Janvier 2013 / N° 64 / 6,90 €
TRANSFUGE Choisissez le camp de la culture
LES 15 MEILLEURS
ROMANS D’UNE RENTREE
EXPLOSIVE
Emmanuelle Bayamack-Tam Alain Mabanckou
LITTÉRATURE
Le roman familial, toujours d’actualité CINÉMA
DOSSIER : Paul Thomas Anderson, dernier maître d’Hollywood ? L’amérique dégénéréE de quentin tarantino M 09254 - 58 - F: 6,90 E
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de la rentrée
M
abanckou, Bayamack-Tam, deux noms qui résonnent au-dessus de la mêlée de la rentrée littéraire. Deux noms, l’un que vous connaissez, Mabanckou, confirmant le talent qu’on lui connaissait avec Verre Cassé (Seuil), l’autre que vous ne connaissez peut-être pas, Bayamack-Tam donc, espoir féminin, neuvième roman, (ah oui, déjà !), que la critique a trop ignorée (sauf Libé signé Lançon Philippe, et nous-mêmes). Paraissent d’eux d’excellents romans : d’Alain Mabanckou, Lumières de Pointe-Noire (Seuil) ; d’Emmanuelle Bayamack-Tam, Si tout n’a pas péri avec mon innocence (P.O.L). Deux romans à la prose immodérée, rapide ; étoffé de mythes africains pour Mabanckou ; nourri d’histoire littéraire – chez Ovide et tant d’autres – pour Bayamack-Tam. Deux romans tragiques, le premier sur la mort d’une mère ; le deuxième autour du suicide d’un petit frère. Deux romans anti-mélancoliques, du côté de l’enchantement et de la drôlerie, à l’inverse de notre époque malade, nihiliste, naturaliste, houellebecquienne. Ecoutez ces incipits ! Alain Mabanckou : « J’ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie. Je m’évertue désormais à rétablir la vérité dans l’espoir de me départir de ce mensonge qui ne m’aura permis jusqu’alors que d’atermoyer le deuil. J’ai encore sur le visage la cicatrice de cette disparition, et même s’il m’arrive de l’enduire d’une couche de joie factice, elle remonte à la surface lorsque s’interrompt soudain mon grand éclat de rire et que surgit dans mes pensées la silhouette de cette femme que je n’ai pas vu vieillir, que je n’ai pas vu mourir et qui, dans mes rêves les plus tourmentés, me tourne le dos et me dissimule ses larmes. » ; Emmanuelle Bayamack-Tam : « Quand ma grand-mère tente de refermer les cuisses, la sage- femme l’en empêche et entreprend de bouchonner sans ménagement son périnée endolori. Ma grand-mère ferait bien d’interroger la signification de cette brutalité, mais comme elle a toujours le chic pour profiter des bons moments, elle s’accorde le répit que lui laissent la paix retrouvée de ses viscères et l’escamotage fulgurant de son nouveau-né. Elle promène distraitement la main sur son ventre effondré et a juste le temps d’en percevoir les dernières contractions, la réplique mourante du grand chambardement, avant d’être délivrée d’un placenta dont elle ignorait l’existence et qui s’expulse d’elle en trois soubresauts voluptueux. » La littérature française n’est pas morte. Chers fidèles lecteurs et lectrices, si comme pour Novalis, l’esprit et la culture est le but qui vous est le plus sacré, continuez à lire Transfuge en 2013, nous poursuivons le même. par Vincent Jaury EDITORIAL / Page 3
EN PLEIN CHAOS
Les deux bombes
Le nez dans le texte
François Bégaudeau
La Théorie de l’information Aurélien Bellanger Gallimard, collection Blanche 496 p., 22,50 ew
Le
style-machine
U
n article du Transfuge d’octobre (n° 62) citait Sylvain Bourmeau évoquant La Théorie de l’information : « On peut faire l’impasse sur le style et produire ce qui s’avère sans doute le roman le plus innovant de la rentrée. » A quoi Oriane Jeancourt répondait qu’il ne saurait y avoir de littérature sans style. Beau débat. Si beau qu’on n’a pas envie de le trancher. Ça tombe bien : chacune des deux parties a raison et tort. Le roman de Bellanger est effectivement innovant, mais ne fait pas l’impasse sur le style. Le style est la condition de la littérature, mais La Théorie de l’information la remplit. Tout est fonction de ce qu’on appelle st yle. Nonobstant l’accueil généreux et jouissif fait à l’idiome scientifique, Bellanger, et il ne s’en cache pas – il aurait même tendance à s’en targuer – ne propose ni distorsion de la langue, ni innovation formelle. Juste des phrases enfilées dans l’ordre logique du développement du récit et moulées