TRANSFUGE N°117

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Mars 2018 / N° 117 / 6,90 €

All, Bel, Esp, Ita, Lux, Port Cont, DOM, Rou : 8,90 € - Mar : 84 DM - Can : 13,60 $CAD

TRANSFUGE

T \ #117 \ 03- 2018

Choisissez le camp de la culture

RETOUR SUR UN CLASSIQUE

ISAAC BASHEVIS SINGER

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3’:HIKTMF=YU[^U^:?a@b@l@r@a"; CINÉMA Hostiles et Eva, les deux grands films du mois 00-CVT_P001.indd 1

LITTÉRATURE Theodor Herzl par Camille de Toledo

THÉÂTRE Interview fleuve avec Emmanuel Demarcy-Mota 15/02/2018 18:19


©Jean-Luc Bertini

“Une quête de bonheur – et de sens.”

G. Marivat, Le Monde des livres

“Aussi intelligent que viscéral.”

D. Aubel, Transfuge

“Un western initiatique.”

C. Simon, Le Matricule des anges

www.editions-metailie.com

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L'art du grincement

T

par

Vincent Jaury

out à fait par hasard, trois des sujets centraux de ce mois dans Transfuge, se fondent sur un même axiome : la friction entre deux mondes. Précisément, entre un monde ancien et un monde nouveau. Quoi de mieux pour l’art, que cette friction, source de disharmonie donc d’énergie, de résistance et de libération. Conséquence logique : tremblement, doute, voire chaos. C’est à cette place même que se situe le grand écrivain yiddish Isaac Bashevis Singer (1902-1991), prix Nobel de littérature en 1978, auquel nous consacrons un long dossier. L’art entier de Singer se situe à la croisée de ce monde juif polonais orthodoxe dont il est issu, et ce monde sécularisé auquel peu à peu il adhère. Complexité de l’auteur : il restera, dans son oeuvre et dans sa vie, toujours attaché à la branche irrationnelle du judaïsme. Imaginaire hybride et puissant, qui a permis la création de personnages inoubliables, grotesques, pathétiques ou per vers, comme dans cet incroyable inédit venant de paraître, Keila la Rouge ( Stock). Autre monde qui s’effondre et renaît : celui des Amérindiens dans le très beau western Hostiles de Scott Cooper avec Christan Bale parfait et taiseux à la John Wayne. Là encore, Cooper est judicieux dans son choix d’époque, qu’il situe une fois le génocide indien à peu près terminé, à la fin du XIXe siècle. Un capitaine de l’armée américaine a pour mission d’accompagner un chef indien cheyenne du Nouveau-Mexique vers le Montana. Ces deux-là se haïssent, car leurs hommes se sont entretués pendant des années. L’histoire du film se nourrit de cette tension : vont-ils réussir durant ce long trajet à s’apaiser ? Se rapprocher ? Se montrer capable d’amour, en s’affranchissant du vieux monde où l’esprit de vengeance dominait ? Au théâtre, se jouera en mars et avril L’Etat de siège d’A lbert Camus, mise en scène par Emmanuel Demarcy-Mota. Pièce passionnante, jamais jouée depuis 1948. Je ne me souvenais pas que Camus ait pu être si à gauche (quoique toujours à la droite de Sartre

