Vers une Architecture (du) Numérique

Page 1

Vers une

Architecture [du]

NumĂŠrique

Thomas Guilhen

Dir. Alexandra Pignol ENSA Strasbourg 2015-2016


Remerciements

Merci à toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont contribué à l'élaboration de ce mémoire, références, soutiens, pistes, remises en question, précisions, ouvertures ... Alexandra Pignol pour son encadrement et sa confiance, Clémentine Dufaut pour sa persévérance et son sang froid, à tous les amis et collègues qui ont su apporter points de vue individuels et recul sur ce sujet sans fin. Et enfin à Ercument Gorgul qui a su, en Chine, ré-ouvrir mes perspectives architecturales.


Sommaire://_

Introduction://Partie 0_ L’ère numérique

6

La Technique://Partie 1_ L’Homme cherche à s’affranchir de son espace/temps

13

Le Numérique://Partie 2_ Grammatisation de la grammatisation

29

Enjeux://Partie 3_ Spatisalisation de la grammatisation

45

Conclusion://Partie N_ Vers une architecture (du) numérique

54


6

I

II Cependant, l’architecture ne peut pas se contenter d’œuvrer uniquement à sa propre résolution. Comme on le verra, « l’architecture est le grand livre de l’humanité »2 et en cela incarne « l’expression principale de l’Homme à divers états de développement, soit comme force soit comme intelligence. »3 Il est ici question d’envisager le rôle de l’architecture dans la société. Plutôt que de considérer les innovations technologiques/techniques de l’architecture comme réels moteurs d’avancées sociales, c’est plutôt les transformations sociales d’ores et déjà présentes au seins de la société numérique qui doivent questionner le rôle de l’architecture.

Introduction://Partie 0 L’ère numérique

La question du numérique en architecture a tendance a être soulevée de façon très introvertie. Le numérique permettrait de mieux collaborer à la réalisation de l’architecture par l’intermédiaire du BIM1, ouvrirait de DAO : nouvelles possibilités en terme d’écologie et d’économie du bâtiment, permettant de résoudre les enjeux du Dessin Assisté par Ordinateur développement durable (Simulations et calculs). Dans certains cas, le numérique et l’informatique sont mis à CAO : profits pour des expérimentations formelles, justifiées par l’apparente justice mathématique et algorithmique Conception Assistée par Ordinateur que ceux-ci exercent (Paramétrique et CAO). Dans la même lignée, le numérique ouvre également de nouvelles Paramétrique: questions de représentation et de communication de l’architecture (DAO). Ces techniques permettent Une approche du design qui permet de effectivement des avancées considérables dans la résolution générer formes géométrie architecturale,des et œuvrent donc à à priori au service de complexe l’architecte. L’ensemble des progrès rendus possible par à partir de l'exploitation d'une grande le numérique accélèrent notamment les processus de de données. conception, et de réalisation du projet,quantité tout en permettant source un développement durable de l’architecture (économique : gaite-lyrique.net et écologique). 1. Building Information Modeling : Système permettant la mise en place d’une maquette numérique facilitant la communication d’un projet entre intervenants en vue de sa réalisation et de son entretien futur.

C’est donc dans le cadre de la société post-industrielle4, au sein de laquelle les biens immatériels priment sur les bien matériels, où les services génèrent plus de revenus que l’industrie, que l’architecture, à priori matérielle par excellence dans sa réalisation, doit trouver sa place. Chaque jour, nous générons 2,5 trillions d’octets de données. A tel point que 90% des données dans le monde ont été créées au cours des deux dernières années seulement. Ces données proviennent de partout : de capteurs utilisés pour collecter les i n f o r m a t i o n s climatiques, de messages sur les sites de médias sociaux, d'images numériques et de vidéos publiées en ligne, d'enregistrements transactionnels d'achats en ligne et de signaux GPS de téléphones mobiles, pour ne citer que quelques sources. Ces données sont appelées Big Data ou volumes massifs de données. source : IBM.com

Incarnant cette transition du matériel vers l’immatériel, le numérique et l’Internet sont aujourd’hui des acteurs à toutes les échelles, du quotidien ordinaire à travers nos divers appareils connectés jusqu’aux prises de décisions économiques et politiques à partir des Big Data et des algorithmes d’analyse les régissant. La “digital disruption” ou rupture numérique est le phénomène auquel le monde entier fait face maintenant depuis plusieurs années sous différentes formes et qui provient directement de l’apparition de ces nouvelles 2. Hugo, Victor, Notre-Dame de Paris, Gallimard, Coll. Folio, Paris, 2002, p.238 (première parution, 1831) 3. idem 4. Touraine, Alain, La société post-industrielle, Ed. Médiations, 1976

7


III

9

En ce qui concerne l’architecture et la ville, l’accès aux nouvelles valeurs immatérielles que sont l’information et la connection se font sur des modes nouveaux. Les activités de l’Homme constituantes du fait social se déroulent dorénavant selon les principes de l’Internet et du numérique, dématérialisées, elles sont également dé-spatialisées. Puisqu’il est désormais possible de communiquer depuis n’importe quel point de la Terre vers n’importe quel autre point sans grande difficulté, qu’il est possible d’accéder à l’information aussi bien depuis chez soit que depuis une bibliothèque, et que les cafés sont devenus de nouveaux lieux de travail et donc de production de richesse, les conditions d’un environnement semblent d’avantages régies par sa connectivité que par sa planification spatiale.

5. Mabille, Philippe, « La Disruption Est Une Transformation Irréversible Du Capitalisme » (Clayton Christensen)» La Tribune, 10/03/2014 [consulté le 25 mai 2016] http://goo.gl/HX0R4p

L’US National Security Agency (NSA) a construit un immense data centre à Bluffdale, Utah, codenamed Bumblehive - capable de stocker un yottabyte de données - ce qui correspond à un millier de trillions de gigabytes. 2014. C’est une série de d’énormes hangars. source : CNN

Peut-on donc pour autant se contenter de constater une migration de la société et de ses activités vers un espace virtuel qui serait dissocié de l’espace matériel qu’occupent encore nos corps ? L’intangibilité de ces phénomènes semble les opposer à toute pratique architecturale, et les rend difficiles à aborder. Le numérique entretient cependant des relations de cause à effet très importantes avec la réalité de l’architecture et de la ville.

IV

Si l’on se place effectivement dans une société postindustrielle, ces biens deviennent donc essentiellement des services et des informations. Cette rupture numérique bouleverse non seulement les codes du marchés mais aussi de nombreux autres codes sociaux, remettant en question nombre de nos pratiques.

Nous vivons en effet aujourd’hui dans un monde qui, plutôt que ce qu’avait anticipé les imageries futuristes/ utopiques populaires, ne présente pas cette exubérance technologique tant annoncée. Les technologies du numérique contrairement aux autres révolutions technologiques/techniques ont eu en apparence peu d’impacts sur le monde réel. Elle n’ont pas modifié la ville comme les moyens de transports, train puis automobile l’ont fait. Les bibliothèques n’ont pas disparues, autant qu’elle s’étaient démultipliées suite à l’invention de l’imprimerie. On pourrait associer à cette évolution technique comme unique expression physique, l’apparition d’immenses Data Centers. Mais contrairement aux usines des premières révolutions industrielles, ceux-ci n’ont que peu à voir avec l’homme qui n’y est présent que très ponctuellement, et encore moins aux villes dont ils se soustraient généralement. Et c’est ce qui fait la particularité de cette révolution ou plutôt évolution numérique. Elle ne s’exprime que très peu dans notre espace physique quotidien. C’est pour cette raison que l’on qualifie souvent l’Internet d’espace virtuel, que l’on oppose communément au réel, qui serait ici, à la différence du numérique, bien tangible.

Extrait provenant d’une étude personnelle du texte de Pierre Lévy : Sur les chemins du Virtuel réalisée en préambule du travail de mémoire.

source : mccallstudios.com

résolution. L’actualisation (du virtuel à l’actuel, tangible) de l’arbre virtuel propose alors une solution, une résolution d’un problème qui serait ici le devenir de la graine, son évolution. Il ne faut pas ici assimiler le processus d’actualisation à l’attribution d’une réalité à un possible, à un choix prédéterminé (réalisation). Bien que la réduction due au langage qualifie la création d’un arbre comme un devenir prédéterminé de la graine (ça ou sa dégradation), il est bien ici question de la création potentielle d’un arbre unique parmi les arbres, non prédéterminé. Il y a ici un acte de création, l’invention d’une forme à partir d’une configuration dynamique de forces et de finalités. C’est ce qui différencie fondamentalement les couples possible/réel et virtuel/actuel. La réalisation, passage du possible au réel, n’impliquera elle aucune création, puisque tous les éléments du réel sont déjà contenus dans le possible.

Oeuvre conceptuelle pour l’Horizon pavilion à l’Epcot Center (Walt Disney World), par Robert McCall, 1983

importante mise en lumière par Gilles Deleuze dans Différence et Répétition 1 entre le virtuel et le possible, qu’il oppose au réel. Le possible est exactement comme le réel mais sans l'existence. Il ne changera pas en devenant réel et effectif. Il est prédéterminé. Ce qui caractérise le possible c’est ça proximité avec le réel, au delà du vraisemblable, il est extrêmement définit, il ne lui manque que l’existence. Par définition, si il est possible c’est qu’il est déjà constitué, il n’y a plus rien à créer. Le virtuel se différencie ici du possible en ce qu’il est indéterminé, imprévisible et répondant à une multiplicité de paramètres. Celui-ci plutôt que de réduire à une possibilité, va ouvrir un champ de potentiels. Le virtuel n’a pas besoin d’être possible et donc défini. Le virtuel constituera donc un complexe problématique et potentiel constituante essentielle accompagnant une entité (situation, événement, objet) et appelant à une

technologies. Le terme “disruption” ou “innovative disruption” est d’abord utilisé dans les domaines de l’entreprenariat, du marché et de l’économie pour désigner des bouleversements de modèles soudains. Selon Clayton Christensen, économiste américain : « Elle se manifeste par un accès massif et simple à des produits et services auparavant peu accessibles ou coûteux. »5

La définition du mot virtuel choisie sera celle provenant de la philosophie scolastique. Provenant du latin médiéval virtualis lui même issu de virtus signifiant force, puissance, est virtuel ce qui existe en puissance et non en acte. L’arbre est par exemple virtuellement présent dans la graine qui, elle, est actuelle. De la même façon, on pourra dire en ce qui concerne l’architecture, que le projet est virtuellement présent dans le site. Le virtuel et l’actuel sont alors deux façons d’exister différentes, en puissance et en acte. Le virtuel ne s’oppose plus au réel mais à l’actuel et tend vers celui-ci. Pour mieux caractériser ce terme, Pierre Lévy relève une distinction