dans une syntaxe polie. Des phrases comme : « Dans les zones résidentielles compactes de la banlieue parisienne, les passions dominantes étaient l’envie, la prudence et la honte. » Est-on là pour autant dans le degré zéro du style ? Vrai et faux. Il y a style quand il y a agencement du réel. Ici, Bellanger ficelle des entités plurielles ou abstraites pour agencer une causalité entre un lieu et des affects. Sous sa plume, les habitants des zones résidentielles comme Vélizy deviennent les exécutants anonymes de mutations ethnologiques : « Une fois tous les velux creusés, et la maison familiale sanctuarisée en paradis bourgeois complet, l’ère du jardinage succéda à l’ère du bricolage. » C’est radical, et tout aussi discutable que lorsque son maître Houellebecq livre des macroanalyses sur l’époque, la France, l’Occident. De la science, qui leur tient lieu de paradigme, l’un et l’autre ont hérité le goût des formalisations globales, où le singulier est quantité négligeable et négligée. C’est de ce lourd prix que se paye l’amplitude de leurs vues. Or une option d’écriture, également repérable chez le maître, érige à elle seule cette sociologie totalitaire au rang de littérature. Option si commune qu’imperceptible, mais qui donne son souffle épique à La Théorie de l’information. On parle de l’imparfait, celui qu’en classe de quatrième on répertorie parmi les « temps du récit ». On parle de l’imparfait utilisé pour raconter des phénomènes récents. Par cette petite torsion de l’usage (en général ces choses-là se content au présent), des évolutions vécues en
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direct, et ipso facto banalisées par nous autres, acquièrent la dimension d’une archive. C’est vrai des développements sur le Minitel : « Une page s’affichait enfin, et l’on pouvait composer le code du service désiré : par exemple Jane, Ulla ou Maud pour les messageries coquines, qui portaient souvent des noms de femmes. » C’est encore plus vrai, et plus troublant, lorsque le narrateur expose le mode d’emploi de Facebook comme s’il nous était aussi étranger que des mœurs du XVIIe siècle : « Sous ces commentaires et publications, une touche “j’aime” autorisait les amis de l’auteur du statut à manifester leur éventuelle approbation, approbation que la touche “commenter” permettait de mieux spécifier. » S’opère là un immédiat devenir-légende du présent. Dès lors tout se passe comme si Bellanger parlait à nos descendants de 2050, ignorant tout de Facebook, tel un astronome envoyant des messages voués à n’être déchiffrés que dans des dizaines d’années par des récepteurs extraterrestres. Auteur qui ne parlerait d’aucun point du temps, ne serait d’aucune époque, émettrait ses signes depuis une sphère omnisciente et panoptique où temps et espace sont abolis. En réalité, cet auteur n’est nulle part, il est dissous dans les processus qu’il décrit. Il n’est que le porte-voix de la science, de ce qu’elle a pu, peut, pourra, et dans ce régime du potentiel il devient possible d’embrasser le passé, le présent et le futur dans un même temps, l’imparfait. Pour opposés qu’ils soient, les contradicteurs de la controverse du style ont en commun la conviction que, comme dirait l’autre, le style c’est l’homme. Or Bellanger accrédite, dans la continuité de l’idée qu’il y a une poésie de la science, et que « toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie », l’oxymore d’un style objectif. Chez lui le style n’est l’empreinte de personne, à l’instar des dernières paroles émises par son héros Pascal Ertanger : « Ces mots s’étaient comme formés d’eux-mêmes, sans support physique ni intellectuel. » Par là se rêve un livre qui s’écrirait tout seul, par là s’envisage un auteur produit par son œuvre plutôt que la produisant. Dans ce processus de dissolution consentie, l’homme abandonne à la machine la prérogative de la subjectivité (« nous construisons une machine qui sera fière de nous », cite Bellanger) et donc du style. « Dieu n’est pas mort, il est devenu un objet technique » : peutêtre que la littérature aussi. Considérant la force du roman issu de cette mutation et anonymement titré La Théorie de l’information, on se dit qu’elle est plutôt une bonne nouvelle.