qui soutint longtemps Moscou et les goulags). Le vieux monde, raconte Camus, avait aussi des avantages, contrairement à ce que clame la militance, par essence binaire. Au début de la pièce, les hommes et les femmes dansent, flânent, rient, charment. Leur voix est douce, la musique apaisante, les gestes lestes. Ce monde libre, paisible, se fracasse d’un cou à l'arrivée de la peste. Un nouveau monde naît, ressemblant au nôtre à bien des égards, même s’il est dit par l’auteur qu'il est une allégorie du totalitarisme. Il s’agit aussi d’un monde asservi à la technique et à la rentabilité. Coucou Heidegger, que Camus et les autres philosophes lisaient attentivement dans l’après-guerre. Un des personnages ne dit-il pas : « Un mort c’est rafraîchissant, mais c’est pas rentable. Ca ne vaut pas un esclave. Aujourd’hui nous avons des techniques pour asservir » ? Les statistiques : « Quand vous avez un fichier de 372 000 hommes, qu’est-ce qu’un homme ? » ou bien : « Etre ou ne pas être réglementaire », dit le pouvoir. Inutile d’aller voir Hitler ou Staline, c’est de notre société dont il parle. La révolte va gronder, bien sûr : « N’ayez plus peur, jetez vos contrats » dit Diego l’amoureux et le libertaire. Le nietzschéen qu’était Camus finit en beauté. On dépasse le politique pour aller du côté de La Naissance de la tragédie. Lui qui comme Nietzsche se sentait chez lui dans ce monde grec d’avant Platon. Ce monde grec où le dionysiaque (la démesure, l’instinct, le chaos primordial) s’équilibrait à merveille avec l’apollonisme (la mesure, le calcul) avant de disparaître devant le monde non poétique, logique, de Platon. C’est évidemment au dionysiaque que Camus pense, dans cette tirade magnifique de « l’artiste », à la fin de la pièce, jouée à la perfection par Hugues Quester : « La mer furieuse a la couleur des anémones. Elle nous venge. Sa colère est la nôtre. Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin est la folie de l’homme. Une grande folie qui pense loin. (...) O mer, patrie des insurgés, voici ton peuple qui ne cédera jamais. La grande lame de fond, nourrie dans l’amertume des eaux, emportera vos cités horribles. » ÉDITO / Page 3

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DOSSIER I.B SINGER

NEWS

3 /  Edito 6 /  On

prend un verre avec Hafsia Herzi

ce que vous voulez

12 /  Interview

express : Christian Authier

14 /  Interview

express : Elizabeth Brundage

16 /  Interview

express : Elsa Osorio

18 / En

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HOSTILES

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DU CÔTÉ DE LA LITTÉRATURE

vous avons choisi deux livres ce mois-ci : Herzl, puissant roman graphique sur le premier homme qui a oeuvré pour un Etat juif signé Camille de Toledo et Alexander Pavlenko. Et, dans le sillon de Thomas Bernhard, le polonais Jacek Dehnel, et son furieux roman Krivoklat.

Isaac Bashevis Singer A l’occasion de la parution d’un excellent roman inédit, Keila la Rouge, retour sur le plus grand écrivain yiddish du XXe siècle, prix Nobel de littérature en 1978.

32 /  Dossier

nez dans le texte par François Bégaudeau

10 /  Croyez

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22 /  Nous

CHRONIQUES 8 /  Le

N°117 MARS 2018 © LAURENT BLACHIER

SOMMAIRE

coulisse : Marie-Sophie Calot de Lardemelle

20 / L’homme

pressé

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10 mars

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28 février

E.DEMARCY-MOTA

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SUR LES ÉCRANS

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Un spectacle de Wajdi Mouawad

50 /  Nous

vous avons sélectionné les meilleurs films du mois, dont deux événements : Hostiles de Scott Cooper et Eva de Benoît Jacquot.

76 /  Cycle,

DVD

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EN VILLE

80 /  Scène :

On a choisi pour vous le meilleur de la scène ce mois-ci, dont trois très belles pièces : L’Etat de siège de Camus, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota, The Great Tamer de Dimitris Papaioannou et Fin de l’Europe de Rafael Spregelburd.

98 /  Art

: Deux expos à ne pas rater : celle du photographe Zbigniew Dlubak, à la Fondation Henri Cartier-Bresson, et celle, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, autour de Georges-Henri Pingusson.

108 /  Festival

« Une nouvelle fois, Wajdi Mouawad enflamme les planches….[…] Il est d’abord et avant tout un exceptionnel raconteur d’histoire, et celle-ci vous attrape dès les premières secondes pour ne plus vous lâcher. » Le Monde

114 /  En

route ! Va devant !