8


10

11 Ainsi, Antoine Picon dans son article Ville Numérique, Villes Évènement6, remet par exemple en cause les théories annonçant le déclin des flux physiques : « Si la téléconférence par Internet a parfois rendu certains déplacements inutiles, les flux physiques sont loin d’avoir diminués. Par l’intermédiaire de la vente en ligne sur des sites comme Amazon ou eBay qui génèrent des volumes massifs d’envois postaux, le numérique y contribue même». De nombreux services numériques permettent aussi par la réduction des intermédiaires de faciliter (plus rapide et moins cher) la mobilité par l’accès à différents services allant du déplacement, à l’hébergement. De même, la théorie qui voudrait que les nouvelles technologies de la communications (NTC), par leurs caractéristiques globalisantes viennent se substituer au local, défaisant les réseaux traditionnels obéissant à des contraintes de proximité spatiale et/ou sociale, ne semble pas se réaliser. La majorité des relations virtuelles entretenues, par exemple, sur les réseaux sociaux sont encore fortement liées à une proximité spatiale et/ou sociale. Reprenant la formule du sociologue des sciences et des techniques Woolgar (2002) auteur d’un rapport sur la société numérique au Royaume-Uni, « the more real, the more virtual », A. Picon insiste sur la relation importante qu’entretiennent nos univers dit “virtuels” et ceux dit “réels”. Pour aller plus loin, différents exemples vont à l’encontre du modèle de délocalisation et de déconcentration rendu possible par les technologies de l’information et de la communication. Le domaine de la finance, un des milieux où la numérisation est la plus 6. Picon, Antoine, «Ville Numérique, Ville Événement» Flux n° 78 (4): 17-23, 2010, url : http://goo.gl/r0aTtY

extrême, démontre des phénomènes opposés, « La City de Londres7 témoigne de l’importance accrue d’un dense tissu de relations interpersonnelles au sein d’un monde rendu de plus en plus rapide et instable par les flux électroniques » Les interactions fortes et à double sens entre les éléments dits virtuels et ceux dits réels8 sont donc des acteurs de plus en plus importants de la constitution du fait urbain9. On insistera sur l’influence à double sens. Du virtuel sur le réel, on a vu que la structure même d’une métropole pouvait être impactée par des activités virtuelles tandis que les inégalités d’accès à l’Internet provoquent déjà ce qu’on appelle la “fracture numérique” renforçant les écarts de richesse entre pays du nord et du sud et entre les zones urbaines et rurales. Cette rupture impacte à la fois la géographie sociale et économique du monde et se reflète directement dans le paysage numérique qui est au final un reflet fantasmé des pays et populations acteurs majeurs de l’Internet que sont les pays développés du nord. On voit dans cet exemple le va-et-vient permanent entre ces deux univers qui ne procède pas de la division franche que l’on tente de leur imposer. Nos monde virtuels et actuels sont interdépendants, le premier s’appuyant par exemple sur une infrastructure lourde sans laquelle son existence 7.7. Picon, Antoine, «Ville Numérique, Ville Événement» Flux n° 78 (4): 17-23, 2010, url : http://goo.gl/r0aTtY 8. L’usage commun opposant le virtuel au réel est en réalité plutôt grossier mais on relèvera en annexe (IV) lorsque l’on développera les deux couples virtuel-actuel et possible-réel que cette association contemporaine est révélatrice. 9. “urbain” comme “l’ensemble des géotypes (agencements spatiaux complexes) sociaux caractérisés par le couplage de la densité et de la diversité” Cf. Levy, Jacques, Lussault, Michel, (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 1040-1044, 1127p.


10

IV Extrait provenant d’une étude personnelle du texte de Pierre Lévy : Sur les chemins du Virtuel réalisée en préambule du travail de mémoire.

La définition du mot virtuel choisie sera celle provenant de la philosophie scolastique. Provenant du latin médiéval virtualis lui même issu de virtus signifiant force, puissance, est virtuel ce qui existe en puissance et non en acte. L’arbre est par exemple virtuellement présent dans la graine qui, elle, est actuelle. De la même façon, on pourra dire en ce qui concerne l’architecture, que le projet est virtuellement présent dans le site. Le virtuel et l’actuel sont alors deux façons d’exister différentes, en puissance et en acte. Le virtuel ne s’oppose plus au réel mais à l’actuel et tend vers celui-ci. Pour mieux caractériser ce terme, Pierre Lévy relève une distinction

importante mise en lumière par Gilles Deleuze dans Différence et Répétition 1 entre le virtuel et le possible, qu’il oppose au réel. Le possible est exactement comme le réel mais sans l'existence. Il ne changera pas en devenant réel et effectif. Il est prédéterminé. Ce qui caractérise le possible c’est ça proximité avec le réel, au delà du vraisemblable, il est extrêmement définit, il ne lui manque que l’existence. Par définition, si il est possible c’est qu’il est déjà constitué, il n’y a plus rien à créer. Le virtuel se différencie ici du possible en ce qu’il est indéterminé, imprévisible et répondant à une multiplicité de paramètres. Celui-ci plutôt que de réduire à une possibilité, va ouvrir un champ de potentiels. Le virtuel n’a pas besoin d’être possible et donc défini. Le virtuel constituera donc un complexe problématique et potentiel constituante essentielle accompagnant une entité (situation, événement, objet) et appelant à une

résolution. L’actualisation (du virtuel à l’actuel, tangible) de l’arbre virtuel propose alors une solution, une résolution d’un problème qui serait ici le devenir de la graine, son évolution. Il ne faut pas ici assimiler le processus d’actualisation à l’attribution d’une réalité à un possible, à un choix prédéterminé (réalisation). Bien que la réduction due au langage qualifie la création d’un arbre comme un devenir prédéterminé de la graine (ça ou sa dégradation), il est bien ici question de la création potentielle d’un arbre unique parmi les arbres, non prédéterminé. Il y a ici un acte de création, l’invention d’une forme à partir d’une configuration dynamique de forces et de finalités. C’est ce qui différencie fondamentalement les couples possible/réel et virtuel/actuel. La réalisation, passage du possible au réel, n’impliquera elle aucune création, puisque tous les éléments du réel sont déjà contenus dans le possible.


12

13 serait impossible tandis que nos activités quotidiennes dépendent de façon visible ou non de plus en plus d’une connectivité permanente. Dans ses effets et ses causes, le virtuel peut alors dans sa relation intime avec le réel être considéré comme une extension de celui-ci et jouant un rôle majeur dans son développement lequel alimentera en retour le virtuel. Le numérique serait une dématérialisation des activités humaines, laquelle permettrait l’ubiquité, la simultanéité et l’instantanéité caractéristiques de l’Internet et de la diffusion des valeurs, de l’information et du savoir en œuvre aujourd’hui.

La Technique://Partie 1_ L’Homme cherche son espace/temps

à

s’affranchir

de

Pour replacer l’apparition de l’Internet et des technologies du numérique dans son contexte général du développement humain, il faut les considérer du point de vue de la technique. Le mythe de Prométhée dans la mythologie grec raconte l’histoire, à la création du monde, de la distribution des qualités et dons physiques aux différents êtres vivants. Lors de cette répartition, l’homme aurait été oublié, conduisant au vol du feu à Héphaïstos, le dieu forgeron, artisan. Repris par Platon1, ce mythe servira à établir que l’homme est par défaut “nu et sans défenses” et qu’il n’est pas (pré)destiné par ses qualités, comme le serait les animaux, en quelque sorte “enfermés” dans leur niche biologique. 1. Platon, Protagoras, 320-322d.


V

14 « L’homme est un être qui n’a pas de limite, parce que c’est un voleur, c’est un artificieux, un être de la tromperie, de la mimesis, de la technique »2

s’incarne par la confection des premiers outils.

(1)

(2)

(3)

My eye

ze Si

l

his section th at wi fu l

he T

ere ri si Sph ng

g n

i

e r

on

the point

of

v

2. Stiegler, Bernard, à voix nue, sur France Culture, 2002, url : http://goo.gl/tvz9Vd 3. Leroi-Gourhan, André, Le Geste et la Parole, tome 1 : Technique et Langage – Albin Michel, 13 mai 2013 (première parution : 18 novembre 1964)

re e

Sp he

Pour expliciter cet élément constituant du fait humain, Bernard Stiegler évoque les travaux d’André LeroiGourhan, ethnologue, archéologue et historien français, spécialiste de la Préhistoire. Celui-ci montrera3 que, le fait humain, l’hominisation, peut-être datée lorsque l’on passe des grands singes se déplaçant à deux pattes et courant à quatre, à la bipédie complète. Ce mode de déplacement libère les membres antérieurs pour la fabrication. On voit donc ici que la datation scientifique de l’apparition de l’homme correspond à l’apparition de la technique, qui

Sp h

Th e

sh ni a

The

Si la technique est le propre de l’Homme, elle ne le détermine cependant pas comme les autres capacités déterminent les animaux. Étant en soi dépourvu de qualités, l’être humain ne sera pas prédestiné à être ce qu’il est comme le serait un animal avec ses attributs s’inscrivant et se développant dans une écologie, un bio-système. L’attribut de l’Homme n’est pas biologique, il n’est pas intérieur, il est extérieur. Et si il ne détermine pas les limites de la place de l’Homme dans le système écologique, alors l’Hwomme sera sans limites, notamment parce qu’il ne dépendra pas et ne pourra pas dépendre de qualités innées, naturelles. Il n’a pas seulement la capacité de fabriquer ses qualités, c’est en les fabriquant perpétuellement que l’Homme se réalise et se détache d’avantage d’un déterminisme biologique.

Ce qui est exceptionnel à ce moment et qui nous intéresse ici, c’est que ce qui fait l’Homme, contrairement à tous les autres être vivants, est extérieur. La technique produit des organes non biologiques, artificiels et extérieurs. Dans un premier temps, le genre humain placera donc sa survie même, dans sa capacité à produire des outils, notamment de prédation. On fera la différence ici entre ce phénomène et l’usage d’outils par certaines espèces animales. Celle-ci relève souvent de l’usage d’éléments naturels “en l’état” (branche, pierre, brindille...) sans transformation, ou relevant de transformations élémentaires. Les premiers silex relèvent quant à eux d’une technique complexe permettant la production systématique d’un outil spécialisé ou non. Par l’intermédiaire de ces outils, l’homme va extérioriser un dessein intérieur via la technique. C’est la première étape pour l’homme d’artificialisation de sa condition. Le fait humain s’exprime dans le détachement des conditions naturelles données. Artificialisation et extériorisation sont donc des phénomènes essentiels dans l’histoire de l’humanité. Artificialisation | Par un jeu étymologique, l’artificiel est emprunté du latin artificialis « fait avec art, selon l’art »4, tandis que l’artefact, du latin arte factum, serait «(quelque chose) produit avec l’art »5. extérioriseledonc la technique par lal'outil production «Au pointL’homme où se trouve Zinjanthrope, d’artefacts. Ceux-ci portent en eux une valeur supérieure André Leroi-Gourhan (de l’artificialisation)

apparaît comme une véritable conséquence anatomique, seule issue pour un être devenu dans sa 4. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et main et sa denture, complètement interne. » Lexicales, url: http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/artificiel 5. Idem, url : http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/artefact

15

VI


16

17 à leur usage propre. Si il y a résolution à travers la création d’un outil, celle-ci permet aussi l’acquisition de nouvelles capacités. Il y a un avant et un après l’apparition d’une technique, laquelle une fois acquise est inaliénable. Cet extension de l’homme est autant physique que psychique. Bernard Stiegler, parlant de mémoire6, note que le cerveau humain dans son état actuel n’a plus évolué depuis le néandertalien, cependant, la technique, elle, a extrêmement évolué. Celle-ci ne dépend donc plus de l’évolution biologique et en est totalement détachée. Et si l’évolution est aussi transmission, on peut alors considérer que les artefacts produits par la technique, portent en eux une certaine quantité d’information, de “mémoire”, comme le porterait le patrimoine génétique d’une génération à l’autre au sein de l’évolution biologique. La création d’artefacts est donc la dynamique par laquelle l’homme génère une forme de mémoire collective aboutissant d’une certaine manière au fait social. Extériorisation | Ce phénomène de transmission ne peut effectivement pas être réalisé par l’Homme en soi car abiologique et fait alors des ses objets techniques des supports de la mémoire de l’humanité qui lui survivront et assureront son évolution. A travers ces résolutions, il ne dépasse pas seulement sa condition immédiate par le développement de nouvelles capacités mais aussi son propre caractère éphémère. Puisque le support de l’évolution n’est plus le corps biologique, mais un objet extérieur, celui-ci, pour assurer la pérennité de l’information à transmettre, devra se doter d’une certaine durabilité dans le temps.