D o n -Mo
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D a r ClaeDi 15h-16h
A S R C I A CL ES CH L T E RES V I L M
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Spritz
Frédéric Bonnaud
Y croire ou pas C
a r a x , p a r KO. E n 2 012 , Hol y Moto r s aura découragé la concurrence. I l f a ut r e mo nt er à D a v i d L y nc h et son Mulholland D r ive , en 20 01, pou r ret rouver semblable impression d’écrasement et de plénitude un peu hautaine. A Cannes, Lynch s’était contenté d’un Prix de la mise en scène pendant que Moretti (La Chambre du fils) et Haneke (La Pianiste ) raf laient Palme et Grand Prix. L’éternel retour du même, bis repetita placent et l’académisme g ag ner a toujour s. Même qu’il a été inventé pour ça… Et pu i s le s or g uei l leu x s’ex p o s ent à ce t y pe de déconvenue. Sûr de son trait, Cara x a l’org ueil de celui qui ne sait que t rop que pendant son silence forcé de t reize ans, les autres, tous les autres, tournaient, occupaient le terrain. Pendant que lui devait se contenter de son étiquette de « cinéaste maudit », le seul de tout le cinéma français. Puisque le cinéma f r a n ç a i s e s t t e r r i b l e m e nt d é m o c r a t i q u e : n’importe qui a le droit de faire des f ilms qui sont souvent n’importe quoi. Tout le monde sauf Carax. D’où le côté ouvertement compétitif de Holy Motors, un f ilm qui ne cache pas qu’il v ient remett re toutes les pendules à l’heure, régler des comptes et apurer des malentendus. C’est son immodeste programme. Dix Denis Lavant, seulement neuf histoires, u n jou r et u ne nu it , et u n s ou s - gen r e du cinéma français contemporain littéralement exécuté à chaque nouveau contrat de Monsieur Oscar. Cette virtuosité agressive peut agacer, j’en conviens, et faire grincer bien des dents. I l n’e mp ê c he q u e l a s é q u enc e p o p de L a Samar it aine est meilleure que tous les f ilms chantants depuis Demy (Resnais compris), et que la discussion entre le père et la f ille après la fête est la plus belle « scène de voiture » du cinéma français depuis celles entre Depardieu et Marceau dans Police. Carax serait pourtant l’anti-Pialat ? Peut-être, mais dans le « classique familial » aussi il est redout able. Comme le démont re encore la séquence de l’agonie à l’hôtel, littéraire à hurler (et pour cause, Henry James remixé au dialogue), mise en apesanteur par Lavant. Le g a in est immense. D’abord C ar a x n’a plus le temps de s’appesantir et év ite ainsi le gras moralisateur et spectaculaire qui plombait ses f ilms précédents ; surtout, il propose à son
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spect ateur un nouveau cont rat de croyance, un pacte f ictionnel inédit. Avec moi, tu auras les rouages, la fabrication à vue, ce sera même le sujet du f ilm, c’est que je suis quand même moderne, vois-tu, pas naïf au point d’oublier que tu en sais long et que tu en as déjà beaucoup vu ; mais je te parie que je te cueillerai à chaque fois en beauté, je te parie que tu auras la gorge si nouée que t u ne pour r a s plus r ica ner, et j’aurai la suprême élégance de v ite pa sser à autre chose après chacune de mes v ictoires, de tout remettre sur le tapis. Quitte ou double, neuf fois en un seul f ilm, tu veux jouer ? Cette éternelle question de la croyance – face à un public persuadé qu’on ne la lui fait pas alors qu’il avale les pires conneries sans moufter –, Miguel Gomes la malaxe aussi. Tabou est un mélodrame historique conçu au pays d’Oliveira, donc tordu, analytique et somptueux. En plus de démontrer que la critique (unanime, sauf Le Figaro, ouf ) sert encore à quelque chose, le joli succès public du f ilm apporte la preuve que cet t e i m a g er ie - l à (fer me en A f r ique, amours illicites, vies entières contenues en un souvenir toujours tu) fonctionne encore et que la distance formaliste ne fait f inalement que rehausser le matériau romanesque. Mais dans ses multiples entretiens, Gomes a tort de trop insister sur le regard-caméra qu’il fait donner à ses amants de la savane. On ne l’a que trop repéré et c’est f ina lement le seu l cou ac du f ilm. D’abord Bergman a déjà fait le coup en 1953 avec Monika , c’est un v ieu x g immick de participation critique ; ensuite le spect ateur de Tabou sait déjà – ou comprend v ite – qu’il n’est pas à Out Of Africa et lui rappeler qu’il est devant un artefact est tout à fait inutile. Comme la Pilar du f ilm, on aimerait pouvoir pleurer t r anquillement au cinéma, sans brecht isme déplacé. L e t roi s ième à vou loi r encore y c roi re s’appelle Ben A ff leck. En ouvrant Argo avec le logo abstrait et rougeoyant de la Warner Bros. période 72-84 (surnommé « The Big W », pour ceux que ça intéresse), il annonce la couleur : son film aura la saveur enfantine d’un dossier de l’écran des seventies, avant les films numérotés, les franchises, prequels et autres reboots. Gentiment c a lqué su r le s réu s sit e s de s con sc ienc ieu x Pol lack/Pa ku la , rema rqu ablement écr it et fabriqué, Argo se confond avec son action et paraît dater de 1979. On y croit à mort.
