TRANSFUGE Septembre 2012 / N° 60 / 6,90 €
Choisissez le camp de la culture
UNE RENTREE
NOUVELLE FORMULE !
LITTERAIRE POLITIQUE Julie Otsuka
Nick Flynn, Enrique Vila Matas, Santiago Amigorena, Aurélien Bellanger, Jakuta Alikavazovic, Patrick Deville, Hari Kunzru, Toni Morrison, Cécile Guilbert, Joy Sorman, Jean-Yves Jouannais, Julia Deck... CINÉMA Noémie Lvovsky au sommet de son art Qu’est devenu « le jeune cinéma » français ? LITTÉRATURE À quoi ressemble la nouvelle génération d’écrivains de gauche ?
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M 09254 - 51 - F: 6,90 E
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Mathias Enard
20 invitations offertes pour assister au spectacle
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La Petite
Six personnages en quête d’auteur
le mercredi 3 ou le vendredi 5 octobre à 21h
le samedi 8 septembre à 20h30
Ces places vous sont offertes par
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La Colline et le magazine Transfuge.
www.colline.fr
La Colline et le magazine Transfuge.
aux abonnés “Transfuge”
01 44 62 52 52
aux abonnés “Transfuge”
invitationtransfuge@free.fr
15, rue Malte-Brun - Paris 20e
invitationtransfuge@free.fr
Offre réservée
texte et mise en scène
Anna Nozière
du 27 septembre au 27 octobre 2012
Offre réservée
d’après
Luigi Pirandello
adaptation et mise en scène
Stéphane Braunschweig du 5 septembre au 7 octobre 2012
La Petite, une des actrices de la pièce,
Six personnages abandonnés par leur auteur,
porte un enfant qui a cessé de se développer,
font irruption dans un théâtre.
comme s’il ne voulait pas naître. Pour échapper
Dans l’adaptation de Stéphane Braunschweig,
à la curiosité des médecins et des journalistes,
ils tombent sur une troupe d’aujourd’hui,
la Petite s’enferme dans le théâtre.
en pleine crise artistique : quel théâtre
Mais ce lieu est lié à sa propre histoire : sa mère
feront-ils avec ces intrus qui réclament,
y est morte en couches à sa naissance. Peu à peu,
comme dans un reality show, qu’on rende
les fantômes du passé s’éveillent...
public leur drame familial ?
Rencontre :
Rencontre:
Écritures de plateau ou théâtre d’auteurs ?
Les personnages existent-ils ?
lundi 15 octobre à 20h30
lundi 24 septembre à 20h30
Anna Nozière (La Petite) et Guillaume Vincent (La nuit
Qu’est-ce qu’un personnage de théâtre ? Qui le fait exister:
tombe...) ont en commun d’être des metteurs en scène
l’auteur ? L’acteur ? Le spectateur ? À quoi nous sert son
qui écrivent. Quel statut accordent-ils à leur texte ?
existence ? À l’occasion de Six personnages en quête
Rejoints par Caroline Guiela N’Guyen, ils échangeront
d’auteur, Stéphane Braunschweig et Pierre Bayard,
leurs points de vue sur ces questions aujourd’hui très
psychanalyste et critique littéraire, s’entretiendront de
actives dans le champ du théâtre.
ces questions, accompagnés d’acteurs du spectacle.
sommaire
n°60/septembre 2012 3 / en plein chaos 5 / j’ai pris un verre avec... Clarisse Hahn 6 / chronique / le nez dans le texte, par François Bégaudeau 8 / chronique / spritz, par Frédéric Bonnaud 10 / la mémoire retrouvée : Joachim Lafosse 12 / mauvaise humeur 13 / club Transfuge 14 / le journal de... Fabienne Jacob 15 / nouvelles gueules : deWitt, Gouix, Guillet
Dossier
16 / la rentrée littéraire 18 / en 10 points 20 / en finale : Mathias Enard, Julie Otsuka 30 / demi-finale : Nick Flynn, Enrique Vila-Matas, Jakuta Alikavazovic,
litté raire La rentrée
La rentrée est explosive. Il y a quelques mois, nous avions fait une couverture sur la littérature réac qui prenait à notre goût trop de place sur les étals de librairie. Les Richard Millet et consorts… Cette rentrée est là pour nous contredire, et c’est tant mieux : la littérature prend en charge les grandes questions de notre époque (le nihilisme, les soulèvements arabes, la gauche aujourd’hui, le capitalisme financier). Une nouvelle génération, d’auteurs de 30-40 ans, est en train de trouver une cohérence, Mathias Enard, Olivier Adam, Stéphane Zagdanski, Nick Flynn, Hary Kunzru, Julie Otsuka... dessinant ainsi une littérature de combat, de colère, politique. Il y a tous les autres écrivains, évidemment, que nous avons sélectionnés, car la littérature est protéiforme et, là encore, de l’intelligence circule. La puissance littéraire sera au rendez-vous en septembre.
Hari Kunzru
38 / quart de finale : Claude Arnaud, Patrick Deville, Julia Deck,
gauche ! 40 ans, toujours de
par Oriane Jeancourt Galignani - illustrations françois supiot
de gauche : l’immigré, le précaire, le boucher, l’aliéné… En face d’eux, ils donnent aussi corps aux nouveaux ennemis : le financier, le trader, le fond a ment a l i st e. Ils se réappropr ient la f iction de gauche sans allégeance à un parti : dans un monde post-idéologique, fini l’écrivain engagé espérant faire « accéder son lecteur à la révolution » (Sartre). L’enjeu est littéraire : quels récits pour la gauche du XXIe siècle ?
