 28 septembre sera négatif, les services de la France d’outre-mer et ceux de l’Éducation nationale leur déconseillent formellement de revenir en Guinée. Certains d’entre eux décident de rejoindre quand même leur poste. Au total, ils seront près de 150, ce qui est très insuffisant. Aussi Barry Diawandou, le ministre de l’Éducation nationale du tout nouveau gouvernement guinéen, lance-t-il un appel aux intellectuels progressistes de France et du monde entier pour qu’ils viennent prendre la place des enseignants français défaillants. Car Sékou Touré, espérant encore la reconnaissance officielle de Paris et une coopération culturelle, technique et économique, a décidé de rester dans la zone franc et de maintenir le français comme langue officielle et, donc, langue d’enseignement. Au début de 1959, Ba Hamat, président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), vient à Conakry pour étudier les modalités d’un soutien au régime. De nombreux étudiants et cadres recrutés par la FEANF se rendent en Guinée au cours des mois suivants. En novembre 1959, trente instituteurs togolais arrivent ainsi pour servir en brousse. En France, l’appel est entendu, et, en dépit des risques (radiation des cadres, menace sur les retraites, voire déchéance

GUY LE QUERREC/MAGNUM

Enseignants, journalistes, leaders nationalistes... Originaires de France, dʼAfrique ou dʼailleurs, ils seront nombreux à venir sʼétablir dans le pays nouvellement indépendant pour lui apporter leur soutien ou y trouver refuge.


JEAN-JACQUES BERNIER/GAMMA

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L’écrivaine d’origine guadeloupéenne Maryse Condé (ici en 1984).

plus tard, en 1998. Sans parler des Français qui exercent des responsabilités politiques et ont parfois pris la nationalité guinéenne : Jacques Demarchelier, Robert Bailhache, Jean-Paul Alata… Le 10 juillet 1960, présidant la distribution solennelle des prix aux élèves des établissements scolaires de Conakry, Sékou Touré souligne le rôle joué par les professeurs, notamment les étrangers, auxquels il rend hommage. En mai 1961, Béhanzin, nouveau directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale Damantang Camara, signifie à 85 professeurs de diverses nationalités que leurs contrats ne seront pas renouvelés. Des Français apolitiques et

D.R.

En dépit de l’enthousiasme des débuts, les départs se multiplient dès 1963.

Félix Moumié, leader de l’Union des populations du Cameroun (UPC), en 1961.

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Nombreux aussi sont les originaires de colonies françaises qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance : l’historien voltaïque Joseph Ki-Zerbo (dont l’épouse Jacqueline Coulibaly, sociologue, a dirigé l’École normale de jeunes filles) ; le mathématicien dahoméen Louis Senainon Béhanzin (qui exercera une grande influence sur l’idéologie du régime). Du Dahomey vient aussi l’écrivain journaliste Ibrahima Bello (qui travailla à Horoya sous le nom de Damz, avant d’aller au Ghana et de collaborer plus tard à Jeune Afrique); du Cameroun, le professeur Kapet de Bana (qui anime désormais de multiples initiatives africanistes et dirige une encyclopédie africaine) ; de Côte d’Ivoire, l’anthropologue Foté Memel ; de Mauritanie, le naturaliste Mame Seck ; du Niger, le physicien Abdou

Moumouni ; du Sénégal, le philosophe Sow Hamsala, le poète David Diop et Alassane Diop (spécialiste de l’information et futur ministre); du Togo, Céline Apedo-Mallou… « TROP CHER »

Il faut encore mentionner ceux qui séjournent en Guinée pour des activités essentiellement militantes: les Sénégalais Majhemout Diop et Seni Nyang du Parti africain de l’indépendance (PAI); Félix Moumié, leader de l’Union des populations du Cameroun (UPC) ; le Marocain Mehdi Ben Barka ; le Nigérien Djibo Bakary ; le Bissau-Guinéen Amilcar Cabral. Ainsi que, bien sûr, la Sud-Africaine Miriam Makeba et son époux américain Stokely Carmichael, figure des Black Panthers, qui, établi en Guinée en 1967, y finira sa vie trente ans

modérés font évidemment partie de la charrette. Mais il y a aussi de nombreux Yougoslaves, à qui l’on reproche d’avoir été recrutés « trop cher » par le précédent ministre, d’être « matériellement aussi exigeants que des Français » et de faire de l’opposition systématique contre leurs collègues soviétiques. Selon une note établie fin mai 1961 par les services de sûreté de l’ambassade de France, « la situation de l’enseignement français en Guinée est désespérée. Il faut mettre l’accord culturel francoguinéen dans un carton en attendant des jours meilleurs ». En dépit de cette appréciation pessimiste, Damantang Camara et l’ambassadeur Jean-Louis Pons signeront cet accord le 29 juillet 1961. Mais les enseignants français, qui étaient 150 en 1959, seront 111 en 1960 et seulement 52 en 1968. En dépit de l’enthousiasme des débuts et malgré nombre d’unions ou d’amours transnationales, parfois enrichies de naissances, les difficultés de la vie quotidienne et les inquiétudes sur l’évolution du régime font que les départs se multiplient à partir de 1963. Certains partent travailler au Sénégal, au Ghana, d’autres reviennent en France. Quelques-uns restent mais tombent victimes de la « complotite » et seront, comme Alassane Diop et Kapet de Bana, détenus pendant des années au camp Boiro. ■ ANDRÉ LEWIN JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


La

Profil f

«-PROFIL-» est une rubrique promotionnelle ouverte aux pays qui souhaitent se présenter à l’opinion africaine et internationale.

Guinée

Pont sur le Niger à Kouroussa.

AU SOMMAIRE ■ EAU, ÉDUCATION & JEUNESSE Des dossiers prioritaires ■ MINES Gérer l'exploitation des ressources du pays ■ PÊCHE, AGRICULTURE & TOURISME Des secteurs en plein développement ■ BANQUES & EMPLOI Un pays plus compétitif

Après les douloureux évènements de début 2007 et la disparition du généralprésident Lansana Conté, les Guinéens doivent se mobiliser face aux défis qui les interpellent, pour mener à bien des chantiers structurant dans tous les domaines : infrastructures, énergie, eau, mines, agriculture, jeunesse, emploi, démocratie… II

ME ESSSSA AG GE E M


Profil f Guinée JEUNESSE, ÉDUCATION & EAU

Des dossiers prioritaires

Jeunes en bibliothèque.

L

a Guinée est à un tournant important de son histoire. Doté d’un passé prestigieux et d’un soussol riche en ressources naturelles, ce grand pays de l’Afrique de l’Ouest doit opérer un changement économique majeur. Après les évènements douloureux de 2007, l’état guinéen doit d’abord s’atteler à restaurer la paix et la tranquillité. Il doit rassembler non seulement les représentants des partis politiques mais aussi aller à la rencontre de la société civile, des syndicats, du patronat, des autorités religieuses et coutumières. Ces concertations permettront de purger les nombreux contentieux sociaux, et aux différents partenaires de recommencer à collaborer dans la sérénité.

École Guinée

II

MESSAGE


Les secteurs stratégiques Face aux nombreux défis qui interpellent le pays, l'état guinéen s’est attaqué à certains dossiers prioritaires comme la question de la promotion des jeunes. À ce niveau, la décision a été rapidement prise de renforcer le fonds national d’insertion des jeunes. Il s’est agi de le doter de davantage de moyens et d’un mécanisme de fonctionnement plus efficace pour lui permettre de financer des projets divers. Sur la question stratégique de l’énergie électrique et de la distribution d’eau courante, le gouvernement a mis en place avec diligence des mesures d’urgence en attendant la mise en œuvre de solutions structurelles auxquelles il est en train de travailler. Avec l’aide de la coopération allemande, 18 forages ont commencé à être creusés à Conakry pour améliorer la desserte d’eau. Les ser vices d’une société chinoise ont été loués pour monter à Manéah, non loin de Conakry, une centrale thermique dotée d’une capacité

Forage de l'eau à Fissa Doukara.

de 42 mégawatts. Les Guinéens vont bientôt bénéficier d’un meilleur accès à l’énergie électrique et à l’eau courante. Toujours pour améliorer leur quotidien, l'état a repris des pourparlers avec les bailleurs de fonds internationaux pour bénéficier de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés ( PPTE).

Rivière Faye.

III

MESSAGE

Sur le point d’atteindre le point d’achèvement du PPTE, la Guinée va pouvoir bénéficier d’une remise de dette de 2 milliards de dollars qui pourront être injectés dans des secteurs stratégiques comme l’éducation, la santé, la lutte contre la pauvreté…


Profil f Guinée

Train de bauxite.

MINES

Gérer l'exploitation des ressources du pays

T

e n u s f in o g Ø n Ø ra u x rØ u n i l e x p d u p a y s s u r la q u je t e r le s b a s e s d to u r n Ø e v e r s le

c to b re d e l Ø d e r t is e e s t io n u n e Ø s n o u

Prospection Orvers Kouroussa.

2 0 0 8 , le s u c a t io n , q la p lu s q u , o n t p e rm c o le m o d v e lle s r Ø

ta ts u i o n t a lif iØ e is d e e rn e , a litØ s

d u m o n d e e t d u m a r c h Ø d u t r a v a il. P o u r a c c o m p a g n e r c e t te m u t a t io n , la B a n q u e m o n d ia le a a c c o r d Ø a u p a y s , le 1 1 n o v e m b r e , u n e e n v e lo p p e d e 1 0 m illio n s d e d o lla r s d e s t in Ø e p r o m o u v o ir l Ø d u c a t io n e t la fo r m a t io n . U n a u t r e s e c te u r s t r a tØ g iq u e , le s m in e s , a fa it l o b je t d u n fo r u m d u 1 0 a u 1 3 o c to b re 2 0 0 8 . c e tte re n c o n tre la q u e lle o n t p r is p a r t le s p a r t e n a ir e s e x t Ø r ie u r s e t le s in v e s t is s e u r s p o t e n t ie ls , le s r e s s o u r c e s d e la G u in Ø e o n t p u Œ t r e p r Ø s e n t Ø e s . A in s i q u e d e n o u v e a u x o u t ils d e s t in Ø s r e n d r e p lu s a t t r a c t ifs le s m in e r a is d u p a y s : u n n o u v e a u c o d e d e s in v e s t is s e m e n t s , u n e n v ir o n n e m e n t d e s a f f a ir e s r Ø n o v Ø , d e s fa c ilit Ø s d iv e r s e s a c c o r d Ø e s a u x in v e s t is s e u r s E n u n m o t , la G u in Ø e v e u t a t t ir e r u n e p a r t im p o r t a n te d e s in v e s t is s e m e n t s d ir e c t s Ø t r a n g e r s p o u r a c c r o ît r e l a c r Ø a t i o n d e l a r i c h e s s e , m a is Ø g a le m e n t d e m p lo is c a p a b le s d a b s o r b e r s a je u n e p o p u la t io n a c t iv e .

IV

MESSAGE

Les priorités du gouvernement P a y s a u p o t e n t ie l m in ie r Ø n o r m e ,l’ Ø t a t d o it f ix e r s e s p r io r it Ø s . L in s t a lla t io n d u n O f f ic e d e s m in e s , q u i a u r a it p o u r t c h e d e n c a d r e r l e x p lo it a t io n d e s im p o r t a n t e s r e s s o u r c e s n a t u r e lle s d u p a y s , e s t p a r m i le s g r a n d e s lig n e s d e c e t t e a m b it io n . L a c o n jo n c t u r e in t e r n a t io n a le d a n s le d o m a in e m in ie r e s t fa v o r a b le u n e e x p lo it a t io n g r a n d e Ø c h e lle . S e lo n u n e Ø t u d e d e la B a n q u e m o n d ia le , le s e c t e u r m in ie r r e p r Ø s e n t e 2 8 % d e s r e c e t t e s d e l ta t, 1 6 % d u P IB e t 8 5 % d e s e x p o r t a t io n s d e la G u in Ø e . U n p r o je t a m b it ie u x Ø la b o r Ø p a r l t a t g u in Ø e n a v a it p r Ø v u d e d Ø p a s s e r la r g e m e n t c e s s t a t is t iq u e s t o u t e n r e la n a n t l Ø c o n o m ie d u p a y s . S e lo n c e s p r Ø v is io n s , le s e c t e u r m i n i e r d e v r a i t c o n n a ît r e u n e h a u s s e d e


5 % e n t r e 2 0 0 8 e t 2 0 1 3 . C e s p r o je c t io n s d e c r o is s a n c e a c c Ø lØ r Ø e n e s o n t p a s e x a g Ø r Ø e s : le p o t e n t ie l e s t d e lo in p lu s g r a n d q u e la c a p a c it Ø d e p r o d u c t io n . A u t a n t le s e c t e u r m in ie r c o n s t it u e , a v e c l a g r ic u lt u r e , le s p o u m o n s d e l Ø c o n o m ie g u in Ø e n n e , a u t a n t s o n p o t e n t ie l d e m e u r e s o u s - e x p lo it Ø . L e s in v e s t is s e u r s p r iv Ø s o n t c o m p r is c e p a r a d o x e . Ils p r Ø v o ie n t d in je c t e r p r Ł s d e 2 4 m illia r d s d e d o lla r s d a n s le s e c te u r m in ie r d u p a y s e n t r e 2 0 0 8 e t 2 0 1 0 . C e s c a p it a u x s o n t d e s t in Ø s m a jo r it a ir e m e n t l e x p lo it a t io n d u fe r e t a u r a f f in a g e d e l a lu m in iu m . P lu s ie u r s c o m p a g n ie s s e liv r e n t u n e c o n c u r r e n c e fa r o u c h e d a n s l e x p lo it a t io n d u fe r q u i

a v a it p o u r t a n t Ø t Ø n Ø g lig Ø e p e n d a n t p r Ł s d e d e u x d Ø c e n n ie s . A in s i, la S o c iØ t Ø d e s m in e s d e fe r d e G u in Ø e c o m p t e e n t ir e r p r o f it e n 2 0 1 3 , a v e c 3 0 0 0 0 t o n n e s a n n u e lle m e n t e x t r a ite s . U n a u tr e p r o je t p lu s a m b it ie u x e s t d ir ig Ø p a r le c o n s o r t iu m c o n s t it u Ø d e la C o m p a g n ie in te r n a t io n a le d e s f in a n c e s e t d u n e s u c c u r s a le d e R io T in to . Il s o u h a ite e x p lo it e r 2 m illia r d s d e t o n n e s r a is o n d e 1 0 0 m illio n s d e t o n n e s p a r a n . D a n s c e d e s s e in , 6 m illia r d s d e d o lla r s d e v r o n t Œ t r e in v e s t is e t 1 8 0 0 0 2 3 0 0 0 e m p lo is c r Ø Ø s . L a r Ø a lis a t io n d e t o u s c e s p r o je t s d a n s le s e c t e u r m in ie r d e v r a it p e r m e t t r e d e r Ø s o r b e r le c h m a g e , t o u t e n d o n n a n t

Quai Grain.

u n n o u v e a u s o u f f le a u d Ø v e lo p p e m e n t d e c e p a y s d o n t l in f la t io n d Ø p a s s a it la b a rre d e s 4 0 % e n 2 0 0 7 .

Un marché avec la Chine D a n s c e m Œ m e r e g is tr e d e s c a p ita u x Ø tra n g e rs , u n g ro u p e d e x p e r ts g u in Ø e n s p r Ø v o it d e p r o p o s e r la C h in e u n m a r c h Ø p o r t a n t s u r l in v e s t is s e m e n t d e 2 1 m illia r d s d e d o lla r s v is a n t d o t e r la G u in Ø e d in f r a s t r u c t u r e s in d u s t r ie lle s c o n t r e l a c c Ł s d e s C h in o is a u x r Ø s e r v e s d e fe r, d e b a u x it e e t d e d ia m a n t . C e « p la id o y e r p o u r l e x p lo it a t io n d e s r e s s o u r c e s n a t u r e lle s » t r a d u it u n e n o u v e lle c o n s c ie n c e d e s a u t o r it Ø s g u in Ø e n n e s c o n c e r n a n t la v o ie d u d Ø v e lo p p e m e n t p o u r c e p a y s d e 9 , 2 m illio n s d h a b it a n t s , d e u x iŁ m e p r o d u c t e u r m o n d ia l d e b a u x it e . C e n e s t p a s l u n iq u e c h a lle n g e q u e le s n o u v e lle s a u t o r it Ø s s e p r o p o s e n t d e r e le v e r. L a G u in Ø e s o u f f r e d u p a r a d o x e q u i m a r q u e b e a u c o u p d e p a y s s o u s - d Ø v e lo p p Ø s : e lle e x p o r t e d e s m a t iŁ r e s p r e m iŁ r e s e t im p o r t e d e s p r o d u it s m a n u f a c t u r Ø s . 6 0 % d e s e s r e c e t t e s p u b liq u e s p r o v ie n n e n t a in s i d e s Ø c h a n g e s c o m m e r c ia u x . L a m o d e r n is a t io n d u p o r t d e C o n a k r y a p p a r a ît c o m m e l a c l Ø d ’ u n e c r o i s s a n c e c o m m e r c ia le d u r a b le . R Ø c e m m e n t d Ø m a r r Ø e , c e t t e m is e jo u r c o r r e s p o n d a u x e x ig e n c e s d e s p r o je c t io n s m in iŁ r e s . A p r Ł s d p r e s lu t t e s , G e t m a In t e r n a t io n a l a g a g n Ø le c o n t r a t a u n e z e t la b a r b e d e g r a n d s g r o u p e s r Ø p u t Ø s d e la c o n c e s s io n p o r t u a i r e , B o l lo r Ø e t M a e r s k .

Ciments de Guinée.

Quai Alumine.

V

MESSAGE


Profil f Guinée AGRICULTURE, PÊCHE & TOURISME

Des secteurs à fort potentiel

À

l in s t a r d u s e c t e u r m in ie r, l a g r ic u lt u r e , m Œ m e s i e lle e s t « le p r e m ie r e m p lo y e u r » d u p a y s , d e v r a i t v o i r s a r e n t a b i l i t Ø s a c c r o ît r e . S a p a r t d a n s l Ø c o n o m ie e s t a u jo u r d h u i e n d e d e s p o s s ib ilit Ø s d u s o l g u in Ø e n . L e p a y s , c h t e a u d e a u d e l A f r iq u e d e l O u e s t , d e v r a it e n Œ t r e le g r e n ie r. L e d Ø v e lo p p e m e n t d u s e c te u r a g r ic o le p e r m e t t r a it d e r Ø d u ir e la p a u v r e t Ø d a n s le m o n d e r u r a l . V u l n Ø r a b le e n m a t i Ł r e d e s Ø c u r it Ø a lim e n t a ir e , la G u in Ø e a t o u t e s le s p o t e n t ia lit Ø s d ’u n p a y s a u t o s u f f is a n t s u r le p la n a lim e n t a ir e . (E lle a u n e p lu v io m Ø t r ie a b o n d a n te e t u n v a s te r Ø s e a u d ir r ig a t io n . L a d Ø p e n d a n c e a u r iz , c e t t e d e n r Ø e im p o r t Ø e d o n t le p r ix n e c e s s e d e s u b ir d e s h a u s s e s , e s t le b a r o m Ł t r e d e l in f la t io n e n G u in Ø e e t l u n e d e s p r in c ip a le s c a u s e s d e la d if f ic u lt Ø a t t e in d r e l a u t o s u f f is a n c e a lim e n t a ir e . S o u s la h o u le t t e d u g o u v e r n e m e n t d o u v e r t u r e , u n e n o u v e lle p o lit iq u e a g r ic o le v o lo n t a r is t e a Ø t Ø m is e e n p la c e p o u r a p p o r t e r t o u s le s c o r r e c t if s s u s c e p t ib le s d e t r a n s f o r m e r le s e c t e u r e n m o t e u r d e la c r o is s a n c e e t d u d Ø v e lo p p e m e n t .

Accroissement de la pêche industrielle E n p lu s d e c e s r ic h e s s e s a g r ic o le s e t m in iŁ r e s , la G u in Ø e a d e s e a u x m a r it im e s e t flu v ia le s r ic h e s e n p o is s o n s . L e g o u v e r n e m e n t v is e a c c r o ît r e l a p a r t i e d e c e t t e m a n n e h a lie u t iq u e c o n s o m m Ø e p a r le s G u in Ø e n s , m a is Ø g a le m e n t c e lle d e s t in Ø e l e x p o r t a t io n v e r s l E u r o p e e t l A s ie . L a p Œ c h e in d u s t r ie lle y e s t q u a s i e x c lu s iv e m e n t p r a t iq u Ø e p a r d e s f lo t t e s Ø t r a n g Ł r e s o p Ø r a n t s o u s lic e n c e . C in q u a n te to n n e s d e p o is s o n s s o n t p r o d u ite s c h a q u e a n n Ø e . L a p Œ c h e a r t is a n a le r a p p o r t e u n e q u a n t it Ø u n p e u s u p Ø r ie u r e . P o u r t ir e r le m e ille u r p r o f it d e c e s p o t e n t ia lit Ø s , le g o u v e r n e m e n t a a d o p t Ø u n e p o lit iq u e d e m o d e r n is a t io n d e l a c t iv it Ø d e la p Œ c h e , a u jo u r d h u i p r a t iq u Ø e p a r e n v ir o n 1 5 0 0 0 G u in Ø e n s . L a C h in e , d Ø c id e m m e n t l a f f ß t d e s r e s s o u r c e s a f r ic a in e s , e n t r e t ie n t d e s r e la t io n s Ø t r o it e s a v e c la G u in Ø e d a n s c e d o m a in e . D e p u is 1 9 9 7 , e lle s ig n e d e s a c c o r d s d e p Œ c h e a v e c le p a y s . L U n io n e u r o p Ø e n n e ( U E ) e s t a u s s i u n p a r t e n a ir e d e lo n g u e d a t e . L e s p r e m ie r s a c c o r d s d e

Plantation de choux à Nzérékoré.

VI

MESSAGE


Chutes Kilissi.

pêche entre l’UE et la Guinée remontent à 1983, conformément à la Convention de Lomé. Le dernier en date, signé en 2003, devrait faire gagner près de 5 millions d’euros par an à l’État guinéen.

Développement d'un tourisme de haut niveau

faire une clientèle touristique à l’affût de nouvelles aventures en terre africaine. En plus de ces ressources naturelles, la Guinée a des frontières qui ont abrité les plus grandes civilisations africaines. Les empires du Mali, du Ghana, du Fouta théocratique et l’épopée d’Elhadj Omar Tall ont eu pour cadre - entièrement ou partiellement - ce pays singulier. Il renferme également des vestiges de la traite négrière. La Guinée est aussi célèbre

L'état guinéen explore également un domaine au potentiel de développement énorme mais aujourd’hui insuf fisamment exploité : le secteur touristique. L’industrie touristique du pays est en phase de construction. Comme dans les autres secteurs, la Guinée dispose de capacités culturelles, naturelles et artistiques propices au développement d’un tourisme de haut niveau. De la Guinée maritime, terre des mangroves, des palPic de Fon. miers et des cocotiers, au massif du Fouta-Djalon, source de plupour ses percussions avec les Ballets sieurs fleuves africains, en passant par africains. Le Djembé, objet touristique la Haute Guinée, domaine de la savane par excellence, y jouit d’un respect à et des plaines, le pays a de quoi satis-

VII

MESSAGE

la mesure de la fierté qu’éprouvent les Guinéens vis-à-vis de cet instrument qui fascine tant les touristes. Un des fils du pays, Mamady Keïta, est considéré comme l’un des plus grands percussionnistes du monde. Keita a enregistré une dizaine d’albums en quinze années de carrière. Vu les richesses touristiques du pays, les gouvernants n’ont pas hésité à élaborer des programmes pour valoriser le patrimoine guinéen avec l’appui des professionnels du secteur. Un plan d’action visant l’horizon 2015 a été mis en place en 2005 suite à la réactualisation de la politique nationale du tourisme. L’Office national du tourisme honore depuis 2003 tous les rendez-vous touristiques majeurs. La Guinée a été représentée au Salon mondial du tourisme de Berlin, au salon « Tourism of Africa » de Genève en 2006. Pour une participation optimale, l’Office a mis sur pied une véritable task force composée de journalistes et de professionnels.


Profil f Guinée BANQUES & EMPLOI

Un pays plus compétitif

La First International Bank..

Objectif : corriger une faiblesse qui risque d’hypothéquer le développement de l’initiative privée nationale. Arrimé au dollar, le franc guinéen s’est déprécié de manière considérable ces dernières années avec un taux d’inflation à deux chiffres consécutif à une crise politico économique. Entre 2000 et 2006, la valeur du franc guinéen par rapport à l’euro a été divisée par quatre. La tendance est aujourd’hui à l’appréciation. De plus de 1 000 francs guinéens il y a deux ans, un euro est aujourd’hui passé à 650 francs guinéens.

