TRANSFUGE N°95

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Février 2016 / N° 95 / 6,90 €

Choisissez le camp de la culture

" Paris est un mythe indestructible " + une sélection de romans français et étrangers : G. R. Hallberg, William T. Vollmann, Avraham B. Yehoshua, Richard Flanagan, David Cronenberg, Jean-Yves Jouannais

Charlie Kaufman dynamite le cinéma américain. Interview fleuve avec le réalisateur d’Anomalisa


Un Laferrière drôle, sexuel, frivole, insolent, libre de toute idéologie

D’

par Vincent Jaury

abord un constat de satisfaction. Il y a quelques mois, François Bégaudeau attaquait dans ces colonnes le roman de Virginie Despentes, Vernon Subutex 1, en démontrant à travers une analyse rigoureuse en quoi il y avait chez cette autoproclamée romancière punk des relents réactionnaires. Chose en elle-même qui pour moi n’est pas bien grave – je mets Drieu et Léautaud dans mon panthéon –, mais surtout et essentiellement qui n’avait jamais été dite aussi clairement que dans cet article. Des mails d’insultes nous étaient arrivés, Arnaud (Viviant) m’interpellait au Prix de Flore, après quelques verres de champagne, pour me dire que l’article était un scandale, que c’était l’incarnation littéraire de la gauche révolutionnaire qu’on assassinait. Cette gauche si révolutionnaire que madame Despentes acceptait il y a quelques jours de siéger dans le Saint des Saints du milieu littéraire, dans l’establishment parisien le plus incontestable, dans le jury du Prix Goncourt en lieu et place de Régis Debray. L’article de Bégaudeau avait quelques mois d’avance pour dire ce que montra ce choix de Despentes : le punk a perdu un de ses membres, définitivement. Même sa déclaration très convaincante donnée au Figaro ne me fit pas changer d’avis : « On peut donc se demander pourquoi je rejoins le jury Goncourt. La raison en est simple : j’ai accepté parce qu’on me l’a proposé. » Parlons maintenant littérature. Cette deuxième partie de rentrée littéraire est riche en découvertes et en entretiens. Des découvertes, Stéphane Fière, Adam Foulds, Pablo Casacuberta, Bina Shah et bien d’autres… Des auteurs que les critiques littéraires de Transfuge vont chercher dans les marges et que vous ne trouverez pas ailleurs. Et des entretiens, fouillés, longs, avec Dany Laferrière, dont on réédite les premiers romans sous le titre générique de Mytholgies américaines, drôles, sexuels, frivoles, insolents, libres de toute idéologie ; ce qu’il nous faut aujourd’hui après les horreurs vécues. Un auteur cosmopolite aux sombres heures du repli identitaire forcené, qui a cette jolie formule : « Je n’ai pas de ligne droite dans ma tête. » Le sebaldien et borgesien Jouannais nous a ouvert les portes de son atelier pour nous raconter son obsession des guerres ; un vrai collectionneur comme on les aime. Il aurait même échangé ses exemplaires de La Recherche contre des livres sur la guerre (quelle erreur, cher Jean-Yves !). Sauf

livres

Le Temps retrouvé qui pour lui est le meilleur livre sur la Première Guerre mondiale. On a eu par mail un des grands romanciers de la littérature israélienne, de la génération d’Amos Oz, Avraham B. Yehoshua. Il nous parle de sa passion pour Debussy, Mozart, et de l’état catastrophique dans lequel se trouve politiquement son pays, avec une droite plus raciste que jamais selon lui. Nous avons aussi rencontré l’Australien Richard Flanagan qui a reçu le Man Booker Prize en 2014 pour son roman La Route étroite vers le nord lointain. Un roman viril, poétique, sous influence tolstoïenne, sur la Seconde Guerre mondiale, autour de la construction d’une voie ferrée entre le Siam et la Birmanie. Et une interview de celui qui fait l’événement d’édition de cette rentrée (le plus gros contrat jamais signé en France pour un roman étranger), l’Américain G. R. Hallberg, qui signe un roman monstre, City on Fire, fresque balzacienne sur le New York des années soixante-dix. Et William Vollmann, dont Actes Sud sort le premier roman, jamais édité en France, Les Anges radieux, où tout le génie de l’Américain est déjà en germe. C’est une interview exclusive par téléphone de cet immense écrivain que Transfuge suit depuis toujours. Bref beaucoup, beaucoup à lire dans ce numéro, à l’heure où l’espace dédié à la littérature dans la presse se réduit à peau de chagrin.