6. Stiegler, Bernard, Philosopher par accident : Entretiens avec Elie During, Ed. Galilée, 2004

Les êtres vivants ont en effet de part leur biologie une existence limitée dans le temps. Dans le règne animal, pour dépasser cette limite, la mémoire génétique ou du génome transmet des mutations qui constituent un patrimoine appelé “mémoire de l’espèce” par B. Stiegler7. Or ce phénomène de par ses procédés s’inscrit sur des durées extrêmement longues. Comme on l’a vu précédemment, l’évolution humaine s’appuie sur des procédés techniques et non biologiques et en cela devra une fois de plus se détacher du fragile équilibre organique de l’homme. Pour générer des objets durables dans le temps, ceuxci doivent exister sur un mode ne s’inscrivant pas, ne dépendant pas de celui-ci. Du point de vue de la phénoménologie de Husserl, on différenciera donc les objets temporels et les objets spatiaux. Les premiers “n’existent que par leur temporalisation phénoménale par la conscience”8. Ils existent en tant qu’objets uniquement par leur reconstitution mentale comme un tout. Autrement, il s’écoulent et disparaissent au fur et à mesure qu’ils apparaissent, sur le même mode selon lequel le temps est perçu par l’homme. La parole, ou par extension le discours est donc un objet temporel. C’est par son déroulement dans le temps qu’il fait corps, sa dimension spatiale peut exister mais ne compte pas pour le phénomène en soit. Son existence volatile n’en fait pas un artefact à même de supporter de façon durable la mémoire de l’humanité. Les objets spatiaux quant à eux, par définition, existent 7. Stiegler, Bernard, Lieu, Mémoire et Technique, url : http://goo. gl/fiHbGI 8. Stiegler, Bernard, Les objets spatiaux temporels, plateforme hashcut, 2012-2013 url : http://goo.gl/pFwGsx


18

19 phénoménologiquement essentiellement par leur incarnation dans l’espace. Ils ont une finalité n’évoluant pas dans le temps9. De par cette statique temporelle, ils sont à même d’être des supports plus ou moins pérennes de la mémoire, transmettant la technique et réalisant le fait humain. Il y a donc un procédé de spatialisation que l’on voit par exemple dans l’écriture, qui est une spatialisation de la parole, puisqu’elle s’exprime alors dans sa relation à l’espace en tant que formes agencées les unes par rapport aux autres et non plus comme un flux continu. On verra plus loin que l’architecture est également une des formes majeures de spatialisation, qui on le rappelle est alors ici une extériorisation technique permettant l’évolution de l’Homme et sa réalisation par le détachement de sa condition naturelle, l’artificialisation de son environnement par la génération d’artefacts contenant une forme de mémoire collective. Si l’Homme privilégie l’espace comme mode d’expression, c’est parce qu’il est avant tout un être spatial. Sa relation à l’environnement est fortement conditionnée par sa perception de celui-ci, par l’intermédiaire de ses sens et notamment par la vue qui pourrait être qualifiée de sens dominant. Cette perception s’effectue de façon immédiate10, et c’est ce qui la fait primer sur toute autre perception qui viendrait s’inscrire sur une durée par 9. Il faudra différencier l’objet temporel selon Newton, comme l’objet dans l’entropie, qui se dégrade donc dans le temps de l’objet temporel phénoménologique selon E. Husserl comme un objet qui n’est constitué que part sa temporalisation. 10. En réalité celle-ci n’est pas immédiate, mais dans les faits notre cerveau ne fait pas de différence entre le moment où nos yeux perçoivent une image et le moment où nous la voyons.

l’intermédiaire d’un processus mental. Puisqu’elle est instantanée, elle précède, influence et conditionne toute autre conception ou perception qui la suivrait. Ainsi, nous percevons avant tout et de façon innée un environnement dans lequel nous dégageons trois dimensions, communément : haut et bas, droite et gauche, avant et arrière. C’est par une compréhension synoptique11 de notre environnement que son analyse est ensuite réalisée en vue d’une réaction. On note la nécessité pour l’être humain de constituer des entités finies et déterminées. Cependant, il existe des phénomènes, comme on l’a vu précédemment, existant en dehors de leur manifestation spatiale immédiate. Ceux-ci entretiennent une existence qui est située dans le temps. Leur perception d’ensemble n’est rendue possible que par leur temporalisation. C’est un assemblage mental qui permettra de concevoir l’objet temporel comme un tout. Quel procédé permet-alors de comprendre et d’appréhender les objets temporels ? Si ils s’inscrivent dans le temps, ils n’apparaissent donc pas immédiatement comme finis et ne permettent donc pas un aperçu synoptique instantané. Pour reconstituer un tout à partir de ces entités qui ne se manifestent pas comme telles, l’Homme va procéder à ce que Bernard Stiegler qualifie de grammatisation : « La grammatisation– expression qui prolonge et détourne un concept de Sylvain Auroux – désigne la transformation d’un continu temporel en un discret 11. Qui est relatif à une synopsis; en synopsis; qui donne par sa disposition une vue générale (des parties) d’un ensemble que l’on peut ainsi embrasser d’un “seul coup d’œil” (CNRTL)


20

21 spatial : c’est un processus de description, de formalisation et de discrétisation des comportements humains (calculs, langages et gestes) qui permet leur reproductibilité ; c’est une abstraction de formes par l’extériorisation des flux dans les « rétentions tertiaires » (exportées dans nos machines, nos appareils). »12 Dans un premier temps, ce terme introduit par Sylvain Auroux13, philosophe et historien des sciences du langage, s’attache d’abord à décrire l’outillage d’une langue. Il pose qu’un phénomène de grammatisation suit directement la naissance de l’écriture en tant que support écrit de l’oral, d’alphabétisation des sons. Ce processus consiste en la “discrétisation du flux du langage”. Pour décrire cet objet temporel qu’est le langage, l’Homme va donc développer des outils qui permettront dans un premier temps de segmenter le flux continu de la langue en différents éléments finis qui seront les mots. Ces éléments seront finis et leur sens et valeur pourront être perçus de façon synoptique. Il est en effet possible de percevoir et comprendre un mot instantanément, réalisant par ici une spatialisation effective d’un élément temporel. Cette première étape de fragmentation est incarnée dans le dictionnaire. La deuxième étape de la grammatisation se retrouve dans la grammaire qui permet la mise en relation de ces différents éléments en vue de la reconstitution de la continuité, du flux de l’objet temporel. C’est par la mise en relation d’éléments basiques que resurgiront la richesse et la complexité du langage. Il y a ici un procédé de rapprochement, de mise en proximité, d’approximation, 12. «Grammatisation | Ars Industrialis». 2016. Arsindustrialis.Org. url : http://arsindustrialis.org/grammatisation 13. Auroux, Silvain, La révolution technologique de la grammatisation, Éd. Mardaga 1994

qui permet par cette spatialisation d’extérioriser la parole qui s’exprime dans l’espace de son support et non plus dans le temps de sa durée. Et à partir du moment où cette séparation est réalisée, l’Homme sera capable de faire durer sa parole au delà de sa propre existence et même de la maîtriser, de la faire évoluer durablement. L’apparition de l’écriture correspond bien justement à ce moment où le fait humain de la mémoire vient s’inscrire non plus uniquement dans son être biologique propre mais dans des organes artificiels, extérieurs, spatiaux et non plus temporels. C’est le début de l’Histoire. Cette grammatisation est en fait applicable d’après Stiegler à toute sorte de mouvements. Puisqu’elle discrétise d’abord le flux de la parole et permet de la reproduire, de la contrôler, elle permettrait par diverses techniques de faire de même avec toute sortes d’objets temporels. Cette reproduction à travers la technique rendrait alors possible l’artificialisation de son environnement par l’homme. En le fragmentant et en l’organisant, le monde devient façonnable, modifiable en intervenant sur ses éléments discrets. La notion de mouvement est ici importante en ce qu’elle établit le lien entre l’espace et le temps. Un tel rapprochement est observable dans la relation de l’être humain avec le temps. Pour se l’approprier et l’organiser, l’Homme va procéder à la création d’éléments finis observables, comme les jours ou les mois. En observant des cycles, et le mouvement des astres dans l’espace, il va fragmenter de plus grandes périodes comme l’année, non observable instantanément comme un tout, en un ensemble fini de fragments, jours et mois plus facile à appréhender. Par l’intermédiaire de mouvements, le temps va être spatialisé. La conception linéaire, continue


VI

22 et unidirectionnelle du temps provient directement de son expression spatiale par le mouvement.

synoptiquement, et qui dans leur assemblage et mise en relation permettent d’exprimer des mouvements, des objets temporels à priori dépourvus d’existence durable. Par leur existence purement spatiale, ces objets assurent l’extériorisation qui permet à l’être humain de se réaliser et de perdurer par une transmission hors-lui, abiologique, à travers une mémoire technique commune. Quand nous mourrons, nous n’emportons et ne faisons disparaître que les objets qui dépendant de nous pour exister. Hors les objets techniques extérieurs ne dépendent pas de nous pour exister et permettent donc à l’humanité d’acquérir un savoir inaliénable.

«Au point où se trouve le Zinjanthrope, l'outil apparaît comme une véritable conséquence anatomique, seule issue pour un être devenu dans sa main et sa denture, complètement interne. »

L’homme ne perçoit pas le temps comme il perçoit les trois dimensions de son espace. Ce n’est pas une donnée qu’il peut sentir et analyser directement. Le temps est déduit par l’homme, qui l’associe souvent à une dimension du fait de son apparente linéarité. Ainsi, si le temps est une quatrième dimension imperceptible, c’est sa perception fragmentée/discrétisée qui permettra de tenter de l’aborder comme un tout, un objet pour finalement mieux le maîtriser par sa mesure et son organisation.

André Leroi-Gourhan

La perception d’une dimension supplémentaire dans laquelle nous ne vivons pas est parfaitement illustrée dans la nouvelle Flatland écrite par Edwin Abbot Abbot en 1884. Dans cet ouvrage allégorique, l’histoire se déroule dans le monde à deux dimensions de Flatland et raconte l’histoire d’un carré venant à découvrir l’existence d’un monde à trois dimensions, Spaceland, par l’observation d’une sphère. Puisque son univers ne comporte que deux dimensions, cette sphère ne sera pas perçue immédiatement dans son ensemble mais deviendra une construction mentale résultant de l’observation des différentes “tranches” successives apparaissant lors de sa traversée du plan unique de Flatland.

Sp he

Th e

g n

Sp h

i

The

sh ni a

his th wi

ze Si

L’Homme artificialise donc son environnement par la production d’objet spatiaux, perceptibles

re e

Les phénomènes de séquencement, d’organisation the point n d’éléments finis, de mise en relation de fragments sont oces of ere ri sectio e si Sph n v r at n e g h omniprésents Ten architecture, depuis la première pierre fu l levée. L’espace continu de son environnement, marqué de repères naturels va être reconquit par l’homme par My eye la création d’artefacts. On retrouve un parallèle entre l’écriture et l’architecture(2)par leur expression spatiale des (1) (3) pensées de l’homme. Exprimant dans un premier temps ses besoins essentiels d’abris, l’architecture va progressivement l

Nous percevons le temps selon des procédés similaires. Les différentes occurrences que nous apercevons par le mouvement peuvent êtres fragmentées puis classées selon un ordre chronologique les unes par rapport aux autres, sur une ligne du temps.

Avant l’écriture, l’architecture permettra déjà à l’homme de s’exprimer spatialement et durablement au delà de la parole. Par l’architecture, il marquera l’espace, y créera des repères artificiels indépendants de ceux de la nature qui lui servaient jusque là. Il choisira le lieu de son habitat indépendamment de la présence d’un abri en choisissant un fragment de l’espace continu et en le délimitant. La continuité de son déplacement viendra se cristalliser ponctuellement, jusqu’à se figer sur des lieux qui seront façonnés et organisés selon ses besoins dans une indépendance toujours renouvelée par rapport à sa condition naturelle.