Les microentreprises, source d'emplois L’emploi est l’autre défi auquel fait face le gouvernement. Dans ce pays où près de 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, les micro-entreprises constituent la principale source d’emplois. Ce constat favorise le développement de la microfinance. À preuve, 25 % des familles guinéennes y ont accès, directement ou indirectement. Ce secteur en pleine croissance touche près de 2 000 000 de personnes. Il bénéficie de l’appui financier de bailleurs de fonds. Parallèlement à la microfinance, le marché des a s s u r a nc e s e s t au s s i e n ple ine expansion malgré les difficultés liées à une faible culture de l’assurance dans les pays africains. On l’aura compris : après les douloureux événements de début 2007, la Guinée se remet peu à peu de ses blessures.

Le pays en bref ■ Superficie 245 857 km2 ■ Population 10,1 millions d’hab. ■ Croissance démographique 2,16 % ■ Densité de population 41 hab./km2 ■ Population urbaine 37 % ■ Espérance de vie 54 ans ■ Alphabétisation 29,5 % ■ Indice de développement humain (2007) IDH: 0,456 – Rang: 160/177 ■ Langues Français (officielle), malinké, peul, soussou… ■ Peuplement Peuls, Malinkés, Soussous… ■ Religions Musulmans, animistes. ■ Monnaie Franc guinéen ■ Parité au 01-01-08 1 € = 6212,11 francs guinéens 1 $ = 4226,10 francs guinéens ■ PIB par habitant 410 $ ■ Répartition du PIB primaire 17,3 %; secondaire 25,8 %; tertiaire 57 % ■ Inflation 11,7 % ■ Investissements directs étrangers 108 millions de $ ■ Exportations 1225 millions de $ ■ Importations 1108 millions de $ ■ Principales ressources Bauxite, or, diamants, agriculture (cacao, café).

PROFIL

est un Message réalisé par DIFCOM Agence internationale pour la diffusion de la communication 57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris, France Parution, décembre 2008

Renforcement du fonds national d'insertion des jeunes.

VIII

MESSAGE

Rédaction graphique : DF - Photos : Agnès Rodier - Muriel Devey / JA

P

our rendre l’économie du pays plus compétitive, le gouvernement d’Ahmed Tidiane Souaré, qui fonctionne depuis sa formation suivant le principe de l’équilibre budgétaire, livre un autre grand combat contre l’inflation et pour la protection de la monnaie du pays, le franc guinéen. Lequel a longtemps été tributaire de l’instabilité économique du pays. La faiblesse de la monnaie nationale affaiblissait les banques obligées de faire ses bénéfices sur le marché des changes. La Guinée compte moins de dix établissements bancaires. Elle cherche à améliorer le taux de bancarisation, aussi faible que la participation des compagnies bancaires à l’économie.


IL ÉTAIT UNE FOIS… 49

CONFIDENCES DE...

Djibril Tamsir Niane

JEUNE AFRIQUE: Que retenez-vous des cinq décennies écoulées depuis l’indépendance de la Guinée? Nous pensions aller vers des lendemains qui chantent. Mais le retard technique et scientifique, le manque de capitaux et de cadres sont autant de difficultés auxquelles nous avons dû faire face. Pour ce qui est de la Guinée, nous avons connu une période très difficile sous Sékou Touré et l’histoire tragique que l’on connaît. Mais il faut reconnaître que nous n’avions pas en face de nous des bienfaiteurs. Comment pouvions-nous résister face aux grandes puissances ? Voilà des questions qu’il faut se poser plutôt que de condamner à l’emporte-pièce les États africains. La célébration des indépendances est-elle l’occasion de penser un nouveau départ pour l’Afrique? Nous devons en effet engager une réflexion critique sur les indépendances. Le Ghana, qui a fêté le cinquantenaire de son indépendance en 2007, l’a fait plus ou moins. La Guinée pas du tout. Il faut espérer que les autres pays le feront en 2010. Ensuite, nous verrons comment envisager l’avenir et poser les lignes directrices de l’Afrique de demain. Les Africains sont-ils prêts à engager cette réflexion sur leur avenir alors qu’ils se tournent encore vers l’Occident pour trouver des solutions à leurs problèmes? Nous traînons un complexe de colonisés. Cependant, vers 2000, une nouvelle génération de chefs d’État est arrivée au pouvoir. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) a cédé la place à l’Union africaine. C’est un tournant important. La réflexion semble engagée. La naissance du Nouveau Partenariat pour le développement (Nepad) en est un exemple. Il prouve que des dirigeants africains sont capables de se concerter pour penser l’Afrique de demain. Comment se débarrasser du complexe du colonisé? Il faut construire cette intégration qui sera notre force. Nous sommes en Afrique de l’Ouest. Quelles différences y a-t-il par exemple entre la Guinée, le Sénégal et le Mali? Jusqu’au Niger et en Côte d’Ivoire, il y a les mêmes noms de famille, Barry, Traoré, Diallo, Camara… Les mêmes coutumes. Nos chefs d’État doivent pouvoir donner une coloration politique à ces liens de famille. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

ÉRIC AHOUNOU/APA

Spécialiste de lʼempire du Mali, cet historien est aussi lʼauteur de pièces de théâtre. Né en 1932, il a connu la prison sous Sékou Touré avant de sʼexiler au Sénégal dans les années 1970.

Vous parlez de renouveau africain quand d’autres parlent de renaissance. Où se trouve la différence? C’est une question de mots. L’Afrique doit se construire pour aller vers un renouveau. On peut l’appeler renaissance en référence à ce que l’Europe a vécu. La référence, pour nous, c’est l’Afrique d’avant le XVIe siècle. Les empires du Mali, du Ghana, du Tekrour étaient de vrais États. Doit-on envisager une démocratie à l’africaine? On doit tout repenser à l’africaine. Avant la colonisation, les populations étaient consultées. On savait trouver un consensus. Les Européens ont puisé dans leur passé. Nous avons chez nous une référence, que j’aime citer, la Charte du Mandé, édictée par Soundjata Keita en 1236. Elle contient les principes d’un gouvernement et d’une entente entre les populations. Voilà le genre de choses sur lesquelles nous devons nous appuyer. En Guinée, au-delà de la polémique entourant Sékou Touré, que reste-il du premier président? L’indépendance. C’est le plus important. Pour ce qui est de la gestion de l’indépendance, c’est autre chose. Les Guinéens doivent discuter franchement de ce qui s’est passé sous la Ire et sous la IIe République. L’État doit créer un cadre propice au dialogue. Un ministère de la Réconciliation a été installé en juin 2008. On verra ce que ça donnera. Quelle place doit avoir Sékou Touré dans ce dialogue? Il ne faut pas tout focaliser sur Sékou Touré en tant que personne. Il faut poser un regard global sur ce qui s’est passé et sur le système mis en place afin d’en tirer des leçons. Il y a eu du bon et du mauvais. Il faut le dire. ■ Propos recueillis à Conakry par CÉCILE SOW


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LES ANNÉES LAN

© VINCENT FOURNIER/J.A.

Le président Lansana Conté avec des écoliers, en 1998.


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SANA CONTÉ En 1984, tout était à reconstruire. Passer dʼun système étatisé à une économie de marché nʼa pas été simple. Le processus de démocratisation a connu de nombreux ratés, tandis que lʼarmée nʼa cessé de troubler le jeu politique. Si le bilan de Lansana Conté, décédé le 22 décembre, est médiocre, au moins lʼunité nationale a-t-elle été préservée. Ce qui, dans un environnement régional des plus agités, est une réussite.

IIe République Et pourtant, elle tient…

p. 52

Politique Démocratisation sous pression

p. 52

Économie En attendant le décollage

p. 54

Armée Bruit et fureur dans les casernes

p. 55

International Dans le maelström des crises régionales

p. 58

Gouvernement Profession : Premier ministre

p. 62

Itinéraire Vie et mort d’un soldat-paysan

p. 64


52 LES ANNÉES CONTÉ

II RÉPUBLIQUE ET POUR E

Un climat politique tendu, une économie exsangue, des mutineries à répétition, un environnement régional explosif. Malgré tout cela, lʼunité nationale a été préservée.

C

PHILIPPE LEDRU

’est par un coup d’État « sans effusion de Le bilan est mitigé. Sur le plan politique et des libertés sang et dans un calme total » qu’un groupe d’expression, les acquis sont indéniables. Mais l’opposition d’officiers, constitué en Comité militaire de a du mal à s’unir, et la vie politique n’a pas échappé à la redressement national (CMRN), s’empare du tentation de l’instrumentalisation ethnique. Pour ce qui est pouvoir le 3 avril 1984, une semaine après la des infrastructures, les avancées sont patentes. Les commort du président Sékou Touré. Le général munications et les télécommunications ont été améliorées. Lansana Conté est désigné pour prendre la tête du pays, aux Même si les problèmes de l’eau et de l’électricité sont toudestinées duquel il préside encore en 2008. jours un casse-tête. L’option libérale a libéré des énergies. Tout s’est passé très vite. Le coup d’État militaire est interLes paysans se sont remis à produire et les services se sont venu la veille du jour où la direction du Parti démocratique développés. Le secteur minier a été longtemps négligé. La de Guinée (PDG) allait se réunir pour désigner le candidat transformation de la bauxite et la diversification des proaux élections, qui, selon la Constitution, devaient intervenir ductions sont des options récentes. Préparée à la hâte, la dans un délai de quarante-cinq jours suivant la mort du prélibéralisation n’a pas vraiment favorisé l’émergence d’une sident. Le Premier ministre, Lansana Béavogui, qui assurait classe d’entrepreneurs nationaux et a laissé sur le carreau l’intérim de la présidence, paraissait le mieux placé pour la bon nombre de fonctionnaires et de jeunes diplômés. Enfin, succession. Toutefois, il aurait dû s’opposer au clan du défunt la bonne gouvernance reste un vœu pieux, tandis que la président. En mettant fin à la lutte engagée entre les héritiers course à l’argent, devenu le nouveau dieu, a encouragé la de Sékou Touré, le coup corruption et la délind’État militaire a orienté quance. différemment le cours de Et pourtant, malgré un l’histoire. climat politique tendu, En 1984, la tâche du nouun environnement sousveau régime est gigantesrégional marqué par des que. Tout est à reconstruiconflits violents qui ont re : les institutions, l’écofailli, à maintes reprises, nomie, les infrastructures déstabiliser le pays, et en et même les mentalités. À dépit des mutineries et quoi viendront s’ajouter au des tentatives de coups fil des ans d’autres problèd’État, la Guinée a réussi mes dont la gestion ne sera à échapper à la guerre pas aisée: les processus de civile et à maintenir son démocratisation, les mutiu n ité nat iona le. C ’est neries et les contrecoups peut-être sa plus grande des conflits ravageant les réussite. ■ Après la mort de Sékou Touré, suivie du coup d’État du 3 avril pays voisins. MURIEL DEVEY

P O LI T I QUE

A

1984, le colonel Lansana Conté est porté à la tête du pays.

Démocratisation sous pression

u début des années 1990, la Guinée n’a pas échappé à la vague de démocratisation qui a touché la plupart des pays africains. Mais cette ouverture politique, à laquelle aspiraient nombre de Guinéens après vingt-six ans de dictature, n’a pas eu tous les effets positifs escomptés. Si elle s’est accompagnée d’une plus grande liberté politique et d’expression, elle a donné lieu à des relations difficiles entre le pouvoir et

l’opposition, qui s’est montrée incapable de s’unir pour faire contrepoids au régime en place. Bien que la situation se soit améliorée, les droits de l’homme ne sont pas toujours respectés. Le processus de démocratisation a démarré dans la contestation. Adoptée par référendum le 23 décembre 1990, la nouvelle Constitution limitait en effet le nombre de partis à deux. Mais sous la pression des mouvements en faveur du multipartisme intégral, qui

se développèrent dans le courant de l’année 1991, le chef de l’État sera contraint d’annoncer la légalisation de tous les partis politiques pour le 3 avril 1992, après la promulgation de la Constitution, en décembre 1991. Loin d’enrichir le débat, la prolifération des partis a exacerbé les divisions. La plupart des formations se sont construites sur une base ethnique. À l’exception du Parti de l’unité et du progrès (PUP) du président LanJEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


LES ANNÉES CONTÉ 53

BEN CURTIS/AP/SIPA

TANT, ELLE TIENT...

Affiches du général Conté lors de la campagne pour la présidentielle de décembre 2003.

sana Conté, qui bénéficie de l’appareil d’État et de moyens financiers importants, ainsi que de l’Union des forces républicaines (UFR), les autres formations font en général le plein de leurs voix dans la communauté d’origine de leur dirigeant. Ainsi, la base électorale du Rassemblement du peuple guinéen (RPG) d’Alpha Condé est malinkée, celle de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR) est peule, tandis que les fiefs de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) et du Parti du peuple de Guinée (PPG) sont en Guinée forestière. BOYCOTTÉES PAR L’OPPOSITION

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

criminelle. Il restera deux ans en prison, avant de bénéficier, en novembre 2003, d’une loi d’amnistie pour « tous les délits à caractère politique » votée par l’Assemblée nationale.

La plupart des échéances électorales se sont accompagnées de violences. En décembre 2003, Conté gagne encore une fois la présidentielle avec 95,6 % des suffrages exprimés, face à un seul candidat, Mamadou Bhoye Barry, de l’Union pour le progrès national (UPN). Le revoilà donc en selle, cette fois-ci, pour sept ans. Adoptée par référendum en novembre 2001, une réforme de la Constitution allonge en effet le mandat présidentiel

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Une division qui sera exploitée par le parti présidentiel et sera à l’origine de climats électoraux tendus. Quand elles n’ont pas été reportées ou bien boycottées par l’opposition, la plupart des échéances électorales se sont

accompagnées de violences, et leurs résultats ont été contestés. Au final, c’est le PUP qui sortira gagnant de tous les scrutins. À la présidentielle du 19 décembre 1993, Lansana Conté est élu dès le premier tour, avec 50,93 % des suf f rages, devançant Alpha Condé (20,85 %), Mamadou Ba (13,11 %) et Siradiou Diallo (11,64 %), ses principaux concurrents. En décembre 1998, il emporte une nouvelle fois le scrutin dès le premier tour, avec 56,12 % des voix. La situation dégénère avec l’arrestation et l’emprisonnement d’Alpha Condé. Jugé par la Cour de sûreté de l’État, une juridiction d’exception, pour « atteinte à la sûreté de l’État », ce dernier sera condamné le 11 septembre 2000 à cinq ans de réclusion


54 LES ANNÉES CONTÉ

Manifestants à Conakry, le 22 janvier 2007. ▲ ▲ ▲

de deux ans, supprime la limite d’âge pour son titulaire et instaure un nombre illimité de mandats. Les autres scrutins connaîtront des problèmes semblables. Les résultats des législatives du 11 juin 1995, remportées par le PUP, sont contestés par l’opposition. Du coup, la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale est retardée après la création, le 4 juillet, d’une Coordination de l’opposition démocratique (Codem) regroupant douze partis de l’opposition qui refusent de siéger. En octobre, les choses finissent toutefois par rentrer dans l’ordre. Prévues à l’origine à la fin de 2000,

ÉCO N OM IE

D

mais reportées en raison des attaques de rebelles sierra-léonais et libériens, les législatives se tiennent finalement le 30 juin 2002. Boycottées par la majorité des partis de l’opposition, à l’exception de l’UPR, elles voient la victoire de la majorité présidentielle, qui rafle 90 sièges, contre 24 pour l’opposition. Les prochaines échéances électorales, notamment la présidentielle de 2010, connaîtront-elles de semblables scénarios ? En tout cas, bien des Guinéens, fatigués de leur classe politique, aspirent à voir émerger une nouvelle génération de leaders. ■ M. D.

En attendant le décollage

ès 1985, la reconstruction économique et financière de la Guinée s’inscrit dans le cadre du libéralisme économique. Une rupture par rapport aux options antérieures et qui a l’effet d’un véritable électrochoc, dont le pays ne s’est pas encore tout à fait remis. La reconstruction s’est déroulée en plusieurs phases. La première, dite « de transition », a démarré avec le Programme de réformes économiques et financières (PREF), couvrant la période 1985-1988, soutenu par la communauté

financière internationale. En quelques mois, la Guinée est passée d’une économie étatisée à une économie de marché, avec la mise en œuvre d’une batterie de réformes en tout genre. Un traitement de choc dont les fonctionnaires feront les frais, avec le licenciement de 12000 d’entre eux. Malgré tout, cette période s’est déroulée sans tensions sociales majeures. Cette étape franchie, la phase de reconstruction proprement dite a été mise en œuvre au moyen de deux programmes d’ajustement structurel entre

GEORGES GOBET

1988 et 1994. Objectifs: poursuivre les réformes engagées, appuyer la reconversion des fonctionnaires « déflatés » (licenciés) et engager des projets sectoriels (éducation, infrastructures de base et secteur rural). Cet ensemble de mesures a certes permis de libéraliser l’économie, de rendre la croissance positive et de renforcer les services de base. Mais la chute des cours mondiaux de l’aluminium conjuguée à une croissance médiocre des exportations minières et à des dérapages macroéconomiques, imputables à une mauvaise gouvernance et à la corruption, n’a pas réussi à faire décoller l’économie. À la veille des élections multipartites de 1993, la situation économique et financière était très fragile. DÉRAPAGES EN SÉRIE

Elle continuera à se dégrader tout au long de la décennie suivante. Croissance limitée, inflation en hausse, faiblesse des ressources budgétaires nationales, déficits budgétaires et de la balance des paiements, accumulation d’une importante dette intérieure et extérieure, telles seront les principales caractéristiques de la situation économique. Ces dérapages ont rendu les relations difficiles avec les institutions de Bretton Woods. À la fin de l’année 1995, le programme engagé au titre de la Facilité d’ajustement structurel renforcé (FASR) avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI) est suspendu. Il faudra attendre janvier 1997 pour qu’un nouveau programme voie le jour. Au début des années 2000, la Guinée entre, comme la plupart des pays africains, dans le cycle des programmes de réduction de la pauvreté. En mai 2001, elle signe avec le FMI un programme au titre de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). En juillet 2002, son Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) est approuvé par les Conseils de la Banque et du FMI. Mais, à la suite de nouveaux dérapages, le programme n’est pas exécuté. Du coup, les relations de la Guinée avec la communauté financière internationale sont de nouveau interrompues. Il faudra attendre le 21 décembre 2007 pour que soit signé un nouveau programme triennal au titre de la FRPC. Conjuguée aux problèmes politiques et aux difficultés sociales, la dégradation de la situation économique sera à l’origine de frustrations de toutes sortes JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


ISOUMARE/APA

LES ANNÉES CONTÉ 55

La Société générale de banques en Guinée. Le passage à l’économie de marché, en 1985, ne s’est pas fait sans douleur.

qui déboucheront sur des manifestations et des grèves en 1998 et, surtout, à partir de 2003. Dénonciation de la vie chère, du manque d’eau et d’électricité, tels furent les principaux ressorts de mouvements sociaux qui, loin d’être circonscrits à la capitale, toucheront d’autres villes du pays et seront la plupart du temps durement réprimés par le pouvoir. SYSTÈME BLOQUÉ

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

Si la IIe République a marqué une rupture par rapport au régime de Sékou Touré, un nouveau tournant semble s’imposer. Car, à l’évidence, le système actuel est bloqué. ■ M. D.

Bruit et fureur dans les casernes ARMÉE

F

anfare, défilé de tous les corps d’armes, exhibition de l’armement lourd, feux d’artifice… L’armée guinéenne a marqué de son empreinte la cérémonie commémorant le 50e anniversaire de la Guinée. La demi-douzaine de chefs d’État ouest-africains invités a admiré des colonnes d’hommes disciplinés et appliqués. Une image de sérieux qui tranchait avec l’écho des nombreux remous dans les casernes de Conakry qui leur est épisodiquement parvenu. L’armée guinéenne est en effet depuis quelques années en proie à des troubles récurrents, généralement motivés par des revendications corporatistes. Le dernier soulève-

ment en date a eu lieu au cours de la folle semaine du 26 mai 2008, quand une révolte partie du camp AlphaYaya, dans la banlieue reculée de la capitale, a secoué le pays cinq jours durant et fait planer le spectre du coup d’État. Bilan : des morts, principalement civiles, et d’importants dégâts matériels. Le calme n’est revenu qu’après le début du paiement des sommes que les mutins réclamaient, la libération de leurs camarades arrêtés lors d’une précédente révolte, en mai 2007, le limogeage du ministre de la Défense, le général Mamadou Baïlo Diallo… L’a r mée g u i néen ne, qu i s ’est emparée du pouvoir le 3 avril 1984, quelques jours après le décès

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Porté à son paroxysme, le mécontentement débouche en 2007 sur une explosion sociale, qui menacera sérieusement le pouvoir. De janvier à février, des grèves et des manifestations éclatent un peu partout dans le pays. Les affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre feront officiellement 137 morts. Grâce à la médiation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la grève générale est suspendue après la nomination, le 27 février, d’un Premier ministre de consensus aux pouvoirs élargis, Lansana Kouyaté. Une fonction difficile à assumer, puisque la Constitution ne la prévoit pas. Son mandat sera de courte durée. Payant ses relations difficiles avec le chef de l’État, Kouyaté, qui ne faisait d’ailleurs plus vraiment l’unanimité

dans la population, est limogé le 20 mai 2008 et remplacé par Ahmed Tidiane Souaré, un technocrate réputé proche de la présidence, qui, à peine installé, doit faire face à une mutinerie et à une grève d’enseignants.


Lansana Conté en discussion avec des soldats, en novembre 1998. ▲ ▲ ▲

d’Ahmed Sékou Touré, ne ressemble à aucune de ses homologues d’Afrique de l’Ouest. Elle a connu une histoire particulière depuis sa création le 1er novembre 1958. Constituée au début d’éléments ayant servi dans l’ancienne armée coloniale française – et appelés sur divers théâtres d’opération de la Seconde Guerre mondiale, puis en Indochine, en Algérie… –, elle a été abreuvée très tôt de la rhétorique de Sékou Touré sur le thème de la « défense de la révolution ». En 1970, après avoir échappé à une tentative de coup d’État, le régime a créé une force parallèle, la milice natio-

été obligé de démissionner de l’armée pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 1993. Sa cohabitation avec ses anciens frères a toutefois été ponctuée de heurts tout au long de ces vingt-quatre dernières années. VRAIS FAUX COMPLOTS

En 2005, un dixième des effectifs est mis à la retraite par décret présidentiel. nale, qui lui a permis de contrôler étroitement les moindres faits et gestes de la troupe. Après s’être emparé du pouvoir, le colonel Lansana Conté a intégré la milice au sein des forces armées. Le nouvel homme fort de Guinée, devenu général, a continué à se faire appeler « général-président », même après avoir

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Dès juillet 1985, Lansana Conté a échappé à une tentative de putsch orchestrée par le colonel Diarra Traoré, l’un de ceux avec qui il avait pris le pouvoir. La purge qui s’est ensuivie a emporté un grand nombre d’officiers supérieurs malinkés, issus de la même ethnie que Traoré. À partir de cet événement, les Soussous – groupe minoritaire auquel appartient le chef de l’État – ont été recrutés en masse. En février 1996, Conté a connu la révolte militaire la plus menaçante pour son régime voire pour sa vie. Arguant de l’existence d’une double grille de salaire – la première établie par le ministère des Finances ; la seconde amendée par la hiérarchie à son profit –, la troupe s’est insurgée pour réclamer le différentiel, le fameux « bulletin rouge » dont elle

estimait avoir été spoliée par ses chefs pendant plusieurs années. Deux jours durant, les soldats ont marché sur la ville, pilonné le Palais des nations où se trouvait Conté, et mis la main sur ce dernier, qu’ils ont convoyé manu militari au camp Alpha-Yaya, où il s’est engagé à satisfaire toutes leurs revendications. La commission d’enquête mise en place a par la suite conclu à l’inexistence du « bulletin rouge », présenté comme le produit de rumeurs malveillantes destinées à déstabiliser le pays. La Guinée est ensuite allée de mutineries en vrais faux complots déjoués, d’arrestations en procès de militaires… Pour remettre de l’ordre, le chef de l’État a donné un vigoureux coup de balai dans les casernes, le 4 novembre 2005. L’armée guinéenne n’avait jamais connu un tel chamboulement depuis sa création. Un dixième des effectifs a été mis à la retraite par décret présidentiel. D’un coup, 1 872 officiers, sousofficiers et soldats du rang sur environ 20 000 hommes ont été radiés des cadres. Parmi eux, 2 généraux, 4 colonels, 10 lieutenants-colonels, 39 commandants et 39 capitaines. En même temps que le chef d’état-major

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

V. FOURNIER/J.A.

56 LES ANNÉES CONTÉ


Document :Pub FER ok.pdf;Format :(195.00 x 270.00 mm);Date :11. 12 2008 - 10:22:31

FONDS D’ENTRETIEN ROUTIER Le FER a été crée par décret le 24 novembre 2000. C’est une institution autonome et pluripartite, chargée d’assurer la canalisation du financement de l’entretien routier. Le FER répondait à la volonté d’autonomiser, de responsabiliser et de personnaliser les actions de financement et après une période de gestation le lancement du FER fut décidé en avril 2003. L’objet de l’institution est de recueillir et d’administrer les fonds destinés à l’entretien du réseau routier éligible à la charge de l’État et des collectivités décentralisées.

l Les objectifs poursuivis à cette occasion s’exprimaient à travers 3 lignes de force. La débudgétisation : afin de constituer un canal crédible de financement local de l’entretien routier, direct, régulier, prévisible et indépendant des aléas budgétaires. Il s’ensuit un transfert de toute responsabilité indiscutable. L’autonomie : l’établissement public à caractère industriel et commercial ainsi créé dispose d’une autonomie totale par rapport à l’administration.