Ces écrivains se réapproprient la fiction de gauche sans allégeance à un parti : dans un monde post-idéologique, fini l’écrivain engagé espérant faire « accéder son lecteur à la révolution » (Sartre)
RÉINVENTER LES FIGURES MYTHIQUES DE LA GAUCHE
Leur premier engagement réside dans le choix de raconter l’époque au moment où elle se fait. Olivier Adam et Mathias Enard écrivent même sur l’élection présidentielle de mai 2012 ! Le choix de l’extrême contemporain au sein d’une communauté littéraire, plutôt tentée ces dernières années par le passé, le roman historique, est déjà un geste politique. Ecrire sur le présent implique de croire que la littérature détient le pouvoir de « révéler le monde », dirait Sartre. Mais ce geste devient de gauche lorsqu’il insuffle une nouvelle vie à des mythes que l’on croyait disparus dans le passé de la lutte sociale. Ainsi Mathias Enard écrit sur le mouvement des Indignés en Espagne en donnant à une jeune révolutionnaire, Judit, une aura prophétique : « L’Espagne va vers sa fin, et l’Europe
remous
A
Ils ont 30-40 ans, sont écrivains, de gauche, et l’on parlera beaucoup d’eux en cette rentrée littéraire : ils s’appellent Olivier Adam, Mathias Enard, Stéphane Zagdanski et Joy Sorman, entre autres. Qui sont-ils ? De quelle gauche se réclament-t-ils ? Debord ? Bourdieu ? Tentatives de réponse.
l’heure où la gauche au pouvoir n’est plus une fiction en France, qu’en est-il de la fiction de gauche ? Nous osons en cette rentrée une hypothèse : l’émergence d’une nouvelle littérature de gauche, œuvre de quadragénaires. A peine a-t-on écrit cela que les Hugo, Sartre, Deville, Rolin viennent, comme autant de surmoi, rôder autour de cet article. Pardon Messieurs… Merci… Pardon (Hugo prend toute la place, Sartre, l’air de rien, piétine les autres, Rolin écoute Britney Spears dans un coin), laissez les nouveaux écrivains politiques se frayer un passage parmi vous. Mathias Enard, Olivier Adam, Joy Sorman, Stéphane Zagdanski, Laurent Binet, François Cusset, Julie Otsuka, Nick Flynn. Qu’ont-ils en commun ? Un âge : autour de 40 ans. Une conviction : la littérature de gauche est à réinventer. On la dit morte depuis les années 80, avec les mouvements politiques qui la soutenaient. Or ce mois-ci, outre-Atlantique, Julie Otsuka signe le roman américain de cette rentrée en rendant aux Japonais internés pendant la Seconde Guerre mondiale, figures oubliées par les historiens officiels, une voix littéraire. Dans un des pays les moins socialistes du monde, Otsuka accomplit le geste traditionnel de la littérature de gauche : défier le pouvoir en faisant parler le peuple muet. Lui fait écho un autre talentueux écrivain américain de cette rentrée, Nick Flynn, qui cède la parole aux victimes de la torture américaine en Irak. En France, la fiction de gauche se joue dans l’immédiat. De jeunes écrivains réinventent les nouvelles figures du peuple
LITTERATURE / Page 57
Olivier Adam, Jean-Yves Jouannais, Aurélien Bellanger, Santiago Amigorena, Christine Angot 46 / huitième de finale : Claro, Cécile Guilbert, Niccolò Ammaniti, Alessandro Piperno, Anne Serre, Jérôme Ferrari, François Bon, Stéphane Zagdanski, Joy Sorman, Makenzy Orcel, Sebastian Barry, Linda Lê 52 / les disqualifiés : Guillaume de Sardes, Tom McCarthy, Philippe Djian, Christophe Donner, Philippe Delerm, Philippe Claudel, Jennifer Egan 54 / hors-compétition : Toni Morrison, Pascal Quignard
Littérature
56 / remous : 40 ans, toujours de gauche ! 60 / déshabillage : François Cusset
Ce que l’a rt peut
CINEMA
Cinéma Camille redouble, conte extravagant, raconte l’histoire d’un personnage projeté à l’époque de son adolescence. Noémie Lvovsky filme entre rire et gravité, toujours sur le fil. Un grand film, l’air de rien. par François Bégaudeau
De gauche à droite: India Hair, Judith Chemla, Julia Faure et Noémi Lvovsky
62 / Camille redouble de Noémie Lvovsky 66 / A perdre la raison de Joachim Lafosse 67 / The We and the I de Michel Gondry 68 / Kurdish Lover de Clarisse Hahn 69 / Les Mouvements du bassin de HPG 70 / Hillcoat, Mendoza, Solondz, Verheyde, Oliveira, Pirot, Nasrallah, Dupieux, Norris, Chou, Friedkin, Bonitzer
74 / remous : Qu’est devenu « le jeune cinéma français » ? 78 / déshabillage : Emilie Dequenne
Et puis Qu’est devenu le
« le jeune cinéma français »? C
Sandrine Kiberlain et Arnaud Giovaninetti, dans En avoir (ou pas), de Laetitia Masson, 1995
Les années 90 ont vu l’émergence de cinéastes de talent, la génération des Desplechin, Assayas et autres Ferran. A l’occasion de la sortie du dernier film de Noémie Lvovsky, on s’est demandés ce qu’il restait aujourd’hui de leur style, des obsessions de leurs premiers films ? Analyse. par Damien Aubel
Page 74 / TRANSFUGE
Page 4 / SOMMAIRE
vieux réflexe franco-français, on s’est empressés d’y voir une bande (et après tout, Desplechin, Ferran et Lvovsky ont usé leurs fonds de culotte en même temps sur les bancs de l’Idhec) et on a même ressorti pour certains d’entre eux le vieux totem des cinéphiles : la Nouvelle Vague. Mais si on gratte un peu l’étiquette choc de la « néo-Nouvelle Vague », il ne reste pas grand-chose. A moins d’écouter, encore une fois, l’oracle de François Truffaut : « Le seul point commun qui nous rassemble : la liberté », disait-il, sans doute pour faciliter la tâche des historiens du cinéma. On l’a dit et redit, et on vous le redit : le cinéma des nineties en France fut générationnel. En particulier, le trentenaire, plus ou moins immature, plus ou moins égaré dans les sous-bois épais de sa vie professionnelle et sentimentale, est devenu un personnage de cinéma à part entière. Dans notre imaginaire de spectateur, il aura pour toujours les traits de Mathieu Amalric, thésard de philo encalminé dans son existence et point focal de la saga en forme de pâte feuilletée romanesque hypervitaminée qu’est Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) (1996). Il y eut donc le Paul Dédalus de Desplechin, mais aussi le Charles Berling de L’Ennui (Cédric Kahn, 1998) et leur grand-frère, le Hippo d’Éric Rochant (Hippolyte Girardot, tocard magnifique d’Un monde sans pitié (1989), ce film transitionnel qui a encore un pied dans les années 80 et leur futilité clipeuse). Mais on tirera moins un enseignement sociologique de ce cinéma qu’on n’y trouvera une obsession : celle de la liberté. Et, de fait, c’était ça les années 90 vues depuis un fauteuil en velours rouge : une vaste entreprise aussi collective qu’atomisée, aussi hétéroclite qu’unanime, de conquête de la liberté. Retour vers le futur maintenant, vers notre présent, deux décennies plus tard. Que reste-t-il de
cet appétit de liberté ? Arnaud, Noémie, Olivier et les autres, où en êtes-vous ?