23

V


VII

VIII

« L’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de l’homme à ses divers états de développement soit comme force, soit comme intelligence »14 Et l’on notera que c’est bien une forme de grammatisation dans un des sens les plus premiers, c’est-à-dire une technique d’expression à travers un langage outillé fait d’éléments juxtaposés, mis en relation produisant des entités finies empruntes d’une expression forte de faits intangibles. 14. Hugo, Victor, Notre-Dame de Paris, livre cinquième, chapitre II, Paris, Gallimard, Coll. Folio, 2002, (première parution, 1831)

Ainsi, l’architecture exprimera à travers ses artefacts tantôt “la théocratie, la caste, l’unité, le dogme, le mythe, Dieu” sous ses formes hindoue, égyptienne et romane puis “la liberté, l’homme, le peuple” quand elle sera phénicienne, grecque ou gothique. On retrouve cette présence forte dans les édifices religieux et dans leur évolution, lorsque l’on observe les changements de styles, reflétant les évolutions profondes que celles-ci traversent.

The ancient Chinese conceived the cosmo’s as an extension of their own personalities whether they are as farme’s house or the great palace. The method of establishing settlements could often be regarder as a revelation of "a city or a house of cosmic order" based on the cosmic pattern. In other words, the aim of the architectural space and form is trying to produce a reduced version of the great cosmos that is close and important to the human life. In the ancient Chinese cosmology, which considered Heaven round and Earth square, space is imagined as a series of imbricate squares. The cosmos is also believed to be divided into the four parts of the four superbeings at the four cardinal directions. The center of this ‘ranked’ space is the captial - a square core marked by four gates at the four cardinal points. This leads to a geometrical image of the universe, enlivened by an elementary network of spatial correspondences. Chinese artchitecture stressing the harmony with nature, incorporated some essential principles of the ancient theories, such as orientation, pure geometrical forms, and a symmetry that mirrors the alternation of summer and winter, day and night. They appeared early in the tradition and were applied wery widely, whether to the plan of a little homestead, the layout of a temple or even a city.

« Et pourquoi ? C’est que toute pensée, soit religieuse, soit philosophique, est intéressée à se perpétuer, c’est que l’idée qui a remué une génération veut en remuer d’autres, et laisser trace. Or quelle immortalité précaire que celle du manuscrit ! Qu’un édifice est un livre bien autrement solide, durable, et résistant ! Pour détruire la parole écrite il suffit d’une torche et d’un turc. Pour démolir la parole construite, il faut une révolution sociale, une révolution terrestre. Les barbares ont passé sur le Colisée, le déluge peut-être sur les Pyramides. »15 Source :

incarner des idéaux de société au delà de son usage pratique premier, sur un mode similaire aux premiers outils qui au delà de leurs fonctions pratiques incarnent la supériorité prédatrice de l’être humain. Pour illustrer cette relation forte, Victor Hugo développe dans Notre Dame de Paris “Ceci tuera cela”, le livre tuera l’édifice. Dans ce texte il se propose de développer la pensée de l’archidiacre Frollo qui condamne l’apparition de ce nouveau média qu’est le livre, rendu accessible par l’imprimerie. Au delà de l’effroi de l’Eglise devant un nouvel agent qui viendrait pervertir le peuple, il est ici question dans un second temps d’analyser les supports de la pensée humaine. On assiste à une métaphore du langage architectural, d’abord lettre avec les pierres levées, puis syllabes lorsqu’elle commencèrent à se superposer, les premiers mots apparaîtrons avec les dolmen et les tumulus. L’architecture se développera et se complexifiera avec la pensée humaine, jusqu’à porter des symbolismes extrêmes. On écrira avec l’architecture, non pas qu’en lettres ou en mots, mais en arches, en volutes, en piliers. Hugo prononcera donc que jusqu’au 15ème siècle et l’apparition de l’imprimerie :

Idealized Chinese Cosmogram Capital

24

C’est dans la durabilité de la pierre que l’Homme va ancrer sa mémoire collective pour tenter de la rendre éternelle. Un édifice s’impose et conditionne son environnement, il n’échappe à personne. De la Chine à la Grèce, les temples et les villes refléteront des valeurs, des structures sociales et des philosophies à travers une organisation spatiale toujours visible de nos jours et conditionnant souvent encore la structure de l’urbain. Mais au delà de la première peur de l’archidiacre devant la parole imprimée qui conduit Hugo à communiquer la panique de Frollo selon les termes : “la presse tuera l’Eglise”, il exprime à travers ce personnage une crainte 15. idem

25


26

IX

X plus grande : L’imprimerie tuera l’architecture. Le support de pierre de la pensée va être dépassé par la versatilité de l’imprimerie. Par un retour à l’écriture, maintenant dotée d’une ubiquité inédite par sa reproduction massive rendue possible par les lettres de plomb de Gutenberg, la pensée humaine va pouvoir s’exprimer et se diffuser comme jamais. Auparavant localisée, dure, immuable, la pensée incarnée par l’édifice est contrainte : « de mettre en mouvement quatre ou cinq autres arts et des tonnes d’or, toute une montagne de pierres, toute une forêt de charpentes, tout un peuple d’ouvriers, quand on la compare à la pensée qui se fait livre, et à qui il suffit d’un peu de papier, d’un peu d’encre et d’une plume, comment s’étonner que l’intelligence humaine ait quitté l’architecture pour l’imprimerie ? »16 Alarmiste, Hugo exprime néanmoins une crainte récurrente dans l’histoire de l’évolution des arts et techniques, à savoir, celle qu’un art, une technique nouvelle, qu’un support inédit de la pensée de l’Homme allait détrôner, “tuer” l’ancien. Cette peur au cœur du débat numérique est ancestrale et inhérente à l’extériorisation des capacités humaines par la technique. Platon dans le Phèdre (274-277) et dans la lettre VII dénonçait déjà les dangers de l’écriture face au discours oral. Socrate déclare dans Phèdre que l’écriture est inhumaine, manufacturée. Elle détruirait la mémoire puisque ses utilisateurs s’appuieraient sur une ressource externe pour parer à leur manque de ressources internes. 16. idem

Atelier d’impression, gravure, XVIème siècle

Le même reproche sera fait plus tard à l’imprimerie, qui inciterait les hommes à abandonner l’étude puisque leur savoir pourrait dorénavant être facilement conservé pour y accéder selon les besoins. Girolamo Squarciafico soutiendra en 1477 que « l’abondance des livres détourn[ait] les hommes de l’étude » lui qui œuvra cependant en parallèle pour l’impression des classiques latin17. Walter J. Ong, dans son œuvre sur le passage de l’oral à l’écrit décrit les forces à l’œuvre lors de ce qu’il appelle la “technologisation du mot” (technologizing of the word) qu’on étendra volontiers du mot au monde. Comme on l’a vu précédemment, ce façonnement d’un monde artificiel par l’homme procède de la technique, et de la production d’artefacts, organes extérieurs prolongeant ses capacités. C’est cette extériorisation qui inquiète régulièrement les intellectuels qui voient en elle une dépossession d’une qualité propre à l’être humain. Cette perte entraînerait la dégénérescence de la capacité organique transférée dans l’outil externe (perte de la force de la parole dans l’écrit, perte de la mémoire dans l’imprimé, perte de la réflexion dans le numérique...). Ce qui échapperait, selon Ong, à ces critiques est que, bien que les technologies soient artificielles, l’artificialité est, comme on l’avait vu dans le mythe de Prométhée, naturelle aux êtres humains. Si l’Homme se “sépare”, prend du recul sur ses propres capacités, c’est pour mieux les appréhender et les mettre à profit. On l’a vu, l’humain est un être spatial et c’est par la spatialisation au sens large de mise en relation d’éléments finis les uns par rapports aux autres ou grammatisation qu’il pourra agir sur ceux-ci. 17. Ong, Walter J., Oralité et écriture (La technologie de la parole), 1982, trad. fr., Paris, Les Belles Lettres, 2014

27


28

29 Des phénomènes naturels doivent donc être artificialisés pour ensuite être réappropriés, intériorisés. L’écriture, d’abord technologie est aujourd’hui considérée comme une seconde nature, bien que ce soit une technique que nous apprenons. Son intériorisation effective ne « dégrade pas la vie humaine : au contraire, elle l’améliore »18 selon Ong. L’Homme n’interagit pas directement avec la nature et sa nature, il tente seulement de reproduire ses phénomènes pour mieux en dépasser les limites. Par la production de livres, l’être humain n’aura pas perdu sa mémoire, il l’aura dépassée, par l’écrit, il n’aura pas aboli la parole, il l’aura enrichie.

Le Numérique://Partie 2_

Grammatisation de la grammatisation

Dans l’évolution technique, quel place et quel rôle pour la révolution numérique au regard de l’apparition de l’écriture, puis de l’imprimerie ? La numérisation1 et le phénomène sous-jacent de l’Internet, marquent une étape importante dans les méthodes de grammatisation de son environnement par l’Homme. Après avoir vu les enjeux et les mécanismes de la technique et ses modalités d’expression, la question du numérique doit être replacée dans l’évolution de ces extériorisations pour en analyser les modalités propres et tenter de proposer une approche raisonnée à sa résolution. On l’a vu, Hugo présage que le nouveau support de la pensée humaine qu’est le livre tuera l’architecture. Il détaille comment le relais se serait effectué au XVème siècle lorsque l’impression permet au savoir de se

18. idem

1. Définition : La numérisation construit une représentation discrète d’un objet, sous la forme d’une collection d’un nombre fini de signes pris dans un ensemble dénombrable de signes valides (source : Wikipédia)


XI

L’évolution technique révèle ici une nouvelle de ses forces, lorsqu’au delà du dépassement des limites de l’être humain, elle surpasse ses propres modalités.

(2)

(4)

Plutôt que de transfigurer en permanence le support physique de son évolution pour chaque spatialisation, c’est par l’intermédiaire de techniques d’observation et de représentation de plus en plus évoluées que l’être humain 3. idem 4. idem

Profile view of cat trotting then changing to gallop. 20 frame quad ped cat walk.

2. Hugo, Victor, Notre-Dame de Paris, livre cinquième, chapitre II, Paris, Gallimard, Coll. Folio, 2002, (première parution, 1831)

De la même façon que la pensée s’était détachée de l’écoulement du temps en s’installant dans l’espace, elle va également se détacher des limites de la spatialisation jusque là ponctuelle et immuable. Le livre n’est plus la condition d’expression durable, c’est le médium, l’interface de communication par laquelle se présente l’objet temporel.

Muybridge Eadweard Plate 717 - Cat Trotting Changing To Gallop

Paradoxalement, une durabilité renouvelée est rendue possible lorsque la pensée s’émancipe du support spatial à travers lequel elle se manifeste. Si l’ouvrage imprimé a eu un impact si fort en tant que technique c’est en quelque sorte par sa réduction puissante à la technicité même. Puisque

Ainsi si le réceptacle spatial ne conditionne plus techniquement le discours contenu, ce dernier sera libéré. Le livre pourra littéralement voyager, alors que l’architecture ne peux que se contenter d’envoyer des émissaires, décontextualisée, elle perdra de son sens. C’est pourquoi Hugo n’a pas tord d’associer la fin de l’Eglise à l’apparition de l’imprimerie3. Incarner la parole et la pensée dans la pierre restait une tâche élitiste, tandis que le livre devient un médium résolument populaire. « Le seizième siècle brise l’unité religieuse. Avant l’imprimerie, la réforme n’eût été qu’un schisme, l’imprimerie la fait révolution. Otez la presse, l’hérésie est énervée. Que ce soit fatal ou providentiel, Gutenberg est le précurseur de Luther. »4

(1)

Le passage de l’expression de l’Homme au support si particulier qu’est le livre imprimé marque une étape importante dans l’extériorisation entreprise d’abord par l’écriture et l’architecture. En effet, bien que durable, l’édifice, support indissociable de son discours est soumis au aléas du temps et les événements les impactent irrémédiablement.

jusqu’ici, la technique (architecturale par exemple) se faisait à la fois discours et exécution, l’un conditionnait l’autre, et à moins de présenter une symbiose sublime que l’on qualifiera alors de chef d’oeuvre, cette interaction était plus restrictive que libératrice.