Les axes d’interventions du FER se situent au niveau de l’entretien courant des routes et des pistes rurales.

La stricte affectation des produits du tarif routier est un impératif. La professionalisation : les relations entre le FER et les maîtres d’ouvrage clients du FER répondent à des modalités exigentes de standards de qualité maximale.

l Ainsi les axes d’intervention du FER se situent au niveau de l’entretien courant, visant

notamment à assurer l’entretien périodique, à éliminer les points critiques, à conforter l’entretien des ouvrages de franchissement, à assurer l’entretien des voiries primaires et à protéger le réseau en améliorant la signalisation des routes.

Les interventions représentent un volume variable, soumis aux caprices de la conjoncture et sont comprises entre 30 et 50 milliards de FG par an soit entre 4 et 7 millions d’euros.

D I F C O M • A D S - C h Au v I n

l Les raisons sont clairement identifiées. Les ressources du FER en effet, comprennent normalement une redevance d’entretien routier intégrée dans le prix des carburants. Les hausses récentes du coût de l’énergie avaient conduit à une baisse considérable de la vente du carburant à la pompe. Au-delà de ces ressources récurrentes les ressources proviennent également des contributions de l’État et des bailleurs de fonds, des produits financiers, des subventions, des dons et legs. l L’ensemble des dépenses du FER est strictement audité. La rigueur de la gestion est reconnue et c’est la raison pour laquelle les bailleurs de fonds observent désormais avec beaucoup d’intérêt les projets d’intervention du FER.

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Point de contrôle militaire à Conakry lors de la présidentielle de décembre 1998.

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de l’armée de terre, le secrétaire général de la sécurité intérieure et l’inspecteur général des forces armées, nombre d’éléments « récalcitrants » ont été emportés par la vague. Tous ceux soupçonnés d’avoir été mêlés de près ou de loin au moindre trouble ont été de la fournée. Sans pour autant que soit enrayé le désordre dans les casernes. RECRUTEMENT HASARDEUX

Et pour cause : une vraie crise de confiance s’est installée entre la base et le sommet de la hiérarchie. Presque tous anciens « tirailleurs sénégalais », les douze généraux, âgés, sont soupçonnés d’être corrompus et de verrouiller les rouages pour empêcher l’ascension des jeunes. Formés un peu partout à travers le monde, y compris dans les prestigieuses écoles de Saint-Cyr et de Pittsburgh, les jeunes officiers, mal payés et tenus à l’écart des postes de commandement les plus intéressants,

IN T ER NAT I O NAL

S

vivent un malaise de plus en plus perceptible. À cette rupture entre générations s’ajoute un recrutement hasardeux. Aux grades inférieurs on trouve des soldats à la formation sommaire qui, en l’absence de débouchés, se sont placés sous les drapeaux pour y chercher un salaire garanti. « On recrute surtout des proches des hauts responsables qui sont aussi les premiers à profiter des promotions et des formations, confiait un jeune officier à Jeune Afrique en juin 2008. La hiérarchie ne pense pas aux plus méritants. Si l’on s’en tenait au règlement, aucune incorporation ne devrait être possible sans une enquête préalable de la gendarmerie. » Résultat : l’armée a accueilli des éléments à la conduite imparfaite et à la moralité douteuse. Parmi eux, cer-

tains ont même été identifiés comme étant d’anciens « rebelles » qui ont fait le coup de feu à l’occasion des guerres civiles ayant secoué le Liberia, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire, voisins de la Guinée. Ces éléments, souvent accusés d’indiscipline et d’inconduites diverses (trafics d’influence, voies de fait, rackets…), sont pour la plupart désœuvrés, errant à travers les rues, l’arme en bandoulière. La capacité d’accueil des casernes a été atteinte depuis plusieurs décennies ; ce qui contraint nombre de soldats à vivre parmi les civils, presque livrés à eux-mêmes. La coopération militaire tente vaille que vaille de corriger ces nombreuses dérives. Les unités d’élite sont formées à Kindia, la plus importante garnison du pays, par des instructeurs chinois. Les États-Unis ont formé les « rangers » affectés à la surveillance des frontières. La France apporte son assistance dans le domaine de l’administration et des transmissions. Mais l’armée guinéenne a besoin de très profondes réformes pour devenir

Aux grades inférieurs, on trouve des éléments à la formation sommaire. professionnelle et républicaine. Faute de quoi, comme le prédisent nombre d’observateurs qui s’interrogent sur l’après-Conté, une nouvelle immixtion des hommes en armes dans le jeu politique est inévitable. ■ CHEIKH YÉRIM SECK

Dans le maelström des crises régionales dégâts écologiques que cet afflux de population n’a pas manqué de provoquer. Les premières vagues ont été alimentées au cours des années 1990 par des ressortissants de Sierra Leone et du Liberia. Au début des années 2000, on estimait leur nombre à plus de 700 000, en majorité concentrés en Guinée forestière. Avec la normalisation de la situation dans les deux pays, une grande partie des réfugiés sont rentrés chez eux. Rebelote en 2002. Fuyant la crise politico-militaire ivoirienne, plusieurs

milliers de Maliens, de Burkinabè et d’Ivoiriens sont venus se mettre à l’abri en Guinée, principalement dans l’est du pays. PILLAGES ET EXACTIONS

La Guinée a également servi de base arrière à diverses factions combattantes étrangères, dont le Front révolutionnaire uni sierra-léonais (RUF), le Mouvement uni pour la libération du Liberia (Ulimo) et le Front national patriotique du Liberia (NPFL). Évidemment, leur présence a été

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a position géographique n’a pas toujours été un avantage pour la Guinée. C’est dans les années 1990 que le pays a connu ses moments les plus difficiles, lorsqu’il a eu à subir les contrecoups des crises régionales dans lesquelles il a été impliqué de diverses manières. D’abord en tant que terre d’accueil pour de nombreux réfugiés fuyant la guerre civile dans leur pays. Une situation que la Guinée a toutefois réussi à gérer, malgré les tensions avec les populations locales et les

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60 LES ANNÉES CONTÉ

Réfugiés libériens et sierra-léonais dans le camp de Katama (Sud), en février 2001.

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un calvaire pour les populations locales et les réfugiés, qui ont eu à subir pillages et exactions. Enfin, la Guinée a été impliquée dans les crises régionales en tant qu’acteur indirect. Soit en instrumentalisant certaines factions, comme l’Ulimo d’Alhaji Kromah, qui recrutait dans l’ethnie malinkée. Soit en déployant des contingents armés dans les pays voisins en crise pour, officiellement, participer aux efforts de rétablissement de la paix dans la région, mais surtout pour tenter d’anticiper un éventuel débordement des combats en territoire guinéen. C’est ainsi qu’en 1990 Conakry a livré des contingents aux forces de l’Ecomog chargées de défendre Monrovia, la capitale du Liberia, contre les poussées du NPFL et à chaque intervention de la Communauté économique des États

d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans la sous-région. PLUS DE MILLE MORTS

La Guinée a également envoyé des troupes en Guinée-Bissau, conjointement avec le Sénégal, pour mater la mutinerie qui avait éclaté en 1998 après la destitution du général Ansumane Mané, chef d’état-major de l’armée. En septembre 2000, l’implication indirecte de la Guinée dans les conflits adjacents a pris une tournure particulièrement dramatique. Venant de Sierra Leone et du Liberia, des éléments armés ont fait irruption en Guinée maritime et en Guinée forestière. Pour stopper leur avancée et éviter un

embrasement général, la CEDEAO a déployé un contingent armé aux frontières du pays. Après plusieurs semaines de combats, l’armée guinéenne a fini par reprendre le contrôle de la situation. Mais le bilan fut lourd : plus de mille morts, des centaines de blessés, des dégâts matériels importants et des déplacements massifs de populations. Les relations guinéo-libériennes sont restées extrêmement tendues jusqu’à la fin de la guerre, en août 2003. La sortie de crise libérienne a été l’occasion de consolider la paix dans la sousrégion et d’ouvrir la voie à une réconciliation entre les pays de l’Union du fleuve Mano (Guinée, Sierra Leone et Liberia). En mai 2004, le président guinéen organisait d’ailleurs un sommet des chefs d’État de l’Union à Conakry. Si ses relations politiques avec ses voisins se sont améliorées, la Guinée reste peu intégrée économiquement dans la sous-région. Bien que membre de la CEDEAO et de l’Union du fleuve

En 1998, Conakry envoie des troupes pour mater une mutinerie en Guinée-Bissau. Mano, elle ne fait pas partie de la zone franc, alors qu’elle est entourée de quatre pays – Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau – qui en sont membres. ■

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3

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1 Louis Lansana Beavogui

Il faut attendre le 26 avril 1972 pour que Sékou Touré désigne un Premier ministre en la personne de son vieux compagnon d’armes Louis Lansana Beavogui (ci-dessus au centre). Après la prise du pouvoir par l’armée, le 3 avril 1984, Beavogui est interné à Kindia avec les autres dignitaires du régime déchu. Il y meurt de maladie en août suivant.

2 Diarra Traoré

Le 5 avril 1984, le Comité militaire de redressement national nomme le colonel Diarra Traoré Premier ministre. Le

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FRANÇOIS ROJON/GAMMA

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18 décembre, ce dernier est rétrogradé au poste de ministre de l’Éducation nationale. Accusé de tentative de coup d’État, il sera exécuté le 5 juillet 1985.

3 Sidya Touré

C’est auréolé de sa réputation de directeur de cabinet du Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara, que Sidya Toura accède à la direction du gouvernement le 9 juillet 1996. Des premiers succès lui assurent une réelle popularité, mais il est renvoyé au bout de trois ans, prenant la tête d’un parti d’opposition.

4 Lamine Sidimé

Juriste et universitaire, Lamine Sidimé (ici avec Dominique de Villepin) occupe la Primature pendant cinq ans, du 8 mars 1999 au 23 février 2004. À la suite de quoi, il retrouve à la tête de la Cour suprême les fonctions qui étaient les siennes auparavant.

5 François Lonsény Fall

Diplomate de métier, ancien ministre des Affaires étrangères, François Lonsény Fall crée la surprise en profitant d’un voyage à Paris pour annoncer avec éclat sa démission le 30 avril 2004, soit deux JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


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V. FOURNIER/J.A.

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AGNÈS RODIER

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mois après sa nomination. Il devient par la suite représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour la Somalie, puis pour la Centrafrique.

6 Cellou Dalein Diallo

C’est une mission plus économique que politique que Cellou Dalein Diallo, réputé sérieux et constructif, se voit confier le 9 décembre 2004. Le 5 avril 2006, le président Lansana Conté le démet de toutes ses fonctions pour « faute grave ». Après avoir voyagé un temps à l’étranger, il est revenu en Guinée. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

7 Eugène Camara

Début 2007, le pays est secoué par de violentes manifestations. Le 9 février, Lansana Conté nomme un de ses proches, Eugène Camara, à la Primature. Le 26, toutefois, se conformant à l’accord signé ce jour-là avec la société civile, il est obligé de s’en séparer.

8 Lansana Kouyaté

Le 26 février 2007, c’est un autre diplomate, Lansana Kouyaté, alors représentant de la Francophonie en Côte d’Ivoire, qui est appelé à la tête du gouvernement. Sa nomination suscite de

grands espoirs. Mais Kouyaté ne parvient pas à conjurer les effets désastreux de la hausse des prix du pétrole et de la pénurie en denrées de base.

9 Ahmed Tidiane Souaré

Alors qu’il se préparait à lancer une opération Dialogue-RéhabilitationRéconciliation comme préalable à la célébration du cinquantenaire de l’indépendance, Lansana Kouyaté est démis de ses fonctions le 20 mai 2008. Il est remplacé par un ancien ministre, inspecteur général des Finances, Ahmed Tidiane Souaré.


64 LES ANNÉES CONTÉ ITINÉRAIRE

Vie et mort dʼun soldat-paysan Lansana Conté, qui sʼest éteint le 22 décembre, a gouverné pendant vingt-quatre ans sur la base de règles peu communes : le refus du moindre compromis avec ses adversaires, une tentation isolationniste permanente et un nationalisme exacerbé.

I

l a longtemps déjoué tous les pronostics vitaux. Et surpris les médecins marocains qui, en décembre 2002, ne lui donnaient pas plus de six mois à vivre. Mais, rongé jusqu’à la sève par une leucémie et un diabète aigu, le « Mangué » (« le chef », en soussou, comme l’appelaient la plupart de ses compatriotes) s’est éteint le 22 décembre en fin d’après-midi. Il avait 74 ans. D’un courage rare, et d’une bravoure toute militaire, l’ancien tirailleur sénégalais a refusé jusqu’au bout de se laisser abattre. Digne dans l’épreuve, soucieux de n’afficher le moindre signe de faiblesse, Conté a passé les dernières années de sa vie en supportant en silence la douleur. En proie à des comas diabétiques récurrents, responsables de troubles répétés de la mémoire, incapable de trouver le sommeil, il se levait en pleine nuit pour aller s’asseoir dans un fauteuil sous un arbre au milieu de sa résidence de Wawa, son village, à quelque 100 km de la capitale. La maladie l’avait coupé de tout, et avait complètement chamboulé ses habitudes. Fini les films de guerre et d’espionnage militaire qu’il regardait à longueur de temps. Fini les escapades régulières à travers champs, notamment dans son domaine agricole qui s’étend sur plusieurs centaines d’hectares, à Gbantama. Il ne sortait plus de son pays depuis plusieurs années. Il n’a pas revu Paris, où il s’est rendu pour la dernière fois à l’occasion du sommet France-Afrique de 1998. Et il n’a pas pu assister aux cérémonies du cinquantenaire de la Guinée, le 2 octobre dernier à Conakry.

PROMPT À EN DÉCOUDRE

Militaire dans l’âme et viscéralement attaché à ses racines terriennes. Il laisse le souvenir d’un dirigeant atypique, d’un inclassable tirailleur sénégalais. Curiosité politique contemporaine, Lansana Conté fut sans nul doute l’un des rares chefs d’État à ne pas connaître sa date de naissance. Il voit le jour vers 1934 à LoumbayaMoussaya, dans la préfecture de Dubréka, région administrative de Kindia. En 1950, il intègre l’École des enfants de troupe de Bingerville (Côte d’Ivoire) puis celle de Saint-Louis (Sénégal), avant d’effectuer ses classes au peloton de Kayes (Mali). Sous les drapeaux de l’armée française, Conté fait la « sale guerre » d’Algérie en 1957 et 1958. Au lendemain de l’indépendance de la Guinée, le 2 octobre 1958, il décide de rejoindre son pays où il est incorporé comme sergent dans

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Fait unique dans l’Histoire: en décembre 2003, il avait glissé son bulletin dans une urne qu’on lui avait apportée alors qu’il était assis dans sa voiture. Incapable de se mouvoir pour effectuer son devoir civique, il avait été réélu avec un score

proche de 100 % des suffrages exprimés. Accroché au fauteuil présidentiel, il a continué à régner sur la Guinée sans être dans les dispositions physiques pour la gouverner. Têtu, il a réalisé une promesse qu’il avait faite à ses adversaires politiques, un jour de janvier 1999: « Tant que je serai vivant, vous n’accéderez jamais au pouvoir. Pendant que nous souffrions sous la dictature, vous étiez partis. Vous ne pouvez pas aujourd’hui quitter votre exil doré pour venir nous commander. » Lansana Conté est parti comme il a vécu: en défiant toutes les règles généralement admises. Le colonel au physique de garde du corps, entré par effraction dans l’histoire de la Guinée, un jour d’avril 1984, a gouverné son pays pendant vingt-quatre ans sur la base de règles peu communes : le refus du moindre compromis avec ses adversaires politiques, une forte tendance à l’autisme, une tentation isolationniste permanente et un nationalisme exacerbé. Il est sans conteste le seul chef d’État en Afrique post-ouverture démocratique à n’avoir jamais reçu ses opposants. « Je ne parle pas à ces gens-là », a-t-il répondu le 5 octobre 2000 à son homologue sénégalais, Abdoulaye Wade, qui tentait de le convaincre d’accepter un dialogue avec ses adversaires. L’ex-homme fort de Conakry laissait à tous ceux qui l’approchaient le souvenir d’un homme rigide, peu porté au compromis, prompt à en découdre. Un Soussou, en somme. Lansana Conté avait tout de son groupe ethnique, du physique (teint noir éclatant, visage massif, traits épais…) jusqu’au caractère. Établis sur la côte atlantique guinéenne, de Forécariah à Boké, en passant par Coyah, Conakry, Dubréka et Boffa, les Soussous sont

ouverts au monde comme la mer, mais peu regardants sur les convenances et le protocole. Conté était un pur produit de cette culture de la côte. Son langage, direct, n’a jamais flirté avec la langue de bois. À Charles Josselin, ministre français de la Coopération, lui demandant en 1999 la date du jugement de l’opposant Alpha Condé, il avait lancé: « Vous m’emmerdez avec cette histoire. » Avant de confier en langue soussoue à l’un de ses ministres, devant Madeleine Albright, en octobre 2000 : « Si cette p… croit me faire changer d’avis… » La traduction de la phrase par le personnel local de l’ambassade américaine à Conakry n’avait pas ravi la secrétaire d’État américaine de l’époque. Vingt-quatre ans au pouvoir n’ont pas altéré les manières de l’homme, ni réussi à lui forger de nouvelles amitiés ou à lui donner accès à des cercles sélects. Lansana Conté est resté imperméable à toute influence, viscéralement attaché à ses traditions paysannes et à la discipline militaire, radicalement méfiant vis-à-vis de l’extérieur.

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Le 22 juillet 1999, lors de l’inauguration du barrage de Garafiri.

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

ÉRIC HADJ/SIPA PRESS

LES ANNÉES CONTÉ 65


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l’armée naissante. En bon soldat, il gravit les échelons de la hiérarchie en faisant la guerre. En Angola, en Guinée-Bissau, au Cap-Vert… aux côtés des mouvements de libération engagés dans la lutte contre le colon portugais. Quand le Cap-Vert accède à l’indépendance, en 1975, Lansana Conté a atteint la fonction de chef d’état-major adjoint de l’armée de terre. Avant d’être promu colonel en 1982, grade avec lequel il accède au pouvoir en 1984. NOUVELLE MONNAIE

Après deux décennies durant lesquelles il a gouverné la Guinée d’une main de fer, celui qui est devenu général a perdu les leviers de commande à mesure que la maladie transformait son physique de garde du corps en une silhouette fragile de vieillard affaibli. Lansana Conté laisse un héritage qui aurait pu être beaucoup plus brillant s’il avait su partir à temps. On ne peut pas ne pas éprouver une impression de gâchis en regardant en arrière. Les choses avaient bien démarré après le règne catastrophique d’Ahmed Sékou Touré, le père de l’indépendance, dont les vingt-six ans de gestion paranoïaque du pouvoir avaient produit des résultats calamiteux: centralisme excessif, étatisation du commerce, ruine de l’agriculture, effondrement de l’économie, régression de la qualité de l’enseignement, isolement international du pays, fuite des cadres pour échapper à la prison et à la mort… Arrivé aux affaires une semaine après la mort de Sékou Touré, Conté a mis fin au régime « révolutionnaire » de son prédécesseur et s’est engagé à ouvrir le pays au reste du monde, à mettre en valeur ses immenses ressources naturelles, à resJEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

25 juin 2007. L’une des dernières photos du président guinéen.

taurer les droits de l’homme, à faciliter le retour des quelque deux millions de Guinéens dispersés à travers le monde pour fuir la répression du défunt régime… Dans la foulée de son discours-programme du 22 décembre 1985, vingt mois après son arrivée au pouvoir, il a rétabli l’initiative privée et engagé avec les institutions de Bretton Woods la privatisation de nombreuses entreprises publiques et la restauration des équilibres macroéconomiques. Il devait également frapper une nouvelle monnaie nationale (le franc guinéen) pour remplacer le syli, fixé à une parité fantaisiste par rapport au dollar. Les résultats ne se sont pas fait attendre : au cours de la décennie 1990, la croissance de l’économie guinéenne s’est élevée en termes réels à une moyenne de 4,5 % par an. Le taux d’inflation a été stabilisé à moins de 5 % tout au long de cette période, et le déficit budgétaire contenu à moins de 5 % du PIB. Ces mutations économiques se sont accompagnées de réformes politiques. En décembre 1990, Conté a fait adopter par référendum une Loi fondamentale progressiste instituant le pluralisme politique et la protection des droits de l’homme. Une année plus tard, il a complété la nouvelle architecture institutionnelle par douze lois organiques qui réglementent le régime de la presse, les élections, le fonctionnement de l’Assemblée nationale, le statut de la Cour suprême… Le terrain était balisé pour la tenue des premières élections présidentielle et législatives pluralistes en 1993 et 1995. Las! Si le pays est passé du parti unique à une quarantaine de formations recon-

nues aujourd’hui, et d’un journal gouvernemental unique, Horoya, à une cinquantaine de titres indépendants déclarés, il n’a cessé d’aller à rebours sur le chemin de la démocratie et du respect des droits de l’homme. Le scrutin présidentiel de décembre 2003 et les législatives de juin 2002, boycottés par tous les partis importants de l’opposition, de même que les élections locales truquées de décembre 2005 sont les derniers exemples des contentieux électoraux récurrents depuis l’ouverture démocratique. Bien que l’ayant librement institué, en dehors de la contrainte de la rue ou d’une conférence nationale, Conté n’a jamais pu se faire au jeu de la démocratie. Militaire de carrière, façonné dans le moule unanimiste du Parti démocratique

Le « général-président » n’a jamais pu se faire au jeu de la démocratie. de Guinée (PDG, l’ex-parti unique d’Ahmed Sékou Touré) dont il était membre du comité central, il n’était pas formaté pour accepter une quelconque relativité de son autorité ou de son pouvoir. Il est ainsi passé au premier tour de l’élection présidentielle de 1993, à la faveur de l’annulation par la Cour suprême des votes à Siguiri et à Kankan (deux fiefs de son challenger Alpha Condé, l’un des principaux leaders de l’opposition). Après les législatives contestées de 1995, il a fait arrêter Alpha Condé le lendemain de la présidentielle controversée du 14 décembre 1998, alors même que le résultat du scrutin n’était pas encore connu. Avant de

SABRI ELMHEDWI/EPA

8 avril 1984. L’une des premières photos du colonel Conté (au centre) après son accession au pouvoir.