La grande évasion
La liberté (définition lambda, au ras des muscles), c’est le droit imprescriptible à la bougeotte. Ce cinémalà ne tient littéralement pas en place, il court, souffle trente secondes, repart comme un beau diable – une espèce de flipper qui tilte à tout bout de champ, mais ne s’arrête pas. Rien d’étonnant dès lors si une scène de boum est au cœur du cahier des charges de ce qui fut un épatant vivier télévisuel de jeunes pousses : la série Tous les garçons et les filles de leur âge, commanditée par Arte, dont la liste des auteurs se lit un peu comme un who’s who des années 90. On y trouve notamment Olivier Assayas (L’Eau froide, 1994) ou Pascale Ferran (L’Âge des possibles, [1995]). Et c’est bien L’Eau froide qui sonne comme un manifeste, avec cette soirée dans une maison en pleine campagne. Ça commence piano, avec ce couple qui s’embrasse, sur le fond de romantisme rauque de la belle voix grave de Leonard Cohen. Mais il y a le feu, ce brasier que les jeunes ont allumé à l’extérieur, image incandescente de celui qui les brûle intérieurement. Et on embraye sur le rock pêchu des Creedence Clearwater Revival, ce Up Around the Bend qui jaillit comme un torrent. Les vannes sont ouvertes : l’énergie, celle de l’amour, celle de la jeunesse, toutes les énergies sont lâchées. Un fracas de vitre brisée, des corps qui filent devant la caméra, dans la pénombre, comme pour une cérémonie chamanique nocturne. C’est le grand déchaînement, un débordement anarchique de vitalité vandale et vorace, où l’on jette dans le bûcher tout ce qu’on trouve comme mobilier. Ce qui compte, c’est ça : bouger, quitte à tout réduire en cendres, à tout
Ce cinéma là ne tient pas en place, il court, souffle trente secondes, repart comme un beau diable. Ce mouvement finit toujours par une fuite consumer. On dirait que ce cinéma-là se place d’emblée sous le signe de l’impétuosité juvénile. Comme si, après le culte de l’artifice des eighties, il fallait puiser un élan nouveau, un peu sauvage ou carrément violent. Et les années 2000 sont arrivées, mais l’énergie ne s’est pas tarie, comme si la propension à vibrionner était au cœur de l’A.D.N. filmique de ces cinéastes. On citera Faut que ça danse ! (2007) de Noémie Lvovsky, au titre programmatique. Mais on pense aussi à Camille redouble où la vitesse, nous explique la réalisatrice, est nécessaire à Camille lorsqu’elle replonge dans son adolescence. Bien sûr, rappelle-t-elle également, dans Petites (1997) ou dans La vie ne me fait pas peur (1999), les personnages avaient déjà l’énergie de leur âge – mais Camille a plus de 40 ans, et l’énergie apparaît moins frontalement. Reste qu’elle est toujours là, qu’elle exulte, éclate à chaque plan, avec les flamboiements criards de la garde-robe de Camille… Mais cette démangeaison du mouvement est d’abord une énergie centrifuge, l’énergie de la fuite. On bouge toujours, mais pour prendre la tangente, comme dans la scène d’anthologie de Rois et Reine, d’Arnaud Desplechin (2004) où Mathieu Amalric (Ismaël), véritable caoutchouc comique avec son air de Droopy CINEMA/ Page 75
remous
annes 2012. Il pleut à seaux sur les festivaliers et les princesses yéménites en goguette. Ambiance grisaille garantie, façon plat pays transplanté sur la Croisette. Mais une pétarade de couleurs pop et de tendresse mâtinée d’énergie punk vient secouer les foules ronchonnes : c’est Camille redouble, le Peggy Sue s’est mariée frenchy de Noémie Lvovsky, pimpante trublionne du cinéma français. Ça déborde de vitalité et d’ingéniosité, ça cloue le bec aux éternels fossoyeurs du cinéma d’auteur et aux pleureuses qui gémissent sur sa sinistrose nombriliste. Et, la pluie incitant à la méditation, nous aussi, comme Camille, on fait le grand écart temporel. Flashback. Retour aux années 90 où Noémie Lvovsky et tant d’autres ont fait leurs premières armes. C’était l’époque où toute la critique embouchait sa trompette et accueillait à grands coups de flonflons le « jeune cinéma français », comme on disait. Fini le maniérisme chic et toc des années 80, renversée la tyrannie de l’image léchée, pommadée, poncée en studio : on allait sortir du néoromantisme vitrifié de la décennie passée. Aux petits maîtres de la pyrotechnie pubeuse, les Besson et les Beineix, allaient succéder de nouveaux auteurs. Une nébuleuse aux contours indécis, mais qu’on résumera à gros traits par un romanesque écorché, quelque part entre Truffaut et Eustache, moins soucieux d’âpreté réaliste que les émules de Pialat qui fleurissaient à la même époque, les Cédric Kahn, Patricia Mazuy et autres Xavier Beauvois – même si, évidemment, ce genre de frontière est toujours poreux. Ces trentenaires ou quadras assoiffés de pellicule s’appelaient Arnaud Desplechin, Olivier Assayas, Noémie Lvovsky, Pascale Ferran ou encore Laetitia Masson. Par un
82 / poésie : Kabir 83 / poches : Giambatista Basile 84 / théâtre : Luigi Pirandello 86 / dvd : Guru Dutt, F.J. Ossang, Jacques Tourneur 88 / classique livre : Silvina Ocampo 89 / classique cinéma : Orson Welles 90 / séries 91 / polars : Emily St. John Mandel, Chuck Palahniuk 92 / expo : Gerhard Richter 93 / bloc-notes 94 / médias : Guillaume Durand 96 / musique pop : Etienne Daho 97 / musique classique : Anton Bruckner 98 / prophétie
J’ai pris un verre avec...