(3)

diffuser et de s’incarner bien plus efficacement que dans la pierre. L’imprimerie, par la reproduction infinie du savoir le détachera du support physique auquel il était intrinsèquement lié. En se détachant ainsi, comme l’artefact se détache du corps humain pour passer en puissance et se détacher du médium qui conditionnait son existence pour venir se réincarner ponctuellement dans les outils, le savoir viendra se matérialiser de façon égale partout où se trouvera son nouveau support. Contrairement au support architectural extrêmement localisé, le livre voyagera, et si l’on tente de le brûler, on le réimprimera à l’identique, une exactitude à laquelle aucune reconstruction architecturale ne peut prétendre. Avec l’oeuvre imprimée la pensée passe « de la durée à l’immortalité2» .

La frise des Lions de la Vache (1) côte de boviné (2) course décomposée d'un chat (3) d'un léopard (4) proposition de reconstitution de la frise (relevé D. Buisson, in Buisson et Delporte, 1988 et dessin M. Azéma in Azéma, 1992)

XIV

Ironiquement, c’est l’imprimerie qui va réformer l’Eglise et pas la tuer, la Bible sera d’ailleurs l’un des plus fameux ouvrages imprimés par Gutenberg. Ce passage souligne la force de la transposition, le passage d’un discours d’un support d’expression à l’autre.

30

31


32

XII

XIII va poursuivre son évolution Socrate technique.

: Pour comprendre son environnement et le reproduire à « L'écriture ne peut saisir le son image, les techniques de grammatisation devront être savoir, car le savoir, contrairement raisonnées et perdre leur symbolisme. Puisque le support est neutre et extérieur, les inexactitudes ou interprétations à l'information, n'existe pas en déjà évoquée par Platon doivent être éliminées. dehors de l'homme. » Ainsi, si les icônes religieuses étaient des:représentations Platon

extériorisées du monde générant Car cepar qu'illày l’environnement a de redoutable dans l'écriture, c'est artificialisé de l’humanité, elle étaient des interprétations. qu'elle ressemble vraiment à la peinture : les créations de celle-ci font figure d'êtres vivants, Si les projections de l’Homme doivent devenir fidèles et mais qu'on leur pose quelque question, pleines de sans interprétations, elles doivent procéder de modes se dignité, elles gardent le silence. Ainsi des textes : rapprochant du fonctionnement des sens. Paradoxalement, on croirait qu'ils s'expriment comme des êtres ce sont des appréciations pensants, sensibles, c’est-à-dire faisant mais questionne-t-on, dans l'intention appel à nos sens, qui nous permettent de jugerl'un de la de comprendre, defidélité leurs dires, ils n'indiquent qu'une chose, toujours la même. Une fois écrit, d’une reproduction.

tout discours circule partout, allant indifféremment de gens compétents à d'autres C’est ainsi que peu après l’impression sont mises au points il n'est nullement les premières techniques dedont représentations basées l'affaire, sur la sans savoir à qui il doit s'adresser. Est-il négligé ou maltraité perspective linéaire qui jusqu’aujourd’hui seront très peu injustement ? il ne peut se passer du secours de remises en question. Historiquement, manifeste son père, carelle il est incapablelede se défendre ni de placement de l’être humain au centre de se l’univers, secourirplace lui-même.

qu’occupait auparavant Dieu. Cela se traduit alors par une projection d’un objet tel qu’il est perçu par les sens et non par l’esprit. Les célèbres dessins d’Albrecht Dürer illustrent la méthode par laquelle les premières projections en perspective se font d’après les lignes reliant l’oeil à l’un des points de l’objet à représenter. L’ensemble de nuage de points reproduira une vision fidèle du sujet. On assiste à la mise au point d’une technique de grammatisation. En effet, c’est par la projection de fragments, d’abord points, puis lignes de fuite qui de par leur relations spatiales projetées sur un plan

Albrecht DÜRER, Underweisung der Messung, Nuremberg, 1538 (détail) Imprimé, 31 x 21,5 x 5 cm, Bibliothèque Sainte-Geneviè ve, Paris

bidimensionnel permettront la reproduction d’un sujet donné. De par son apparente justesse5, ce nouveau système de grammatisation à la particularité de ne pas procéder en soit d’une interprétation mentale lors de la perception du produit, relevant d’avantage des sens immédiats. Ici, le support ne conditionnerait pas l’interprétation du discours qui s’en émancipera donc d’avantage. On le verra lorsque la perspective passera de la simple représentation d’objets spatiaux à l’expression d’idéaux, comme dans la Cité Idéale de Francesco di Giorgio Martini. C’est paradoxallement par des techniques de grammatisation rationelles et scientifiques que le résultat de la reproduction devient une oeuvre faisant d’avantage appel aux sens qu’à la raison, ou au raisonnement. Cette quête de précision et de vérité lancée à la Renaissance observera un développement exponentiel. L’Homme, parallèlement à son développement technique développera des techniques de la grammatisation. Les différentes techniques de représentation seront autant d’extériorisation technique du phénomène même d’extériorisation technique. Puisque par leur intermédiaire, il sera dorénavant possible de ne pas assouvir la spatialisation à une interprétation, elles s’inscriront encore plus durablement qu’un écrit ou une langue. Comme on l’a vu, lorsque l’Homme procède à une grammatisation, on passe d’un élément continu à un ensemble d’éléments discrets. Ce processus est destructif dans le sens où la reproduction procède par approximation, c’est-à-dire que l’objet produit s’approche du sujet mais ne lui est pas identique. Ce qui permet l’association des 5. De Juste : Qui est conforme à la réalité de son objet, sans excès ni défaut. (CNRTL)

33


34

35 deux est un processus mental basé sur un ensemble de conventions inhérentes à la grammatisation permettant de reconstituer la continuité dans l’ensemble discret. Un manquement au respect de ces conventions fausse immédiatement la vraisemblance de la reproduction. Ainsi l’inexactitude d’une seule ligne de fuite dans la représentation en perspective linéaire fait apparaître d’emblée l’intégralité de l’oeuvre comme erronée. Puisque l’esprit doit “combler les vides” de la grammatisation, toutes les techniques qui suivront tenterons de réduire le plus possible la part de l’interprétation humaine dans le processus de restitution. La perception du support technique6 doit devenir innée et ne pas entraver la lecture de sorte qu’elle confie au discours une apparente vérité. La Cité Idéale apparaît comme réelle7 à l’observateur alors qu’elle n’est qu’une projection mentale. La perspective, dans la représentation de l’environnement spatiale de l’homme, assure la transposition, sensiblement juste, d’idées et de pensées, d’objets temporels, figés en objets spatiaux. Pour assurer une grammatisation optimale, dénuée de toute interprétation, l’Homme va finir par concevoir des appareils permettant la reproduction exact d’objets temporels. La photographie est inventée au milieu du 19ème siècle, elle permettra de figer sur un support un “instantané”8 spatialisation d’un fragment temporel saisi. 6. Ici, le support technique désigne la technique par laquelle est réalisée la grammatisation et non celui dans lequel cette reproduction s’actualise par lequel elle nous est communiquée. 7. Dans le sens : reproduction d’une cité existant effectivement. 8. Ici à la fois, représentation, description d’un instant précis et technique photographique.

On observe à nouveau bien cet échange entre l’écoulement du temps et la fixation spatiale, puisque bien qu’une photo tend à reproduire un espace localisé, elle est bien souvent associée à ses coordonnées temporelles (année, date, heure, durée d’exposition..) autant que spatiales. En 1877, Thomas Edison met au point son phonographe. L’appareil capte et reproduit le son à la demande. C’est la première fois que la parole est reproduite exactement et non par une interprétation écrite. L’inscription dans l’espace de l’objet temporel sonore est automatisée et ne relève plus d’un choix, son encodage n’est plus soumis à l’appréciation humaine. Avec l’apparition et le développement des technologies analogiques, l’extériorisation des capacités de l’Homme franchit une nouvelle étape. Le phénomène de transposition du continu au discret, du temporel au spatial ne sera plus effectuée par l’être humain lui-même par un processus mental mais par des artefact outils fonctionnant selon des procédés automatiques et systématiques. La particularité des techniques de l’analogique réside dans leur procédé de discrétisation qui préserve la continuité de l’objet temporel saisi. En effet, au delà du fragment continu saisi dans un continu plus important, un son enregistré a un début et une fin, il est fini. Celuici ne sera cependant pas lui-même discrétisé en son sein. On dit des signaux analogique qu’ils sont continus. Cette reproduction fidèle est rendu possible par “l’asservissement” de phénomènes physiques eux-mêmes continus et qui réagissent et s’exécutent selon des procédés analogues à l’objet qui devra être capté. On observera par exemple pour la photographie que différentes réactions naturelles, optiques et chimiques, sont mises en oeuvre


XI

L’homme des cavernes arrivait déjà à fragmenter le mouvement, on le voit dans l’incroyable précision de la représentations de mouvements animaux figés sur les murs des grottes du paléolithique. Ces oeuvres ancestrales spatialisaient le cycle de la course en une succession ou une superposition “d’états” ou de positions de la bête observée. Par une reconstitution mentale, il était alors possible de se représenter un mouvement continu à partir d’éléments discrets. Certains chercheurs considèrent ces techniques comme l’ancêtre du dessin animé.

Profile view of cat trotting then changing to gallop. 20 frame quad ped cat walk.

Lorsque les premiers jouets optiques apparaissent, puis par l’intermédiaire d’inventions comme le Kinétoscope, le Kinétographe et le Cinématographe à la fin du XIXéme sicècle, on assiste finalement à une automatisation du phénomène à la fois de discrétisation et de reproduction. Bien que relevant de procédés semblables à la photographie, un film par sa captation vient s’inscrire sur un support intermédiaire qui permet un certain aperçu de la fragmentation effectuée. En effet, il est possible pour l’être humain de “lire” une bobine de film, puisqu’elle est elle même composée d’éléments finis, donc appréhendables, et ainsi en quelque sorte de contrôler, d’avoir un regard sur la Muybridge Eadweard Plate 717 - Cat Trotting Changing To Gallop

9. Analogue : Qui, sans avoir la même forme, présente une grande ressemblance de fonction, Qui, sans être matériellement identique, remplit des fonctions semblables. (CNRTL)

(2)

Hors on l’a vu, la reproduction n’est que la première étape dans l’évolution. Si le produit de celle-ci, bien qu’artificiel, ne peut pas être soumis, mis à profit, il restera extérieur et étranger à l’Homme. Si l’artefact n’est pas à même de contenir en lui un élément intérieur à l’être humain, le processus de spatialisation n’est plus une extériorisation. En atteignant la fidélité du support, et la soumission du temps, il y a eu une aliénation du processus de grammatisation qui est lui même devenu inintelligible

(1)

Cependant cette extériorisation présente un inconvénient majeur pour l’Homme. La continuité interne préservée dans l’artefact empêche toute intervention humaine, qui n’est possible que sur des éléments discrets finis. La discrétisation étant réalisée à l’extérieur de l’être humain pour la détacher de son jugement, elle ne lui sera plus perceptible ou intelligible par définition. La force de ce médium sera aussi sa faiblesse, puisqu’il ne pourra que se contenter de reproduire des objets temporels tels quels.

L’une des tentatives de conciliation entre perceptibilité du signal analogique et conservation du phénomène continu se retrouve dans les techniques développées autour du support cinématographique. Il est intéressant de relever ici les expérimentations qui ont amené à la mise au point des divers appareils de captation et de reproduction du mouvement. Sur un procédé similaire aux études de la perspective, c’est l’observation et la décomposition de phénomènes qui permettront leur reproduction.

(4)

L’information ne subit plus de perte, elle est un fragment effectivement continu saisi et spatialisé hors du temps. Par se reproductibilité sur commande, à tout moment, elle se place hors du temps, et sa continuité permet lors de son observation de la re-temporaliser.

dans sa quête d’objectivité.