ÉDITO / Page 3


sommaire Page 32

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rentrée littéraire

news

3 /  Édito 6 /   On

N°95 / FÉVRIER 2016

prend un verre avec l’historien Pascal Ory

chroniques nez dans le texte de François Bégaudeau 10 / La bonne séquence de Nicolas Klotz 12 / Le projecteur de Caroline Fourest 8 / Le

journal de Virginie Maris poétesse libanaise Vénus Khoury-Ghata retrouve la mémoire.

14 / Le

16 / La

18 / Club

de la librairie Ombres blanches 22 / L’avis de la librairie Coiffard 24 / Croyez ce que vous voulez… 26 / News radio : Catherine Fruchon-Toussaint 28 / News radio : Tewfik Hakem 30 / News radio : Laurent Sapir 20 /L’avis

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DU CÔTé DE LA LITTéRATURE

32 /  La rentrée d’hiver est riche.

On vous fait une deuxième sélection en février avec plein de rencontres : Dany Laferrière, Avraham B. Yehoshua, William T. Vollmann, Jean-Yves Jouannais, Richard Flanagan, Garth Risk Hallberg. Et des découvertes que vous ne lirez pas ailleurs.

78 /  Polar 80 / On

déshabille le pop et ésotérique Pacôme Thiellement.

82 / poches


Richard Flanagan Richard Flanagan La route étroite vers le nord lointain roman traduit de l’anglais (Australie) par France Camus-Pichon

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charlie kaufman

SUR LES éCRANS

84 / Édito 86 /  L’événement :

Charlie Kaufman nous parle d’Anomalisa. Un prodige d’animation.

92 /  Sélection films : On

a vu beaucoup de films, mais on a sélectionné pour vous les meilleurs du mois.

102 /  DVD

106/  En

ville des lieux

108 / États

ACTES SUD

MAN BOOKER PRIZE “Nous n'oublierons pas de sitôt ce magnifique roman des voix et des ténèbres, de la folie et de l’amour, de la mémoire et de l’oubli. LA MEILLEURE fiction de l'année, déjà ? Peut-être bien !” Bruno Corty, Le Figaro Littéraire

“Une superbe épopée du virtuose Richard Flanagan.” Emmanuel Hecht, L’Express

“Une main tendue vers l’autre, une méditation sur la frontière entre le bien et le mal à l’épreuve de la folie humaine.” Laëtitia Favro, Le JDD

SÉLECTION JDD / FRANCE INTER

ACTES SUD


j’ai pris un verre avec…

Pascal Ory

par Jeanne Ferney photo Thomas Pirel

E © DR

n bon historien, Pascal Ory a toujours une anecdote sous le coude. Tenez, sur ce restaurant de la rue de Rivoli où je le retrouve, La Tartine : « Le groupe Panique le fréquentait, à commencer par Roland Topor », m’apprend-il. Un an après les attentats de janvier 2015, ce professeur

« Les terroristes sont plus individualistes que jamais » Ce que dit Charlie. Treize leçons d’histoire Gallimard 248 p., 15,90 e

d’histoire contemporaine à Paris I publie Ce que dit Charlie (Gallimard), une analyse des événements à travers une dizaine de clés d’interprétation, de « Sidération » à « Soumission », de « Laïcité » à « Liberté d’expression ». Critique de BD, Pascal Ory s’est intéressé de longue date au dessin de presse, ce qui l’a amené à rencontrer Cabu, devenu un ami. « Entendre le nom de Cabu parmi les victimes fut un choc, mais l’objet de ma sidération fut surtout la réaction de la société française. » Sa surprise face à « un retour du religieux » qui remonte pourtant aux années soixante-dix, avec pour point d’orgue la révolution iranienne – « Jusque-là, l’avant-garde politique au Moyen-Orient est laïque. L’intérêt compulsif des Occidentaux pour l’islam naît à cette époque. » Avec Charlie ont ainsi ressurgi de vieux débats français que l’on croyait dépassés : sur la liberté d’expression (et ses limites), sur la laïcité