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J’AI PRIS UN VERRE AVEC… HAFSIA HERZI

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Par Nathalie Dassa P hoto F ranck F erville

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endez-vous à La Vielleuse, le café historique de Belleville. Son quartier fétiche, son QG aussi, là où elle fixe ses rendez-vous professionnels, où elle se sent bien. Doucement, nous avons ainsi abordé sa carrière, ses inspirations et son travail. Car Hafsia Herzi est à l’affiche de L’Amour des Hommes, le troisième long métrage de Mehdi Ben Attia, qui bouleverse les stéréotypes tunisiens en posant un regard singulier sur une jeune photographe, l’art, le désir féminin, la perte de l’être aimé et les hommes, objets de désir. « Je me sens

« il est plus impudique de pleurer que de montrer son corps » L’AMOUR DES HOMMES

de Mehdi Ben Attia, avec Hafsia Herzi, Raouf ben Amor, Haythem Achour… Epicentre Films, sortie le 28 février

proche de ce personnage, cette artiste libre qui photographie des hommes dénudés, érotisés, ce n’est pas commun en Tunisie. Ce parti pris m’a plu ». Car Hafsia évite la facilité. Après L’Apollonide ou encore Sex Doll, elle continue ainsi de s’affirmer à travers des portraits de femmes atypiques, que certains désapprouvent et lui disent : « En raison de mes origines tunisienne et algérienne, on me reproche souvent mes choix, comme si c’était une honte. Pourtant il est plus impudique de pleurer que de montrer son corps. Faire jaillir l’émotion relève de l’intime. La nudité fait partie du métier d’actrice. Mais si cela ne sert pas le scénario, je refuse. Ma mère, qui vient du bled, fait des ménages et ne sait ni lire ni écrire,

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m’a toujours encouragée à casser les clichés. Mes frères aussi. » Hafsia sait ce qu’elle veut et tend vers ce qu’elle aime. La famille et l’amour l’inspirent. La sensualité des hommes aussi, même si elle préfère contempler les femmes. Elle est particulièrement sensible aux beautés picturales bien en chair : « J’aime la volupté, ça m’émeut » me murmure-t-elle. « La liberté que j’ai ressentie dans le scénario de Mehdi, c’est la vie. Il n’a pas peur des jugements, il s’assume ». Pour ce rôle de photographe, elle a entre autres puisé dans son expérience de réalisatrice. Car Hafsia a tourné son premier long, Bonnes mères, dans lequel elle rend hommage à sa génitrice. Un projet qui lui tient à coeur. Celle qui a fêté ses trente et un ans fin janvier en a d’ailleurs profité pour créer sa société de production, Les Films de la bonne mère. Elle veut rendre la chance qu’on lui a donnée et aider des auteurs inconnus du cinéma. Cette année marque aussi ses retrouvailles avec celui qui a métamorphosé sa vie voici dix ans avec La Graine et le Mulet, Abdellatif Kechiche, pour le prochain Mektoub my Love : « Je joue une tata! J’étais un peu stressée. Auparavant, Abdel enchaînait beaucoup de prises, ici tout s’est réduit à trois. C’était comme si je n’avais jamais travaillé avec lui ». Si son rêve est de toujours incarner une princesse des Mille et Une Nuits, elle prépare d’autres projets. Elle rejoint notamment Blake Lively et Jude Law dans le prochain film de Reed Morano. Mais ce que veut Hafsia, c’est continuer à rendre hommage aux femmes, me confie-t-elle, à leur indépendance. Une thématique forte que développe le beau et dérangeant L’Amour des hommes de Mehdi Ben Attia.

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NEW YORK TIMES La maladie de l’extrémisme se déchaîne dans L’État de siège grâce au talent et l’élégance de la mise en scène. SAN FRANCISCO CHRONICLE Un hymne aux fous du monde, à leur courage, à leur perspicacité, à leur générosité. TÉLÉRAMA Sous la direction musclée d’Emmanuel Demarcy-Mota, la pièce de Camus, métaphore d’un pouvoir liberticide et totalitaire, sort grandie. LE FIGARO Les comédiens sont justes, talentueux, engagés. Camus nous parle. Il est important d’entendre, de réentendre L’État de siège.

