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Tunisie
Le temps de (ré)investir Six ans après sa révolution, la Tunisie relève la tête et part à la reconquête d’une paix sociale, d’une stabilité politique et d’une relance économique. Les autorités en place, avec la perspective des élections municipales (fin 2017) législatives (2019) ne ménagent pas leurs efforts pour redorer l’image d’une nation ternie, dont l’un des premiers partenaires économiques reste la France (1/3 des entreprises étrangères) avec l’Allemagne et l’Italie, et précisément la région Auvergne Rhône-Alpes qui compte notamment 65 entreprises enregistrées en régime offshore.
La récente venue à Lyon d’une délégation tunisienne emmenée par le ministre du développement Fadhal Abdelkefi, fraîchement chargé du portefeuille des Finances par intérim, à la rencontre des acteurs économiques locaux témoigne de cette posture pro active. Malgré des indicateurs encore fragiles -77e place sur 190 en matière de facilités réglementaires des affaires selon le rapport Doing Business 2017 de la Banque Mondiale et 8e pays africain les plus attractifs pour l’investissement selon le cabinet Quantum Global Research- le temps est venu de s’intéresser à nouveau à cette destination business, qui monte en gamme et qui s’affiche comme une porte d’entrée stratégique sur le continent africain. Dossier réalisé par Julien Thibert
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samedi 6 mai 2017 | vendredi 12 mai 2017 économie
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DU LOW-COST À LA HAUTE VALEUR AJOUTÉE Nommé en 2004 consul général de Tunisie à Lyon, Adel Ben Lagha entame sa dernière année de mandat avant un retour programmé en Tunisie en 2018. Le haut-fonctionnaire va poursuivre sa mission intense de représentation et de promotion économique d’un pays « qui souhaite monter en gamme ». Diriez-vous que l’environnement des affaires en Tunisie est favorable aux entreprises étrangères ?
Le business est toujours actif même si il a ralenti au cours des dernières années. La Tunisie enregistre un déficit d’image à deux niveaux. Le premier en raison des évènements politiques et sociaux qui ont suivi la révolution tunisienne en 2010. Le deuxième en rapport au branding de notre pays qui souffre encore d’une image de pays low-cost, une destination de sous-traitance et de tourisme de masse. Bien que nous nous battions seul dans l’indifférence de la communauté internationale, notre petit pays tente avec ses moyens, de sortir de cette période de troubles. Comment définiriez-vous la santé de l’économie tunisienne ?
Le pays enregistre 2,5 milliards de dollars de déficit avec un encours de la dette à hauteur de 60 % du PIB. Après la révolution, les autorités en place ont acheté la paix sociale en embauchant massivement dans la fonction publique (650 000 fonctionnaires) ce qui a plombé les finances. Aujourd’hui, avec un gouvernement stabilisé, de grands projets d’investissements (en hausse de 18 % depuis début 2017) ont été lancés notamment avec la reprise significative de l’activité touristique (+ 30 % au premier trimestre 2017)
et la reprise de l’extraction du phosphate (à 90 % de son potentiel) qui reste notre ressource naturelle majeure. La nouvelle loi sur les investissements effective depuis le 1er avril dernier serait-elle de nature à changer cette image ?
Tout à fait. Cette loi est ambitieuse car elle ne se limite plus aux incitations comme l’accès au marché, les garanties et les droits ou encore le règlement des différends. Elle permet à présent de recruter 30 % de cadres étrangers jusqu’à la troisième année pour toutes les entreprises. Mais plus largement, c’est à travers son plan 2020 (avec 144 projets définis) que la Tunisie affirme ses nouvelles ambitions : construction de nouvelles routes, de chemins de fer, de centres hospitaliers et de centrales photovoltaïques. C’est à dire ?