Kurdish Lover
Hahn documentaire sortie le 12 septembre
Clarisse
O
n a été bien sages, exemplaires, sobres, et pour le verre inaugural de cette rubrique, on a tourné au Coca Light, plutôt tendance goûter décontracté qu’apéro aviné. Il faut dire que c’était la journée des enfants, en cette fin d’après-midi de juillet, dans le cadre bourdonnant de ce café du IXe. La marmaille, sympathique, mais portée sur le décibel, était de sortie. Bref, on était en famille – ce qui n’a pas empêché Clarisse Hahn d’ouvrir le feu avec une anecdote cocasse pas destinée à toutes les oreilles. Clarisse Hahn a beau être une nomade au charme casual – vidéaste, photographe, cinéaste –, ses mots sont précis. Elle revient sur les mâles dépoitraillés s’agitant sur les premières images de son film Kurdish Lover, outsider de la rentrée ciné. Ingénument, l’exploratrice de la masculinité (la série Boyzone) croyait que la Gay Pride battait son plein sous ses fenêtres, alors qu’il s’agissait d’une manif kurde. Pas grave, nous confie-t-elle, autant d’amants potentiels, autant de « kurdish lovers ». Reste qu’elle a laissé tomber le pluriel pour son titre : le seul, le vrai Kurdish Lover, c’est Otkay et, caméra en main, à des milliers de kilomètres de Paris, elle tourne son film de (belle) famille. Table d’à côté : les parents rapatrient leur minicolo de vacances ; restons dans l’esprit. La famille virtuelle de Clarisse Hahn, celle que compose sa filmo, est un brin hétéroclite. Elle a suivi la porn star Ovidie sur les plateaux quand elle n’était pas encore la caution cul des médias branchés ; elle a portraituré une dominatrice S.M. algérienne dans Karima ; maintenant : elle chronique les jours d’une maisonnée kurde régentée par une truculente matriarche, la grand-mère d’Otkay. Mais, nous explique-t-elle, alors qu’on joue, perplexe, avec nos glaçons, il y a un vrai lien de parenté entre tout ce petit monde. « Comment les gens arrivent à vivre ensemble, comment ils arrivent à organiser leurs vies dans
propos recueillis par Damien Aubel photo Chiara Santarelli pour Transfuge
« Comment les gens arrivent à vivre ensemble, comment ils arrivent à organiser leurs vies dans des situations qui sont souvent déséquilibrées et extrêmes, c’est ça qui m’intéresse »
des situations qui sont souvent déséquilibrées et extrêmes, c’est ça qui m’intéresse. » Qu’il s’agisse de la promiscuité radicale du porno, des situations limites du S.M. flirtant avec la mort, de la guerre au Kurdistan, hors champ, mais étrangement lancinante dans Kurdish Lover : toujours le même credo. Mais Clarisse Hahn, avec son citron pressé, n’est pas une collectionneuse décadente et maniaque de freaks. Sa petite famille de cinéma n’est pas plus dysfonctionnelle que les autres et elle pourrait parfaitement être assise à côté de nous, à siroter banalement cafés et jus de fruit tout aussi banals. Prenez la grand-mère d’Otkay brimant sans vergogne sa bru. Archaïsmes ? Survivances primitives d’on ne sait trop quel âge ? Faux. C’est le propre de la famille, rappelle la réalisatrice, « dont on n’arrive pas à se passer, mais qui représente une contrainte énorme. C’est un espace en crise permanente, qui étouffe l’individu, mais dont ce dernier a besoin. » Pas étonnant que le Chelsea Girls de Warhol figure haut dans le panthéon de Clarisse Hahn : le grand timonier new-yorkais du pop art et sa Factory, c’est encore une histoire de famille entre crises et attachements viscéraux. On a bu ce qui restait de Coca, on est repartis en se demandant ce que ça pouvait bien donner en kurde, l’hymne des Négresses vertes, Famille nombreuse…
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LAFO
La femme de dos, c’est Bulle de Carpentries, une jeune scénariste très talentueuse avec laquelle, aidés de Thomas Bidegain (le scénariste d’Audiard), nous écrivons le scénario de mon prochain film. Nous sommes à Sart-Risbart, un petit village de la campagne wallonne, région où je suis né et où j’ai tourné Nue Propriété. Avant j’écrivais à Bruxelles. C’est la première fois que j’écris à la campagne. Le pied ! Nous travaillons à un scénario très librement inspiré de l’affaire de L’Arche de Zoé. C’était en 2007. Plusieurs bénévoles et responsables de l’association humanitaire L’Arche de Zoé, qui accompagnaient un groupe d’enfants sur le point de quitter le Tchad, furent arrêtés car ils étaient soupçonnés par les autorités locales de se livrer à un enlèvement d’enfants. Cette histoire illustre bien toute l’ambiguïté de la démarche humanitaire. En écrivant, je me rends compte que ce qui m’intéresse, ce qui travaille mon œuvre de manière obsessionnelle, c’est de montrer que l’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est-à-dire de questionner la nature et les limites de l’altruisme. Surtout quand cet altruisme prend la forme du colonialisme. Dans A perdre la raison, je suggérais déjà à quel point l’amour des Européens pour l’Afrique est un amour ambigu, un amour qui fixe et cloisonne plus qu’il ne libère.
