TRANSFUGE N° 66

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Transfuge

Mars 2013 / N° 66 / 6,90 €

TRANSFUGE Choisissez le camp de la culture

david vann

Dans son nouveau roman, l’auteur culte de Sukkwan Island dévoile la part d’ombre de l’Amérique

Entretien avec un tragique

LITTÉRATURE

Livre du mois : Kevin Powers Stephen King, grand auteur populaire ? CINÉMA

dossier : bruno dumont filme camille claudel Film du mois : Mystery, de Lou Ye Les acteurs français, ces monarques

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CRÉDITS NON CONTRACTUELS

Retrouvez l’univers de Lou Ye en VOD sur

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EN PLEIN CHAOS

Coucher avec sa cousine peut poser

par Vincent Jaury

quelques problèmes

David Vann

C’est à partir de ce problème, cette question, ce passage, que le romancier américain David Vann déplie l’histoire affreuse de son dernier roman, Impurs. Les Français l’avaient découvert avec Sukkwan Island (éditions Gallmeister), best-seller immédiat, roman sur un père qui entraîne son fils, Roy, à s’isoler de tous avec lui, dans une cabane ; les deux finiront par se haïr. Roman familial cauchemardesque : on est au cœur de l’univers de Vann. Passons sur Désolations (éditions Gallmeister) qui nous avait moins convaincus. Vann revient avec Impurs (éditions Gallmeister), roman viscéral réussi à l’instar de Sukkwan Island. Ça commence comme du Tchekhov (roman familial dilettante), ça continue comme du Bernhard (roman familial violent, gangrené par la haine) et ça finit comme un film d’horreur et dans un panthéisme New Age délirant, sinon fou. Ce roman hybride, nous raconte David Vann qui met les tripes sur la table, est très proche de sa propre vie. Oh My god ! Ce Vann est un furieux : il s’agit d’un fils qui enterre sa mère vivante !

Kevin Powers

Un autre Américain publie un premier roman impressionnant, Kevin Powers, avec Yellow Birds (Stock). Il raconte son expérience en Irak, à Al Tafar, en 2004. A travers un lyrisme frisant la naïveté, (il n’avait que 17 ans quand il est parti en guerre), des images réussies, il raconte la cruauté de la guerre, de sa guerre, son absurdité permanente, la folie qui y rôde sans cesser, l’impossible retour du vétéran, la détresse de celui qui tue trop tôt son innocence. Il voulait devenir un homme, nous dit-il dans l’entretien : il l’a payé bien cher. Sa tristesse est grande.

Bruno Dumont

Il signe peut-être son plus beau film : Camille Claudel 1915. Juliette Binoche, en retenue, excelle dans son travail d’actrice. Grâce d’une sainte, larmes amères, rires tendus, silences résignés, grimaces de malade : son visage exprime à la perfection une palette large de sentiments. Le film est rigoureux, les plans fixes, dépassionnés et dépouillés jusqu’à l’os. C’est l’anti Camille Claudel de Bruno Nuytten, romantique en diable. Le réalisateur empreint de mysticisme, semble garder ses distances dans ce film vis-à-vis de ses penchants habituels, pour montrer. Bassement montrer, pourrait-on dire. Montrer quoi ? Le quotidien de Camille, trois jours, 1915, asile psychiatrique de Montdevergues, ennui, répétition des gestes, joie, crainte, doute, fatigue, faim, sommeil : tout y passe, c’est-à-dire pas grand-chose ; l’oisiveté tout au plus. Montrer en élargissant la focale, mais pas beaucoup plus : le fonctionnement d’un asile psychiatrique. Le film est comme une peinture réaliste. C’est, me semble-t-il, la plus belle force du film : avoir évacué la tentation bien tentante de faire du drame ou du tragique avec ce sujet-là (même si des traces de l’un ou de l’autre apparaissent ici et là dans le film). Dumont, paisiblement, prend des notes, cadre, observe, « soustrait », comme il nous le dit dans son entretien. Pas la peine d’ajouter du drame au drame ; c’est tout l’art minimal de Dumont. Camille Claudel ne sortira jamais de cet asile, elle y mourra, 30 ans plus tard. Rien à ajouter, pourrait nous dire l’élégant Dumont. EDITORIAL / Page 3


«

Le grand Entretien

La culture américaine engendre des monstres

»

Après le noir Sukkwan Island, prix Médicis étranger 2010, David Vann renouvelle l’expérience du pire dans son roman Impurs. Dans une maison perdue en Californie, pendant les années 80, un fils et sa mère vont laisser libre cours à leur rancœur, jusqu’à l’horreur. David Vann, qui a quitté l’Amérique, écœuré par sa violence, s’est livré à nous pendant plusieurs heures. Il nous décrit sa patrie : une terre sauvage qui engendre des monstres. Dans la lignée de Cormac Mac Carthy, David Vann s’impose comme l’écrivain des tragédies américaines.