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(en particulier sur le rapport des institutions politiques au religieux), mais aussi sur la nation, sujet de prédilection de Pascal Ory. « Je n’ai jamais été convaincu par la thèse selon laquelle la nation est obsolète. Là encore, ce qui me surprend dans le débat sur la résurrection des symboles, c’est la surprise des observateurs devant les drapeaux tricolores brandis en janvier. Aux États-Unis, pays d’immigrants, les symboles nationaux sont capitaux. Même dans un pays de vieille origine comme le Danemark, le citoyen standard a un drapeau dans son jardin. C’est la France qui est étrange ! » Si nouveauté historique il y a, elle est à chercher du côté de l’individualisme, selon Pascal Ory. Celui des terroristes, « plus individualistes que jamais, d’où l’embarras des services de renseignements » ; et celui de la réponse au terrorisme. En l’occurrence les « marches républicaines » des 7, 10 et 11 janvier, avec leurs pancartes clamant « Je suis Charlie/flic/juif ». Désormais, la question reste de savoir quelle « carte » la société française jouera face au djihadisme. Si les terroristes, par le passé, ont toujours échoué à renverser les régimes qu’ils visaient, Pascal Ory rappelle qu’ils sont souvent parvenu à les durcir. « S’il y a demain une nouvelle vague d’attentats, vous imaginez bien que la répression et le contrôle de l’opinion vont encore augmenter. » La démocratie libérale tiendra-t-elle le coup ? l’interroge-t-on. « Elle peut disparaître, non pas à cause des “méchants”, mais parce qu’elle ne sera plus une ressource pour nos sociétés, qui auront intérêt à se tourner vers une solution autoritaire, voire totalitaire. La société a toujours raison. On pourrait ajouter : hélas ! »



Le roman n’est pas romanesque

E

par François Bégaudeau

Les Gens dans l’enveloppe Isabelle Monnin JC Lattès 370 p., 22 e

n juin 2012, Isabelle Monnin achète, par Internet et pour une misère, un lot de photos privées. Fascinée par ces clichés où posent un, deux, quatre membres d’une famille française des années soixante à quatre-vingt, elle leur imagine une histoire, qui donnera la partie I (Les Gens dans l’enveloppe, le roman), car « c’est sans doute cela être romancière, avoir des livres qui poussent dans les interstices de tout ». Puis, gageant que les individus argentiques sont encore vivants, elle se lance dans une recherche dont elle raconte les étapes en seconde partie : Les Gens dans l’enveloppe, l’enquête. Autant dire que ce livre, franc succès de la rentrée de septembre, offre en pâture au théoricien de la littérature une expérience possiblement riche d’enseignements. D’autant que Monnin assure, et on la croit, avoir respecté le « pacte » : elle n’a pas « modifié l’intrigue du roman une fois l’enquête achevée ». Ce n’est pas tous les jours qu’on peut mettre en miroir, page pour page, la vie telle qu’imaginée et la vie telle que vécue. Et ça donne ? Ça donne de troublants recoupements. Au premier chef le prénom Laurence, attribué par la fictionneuse à la jeune fille présente sur nombre de photos, et que « l’enquête » révèle être le bon. L’auteure a beau modestement expliquer la coïncidence par la vogue dudit prénom dans les milieux populaires des années soixante-dix, cela dénote au bas mot un certain flair sociologique. Aussi vrai que, forte de sa connaissance de la Franche-Comté ou une autre coïncidence veut qu’elle ait elle-même grandi, elle a vu juste en imaginant, à partir de l’absence criante sur les photos d’une femme de l’âge supposé de la mère de Laurence, une fugueuse étouffée par le vase clos des destinées ouvrières de l’époque. Ça donne aussi, bien sûr, des écarts. D’abord parce que, comme on sait, la vie dépasse la fiction, comme le corps d’un géant dépasse d’une foule. « L’inimaginable vie des gens » offre souvent plus de surprises qu’un roman. Celles qu’on croyait sœurs sont en fait mère et fille, et les deux s’appellent Germaine et aiment le même homme – ça ne s’invente pas. Ensuite parce que, comme on le sait moins, la vie est plus petite que la fiction. Si le roman de la vie n’est pas imaginable, c’est parce qu’il n’est pas romanesque. La mère fugueuse n’a pas suivi un bel exilé politique argentin rencontré à l’usine, comme l’a fantasmé la première partie, mais un gars bien de chez nous, ni exilé ni politique. L’existence est ainsi, ruisseau de détails quotidiens qui s’écoule en