Page 10 / TRANSFUGE
Cette figurine d’E.T. se trouve sur mon bureau. Je l’ai vu à l’âge d’Elliott, le personnage du petit garçon ; je vivais une situation familiale analogue. La nuit après avoir vu le film, j’ai fait un rêve étonnant. J’étais sur le plateau et je dirigeais le nain qui était dans le costume d’E.T. Près de moi, Spielberg me donnait des conseils de réalisation ! C’est difficile de décrire à quel point ce film m’a marqué. Il m’arrive encore de regarder si E.T. est dans mon placard ! A l’époque où le film est sorti, mon frère et moi allions chaque nuit dans les bois voir si des soucoupes volantes étaient arrivées. Bien sûr, la morale de Spielberg m’emmerde. C’est juste un écran destiné à masquer ce qu’il a été et ce qu’il est resté : un petit garçon traumatisé. Sa morale est un peu à l’opposé de la mienne. La mienne, plus compliquée, plus tortueuse, m’interdira probablement de faire des films aussi populaires que les siens. Mais je rêve de cela : faire des films populaires de qualité.
© DR
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Propos recueillis par Jean-Christophe Ferrari
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la memoire retrouvee
Joachim
Mon père était photographe. Moi, je fais 24 images par seconde, mais j’ai ce vieux rêve : ne faire qu’une image. Le problème, c’est que lorsque j’ai un appareil photo entre les mains, j’ai peur de mal faire, de prendre des clichés flous, etc. Le technicien, celui qui sait comment faire, ce sera toujours mon père. Jamais moi. La technique me panique à tel point que s’il faut prendre une photographie de mon fils, je vais le demander à ma femme, qui est une professionnelle. Eggleston, c’est le photographe que je préfère. Pour l’utilisation des couleurs et le choix des cadres, d’abord. Mais aussi parce qu’on arrive à la fin de la société qu’il a photographiée. Une société épuisée, mais dont on rêve encore. Et puis Eggleston, c’est la référence principale d’un tas de directeurs photo. Or pour moi, l’un des plus grands plaisirs du métier de réalisateur, c’est de travailler avec les directeurs photo.
C’est moi dans le labo de mon père (ce n’est pas une photographie de mon père). Un endroit magique où on voyait peu à peu une image se révéler. J’aime cette photo parce qu’on y sent l’attente, l’attente de ce que la pellicule va montrer. Cet émerveillement devant le caractère magique de l’image, ce plaisir de faire des images, je les retrouve dans Holy Motors, le dernier film de Leos Carax, qui m’a beaucoup ému. Evidemment mon désir de cinéma vient de là, de ces moments passés dans le labo de mon père. Dans la vie, on fait avec ce qui nous a touchés avant nos 10 ans. Le film qui raconte cela merveilleusement, c’est Fanny et Alexandre de Bergman. La manière dont Bergman montre et fait sentir d’où vient son désir de cinéma est absolument géniale.
Ma dévédéthèque. Avec certains des auteurs qui m’ont le plus nourri : Pialat, Bergman, Cassavetes, Walsh, Lubitsch. Je crois à la distinction entre Méliès et les Lumière. Il y a ceux qui viennent de Méliès et ceux qui viennent des Lumière. Moi, clairement, je viens des Lumière. Comme les cinéastes que j’aime qui sont tous des observateurs dont la position, légèrement en retrait, permet au réel de se révéler, de déborder. Je trouve stériles les films des créateurs d’univers (Almodóvar, Fellini). Et puis ce que je trouve génial chez Pialat, c’est la liberté qu’il donne aux acteurs de kidnapper le film, de voler des séquences. C’est ce que je veux essayer de faire dans mon prochain film : créer les conditions pour que les acteurs puissent kidnapper le film. J’adore les acteurs et je rêverais de tourner avec Depardieu, Binoche, Poelvoorde, Sean Penn. Mon plus grand plaisir de cinéaste, c’est ça : être à 50 cm d’Emilie (Dequenne) et observer ce corps qui chante puis s’effondre en larmes.
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C’est une photographie prise par mon père à Saint-Tropez. Il n’avait pas envie de photographier les yachts et le bling-bling, alors il a pris une série de clichés des paysans du coin. J’adore cette photo parce que, comme dans toutes les bonnes photos, il y a quelque chose qui passe entre le modèle et le photographe. A tel point qu’on se demande si le lapin, ce ne serait pas plutôt le photographe. Si ce n’est pas ce dernier qui va être bouffé ! Et puis, c’est une photo qui a quelque chose de coquin. Elle le regarde de façon coquine. Cela me rassure sur mon père, que tout le monde décrit comme un homme sérieux, austère. Ce qui est formidable dans cette photo, c’est la liberté qui émane du corps du modèle. Et bien, le cinéma, c’est cela : laisser les corps s’exprimer. C’est cela qui est formidable chez Pialat : c’est le corps qui fait récit. C’est pour cela que la danse contemporaine, la plupart du temps, m’ennuie. Elle construit un discours à partir de ce qui parle déjà : le corps.