(3)

pour reproduire une image sur des procédés analogues9 à ceux se produisant dans l’oeil. C’est ici en quelque sorte l’être humain qui extériorise sa capacité naturelle de vision pour la figer, hors du temps, ce qui lui est biologiquement impossible.

La frise des Lions de la Vache (1) côte de boviné (2) course décomposée d'un chat (3) d'un léopard (4) proposition de reconstitution de la frise (relevé D. Buisson, in Buisson et Delporte, 1988 et dessin M. Azéma in Azéma, 1992)

XIV

Ironiquement, c’est l’imprimerie qui va réformer l’Eglise et pas la tuer, la Bible sera d’ailleurs l’un des plus fameux ouvrages imprimés par Gutenberg. Ce passage souligne la force de la transposition, le passage d’un discours d’un support d’expression à l’autre.

36

37


38

39 première phase de la grammatisation. Cet interface spatiale lui permet d’influer sur le contenu du flux qui sera produit. Une nouvelle étape est franchie lorsque le signal peut donc être saisi automatiquement et que sa reproduction, tout aussi automatique n’a plus à être en adéquation totale avec son sujet. Le montage rendra possible la réorganisation du temps perçu. Sa reproduction fidèle, puisqu’extériorisée finira d’actualiser une représentation du monde artificialisée. Cette représentation, elle même extérieure constituera donc au delà de sa représentation le monde effectif de l’Homme. La dernière étape de ce phénomène générale de maîtrise de la grammatisation par son extériorisation technique va venir s’incarner dans les techniques du numérique. On a vu jusqu’ici que l’Homme qui évolue et dépasse sa condition par la technique va s’en servir pour produire des artefacts le détachant toujours plus de sa condition naturelle. Cette artificialisation de sa condition s’incarne dans des organes extérieurs extrêmement divers mais dont les modes de fonctionnement entretiennent un rapport important au temps et à l’espace relevant une fois de plus du dépassement des conditions imposées par ceux-ci. Procédant longtemps d’une approche arbitraire soumise à sa propre conditions, l’histoire montrera une tendance à automatiser le phénomène même d’extériorisation lequel ne devra plus dépendre des aléas de l’interprétation humaine puisque cela nuirait à sa perpétuité dans le temps. Par le perfectionnement d’une certaine neutralité du support, le discours sera libéré, et si c’est en extériorisant celui-ci que l’Homme se réalise, en en maîtrisant la production, il sera dorénavant possible pour lui d’être maître de son évolution. Le numérique | La grammatisation numérique se dote

de l’alphabet le plus élémentaire possible puisqu’il ne contient que deux “lettres” ou morphèmes10, 0 et 1. Pour dissocier tout jugement de valeur apposé aux éléments de la fragmentation, on utilisera un code dont la seul valeur intrinsèque à ces éléments est la différentiation de l’un par rapport à l’autre. Ainsi, on atteindra une apparente neutralité absolue dans la phase de discrétisation. Puisque plus aucune information n’est contenu dans les fragments, elle devra entièrement provenir de la mise en relations de ceux-ci. Cela implique que la quantité d’information augmente proportionnellement au nombre de relations établies entre les “bits”, signifiant littéralement bouts, fragments en anglais. Puisque la séparation de ces bits se fait par la simple valeur “pure” de séparation, l’Homme n’as plus aucun autre regard possible sur ces éléments que le simple constat de leur séparation. Pour s’assurer de reproduire des phénomènes continus tout en préservant une nature fondamentalement discrète à la base de la reproduction, on assiste une nouvelle fois au dépassement des conditions de l’être humain en lui faisant apparaître une quantité d’informations trop importante pour son discernement et dont la cohérence assure l’illusion de la continuité. On retrouvait déjà cette notion de cohérence normalisée dans la perspective linéaire et d’une certaine manière dans d’autres œuvres comme la littérature ou même l’architecture. Il est important de relever que le fonctionnement effectif du numérique et sa pertinence repose sur la quantité d’informations générées par le processus de discrétisation et pouvant donc être restituées. C’est ce qui ralentira son adoption lorsque les méthodes de captation analogiques 10. Morphème : Signe minimal de nature grammaticale / Unité minimale de signification (CNRTL)


XV

40 présentaient une fidélité bien supérieures. En effet, si les sens perçoivent la fragmentation dans le produit de la grammatisation, une ré-interprétation de leur relation pourrait avoir lieu, ce qui nuirai à la perception raisonnée, une intériorisation qui n’assurerait pas la pérennité du discours transmis.

Extrait provenant d’une étude personnelle du texte de Pierre Lévy : Sur les chemins du Virtuel réalisée en préambule du travail de mémoire. Virtuel et actuel sont deux manières d’être. Le virtuel pourrait être considéré comme un état transitoire, vers l’actuel qui serait à priori une finalité. L’actualisation est donc une dynamique vers un objectif, la résolution d’un problème. La virtualisation est le phénomène opposé. Elle part d’une solution donnée pour porter l’entité à la puissance supérieure où cette solution n’est plus qu’une partie d’une entité plus vaste constituant un champs de possibles. Ce n’est pas une déréalisation, comme le passage d’une réalité en un ensemble de possible. C’est un déplacement du centre de gravité de l’entité, elle n’est plus définie par ce qu’elle est, par sa partie tangible et actuelle mais plutôt par ses potentiels. Dans ce sens là, l’élément actuel de départ, n’est plus qu’une solution parmi d’autres au problème qu’est l’entité. Pour reprendre la définition énoncée précédemment, le virtuel est un des éléments dynamique constitutif important mais non exclusif d’une entité (le problème essentiel de la graine est de faire pousser l’arbre mais elle ne peux pas se résumer à ce virtuel). Dans le cas de la virtualisation, la transition opérée fait de la problématique, du besoin de résolution d’une entité sa définition principale. Ce qui est tangible dans l’entité ne sera qu’une expression de ses multiples potentiels.

Ainsi puisque ce sont les informations qui permettent de rendre exponentiellement puissant le numérique, on assiste à l’explosion d’une économie de l’information, qui domine aujourd’hui de nombreux aspects de nos vie. En parallèle, les technologies de captation de l’information verront également un développement inédit, s’incarnant aujourd’hui dans la multitude de senseurs capables de mesurer et comptabiliser tout type de signal.

Au fur et à mesure des innovations, la quantité d’informations générées par l’humanité atteindra une somme colossale. L’informatique11 sera la science du traitement rationnel de l’information (considérée comme le support des connaissances humaines) et l’on créera des unités de mesure et de quantification de celle-ci (bit, octet, 11. Informatique : Science du traitement rationnel, notamment par machines automatiques, de l’information considérée comme le support des connaissances humaines et des communications dans les domaines technique, économique et social (CNRTL)

Étienne-Louis Boullée, Projet de cénotaphe à Newton, vue en élévation, 1784

L’ensemble des appareils “capteurs” numériques, sont en fait, des outils de discrétisation. La fragmentation ne consistera pas uniquement comme pour l’analogique en la saisie d’un continu dans un continu mais à la réduction de celui-ci à un ensemble d’éléments finis tout en préservant une quantité suffisante de fragments pour générer une apparente continuité.

pixel, résolution, débit, capacité de transfert..). En 2013, IBM annonçait que chaque jour, l’humanité produisait 2.5 exabytes de donnée correspondant a 2.5 milliard de gigabytes12. En comparaison, Eric Schmidt, CEO de Google déclare en 2010 :

Carte des

« Every 2 Days We Create As Much Information As We connections au Did Up To 2003 »13

sein du réseau

L’écrasante présence et le rôle de ces données façonne internet mondial notre monde. Par ses modes de transmission et d’existence, électriques et optiques, le support de la pensée humaine se soustrait en apparence aux limites spatiale par un mouvement extrêmement rapide, si rapide en réalité que sa dimensions temporelle s’abstrait également. « La vitesse moyenne d’un influx nerveux circulant entre l’organe cérébral et la main est de l’ordre de 50 mètres par secondes, les rétentions tertiaires numériques14 réticulées peuvent circuler à 200 millions de mètres par seconde sur les réseaux de fibre optique soit quatre millions de fois plus rapidement. »15

12.Wall, Matthew, «Big Data: Are you ready for blast-off ?», BBC, mars 2014 (consulté le 26 mai 2016) url : http://goo.gl/AQVHwy 13. Siegler, MG, «Eric Schmidt: Every 2 Days We Create As Much Information As We Did Up To 2003», Techcrunch, août 2010 (consulté le 26 mais2016) url : http://goo.gl/Gnhaoc 14. Stiegler qualifie les exteriorisations techniques de la mémoire humaine, collective de rétentions tertiaire, en opposition aux rétentions primaires, qui sont celles de la perception instantanée reconstituants les objets temporels (faire d’un ensemble de notes une mélodie) et aux rétentions secondaire, qui sont celles de la mémoire, rétentions primaire retenues par l’individu. 15. Stiegler, Bernard, La société automatique, Fayard, Paris, 2015, p.252source : http://goo.gl/6ZMRDj

Le connectome humain: un plan complet des connexions neuronales dans un cerveau.

41

XVI


42

43 Cette vitesse permet à l’information, support de l’extériorisation technique d’être présente en tout points et instantanément expliquant son règne aujourd’hui absolu sur le développement humain. Les conditions même d’accès à l’information sont extériorisées et dépendantes d’artefact eux même délocalisés. Plus que jamais, le résultat de nos extériorisations viennent à nous sans que nous ayons à mettre en jeux une quelconque implication spatiale ou temporelle de notre corps. Lorsqu’il fallait se déplacer dans et vers l’architecture pour accéder au savoir collectif, ou que les livres devaient être reproduits puis déplacés dans des points localisés et centralisés vers lesquels les corps devaient se rendre. Le support rationnel soustrait la part d’interprétation pour assurer l’immuabilité du discours qui ne pourra pas être remis en cause à travers son expression mais uniquement de part son contenu. Si les signaux numériques et analogiques sont tout les deux à même de retranscrire la continuité apparente d’objets temporels, le premier procède contrairement au deuxième d’une discrétisation fondamentale lui confiant des qualités inédites. Cette première fragmentation assure la captation objective de l’objet, rendue possible par un codage sans valeur. Celui-ci pour être effectif va générer un nombre de fragments considérable, hors de porté de l’être humain. Ceux-ci bien qu’observables dans une transcription en 0 et en 1 ne sont pas fondamentalement intelligibles pour l’observateur dans leur mode d’existence électrique. Ce ne que par une succession de décodages que l’ordinateur16 va “ordonner” ces fragments en éléments de plus en plus intelligible. Cette organisation de l’information 16. Il est interressant de noter : Ordinateur : Adj., vieilli. : Qui ordonne, dispose, met en ordre. (CNRTL)

pourra aussi bien reproduire d’autres artefacts discrets propres à l’Homme comme les nombres et les lettres mais aussi continus comme le son et l’image. On assiste ici à l’extériorisation du processus de génération des fragments et de leur organisation, celle-ci étant réalisée par un artefact technique. Une fois extériorisé ce processus peut donc être asservi, il est possible d’intervenir sur ses structures à toutes les échelles jusqu’à sa reproduction. Comme le film sur bobine qui réorganisait l’écoulement de son temps par montage, les éléments informationnels du numérique pourront un à un être modifiés puis replacés ou substitués jusqu’à l’obtention d’un signal pouvant être totalement artificiel. Par cette maîtrise du niveau apparent de fragmentation, le signal en laissant apparaître certaines parties comme discrètes permet l’interaction. Bien qu’à priori opposé à la volonté de neutralité et d’objectivité de la retransmission des extériorisations, l’apparition du numérique a permis de relancer un cycle d’innovations techniques sans précédent. L’apparition des signaux analogiques et surtout leur diffusion massive rendue possible par la démocratisation d’appareils radio-télévisés avait coïncidé avec l’apparition de la société de consommation. Stiegler indique que si la discrétisation analogique ne nous apparaît pas, le signal en résultant sera uniquement “subit”. Celui-ci restant temporel par sa continuité, procède d’une temporalité qui lui est propre est nécessite une “synchronisation”17 de l’esprit sur celle-ci. Puisque qu’elle n’apparaît pas discrète, 17. Stiegler, Bernard, Prendre soin, de la jeunesse et des générations, Flammarion (2008)


44

45 la perception ne peux être réappropriée, “personnalisée” en quelque sorte. Cette homogénéisation des consciences est rendue possible par la main mise sur la production de ces objets temporels, ou même temporalisés, par une minorité homogène. Le numérique a permis (dans un premier temps au moins) au signal qui retransmet la pensée d’être perçu spatialement et non plus uniquement temporellement, et on l’a vu, l’Homme n’agit que sur son espace ou ses composantes spatialisées. L’être humain se réalise à travers la technique, il produit des organes extérieurs qui lui permettent de dépasser les limites de son propre organisme. Ces artefacts sont spatiaux car l’Homme ne peut agir que sur son espace, limité par sa perception. Ainsi, il produit des objets spatiaux finis, et c’est en agissant par eux même qu’il procède à une artificialisation de son environnement. Si ce procédé reste longtemps le naturel (c’est-à-dire issu de la nature) de l’Homme, il finira par l’extérioriser par différents procédés de fragmentation et de restitution, appelés grammatisation, dont l’aboutissement est le numérique. Il parvient à substituer une analyse subjective par un processus systématique ne relevant pas des sens. Ainsi, il est en mesure de contrôler l’image du monde produite par ses extériorisations et par extension le monde artificiel qui en résulte.