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le nez dans le texte

marge des grandes eaux du récit. Or Isabelle Monnin n’est pas si avide de détails. Les faits mis au jour par l’enquête ne l’intéressent qu’en tant qu’intégrables au canevas où elle dessine, non des existences dûment erratiques, mais des destins. En cela, elle est plus romancière qu’enquêtrice. Ou plus romanesque que romancière, si le romanesque est cette part du roman qui doit s’arracher à la glaise du réel pour ériger ses châteaux. De là son acharnement à enserrer Michel, le père de Laurence, dans la psychologie de l’abandon, motif-roi de la fiction des années deux mille. Et certes le parcours de ce cheminot lui en fournit la matière : enfant, il a été laissé par sa mère à ses grands-parents, et adulte quitté successivement par deux femmes. Mais lui-même s’est-il présenté comme marqué par le sceau de l’abandon ? A-t-il seulement prononcé ce mot lors des entretiens enregistrés ? Est-ce lui qui, évoquant l’habitude qu’il avait de perdre des heures à la gare du coin, en a tiré les hypothèses suivantes : « J’imagine son cœur se soulever quand une locomotive arrivait. Espérait-il qu’elle lui ramenait sa mère, ou alors qu’elle allait l’emmener vers elle ? » La réponse est dans la citation : c’est bien la narratrice qui « imagine ». Et son imagination est circonscrite à la glose psy. Elle confine le fait dans une épaisseur de sens, recolle les bouts (« Alors ») pour forger des synthèses distillées au long de l’enquête biographique exhaussée en discours universel : « Les blessures dues au manque de mère se soigneront à la peau douce d’une femme. » Voici Michel enroulé dans la pelote de significations que tisse Monnin. Qu’elle tisse non plus seulement à partir de la documentation accumulée au fil des rencontres, mais aussi des souvenirs qu’elle garde de sa propre enfance solitaire, de sa sœur morte trop tôt, etc. L’auteure s’intéresse moins aux gens dans l’enveloppe qu’à ce qu’elle retrouve d’elle en eux. Elle dirait sans doute que c’est cela être romancier, et l’on ne serait pas obligé d’être d’accord. « Le temps du roman est terminé. Je dois être fidèle à ce que me donne Michel », écrit-elle au mitan de « l’enquête », et cette promesse contient l’aveu qu’elle est déjà trahie. Déjà Michel est devenu « l’enfant abandonné ». Déjà la fiction œdipienne l’a absorbé. Et ce n’est pas lui qui pendant les entretiens a parlé ainsi d’un tournant de son parcours : « L’autre vie commence. Elle est belle et triste comme une chanson de Leonard Cohen. » Ce ne sont pas ses termes. Et que reste-t-il d’une vie quand on retranche les termes dans lesquelles elle se vit ?


© Danko Steiner

« Un premier roman saisissant sur l’Amérique désenchantée post-11 septembre. Sombre, lyrique, virtuose. » Marine de Tilly, Transfuge