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SSE
Le cinéaste Joachim Lafosse, 37 ans, est une valeur montante du cinéma belge, et A perdre la raison est un des films forts de cette rentrée. Sa vie, son œuvre, tout de suite, en six photos qu’il a choisies.
EN IMAGES / Page 11
C
tourisme
haque année, « le troupeau ahuri des humains » (Mallarmé), vous et moi, gagnons le droit de partir en vacances, c’est-à-dire d’être déportés par avions, trains, cars, etc. Un monde meilleur ? Si on veut. Rafles en limousine ; déportations en classe affaires ; asservis via des écrans plasma. Voilà pour le progrès social. Le tourisme est partout, surtout dans les esprits. Comment avez-vous trouvé vos vacances ? Vous ne savez pas, vous n’avez pas encore regardé vos photos. Il faudrait écrire une physiologie du tourisme. Une saison en enfer, l’été, dans n’importe quelle capitale européenne. Holocauste des low-coast… Nous sommes tous des Japonais américains ! Déportés oui, transportés jamais. C’est à Rome que j’ai pris conscience de ce basculement collectif dans la folie. « La dévote religion de leur regard » disait déjà Shakespeare. Le Pape ? Combien de pixels ? Jamais la « présence réelle » chère aux catholiques n’a paru autant d’actualité que devant cette absence réelle planétaire. Ce jour-là, j’ai réalisé que le tourisme n’était qu’une adaptation économique présentable des phénomènes de déportation de populations jusque-là réservés aux guerres. De la chair à objectif. Le monde ? Une entreprise familiale où chacun vient pointer plusieurs centaines de fois par jour. Ils se prennent en photo comme on signe un registre. Les femmes minaudent, majorettes extatiques, minables ménades de sitcoms ; les hommes, les deux doigts en signe de victoire, fraternité inconsciente avec leur propre évacuation ; et les couples, à la manière dont ils se mettent en scène au pied des monuments, donnent une idée assez précise de la misère de leur intimité amoureuse… L’amour se fait en chambre noire ! Et la nature ? Elle n’est plus depuis longtemps qu’un vieux fond de papier peint destiné à offrir un peu de relief à un énième cliché accablant. C’est tout juste s’ils ne demandent pas à l’arbre qu’ils sont en train de photographier de faire risette. La nature était un dictionnaire, selon le mot de Delacroix ? C’est devenu un fond d’écran. Il est vrai qu’il y a
Page 12 / MAUVAISE HUMEUR
longtemps que l’être humain s’en croit propriétaire, mais jamais comme ces sangsues Samsung. Au XXIe siècle, le tourisme s’impose comme idéal métaphysique. D’où l’expression « tourisme sexuel » qui indique clairement un processus d’asservissement global de l’être humain réduit à l’état de spectateur halluciné jusque dans son intimité physiologique. Le contraire absolu du tourisme sexuel ? La littérature, bien sûr. La littérature, ce voyage au bout de la nuit dans l’immense édifice du présent. Thomas Ravier
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MAUVAISE HUMEUR
Physiologie du
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Cinéma
Festival America
salon du livre café des libraires
Master Class avec Joachim Lafosse
Dans le cadre du festival A merica à Vincennes, Transfuge animera trois tables avec Damien Aubel en modérateur : « L’écrivain a-t-il du pouvoir ? », avec Nick Flynn, Thomas King, Rodrigo Rey Rosa, et Santiago Roncagliolo ; « Que reste-t-il du rêve américain? », avec Chad Harbach, Jennifer Egan, Percival Everett et Salvatore Scibona ; « Des histoires dans l’Histoire », avec William Ospina, Patrick Dewitt, Ron Hansen et Julie Otsuka.
lectures, débats, rencontres expositions, films, concerts
RUSSELL BANKS BERNARDO CARVALHO DAVE EGGERS LOUISE ERDRICH NICOLE KRAUSS CARLOS LISCANO TONI MORRISON ALAN PAULS LUIS SEPÙLVEDA LYONEL TROUILLOT...
www.festival-america.org
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Pour sa première Master Class, Transfuge invite un fils spirituel de Maurice Pialat, Joachim Lafosse, qui a enthousiasmé la critique à la Croisette, avec son film A perdre la raison. Le réalisateur belge reviendra sur son film et l’ensemble de son œuvre. Echanges animés par Jean-Christophe Ferrari..
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Vincennes, du 20 au 23 septembre, entrée libre pour les tables Transfuge le samedi 12h-13h et 17h30-19h, dimanche 12h-13h
Le 11 septembre à 20h à la Pagode, 57, bis rue de Babylone, Paris 7e 40 places à gagner pour les abonnés Transfuge: invitationstransfuge@free.fr transfuge:1 bis 10/08/12 10:17 Page1
Littérature
Conversation avec Joy Sorman
Chaque mois, Transfuge invite un écrivain à la librairie Les Guetteurs de vent, pour une discussion et une signature de l’auteur. Ce mois-ci, l’invitée sera la romancière Joy Sorman pour son roman Comme une bête (Gallimard), sélectionné parmi les meilleurs romans de la rentrée littéraire par Transfuge. Venez nombreux. Apéro assuré.
