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Les entreprises régionales font le forcing en Russie Organisé par la CGPME, sous la houlette de François Turcas, le premier forum business franco-russe a ouvert une brèche dans un marché compliqué, encore plus avec l'embargo et la dévaluation du rouble. Les dirigeants d'entreprises de la région Auvergne-RhôneAlpes, tous secteurs confondus, qui ont participé à cette mission sont revenus globalement satisfaits. Quelques-uns témoignent de cette expérience, de leurs attentes sur le marché russe, mais aussi de la bonne santé de leur entreprise. Dossier réalisé par Antonio Mafra
La place Rouge
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samedi 8 octobre | vendredi 14 octobre 2016 économie
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Les bons tuyaux de Franck Vicente Le dirigeant de Cofim livre ses recettes pour réussir à pénétrer le marché russe. Une démarche « énergivore ».
François Turcas, président de la CGPME Rhône-Alpes et Jean-Maurice Ripert, ambassadeur de France en Russie
« Si, comme le prévoient les analystes, la Russie renoue avec la croissance en 2018, c’est maintenant qu’il faut venir chercher des partenaires, particulièrement dans les secteurs de l’agroalimentaire, de la santé, des transports et des technologies », défend Jean-Maurice Ripert, ambassadeur de France, lors de la réception des quelque 30 dirigeants d’entreprises qui participaient au premier forum business organisé par la CGPME à Moscou. Le diplomate rappelle aussi que, en dépit de l’embargo et de dévaluation du rouble, aucune des grandes entreprises françaises n’a quitté la Russie où la France conserve son rang de premier investisseur et premier employeur international. Ce discours (de circonstance ?) tranche avec l’absence des services de l’ambassade lors des deux journées de rencontres préparées pour les dirigeants de PME d’Auvergne-RhôneAlpes. Le contexte géopolitique explique le service minimum des autorités françaises vis-à-vis d’une initiative strictement entrepreneuriale. François Turcas a conscience de ce décalage. Mais pour le vice-président de la CGPME en charge de l’international qui conduisait la délégation, seul importe le résultat. « Les entreprises de la région donnent l’exemple aux autres PME de l’Hexagone. » Tous les participants s’accordent sur la qualité de l’organisation de cette mission. Seule réserve, mais de taille : le mauvais ciblage des rendez-vous BtoB par l’interlocuteur russe. « Ils n’ont pas compris les demandes que nous avions formulées, reconnaît François Turcas. La prochaine fois, nous prendrons nos précautions en amont pour éviter ces problèmes ». Pourtant, comme l’explique Franck Vicente, Pdg de Cofim, il s’agit d’un premier pas nécessaire. « Il faut passer sous les fourches caudines du protocole pour rassurer les interlocuteurs. Pénétrer le marché russe demande de la patience et de l’obstination ». Dans cette perspective, la CGPME compte bien organiser un second déplacement, mais cette fois-ci dans les régions, « là où concrètement se traient les affaires une fois sauté le verrou moscovite » ; dans l’une de ces 83 villes de plus de 1 million d’habitants où les PME peuvent trouver des relais de croissance à l’international.
Cofim, entreprise de Voiron spécialisée dans les machines pour l’usinage de tuyaux destinés principalement aux industries énergétiques, emploie 10 personnes pour un chiffre d’affaires de 2 M€. Son dirigeant Franck Vicente connaît bien le marché russe. A ses homologues de la mission organisée par la CGPME, il donne les bons tuyaux. « Il faut prendre son temps, ne pas penser qu’une affaire se réalisera en 1 ou 6 mois. » Pour attaquer le marché russe, il faut entrer par la porte de Moscou, de préférence dans une délégation officielle, un cadre qui rassure vos interlocuteurs. Dans cette perspective, la mission de la CGPME représente une bonne opportunité. « La Russie reste un Etat centralisé, où les rendez-vous sont parfois compliqués à prendre. Cela peut durer un an pour que s’ouvre la bonne porte. Pour cela, il faudra faire plusieurs voyages. Et on ne se déplace que sur invitation. A ce moment là, seulement, vous pourrez allez dans les régions où se font les affaires. Les entrepreneurs russes ne parlent pas anglais. Il faudra un contact sur place, pourquoi pas votre interprète qui, le moment donné, deviendra votre relais. Il faut bien choisir cet interprète, qu’il connaisse votre métier et ait un bon carnet d’adresses. » La relation historique, voire romantique, entre les deux pays crée des atomes crochus qu’il faudra exploiter. L’âme slave n’est pas un mythe. Les Russes ont besoin de connaître leurs interlocuteurs. Et pour cela, il faudra passer par la case vodka. Cela marchera lorsque votre interlocuteur pourra venir en France. Le vrai problème réside dans les paiements. Signer un contrat ne veut pas dire être payé. Il faut trouvé le système de financement.