L’axe Tunis/Sfax/Gabès prédomine grâce à leurs liaisons portuaires et aériennes. Mais il faut absolument développer nos zones intérieures qui ont aussi du potentiel. La région de Tabarka (nordouest) ne décolle pas économiquement. C’est une région agricole, très grande productrice de lait mais seulement, celui-ci ne se vend pas car par exemple, aucun projet industriel de transformation de lait n’est prévu alors que de l’autre côté de la frontière en Algérie, du lait en poudre
est massivement importé. C’est du gâchis. Il faudrait ainsi renforcer notre coopération économique avec l’Algérie. Quels sont les secteurs stratégiques que la Tunisie développe ?
Il y a d’abord le numérique, qui représente 8 % du PIB du pays. Nous possédons les ressources humaines qualifiées et en faisons la promotion auprès des entreprises étrangères afin qu’elle recrutent localement. Le programme Smart Tunisia prévoit l’embauche de 50 000 ingénieurs et techniciens supérieurs grâce à des incitations fiscales, notamment avec des exonérations de charges patronales (sécurité sociale) pendant dix ans. L’aéronautique est l’autre secteur très dynamique. Je rappelle que 80 % des fuselages des Airbus A320 sont réalisés dans la périphérie de Tunis. Je n’oublie pas le tourisme bien sûr, qui embauche 400 000 personnes et qui exploite des projets dans l’agri-tourisme et le haut de gamme avec le développement d’offre thalasso. La Tunisie se présente aussi comme un hub, une porte d’entrée sur l’Afrique. Qu’en est-il exactement ?
Notre croissance passe par l’Afrique. La Tunisie vient d’adhérer au COMESA, le marché commun de l’Afrique orientale et australe regroupant 19 pays. Les liaisons aériennes entre la Tunisie et les grandes capitales africaines sont renforcées. Des coopérations nouvelles avec le Burkina Faso et le Kenya sont également envisagées. Avec l’objectif d’installer des entreprises tunisiennes dans ces pays francophones. Au-delà des chefs d’entreprises, la Tunisie doit aussi convaincre les institutions comme l’Union Européenne ?
Il est indispensable que les aides budgétaires soient versées à la Tunisie pour relancer l’économie. L’Union Européenne prévoit une enveloppe de 500 M€ ce qui est bien en-deçà de ce que les autorités tunisiennes pensent être légitimes pour le pays. Nos relations bilatérales avec nos pays « amis » comme la France et l’Allemagne se poursuivent, cette dernière ayant engagé une conversion de notre dette à travers des projets d’implantations. Le développement international c’est de l’export mais c’est aussi un développement durable via l’implantation. …
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Dossier Auvergne Rhône-Alpes 30 ans de coopération avec Monastir
Culture, formation, recherche scientifique, développement durable… La coopération entre le gouvernorat de Monastir et la région Auvergne Rhône-Alpes remonte aux liens tissés entre Lyon et Habib Bourguiba (président de la République tunisienne
de 1957 à 1987) originaire de cette ville cotière du centreest de la Tunisie qui se fit opéré à Lyon en 1984. Une convention de coopération a été signée en 2000 avec le Gouvernorat de Monastir et plusieurs projets ont vu le jour, dont un programme
d'amélioration de la production laitière. Par ailleurs, dans le cadre d’une coopération décentralisée et d’une collaboration avec l’ANME (Agence nationale pour la Maîtrise de l’Energie) en Tunisie, l’INES Lyon, Centre de recherche
Investissements : des promesses à hauteur de 15 milliards d’euros La grande conférence internationale baptisée « Tunisie 2020 » organisée fin 2016 en Tunisie par l’Etat tunisien afin de récolter le maximum de promesses d’investissements a semble-t-il tenu toutes ses promesses. Près de 15 milliards d’euros d’investissements ont été officiellement enregistrées. Après avoir engagé sa transition démocratique, la Tunisie doit à présent prendre le chemin de la transition économique relatent à l’unisson certains observateurs et experts financiers. Les prévisions de croissance de la Banque centrale tunisienne qui table sur + 2,3 % en 2017, conforte la reprise amorcée en 2015 (+ 0,8 %) puis en 2016 (+ 1 %), malgré un endettement critique qui a poussé le gouvernement à signer un nouveau crédit de 2,9 milliards de dollars avec le Fonds monétaire international, dont une équipe, localement détachée, évalue actuellement l’avancée des réformes mises en place. Le nouveau code de l’investissement bien accueilli au passage par les autorités françaises est de nature à entrevoir une reprise de l’activité.