L’État de siège MISE EN SCÈNE EMMANUEL DEMARCY-MOTA

14 MARS I 14 AVRIL 2018 ESPACE CARDIN

1, AVENUE GABRIEL. PARIS 8

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AVEC SERGE MAGGIANI, HUGUES QUESTER, ALAIN LIBOLT, VALÉRIE DASHWOOD, PHILIPPE DEMARLE, JAURIS CASANOVA, SANDRA FAURE, SARAH KARBASNIKOFF, HANNAH LEVIN SEIDERMAN, GÉRALD MAILLET, WALTER N’GUYEN, JACKEE TOTO, PASCAL VUILLEMOT

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ALBERT CAMUS

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Le sec savoir

A propos de Play boy, Constance Debré, Stock Par F rançois Bégaudeau

«J

e suis bourge, au cas où y’aurait un doute. J’ai même des duchesses du côté de ma mère. C’est pour ça que je parle comme ça. Les aristos parlent comme ça. Ils adorent. Moi aussi j’adore. Ce que vous ne pouvez pas entendre, c’est l’accent snob. Il paraît que je l’ai aussi. Peut-être que c’est parce qu’on se fait plus chier que les autres, nous les grands bourgeois, qu’on parle comme ça ». Ces lignes de Play boy pourraient nous faire la soirée. Pour le moins elles vont nous faire une chronique. Car il est bien rare qu’un auteur bourgeois, même de plus petite naissance, surtout de plus petite naissance, affiche son extraction. Bien rare qu’il la nomme sans détour, sans guillemets. La bourgeoisie s’est tellement approprié le champ littéraire que son habitus semble à l’écrivain l’air qu’il respire, invisible et neutre, rendant superflues sa mention et sa dissection. Sans compter bien sûr la constitutive propension du dominant à nier sa position de domination. Pour que Constance Debré, arrière-petite-fille de Robert le médecin, petite-fille de Michel le ministre, en vienne à s’étiqueter bourgeoise, il faut donc un court-circuit dans ce programme de déni. Ici il y en a deux. Le premier est le déclassement. Car toute Debré qu’elle est, Constance est la fille du raté des trois fils de Michel - à supposer qu’une carrière de chiraquien (Jean-Louis) ou d’urologue (Bernard) dénotent une vie réussie. Lucide, Constance sait que ça ne fait pas d’elle une prolo, qu’elle fait partie de « l’upper class de la déclasse », qu’on « n’a pas besoin d’argent quand on est riche », qu’elle est « techniquement pauvre mais ontologiquement riche », qu’un nanti même mouillé dans des affaires délictuelles « ne fait pas de taule ». Mais enfin cette relative déchéance vous met dans une position idoine pour narrer : juste assez dedans pour observer, juste assez dehors pour y mettre l’acuité de la distance désintéressée. Constance n’ayant rien à perdre peut se regarder en face. Elle peut lâcher les informations que d’ordinaire sa classe conserve dans ses tiroirs à clé. Elle aurait pu ainsi faire passer son style brutal, sa langue sans pincettes pour une marque de sécession, comme une jeune catholique en crise déchire son jean ; or c’est une marque d’appartenance. Relisons : « Les aristos parlent comme ça. Ils adorent. Moi aussi j’adore ». Grâce au truchement de la déclassée classe, voici élucidé cet oxymore : la trivialité distinctive. Constance ne se fait pas mousser, ne fait pas de