Franck Vicente (à gauche) avec ses collaborateurs économie samedi 8 octobre | vendredi 14 octobre 2016
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Premiers pas à Moscou Représentatives du tissu économique régional, les dirigeants d'entreprises présents lors de la mission organisée à Moscou par la CGPME témoignent du dynamisme de leur société mais aussi des attentes d'un marché russe dont ils sentent le potentiel sans encore pouvoir en mesurer les retombées. pense que quelques-uns de ses confrères russes peuvent être intéressés par le système d’ouverture-fermeture de sacs plastiques que Morancé Soudure a breveté. « Tout est possible. Je suis ici pour trouver des clients, des partenaires, voire du sourcing. »
Olivier Fedel
Pour Olivier Fedel (Morancé soudure), tout est possible Spécialisé dans les emballages plastiques, principalement pour l’agro-alimentaire, Morancé Soudure emploie 80 salariés, pour un chiffre d’affaires de 17 M€ en croissance à deux chiffres ces dernières années. « Nous visons le cap des 20 M€ d’ici deux ans, notamment grâce à l’exportation qui représente aujourd’hui 25 % de l’activité », explique Olivier Fedel. Aujourd’hui, les marchés de l’Afrique de l’Ouest captent deux tiers des ventes à l’étranger, l’Europe seulement 7 à 8 %, après la déconfiture d’un gros client en Pologne. « Notre présence à Moscou s’inscrit dans notre volonté de rééquilibrer nos exportations et de profiter d’un marché appelé à s’ouvrir », poursuit le co-dirigeant de cette entreprise familiale venu en Russie sans attentes particulières. Olivier Fedel
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entreprises. Et cela marche ! Plus de 50 rendez-vous B to B en deux jours. « J’ai l’impression d’être un pot de miel. Deux personnes ont même failli se battre ».
Sam Outillage met le paquet sur l’innovation
Carole Peyrefitte veut créer des passerelles de formation entre Lyon et Moscou Entreprise familiale lyonnaise créée il y a trois décennies, Peyrefitte Esthétique propose des formations dans les domaines de l’esthétique et du bien-être. Chaque année, les trois centres de formation accueillent quelque 1 200 étudiantes (1 % de garçons seulement), dont 700 à Lyon, les autres à Aix-les-Bains et Aix-en-Provence. Le chiffre d’affaires s’affiche à 3 M€. L’école, qui emploie plus d’une centaine de formateurs (70 à Lyon), délivre des CAP, BP, bac pro et même BTS en contrat d’association avec l’Etat. « 80 % de nos diplômés trouvent un emploi dans les 6 mois qui suivent la sortie de l’école, se réjouit Carole Peyrefitte. 18 % des autres poursuivent leurs études ». Les spas, instituts de beauté, parfumeries, laboratoires de cosmétologie constituent les principaux débouchés de ces jeunes diplômés. Pourquoi la Russie ? « Je viens sans pression, pour le rayonnement de l’école et pour créer des passerelles
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Carole Peyrefitte
de formation entre Lyon et Moscou, nouer des partenariats collectifs, déclare la MOF qui a déjà élaboré des programmes sur-mesure pour des groupes venus de Lituanie, Lettonie, Japon, Taiwan et Tunisie. « Malheureusement, je manque de temps pour faire de la prospection et élargir ce potentiel de développement pour l’entreprise ».
PME Centrale fait du sourcing Si la plupart des autres membres de la délégation cherchent des clients russes, Gaëtan de Sainte-Marie vient prospecter des fournisseurs. « Je ne cherche pas des prix, mais des produits méconnus en France, des innovations, dans la perspective d’élargir l’offre à nos adhérents », précise le Pdg de la centrale d’achat collaborative de produits et services non stratégiques à destination des
Fabricant d’outillage à main professionnel pour la maintenance industrielle, la réparation automobile et le second œuvre du bâtiment, Sam Outillage réalise un chiffre d’affaires de 34 M€ (35 M€ prévus en 2016), dont 30 % à l’international, principalement en Europe. La société, un temps cotée au Second Marché, emploie 200 personnes, dont 150 à Saint-Etienne, le reste dans ses filiales espagnole et néerlandaise ainsi que dans une tôlerie qu’elle possède à Montpellier. « Nous sommes déjà venus deux fois en Russie, notamment pour accompagner l’installation d’une usine Renault. A l’époque, nous avions fait des études de marché. La dévaluation
Olivier Blanc
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T2S veut habiller les professionnels russes Jean-François Lyonnet dirige T2S, société spécialisée dans les solutions pour la sécurité et la signalisation routières.
traitement de flux, Fabrice Renaudin vient conforter son modèle avec d’éventuels partenaires. « Je veux connaître les solutions innovantes dont disposent les Russes, notamment en matière de reconnaissance vocale, trouver des experts pour compléter mon offre de services », explique l’ancien directeur R&D du groupeTLM Com.