PHILIPPE LEDRU/SYGMA

LES ANNÉES CONTÉ 67


68 LES ANNÉES CONTÉ Les Guinéens, qui peinent à avoir un plat par jour, se nourrissent de riz arrosé d’une sauce sans huile. Ils importent pratiquement tout ce qu’ils consomment (notamment le riz, l’aliment de base), alors qu’ils habitent un vaste et généreux jardin. En plus d’être traversé par plusieurs grands fleuves de la sous-région – ce qui lui vaut son appellation de « château d’eau de l’Afrique » – , le pays est arrosé par des pluies abondantes six mois par an. On y trouve tout, ou presque : riz, tomates, oignons, café, cacao, bananes, melons… Mais l’agriculture est morte, à l’image de tous les autres secteurs, passant de 90 % du PNB du pays avant l’indépendance à moins de 20 % depuis 1995. Signe le plus éloquent de cette régression, le pays n’est plus cité en exemple dans le secteur de la banane, alors qu’il en était, avec 700000 tonnes, et loin devant la Côte d’Ivoire, le premier exportateur du temps de l’Afrique-Occidentale française. La Guinée a perdu jusqu’à son image internationale. Elle ne brille plus comme à l’époque où elle était dirigée par Sékou Touré, un tribun MISÈRE ET PRIVATIONS hors pair qui passait à l’extérieur Sous l’effet conjugué de l’insépour un nationaliste sincère et un curité née des attaques rebelles militant panafricaniste. Ni comme contre le pays en septembre 2000, lorsque le talentueux orchestre du de la gestion catastrophique des Bembeya Jazz et le Syli National deniers publics, mais aussi de l’ef(équipe de football) exportaient fondrement des recettes minières, leur culture et leur talent sportif. l’économie s’est détériorée à un Le pays n’existe tout bonnement rythme inquiétant. plus sur la scène internationale, De Conak r y à Kankan, de Dans son domaine agricole, en novembre 1998. Lansana Conté ayant systématiGaoual à Nzérékoré, les Guinéens quement boycotté toutes les renvivent mal, très mal. La misère est contres au cours des dernières années morts de froid le 2 août 1999 à l’aéroport partout, jusque dans le centre-ville de la de sa vie. de Bruxelles, dans le train d’atterrissage capitale. Dans les quartiers de Coronthie, Comment préserver cette sorte d’équid’un avion en provenance de Conakry. Boulbinet, Almamyah…, à quelques jets libre instable dans laquelle la Guinée Faute de revenus, nombre de jeunes filles de pierres du palais, elle se lit dans le vivait jusqu’à la mort de Conté, dans une en petite tenue s’alignent dès le crépusdélabrement des habitations, de basses cule sur les trottoirs de la maisons en tôle insalubres. La précarité, capitale, interpellant les le manque d’hygiène et le défaut de canaautomobilistes de paslisations pour drainer les eaux stagnantes sage. dans ce pays pluvieux font le terreau de Avant de mourir, Lannombreuses maladies. Les hôpitaux sont sana Conté a anéanti les des mouroirs. Les anecdotes sur les plus acquis de son règne. De grands établissements du pays (Ignace 4 milliards de dollars en Deen et Donka) en disent long sur l’état sous-région ouest-africaine mouvemen1996, le produit intérieur brut avait chuté de leurs prestations. Tel ce malade qui tée? Cette paix est fragile. Survivra-t-elle à 3 milliards en 2001. Le « général-présidécède sur la table d’opération pour cause à une transition mal menée? Comment dent » laisse une économie à terre. Triste d’interruption de l’intervention par une canaliser les haines ethniques exacerréalité, dans un pays riche en ressources coupure d’électricité. Ou ce diabétique bées par les actes arbitraires qui n’ont naturelles. Premier réservoir de bauxite qui trépasse parce qu’un médecin a eu la pas manqué en deux décennies de Conté au monde, la Guinée regorge de minerais grande idée de lui perfuser du glucose. à la tête de l’État? ■ stratégiques comme l’or, le diamant, le Les écoles et les universités ne sont CHEIKH YÉRIM SECK fer… guère en meilleur état. Manquant de tout, y compris d’enseignants compétents, les lycées et universités abandonnés à euxmêmes délivrent des diplômes peu ou pas reconnus à l’étranger. La jeunesse noie son mal de vivre dans la Skol et la Guinness, les deux bières les plus prisées. Éprouvés par le difficile quotidien, les jeunes cherchent tous à partir, à fuir à tout prix ces lieux maudits à leurs yeux synonymes de misère et de privations. À l’image de Fodé Tounkara (15 ans) et Yaguine Koita (14 ans) retrouvés

VINCENT FOURNIER/J.A.

se retrouver seul face à un candidat fantaisiste cinq ans plus tard, et donc de se succéder à lui-même avec un score avoisinant 100 % des suffrages exprimés. Au cours de ces dernières années, l’accroissement des difficultés économiques du pays s’est accompagné d’un durcissement progressif du régime. Le 11 novembre 2001, un référendum constitutionnel est venu anéantir la décentralisation (en instituant la nomination des chefs de district et de quartier, jusque-là élus) et instaurer la présidence à vie (par la modification de l’article 24 de la Loi fondamentale qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels de cinq ans). Après l’opposant historique Mamadou Bhoye Bâ, c’était au tour de Sidya Touré, leader de l’Union des forces républicaines, et d’Antoine Soromou, celui de l’Alliance nationale pour la démocratie, de goûter aux geôles de Conté respectivement en avril 2004 et en janvier 2005. Une régression démocratique proportionnelle à la faillite économique de l’État.

Elle est loin l’époque où le pays brillait sur la scène internationale.

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© LES ÉDITIONS DU JAGUAR

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Plus de 1 000 000

de 200 à 500 m

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RICHESSES La Guinée couvre une superficie de 245 857 km2. Les deux tiers du territoire sont montagneux ou accidentés et bénéficient dʼune pluviométrie abondante et régulière. Avec des conditions naturelles aussi favorables, le pays devrait être exportateur de produits agricoles. Ce nʼest pas (encore) le cas, et, en attendant, il vit de ses ressources minières. Lʼexploitation de la bauxite, en particulier, occupe une part importante dans le produit national.

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Découverte En passant par Conakry

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Conjoncture Enfin, le bout du tunnel ?

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Agriculture La clé des champs

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Mines Nouvel eldorado

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Infrastructures À bon port

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72 UN PAYS ET SES RICHESSES DÉCOUVERTE

En passant par Conakry

J.F. ROLLINGER/J.A.

De la presquʼîle de Kaloum, centre administratif et des affaires, aux venelles sinueuses des quartiers populaires, visite dʼune ville tout en contrastes.

Retour de pêche. Par sa configuration géographique, une presqu’île, Conakry donne de partout sur l’océan.

J.F. ROLLINGER/J.A.

Marché aux fruits et légumes. Ananas, bananes et agrumes sont produits en quantité non loin de la capitale.

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onakry, avenue de la République. Ce mardi, comme tous les autres jours de la semaine, quelle que soit la période de l’année, la principale artère du centre de la capitale guinéenne est en effervescence. Sur les trottoirs, il est difficile de se frayer un chemin. Les petits commerçants sont les maîtres des lieux. Journaux, cigarettes, lunettes, téléphones portables, noix de cola… Posés sur des tables bancales, accrochés à des tableaux en bois ou protégés derrière la vitrine d’une étagère de fortune, tous ces produits occupent une bonne partie de l’espace. Un espace que doivent encore se disputer vendeuses de fruits nonchalantes et agents de change informels serrant contre leur torse des sacs bourrés de liasses de billets défraîchis.

Le passant n’a d’autre choix que d’emprunter la chaussée. À ses risques et périls. À tout moment, un automobiliste à la recherche d’une place de stationnement peut se rabattre sur le bas-côté et lui rouler sur les pieds ou accrocher ses vêtements. Un incident qui se déroulera sous le regard indifférent d’une policière en tenue bleue impeccable, perchée sur des chaussures à talons carrés, chapeau sur la tête, mobile scotché à l’oreille. Nullement perturbée par le tohu-bohu, elle papote au beau milieu du carrefour, alors que les conducteurs tentent de se frayer un passage. LANGAGE CODÉ

Sans doute le nouveau venu dans la capitale sera-t-il irrité par les coups de klaxon stridents et répétés des chauf-

feurs de taxis à la recherche de clients. Le bras tendu par la fenêtre, beaucoup agitent la main vers la gauche ou la droite ou encore pointent deux doigts vers l’avant. Langage codé que le Conakrika connaît bien. Chaque position indique une direction pour sortir de Kaloum, la presqu’île abritant bâtiments administratifs, sièges sociaux, commerces et services spécialisés ainsi que de nombreux monuments. Elle doit son nom à un royaume installé sur ce site jusqu’à la fin du XIXe siècle. En 1996, date du dernier recensement, Kaloum accueillait à peine 75000 habitants sur le million installé à Conakry. Depuis, la population de la capitale a dépassé 1 500 000 habitants. Derrière les nombreux immeubles en construction, on trouve encore quantité de bâtiments remontant à la période JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


ISOUMARE/APA

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L’avenue de la République, principale artère de Kaloum. Sur les trottoirs et à même la chaussée, une véritable marée humaine.

SOUMARE/APA

Sur la corniche, monument représentant un tirailleur.

coloniale, de même que de très anciennes concessions ocre habitées par des familles de toute condition. ARBRES AU FEUILLAGE TOUFFU

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

Arrive la « statue de la Liberté », représentant un homme brisant ses chaînes. Avec l’éléphant du rond-point Belle-Vue, le footballeur de Hamdallaye ou encore la femme offrant une

En 1996, Conakry comptait 1 million d’âmes. Depuis, elle a dépassé 1 500 000 habitants. calebasse de colas en guise de bienvenue au carrefour de Gbessia, près de l’aéroport, elle fait partie des stèles célébrant le cinquantenaire de l’indépendance. L’imposante « statue de la Liberté » se trouve juste avant le pont du 8-Novembre, marquant la limite de Kaloum et l’entrée vers les ▲ ▲ ▲

À quelques pas du centre des affaires et des administrations, Conakry vit à un rythme moins effréné. Seuls les gamins engagés dans de farouches parties de ballon rond au beau milieu de la chaussée, ignorant passants et automobilistes, débordent d’énergie. Quelques femmes devisent sagement en faisant frire de l’aloco (banane plantain) ou mijoter des mangué ya lan khi (mangues à l’huile de palme), tandis que des hommes jouent à la belote. Rien apparemment ne semble pouvoir troubler leur quiétude. Sortis du centre-ville, les automobilistes libérés des bouchons s’élancent

à vive allure sur la route du Niger ou sur les corniches Sud et Nord, dépassant dans leur course nombre de sites historiques. Ainsi, le Palais du peuple. Construit sur la partie remblayée de l’ancien isthme de Tombo, il est l’un des principaux bâtiments édifiés sous la I re République. Terminé en 1965, il abrite encore l’Assemblée nationale. Un peu plus loin s’élève le monument du 22-Novembre, érigé en souvenir du débarquement, en 1970, d’un commando portugais venu renverser le régime de feu Ahmed Sékou Touré, tandis que le jardin du 2-Octobre (jour de l’indépendance de la Guinée en 1958) exhibe fièrement ses arbres au feuillage touffu.


© LES ÉDITIONS DU JAGUAR

74 UN PAYS ET SES RICHESSES

Les quartiers de Dixinn et Matam, prolongés, à gauche, par la presqu’île de Kaloum. ▲ ▲ ▲

communes de Dixinn et Matam, situées avant Ratoma et Matoto, qui à elles deux regroupent quasiment la moitié de la population de Conakry. HUMMER RUTILANT

La route de Donka, qui traverse Dixinn, mène également à plusieurs sites historiques, parmi lesquels le camp Boiro et l’université de Conakry. Le premier, de sinistre mémoire, est une ancienne prison construite en 1962 par le Parti démocratique de Guinée (PDG d’Ahmed Sékou Touré) dans l’enceinte du camp de la garde républicaine. Ce lieu, fermé en 1984

dans la foulée de l’amnistie proclamée par la II e République, porte le nom d’un commissaire de police, Mamadou Boiro, largué d’un avion en 1969 par des parachutistes soupçonnés de complot contre le pouvoir. Encore souvent appelée Gamal Abdel Nasser (du nom de l’ancien président égyptien), l’université de Conakry fut quant à elle, en 1962, le premier établissement d’enseignement supérieur de la capitale… Une incursion dans les ruelles en latérite rouge de Petit-Moscou ou dans les venelles sinueuses de Taouyah descendant vers une de ces peti-

tes plages rocheuses au sable gris, ou pourquoi pas le long des rails du côté de Hamdallaye, fera découvrir bien d’autres facettes de la capitale guinéenne, ville charmante et haute en couleur. Entre les gargotes d’où s’échappent les ex halaisons d’un borokhé (sauce à base de feuilles et d’huile de palme), les ateliers de fabrication artisanale de fusils ou de confection de matelas en sacs de riz, on est à peine surpris de voir filer un 4x4 Hummer rutilant, symbole de la réussite d’une jeune génération entreprenante… ■ CÉCILE SOW

© ARCHIVES SNARK/COLLECTION PARTICULIÈRE

UN PEU D’HISTOIRE

Vente de produits européens dans une factorerie, à la fin du XIXe siècle.

CONAKRY FUT OFFICIELLEMENT CRÉÉE en 1887 lorsque les colonisateurs français décidèrent de constituer une agglomération composée de quatre villages : Conakry, Boulbinet, Krutown et Tombo. Elle fut dans un premier temps la capitale de la colonie des Rivières du Sud. Les principales rues furent tracées entre 1889 et 1895. En 1904, elle comptait près de 10 000 habitants, dont plusieurs centaines d’Européens. Conakry s’est développée grâce à son port, qui a connu un développement remarquable dès la fin du XIXe siècle malgré la rude concurrence de Freetown. Les ressources minières, dont l’exploitation par la Compagnie minière de Conakry (CMC) fut particulièrement intense de 1953 à 1960, jouèrent un rôle important dans son essor. Le nom de Conakry viendrait de la contraction de « Cona » et « nakiri ». La légende raconte qu’un paysan nommé Cona, qui avait une palmeraie sur l’île de Tombo, vendait du vin de si bonne qualité que, lorsqu’ils allaient se désaltérer chez lui, les habitants de l’autre rive disaient : « Je vais chez Cona, C.S. sur l’autre rive (nakiri). » ■ JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Port autonome 1P-FR.qxp:Port autonome 1P-Ang.qxp

Mahamadouba SANKHON Directeur Général

8/12/08

15:37

Page 1

Filan TRAORE Directeur Général Adjoint


76 UN PAYS ET SES RICHESSES CONJONCTURE

Enfin, le bout du tunnel? En chute libre depuis 1996, la croissance a été relancée en 2006 et dépasse de nouveau 4 % par an. Le programme de réformes en cours ouvre la voie au secteur privé. Les investissements étrangers pourraient tripler dʼici à 2013.

«

L

a Guinée est un accident géologique », me disait un expert de la Banque africaine de développement (BAD) sur un ton optimiste. Selon lui, « elle finira par s’en sortir un jour ». Le pays bénéficie, en effet, de ressources naturelles extraordinaires. C’est le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. Le pays a suffisamment d’eau pour l’alimentation humaine, pour l’élevage et l’irrigation ainsi que pour la production d’électricité. Il aurait pu devenir un exportateur de produits alimentaires et d’énergie électrique. En plus, il dispose de ressources minières – notamment la bauxite – incalculables. « Mais… », notre expert s’arrête sans conclure. Ce qu’il voulait dire : la nature propose et l’homme dispose… Longtemps sous la barre des 2 milliards de dollars, le produit intérieur brut (PIB), qui mesure la valeur ajoutée produite et commercialisée chaque année (non compris le secteur informel, qui

peut représenter au moins 50 % du PIB officiel), a atteint 4 milliards de dollars en 1996 avant de chuter à 3 milliards en 2001. Aujourd’hui, il est permis d’espérer, grâce à la bonne entente des autorités du pays avec la BAD, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et les bailleurs de fonds (Club de Paris), une confirmation de la relance, qui a commencé en 2006 : le taux de croissance dépasse à nouveau 4 % par an et pourrait atteindre voire dépasser 6 % à partir de 2012, selon les projections du FMI. Ce qui permettra au revenu par habitant, qui est tombé de 500 à 300 dollars entre 1991 et 2006, de se redresser à plus de 500 dollars. C’est le gage d’une amélioration du niveau de vie général de la population après tant d’années de souffrances et de privations. La communauté des bailleurs de fonds a fait le nécessaire en s’engageant à effacer une bonne partie des dettes bilatérales et multilatérales du pays. Si les programmes de réformes en cours

vont à bon terme, le niveau de la dette extérieure tomberait de 3 milliards de dollars à la fin de 2008 à 1,2 milliard fin 2013. Ce désendettement prévisible ouvre la voie au secteur privé – national et étranger – pour relancer les activités dans le secteur minier et industriel. Les investissements étrangers, qui sont passés de 71 à 262 millions de dollars entre 2006 et 2007, après avoir atteint le plancher en 2005, pourraient tripler d’ici à 2013. Le premier signe encourageant vient de la BAD, dont le conseil d’administration a entériné le 3 décembre 2008 le « plus grand projet d’investissement privé jamais réalisé dans le pays », selon Mandla Gantsho, vice-président de la Banque chargé de l’infrastructure et des opérations du secteur privé. « Ce projet est une initiative sans précédent qui changera tout le paysage socio-économique de la Guinée et offrira un meilleur avenir à sa population », a-t-il expliqué. Il porte sur la construction d’une raffinerie d’alumine d’une valeur de 6,3 milliards de dollars, un montant largement supérieur au PIB annuel du pays. Cette usine permettra de valoriser localement la bauxite et de créer des milliers d’emplois directs et indirects. ■ SAMIR GHARBI

ÉVOLUTION DU PIB (en milliards de dollars) 7 6 5 4 3 2 1

1980 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

TAUX DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE (en pourcentage, aux prix constants) SOURCES : FMI, BANQUE MONDIALE

7 6 5 4 3 2 1 0

1980 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


UN PAYS ET SES RICHESSES 77 REVENU PAR HABITANT HABIT (en dollars courants) 600 500 400 300 200

1980 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13

EXPORTA EXPORTA TATIONS TIONS DE MARCHANDISES (e (en millions de dollars) 2500

Produits miniers

2000

Autres produits

1500 1000 500 0

1987

1997

2005

2006

2007

2008

2009

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2011

2012

2013

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2008

2009

2010

2011

2012

2013

IMPOR IMPORTA RTTA RTA TATIONS ATIONS DE MARCHANDISES (en millions ATIONS million de dollars) 2500

Produits alimentaires

2000

Produits pétroliers

1500

Biens d'équipement Autres

1000 500 0

1987

1997

2005

2006

2007

INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS (flux annuels) annuels 1000 800 600 400 200 0

1987

1997

2005

2006

2007

DETTE PUBLIQUE EXTÉRIEURE À MOYEN MO ET LONG TERME (cumul en fin d'années) 4000 SOURCES : FMI, BANQUE MONDIALE

3500 3000 2500 2000 1500 1000 500 0

1987

1997

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

2005

2006

2007

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2010

2011

2012

2013


Message

C’est en 1963 que les activités de la Compagnie des Bauxites de Guinée ont démarré. A l’époque l’entreprise était une société d’économie mixte, et en juin 1999 les statuts en ont été modifiés en Société Anonyme à la faveur d’un protocole d’accord signé entre le gouvernement de la République de Guinée et HALCO MINING INC. L’ensemble des actionnaires a alors mandaté la compagnie ALCOA pour assurer à la CBG une assistance de gestion adéquate pour une période de cinq ans renouvelable.

La bauxite est une référence guinéenne.

On trouve la bauxite sur une grande partie du pays qui renferme plus des 2/3 des réserves mondiales, soit environ 40 milliards de tonnes de bauxite avec une teneur en alumine comprise entre 40 % et 65 %. Les gisements de Sangaredi Silidana, Boundou Wadé et N’Dangara sont réputés les plus riches au monde, la teneur en alumine y avoisine les 60 %. l’exploitation de la CBG s’est développée sur une concession minière de 2932 Km2 comprise entre les préfectures de Boké, Télimélé et Gaoual.

L’entreprise concentre les expertises.

Au côté de l’État Guinéen qui détient 49 % du capital social, les grandes sociétés mondiales d’aluminium sont présentes. L’américain ALCOA bien sûr, le canadien Rio Tinto Alcan, et l’allemand DADCO. Ce partenariat illustre l’intérêt que les grandes sociétés minières accordent à la Guinée dont l’état demeure un actionnaire attentif, soucieux des équilibres économiques et sociaux d’un secteur stratégique.

Il n’est de ce fait pas surprenant que la CBG soit au fil du temps devenu le premier employeur privé de Guinée.

En août 2008 2528 travailleurs permanents étaient enregistrés, et l’entreprise rapporte au pays 70 % de ses revenus en devise étrangère.

La production assure le développement du port de Kamsar.

En 2007 les expéditions ont porté sur 12,7 millions de tonnes tandis que les prévisions pour 2008 sont de 13,5 millions de tonnes. Le port de Kamsar connaît un développement naturel depuis plus de 35 ans. C’est le 3 août 1973 que le navire Coronia a quitté Kamsar, emportant le premier chargement de bauxite de la CBG. Depuis, les installations n’ont cessé de se moderniser et le trafic est intense avec plus de 250 minéraliers et 25 navires de commerce chaque année. Les expéditions de bauxite sont assurées par des contrats qui assurent à la Guinée le bénéfice des mouvements haussiers des matières premières.

Document :CBG-FR-2_Layout 1.pdf;Page :1;Date :08. 12 2008 - 12:27:06;reperes_generes195X270

La CBG est à la fois un partenaire stratégique et historique de la Guinéé.


Le chemin de fer de Boké : un exemple d’efficacité

La CBG induit le développement d’activités connexes.

Des intérêts exclusivement guinéens ont assuré la mise en œuvre du port en eau profonde de Kamsar et des cités de Sangarédi et de Kamsar. Des investissements de 400 millions de dollars en traduisent l’ampleur. L’exploitation implique des moyens techniques élaborés. Les matériels sont régulièrement mis au goût du jour pour une productivité maximale, afin d’assurer une charge optimale de l’usine de Kamsar ; la bauxite en effet doit être traitée afin de réduire l’humidité du minerai à moins de 6,7 %, les matériels permettront des chargements accélérés de l’ordre de 5 000 tonnes/ heure.

Le prolongement du partenariat traduit une sensibilité sociale.

Le partenariat, en même temps qu’il s’inscrivait dans la durée (la concession en effet portait à l’origine sur une période de 75 ans), ne s’est pas réduit à des performances techniques. Les actions socioéconomiques, en vue de promouvoir le bien être des communautés, sont en effet multiples. La CBG fournit l’eau l’électricité et le logement à travers 1436 maisons pour ses employés. Un hôpital de 120 lits et deux centres de santé répondent aux besoins de santé tandis que 10 écoles primaires et 4 écoles secondaires assurent une éducation de qualité aux enfants des travailleurs. Si les 4 hôtels qui ont été construits répondent aux besoins des activités induites par la CBG et au potentiel touristique d’une région magnifique. Les mosquées et les églises traduisent également l’ouverture d’esprit des guinéens et le sens du dialogue. L’adhésion de la CBG aux vertus nationales sous tend les efforts de la compagnie, notamment dans le domaine de la maintenance des infrastructures et des axes de communication.

LA VOLONTÉ DE LA CBG S’EXPRIME EN PARALLÈLE DANS LA PROMOTION DU CAPITAL HUMAIN

Document :CBG-FR-2_Layout 1.pdf;Page :2;Date :08. 12 2008 - 12:27:13;reperes_generes195X270

135 Kilomètres de voie relient Kamsar à Sangarédi, ils sont empruntés chaque jour par 5 trains minéraliers qui ont une vitesse maximale de 60 Km/h et le train voyageur qui roule à 70 Km/h. La capacité d’évacuation est ainsi comprise entre 41 000 T et 49 200 T / jour. Onze détecteurs de déraillement permettent de garantir une fiabilité parfaite aux opérations d’évacuation.


80 UN PAYS ET SES RICHESSES AGRICULTURE

La clé des champs Malgré des sols fertiles et des ressources en eau abondantes, lʼautosuffisance alimentaire reste un vœu pieux. Les cultures dʼexportation, pour leur part, affichent des résultats encourageants.

S

ur le plan agricole, la Guinée constitue un paradoxe. Tout y pousse, ou presque : riz, tomates, oignons, mil, sorgho, fonio, manioc, igname, patates douces, taro, palmiers à huile, hévéas, caféiers, bananiers, ananas, manguiers… Et pour cause. Arrosé par une multitude de cours d’eau, le pays bénéficie de pluies abondantes six mois par an, et la plupart de ses sols sont propices à l’agriculture. Malgré ces atouts naturels et en dépit des importants investissements réalisés au cours des vingt dernières années, les Guinéens n’assurent toujours pas leur autosuffisance alimentaire et sont obligés d’importer de tout. Notamment du riz. Il y a évidemment des raisons à cela. Ce déficit provient déjà du manque de terres cultivées. Sur un potentiel de 6,5 millions d’hectares (ha), 1,2 million seulement est mis en valeur. En outre, les superficies des exploitations restent faibles, variant de 0,96 ha en MoyenneGuinée à 2,4 ha en Haute-Guinée. Les techniques culturales sont par ailleurs encore très traditionnelles, limitant les possibilités d’intensification. Autant de raisons qui expliquent la faible part du secteur agricole dans l’économie du pays. Alors qu’il occupe environ 88 % de la population active rurale, il représente moins de 10 % des exportations et seulement 25 % du produit intérieur brut (PIB), soit un taux inférieur à celui enregistré dans d’autres pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, où il atteint parfois 40 %. ASSURER LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Bien que fixée comme une priorité depuis longtemps, la politique de sécurité alimentaire n’est guère devenue une réalité sur le terrain, comme en témoignent les importations de riz. Mais dans le contexte mondial actuel, marqué par une hausse des prix des

denrées de base et une baisse de l’offre en riz, elle devient une urgence. D’où la nécessité de mettre rapidement en œuvre les mesures arrêtées dans la Politique nationale de développement agricole vision 2015, élaborée en 2007. Cette dernière vise, notamment, à renforcer la sécurité alimentaire par la diversification et l’accroissement des productions vivrières, à accroître les revenus des producteurs grâce à une amélioration de l’accès au marché et à favoriser l’essor d’un secteur privé

Parmi les handicaps, les techniques culturales, encore très traditionnelles. agricole dynamique par un aménagement de l’environnement législatif et réglementaire, un meilleur accès au crédit et des formations aux techniques agricoles modernes. RIZ : PRODUIRE PLUS OU DIMINUER LA CONSOMMATION ?