LE NEZ DANS LE TEXTE mousse ; elle fait dans le sec. Le sec est la justification d’un style minimal que d’aucuns jugeront pauvre. Sec avec soi-même, par charité bien ordonnée, mais aussi sec avec les autres. Constance assume d’être sans complaisance avec sa maîtresse Agnès : « elle me caresse comme elle gratterait le dos d’un chien. Je me demande si c’est comme ça qu’elle se touche. Je fais semblant de jouir. Je la branle aussi. Peut-être qu’elle voulait un souvenir de plein air » Le mépris qu’exsudent ces lignes, Debré n’ignore pas qu’il est social. « J’ai des réflexes de classe avec elle. Quand elle dit mince, quand elle dit mômes, quand elle me vouvoie pour faire chic, quand elle enlève ses chaussures chez elle ou qu’elle dîne un peu tôt. C’est plus fort que moi ». C’est qu’Agnès est de la « petite bourgeoisie ». A l’hôtel, elle « fait son lit, elle dit que ça la gênerait de le laisser faire à d’autres. Ce sont des choses comme ça qui chaque jour éloignent son corps du mien ». Rupture il y aura. Parce que c’était elle, « petite dame de province », parce que c’était moi, héritière malgré tout. Mais les ressorts de ce mépris ne sont pas exclusivement sociaux. Ici intervient le second courtcircuit, qu’on entrevoit depuis trois lignes. Roman auto-fictionnel dans la manière des premiers Angot, Play boy raconte d’abord une femme qui, mariée et mère, vire lesbienne. Constance n’a jamais aimé être une fille, elle voulait être un garçon, et s’en donne la latitude à 40 ans. Eclate alors un paradoxe, aussi courant que rarement formulé : par quel étrange tour de corps une femme qui ne jure que par le masculin en vient à désirer des femmes ? Lucide et sèche, rien à perdre, Constance Debré lance une hypothèse sulfureuse, et c’est celle du mépris. Du mépris des hommes pour les femmes. Du mépris, pour partie légitime dit-elle, qui innerve le désir des hommes pour les femmes. A propos d’Agnès encore : « Je me disais c’est une femme, c’est une peau très douce, c’est la bêtise, c’est une âme étroite qui n’est pas à la hauteur de la douceur de la peau, ce sont des caresses bâclées, un corps qui ne peut rendre l’hommage qu’on lui rend, un animal qui ne sait rien de l’amour et du désir, qui ne sait rien non plus de la beauté, un être qui n’est jamais grand, un corps bourgeois, un peu sale, quelqu’un qui pleure quand il est méchant. Et qu’aimer une femme c’était la mépriser en même temps. Je comprenais la violence des hommes ». Ces lignes, vertigineuses, appellent une chronique en même temps qu’elles la rendent inutile : il n’y a qu’à les lire et relire et les méditer seul.

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LA CAM


JOUR2FÊTE

PRÉSENTE

« Le film rayonne d’une grâce et d’une légèreté infiniment harmonieuses. » Le Monde

« Hong Sangsoo au sommet de son art. » Transfuge

« Un petit bijou. »

« Une comédie délicieuse. »

Les Inrocks

Critikat

ISABELLE HUPPERT

KIM MINHEE

LA CAMERA

DE CLAIRE UN FILM DE HONG SANGSOO ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR MUSIQUE

LA CAMÉRA_TRANSFUGE_210X85.indd 4 008-Lenezdsletexte117_P008.indd 9

UNE PRODUCTION JEONWONSA FILM CO. AVEC LA PARTICIPATION DE LES FILMS DU CAMELIA HONG SANGSOO AVEC ISABELLE HUPPERT ET KIM MINHEE PHOTOGRAPHIE LEE JINKEUN BRUITAGE SEO JIHOON DALPALAN MONTAGE HAHM SUNGWON SON KIM MIR ÉTALONNAGE CHO HEEDAE RÉGIE LEE JAHAN DIRECTEUR DE PRODUCTION KANG TAEU VENTES INTERNATIONALES FINECUT

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MARS

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L’inquiétude de Pessoa

Illustrations : Stéphane Trapier

L Carte Noire à Jérôme Leroy Saison 2

evez le nez, elles reviennent. Certaines sont en avance, découvrent le froid, et la neige. Pourquoi ces hirondelles se sont-elles pressées, quand d’autres profitent encore de contrées ensoleillées ? Parce qu’il faut bien y croire pour que l’avenir advienne. Enfin pas constamment, lisez Fernando Pessoa. Le Livre de l’intranquillité est un long combat d’un homme contre ses désirs. Une lutte acharnée, et heureusement infinie, entre l’homme qui écrit et ce qui le fait homme : le désir, le corps, l’élan vers l’autre, le rêve de la reconnaissance. Il est republié et enrichi aujourd’hui sous le titre Livre(s) de l’inquiétude (Editions Christian Bourgois). Ce nouveau titre est plus juste nous précise Teresa Rita Lopes, spécialiste reconnue de Pessoa, en brève introduction. C’est aussi un titre plus fort pour le lecteur contemporain. « Inquiétude » est sans doute l’un des mots les plus interrogés de notre époque. L’angoisse appartenait au siècle dernier, l’inquiétude à celui-ci. Nous sommes un peuple inquiet, Pessoa l’est aussi. Ce livre désormais composé en triptyque multiplient les visages de l’inquiétude qui cohabitent en Pessoa. L’employé de bureau. L’aristocrate. L’élu. Le solitaire. Le vindicatif. Le désespéré. Le Nobody européen. Le merveilleux geignard. Le premier et le dernier d’entre nous. Ecoutons-les métamorphoses de Pessoa, et profitons-en pour rendre hommage à la traductrice Marie-Hélène Piwnik. Au départ, on s’attriste en plongeant dans une langue dense, étranglante, et l’on pense parfois au morbide Huysmans, surtout dans la première partie : « Tous les jours la Matière me maltraite. » écrit-il. Ou lorsqu’il affirme son dégoût du sexe et du rapport aux femmes. Mais peu à peu sa langue et sa pensée trouvent leur force, et leur pleine beauté lorsqu’elles s’ouvrent aux métamorphoses, et aux contradictions. L’inquiétude serait-elle un jeu pour Pessoa ? Difficile de ne pas le croire en lisant, « je savoure la volupté imprécise de l’échec.» C’est Diogène qui, s’apercevant dans un miroir, préfère soudain être homme que chien. « D’’avance, j’ai raté ma vie, parce que même en la rêvant elle ne m’est pas apparue aimable ». Pourquoi certaines hirondelles reviennent-elles en avance ? Parce qu’elles rêvent mieux leur vie. Pessoa pourrait répondre : « J’ai nourri, oui, des espoirs, parce que tout est espoir, ou mort ». O.J.G. Page 10 / TRANSFUGE