MAUVAISE HUMEUR
Etre heureux avec Simon Liberati V
113 études de littérature romantique Flammarion 23 e
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ous vous souvenez certainement du personnage de Durtal, dans Là-bas, de Huysmans, ce roman génial et mal foutu. Durtal déserte son époque, ses contemporains, qu’il hait férocement, trouve refuge dans une étude qu’il exécute sur Gilles de Rais. Si l’esprit de Durtal occupe le plus souvent le château de Tiffauges, celui de Liberati vaque d’un château l’autre, dans cet essai labyrinthique, chic, inutile, une manière de déserter notre époque, les usines ruinées, le chômage croissant, la vulgarité possible de notre temps : 113 études de littérature romantique. Marre d’entendre parler d’ArcelorMital ? Achetez, comme Liberati, une trentaine de tomes de La Revue des études latines. En collectionneur, l’écrivain décrit la couverture : « Le papier gris de la couverture, évoque, en plus solide, celui de certains volumes du Divan, de Droz ou de Nizet. » La petite histoire de ces volumes ? « Ces trente volumes ont été transportés en train, sac par sac, pendant plusieurs semaines. Autour de moi, on me regardait comme un fou, mais je savais que ces milliers de pages contenaient la matière d’infinies promenades dans des paysages aussi variés et splendides que ceux de l’opium. » Marre de notre société utilitaire, Saturne se repaissant des uns et des autres : pensez, comme Liberati, à des sujets de peu d’importance. Est-il plus agréable de vivre dans un petit ou un grand appartement ? L’auteur, des années hésitantes plus tard, et de mûrissement, choisit plutôt petit. Ecoutons : « Autre appartement, médiocre et peu décrit, qui me charme après un siècle. Celui de Rémy de Gourmont au 71 de la rue des Saints-Pères. » Un témoin : « Gourmont logeait seul, au dernier étage, un petit logement carrelé, un peu bas de plafond, aux petites fenêtres, qui donnaient dans la cour. On sonnait. Gourmont venait ouvrir. On entrait dans une petite entrée, à laquelle faisait suite une cuisine, puis on arrivait à son cabinet de travail, formant angle droit (aile du bâtiment). Après cette pièce, une autre pièce, au fond (terminant cette aile de l’immeuble) et qui était sa chambre à coucher. » Liberati conclut à la valeur d’un tel refuge, et qu’il n’aime pas « les somptuosités sèches de Morand, avenue Charles-Floquet ». Marre d’entendre parler de fiscalité, de dettes, d’impôts, de taux de TVA, de l’accroissement de la pauvreté : rêvassez, et essayez comme Liberati un exercice désuet, le Biographème. C’est par Barthes qu’il en a pris connaissance, mais il apprend au cours de son étude que l’exercice est inventé par Marcel Schwob. De quoi s’agit-il ? Un ou deux détails en disent plus sur un homme qu’un long discours. Ecoutons Léautaud sur Schwob : « Marcel Schwob estimait plus important que leurs systèmes philosophiques et leurs œuvres, de savoir qu’Aristote était chauve… » Liberati s’y exerce avec précision, sur Massignon. D’ailleurs ces 113 études ne sont que ça : des arrimages aux détails de la littérature. Ni psychologie,
La comtesse Potocka, par Léon Bonnat, 1880
ni sujet, ni synthèse. Un régal, pour nous, lecteurs de littérature Un dernier exemple, parmi 1000 autres, de l’esthète, cet homme « impuissant à aimer le 1er plan » : sa considération pour la comtesse Immanuella Potocka. Elle était la plus cruelle des femmes, à en croire Proust : « Proust racontait volontiers une anecdote où l’on voit Mme Potocka répliquer, tardivement, un argument théologique du philosophe Caro : “Comme il s’en allait, elle se pencha au-dessus de la rampe et laissa tomber, d’en haut, un crachat sur sa tête chauve en criant : « Tiens, voilà pour ton idée de Dieu ! » Liberati mène des recherches poussées sur la comtesse. Pour son plaisir ; pour une raison : il paraît que la comtesse n’est autre que le modèle d’Oriane de Guermantes… Pour finir, un écart avec Durtal : pas une note d’aigreur chez le décadent, au contraire : « L’exercice de la littérature ne m’a pas dégoûté de vivre, je m’amuse toujours. » Je l’ai écrit en titre : être heureux avec Liberati. 113 études de littérature romantique est un cabinet de curiosités littéraires, qu’on lit comme un baume contre le poison de ces jours noirs. Une grande œuvre de l’auteur. par Vincent Jaury POUR ATTAQUER / Page 9