Si, outre les tubercules (manioc, igname, patates douces et taro), les Guinéens sont producteurs de toutes sortes de céréales (maïs, mil, sorgho, fonio), en grande partie autoconsommées, le riz reste la base de leur alimentation. Avec 90 kg par personne et par an, ils figurent d’ailleurs parmi les plus grands consommateurs de riz d’Afrique de l’Ouest. Parce qu’ils ne peuvent se passer du précieux petit grain, la riziculture, sous forme pluviale ou inondée, est omniprésente dans le pays, mobilisant quelque 420 000 producteurs et 700 000 ha de terre. Les champs sont en majorité des petits périmètres, généralement

collectifs, et le million de tonnes (t) de riz paddy, soit quelque 500 000 t de riz décortiqué, produit localement, ne suffit pas aux besoins. La Guinée importe donc environ 300 000 t de riz usiné par an, dont une grande part ravitaille Conakry. Pour réduire les importations, l’accent est mis sur la hausse de la production, qui passe par une amélioration des techniques de riziculture pluviale, la mise en valeur des bas-fonds et l’extension des aménagements hydroagricoles. Reste que l’autosuffisance alimentaire suppose aussi une modification des habitudes de consommation des Guinéens. D’où ce dilemme. Faut-il produire plus de riz ou en diminuer la consommation ? RELANCE DES CULTURES D’EXPORTATION

La politique de renforcement de la sécurité alimentaire n’exclut pas pour autant les cultures d’exportation. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Champ de pommes de terre près de Dabola, dans le centre du pays.

▲ ▲ ▲

Après une chute vertigineuse à l’époque de Sékou Touré, elles figurent à nouveau dans les statistiques douanières, grâce au plan de relance des cultures commerciales mis en route dans les années 1990. Son objectif visait à augmenter les productions de fruits et légumes et à assurer leur commercialisation sur le marché national ainsi que dans la sous-région et hors d’Afrique. Néanmoins, la Guinée n’a pas encore retrouvé le rang qu’elle occupait avant l’indépendance ; elle devançait largement la Côte d’Ivoire en matière d’exportation de bananes, de mangues et d’ananas. D’où la nécessité de lever les contraintes qui persistent au niveau de la production (amélioration du matériel végétal, fourniture régulière et accessible d’intrants), de l’accès aux zones à haut potentiel et du fret, dont les tarifs sont élevés. Et de donner un coup de pouce à la filière coton, qui traverse une grave JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

LE DYNAMISME DE LA SOGUIPAH ELLE FAIT LA FIERTÉ DU PAYS. Créée en 1987 dans la sous-préfecture de Diécké, en Guinée forestière, la Soguipah est une société agroindustrielle parapublique qui emploie aujourd’hui 1 500 salariés. Son originalité est d’associer plantations industrielles et villageoises, de combiner diverses cultures – palmiers à huile, hévéas et riz –, de jouer sur la complémentarité des marchés – intérieur pour le riz et l’huile de palme, export pour le caoutchouc – et d’utiliser judicieusement l’espace. L’hévéa est cultivé sur les collines, le palmier à huile dans les zones basses, le riz dans les vallées et les bas-fonds. Depuis sa création, la Soguipah a mis en valeur plus de 7 500 ha de palmiers à huile et 3 000 ha d’hévéas, sur un domaine réservé de 22 000 ha. Elle produit environ 19 000 t d’huile et 1 600 t de caoutchouc. Son implantation a permis, en outre, l’ouverture ou la réhabilitation de plusieurs centaines de kilomètres de routes et de pistes tandis que quelque 2 000 familles ont bénéficié de son programme de plantations familiales. Compte tenu des rendements exceptionnels observés en Guinée forestière et de la demande croissante en corps gras, un plan de développement prévoit la mise en valeur de 12 000 ha supplémentaires de palmiers et d’hévéas d’ici à 2012. Outre le développement de plantations villageoises, l’objectif est de reconquérir le marché intérieur puis M.D. les marchés sous-régionaux déficitaires. ■

AGNÈS RODIER

81


82 UN PAYS ET SES RICHESSES tissements directs étrangers dans le domaine des exportations agricoles a par ailleurs été lancée à travers les Jidex (Journées des investissements directs dans la production et les exportations agricoles), qui assurent la représentation de la Guinée dans les foires et salons internationaux. Mais le programme a pâti d’obstacles largement imputables aux pouvoirs publics : nonapplication des exonérations douanières, barrages routiers et douaniers, difficultés d’accès au port de Conakry, insuffisante application du Code des investissements, désorganisation du marché des intrants. En outre, la transformation de certains produits agricoles abondants, tels les fruits et notamment les mangues, qui pourrissent sur l’arbre, reste déficiente.

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crise, alors que du côté des exportations de café, de fruits et de légumes, l’heure est plutôt à l’optimisme. DES FRUITS PLUS JUTEUX

Bien que la contribution des exportations agricoles à l’économie reste faible (7 % du PIB), les niveaux de production sont encourageants. On estime la production de mangues entre 75 000 et 100 000 t, celle d’ananas à 15 000 t, celle de bananes douces et plantains à 150 000 t. Quant aux exportations de pommes de terre (3 000 t), de petits piments (2 50 0 t), de beu r re de karité, d’ignames et d’huile de palme vers le Sénégal, la Gambie et le Mali, elles traduisent la vitalité de la production et des acteurs guinéens. La relance de la filière fruits et légumes s’est opéCentre de recherche agronomique de Sérédou, rée dans le cadre du Projet dans la préfecture de Macenta (Guinée forestière). de relance des exportations fruitières (PREF) et surtout du Projet-cadre de promotion des mangues, un peu partout, le grand des exportations agricoles (PCPEA). triangle fruitier (ananas, bananes et Aujourd’hui, les légumes sont proagrumes) est situé entre Kindia, Foréduits sur l’ensemble du territoire, avec cariah et Dubréka. quelques spécificités régionales. La Grâce au PCPEA, le marché intépomme de terre est surtout cultivée rieur a été redynamisé – tout le pays autour de Dalaba et de Pita, l’oignon au consomme aujourd’hui des pommes de nord du plateau de Labé et les cultures terre –, alors que les réseaux commermaraîchères aux alentours des centres ciaux sous-régionaux ont été reconstiurbains, notamment de Conakry. Si tués via la diaspora installée dans les l’on trouve des fruits, en particulier pays voisins. La promotion des inves-

LE BON ARÔME DU CAFÉ

M.D.

MURIEL DEVEY

MAUVAIS COTON

AGNÈS RODIER

À L’ÉVIDENCE, LA GUINÉE FILE UN MAUVAIS COTON. Le cotongraine est cultivé en Haute-Guinée, qui assure 90 % de la production, et dans la région de Gaoual-Koundara, au nord-ouest du pays. Actuellement, la seule société cotonnière du pays est la Compagnie guinéenne de coton (CGC), dont 80 % du capital est détenu par un privé. Située à Kankan, elle assure l’égrenage et la trituration. Mais elle connaît de graves difficultés. Du coup, la production de coton-graine et de coton-fibre s’est effondrée. L’État, qui a engagé une campagne de redynamisation de la filière, est à la recherche d’un nouveau partenaire privé. La relance passe par l’abaissement des coûts de production, l’amélioration de la productivité, le désenclavement des zones productrices et le renforcement de la professionnalisation des producteurs. ■

Cultivé dans le Fouta-Djalon (arabica) et en Guinée forestière (robusta), où il a été introduit pendant la période coloniale, le café a fait partie des secteurs sinistrés pendant la période Sékou Touré. Les efforts pour relancer la filière ont permis de porter la production à 30 000 t par an, en majorité exportée. Aujourd’hui, la superficie du verger, qui repose pour l’essentiel sur de petites plantations familiales de 0,5 à 8 ha, est de l’ordre de 100 000 ha. La Guinée peut faire mieux en quantité et en qualité. À condition de poursuivre les efforts engagés dans l’extension du verger, la régénération des caféiers, l’augmentation des rendements et l’appui aux producteurs. En attendant, la Guinée forestière exhale de nouveau un délicieux arôme de café, avec notamment une nouvelle variété de robusta issue d’un mélange clonal mis au point par le Centre de recherche agronomique de Sérédou et commercialisée sous le label Ziama. Malgré ces perspectives encourageantes, la bataille agricole n’est pas encore gagnée L’enjeu est d’autant plus important que l’amélioration des techniques culturales et des revenus du monde rural est l’une des clefs de la lutte contre la pauvreté. ■ JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Document :SAG-2.qxp_SAG.q…f-0001-8094.pdf;Page :1;Date :08. 12 2008 - 14:45:28;reperes_generes195X270


84 UN PAYS ET SES RICHESSES

AGNÈS RODIER

Usine de la Compagnie des bauxites de Guinée à Kamsar (Guinée maritime).

MINES

Nouvel eldorado La mise en exploitation des gigantesques gisements ferrugineux et la transformation de la bauxite en alumine vont donner un sérieux coup de fouet à lʼéconomie.

I

l y a des chiffres qui font tourner la tête. Notamment les 24 milliards de dollars d’investissements directs étrangers dont devrait bénéficier le secteur minier guinéen entre 2008 et 2010. De quoi multiplier par quatre le produit intérieur brut (PIB) du pays. C’est à l’exploitation du fer et aux raffineries d’alumine que sera consacré l’essentiel de ces sommes. Le fer a en effet le vent en poupe, au point de voler la vedette à la bauxite dans les années à venir… Il représente l’investissement minier le plus important jamais réalisé en Guinée depuis 1970. La place occupée par les mines dans le PIB en inquiète toutefois plus d’un. Dans le passé, les zones minières sont restées des enclaves, et leur impact sur la vie des popu-

lations locales a été quasiment nul. Pas question donc de reproduire le même schéma. Sur ce plan, les sociétés minières, comme Rio Tinto, un des leaders de la filière fer, se veulent rassurantes. Avec les autorités guinéennes, elles réfléchissent à une clef de péréquation équilibrée entre l’État et les col lec t iv ités loca les. Des royalties seront dégagées et une structure de développement régional chargée de leur redistribution sera mise en place. Reste à résoudre la question des énormes besoins en énergie et en infrastructures de communication de l’industrie minière. Et celle de la qualification de la main-d’œuvre. Or les ressources humaines guinéennes sont

insuffisantes en quantité et en qualité. Du coup, les miniers planchent sur les programmes de formation professionnelle afin de les adapter à

Reste à résoudre la question de l’énergie ainsi que celle des infrastructures. leurs besoins et à ceux des branches d’activités appelées à se développer dans leur sillage. La législation n’échappe pas aux remises en question. Contrats et code miniers font l’objet d’un toilettage. Le contrat de partage de production devient la norme, tandis que le code minier de 1995 est adapté aux normes internationales en vigueur. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


UN PAYS ET SES RICHESSES 85 À la volonté de diversification et de transformation des ressources s’ajoute un souci de clarté, avec l’adhésion de la Guinée à l’Initiative de transparence des industries extractives. Bénéficiant de cette bonne conjoncture, l’exploration est à son plus haut niveau. Toutes les ressources sont concernées, l’ensemble du territoire est quadrillé. La filière bauxite fait la fortune du pays depuis une cinquantaine d’années. Avec 15 millions de tonnes (Mt) produites par an, la Guinée se place au deuxième rang mondial. Ce minerai assure plus de 85 % de ses recettes d’exportation, 25 % de ses recettes fiscales et 15 % de son PIB. Si, en cinquante ans, les opérateurs ont changé d’actionnariat, leur nombre est resté le même. La production est toujours assurée par trois sociétés. Principal producteur du pays, avec 12 Mt par an, la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), dont le capital est partagé entre l’État guinéen (49 %) et un consortium composé du groupe Alcoa-Alcan et de Dadco, exploite la mine de Sangarédi, au nord-est de Boké. Loin derrière, avec 2,4 Mt, la Compagnie des bauxites de Kindia (CBK), dont le capital est détenu par le russe Ruski Alumini (Rusal), exploite la mine de Débélé (Kindia). Le plus petit producteur est Aluminium Company of Guinea/Fria (ACG/Fria), dont le capital est détenu par Rusal, et qui exploite le gisement de Fria (Badi-Konkouré). Mais il est le seul à transformer la totalité de sa production en alumine. En 2009,

AGNÈS RODIER

TROIS SOCIÉTÉS

Stockage de la bauxite au port minéralier de Kamsar.

ses capacités de production, actuellement de 750 000 t passeront à plus de 1,5 Mt grâce à un investissement de 300 millions de dollars. NOUVELLES USINES

La raffinerie de Fria ne sera bientôt plus seule. Il faut davantage de transformation, di xit le gouvernement guinéen. L’appel a été entendu et quatre projets de construction de raffineries d’alumine sont en cours de développement. C’est à Sangarédi que sera implantée celle de Guinea Alumina Corporation (GAC), dont le capital est détenu à hauteur de 85 % par un consortium associant Global Alumina, BHP Billiton et deux sociétés émiraties (Dubai

DEMAIN, LE PÉTROLE LA GUINÉE SERA-T-ELLE PRODUCTRICE D’URANIUM? Des espoirs sont permis depuis que l’australien Murchison a annoncé la possible existence d’un gisement près de Firawa, dans la préfecture de Kissidougou. Deux autres zones ont été attribuées à la société, qui a lancé un programme de forages en 2008. Quant au pétrole, il pourrait également couler prochainement. La compagnie américaine Hyperdynamics, qui prospecte au large de Conakry, envisage d’extraire son premier baril d’ici à la fin de 2008 et projette d’effectuer quatre forages pour un investissement de 120 millions de dollars. Jusqu’en 2006, la société, qui avait racheté US Oil en 2002, détenait une convention de recherche sur l’ensemble de l’offshore guinéen, soit sur une zone de 80 000 km2. Elle a dû toutefois rétrocéder à l’État guinéen 64 % de cette zone et renégocier un nouveau contrat. ■ M.D. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

Aluminium Company et Mubadala Development Company). La raffinerie produira 3,8 Mt d’alumine en 2011, puis, à terme, 5,4 Mt. L’investissement total s’élèvera à 4 milliards de dollars. Une autre raffinerie, d’une capacité de production de 1,5 Mt d’alumine au démarrage, extensible à 3 Mt, sera installée à Kamsar. Le projet, d’un coût total de 1,5 milliard de dollars, revient à Alcoa-Alcan. L’entrée en production est prévue pour 2011. Mené par Rusal, un autre projet, incluant l’exploitation de bauxite et la construction d’une raffinerie d’a lumine, dev rait voir le jour à Dian Dian. Une partie du minerai sera exportée, tandis que le reste sera transformé sur place, pour une production d’environ 1,2 Mt par an. Le tout représente un investissement de 4 milliards de dollars. Le quatrième projet, situé dans la préfecture de Dabola, requiert un investissement de 2,5 milliards de dollars. Conduit par la Société des bauxites de Dabola-Tougué (SBDT), dont le capital est détenu en majorité par l’iranien Imidro (Iranian Mines and Mining Industries Development and Renovation Organisation), il vise la production de 4 Mt de bauxite par an en 2010 et de 1 Mt d’alumine à partir de 2013. Les Chinois ne sont pas en reste. Chalco et Synohydro envisagent la


86 UN PAYS ET SES RICHESSES

MINERAIS À HAUTE TENEUR

On en parle depuis une vingtaine d’années. L’exploitation du fer pourrait devenir prochainement une réalité. C’est en Guinée forestière que les mines sont les plus importantes. Mais la ville de Conakry ainsi que les préfec t u res de Foréca r ia h et Faranah seraient également assises sur de gigantesques gisements ferrugineux. En Guinée forestière, deux projets sont en phase de développement. L’un est mené par la Société des mines de fer de Guinée (SMFG), dont le capital est détenu par l’État guinéen et le consortium Euronimba, conduit par BHP Billiton, avec Newmont LaSource et Sumitomo. La société prévoit de traiter le minerai qui affleure au mont Nimba, où quatre gros gisements ont été identifiés – Château, Pierre Richaud, Grands Rochers et Sempéré – et dont les réserves prouvées sont estimées à 500 Mt. La production, prévue pour 2013, serait de 30 Mt par an, et l’investissement de l’ordre de 1,3 milliard de dollars. L’autre projet, dans une phase plus avancée, est celui de Simfer, filiale de

Conakry elle-même serait assise sur de gigantesques gisements de fer. Rio Tinto et de la Société financière internationale (SFI), au mont Simandou, dans la préfecture de Beyla. Les réserves sont évaluées à 2 milliards de tonnes de minerais à haute teneur (65 %). L’objectif est d’atteindre une production de 100 Mt par an. L’exploitation est d’autant plus envisageable que l’hypothèse d’extraction à ciel ouvert a été retenue, le minerai étant à fleur de roche. Le projet est en cours d’étude de faisabilité. Pour évacuer le minerai de fer jusqu’à la mer, Rio Tinto envisage la construction d’un chemin de fer, le Transguinéen. La ligne partirait du versant ouest du mont Simandou, à

hauteur de Beyla, pour aboutir aux environs de Benty-Matakang, dans la préfecture de Forécariah, où sera aménagé un port en eau profonde. L’ensemble du projet nécessite un investissement de 6 milliards de dollars. En phase de construction, il permettra la création de 10 000 à 15 000 emplois directs et en phase

d’exploitation, prévue en 2013, celle d’environ 8 000 emplois. Reste à régler les questions environnementales, les projets étant situés dans des zones protégées, notamment le mont Nimba, classé réserve de biosphère et patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. ■ MURIEL DEVEY

OR ET DIAMANT BRILLENT TOUJOURS

AGNÈS RODIER

construction d’une raffinerie d’alum i ne, ma is aussi d’u ne fonder ie d’aluminium et d’une centrale hydroélectrique sur le Konkouré.

Échantillonnage de terre pour étudier la teneur en or.

L’OR ET LE DIAMANT RESTENT DE BONS FILONS pour les sociétés industrielles et les artisans. Installée dans la préfecture de Siguiri, Ashanti Goldfield de Guinée (SAG), dont le capital est détenu par Anglogold Ashanti (85 %), exploite le gisement d’or de Koron (Siguiri). Les quelque 85 millions de dollars investis dans une nouvelle usine, capable de traiter selon le procédé carbon-in-pulp (CIP), lui ont permis de produire 320 000 onces en 2007. La Société minière de Dinguiraye (SMD), dont l’actionnariat est détenu par Crew Gold Corporation (85 %), exploite, pour sa part, la mine de Léro en Haute-Guinée. Un projet d’extension des installations, pour un investissement de 270 millions de dollars, devrait permettre de porter la production à 320000 onces. La SMD pourrait même doubler sa production grâce au gisement de Fayalala, dont les ressources font l’objet d’une étude de certification. C’est près de Kouroussa, en Haute-Guinée, que la Semafo (Société d’exploitation minière d’Afrique de l’Ouest), détenue à 85 % par le groupe marocain Managem (ONA), exploite la mine de Kiniero. En 2007, elle a produit 35 000 onces d’or. Sa capacité est de 70 000 onces. Très active dans les régions de Siguiri, Banora, Sankarani, Nianda, Banié et Totaba, l’exploitation artisanale, qui mobilise quelque 50 000 orpailleurs, produit, pour sa part, environ 3,6 tonnes d’or par an. Côté diamant, ce sont les artisans qui assurent la production, à la suite de l’arrêt, en 2005, d’Aredor, une société industrielle qui exploitait le gisement de Gbenko, dans la préfecture de Kérouané. Estimée entre 500 000 et 1 million de carats par an, la production artisanale provient des gisements de Basse-Guinée (Kindia, Forécariah) et de Guinée forestière. ■ M.D. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Document :A4 areeba zone ‌nverted]rgb.jpg;Page :1;Date :25. Nov 2008 - 15:21:34;reperes_generes195X270


88 UN PAYS ET SES RICHESSES INFRASTRUCTURES

À bon port Avec la multiplication des exportations minières, les installations portuaires de la capitale sont saturées. Des travaux de rénovation et dʼextension sʼimposaient. Ils sont enfin engagés.

L

e processus de rénovation du terminal à conteneurs du Port autonome de Conakry (PAC) est lancé. Il était temps. Le plus grand port de Guinée est en effet confronté à une importante hausse de trafic, liée à la multitude de projets miniers en cours de réalisation. Du coup, les infrastructures sont saturées, et leur exploitation relève d’un véritable casse-tête. Créé en 1982, sous forme d’établissement à caractère public, puis devenu en février 1998 une société nationale dotée de la personnalité morale et de l’autonomie budgétaire, financière et de gestion, le PAC reçoit à la fois les navires de commerce, les minéraliers et les bateaux de pêche. Ses infrastructures comptent un quai commercial (pour le vrac liquide et solide), un quai pour la bauxite, un quai pour l’alumine, un quai pétrolier, un terminal à conteneurs, un petit quai de pêche et une plate-forme ferroviaire. Le PAC dispose de 16000 m2 d’entrepôts et de 30000 m2 de terre-pleins. Il comprend en outre un port sec de 147 hectares situé à la sortie de Conakry, au kilomètre 40.

Il aura fallu une dizaine d’années pour concrétiser le troisième projet portuaire, dont la rénovation du terminal est l’un des lots. Après maintes discussions et plusieurs reports, liés à de multiples facteurs, notamment la situation politique, un accord avait été trouvé avec des bailleurs de fonds institutionnels. La Banque européenne d’investissement et l’Agence française de développement s’étaient engagées à accorder, chacune, un prêt de 12 millions d’euros pour financer ce projet. Un don de 12 millions d’euros de la coopération allemande devait compléter le financement. Mais ce schéma a été abandonné au profit de la recherche de partenaires privés. Une décision motivée par les exigences jugées trop fortes des bailleurs et par la lenteur de leurs procédures. FINANCEMENT ALLEMAND

Pour l’heure, le lot le plus avancé est le numéro deux, qui porte sur divers travaux de réhabilitation (quais, systèmes d’électricité, voiries, adduction d’eau), le renforcement de la sécurité (signalisation maritime, sécurité incendie et stockage des marchandises dangereuses) et

UN SIÈCLE DE DÉVELOPPEMENT D’ABORD MODESTE WHARF EN BOIS, ce n’est qu’à partir de la fin des années 1920 que le port de Conakry se développe, avec remblais progressifs sur la côte nord-ouest. Un premier quai de 3600 mètres de long est construit et mis en service en 1934. Interrompue par la Seconde Guerre mondiale, la construction de la digue de la Prudente, longue de 1200 mètres, est reprise en 1948. À la même époque sont décidés les travaux d’un quai minier, abrité par une nouvelle digue longue de 750 mètres, ainsi que d’un nouveau quai au long cours. Parallèlement est entreprise la construction d’un quai consacré à l’expédition des bananes, dont la Guinée est devenue un très gros exportateur. À la veille de l’indépendance, ces travaux sont achevés, avec, dans l’enceinte du port, des hangars couvrant 7000 m2, doublés par des hangars bananiers. Pour faciliter l’exportation du minerai venant de l’intérieur du pays, la ligne de chemin de fer avait été prolongée jusqu’au quai au Long Cours, derrière le port de commerce. ■ M.D.

la construction d’une nouvelle capitainerie. Financé par le don allemand, il sera réalisé par une société privée, déjà sélectionnée sur appel d’offres. Le lot numéro un vise la modernisation et l’extension ouest du terminal à conteneurs avec la construction d’un quai de 225 mètres. Il s’agit d’étendre les surfaces disponibles par remblayage sur la mer afin de créer des capacités de stockage supplémentaires. Les travaux étant financés par le privé, il faut bien que ce dernier y trouve son compte. Du coup, c’est la mise en concession, de type BOT (Build Operate Transfer), qui a été choisie et sera confiée à un opérateur unique. Le meilleur moyen, selon le gouvernement, d’accroître le niveau de performances du port. L’opérateur retenu sera en effet responsable du financement des travaux, de l’acquisition et de l’installation des équipements de manutention, ainsi que de l’exploitation et de l’entretien de l’ensemble. Un choix qui bouleverse le schéma de financement et le type d’exploitation actuellement en vigueur. Depuis septembre 1992, la gestion du terminal à conteneurs a été confiée par le PAC au groupement interentreprises CTS (Conakry Terminal Services), qui comprend la Société ouest-africaine d’entreprises maritimes, Delmas Guinée, Soguicom, Socopao Guinée et Getma. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Le terminal à conteneurs du port de Conakry.

Autant dire que les sociétés qui lorgnaient la mise en concession du terminal se bousculaient au portillon. En septembre 2008, le marché a été attribué à la société Getma International. HAUSSE DU TRAFIC

Il est vrai que les travaux de rénovation s’imposent. Avec urgence même. Environ 90 % des échanges commerciaux du pays avec l’étranger transitent par le PAC. Depuis 1999, le trafic est en

hausse constante, avec l’augmentation des exportations agricoles, des importations de denrées alimentaires et d’hydrocarbures et la reprise du secteur minier. En 2007, il s’est établi à 5,8 millions de tonnes, dont 40,08 % à l’importation et 59,92 % à l’export. Pour l’essentiel, les exportations portent sur la bauxite (80 %) et l’alumine (14 %). Les importations concernent les marchandises diverses (38 %), les produits pétroliers (28 %) et les vracs solides (sucre, farine, riz et

APA

UN PAYS ET SES RICHESSES 89 autres aliments, soit 30 % du trafic, dont 14 % pour le riz). Le trafic conteneurs, pour sa part, import et export confondus, s’est élevé à 64118 équivalents vingt pieds (EVP). Le trafic international à l’import est appelé à se développer avec les projets de raffineries d’alumine et d’extraction du minerai de fer, et, si elles se concrétisent, la réalisation d’un chemin de fer, celle d’un port en eau profonde et d’un nouvel aéroport international dans la préfecture de Forécariah. Une fois cette phase terminée, le relais sera pris par les exportations de bauxite, d’alumine et autres minerais dont les productions iront croissant dans les années à venir. Pour faire face à la hausse du trafic et désengorger le port, il est prévu de réhabiliter la voie ferrée nationale qui part de Conakry jusqu’au kilomètre 40 et de sécuriser le port sec, voire de l’étendre. Il serait dommage que le PAC ne profite pas de l’embellie économique à venir. Abrité par une longue digue, et offrant des conditions nautiques favorables, avec un tirant d’eau de 10 à 11 mètres, il dispose d’atouts que d’autres sites de la sousrégion n’ont pas. C’est ainsi que le Mali, qui possède un entrepôt (Emagui) dans les enceintes du port, utilise davantage le port de Conakry depuis que la route Bamako-Conakry a été entièrement bitumée et que la crise politico-militaire qui a secoué la Côte d’Ivoire l’a obligé à diversifier ses accès à la mer. Pour éviter que les clients actuels et potentiels du PAC ne se tournent vers d’autres ports, il y avait donc urgence à entreprendre les travaux. ■ MURIEL DEVEY

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AINSI SONT LES

AGNÈS RODIER

École dans un village de la préfecture de Nzérékoré, en Guinée forestière.