Le jeudi 13 septembre à partir de 19H30 à la librairie Les Guetteurs de vent, 108 avenue Parmentier, Paris 11e
Six personnages en quête d’auteur
La Petite
Offre réservée
Théâtre
20 invitations offertes pour assister au spectacle
20 invitations offertes pour assister au spectacle le mercredi 3 ou le vendredi 5 octobre à 21h
le samedi 8 septembre à 20h30
Ces places vous sont offertes par La Colline et le magazine Transfuge.
Ces places vous sont offertes par La Colline et le magazine Transfuge.
www.colline.fr
Offre réservée
aux abonnés “Transfuge”
01 44 62 52 52
aux abonnés “Transfuge”
invitationtransfuge@free.fr
15, rue Malte-Brun - Paris 20e
invitationtransfuge@free.fr
texte et mise en scène
Anna Nozière
du 27 septembre au 27 octobre 2012
d’après
Luigi Pirandello
adaptation et mise en scène
Stéphane Braunschweig du 5 septembre au 7 octobre 2012
Pirandello
Le Théâtre de la Colline propose à la rentrée deux créations où expérimentations théâtrales et quêtes identitaires sont mises en lumière : La Petite, écrite et mise en scène par Anna Nozière, met en scène la maternité, la solitude et la mémoire individuelle ; Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello, adapté et mis en scène par Stéphane Braunschweig, explore les inconscients, l’imagination et la question de la création artistique. Deux mises en abîme.
La Petite, une des actrices de la pièce,
Six personnages abandonnés par leur auteur,
porte un enfant qui a cessé de se développer,
font irruption dans un théâtre.
comme s’il ne voulait pas naître. Pour échapper
Dans l’adaptation de Stéphane Braunschweig,
à la curiosité des médecins et des journalistes,
ils tombent sur une troupe d’aujourd’hui,
la Petite s’enferme dans le théâtre.
en pleine crise artistique : quel théâtre
Mais ce lieu est lié à sa propre histoire : sa mère
feront-ils avec ces intrus qui réclament,
y est morte en couches à sa naissance. Peu à peu,
comme dans un reality show, qu’on rende
les fantômes du passé s’éveillent...
public leur drame familial ?
Rencontre :
Écritures de plateau ou théâtre d’auteurs ?
Rencontre:
Les personnages existent-ils ?
lundi 15 octobre à 20h30
lundi 24 septembre à 20h30
Anna Nozière (La Petite) et Guillaume Vincent (La nuit
Qu’est-ce qu’un personnage de théâtre ? Qui le fait exister:
tombe...) ont en commun d’être des metteurs en scène qui écrivent. Quel statut accordent-ils à leur texte ?
l’auteur ? L’acteur ? Le spectateur ? À quoi nous sert son existence ? À l’occasion de Six personnages en quête
Rejoints par Caroline Guiela N’Guyen, ils échangeront
d’auteur, Stéphane Braunschweig et Pierre Bayard,
leurs points de vue sur ces questions aujourd’hui très
psychanalyste et critique littéraire, s’entretiendront de
actives dans le champ du théâtre.
ces questions, accompagnés d’acteurs du spectacle.
La Petite, du 27 septembre au 27 octobre / Six personnages en quête d’auteur, du 5 septembre au 7 octobre. Au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e. 40 invitations offertes pour les deux pièces aux dates du mercredi 3 ou vendredi 5 octobre à 21h, pour les abonnés Transfuge : invitationtransfuge@free.fr
Des cadeaux de bienvenue pour les nouveaux membres du club
TRANSFUGE * Dans la limite des stocks disponibles :
DVD
- L’Attrape-Salinger avec Frédéric Beigbeder, un film de Jean-Marie Périer - All desire avec Barbara Stanwyck, un film de Douglas Sirk - Richard III, un film de et avec Laurence Olivier - Affreux, sales et méchants avec Nino Manfredi, un film d’Ettore Scola
LIVRE
- Au début de François Bégaudeau (Alma éditeur) * Vous recevrez un e-mail de confirmation pour choisir votre cadeau.
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«On est une reine Le journal de Fabienne Jacob
oui ou merde ?» Fabienne Jacob revient avec un roman lyrique, L’Averse, souvenirs d’un harki racontés au seuil de sa mort. Elle nous confesse en quelques dates le journal intime de ses deux derniers mois. Oui, intime… photo Adeline Mai pour Transfuge
© DR
24 juin Guessling
L’Averse
Gallimard 144 p., 12,50e
Ce que je vois par la fenêtre de ma chambre à Guessling, c’est du Tarkovski. A perte de vue, des herbes hautes et des champs d’orge qui ondulent sous le vent. Si je faisais du cinéma, je ne filmerais que ça tous les jours : des herbes hautes et des champs d’orge. Zéro acteur, zéro musique. Le cinéma enfin débarrassé des deux choses qui l’encombrent… En ce 24 juin, du vent, il y en a un paquet dans les herbes hautes du village de Lorraine où je suis née. Ça fait comme une mer verte mouvante. L’air bruisse, chargé de bourdonnements et d’odeurs. Faites entrer Sa Majesté le mois de juin ! Je vois aussi au loin la ligne de la forêt. Mon horizon intérieur, immuable. C’est de là que sont sortis tous mes livres. De cette ligne sombre bourrée de remuements et de touffeur. De la cour de la ferme de ma grand-mère aussi, dans le même village. Ce périmètre est ma matrice. Sa géométrie même a produit du manque donc du désir. Les enfants qui s’ennuient fabriquent tous de la poésie et de la métaphysique. Le téléphone sonne. Ma sœur. Je sais qu’elle va me parler de mon livre. Je ne crains ni les journalistes ni les lecteurs, je crains mes sœurs. Elles savent d’où j’écris, d’où je parle. Elles savent que la trahison de Tahar n’est autre que la mienne.