LA MÉMOIRE RETROUVÉE
Daniel Ar QUE TAL
© DR
Phébus 96 p., 10 e
Moi, enfant. Quel âge ? Peutêtre quatre ans, peut-être plus, peut-être moins. Me voici sur un des chemins de mon enfance. Cailloux et ronces et poussière. Et la lumière d’un été disparu. Aucune nostalgie puisque la photo persiste à transmettre un instant échappant au temps. Ma ins dans les poches, que vois -je ? Un insecte ? Fourmi ou scarabée ? Règ ne anima l qu’observe un petit d’homme. J’oublie ceux qui m’entourent, me couvent, m’aiment : mon père ou ma mère me photographiant. Je suis là et ailleurs, au plus profond de ce qui m’intrigue, interrompt la promenade, me rav it au x autres. Et il y a mon ombre. On n’est jamais vraiment seul.
Daniel Arsand enfant
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propos recueillis par Vincent Jaury
Le père de Daniel Arsand
Mon père. L’élégance incarnée. Il avait de la classe, comme on disait jadis. C’était mon père. C’est mon père. Parler de lui au présent m’est parfois nécessaire. Il pose, serein, et il est malgré tout lui-même. Il a 25 ans. Depuis une décennie, il vit en France. D’origine arménienne, il a fui avec sa mère, ses sœurs et son frère, la Turquie. Il n’a devant moi jamais évoqué l’enfer ni la peur, ni le sang, ni l’exil. Il parle admirablement le français et il est composé de silence et d’une mémoire refoulée. Il est bon et il m’impressionne. Et il est diablement beau. C’est mon père et je sais si peu de lui, hors l’amour inouï qu’il porte à ma mère. L’un de ses films préférés est Ma nuit chez Maud (Eric Rohmer, 1974). Il n’a jamais lu Pascal mais les joutes intellectuelles le passionnent. « Mon fils », murmure-t-il, et aussitôt je deviens quelqu’un.
Je crois bien que Piero della Francesca est le peintre que je vénère le plus, qui sans cesse me fait basculer dans une nuit parfaitement humaine. Il me tient à distance de ses œuvres et pourtant celles-ci m’habitent, me hantent, m’accompagnent, ne me trahissent jamais. Ce sont ses portraits qui me laissent dépouillé de tout passé, de toute pensée, de tout songe, de tout avenir. Je suis pour toujours ici-bas. Des masques puissamment vivants, indéchiffrables, m’interdisant une échappée grisante vers le romanesque, l’explicatif. Ces portraits sont sans histoire, et celui de Sigismondo Pandolfo Malatesta en particulier. Il a l’âme verrouillée. L’être humain est donc là, sans âge, inhospitalier et infini. Dans ce portrait je vois une cruauté endormie, une bassesse, de l’acier et un feu jamais éteint. Pourquoi pas ? Une vérité s’y dresse : même celui ou celle qui vous est proche reste un inconnu. Cliché bouleversant, difficile à accepter. A le scruter, j’ai toujours une sensation de gouffre. Le vertige me rappelle que j’ai un corps et que je suis mortel. On dit que dans ses dernières années Piero della Francesca fut frappé de cécité. On le dit, oui. Mais qui croire en ce monde ? Sigismondo Pandolfo Malatesta, par Piero della Francesca,1451
© RNM
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sand J’ai découvert ce tableau, L’Homme malade, il y a maintenant plus de trente ans, et j’ai compris en le voyant ce qu’est la fascination, comment une œuvre d’art pouvait avoir autant de présence qu’un être vivant. Pour moi, il représente l’un des plus superbes portraits d’homme jamais peints. Son titre le rend étrange, mystérieux, illisible. De quoi cet homme souffre-t-il ? Quel mal le possède ? Mal physique ou moral ? Qui est ce personnage ? De quelle vie est-il façonné ? Son regard est d’une froide mélancolie. Mais tous les mots, je m’en aperçois, échouent à le décrire. Il me demeure une énigme. J’imagine son sourire, je l’imagine sourire, je le veux tendre, je le veux autre, et pourtant rien n’atteint l’intensité de la toile, ni mes rêves ni mes attentes. Son visage m’ouvre à mille histoires. Je l’invente. En le contemplant des éternités répétées, ai-je accédé inconsciemment à l’écriture ? Que sait-on vraiment de ses personnages ? Il continue à me mener sur des chemins inconnus. Cet homme immobile est mon guide.