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GUINÉENS Dʼun peu plus de 10 millions en 2008, la population devrait dépasser 15 millions en 2025. Cʼest dire le défi qui se pose au pays. Car si la jeunesse est un atout, il faut la former et lui trouver des emplois. De même les femmes doivent-elles occuper la place qui leur revient dans la société dʼaujourdʼhui. Ce nʼest quʼen mobilisant lʼensemble de ses forces humaines que la Guinée peut espérer accomplir des progrès significatifs.

Jeunesse La vie devant soi

p. 92

Femmes « Jamais sans les hommes… »

p. 94

Émigration Diaspora : le grand gâchis

p. 98

Musique Du Bembaya Jazz au reggae yankadi

p. 100

Littérature Maîtres de la plume

p. 104

Patrimoine Zeinab Koumanthio Diallo, l’âme de Labé p. 106 Football Les riches heures du Syli et du Hafia

p. 108


À l’aéroport de Conakry, un des rares endroits où l’électricité n’est jamais coupée.

JEUNESSE

La vie devant soi Beaucoup dʼentre eux ont abandonné lʼécole et vivent de petits boulots. Mais ils continuent de croire en des jours meilleurs.

B

ambeto, octobre 2008. Ce soir, dans ce quartier de la banlieue de Conakry réputé « chaud » – c’est de là que sont parties les manifestations populaires de janvier-février 2007 –, les odeurs de gazole mêlées au fumet des plats mijotant le long du trottoir et à celui des brochettes de viande grillée flottent de nouveau. Les relents âcres des pneus brûlés et des gaz lacrymogènes se sont évaporés. Quant aux slogans hostiles au gouvernement, ils sont presque oubliés. Ibrahima, Mamadou, Oury, Korka et leurs copains sont assis côte à côte sur un muret faisant face à la gare routière. La soirée s’annonce plutôt calme, mais rien n’est sûr. Une coupure d’électricité au beau milieu d’un match de foot mettant aux prises de grandes

équipes, l’annonce de l’augmentation du prix d’une denrée de première nécessité ou même d’une baisse jugée insignifiante… Un rien suffit à enflammer la rue. Pour l’instant, cependant, personne dans le groupe ne semble en colère. PLUS DE 80 % DE CHÔMEURS

Tous les jours, ces jeunes se retrouvent à cet endroit pour partager leurs déboires et leurs espoirs. Échanger inlassablement autour des questions qui les préoccupent : emploi, accès à l’éducation, cherté des produits de grande consommation, insécurité… Ibrahima, 26 ans, chauffeur de taxi occasionnel, et Korka, 23 ans, marchand ambulant, même s’ils reconnaissent être mieux lotis que leurs camarades qui n’ont aucune activité,

ne se considèrent pas moins comme des chômeurs. Avec une recette de 15 000 francs guinéens (FG ; 1 euro = 6 400 FG) les meilleurs jours, ils n’ont d’autre choix que de limiter leurs dépenses au strict minimum. Ils se nourrissent de riz ou de soupe vendus dans la rue à 2500 FG le plat. « Le reste de notre argent, nous le ramenons à la maison pour les enfants et nos parents. Nous, nous préférons nous retrouver ici pour ne pas être à l’étroit et discuter », disent-ils. Alors que les moins de 20 ans constituent 60 % de la population, ils souffrent cruellement du manque d’emploi. Le taux de chômage en Guinée serait de plus 80 %. Comme la très grande majorité de leurs congénères sans occupation professionnelle fixe, Ibrahima et Korka ont quitté l’école faute de moyens. « Nous étions douze enfants et mon père gagnait à peine 10 000 francs par jour », se souvient le premier, qui a arrêté ses études avant d’arriver au secondaire. Bien que, selon la Direction nationale de la statistique, le taux brut de scolarisation dans l’enseignement primaire soit passé de 38,6 % en 1994 à 77 % en 2004, le niveau d’instruction reste très faible. À peine 5 % des jeuJEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

REBECCA BLACKWELL/AP/SIPA

92 AINSI SONT LES GUINÉENS


Partie de football sur les quais du port de pêche de Conakry.

nes font des études supérieures, ce qui ne facilite pas leur entrée sur un marché du travail offrant d’ailleurs peu de débouchés. Pour répondre à ce problème crucial, le nouveau chef du gouvernement, Ahmed Tidiane Souaré, a créé en juin 2008 un ministère de la Promotion de l’emploi des jeunes. Une grande première dans ce pays. Le département pilote la mise en œuvre du Programme emploi jeunes (PEJ) lancé en 2007 avec le soutien des bailleurs de fonds étrangers. Il devra en outre veiller à la bonne utilisation du Fonds national pour l’insertion des jeunes (Fonij), doté par l’État d’une enveloppe de 10 milliards de FG (1,5 million d’euros). Le Fonij est également soutenu par la Libye, qui a déjà versé 390 000 euros. Même s’ils saluent ces initiatives, les jeunes ne comptent pas sur elles pour venir à bout des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Plutôt que de rester oisifs, ils s’impliquent de plus en plus au sein de leur communauté. À Bambeto, par exemple, ils ont constitué des brigades civiles de surveillance pour combattre le banditisme. Pas très grand, plutôt costaud, visage avenant, Mohamed, 28 ans, est le chef de la sécurité de la zone. Il coorJEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

donne l’action de trente « agents ». Du lundi au dimanche, de 20 heures à 6 heures du matin, il patrouille, mains vides, téléphone portable en poche. « Nous ne sommes pas armés, mais notre présence suffit en général à dissuader les malfrats. Quand ce n’est pas le cas, nous appelons la police », explique ce bénévole. Bénévoles, ils le sont d’ailleurs tous. « La bénédiction et la gratitude des populations nous suffisent », lance-t-il souriant. MANIPULÉS ?

À ses côtés, Mamadou Billo Barry, le président de l’Union des jeunes de Bambeto, souligne que, depuis les événements de ja nv ier et fév r ier 2007, il y a beaucoup d’armes volées aux forces de sécurité qui circulent dans Conak r y Elles viennent s’ajouter à celles issues des conflits libérien et sierra-léonais. « Cela accroît considérablement l’insécurité », commente-t-il. Souvent soupçonnés, à tort ou à raison, d’être au service d’hommes politiques qui les pousseraient à faire du « grabuge », les jeunes de Bambeto se disent indépendants. « Parfois, nous

sommes tellement en colère que nous cassons tout, c’est un fait, mais personne ne nous manipule, avance Oury. Et puis quand il n’y a pas de travail, c’est facile de devenir un bandit. » Abordant la question de l’émigration clandestine, il déplore que la pauvreté et le manque d’espoir poussent ses « frères » à partir. Mais, comme pour le rappeler à l’ordre, ses camarades rétorquent que tout n’est pas perdu en Guinée et que le changement est possible. La perspective des élections les réjouit. S’il est vrai que certains affirment que les législatives et la présidentielle prévues en 2009 et 2010 ne comptent pas

À Bambeto, des brigades de surveillance pour combattre le banditisme. parmi leurs préoccupations, eux prédisent que la jeunesse marquée par les événements meurtriers de 2007 votera massivement. « Nous préférons les urnes à la rue », scandent-ils… L e doute e s t p e r m i s . L’e s p oi r aussi… ■ CÉCILE SOW

SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

AINSI SONT LES GUINÉENS 93


94 AINSI SONT LES GUINÉENS FEMMES

« Jamais sans les hommes... » Si les jeunes femmes aspirent à se faire une place dans la société, elles restent fidèles aux codes traditionnels. Le féminisme radical à lʼoccidentale ne fait guère recette ici.

S

POSTES SUBALTERNES

Les femmes constituent 52 % de la population, estimée en 2007 à près de 10,1 millions d’habitants. 75 % d’entre elles vivent en milieu rural. Selon un rapport de la Banque mondiale et de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) datant de 2004, le taux d’analphabétisme chez les femmes est de 79 %, contre 44 %

PIERRE RENÉ-WORMS

«

i tu veux que ton mari te respecte, tu dois faire de bonnes études et travailler », affirme sans hésiter Aïssatou, étudiante en mathématiques à l’université de Conakry. Ce jour-là, elle assiste sur le campus, avec ses copines, au lancement de la deuxième édition du Salon de l’emploi et de la formation (Sade 2008). Elles ont à peine 20 ans. Elles portent des jeans moulants et de petits hauts sexy. Elles jurent qu’elles veulent se « faire une place dans la société et avoir accès aux instances de décision ». Mais derrière les apparences se cachent des jeunes femmes qui ne sont pas prêtes à fouler du pied les fondements de leur société. Dans leur univers, tradition et modernité ne sont pas des ennemis jurés. Le féminisme radical à l’occidentale n’a pas sa place. Et l’homme, malgré tout ce qu’on lui reproche, reste un protecteur activement recherché, car « l’avenir de la femme se joue à deux ». « Les défis à relever sont si nombreux qu’il serait d’ailleurs impossible de faire sans eux », conclut Aïssatou, dont les propos illustrent bien l’état d’esprit de nombreuses femmes de son pays, qui ploient encore pourtant sous le poids des inégalités.

Pour les Guinéennes, tradition et modernité ne sont pas en opposition.

pour les hommes. Celui de la scolarisation des filles à l’école primaire atteint 63 %. Au secondaire, il est de 28 %. Enfin, au niveau supérieur, les femmes ne représentent plus que 12 % des étudiants. Ces disparités ont REPÈRES

Population 10,1 millions d’habitants (2007). Projection 2025 15,7 millions d’habitants. Indice de fécondité 5,7 enfants par femme Croissance démographique 2,16 % par an. Taux de mortalité infantile 113 pour 1 000 naissances Espérance de vie à la naissance hommes : 52 ans ; femmes : 55 ans Moins de 20 ans 60 % Taux d’urbanisation 37 %

bien évidemment des répercussions sur l’activité professionnelle. Dans le secteur public, elles constituent 22 % des effectifs. Dans le privé, ce chiffre est réduit à 9 %. De plus, la majorité occupe des postes subalternes. L e même document révèle que 98 % des Guinéennes de 15 à 49 ans sont excisées. Ces chiffres, aussi alarmants soientils, n’empêchent nullement nombre de Guinéennes de se démener pour se faire une place au soleil et servir de modèles aux générations futures. Un article du code pénal stipule que « la femme mariée peut exercer une profession séparée de celle de son mari, à moins que celui-ci ne s’y oppose… » Malgré cela, de plus en plus de femmes ont une activité professionnelle et allègent considérablement les charges de leurs époux, qui ne s’en portent que mieux. Les exemples de réussite sont nombreux et touchent quantité de domaines. En 2006, pas moins de 70 femmes – députées, ministres, médecins, avocates, éducatrices… – ayant joué un rôle important dans le développement de la Guinée figuraient au classement (non exhaustif) JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


AINSI SONT LES GUINÉENS 95

CAMPAGNES TROP CRUES

Oumoul Kirami Bah, citée parmi ces femmes d’exception, dirige la société de construction et de travaux publics Câblé Guinée. « Je dirige plus de 200 personnes, dont une majorité d’ouvriers. Tous me respectent et je n’ai jamais eu de problème », soutient-elle. « Une femme, quand elle est compétente, n’a pas de mal à s’imposer, c’est pourquoi je souhaite que toutes les jeunes filles étudient », ajoute la chef d’entreprise, mère de deux adolescentes. Sa principale difficulté, en réalité, est l’accès au crédit. « Les banques ne soutiennent pas les femmes, alors qu’elles sont de plus en plus nombreuses à se lancer dans des activités comme l’agro-industrie ou le bâtiment, qui nécessitent des investissements de base importants », déplore-t-elle. Pou r Ma r ia m Tendou K a ma ra, la représentante en Guinée de l’organisation non gouvernementale (ONG) américaine Women of Africa (Wafrica), l’accès à l’information est une autre préoccupation majeure, car c’est ce qui leur permet de prendre conscience du rôle qu’elles peuvent jouer dans leur environnement. « Il

« Une femme, quand elle est compétente, n’a pas de mal à s’imposer. »

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faudrait plus de femmes dans les médias et plus de programmes éducatifs à leur intention », estime-t-elle. Mais, comme l’explique la journaliste et directrice des programmes en langues nationales à la RTG (Radio télévision guinéenne), Hadja Mariama Dubréka Camara, la prise en compte des réalités socioculturelles est indispensable. Après avoir participé à quelques actions de sensibilisation sur l’excision, elle se souvient que des campagnes trop crues ont suscité l’indignation des populations et conduit au rejet total des messages véhiculés. Il y a à peine dix ans, 68 % des hommes et JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

PROFIL

Hadja Rabi La secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée ne compte plus les titres honorifiques.

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ormis la poignée de main franche, rien ne laisse deviner que derrière la petite femme au visage légèrement enrobé se cache une combattante farouche. Propulsée au-devant de la scène lors du mouvement populaire de 2007 qui a conduit à l’installation du gouvernement de consensus dirigé par Lansana Kouyaté, Hadja Rabi – comme on l’appelle en Guinée – a l’allure, en temps normal, d’une douce mère de famille. Toujours vêtue à l’africaine, sans coquetterie excessive, elle passerait presque inaperçue. Originaire de Mamou, dans la région du Fouta-Djalon, Rabiatou Sérah Diallo est née le 31 décembre 1949. Issue d’une famille modeste, elle est l’unique enfant de la première épouse d’un fonctionnaire porté sur les affaires politiques. « Petite, je suivais les réunions du parti organisées à la maison », se souvient-elle, non sans rappeler que le garçon manqué qu’elle était alors a toujours été révolté par l’injustice et les inégalités. Plus tard, en 1966, diplôme de secrétaire de direction en poche, elle est embauchée à la présidence de la République. SE SENTANT LÉSÉE PAR SON STATUT DE FEMME, elle reprend le chemin de l’école pour devenir greffier de justice. En 1980, elle intègre le tribunal régional de Conakry I. À 30 ans, elle compte déjà quatorze ans de syndicalisme, mais c’est en 1985 que son destin de leader est scellé, lorsqu’elle est élue au bureau exécutif de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) en tant que responsable du Département des femmes. Portée à la tête de la CNTG en 2000, reconduite au poste de secrétaire générale du puissant syndicat en 2005, Hadja Rabi, qui est mariée et mère de six enfants, occupe des fonctions dans nombre de structures internationales (Organisation des travailleurs de l’Afrique de l’Ouest, Bureau international du travail…). Malgré ses multiples activités, elle trouve encore le temps de soutenir des projets en faveur des femmes, dans les industries alimentaire et textile entre autres. Vice-présidente depuis 2006 du Comité mondial des femmes, elle ne compte plus les titres honorifiques. Loin d’en tirer une quelconque fierté, elle ne se lasse pas de clamer que sa préoccupation majeure reste l’amélioration des conditions de vie de tous ses compatriotes. Enfants, femmes et hommes. Et ne cache pas que son rêve de bonheur pour les uns et les CÉCILE SOW autres dépasse largement les frontières de la Guinée… ■

FRED GUERDIN/REPORTERS-REA

des « Femmes les plus méritantes de la République » établi par le bimestriel d’information Le Palmarès.


AGNES RODIER

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Pratiquement toutes nourrissent l’espoir de se marier et d’avoir des enfants.

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52 % des femmes se déclaraient encore en faveur de cette pratique pourtant interdite par la loi. RÊVE D’ENFANTS

La lutte contre le sida est confrontée aux mêmes obstacles. « Le sexe est toujours un sujet tabou. Surtout, les populations ont parfois des croyances bizarres qui font que la communication passe difficilement. Beaucoup de Guinéens refusent d’utiliser le préservatif, car ils pensent que le lubrifiant dont il est enduit est source de contamination », expli-

Une majorité d’entre elles sont en faveur de l’excision, pourtant interdite par la loi. que la journaliste. Même si la prévalence du VIH reste relativement faible (2,8 %) en comparaison avec d’autres pays, il y a aujourd’hui en Guinée deux fois plus de femmes infectées que d’hommes. Bien que l’âge légal du mariage soit fixé à 17 ans, les statistiques montrent également qu’à cet âge une fille sur trois a déjà un enfant ou est enceinte. La mortalité maternelle est par ailleurs de 528 pour 100 000 naissances.

Conscient du rôle que les femmes peuvent jouer dans le développement du pays, l’État a lancé en 1996 avec des partenaires internationaux plusieurs programmes de promotion. Un ministère des Affaires sociales, de la Promotion féminine et de la Petite Enfance est à pied d’œuvre, tandis qu’une Coordination des ONG féminines de Guinée (Cofeg) a été mise en place en 1992 par une quarantaine d’organisations. Même si, aujourd’hui, les jeunes femmes de la trempe d’Aïssatou se sont imposées dans les amphithéâtres des facultés, elles nourrissent prati-

quement toutes l’espoir de se marier et d’avoir des enfants. « Sinon, tu ne seras jamais une vraie femme », affirme l’étudiante en faisant voltiger ses longues tresses. Quelques minutes auparavant, une intellectuelle connue pour son engagement dans les causes féminines me révélait avec pudeur son célibat. « Je fais croire que je suis mariée pour forcer le respect, car, dans notre société, la voix d’une célibataire ne vaut pas grand-chose », se désole-t-elle. La route est encore longue… ■ CÉCILE SOW

MILITANTES DE LA PREMIÈRE HEURE « EN 1956, DÈS QUE LA LOI-CADRE GASTON DEFERRE ouvrant la voie à la mise en place d’un gouvernement semi-autonome fut votée, les femmes investirent massivement les partis politiques pour aider à l’émancipation de leurs maris et aussi pour se libérer elles-mêmes », se souvient Hadja Tiguidanké Diakhabi, aujourd’hui députée du Parti de l’unité et du progrès (PUP au pouvoir). « À l’époque, nous disions que nous étions l’esclave de l’esclave, car nos époux étaient soumis à l’autorité des colonisateurs, et nous, nous étions soumises à la leur. C’est ce qui explique l’engagement des femmes dans les luttes syndicales d’abord, puis politiques », raconte l’ancienne syndicaliste. Elle évoque avec admiration les figures de Jeanne Martin Cissé, première femme à présider le Conseil de sécurité de l’ONU de 1972 à 1976, de Mariana Sultan, pionnière, dans les années 1960, de l’éducation et de la protection des jeunes filles, de Hadja Mafory Bangoura, fidèle amie du président Ahmed Sékou Touré, engagée dès 1953 dans les luttes syndicales avant de devenir, après l’indépendance, ministre des Affaires sociales… ■ C.S. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Arrêt sur images

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Guinéens de New York lors d’une fête musulmane.

ÉMIGRATION

Diaspora: le grand gâchis Amorcée dès 1960, la ruée vers lʼétranger a expédié près de 3 500 000 Guinéens aux quatre coins du monde. Peu de choses ont été faites pour faciliter leur retour au pays natal.

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ans les années 1970, la Guinée partageait un triste record avec l’Uruguay, celui du plus grand nombre d’exilés par tête d’habitant. Près du tiers de sa population avait déserté le pays pour échapper au régime sanglant de Sékou Touré. Qu’en est-il aujourd’hui ? La situation a peu évolué, si elle n’a pas empiré. La Guinée reste un pays d’exode. Un exode qui nuit d’autant à son dynamisme économique et à sa cohésion sociale qu’il concerne essentiellement les couches les plus jeunes et les mieux formées. A priori, des frontières qui fuient, cela n’a rien d’extraordinaire dans un continent miné par le désastre économique et les guerres fratricides. Pourtant, dans ce domaine-là aussi, le pays du « non à de Gaulle » se distingue de ses voisins: il ne se contente pas de détenir le taux d’exilés le plus élevé, il y ajoute la communauté d’émigrés la plus ancienne. Les premières ruées vers l’étranger commencent dès 1960, soit deux ans seulement après l’indépendance. C’est à cette époque que débute, en effet, l’avalanche des « complots » qui allait

progressivement décimer les élites et déchiqueter le tissu social. Après les commerçants et les intellectuels, c’est bientôt au tour des badauds et des paysans de succomber sous la roue du stalinisme tropical alors en vigueur à Conakry. Des villages entiers passent les frontières, des services administratifs se vident de tous leurs cadres. ACCUEIL GLACIAL

D’abord installée dans les pays frontaliers, cette population se dissémine rapidement aux quatre coins du monde. En près d’un demi-siècle, elle a largement eu le temps de se reproduire et de s’enraciner dans les pays d’accueil. Définitivement coupée de ses racines, elle est en passe de devenir une Guinée à part, une nation ennemie, pour ne pas dire une planète inconnue. Peu adaptés aux réalités du pays, mal connus de leurs compatriotes, les Guinéens de l’extérieur n’ont jamais réussi à injecter dans leur pays leurs potentialités économiques et intellectuelles. Pour être honnête, on ne les y a jamais aidés. Victimes – sous Sékou Touré comme sous Lansana Conté – d’un ostracisme

aussi virulent qu’incompréhensible, beaucoup d’entre eux ont fini par renoncer au pays natal. Dans les quartiers guinéens de Dakar ou de Lyon, l’exil que l’on pensait provisoire prend de plus en plus des allures de destinée. La mort de Sékou Touré en 1984 avait pourtant suscité un réel espoir: on allait enfin pouvoir revenir au pays et lui offrir son bagage universitaire (souvent bien fourni) et son expérience internationale. Des quatre coins du monde, des charters entiers convergèrent vers Conakry. Mais dès l’aéroport, l’accueil glacial poussa bon nombre de revenants à reprendre l’avion. Le mythe démagogique de l’« antiGuinéen », que Sékou Touré avait inventé, avait manifestement survécu à son auteur ! Hier « réactionnaires », « renégats », « cinquième colonne », aujourd’hui « diaspos » voire « diaspouris » ! Le changement de régime avait juste apporté un changement de style, le discours restait le même : la Guinée ne voulait toujours pas de ses fils du bout du monde, porteurs à ses yeux de tous les défauts et coupables de toutes les forfaitures. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

STEPHANIE KEITH/WPN/ABACA

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Ceux qui ont tenté, malgré tout, la terrible épreuve du retour ont dû le payer cher. Professeur de mathématiques de son état, l’écrivain William Sassine fut l’un des premiers à venir offrir ses services. Son patriotisme fut drôlement remercié: contraint à un chômage aussi absurde qu’inhumain, traité avec mépris, soumis aux tracasseries policières les plus vexantes, il finira par succomber de solitude et de désespoir. L’auteur du Jeune homme de sable ne fut, hélas, que la victime la plus connue d’un sournois jeu de massacre dans lequel nombre de cadres perdront sinon leur vie, du moins leur carrière. C’est le cas de ce démographe de réputation internationale, qui, sitôt le décès de Sékou Touré diffusé sur les ondes, démissionna de son poste d’administrateur principal dans un prestigieux organisme international pour arriver à Conakry afin de mettre ses compétences au service de sa patrie. Revenu à Paris quelques mois plus tard, les poches vides et le moral à zéro, il dut, pour survivre, se contenter de quelques « consultations » glanées de temps à autre auprès du… service qu’il dirigeait auparavant! CLIVAGE ARTIFICIEL

Ce rejet de la mère patrie a créé chez les « diaspos » un profond traumatisme et accentué les divisions dans un pays déjà miné par les vieux ressentiments et les rivalités ethniques au sommet de l’État. Au traditionnel clivage tribal LES GUINÉENS À TRAVERS LE MONDE

DANS LES ANNÉES 1970 Côte d’Ivoire : 1 000 000 Sénégal : 800 000 Sierra Leone : 200 000 Liberia : 100 000 France : 20 000 États-Unis : quelques centaines ACTUELLEMENT Sénégal : 1 100 000 Côte d’Ivoire : 1 000 000 Sierra Leone : 300 000 Mali : 200 000 Liberia : 100 000 France : 50 000 États-Unis : 30 000 Canada : 20 000 Allemagne : 15 000 Benelux : 15 000 Royaume-Uni : 5 000 Asie : quelques milliers JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

AHOUNOU/APA

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Commerçants guinéens au marché Tilène de Dakar.

et linguistique est venu s’ajouter celui, absurde, entre Guinéens de l’intérieur et Guinéens de l’extérieur. Un clivage profond mais artificiel, qui aura du mal à résister à la loi du sang et à la logique de l’économie. L’honnêteté oblige à dire que si l’État s’est toujours méfié de cette communauté riche en hommes d’affaires et en universitaires (donc propice à la critique et à la contestation), il a parfois tenté au gré des événements, et souvent sous la pression des bailleurs de fonds, de s’en approcher. Par exemple, en 1986, il a admis que des professeurs viennent épisodiquement dispenser des cours à l’université dans le cadre du projet Tokten (un programme de transfert de connaissances par les nationaux expatriés et conçu par les Nations unies). Au début des années 1990, il a introduit des « diaspos » au sein du gouvernement et à des postes aussi importants que ceux de l’Intérieur ou de l’Économie et des Finances. Cette volonté d’ouverture aux « frères ennemis » culmine en 1996 avec la nomination de Sidya Touré, un Guinéen de Côte d’Ivoire, au poste de Premier ministre. Depuis, il semble que l’état d’esprit tende vers l’apaisement : l’ambassade à Paris s’implique de plus en plus dans la vie associative de ses compatriotes et, avant d’être révoqué, le gouvernement Kouyaté a émis l’idée d’un Forum des Guinéens de l’extérieur censé conduire cette communauté plutôt riche et bien éduquée à s’impliquer davantage dans la vie nationale, à l’instar de ce qui se passe au Sénégal ou au Mali. Les autorités auraient-elles enfin réalisé que les « diaspos » sont des Guinéens à part entière et que leur concours ne

serait pas de trop pour tenter de ranimer ce pays moribond qu’est devenue la patrie de Camara Laye? Il serait grand temps. Combien sont-ils ? Difficile à dire ! Aucune étude systématique n’a été réalisée! Mais l’expert Julien Condé, « diaspo » lui-même, fondateur des Statistiques nationales aux toutes premières heures de l’indépendance, et reconnu comme

À partir des années 1987-1988, le traditionnel exil politique va se muer en exil économique. l’un des meilleurs spécialistes des migrations en provenance des pays du Sud, les estime au tiers de la population totale: soit 2 000 000 dans les années 1970 et près de 3 500 000 aujourd’hui. Ce taux a peu varié malgré les naissances et les nombreux bouleversements observés dans la région. Si, en 1984, à la chute de Sékou Touré, environ 500 000 Guinéens ont tenté le retour au pays natal, seuls 100000 ont réussi à s’y fixer. Le climat politique et économique peu favorable à leur insertion va provoquer, au contraire, une résurgence de l’exode. À partir des années 1987-1988, le traditionnel exil politique va se muer en exil économique. Les Guinéens ne partent plus pour échapper au camp Boiro mais pour échapper à la faim. Ce nouveau courant migratoire touche essentiellement les jeunes, dans un pays où 80 % d’entre eux sont au chômage. Il va dans les années 1990 considérablement élargir le rayon d’accueil qui déborde l’Europe et l’Afrique pour toucher l’Amérique et l’Asie. ■ TIERNO MONÉNEMBO


Le Bembeya Jazz National sur scène à Conakry, en 1986.