Enjeux://Partie 3_

Spacialisation de la grammatisation

Le numérique procède d’une extériorisation des capacités analytiques de l’Homme. Passées dans des organes extérieurs, celles-ci se détachent de la nature humaine et peuvent êtres “utilisées”. Par ce passage hors du corps, elles sont rationalisées, de sorte qu’elles procèdent de fonctionnements systématiques. C’est cette émancipation qui paradoxalement va permettre à travers l’usage de ces artefacts d’attendre de nouveau niveaux d’abstraction. En s’abstrayant des conditions de son mode de pensée, il sera possible de faire évoluer les processus mentaux de l’Homme. Walter J. Ong relève ce phénomène lorsque qu’il analyse les transformations des supports de la parole. Ces évolutions sont critiquées à travers les âges mais relève-t-il, l’une des plus grandes faiblesses des détracteurs de ces nouvelles technologies est d’en faire le support de l’expression de leur critique. Platon écrira ses objections pour les rendre plus efficaces, les défenseurs de l’écrit imprimeront leurs arguments pour les diffuser, tandis que les plus grands critiques du numérique tapent leurs textes sur ordinateur ou s’expriment par l’intermédiaire de blog.


46

47 « Une fois la parole transformée par la technologie, il n’y a aucun moyen efficace de critiquer le produit de cette transformation sans l’aide de la technologie la plus avancée. La nouvelle technologie est en outre davantage qu’un simple support à la critique : en réalité, c’est elle qui lui a permis d’exister. Comme nous l’avons vu (Havelock 1963), la pensée philosophiquement analytique de Platon, dont sa critique de l’écriture, n’a pu émerger que grâce aux effets que l’écriture commençaient à avoir sur les processus mentaux.»1 Cette irréversibilité, ce point de non retour à l’apparition d’une nouvelle technologie peut sembler alarmante. C’est de cette dépendance à la technique dont sont issues de nombreuses théories de Marx à Heidegger. Plutôt que de s’avancer ici dans une critique de la technique en soi et de ce que sa relation à l’Homme implique, ce qui va nous intéresser sera les possibilités d’interactions entre ces différentes itérations, sortes de symbioses vertueuses. En effet, au delà de la relation Homme-Techniques, certains critiques expriment d’avantage l’idée d’une lutte interne de substitution. L’écrit va remplacer la parole, l’imprimerie va remplacer l’architecture..

technicité. Le discours l’aurait quitté au profit de l’écrit imprimé. « À partir de François II, la forme architecturale de l’édifice s’efface de plus en plus et laisse saillir la forme géométrique, comme la charpente osseuse d’un malade. Les belles lignes de l’art font place aux froides et inexorables lignes du géomètre. Un édifice n’est plus un édifice, c’est un polyèdre.»2 On peut prolonger ce constat sans trop de difficulté bien après l’époque d’Hugo. Jusqu’à nos jours l’architecture n’a cessée de se techniciser jusqu’au point où sa résolution technique sera parfois en elle-même le discours porté. Les cathédrales monolithiques d’acier, de béton et de verre seront autant de prouesses qui ne seront louées que pour leur technique. Aujourd’hui, la métaphore se prolonge en une multitude de géométries torturées, autant de squelettes dont on discute de l’importance de l’enveloppe, elle même technique, thermique.

Quand Hugo prédit ou constate la mort de l’architecture, il explique qu’elle ne sera plus “l’art social, l’art collectif, l’art dominant”. C’est un constat alarmiste récurent, supposant le remplacement d’une technique par une autre, rendue obsolète. Ce débat n’est pas dénué d’arguments, l’architecture du XVIème siècle au XVIII ème siècle est décrite non sans raison comme le simple produit de sa

L’architecture n’est pas morte pour autant. Elle s’est virtualisée, s’incarnant moins dans son actualité bâtie que dans sa théorie. Dénuée de tout son symbolisme, l’édifice est l’expression technique d’un discours qui ne s’y incarne plus. Le mouvement moderne pourrait être apparenté à ce que Victor Hugo évoqua comme « Le grand accident d’un architecte de génie [qui] pourra survenir au vingtième siècle, comme celui de Dante au treizième ». Par la conjoncture d’une époque, certains définirons ce mouvement à la fois comme un fait social, mais aussi comme le résultat d’un développement technique.

1. Ong, Walter J., Oralité et écriture (La technologie de la parole), 1982, trad. fr., Paris, Les Belles Lettres, 2014

2. Hugo, Victor, Notre-Dame de Paris, livre cinquième, chapitre II, Paris, Gallimard, Coll. Folio, 2002, (première parution, 1831)


XVI

Étienne-Louis Boullée, Projet de cénotaphe à Newton, vue en élévation, 1784

Extrait provenant d’une étude personnelle du texte de Pierre Lévy : Sur les chemins du Virtuel réalisée en préambule du travail de mémoire.

Virtuel et actuel sont deux manières d’être. Le virtuel pourrait être considéré comme un état transitoire, vers l’actuel qui serait à priori une finalité. L’actualisation est donc une dynamique vers un objectif, la résolution d’un problème. La virtualisation est le phénomène opposé. Elle part d’une solution donnée pour porter l’entité à la puissance supérieure où cette solution n’est plus qu’une partie d’une entité plus vaste constituant un champs de possibles. Ce n’est pas une déréalisation, comme le passage d’une réalité en un ensemble de possible. C’est un déplacement du centre de gravité de l’entité, elle n’est plus définie par ce qu’elle est, par sa partie tangible et actuelle mais plutôt par ses potentiels. Dans ce sens là, l’élément actuel de départ, n’est plus qu’une solution parmi d’autres au problème qu’est l’entité. Pour reprendre la définition énoncée précédemment, le virtuel est un des éléments dynamique constitutif important mais non exclusif d’une entité (le problème essentiel de la graine est de faire pousser l’arbre mais elle ne peux pas se résumer à ce virtuel). Dans le cas de la virtualisation, la transition opérée fait de la problématique, du besoin de résolution d’une entité sa définition principale. Ce qui est tangible dans l’entité ne sera qu’une expression de ses multiples potentiels.

47


48

XVII

XVIII Malgré le modèle d’une lutte du nouveau contre l’ancien développé par le modernisme, celui-ci s’épanouira et se développera dans un modèle qui avait à l’origine menacé d’obsolescence l’architecture : le livre et l’imprimé en général. C’est en embrassant ce nouveau support que pourra naître une réelle théorie prospective de l’architecture et qu’elle pourra être diffusée. La direction de cette évolution est non sans rappeler la naissance de l’architecture sous sa forme contemporaine lorsque Brunelleschi projette en deux dimensions ses plans et perspectives. Cette extériorisation préalable, ce détachement de l’objet pour se concentrer sur le sujet permet d’embrasser de nouveaux supports d’expressions.

No-Stop City by Archizoom

Détacher le discours de son support originel aura permis, depuis l’invention de l’écriture, de dépasser les limites de celui-ci. Lorsque, la théorie architecturale n’est plus contrainte par son incarnation physique, elle peut s’exprimer avec toute la cohérence nécessaire au développement d’un discours convaincant. Dans leurs écrits et leurs images, les nouveaux paradigmes architecturaux imaginés dans la deuxième moitié du XXéme siècle ont acquis une force qui continue d’avoir une influence importante sur la pratique architecturale contemporaine.

Détacher l’architecture de l’édifice alimentera une telle évolution que certaines formes d’architecture abandonneront totalement ce support pour devenir ce qu’on appellera des “architectures de papier”. Ces projets seront uniquement prospectifs, sans aucune ambition de Flooded Florence Libérée des contraintes de réalisation de son réalisation. by Superstudio support bâti, la pensée architecturale pourra s’exprimer sur de nouveaux modes. On l’a vu, c’est l’écrit qui a permis à Platon de développer sa pensée. L’imprimé écrit développera la pensée architecturale qui se délocalisera et sera à même de proposer de nouveaux paradigmes. On constate ce détachement du lieu ou du moins de la localisation finie dans la majorité des projets de collectifs et d’agences tels qu’Archigram, Archizoom ou Superstudio. Manifestant des points de vue et des théories différentes, leur utilisation des supports qui leur étaient contemporains, collages photographiques et manifestes imprimés et diffusés démontre l’importance des ces méthodes de communications lorsqu’il s’agit d’extérioriser, de donner corps dans l’espace à des idées du temps.

Au delà de l’impossibilité de réaliser ces ambitions sous leurs formes architecturales, s’abstraire de ces conditions leur permettra d’atteindre un niveau de réalisme donnant une force renouvelée au discours.

On constate la nécessité d’extériorisation qui ici transpose un paradigme pour un autre. Ce déplacement est libérateur, il permet une remise en cause d’un certain nombre d’éléments immuables. Il relève aussi souvent d’une efficacité supérieure dans la réalisation puisque c’est ce qui caractérise les avancées technologiques des supports de la grammatisation. Si chaque nouveau support de la pensée humaine cherche à dépasser les conditions de ceux qui le précède, l’incarnation d’objets à travers ces nouveaux procédés permettra de dépasser les limites de la spatialisation qui les incarnait jusque-là. Walking city by Archigram

L’incarnation papier ou deux dimensionnelle de l’architecture a permis de virtualiser celle-ci. Elle ne sera plus ses édifices, lesquels seront uniquement des incarnations, des manifestations de celle-ci, néanmoins fortement influencées par cette virtualité.

49


50

XVII

XVIII L’adoption du numérique dans l’architecture aura pour l’instant été majoritairement orientée vers le perfectionnement des techniques de représentations par automatisations. Du point de vue de sa conception, on peut également constater que l’influence des technologies du numérique consistent uniquement une optimisation de processus existants. L’automatisation de ces processus de création ne sert pas de support à un réelle reconsidération de l’architecture du point de vue de ce nouveau paradigme architectural.