Composition, par Sam Francis
Sa ns doute suis -je capté pa r l’insaisissable, l’énigmatique, le parfaitement humain, ce qui rend palpable, voire charnel le silence. Roger Corbeau a rendu dans ce portrait d’Isabelle Huppert le lisse d’un visage derrière lequel tout est à l’œuvre, le pire, et qui sait, peut-être le meilleur. Sont tapies derrière ces traits la violence, la haine, la frustration, l’ambition pathétique, une nuit sans fond. La modernité du jeu de l’actrice m’a saisi, stupéfié, dès ses premières apparitions. Elle incarne la part obscure aux aguets en chacun de nous, à l’affût. Elle joue moins que plus. Sur sa face passent des frémissements, des appels, des cris. L’indicible la sculpte. En une seule scène, cette actrice est ceci, puis cela, imprévisible, inventive, une actrice de l’inconscient. Prête à toutes les avent ures cinématographiques, elle s’inscrit aussi bien dans l’univers de Pialat que de Godard, de Ruiz que de Deville, de Goretta que de Haneke. Façon de dire que le cinéma m’est vital. On scrute un visage et un film commence.
Isabelle Huppert, par Roger Corbeau
© RNM
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L’Homme malade, par Sebastiano del Piombo
L’écrivain et éditeur Daniel Arsand sonde sa mémoire et se souvient à partir de quelques images. Exercice à la faveur de la parution de son dernier livre, Que Tal (voir critique p. 32).
© ADAGP - Musée de Grenoble
Sam Francis, peintre que l’on connaît mal en France, m’apporte la joie. Les taches, les flaques de couleurs se font astres, galaxies, îles à la dérive, ont quelque chose de f lor a l, de nat u rel lement lud ique. L e s t oi le s de S a m Francis me ramènent toutes à l’enfance, à la première fois de tous les éblouissements, de toutes les craintes, me ramènent à ce qui a subsisté en moi et ne cesse de se recréer, elles m’apaisent, je ne m’en lasse pas, tous mes chemins les demandent et les quêtent. Je me perds dans leurs mouvements, dans leurs éclosions. Elles sont musicales, elles s’ouvrent comme un fruit mûr, toujours invaincues par des jets, des écoulements de ténèbres qui parfois, souvent en menacent la structure. Elles me ravissent à moi-même, elles me reposent du monde et de sa course et de ses habitants. A m’y perdre, je ne suis plus rien, et c’est un rav issement, n’être plus rien que le plaisir d’être là, presque heureux et rudement vivant. POUR ATTAQUER / Page 11
club TRANSFUGE
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TRANSFUGE
Cinéma
Littérature
Lullaby to My Father
Conversation avec
Alain Mabanckou
d’Amos Gitaï
Chaque mois, Transfuge invite un écrivain à la librairie Les Guetteurs de vent. Ce mois-ci, l’invité est Alain Mabanckou pour son livre Lumières de Pointe-Noire , aux éditions du Seuil. Sur place, apéritif et signatures du livre garantis.
A travers un voyage formateur et initiatique où se mêlent souvenirs intimes et événements historiques, le film dévoile le parcours du père du réalisateur, jeune architecte, à travers l’Allemagne, la Suisse, la Pologne et Israël.