MUSIQUE

Du Bembeya au reggae yankadi Longtemps obligés de servir la propagande du pouvoir, les artistes se montrent aujourdʼhui plus contestataires. Tout en restant attachés à la symbiose entre sonorités locales et apports extérieurs.

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u temps d’A hmed Sékou Touré, la musique était l’un des moyens utilisés par le gouvernement pour assurer le rayonnement de la Guinée au-delà de ses frontières. Au départ, l’objectif est à la fois de moderniser l’expression musicale traditionnelle et de préserver en même temps toute sa spécificité. En définitive, la musique est un instrument qui permet au pouvoir de susciter une culture officielle formatée selon sa propre vision du monde. En d’autres mots, elle sert, en dehors de son côté festif, de canal de transmission de la propagande du régime. Cela dit, cette expression musicale, quoique très encadrée, a contribué à la naissance de vrais artistes. Il y aura, sous le règne de Sékou Touré, pas moins de trente orchestres officiels. Pa r m i les ensembles musicau x qui ont marqué de leur empreinte l’ère sékoutourienne, le Bembeya

Jazz National occupe une place de choix. Avant de devenir un orchestre de dimension nationale, ce groupe n’était qu’une des nombreuses formations créées au niveau de chaque province. Fondé en avril 1961, il vient de Beyla, une localité du sud-ouest du pays. L’année suivante, il sort de l’ombre après avoir enregistré quelques morceaux, une symbiose entre les sonorités de la Guinée éternelle et celles venues d’autres cieux. GUITARES ET CUIVRES

L’intérêt des mélomanes réconforte les membres du groupe, qui choisissent de s’appeler Bembeya Jazz. Mais qui sont-ils ? L’ossature du Bembeya est composée de Sékou Camara et d’Achken Kaba à la trompette ; de Sékou Diabaté à la guitare, de Hamidou Diaouné à la basse et de Mory « Mangala » Condé à la batterie. Ces autodidactes surdoués ne tardent pas à s’imposer sur la scène grâce à

leurs calypsos, mambos, cha-cha-cha, cha-cha-mambos à la sauce guinéenne. Avec, toujours, cette manière de chanter propre aux régions sahéliennes et assurée par Demba Camara et Salifou Kaba. De 1964 à 1966, l’orchestre rafle tout sur son passage : les deux éditions du Festival national des arts et le titre prestigieux d’orchestre national. Propulsés ainsi sur la plus haute marche du podium, les provinciaux peuvent en toute logique gagner Conakry, la capitale. Jusquelà amateurs, ils changent de statut et deviennent professionnels. Soutenus financièrement par le gouvernement, ils peuvent se consacrer totalement à leur travail. Le Bembeya Jazz National est le premier orchestre de Guinée à se produire hors du continent africain, en l’occurrence à Cuba, l’une de ses principales sources d’inspiration. De nombreuses chansons jalonnent son parcours. Qu’elles aient un caractère politique, qu’elles soient dédiées à l’armée nationale ou qu’elles s’inscrivent dans un registre beaucoup plus léger, les compositions du Bembeya ne laissent personne indifférent. Tout tourne autour de guitares et de cuiJEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

PIERRE RENE-WORMS

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AINSI SONT LES GUINÉENS 101

VINCENT DAMOURETTE/MAXPPP

Ainsi naît l’Orchestre féminin de la gendarmerie nationale. Ce que ces dames considèrent au départ comme une sanction se transforme vite en véritable passion. « Lorsque nous avons commencé, nous avons aimé. Et cela nous a permis de voyager à travers le monde », se souvient le commandant Salématou Diallo, bassiste et l’une des pionnières de l’orchestre. En 1977, à l’occasion du Festival de Lagos, au Nigeria, l’orchestre est rebaptisé Les Amazones de Guinée. À en croire le commandant Djenabou Bah, saxophoniste ténor, cinquième Guinéenne de l’Histoire à avoir appris à jouer du saxo et recrutée en 1963, Lagos reste l’un des meilleurs moments de la carrière des Amazones. Com me pou r le Bembey a Ja zz National, le décès de Sékou Touré en 1984 sera fatal aux Amazones. Après un silence d’une vingtaine d’années, elles remontent à la surface en 2006 en sortant une cassette – leur deuxième enregistrement depuis 1961 ! – qui deviendra un CD l’année suivante. Même si elles s’accrochent et refu-

Mory Kanté au festival Fiest’A de Sète, dans le sud de la France, en août 2006.

vres sur lesquels se posent des voix souvent empreintes de mélancolie. En 1973, l’orchestre est à son apogée. Mais la mort de son chanteur Demba Camara, peu de temps après qu’il eut été blessé dans un accident de la circulation à Dakar, a des conséquences désastreuses sur l’évolution du groupe. Très choqués, ses camarades mettent leur carrière en berne pendant trois ans. Quand il renoue avec la scène en 1976, le Bembeya continue à puiser dans le patrimoine musical local et à subir l’inf luence du son cubain. Toujours ouvert, il s’inspire également des rythmes zaïrois, alors très en vogue sur le continent. Mais les années 1980 sonnent de manière progressive le glas de l’orchestre à cause, pour l’essentiel, des difficultés économiques du régime guinéen. La désintégration devient inévitable après la disparition d’Ahmed Sékou Touré, en JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

1984. Une tentative de renaissance en 2002 ne change pas grand-chose. Malgré ce déclin, le Bembeya Jazz National reste un groupe légendaire, un monument du passé, dont la musique n’a pas perdu de sa saveur. LE RETOUR DES AMAZONES

En dehors des nombreux orchestres masculins, la Guinée est l’un des rares pays au monde à avoir monté un groupe exclusivement féminin. Nous sommes en 1961. Sur instructions de Sékou Touré, le ministre de la Culture et de la Défense, Fodéba Keita, recherche au sein de la gendarmerie nationale des femmes capables de se produire sur scène. D’abord réticentes à l’idée d’embrasser un art considéré comme la chasse gardée de la gent masculine, ces femmes, qui ne doutent pas de leur vocation musicale, finissent par obéir aux ordres de la hiérarchie.

Avec « Yéké Yéké », sorti en 1988, Mory Kanté connaît un succès planétaire. sent de voir le groupe disparaître, les Amazones ne sont plus vraiment ce qu’elles étaient. La fin de l’ère Sékou Touré permet à la musique guinéenne de prendre un nouvel élan, même si la culture n’est pas au centre des préoccupations des nouvelles autorités. Cette époque est marquée par l’émergence d’un homme : Mory Kanté. Descendant d’une famille de griots, né d’un père guinéen et d’une mère malienne, chanteur et joueur de kora, cet ancien du Rail Band de Bamako – où il a joué notamment avec Salif Keita – est tout un symbole. Resté fidèle à la tradition musicale de son terroir, il l’enrichit en y ajoutant des doses de rock ou de funk. Résultat : sa chanson « Yéké Yéké », sortie en 1988, récolte un immense succès planétaire. Une première pour un musicien guinéen. Désormais dans la cour des grands, Mory Kanté sera pendant des années


102 militante, plus politique, plus revendicative, au grand bonheur de la jeunesse, surtout depuis les événements qui ont ensanglanté le pays au début WORLD MUSIC de l’année 2007. Sur les traces du chanteur, Des gens comme A lsey ni des musiciens beaucoup plus Kouyaté, créateur, avec ses jeunes essaient de trouver leur compères de la for mat ion voie et de se tailler une renomYéliba, du reggae yankadi, mée au-delà des frontières de un mélange de reggae jamaïleur pays. Ils pérennisent la quain et de rythmes guinéens, tendance qui consiste à nourAbdoul Jabbar, Takana Zion rir la tradition locale avec des ou A lpha Wess – considéré apports extérieurs. Tel est le cas comme le père fondateur du du quatuor Ba Cissoko. Compomouvement rasta guinéen – sé de Ba Cissoko (kora), IbraLe quatuor Ba Cissoko, un groupe emblématique sont les plus représentatifs de him Bah (percussions), Koudu nouveau paysage musical guinéen. cette tendance. Bien entendu, rou Kouyaté (basse) et Sékou le rap n’est pas en reste. Mais Kouyaté (kora), ce groupe est quel que soit le talent des musiciens, emblématique de la scène guinéenCet artiste, apprécié des mélomanes, la musique guinéenne a de nombreux ne actuelle. Sa démarche musicale, a commencé très haut et très tôt sa défis à relever. Les plus urgents résià cheval entre le rock, le reggae, le carrière : à 14 ans, il a eu l’insigne dent dans l’absence d’une industrie jazz, le funk et la culture mandinhonneur d’intégrer le célèbre Bembeya du disque, le manque de salles de gue, a redonné ses lettres de noblesse Jazz National. spectacles appropriées et, surtout, aux instruments à cordes. Lui aussi a Aujourd’hui, beaucoup de courants de producteurs au professionnalisme réussi à trouver sa place dans ce qu’on musicaux ont réussi à trouver leur éprouvé. Malgré ces carences strucappelle la world music avec, en plus, public en Guinée. La chanson a cessé turelles, les mélomanes se montrent un prix Découvertes RFI. d’être un instrument de la propaganplutôt ravis. ■ Autre nom important à signaler, de d’État ou une simple expression TSHITENGE LUBABU M.K. celui de Sékouba Bambino Diabaté. des tourments de l’âme. Elle est plus © YOURI LENQUETTE

un véritable ambassadeur de la musique de son pays à travers le monde.

DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE

« Les leaders de la Guinée », Next Music Son, 2001. La réunion de sept légendes de la musique guinéenne : Sékouba Bambino, Sékouba Fatako, Ibro Diabaté, Fofré Baro, Djëly Fodé Kouyaté, Kerfala Kanté, Amoudou, Sodia. « Sabolan », Ba Cissoko, Marabi, 2004. Bel opus des quatre jeunes Guinéens de Marseille. Entre héritage griotique et kora électrique. « Bembeya Jazz National », Marabi, 2002 (réed.) Album historique du groupe crée en 1961. Avec Sékou « Diamond Fingers » Diabaté à la guitare et le chanteur Demba Camara (décédé en 1973). « Hamana Foli Kan », Famoudou Konaté, Buda Musique, 2002. Le maître guinéen incontesté du djembé. « Wamato », Les Amazones de Guinée, Stern’s Records, 2007 Le retour des Amazones vingt-cinq ans après Au cœur de Paris & M’Mah Sylla, leur premier enregistrement.

« Akwaba Beach », Mory Kanté, Barclay, 1987. Le seul artiste guinéen à avoir vendu des millions d’exemplaires avec le tube Yéké Yéké. « Sinikan », Sekouba Bambino Diabaté, Next Music, 2002. Entre influence griotique et grands standards de la soul. « Zion Prophet », Takana Zion, Makasound, 2007. 22 ans, l’avenir du rap guinéen. « Yilimalo », Hadja Kouyaté, Frikywa, 2004. Une belle voix originaire de la région forestière pour un répertoire traditionnel. « Doyen », Momo Wandel Soumah, Blue Saphir, 2003. Du jazz dans la pure tradition guinéenne. « Make Mayi Wa », Mba Abesolo, 2006 Accordéon sous le soleil de Conakry pour un album original. « Djanka Diabaté », Africa Productions, 2003. Choriste de Mory Kanté, Salif Keita, Youssou N’Dour, elle est la grande représentante de la musique mandingue. « Soubindoor », Djely Moussa Diawara, World Circuit, 1992. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


Guinee Games.qxd

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Antonio Souare, Directeur général de Guinée Games « Guinée Games assure dores et déjà 600 emplois directs et autant d’emplois indirects. A terme ce seront plus de six mille emplois qui seront globalement crées dans le pays. Pour cela l’entreprise a réalisé des investissements massifs, plus de six millions d’euros, ce qui permet d’élargir en permanence la gamme des produits offerts et dans le même temps d’assurer aussi des rentrées fiscales régulières en forte croissance. »


104 AINSI SONT LES GUINÉENS LITTÉRATURE

Maîtres de la plume Pendant un quart de siècle, les seules œuvres tolérées furent celles du Responsable suprême de la Révolution. Cʼest dans lʼexil que se sont révélés les meilleurs écrivains.

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u commencement était Camara Laye… Ainsi peut débuter tout regard rétrospectif sur les lettres guinéennes d’expression française depuis un demisiècle. Celui qui est considéré comme le père fondateur de la littérature nationale pour avoir publié en 1953 L’Enfant noir n’avait pourtant guère d’ambition littéraire. Le point de départ de son œuvre est la nostalgie qui l’étreint au début des années 1950 en France, où il est venu suivre des études techniques. Seul, loin des siens, Camara Laye décide de donner une forme littéraire à ses souvenirs d’enfance. Certains lui reprochent de décrire un monde idyllique où l’on ne trouve nulle trace des méfaits du colonisateur. Mais Camara Laye ne se laisse pas abattre. Il publie, en 1954, un deuxième livre, Le Regard du roi. Puis vient l’indépendance, en 1958. Camara Laye rentre en Guinée. En 1963, sentant que le système se transforme en machine à broyer les corps et les consciences, le fondateur de la littérature guinéenne moderne s’établit au Sénégal. L’exil, le silence ou la mort: les Guinéens, du moins ceux qui veulent se servir de leur plume, n’ont pas d’autre choix.

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DIFCOM / D.F. - PHOTOS : D.R.

réée en 1986, la SOCIÉTÉ SADIO & FRÈRES développe six activités principales :

Pendant de longues années, la Guinée est un désert littéraire. Les seules « œuvres » tolérées sont celles du chef de l’État, Ahmed Sékou Touré. Celui-ci, qui manie la parole avec un brio inégalé, veut prouver qu’il sait également jongler avec les mots. Il cherche à pénétrer les esprits de ses compatriotes et à en devenir l’unique maître. Cela commence dès 1959. Dans une contribution au 2e Congrès des écrivains et artistes organisé par Présence africaine à Rome, Sékou Touré écrit: « Intellectuels ou artistes, penseurs ou chercheurs, leurs capacités n’ont de valeur que si elles concourent réellement à la vie du peuple, que si elles sont intégrées de manière fondamentale à l’action, à la pensée, aux aspirations des populations. » Autrement dit, il n’y a pas de place pour les rêveurs qui pensent à l’art pour l’art. Tout doit s’inscrire dans le cadre de la révolution. Dans ces conditions, l’expression du moi devient haïssable. La vie littéraire est, donc, inexistante. Pis, la littérature produite dans les autres pays africains est ignorée. Seul le « théâtre militant », qui démontre comment le Parti démocratique de Guinée (PDG) conduit le peuple vers des horizons meilleurs, a droit de cité. Si les œuvres du camarade Sékou Touré sont essentiellement des réflexions à caractère politique ou culturel, il franchit le pas pour accéder au statut de « vrai écrivain » en publiant, en 1964, un recueil intitulé Poèmes militants. Un pied de nez à son ennemi intime Léopold Sédar Senghor ? Certains le pensent. Il y aura, sous Sékou Touré, des « poètes militants » qui croient – ou feignent de croire? – en la bonne marche de la révolution. Tel est le cas du célèbre Fodéba Keita, fondateur des Ballets africains, qui, après avoir publié trois recueils de poèmes chez Seghers, sera arrêté en 1969 puis exécuté. D’autres sont victimes de la censure du PDG. Ainsi, un officier de l’armée, Camara Kaba « 41 », qui avait écrit entre 1963 et 1970 quelque 250 poèmes, verra 200 d’entre eux saisis, tout comme deux de ses romans inédits. Mais la poésie révolutionnaire, purement déclamatoire, manque d’âme. La plupart des poètes rimaillent et ne montrent aucune originalité dans la création. On notera aussi une profusion de contes et légendes, de pièces de théâtre. Aucun nom ne s’impose cependant. C’est dans l’exil que les meilleurs écrivains guinéens vont se révéler, surtout dans le genre romanesque. Camara Laye, condamné à vivre à Dakar, publie Dramouss en 1966, puis Le Maître de la parole en 1978. Williams Sassine, un professeur de mathématiques exilé en Mauritanie, arrive sur la scène littéraire avec Saint Monsieur Baly (1973). Un autre exilé, professeur de biochimie de son état, Tierno Monénembo, entre en littérature avec un titre remarqué, Les CrapaudsJEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


TSHITENGE LUBABU M.K. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

ECLAIR MONDIAL/SIPA

Brousse (1979). Avec ces deux derniers romanciers, auxquels on peut ajouter l’économiste Alioum Fantouré, dont le premier roman, Le Cercle des tropiques, paraît en 1972, la littérature guinéenne prend un essor inattendu. Même si leurs œuvres sont interdites dans leur propre pays. L’on note chez eux un indéniable talent de narrateur, une créativité débordante, une thématique politique avec, au centre, les turpitudes des pouvoirs tyranniques et les dérèglements de la société. D’autres noms s’ajoutent à la liste : Émile Cissé (auteur en 1958 de Faralako, roman d’un village africain, publié à Rennes), Ahmed Tidiane Cissé (poète et dramaturge), Saïdou Bokoum (romancier)… Des années durant, les écrivains guinéens seront divisés, pour ainsi dire, en deux camps. Ceux de la diaspora, les seuls bénéficiant d’une reconnaissance sur le plan international (parce que publiés dans des maisons d’édition comme Le Seuil, Plon ou Présence africaine). Et ceux de l’intérieur, à jamais frustrés d’avoir été interdits d’écriture, alors que Sékou Touré laissera à sa mort, en 1984, une « œuvre » en 45 tomes! À partir de cette date, la parole se libère et les écrivains de l’intérieur essayent, tant bien que mal, de rattraper le temps perdu. Publiés à Conakry, à Paris, à Dakar, ou même à compte d’auteur, de nouveaux noms apparaissent. Parmi eux, Cheikh Oumar Kanté, Kiridi Bangoura, Nadine Bari ou encore Binta Ann. Ils abordent tous les genres avec une boulimie digne de ceux qui, après avoir longtemps vécu dans un ghetto culturel, ont la rage d’écrire. Mais se faire éditer n’est pas une mince affaire. Trouver un public, dans un pays où les librairies et les bibliothèques sont rares, encore moins. Malgré tous les handicaps, ils continuent à coucher sur le papier des mots qui, comme hier Camara Laye, entendent restituer les réalités guinéennes dans leur complexité. Ils veulent surtout exorciser les démons du passé et construire de nouveaux rêves à dimension humaine. ■

Camara Laye. L’auteur de L’Enfant noir (1953) est considéré comme le père de la littérature nationale.

Tierno Monénembo, consacré en novembre 2008 avec l’attribution du prix Renaudot au Roi de Kahel.

PHILIPPE MATSAS/OPALE

Williams Sassine a démontré l’étendue de son talent dès son premier roman, Saint Monsieur Baly (1973).

LOUIS MONIER

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106 AINSI SONT LES GUINÉENS PATRIMOINE

Zeinab Koumanthio Diallo, lʼâme de Labé Première Guinéenne à avoir publié un recueil de poésie, cette experte en développement est aussi la fondatrice du musée du Fouta-Djalon, réalisation unique en son genre dans le pays.

L

AGNÈS RODIER

orsqu’on la présente reconnaît-elle. Il y a dans sa comme la première poésie quelque chose qui m’est poétesse guinéenne, familier. Un cordon ombilical Zeinab Koumanthio me relie à lui. » Elle s’enrichira Diallo émet toujours une aussi de l’œuvre de ses comparéserve. Elle rappelle que, triotes Fodéba Keita et Émile avant elle, Labé, ville du FouCissé, ou encore d’écrivaines ta-Djalon, à quelque 400 km sénégalaises. au nord de Conakry, a abrité La matière des livres de Zeiil y a plusieurs siècles une nab Koumanthio Diallo vient poétesse reconnue comme de ce qu’elle a observé depuis telle. Qu’à cela ne tienne : sa jeune enfance : la condition dans les lettres guinéennes des épouses de polygames, modernes, elle est la premièles mutilations génitales, les re à avoir publié un recueil répudiations abusives, les de poèmes, Moi, femme, paru mariages précoces, les vioà Dakar en 1989. Depuis, lences conjugales… C’est tout cette écrivaine née en 1956 cela qu’elle dénonce de façon compte à son actif douze courageuse dans l’une de ses livres, qui vont de la poésie pièces de théâtre, Les Humiau roman, en passant par le liées, parue en 2005 aux édiconte ou le théâtre. tions L’Harmattan. Et quand Dans son premier ouvrage, elle monte des sketches, elle le lecteur se rend compte de sensibilise la population aux l’engagement de la poétesse ravages du sida, combat l’inpour valoriser la femme, fidélité, conseille l’usage du souvent victime de violences préservatif dans les rapports et d’injustices. « La poésie sexuels. représente pour moi une Un discours qui ne va pas arme, un grand couteau sans conséquences. « Tout dont on peut se servir pour le monde n’est pas toujours Zeinab Koumanthio Diallo. Au centre de son œuvre mener des combats », dit content lorsque j’aborde ces littéraire, la femme et les injustices dont elle est victime. Zeinab Koumanthio Diallo. problèmes, note-t-elle. Quand « J’ai compris qu’on peut l’utiliser de région où la poésie se pratique depuis une femme écrit, les gens ont tendance façon innocente pour résoudre bien des toujours, explique-t-elle. Dans l’ancien à la critiquer uniquement parce que problèmes dans une société comme la État théocratique, les aristocrates lettrés c’est une femme et ne cherchent pas nôtre. Ma poésie m’a permis de changer faisaient de la poésie, se présentaient à savoir si ce qu’elle écrit est bon ou des choses ici, même si je ne suis pas la comme des hommes du livre dans une pas. Cette forme de censure basée sur mieux placée pour le dire. » société où l’oralité était la norme. » le genre pousse parfois au décourageIngénieure agronome de formation, ment. » experte en développement et consulFILLE D’IMAM Malgré cela, cette fille d’imam reste tante auprès d’organismes comme le Avec sa mère poétesse, descendante optimiste sur l’avenir des relations homProgramme des Nations unies pour le directe des vieilles familles qui ont me-femme. « La religion n’est plus tout développement (Pnud) ou l’Agence des fondé Labé, la jeune fille participe à à fait un frein. Les hommes ont compris États-Unis pour le développement interdes veillées durant lesquelles chacun ce que peuvent apporter les femmes. » national (Usaid), Zeinab Koumanthio rivalise d’éloquence en déclamant des Zeinab Koumanthio Diallo ne s’arrête Diallo baigne dans la poésie dès son poèmes. Plus tard, elle subit l’influence pas à la dénonciation. Elle met la même enfance. « J’ai été amenée à l’écriture d’autres poètes, à commencer par Léoénergie à défendre ce qu’elle considère par le fait que le Fouta-Djalon est une pold Sédar Senghor. « Il m’a marquée, comme des valeurs culturelles positives JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


AINSI SONT LES GUINÉENS 107 de son continent : la dignité, le sens de la famille, l’honneur… Au début de cette décennie, la poétesse décide de s’engager sur une nouvelle voie : le retour dans le Fouta-Djalon, déserté par ses élites. Elle et son mari ont une idée précise de ce qu’ils vont entreprendre à Labé, à l’occasion de cette sorte de retour au pays natal : réactiver la culture locale. Cette initiative débouche sur la création du musée du Fouta-Djalon. « C’est l’aboutissement de mon parcours littéraire, souligne Zeinab Koumanthio Diallo. Pour moi, ce musée n’est rien d’autre que de la poésie appliquée. » ATELIERS D’ÉCRITURE

Partie de rien, sans connaissances sur la muséologie, elle abat, avec son mari et ses divers collaborateurs, un travail titanesque de collecte de divers objets spécifiques au monde peul pour en sauvegarder la mémoire. Dans cette culture où le masque est inconnu, les recherches portent sur les calebasses et d’autres récipients, les bâtons de bergers, les manuscrits apportés par les Peuls dans les années 1600…

Cette collecte, qui semblait être au départ une entreprise sans lendemain, donne des résultats inattendus : des objets, dont le plus ancien a 450 ans, sont découverts dans différents villages. Aujourd’hui, 348 pièces sont exposées au musée du Fouta, alors que 2 000 autres attendent dans la réserve. Depuis 2001, l’établissement n’a cessé de se consolider. Administré par un comité de gestion, il emploie 7 permanents, dont 2 conservateurs, 12 bénévoles et une vingtaine de personnes pour l’animation. Il s’est doté, en plus, d’une bibliothèque contenant quelque 5 000 livres destinés essentiellement à la jeunesse de Labé et des environs, ainsi que d’un cybercafé. L’un des objectifs du musée est de « faire en sorte que les enfants soient armés du meilleur de leur culture avant d’aller vers les autres », dit Zeinab Koumanthio Diallo. À cet effet, des partenariats ont été établis avec une vingtaine d’écoles, principales cibles.