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et de formation sur l'énergie solaire et le bâtiment participe au programme Prosol en Tunisie (qui démarre en mai) destiné à promouvoir l’eau chaude solaire collective en milieu résidentiel par l’installation de chauffe-eau solaires.
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« ON NE PEUT PAS IGNORER LA TUNISIE » Invitée d’honneur du salon Planète PME, organisé par la CPME, en octobre 2016 à Paris, la Tunisie n’a pas tardée à transformer l’essai en nouant des relations ténues avec l’organisation patronale et précisément sa section du Rhône présidée par François Turcas, via d’abord une mission de prospection en Tunisie puis par la réception fin mars 2017 d’une délégation tunisienne à Lyon emmenée par l’actuel ministre des Finances Fadhal Abdelkefi. « Nous avons pu par ailleurs rencontrer notre homologue tunisienne, la Conect (NDLR : Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie, présidée par Tarak Cherif ) lors d’une autre mission, cette fois-ci en Côte d’Ivoire et avons pu appré-
délégation tunisienne accueillie par la CPME et François Turcas, ici autour d'Alain La Mérieux
hender l’appétence forte des autorités en place à promouvoir à la fois leur pays mais également les entreprises tunisiennes à l’étranger pour le développement de courants d’affaires. A l’instar du Royaume du Maroc qui est encore plus offensif
pour s’ériger comme hub incontournable en Afrique et qui n’hésite pas à investir en masse, par exemple à Abidjan et plus largement sur une bonne partie de la côte ivoirienne » explique Pierre-Jean Baillot, responsable de l’international à la
CPME du Rhône. « Un pays francophone, proche, sur le même fuseau horaire et des entreprises connectées et engagées sur le chemin de la croissance sont autant de signaux positifs que nous ne pouvons pas ignorer » ajoute-t-il.
LES ENTREPRISES DU DIGITAL D’UN INTÉRÊT PRUDENT
Ciblé comme prioritaire par les autorités tunisiennes, le digital, et plus particulièrement le secteur des technologies de l’information et de la communication représente environ 7 % du PIB et emploie près de 80 000 personnes au sein de 1 800 entreprises. « Les entreprises françaises du numérique étudient bien évidemment les opportunités de business en cherchant des partenariats gagnants-gagnants, pour l’instant les possibilités de coopérations restent limitées, sans parler du contexte
politico-social encore instable qui ne favorise pas encore les échanges » note Mary-José Sylvain, directrice de l’ADIRA, association regroupant les entreprises du digital en Auvergne Rhône-Alpes. Et cette dernière de préciser que « se sont les entreprise de service du numérique (ESN, ex-SS2I) qui possèdent les meilleurs atouts pour se développer en Tunisie ». A l’occasion du salon SITIC Africa, qui a eu lieu en avril à Tunis, l’ADIRA avait justement pu emmener une délégation d’entreprises lyonnaises pour rencontrer et échanger avec les acteurs locaux du secteur des TIC. Parmi les exemples notoires d’implantation durable, CEGID a ouvert en 2010 un centre de compétence à Tunise avec deux partenaires locaux : Timsoft et Nexus groupe, distributeurs exclusifs de produits Cegid. L’objectif de cette structure locale est de contribuer à l’amélioration de la performance des entreprises publiques et privées tunisiennes et à adapter l’informatique à leurs besoins spécifiques. Les solutions offertes par le groupe lyonnais, qui intègrent outre les éléments de gestion, la traçabilité et la dématérialisation, favorisent plus largement la bonne pratique en matière de e-administration, autant d’expertises que recherchait le gouvernement tunisien. économie samedi 6 mai 2017 | vendredi 12 mai 2017
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