Vendredi 18 janvier à 19h30 Les Guetteurs de Vent, 108 avenue Parmentier Paris 11e
20 invitations offertes à nos abonnés :
Dans toutes les salles de France où le film est diffusé.
de
Anja Hilling
traduction de l’allemand en collaboration avec
mise en scène avec
Sylvia Berutti-Ronelt Jean-Claude Berutti
Stanislas Nordey
Vincent Dissez, Valérie Dréville, Thomas Gonzalez, Moanda Daddy Kamono, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Lamya Regragui, Laurent Sauvage collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau scénographie Emmanuel Clolus lumières Philippe Berthomé son Michel Zurcher assistante Marine de Missolz création à La Colline production Espace Malraux – Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, La Colline – théâtre national, Théâtre National de Bretagne Rennes, Compagnie Nordey Le texte de la pièce a paru aux Éditions Théâtrales, éditeur et agent de l’auteur.
du 11 janvier au 2 février 2013
www.colline.fr 01 44 62 52 52
e
15 rue Malte-Brun, Paris 20
invitationtransfuge@free.fr
Théâtre
Tristesse animal noir d’Anja Hilling
Cinéma
LE NOUVEAU FILM DU REALISATEUR DE
TU MARCHERAS SUR L’EAU ET THE BUBBLE
Yossi d’Eytan Fox
Eytan Fox
un film d’
UNITED KING FILMS & LAMA FILMS prESENTENT UN FILM D’EYTAN FOX YOSSI
OHAD KNOLLEr OZ ZEHAVI OrLY SILBErSATZ OLA SCHUr SELEKTAr CASTING YAEL AVIV COSTUMES MIrA KArMELY & CHEN CArMI DIrECTION ArTISTIqUE MOr BArAK SON rONEN NAGEL MUSIqUE
KErEN ANN
ET LIOr ASHKENAZI
MONTAGE YOSEF GrUNFELD pHOTOGrApHIE GUY rAZ SCéNArIO ITAY SEGAL
prODUIT pAr MOSHE EDErY – LEON EDErY – EYTAN FOX – AYELET KAIT ET AMIr HArEL réALISé pAr EYTAN FOX AVEC LA pArTICIpATION DE rESHET
YES ISrAELI FILM FUND
www.yOSSI-LEFILM.cOM
DARK STAR
Conception graphique : Atelier ter Bekke & Behage 11 - Imprimé par Jourdan - Licence n° 1-103 58 14
Entrée libre
Yossi vit seul sa trentaine à Tel Aviv. Il assume mal sa sexualité et trouve dans son métier de cardiologue une échappatoire à ses déboires amoureux. Il va rencontrer un jeune homme qui lui fait retrouver le goût de vivre…
Des bobos ordinaires partent en forêt passer la nuit à la belle étoile. On est entre amis, de petites jalousies pointent, s’étouffent. On fait un énorme barbecue, on boit trop, on s’endort. D’un coup tout bascule : la forêt s’enflamme…
Dans toutes les salles de France où le film est diffusé.
20 invitations offertes à nos abonnés :
Vendredi 25 ou Samedi 26 janvier à 20h30 Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e
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20 places offertes à nos abonnés Transfuge Conception graphique : Atelier ter Bekke & Behage 11 - Imprimé par Jourdan - Licence n° 1-103 58 14
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Direction Communication - Ville du Havre - Conception : Anne Guélon / Réalisation : Armelle Rospape - Photo Getty Image : photoAlto Agency RF Collections/Volta Vetta - 10/2012
Littérature E LITTÉRAIR FESTIVAL ORS - MAGIC MIRR LE HAVRE JANVIER 2013 24/25/26/27 Le programme sur
legoûtdesautres.fr
Festival Le Goût des Autres, e 2 édition
texte et mise en scène
Guillaume Vincent
avec Francesco Calabrese, Émilie Incerti Formentini, Florence Janas, Pauline Lorillard, Nicolas Maury, Susann Vogel dramaturgie Marion Stoufflet scénographie James Brandily assisté de Emilie Marc et Alice Roux lumières Niko Joubert musique Olivier Pasquet son Géraldine Foucault costumes Lucie Ben Bâta et Guillaume Vincent conception marionnettes Bérangère Vantusso vidéo Thomas Cottereau coiffures et maquillages Justine Denis production Cie MidiMinuit, coproduction Festival d’Avignon, La Colline - théâtre national, CICT / Théâtre des Bouffes du Nord, CDN Orléans / Loiret / Centre, Comédie de Reims - CDN, Théâtre du Beauvaisis-Beauvais / Espace Jean Legendre-Théâtre de Compiègne / Scène nationale de l’Oise, Ircam - Centre Pompidou, Festival delle Colline / Torinesi, Théâtre des 13 vents - CDN de Montpellier, Le Parvis - Scène nationale Tarbes / Pyrénées, Le Mail Scène culturelle de Soissons, avec la participation artistique du Jeune Théâtre National avec le soutien de la région Ile-de-France, de la DRAC Ile-de-France, de l’Institut français et du fond SACD Théâtre 2012 Le texte de la pièce a reçu l’aide à la création des textes dramatiques du Centre national du théâtre. Il est a paru aux Éditions Actes Sud-Papiers.