Jean-François Lyonnet
L’entreprise emploie 80 personnes à Sorbiers (Loire) et une centaine en Tunisie où la production est réalisée. Sa récente certification Iso 9001 et 14001, version 2015, lui ouvre beaucoup de marchés dans les secteurs des TP, transports, industrie et collectivités locales. Le vêtement technique représente 85 % d’un chiffre d’affaires de 21 M€ qui enregistre des croissance à deux chiffres depuis 5 ans. Le balisage de véhicules génère le solde. Face à la concurrence chinoise, le vice-président de la CGPME de la Loire investit dans le vêtement connecté et innovant comme cette veste lavable, équipée de LED rechargeable grâce à une simple clé USB. « A Moscou, j’espère intéresser les professionnels des TP, les responsables de la communication et des achats du métro et de la compagnie Aéroflot », détaille Jean-François Lyonnet qui pour l’instant n’exporte que 5 % de sa production.
Fabrice Renaudin en solo Expert dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage, la sécurisation des données et le
Piscines Desjoyaux dans le bain russe Le groupe ligérien de piscines réalise aujourd’hui 30 % de son chiffre d’affaires (72 M€ en 2015) à l’international. Pas assez selon ses dirigeants qui visent la barre des 50 %. Et pourquoi pas en ciblant les grandes métropoles russes, même si le climat ne permet pas toujours d’installer des bassins en extérieur ? « Pour pénétrer le marché russe, il faut passer par les réseaux, surtout lorsqu’il s’agit d’équipements publics, rappelle Alexandre Muela, directeur export pour l’Europe de l’Est. Une fois le contact établi, il faut s’appuyer sur une personne fiable... mais garder un œil sur elle ». Comme Sam Outillage, Desjoyaux a pris de plein fouet la dévaluation du rouble. Mais les perspectives laissent espérer une montée en puissance avec, à terme, l’ouverture d’une dizaine de magasins sur l’ensemble du pays. « Aujourd’hui, nous vendons une vingtaine de piscines par an. D’ici 2020, je pense atteindre la centaine. » Il semble que le voyage à Moscou ait porté ses fruits puisque Alexandre Muela a signé un contrat avec un nouveau distributeur. Antonio Mafra
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« La levée de l'embargo, vite »
Philippe Meunier, viceprésident à la Région en charge de l'international définit ses priorités. © Alexandra Brunet
du rouble a tout bloqué, regrette Olivier Blanc, dirigeant de cette entreprise ligérienne fondée par son arrière-grand-père en 1906. Mais une reprise succède toujours à la crise. Il faut donc investir pour le futur ». Mais cette fois-ci, Sam dispose d’un atout très concurrentiel, une innovation récemment brevetée, le KapSAM. « Il s’agit d’un démarreur de voiture qui garantit 1 million de démarrages sur 5 ans et qui se recharge en 30 secondes alors qu’il faut de 4 à 8 heures pour les produits concurrents. En cas de panne de batterie, plus besoin de pinces, plus besoin de faire appel à un autre automobiliste, précise le Pdg. Sam outillage a déjà vendu 2 000 unités depuis son lancement en septembre 2015. « Sur deux ans, KapSAM devrait générer un chiffre d’affaires de 1,5 M€ ». En Russie, Olivier Blanc cherche un agent ou un importateur. « Jusqu’à présent nous étions freinés par le prix. Notre innovation change la donne. Notre service R&D, dans lequel nous investissons 1,5 M€ par an, emploie 10 ingénieurs ». Cette stratégie d’innovation, a généré le plan Kap4I (innovation, international, individu, interconnectivité), qui préfigure le projet de l’usine du futur avec des produits mécatroniques a zéro défaut. Ceux-ci ont déjà séduit Airbus pour lequel Sam a déjà élaboré sept prototypes.
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Pourquoi la Russie fait-elle partie de vos priorités ? Pays industriel majeur, continent à lui seul, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie offre un réel potentiel pour le développement des entreprises et pour l’emploi en Auvergne-Rhône-Alpes. Or l’embargo, dont nous attendions la levée rapide, pénalise aussi nos entreprises. Il ne concerne heureusement pas tous les produits.
Sur quels critères appuyezvous votre stratégie à l’international ? Nous procédons d’abord par portes d’entrée. Le Maroc, qui connaît un fort développement, ouvre sur l’Afrique, le Québec sur l’Amérique du Nord. La Chine relève d’une collaboration vieille de 30 ans, le Japon et la Corée d’un fort potentiel. L’Amérique latine et l’Inde ne font plus partie de nos priorités. Cela ne veut pas dire que, au cas par cas, nous n’aiderons pas une entreprise qui a des projets dans ces régions.
Quelles sont les grandes lignes de votre politique à l’international ? Nous allons aider les entreprises à recruter des VIE et à avoir des droits de tirage pour financer des conseils pour leur stratégie à l’exportation. Nous soutiendrons particulièrement les projets qui aboutissent à la création de chiffre d’affaires et d’emploi sur la région. Ces actions seront financées sur le budget précédemment accordé à Erai.
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