De son côté, si le numérique dématérialise, tout en permettant à ce qui est dé-spatialisé de rester effectif ou de s’actualiser à la demande, qu’en est-il de l’architecture? Celle-ci continue d’être fortement cantonnée à sa réalisation, à son actualité figée. Malgré certaines tentatives matérielles d’une architecture modulable dans les années 70, l’architecture s’incarne encore à travers des objets uniquement spatiaux, loin du contrôle et de la production Flooded Florence d’objet temporels rendue possible par le numérique. Au by Superstudio delà de sa propagation théorique déjà rendue possible par l’écrit, et exacerbée par les capacités de communication du numérique, qu’en est-il du dépassement de la forme spatiale de l’architecture ? Est-il possible de faire des architectures numériques comme on a pu faire des architectures de papier ? Quelles en seraient les capacités ? Comment s’incarneraient spatialement des capacités permettant de dépasser les limites de la spatialisation ? Pour trouver une piste aux résolutions possible de mise à jour d’une architecture numérique, les modalités de spatialisation du numérique sont à même de proposer des éléments de réponse. Si le numérique est une automatisation de la

No-Stop City by Archizoom

grammatisation, il n’automatise pas que sa discrétisation mais aussi sa spatialisation lorsque les éléments sont réassemblés en un tout d’apparence continue. A la façon du livre, le message numérique va s’incarner partout où un support est disponible. Cela lui permet de se libérer des contraintes spatiale d’existence unique, permettant une ubiquité apparente. Ces moyens techniques permettent également au support d’effectuer une spatialisation perçue comme instantanée. Malgré ces capacités quasi-divines de diffusion, les artefacts supportant le signal sont bel et bien spatiaux. Cette spatialité s’exprime d’ailleurs sur des modes s’éloignant très peu dans leur forme des supports bidimensionnels ancestraux de l’écriture. Le numérique s’exprimerait donc aussi “platement” que l’écrit. Les illusions permettant la production d’une troisième dimension dans les environnements numériques sont nombreuses, mais reposent sur une automatisation des principes élémentaires de la perspective. La spatialisation numérique s’incarne donc largement dans les modes de fonctionnement et les limites de notre perception naturelle qui n’a plus évoluée significativement depuis l’homme de Néandertal. Ces modes de passage à l’espace atteignent déjà certaines limites :

Walking city by Archigram

Limitée à s’exprimer en deux dimensions, l’image numérique procède d’illusions pour faire apparaître la troisième dimension. Cela complique la représentation de phénomènes plus complexes, notamment dans certains domaines scientifique. On constate par exemple l’atteinte de ces limites lorsque l’on essaye de représenter en deux dimensions un objet quadri-dimensionnel.

51


52

53 Ces représentations conditionnent notre capacité de compréhension de phénomènes nous dépassant. Et si l’homme veut dépasser ces/ses conditions, il doit donc pouvoir se les représenter, les exprimer dans son espace tridimensionnel. L’aperçu synoptique numérique reste souvent partiel, et nous devons agir sur cette image par l’intermédiaire d’organes intermédiaires, constituant des interfaces supplémentaires avec leur propres limites, complexifiant d’avantage un processus de compréhension qui nous échappe d’autant plus car il est conditionné. Les tentatives de dépassement de ces limites sont illustrées par la démocratisation d’interfaces dites “naturelles”3. Des premières interfaces avec stylet aux écrans tactiles, il est aujourd’hui possible d’interagir avec ses appareils numériques par l’intermédiaire de comportement dit “naturels” comme le geste ou la parole. Ce mouvement inédit dans l’histoire de la technique démontre la nécessité malgré l’extériorisation de conserver un lien instinctif avec nos organes extérieurs. La lecture et l’écriture, l’expérience de l’architecture se sont toujours organisés autour de l’usage premier de nos sens comme seule et unique interface. On trouve alors, entre l’architecture et le numérique ce point de convergence inédit dans leur façon unique de s’exprimer dans l’espace. La première dans une certaine forme de surenchère technique cherchant à rivaliser avec le second en mettant à profit ses outils. Tandis que nos appareils connectés cherchent de plus en plus à disparaître 3. Goodman, Andy et Righetto, Marco, « Why The Human Body Will Be The Next Computer Interface », FastCoDesign, mai 2013 (consulté le 26 mai 2016) url : http://goo.gl/Yy8qL6

pour faire place à un écosystème d’interactions naturelles dont l’architecture a toujours pu bénéficier et tirer parti.


54

55

Conclusion://Partie N_

Vers une architecture (du) numérique

L’architecture et le numérique sont deux techniques qui auront permis à l’Homme d’artificialiser son environnement. Nos quotidiens s’organisent aujourd’hui entièrement autour de ces technologiques avec lesquelles nous entretenons une relation à la fois libératrice et de dépendance. Nos lieux de vie sont influencés à la fois par leur réalité construite et leur expression spatiale que par leur dimension virtuelle, numérisée. C’est la présence d’infrastructures physiques qui accueille nos corps tandis que notre esprit et nos capacités cognitives sont de plus en plus liées aux interfaces numériques que nous transportons avec nous en permanence. Mémoire, communication, positionnement, prises de décisions sont autant de phénomènes dont nous nous déchargeons dans nos appareils connectés. C’est avec une certaine schizophrénie que nous abordons notre monde aujourd’hui lorsque nous attribuons à nos souvenir virtuels la consistance d’événements actuels et que nos expériences réelles sont conditionnées par un filtre numérique.

Dans la pratique, cette dissociation devrait permettre à la pensée humaine de développer de nouveaux modes d’expression permettant eux même en retour l’évolution humaine. Certains chercheurs envisagent déjà que les Intelligences Artificielles généreront de nouvelles méthodes d’apprentissage. En approchant certains problèmes selon d’autres méthodes, elles dégagent de nouveaux champs de recherche. Les meilleurs joueurs mondiaux du jeu de Go ayant enchaîné les défaites face à l’intelligence artificielle AlphaGo de Google déclarent déjà que leur vision de cet art millénaire a évolué, ouvrant des possibilités stratégiques inédites. Dans leur échec, ils auront appris à être meilleurs grâce aux algorithmes de la machine numérique. Ici, il ne s’agit pas d’un pur calcul brut de probabilité qui était utilisé pour des jeux comme les dames ou les échecs. Un ordinateur a réussi à reproduire ce qui est apparu comme de l’intuition. Et transposer cette capacité dans un support extérieur aura effectivement réussi à dépasser les limites de l’intuition humain. Les algorithmes nous permettent effectivement de considérer des conditions qui dépassent l’entendement humain. En les asservissant, il nous est possible de tirer des conclusions systématiques qui prendraient des années de calcul mental. Cependant, leur fonctionnement est aujourd’hui imperceptible et plutôt que de permettre une réel émancipation, nous fuyons nos responsabilités face à ces phénomènes qui semblent nous dépasser. Puisque les systèmes automatisés sont uniquement des extensions de notre être, ils sont susceptibles de contenir en eux-même les même défauts que nous cherchons à dépasser. Les algorithmes ne sont pas impartiaux, ils font seulement preuve d’une autre forme de partialité,


56

57 systématique. Face à cette nébuleuse qui conditionne nos vies à tous mais n’est effectivement compréhensible que par une poignée, il est urgent de considérer des solutions pour permettre au cyber-espace d’investir notre espace d’action. S’il est important de rendre cet espace sensible, et intelligible, cela doit passer par l’éducation mais également pas une manifestation plus représentative de sa complexité. Plutôt que d’être réduit à sa retranscription contrôlée sur nos terminaux individuels/individualisés/ individualisants, nos vies numériques doivent se spatialiser selon des modes plus en phase avec nos corps et nos déplacements dans l’espace. L’écriture est devenue une seconde nature car elle a été proprement intériorisée. Ses fonctionnements n’étaient pas masquées, ils nous étaient enseignés. Son omniprésence en a fait un outil qui malgré sa vivacité et sa puissance a permis de sublimer la pensée humaine. Cet espace numérique doit être démystifié1 pour venir réellement inspirer l’être humain. Sa transposition ne peux pas être faite vers la prochaine étape de l’évolution que nous ne connaissons pas encore. Peut-être que de façon inédite, le numérique doit embrasser ses ancêtres analogiques écrits et architecturés pour le réduire à son essence et ses potentiels.

1. Démystifier : Dépouiller (quelque chose) de son caractère mystérieux ou trompeusement embellissant en le montrant tel qu’il est réellement. (CNRTL)

Ce mémoire m’aura permis d’approcher un sujet prenant et sur lequel nous ne disposons pas encore d’un regard suffisamment critique. Il m’aura permis d’aborder le fait numérique de façon raisonnée et de le placer effectivement dans une continuité historique. D’avantage évolution que révolution, l’internet représente un outil formidable mais qui dans la dialectique du pharmakon grec représente néanmoins autant le remède que le poison. C’est avec mesure et contrôle que celui-ci nous permettra d’innover réellement, tant en architecture, que dans nos vies quotidiennes. Il ne doit pas être saisi «comme tel» mais questionné sans cesse.


58

59 Bibliographie://_

Livres, Articles,Sites,Mémoires ...

Metz, Cade, « The Rise of Artificial Intelligence and the End of Code », Wired, 19 mai 2016, [consulté le 19 mai 2016] http://www. wired.com/2016/05/google-alpha-go-ai/ Ong, Walter J., Oralité et écriture (La technologie de la parole), 1982, trad. fr., Paris, Les Belles Lettres, 2014

Abbott, Edwin Abbott, Flatland : a romance of many dimensions, Editions 10/18, 16 novembre 1999 (première parution, 1884)

Picon, Antoine, «Ville Numérique, Ville Événement» Flux n° 78 (4): 17-23. 2010, url : http://goo.gl/r0aTtY

Auroux, Sylvain, La révolution technologique de la grammatisation, Éd. Mardaga 1994

Scanella, Pauline, Expérience de l’architecture et culture numérique, Mémoire, sous la direction d’Hervé Graff, 2014

Ars Industrialis, association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit, http://arsindustrialis.org/

Stephenson, Neal, «Mother Earth Mother Board», Wired, 12 janvier 1996 [consulté le 27 mai 2016] http://www.wired.com/1996/12/ ffglass/

Gourarie, Chava, «Investigating the algorithms that govern our lives», Columbia Journalism Review, 14 avril 2016 [consulté le 20 avril 2016], http://www.cjr.org/innovations/investigating_algorithms. php Goodman, Andy et Righetto, Marco, « Why The Human Body Will Be The Next Computer Interface », FastCoDesign, mai 2013 (consulté le 26 mai 2016) url : http://goo.gl/Yy8qL6

Stiegler, Bernard, à voix nue, sur France Culture, 2002, url : http:// goo.gl/tvz9Vd Stiegler, Bernard, Les objets spatiaux temporels, plateforme hashcut, 2012-2013 url : http://goo.gl/pFwGsx Stiegler, Bernard, La société automatique, Fayard, Paris, 2015

Hugo, Victor, Notre-Dame de Paris, livre cinquième, chapitre II, Paris, Gallimard, Coll. Folio, 2002, (première parution, 1831)

Stiegler, Bernard, « Le soi et l’identité numérique », Philonum, conférence au Centre Pompidou, Paris, Février 2016, http://goo.gl/ TlxHnL

Leroi-Gourhan, André, Le Geste et la Parole, tome 1 : Technique et Langage – Albin Michel, 13 mai 2013 (première parution : 18 novembre 1964)

Stiegler, Bernard, Philosopher par accident : Entretiens avec Elie During, Ed. Galilée, 2004

Levy, Pierre, Sur les chemins du virtuel, Fondation Fleur de Lys, 28 septembre 2007, http://www.manuscritdepot.com/edition/documents-pdf/pierre-levy-le-virtuel_01.pdf Mabille, Philippe, « La Disruption Est Une Transformation Irréversible Du Capitalisme » (Clayton Christensen)» La Tribune, 10/03/2014 [consulté le 25 mai 2016] http://goo.gl/HX0R4p

Stiegler, Bernard, Prendre soin, de la jeunesse et des générations, Flammarion (2008) Touraine, Alain, La société post-industrielle, Ed. Médiations, 1976


"Any sufficiently advanced technology is indistinguishable from magic."

Arthur C. Clarke


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.