au Théâtre des Bouffes du Nord
du 8 janvier au 2 février 2013
www.colline.fr / www.bouffesdunord.com 01 44 62 52 52 / 01 46 07 34 50 e 37 bis, bd de La Chapelle – Paris 10
Mardi 15 janvier à 19h Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis, bd de La Chapelle, Paris 10e
Les 24, 25, 26 et 27 janvier 2013 au Havre (76) - www.legoûtdesautres.fr
invitationtransfuge@free.fr
20 places offertes à nos abonnés :
23 janvier - 23 mars, 21h
littérature
Lancement le 24 janvier, Bibliothèque Buffon Ouverture le 30 janvier, Bibliothèque publique d’information, Centre Pompidou Rencontres du 31 janvier au 3 février, Petit Palais Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Enjeux contemporains VI
Quand
la littérature fait savoir
Informations au 01 55 74 60 91 / 01 55 74 60 98 www.m-e-l.fr
La Nuit Tombe de Guillaume Vincent
Une chambre d’hôtel dans un palace décati : ce pourrait être à La Havane ou à Shanghai, en ex-URSS ou en Amérique du Sud... Un lieu hanté par trois histoires qui s’y entrelacent. Un projet des théâtres de la Colline et des Bouffes du Nord associés.
La 2e édition du festival littéraire Le Goût des autres fêtera le centenaire de la naissance d’Aimé Césaire en mettant à l’honneur les littératures de la négritude. Débats, concerts littéraires, lectures-rencontres autour de la diversité antillaise et afro-américaine.
Entrée libre –
Théâtre
Littérature
Enjeux Contemporains VI
Dans le cadre de l’événement Enjeux Contemporains IV de la maison des Ecrivains et de la Littérature, notre rédactrice en chef littérature Oriane Jeancourt animera la table ronde « La littérature d’investigation » avec Frédéric Pajak et Patrick Deville.
Jeudi 31 janvier de 17h30 à 18h30 Petit Palais, Musée des Beaux-arts de la ville de Paris – www.m-e-l.fr
Entrée libre
Théâtre animaux
sans
texte et mise en scène avec
Jean-Michel Ribes
Caroline Arrouas, Annie Gregorio, Philippe Magnan Christian Pereira, Marcel Philippot
www.theatredurondpoint.fr
Théâtre
Théâtre sans animaux de Jean-Michel Ribes
La création de Jean-Michel Ribes enchaîne huit contes traversés par des tempêtes de cocasserie et d’absurde. Des gens, presque normaux comme tout le monde, s’interrogent sur la nécessité de s’appeler Bob, et visitent un salon de coiffure pour goélands.
Samedi 26 janvier à 17h30 Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin-D.-Roosevelt, Paris 8e
20 invitations offertes à nos abonnés : invitationtransfuge@free.fr
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édition Corentin Quicke Conception graphique Rémi Pépin Réalisation graphique Guillaume Engel Direction artistique Danielle Zetlaoui (Synapse Productions, 4, rue de l’Exposition, 75007 Paris) Rédacteur en chef cinéma Damien Aubel
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Rédactrice en chef littérature Oriane Jeancourt Galignani Rédaction Philippe Adam, Jakuta Alikavazovic, Damien Aubel, François Bégaudeau, Romain Blondeau, Jean Paul Civeyrac, Marc Endeweld, JeanChristophe Ferrari, Fabrice Hadjadj, Alban Lefranc, Salomon Malka, Florence Maillard, Frédéric Mercier, François-Jacques Ossang, Sophie Pujas, Jean-Philippe Rossignol, Vincent Roy, Benoît Sabatier, Louis Séguin, Ariane Singer, Marine de Tilly, Philippe Vilain, Arnaud Viviant Chroniqueurs François Bégaudeau, Frédéric Bonnaud
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Photographes Fabien Breuil, Jean-François Robert, Olivier Roller, Adeline Mai
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