www.calmann-levy.fr


Relire Salman Rushdie Par Caroline Fourest

I

l faut relire l’autobiographie de Salman Rushdie. Joseph Anton (Folio, 2013), du faux nom qu’il a utilisé pendant des années pour se cacher. Parce qu’il a vécu, avant tout le monde, dans la solitude des éclaireurs, toutes les lâchetés que peut subir un esprit libre pris pour cible par les fanatiques au cœur d’une démocratie. On retrouve dans son livre tous les ingrédients d’une affaire pour « blasphème », expérimentés par Taslima Nasreen au Bangladesh et en Inde, par Theo van Gogh aux Pays-Bas, par le JyllandsPosten au Danemark ou par Charlie en France. Rushdie l’a expérimenté parmi les premiers, sans repères, sans précédent, et mettra dix ans à se fabriquer un mode d’emploi et de survie. Lorsque la fatwa de Khomeini s’abat sur lui en 1989, il n’est qu’un écrivain à succès d’origine indienne vivant à Londres. Personne, surtout pas lui, ne peut prédire alors qu’un simple roman, Les Versets sataniques, va déclencher une telle tornade. La façon même dont le vent s’est levé est le plus passionnant à redécouvrir, grâce aux souvenirs intacts, précis, chirurgicaux de l’auteur. Une amie journaliste croit pouvoir prédire que le livre choquera des croyants. Et voilà qu’ils se sentent obligés d’être choqués. Sans avoir lu le livre, bien sûr. Comme toujours, un leader communautaire survolté croit tenir son heure de gloire médiatique en excitant ses congénères. Puis la colère voyage et trouve acquéreurs. En l’occurrence, le régime des mollahs. Il faut imaginer la violence qui s’abat alors sur la vie d’un homme, placé sous protection, obligé de se cacher, de mendier une place où dormir, constamment obligé de changer de maison, qui n’a plus de relations normales avec personne, dépend des autres, et se voit en prime régulièrement accusé, par les conservateurs comme la gauche bien-pensante, de l’avoir bien « cherché ». Page 12 / TRANSFUGE

le projecteur Rien ne peut préparer un homme libre à devenir l’ennemi public numéro un d’un régime totalitaire, qui va envoyer des tueurs, des années durant, pour l’éliminer. Ils auraient réussi si Salman Rushdie n’avait pas été protégé par les officiers de la Special Branch (les services de protection britanniques), si plusieurs de leurs complots n’avaient pas été déjoués. Mais cette protection a un coût, terrible. Vous devenez un enfant, un prisonnier… Qui doit demander l’autorisation pour tout. Pour sortir, se loger, se déplacer, ou même voir son fils. Ceux qui vous protègent à contrecœur, en l’occurrence le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher, n’hésiteront pas à faire pression sur l’être déjà écrasé que vous êtes pour vous faire reculer et vous demander de vous excuser. Alors que vous êtes devenu une cible, les soumis se déchaînent et rivalisent en conjectures médiocres. Les tabloïds s’émeuvent que votre protection coûte cher ou font parler vos proches pour vous trouver tous les défauts de la terre (mauvais caractère, égoïste, mauvais écrivain). Vos proches même, parfois, vous trahissent. Sous la pression de la peur ou de la lumière. Le pire portrait de ce livre étant certainement celui de l’une des compagnes de Salman Rushdie, Marianne, une écrivaine fragile, avide de gloire, qui va jusqu’à inventer toutes sortes d’histoires pour être enfin au cœur de l’histoire, quitte à mettre son amant en danger. L’intérêt de cette autobiographie est là. Faire mesurer à ceux qui ne l’ont jamais vécue la véritable dureté du courage. Elle n’est pas de voir sa vie basculer à cause de quelques lignes ou d’un dessin, par la seule volonté de quelques monstres, mais dans la mesquinerie et la lâcheté des démocrates qui vous entourent et ajoutent leurs crachats aux menaces. C’est ce que raconte si bien Salman Rushdie, avec un style sec, détaillé, épuré, qui ne l’épargne pas lui-même lorsque, déboussolé, il finit par faiblir. Par rencontrer des leaders musulmans pour s’amender, ou par espérer négocier avec le régime iranien que la fatwa soit levée. Rien n’a marché. Les salauds trahissent toujours. Et Salman Rushdie le répète aujourd’hui à qui veut l’entendre : il ne faut jamais céder. La lâcheté n’a jamais calmé le moindre monstre.


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le journal de

Je pédale pour me presser un jus pommesbetteraves au bar à énergie positive

© DR

Repenser les valeurs de la nature : telle est l’ambition de ce très bon livre de Virginie Maris, Philosophie de la biodiversité.