2 juillet La Baule
Ici, au marché, les riches ont une façon unique de jeter par-dessus leurs épaules leur pull bleu marine devant un dos de cabillaud à 32 e le kilo. Je m’en fiche. Pour moi, La Baule, ce sera toujours les premières images de Lola de Jacques Demy. Lui, Michel, dans sa berline décapotable qui revient d’Amérique et le lent travelling sur le bord de mer. La désinvolture même sur fond d’horrible front de mer aujourd’hui hérissé, bétonné, blingblinguisé. Je m’en fiche, j’habite pas là. J’habite une bicoque dans les rues de derrière. Un vrai gynécée qui croule sous les roses trémières. Femmes et ados de tout âge à tous les étages. On sera heureuses ici avec ma copine, la solaire Clara. Comme on l’a été l’année dernière avec Fadéla. Cette grande femme kabyle s’avalait 30 bornes à vélo sous une pluie battante. Je revois sa silhouette sculpturale, épaules, hanches larges, s’avançant vers la mer grise. Rien à battre. Elle plongeait tête la première dans une eau à 13 degrés. On est une reine oui ou merde ! Le soir, elle nous tirait
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les cartes. De la fraîche qui devait venir des States pour Fabienne, une success-story pour Clara, la chercheuse en biologie moléculaire. Macache ouais !
Le 24 juillet La Brenne.
J. et moi nous nous voyons une à deux fois par mois… Because la géographie et because son état civil. Rendez-vous dans un hôtel de la Brenne. Un petit pays mélancolique, un des rares paysages français qui m’étaient inconnus jusqu’alors. L’hôtel est vieillot. Papier peint à fleurs et mobilier fatigué. Je l’attends dans la chambre, je porte une robe que j’ai choisie pour lui. « Quelle chance j’ai d’être une femme ! », je me dis. Il passera seulement quelques heures avec moi. Pour me consoler, il me dira qu’avec lui j’ai l’essentiel : le vertical et l’horizontal. Que les expériences les plus intéressantes sont celles sans temporalité. Allons faire un tour dans la clairière de l’être ! Il rit. On est bien. Il me manque déjà. Dès qu’il aura poussé la porte, je lui écrirai un S.M.S. Une phrase de Jean Genet, pour l’une de ses petites frappes. « De quelle sorte était ce fluide qui de lui passait en moi, me donnait une décharge ? »
Le 7 août Un sentier des Corbières.
La route entre Vingrau et Périllos est éblouissante. De vide et de silence. Un paysage méditerranéen sec, ratatiné, mais grandiose à chialer. Et dire qu’on est à tout juste 40 kilomètres des plages bondées de l’Aude. J’aime marcher longtemps dans la montagne. L’effort physique produit une ascèse. La vie intérieure s’en trouve agrandie. Une dilatation. Cela s’appelle la joie.
Le 18 août Paris
Je rentre de Lorraine avec le sentiment d’être chassée du paradis. Là-bas, l’été est encore souverain. Les mirabelles, l’étang immobile dans l’aube. Ici, l’enfermement avec, pour seul horizon, les immeubles d’en face. Le passage de l’intérieur à l’extérieur se fait laborieusement. Descendre les étages, se retrouver dans la rue, lever les yeux pour voir quoi ? Un minable petit carré de ciel. Rétrécissement de tout mon être à commencer par ma respiration. Heureusement, Paris est encore vide comme une baignoire. Je trouve refuge dans ma chambre orange où je me jette à corps perdu dans les premières pages de La Bâtarde de Violette Leduc que je relis. La vache ! Quelle puissance ! F.J.
Verticales 208 p., 16,90 e
© DR
Un écrivain se pose aujourd’hui trois ou quatre questions, dont celle du capitalisme financier. Vaste tâche pleine d’écueils (jugement anticapitaliste basique, biopic foireux). Mais tâche réussie par ce jeune écrivain, Pascal Guillet, qui, dans ce premier roman, Branta Bernicla, nous fait entrer dans la conscience d’un jeune trader français à la City de Londres. On y aborde alors le fonctionnement de ce système mal maîtrisé. On y lit des doutes, des amertumes, le plaisir d’être riche, d’être entouré de jolies filles, le vide, et encore des doutes. Un roman au plus près du réel de la finance, ironique, narré au présent, ce temps amnésique de la finance. McInerneyen. par Vincent Jaury
Les Frères Sisters
© DR
traduit de l’anglais (Canada) par Emmanuelle et Philippe Aronson Actes Sud 360 p., 22 e
NOUVELLEs gueules
Pascal Guillet
Branta Bernicla
Patrick deWitt
Des colts, des chevaux, de l’or, des pistoleros patibulaires : les ingrédients sont classiques, mais le néo-western U.S. a su les remixer pour en faire du neuf. Après Robert Coover (Ville fantôme) ou Trevanian (Incident à Twenty-Mile), un nouveau tireur d’élite entre dans la danse : Patrick deWitt, remarqué pour les confessions éthyliques d’Ablutions, en 2011. Dans Les Frères Sisters, la balade sauvage de deux frères payés pour tuer devient méditation métaphysique. Le roman qu’aurait pu écrire Kafka ou Beckett s’ils avaient vécu dans l’Oregon il y a deux siècles. par Damien Aubel
Guillaume Gouix
Petit mafieux dans le beau polar Alyah d’Elie Wajeman, homo plein de désirs dans Hors les murs de David Lambert, Guillaume Gouix était dans quelques-uns des meilleurs coups du dernier festival de Cannes. L’acteur de 29 ans, révélé dans la peau du superbe Jimmy Rivière, impose progressivement son style racé dans le jeune cinéma d’auteur français – qui en manque terriblement. La preuve avec l’intrigant Mobile Home de François Pirot, en salle le 29 août. par Romain Blondeau
Mobile Home
© DR
avec Guillaume Gouix, Arthur Dupont… en salles le 29 août
NOUVELLES GUEULES / Page 15