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INTERVIEW EXPRESS

Première biographie de l’académicien, et écrivain disparu en 2016, Les Mondes de Michel Déon nous lance sur la piste d’un des plus célèbres hussards. Rencontre avec Christian Authier.

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Déon était un cosmopolite  P ropos recueillis par Jean-E mmanuel Deluxe

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assé de l’Action à l’Académie française, Michel Déon a très vite abandonné ses idéaux pour se tenir éloigné de la pesanteur idéologique du monde intellectuel des années de guerre froide. Si Les Poneys sauvages et Un taxi mauve sont devenus des classiques, l’histoire a eu tendance à oublier l’apport des Hussards et de Déon aux lettres françaises. La biographie de Christian Authier a le mérite de lever un coin du voile. Pendant l’Occupation, Michel Déon fait partie de l’Action française... Déon ne suit pas le Maurras antisémite. Je n’ai pas trouvé dans les écrits de Michel Déon la moindre trace d’allusion à ce poison. Le racisme lui était également étranger comme le prouve le reste de sa vie. Il était profondément cosmopolite et n’avait aucun préjugé de religion ou de race.

LES MONDES DE MICHEL DÉON : UNE BIOGRAPHIE

Christian Authier, Editions Séguier, 192 p., 21 e

Il semble que l’Occupation, puis l’épuration et la guerre froide ont complètement « vacciné » Déon de tout engagement politique. Il avait écrit qu’à la Libération, il était heureux mais que très vite il y a eu une sorte de chape de plomb avec Hiroshima et la révélation des camps. Dans son roman du début des années cinquante, La Corrida, il met en scène un personnage à qui il prête ses traits et qui part aux Etats-Unis pour fuir son pays. Michel Déon devait déjà se sentir comme un exilé de l’intérieur et séjournait beaucoup à l’étranger. Le mouvement des Hussards dont faisait partie Michel Déon, ne représentait-il pas une quête de l’innocence perdue ? Que l’on adhère ou pas au mythe littéraire des Hussards avec Jacques Laurent, Déon, Antoine Blondin et Roger Nimier, on constate qu’ils professaient un désengagement en littérature. Comme disait Stendhal, la politique était pour eux comme un coup de pistolet au milieu d’un concert.

O n peut d i re que Déon a été u n de s premiers écrivains à s’attaquer à la société de consommation, non ? Oui on le voit dans son livre Mégalonose qui est un pamphlet qui se présente comme une suite des Voyages de Gulliver de Swift. Ce qui est frappant quand on lit ce livre aujourd’hui, c’est de constater qu’en 67, il avait vu l’avènement d’une société de consommation où la télévision allait abrutir les masses et une fausse liberté sexuelle allait enchaîner les individus. C’est une vision anti-moderne dont on va retrouver des échos plus près de nous chez un Philippe Muray que Michel Déon aimait beaucoup et qu’il a côtoyé dans la revue L’Atelier du roman.

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