Mardi 1er décembre

Philosophie de la biodiversité Virginie Maris Buchet/Chastel 224 p., 17,25 e

Gare du Nord. Des agents d’accueil épinglés COP21 nous dirigent vers les files d’attente des bornes RATP. L’achat d’un ticket pour Le Bourget est un véritable casse-tête pour les non-initiés. Les RER se succèdent pendant que les files s’allongent. Ce n’est qu’un prélude. Il faut ensuite attendre le train, suivre à pas lents le dédale qui mène aux navettes, attendre encore, longtemps, l’ouverture ratée des portes de l’espace génération. Je me dis que c’est pédagogique. Les gens se parlent, déchiffrent les badges de leurs voisins, photographient deux militaires plantés sur un monticule qui semblent là pour rappeler au monde entier que la France est en guerre. La décarbonisation des modes de vie passera par un réapprentissage de la lenteur, autant s’y mettre tout de suite. J’interviens dans une table ronde organisée par l’UNESCO sur l’éthique des changements climatiques. Comment penser la justice dans un monde qui s’échauffe et redessine les contours du pouvoir et de la vulnérabilité ? Dans cet espace ouvert au public pendant les négociations, tout est lisse, brillant, lumineux. J’étudie l’amphithéâtre en palettes, soupçonnant celles-ci de n’être pas véritablement réutilisées, mais produites pour l’occasion. Je pédale pour me presser un jus pommes betteraves au bar à énergie positive. Je m’abstiens de photographier les nombreux représentants des peuples autochtones venus défendre la survie de leur culture et de leur communauté qui donnent au Hall A des allures de musée ethnographique.

Mercredi 2 décembre

Je souhaitais dédier cette journée au tourisme climato-culturel : 104, Gaîté lyrique, maison des Métallos, Cité des sciences, partout dans la ville fleurissent les projets qui mêlent art, science et mobilisation sociale pour développer d’autres récits de la crise climatique, ouvrir d’autres perspectives que le traitement technocratique des négociateurs de la COP. Mauvais calcul. J’ai un manuscrit de thèse lourd comme trois briques à évaluer pour la fin de la semaine. Je cherche en vain le café idéal pour travailler, me fais refouler Page 14 / TRANSFUGE

de la majestueuse BNF Richelieu faute de carte d’étudiant, échoue finalement dans une petite bibliothèque municipale où je passe la journée à m’instruire du « bien propre des écosystèmes ».

Jeudi 3 décembre

Muséum national d’histoire naturelle. Dix heures de réunion à évaluer collectivement des projets qui m’emmènent aux quatre coins du monde et du temps, des mammouths laineux aux invertébrés benthiques de Papouasie Nouvelle-Guinée. Contactée dans l’après-midi pour participer in extremis à une table ronde le soir avec Vandana Shiva et Gilles Boeuf, j’arrive en retard et essoufflée après une évacuation du métro pour cause de colis suspect, prête pour un cours magistral de philosophie environnementale. Le modérateur m’interrompt au point I.A.b. de ma démonstration et s’assure que je ne remette plus la main sur le micro. Définitivement nulle en com, je devrais demander à V. Shiva des cours de slogans.

Mardi 8 décembre

Participation à distance à une soutenance de thèse au département de philosophie de l’Université de Montréal. 5 000 kg de CO2 économisés par une bonne connexion, c’est comme si j’y étais. Après délibération, nous déclarons solennellement à l’impétrant (un mot comique que je n’ai jamais entendu dans la vraie vie) qu’il est admis. Ma gorge se noue en réalisant que la dernière fois que j’ai entendu ces mots dans cette salle, c’est lorsque j’y ai soutenu ma thèse il y a presque dix ans.

Mardi 15 décembre

Invitée à l’avant-première du film Les Saisons de Jacques Cluzaud et Jacques Perrin, le débat se poursuit autour d’un verre, découvrant quelques astuces de tournage et délibérant sur le retour du sauvage. Comme c’est plus fort que moi, je joue l’avocat du diable. J’insiste sur sa dimension conflictuelle, sangliers, loups et requins bouleversant l’ordre social au moins autant qu’ils enrichissent la nature.


RCS Radio France : 326-094-471 00017 - CrĂŠdit photo : Christophe Abramowitz / RF

lude culturel

paula jacques cosmopolitaine

dimanche 14 : 00 - 15 : 00


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