Ils consistent en journées du patrimoine, ateliers d’écriture, animations diverses… Les efforts de l’initiatrice du musée du Fouta ont fini par payer : l’École du patrimoine africain de Porto-Novo (Bénin) a décidé de lui venir en aide. Cette assistance comporte la formation à la préservation et au traitement des objets ; le montage d’expositions ; le renforcement des compétences du

Calebasses, bâtons de bergers, manuscrits apportés par les Peuls dans les années 1600… personnel ; le respect des normes professionnelles… Des guides sont par ailleurs formés à l’accueil des touristes, qui, de ce fait, s’intéressent davantage à la région. Fière de son travail, Zeinab Koumanthio Diallo, qui anime par ailleurs une troupe théâtrale, peut dire, simplement: « On est là. On ne peut pas chômer. On a du travail. » ■ TSHITENGE LUBABU M.K.

Maîtrise technique et sécurité sont nos maîtres mots.

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108 AINSI SONT LES GUINÉENS FOOTBALL

Les riches heures du Syli et du Hafia Pendant une décennie, de 1968 à 1977, lʼéquipe nationale et le grand club de Conakry ont brillé sur les pelouses du monde entier. Retour sur une épopée inoubliable.

L

e 2 octobre 1958, après avoir massivement rejeté le projet de Constitution du général de Gaulle, la Guinée accède à l’indépendance. Dans la foulée, les organisations politiques à base ethnique, les organisations syndicales et les mouvements de jeunesse sont démantelés et pris en charge par le Parti démocratique de Guinée (PDG). Il n’existe plus qu’un seul mouvement national de jeunesse, la Jeunesse du rassemblement démocratique africain (JRDA), et celui-ci contrôle toutes les activités sportives de la nation. Dans une lettre adressée le 3 novembre 1959 à Kurt Gassman, secrétaire général de la Fédération internationale de football (Fifa), les responsables de la JRDA, Sékou Soumah et Yoro Diarra, l’informent de la naissance de la Fédération guinéenne de football (FGF). Dans un second pli, ils joignent les statuts de la nouvelle organisation, dont ils demandent l’affiliation. Gassman réclame des précisions et rappelle que « toute fédération désirant s’affilier à la Fifa doit être absolument indépendante et autonome au point de vue politique ». Da n s leu r rép on se e n date du 18 février 1960, Sékou Soumah et Yorro Diarra expliquent qu’en Guinée « toute organisation de jeunesse se définit par rapport au parti national et s’organise parallèlement à lui », que « la carte du parti national que détiennent les 90 % de la population est exigée parce que plus facile à obtenir que la carte d’identité ». Le 19 août, le Comité exécutif de la Fifa décide d’accorder une affiliation provisoire à la FGF. Elle sera définitive en juin 1962, à l’occasion du congrès tenu à Santiago du Chili. Dès son installation, la FGF se préoccupe de la constitution d’une

« équipe nationale composée d’éléments choisis parmi les meilleurs pratiquants de la nation » et dont les membres sont, statutairement, « professionnels ». Et bien que « notre politique ne vise pas le résultat de prestige mais doit permettre la pratique d’un véritable sport de masse », (dixit feu le président Ahmed Sékou Touré), cette sélection, qui prendra officiellement, en août 1969, le nom de Syli national, sera, pendant vingt ans, le porte-drapeau de la révolution guinéenne. TECHNICIENS HONGROIS

Trente footballeurs de talent sont ainsi sélectionnés et encadrés par des techniciens hongrois qui ont pour noms Jozsef Za k a r ias, Da n Nandor, Jozsef Soëckdi et Laszlo Budai I (à ne pas confondre avec Laszlo Budai II, qui a fait partie de la Wunderteam hongroise des années 1953-1956). Ces coopérants, fidèles à la conception de jeu qui a fait, dans les années 1950, la force et le prestige de la Wunderteam magyare, se montrent soucieux de respecter le talent et la personnalité des footballeurs guinéens qu’ils emmènent effectuer des stages sur les bords du Danube. Ils s’attachent à perfectionner leurs qualités individuelles tout en les initiant au jeu collectif. Priorité est donnée à la maîtrise et au « maniement » du ballon, à l’élégance du geste, aux échanges rapides et à l’attaque. Un st yle g u i néen, pol i pa r les maîtres hongrois, voit le jour. S’il conquiert les foules de l’Afrique de l’Ouest, il n’est pas encore conquérant. L’équipe de Guinée est, en 1963,

disqualifiée et exclue de la IVe CAN. Elle est éliminée par le Sénégal en 1965 puis en 1968. Mais elle s’illustre en avril 1968 lorsqu’elle défait l’Algérie (2-2 et 3-2) et décroche une qualification pour le tournoi des jeux Olympiques de Mexico. Le 13 octobre, à Puebla, la Guinée, dirigée par « Maître » Naby Camara, affronte l’équipe de France amateur. Elle joue bien, mais commet des erreurs défensives fatales (1-3). Deux jours plus tard, elle se rachète et l’emporte sur la Colombie (3-2). Enfin, le 17, au stade Azteca, à Mexico, elle fait naufrage face au… Japon (0-4). L’échec est sans appel, mais les observateurs ont la bonne sur prise de découvrir des joueurs de talent tels Chérif Souleymane, Maxime Camara, Petit Sory ou encore Kandia Diallo. La même sélection « olympique » va décrocher, aux dépens du rival sénégalais, un ticket pour la phase finale de la VII e CAN, au Soudan. Sur les bords du Nil, dans la grande bourgade cotonnière de Wad Medani, le Syli national, dirigé par Laszlo Budai I, se montre fidèle à ses options offensives, mais, encore une fois, son talon d’Achille est la perméabilité défensive. Il encaisse quatre buts face à la République arabe unie, concède le nul aux Léopards du Congo-Kinshasa (2-2) et aux Black Stars du Ghana

Priorité est donnée à l’élégance du geste, aux échanges rapides et à l’attaque. (1-1) et quitte prématurément la compétition. À la suite de ces contre-performances, la tentation est forte parmi certains responsables de la sélection – Budai étant reparti à Budapest – de flirter avec le « réalisme » en vogue à l’époque en Europe. Mais la tentative est malheureuse : la Guinée est écartée des jeux Olympiques de Munich 1972 par le Togo et de la VIIIe CAN par le Mali, deu x équipes moins valeureuses. En Coupe d’Afrique des clubs, les représentants guinéens, le Kaloum Star (ex-Conakry I) et le Hafia Club (ex-Conakry), où l’on retrouve tous les membres de la sélection, connaissent aussi une marche en dents de scie. JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE


AINSI SONT LES GUINÉENS 109 l’Argentine, de la France, du Portugal, de la Yougoslavie, de l’URSS et de la Tchécoslovaquie. De retour d’Amérique du Sud, Petit Sory et Maxime Camara rejoignent le Syli, qui s’apprête à disputer les éliminatoires des IIe Jeux africains de Lagos. Le tournoi de la zone Ouest A a lieu en octobre à Dakar. La Guinée domine copieusement ses voisins et se qualifie en totalisant 29 buts. Le jeune avant-centre A lioune Keita « N’jo Léa », qui a succédé au légendaire Kandia Diallo, se montre particulièrement percutant avec 12 réalisations. DU SPECTACLE ET DES BUTS

DR

Il est à la pointe de l’attaque du Hafia, qui dispute la finale de la VIII e Coupe d’Afrique des clubs. Le 10 décembre, à Conakry, Hafia défait le Simba Club Uganda Army : 4-2. Le 22, au stade Nakivubo, à Kampala, Chérif Souleymane, Ousmane Tollo et N’jo Léa confortent l’avance de leur équipe : 3-2. Le général Idi Amin Dada remet le trophée Kwame-Nkrumah au capitaine guinéen, Soumah Soriba « Édenté ». Depuis Conakry, par la voie des ondes, le président Sékou Touré félicite les héros qui ont donné au football guinéen son premier titre continental. Les champions d’Afrique ont pour nom Bernard Sylla, Jacob Bangoura, Ibrahim Jac « Ca Calva » Fofana, Édenté, Sékou Condé, Condé Mory, Séko Tollo, Petit Sory, Chérif, To N’jo Léa et Maxime. Quelques semaines après, tous sont avec le ap Syli pour participer aux Sy Jeux de Lagos. L’équipe Je de Guinée offre du specdé, vainqueur en tacle et des buts : 14 en 1971. Défait au cinq matchs. Elle atteint Cameroun (2-3), la finale mais doit se le Hafia est impicontenter de la médaille toyable à domicid’argent, battue par les le : 4-1 ! Quelquess Green Eagles du Nigeria jours après ce En décembre 1977, le Hafia (0-2). succès, deux intersigne sa troisième victoire 1973-1974 sont des nationaux du Syli en Coupe des clubs. années de vache maigre et du Hafia, Petit pour le football guinéen. S or y e t M a x i m e Hafia ne parvient pas à conserver son Camara, s’envolent avec la sélection titre et le Syli, s’il dispute la phase finad’Afrique pour le Brésil où ils particile de la IXe CAN en Égypte, ne franpent du 11 au 25 juin à la Coupe de chit pas le premier tour. L’ascension l’indépendance. Petit Sory est choisi des jeunes « Papa » Camara, Djibrill par la presse de Rio de Janeiro comme Diarra, Youssouf Camara et Bengaly le meilleur au poste d’ailier droit Sylla va redonner de la vitalité aux parmi les joueurs de quinze équipes deux formations. En 1975, Hafia nationales dont celles du Brésil, de

Le 20 décembre 1975, à Lagos, le Hafia de Conakry remporte la Coupe des clubs champions face aux Nigérians d’Enugu Rangers (en blanc).

Des succès spectaculaires mais aussi des faux pas désolants. 1972, Budai revient à Conakry. Le Syli renoue avec l’offensive débridée. Le 12 mars, au stade du 28-Septembre, Chérif Souleymane et ses coéquipiers affrontent l’équipe d’Algérie à l’occasion des éliminatoires de la Coupe du monde 1974. Ils effacent la défaite subie à Alger (0-1) et prennent une large revanche (5-1). Rachid Mekhloufi, le coach algérien, le reconnaît sportivement : « La victoire des Guinéens est méritée. » IMPITOYABLE À DOMICILE

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

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En Coupe des clubs champions, le Hafia, où opèrent tous les attaquants du Syli, affronte le Canon de Yaoun-


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AINSI SONT LES GUINÉENS 111 ▲ ▲ ▲

retrouve la Coupe d’Afrique. Le club de Conakry aligne les victoires et se qualifie pour la finale. Certes, l’offensive est toujours de mise, mais l’efficacité est en retrait (12 buts en huit matchs contre 24 en 1972). N’empêche, le 7 décembre, au stade du 28-Septembre, face aux Nigérians d’Enugu Rangers, N’jo Léa glane un but précieux (1-0). Le 20, au National Stadium de Surulere, à Lagos, Petit Sory et Chérif Souleymane concrétisent la volonté de vaincre des Guinéens, qui l’emportent (2-1). Ousma ne Tol lo reçoit le t rophée Nkrumah, qui reprend le chemin de Conakry. Un couronnement mérité, mais les générations se suivent et ne se ressemblent pas.

franchit allègrement les étapes avant d’accéder à sa troisième finale, mais il est freiné par le Mouloudia d’Alger. Pourtant, le 5 décembre, au stade du 28-Septembre, Chérif Souleymane et ses camarades ne font pas de détail : Jansky, Bengally et N’jo Léa font le break (3-0) à l’issue d’un match fer-

populaire, le trophée Nkrumah. Pour les Guinéens, c’est un retour pénible à Conakry, où Sékou Touré leur instruit un procès « révolutionnaire ». N’jo Léa est désigné à la vindicte du « peuple de Guinée ». Il ne s’en remettra pas. Ses coéquipiers ont à cœur de se racheter. Et ils réussiront, en 1977, l’incroyable

À peine six semaines plus tard, les internationaux guinéens, encadrés par le Roumain Petr Mondolviane, débarquent à Addis-Abeba pour disputer la phase finale de la Xe CAN. Le 5 mars 1976, le public éthiopien refuse ses applaudissements aux joueurs marocains, vainqueurs du tournoi, mais les accorde à Chérif Souleymane et à ses coéquipiers, malheureux vice-champions d’Afrique. En fait, si le Syli n’a pas connu la consécration qu’il aurait méritée sur les hauteurs d’Addis-Abeba c’est qu’il a montré des carences dans son jeu offensif, plus basé sur les exploits des

Addis-Abeba, mars 1976. L’équipe nationale guinéenne échouera en finale de la Coupe d’Afrique des nations face au Maroc.

tile en incidents et qui manque de provoquer une crise diplomatique entre la Guinée et l’Algérie. Sékou Touré écrit au président Houari Boumédiène pour exalter « la mission des deux révolutions » et flatter les jeunesses algérienne et guinéenne « idéologiquement éduquées et conscientes des objectifs que l’Afrique s’est assignés ». Boumédiène répond : « Il n’y a aucune commune mesure entre les particularismes inhérents à ce genre de rencontre et l’engagement solidaire de nos deux peuples et les aspirations qu’ils partagent. » Un appel à la sportivité et au fair-play est lancé. L e 18 d é c e m b r e , l e s t a d e d u 5-Juillet, à Alger bat les records d’affluence. Sur la pelouse artificielle bien mouillée, les lutins de la Casbah se jouent des grands gabarits guinéens. L’ailier droit Omar Bétrouni donne le tournis à son garde-corps Djibril Diarra et réussit le doublé. Le Mouloudia refait tout son retard : 3-0. Le concours de coups de pied arrêtés est une formalité pour les Algérois, qui remportent, dans une indicible liesse

Depuis 1976, le Syli n’a plus disputé de finale de la Coupe d’Afrique des nations. solistes Petit Sory, N’jo Léa, Jansky et Bengally que sur la conjugaison de tous ces talents. Au total, le Syli n’aura marqué que 11 buts en six matchs, comme le Maroc. D’autre part, l’équipe n’a pas réussi à réaliser un équilibre harmonieux attaquedéfense, faute d’un choix tactique rationnel. Depuis 1976 et jusqu’à ce jour, le Syli, s’il a participé à plusieurs phases finales de la CAN (1980, 1994, 1998, 2004, 2006 et 2008), n’a plus disputé de finale. Pour le Hafia, 1976 aurait pu être l’année du triplé continental, elle ne le sera pas. Certes, le club de Conakry JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

pari d’accéder à la finale de la XIIe édition de la Coupe des clubs. Mais, cette fois-ci, le tirage au sort leur offre le match retour à domicile. ARGENT ET VEDETTARIAT

Le 4 décembre, Hafia en découd avec les Hearts of Oak à Accra. Les Guinéens l’emportent d’un petit but (1-0). Le 18, au stade du 28-Septembre, conduite de pied de maître par « Papa » Camara, l’équipe guinéenne domine ses hôtes ghanéens (3-1). Yidnekatchew Tessema, le président de la Confédération africaine de football (CAF), remet à « Papa » Camara le trophée Nkrumah. Celui-ci est désormais la propriété définitive du Hafia. Le lendemain, le président Sékou Touré reçoit Tessema et lui offre une nouvelle coupe qui portera son nom. Mise en jeu en 1978, elle sera remportée pour la première fois par l’ambitieux Canon de Yaoundé aux dépens du… Hafia. À Yaoundé, le 17 décembre 1978, le club de Conakry dispute son ultime finale avant de rentrer dans le rang. Tout comme le football guinéen, où l’intrusion de l’argent et le vedettariat vont précipiter la décadence même si le talent ne fait pas défaut. ■ FAOUZI MAHJOUB

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AINSI SONT LES GUINÉENS 113

PROFIL

Chérif Souleymane Maître de la circulation du ballon, le « crack de Kindia » a imposé dix ans durant sa marque à la construction du jeu de lʼéquipe guinéenne et du Hafia.

« PATRON » DÉVOUÉ ET ESTIMÉ, le sourire de mise, l’abord agréable, Chérif a conquis les foules, gagné les cœurs. Et il ne s’est jamais départi d’une correction qui lui a valu respect et admiration. Le nom de Chérif, trois fois vainqueur de la Coupe des clubs (1972, 1975 et 1977) et deux fois finaliste de la même épreuve (1976 et 1978), reste associé à l’aventure du Hafia Conakry. Une aventure riche en exploits, mais aussi en drames. Car s’il a vécu les heures de gloire du football guinéen, « Souley » en a aussi partagé les incertitudes, les erreurs et les échecs. Ainsi, en Coupe des nations à Wad Madani, en 1970, le Syli de Guinée joue l’attaque mais n’assure pas ses arrières. II subit la loi de l’Égypte (4-1), et ne peut que partager les points avec le Congo-Kinshasa (2-2) et

Chérif Souleymane, le type même du joueur collectif.

le Ghana (1-1), n’évitant pas l’élimination. À Alexandrie, en 1974, Chérif n’est pas aligné contre le Zaïre et le Syli perd (1-2). Il réapparaît contre l’île Maurice (2-1) et le Congo (1-1). Mais les résultats sont insuffisants et la manière affligeante. À Addis-Abeba, en 1976, « Souley » est rétrogradé au poste d’arrière central. La Guinée est favorite. Ses attaquants font mal. La Coupe est à portée de main. Ultime étape : le Maroc. Chérif, d’un maître tir, donne l’avantage aux siens. Mais les Marocains, astucieux et réalistes, comblent in extremis leur handicap et coiffent leurs rivaux.

À l’approche du but, il se transformait en canonnier : sa frappe pardonnait rarement.

JEUNE A FRIQUE • SPÉCIAL GUINÉE

Trois ans après l’échec éthiopien, Chérif fait ses adieux à la compétition. Depuis, le football de Guinée n’est plus ce qu’il était. Souley ne tourne toutefois pas le dos au foot, même si les autorités sportives de son pays l’ignorent ou le mettent à l’écart. Il devient un excellent formateur de jeunes. ■ FAOUZI MAHJOUB

FAOUZI MAHJOUB

I

l y a des footballeurs qui jettent de la poudre aux yeux. Tous leurs gestes sont remarqués, même s’ils ne sont pas vraiment remarquables. Voilà pourquoi il est parfois difficile d’apprécier la véritable valeur d’un joueur. Faire ce qu’il faut faire, quand il faut le faire, de la façon la plus simple, la plus précise, la plus rapide, c’est la marque du vrai génie pour un footballeur. Le Guinéen Chérif Souleymane f ut, dix ans durant, parmi les Africains, l’un des joueurs qui a le mieux respecté ces principes. Ceux qui l’ont suivi et observé, de 1968 à 1978, ont découvert en lui le footballeur à l’état pur. Chérif Souleymane, grâce à sa personnalité discrète mais très nuancée, fut le type même du joueur collectif. Dans le style si particulier et si spectaculaire des équipes de Guinée et du Hafia Conakry, pendant les années 1968-1974, Chérif, au centre du terrain, imposait sa marque à la construction du jeu. On le voyait constamment, en appui des uns et des autres, multiplier les appels de balle et provoquer le démarquage de ses partenaires, notamment des redoutables buteurs Kandia Diallo puis Alioune Keita « N’jo Léa ». Mais ce maître de la circulation du « cuir » se transformait, à l’approche du but, en canonnier : sa frappe de balle pardonnait rarement.


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La Guinée de demain… DEPUIS LE DÉBUT DE 2007, les projecteurs des médias sont braqués sur les jeunes désœuvrés qui peuplent les quartiers déshérités de la périphérie de Conakry. De manifestations en révoltes, ils cassent, incendient, bloquent la circulation et paralysent l’activité économique. Fruits de l’échec scolaire, laissés-pour-compte d’un système qui génère peu d’emplois, rejeCHEIKH YÉRIM tons de familles paupérisées par l’inflaSECK tion galopante et la démission de l’État, ils sont aujourd’hui les plus visibles et les plus audibles. Mais ils ne sont pas toute la jeunesse de Guinée. Les excès de cette minorité livrée à elle-même font oublier la marche tranquille de jeunes bien formés, dynamiques, ouverts sur le monde, entreprenants… Ce n’est pas le moindre paradoxe de la Guinée : autant ceux qui étaient restés au pays ont subi le sabotage de l’enseignement par le régime d’Ahmed Sékou Touré, autant ceux qui sont partis et leurs enfants ont pu accéder aux meilleures écoles, un peu partout dans le monde. Beaucoup parmi ces derniers ont pris le chemin du retour à la fin de la dictature et sont aujourd’hui recrutés dans les cabinets d’audit, les filiales de multinationales, les banques, les sociétés minières… Ces jeunes cadres issus des universités de Columbia, de Stanford, de Harvard, de la Sorbonne, d’Oxford, et que l’on croise à l’heure du déjeuner au restaurant en vogue Le Damier, militent dans des organisations comme le Lion’s Club, le Rotary ou la Jeune Chambre économique. Moins bruyants que les jeunes de Bambéto, ils travaillent et paient des impôts. Ils ne sont pas les seuls. En dépit d’un contexte économique peu favorable, nombreux sont ceux qui, partis de rien, se battent pour s’en sortir. Marchands ambulants, petits artisans et autres « débrouillards » montrent l’exemple d’une jeunesse qui ne manque pas de courage. Avec de beaux exemples de réussite. Ainsi de Thierno Habib Bâ, « petit cireur » il y a quinze ans, devenu propriétaire du plus prospère bureau de change de Conakry. Et de Kerfalla Person Camara, alias KPC, qui a refusé la fatalité de l’oisiveté dans laquelle sombrent de nombreux jeunes de Conakry pour fonder un groupe qui va du BTP à l’industrie de la nuit. Les success stories se multiplient depuis l’ouverture de la Guinée à l’économie de marché après l’avènement de Lansana Conté, en mars 1984. Les golden boys qui ont fait fortune dans les affaires sont nombreux : Salifou Camara « Super V », Lamine Baldé, Moussa Traoré… S’ils sont moins revendicatifs, ces jeunes ne sont pas moins politisés que les manifestants qui défraient la chronique. Ils souhaitent travailler, investir, vivre dans une meilleure Guinée. À l’initiative d’un des leurs, l’homme d’affaires Moctar Keïta alias Makhou, ils se sont regroupés au sein de Kaporo Beach Club, une sorte de think-tank dont les réflexions visent à améliorer le présent et à préparer l’avenir. À travers leurs débats thématiques, ils esquissent le pays de leur rêve. Ils sont les acteurs de la Guinée de demain. ■

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