18/ introduction 19/ entretien : David Vann

Introduction par Oriane Jeancourt Galignani Propos recueillis par Oriane Jeancourt Galignani Illustration Killoffer

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GRAND ENTRETIEN / Page 17

Littérature

Kevin Powers

P. 24

par Oriane Jeancourt Galignani photo Jean-François Robert

O

n s’attendait à une bête. Résist ante, désenchantée, un « tough guy », dirait-on dans son Sud natal. Mais il a ces épaules qui s’affaissent, ce corps qui tombe. Sous la pluie parisienne, Kevin Powers revêt la silhouette d’un étudiant endeuillé, un triste sire en jean et parka. « Ils avaient un regard de chevaux habitués au combat », écrit Powers en parlant des soldats d’Irak. Lui aussi devait avoir cette docilité-là pendant la guerre. Près de dix ans plus tard, ses yeux ont désappris à obéir, laissé place à un regard qui sait. Ce qu’il a fait, ceux qu’il a tués, ce à quoi il a échappé. Ce qui l’a consumé. Cette brûlure-là, elle ressemble à celle d’un jeune homme au visage hâve, Norman Mailer revenu du combat, défiant l’appareil en 1949, sur la première photo qu’on connaît de lui écrivain, de son œil bleu halluciné. Face à Kevin Powers, me

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littérature critique

YellOw Birds traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson, Stock 264 p., 19e

LITTÉRATURE / Page 25

Cinéma

Lou Ye

P. 46 Lou Ye

île

nul homme

n’est une

L’

par Damien Aubel

Hao Lei, dans Mystery

homo sapiens version 2.0 est un mutant. Clonés à l’échelle mondiale, oublieux des frontières, nous nous ressemblons tous : Lu Jie (Hao Lei, parfaite en housewife de l’empire du Milieu, tour à tour vulnérable et machiavélique) et son mari, Yongzhao (Qin Hao, rempilant brillamment chez Lou Ye après Nuits d’ivresse printanière), représentent un échantillon-type de l’internationale bobo. Nantis, élégants, ils ont su monter dans l’ascenseur économique d’une Chine convertie sans complexes aux vertus du capitalisme. Citoyens de Wuhan, mégapole tout en gratte-ciels et en échangeurs routiers, ils pourraient vivre à Berlin, Londres, Tokyo. Lui, c’est le businessman affairé et voyageur, beau gosse au chic décontracté très tendance ; elle, la mère au foyer, la soccer mom inséparable de leur petite fille, toujours entre deux trajets pour l’amener à l’école. L’un comme l’autre vivent conformément à l’idéal nomade de notre XXIe siècle, fondé sur

Le couple, cette illusion

Le couple, comme cellule fusionnelle, est intenable. Myste r y pour r a it arborer le t it re balzacien d’Une double famille. Lu découvre la liaison adultérine de son mari, avec son arsenal traditionnel de situations : après-midi clandestins à l’hôtel avec une étudiante, mensonges, faux-fuyants. Mais elle découvre surtout la double vie maritale de son conjoint, qui a fils et compagne dans un autre foyer. L’autre femme est le tiers indésirable, l’intruse fissurant l’unité sentimentale qu’on pensait imperméable. Car chez Lou Ye, le couple est fragile. Très tôt dans le film, une séquence apparemment CINEMA / Page 47

Dossier

P. 68 Camille Claudel 1915 Bruno Dumont filme le calvaire sublime d’une artiste Bruno Dumont est une splendide anomalie dans un cinéma français ronronnant et trop raisonnable. Avec ce Camille Claudel 1915 à l’intensité dépouillée, il saisit une Juliette Binoche magnétique au fil de plans fervents et rigoureux. C’est d’ores et déjà un des grands films de 2013 et l’occasion de revenir sur un cinéma où la réalité la plus humble, voire la plus triviale, ouvre à une quête de la transcendance.

DOSSIER

Dossier coordonné par Damien Aubel et Vincent Jaury illustration Killoffer

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24/ ouverture : Yellow Birds, Kevin Powers 28/ critique : Métronome vénitien, Samuel Brussell 29/ critique : Des lieux et des hommes, David Means 30/ critique : La Puissance discrète du hasard, Denis Grozdanovitch 31/ critique : Le Cœur de l’homme, Jón Kalman Stefánsson 32/ critique : Phrixos le Fou, Miquel de Palol 33/ critique : Le Baptême des barreaux, Edouard Kotcherguine 34/ critique : Après le carnage, T.C. Boyle 35/ critiques 38/ remous : Le King des prolos 42/ déshabillage : Eric Marty 46/ ouverture : Mystery, Lou Ye 50/ critique : Cloud Atlas, Lana et Andy Wachowski 51/ critique : Djeca, Aida Begic 52/ critique : Les Nuits avec Théodore, Sébastien Betbeder 53/ critique : Los Salvajes, Alejandro Fadel 54/ critique : Bestiaire, Denis Côté 55/ critique : No, Pablo Larraín 56/ critique : A la merveille, Terrence Malick 57/ critiques 60/ remous : De l’acteur comme monarque 64/ déshabillage : Eric Elmosnino

Dossier p.68

un techno-individualisme qui fait de chacun une unité autonome ultra-connectée, un atome relié aux autres par les fils de la toile et le réseau des portables. Ils vivent dans un rêve de bulle étanche qui s’étendrait à la rigueur au couple et à la famille. Pas étonnant alors qu’il pleuve tant dans Mystery : les averses permanentes sont autant de nappes isolantes, de rideaux dressés entre le monde et soi. Une logique de la séparation que Lou Ye renforce encore en multipliant vitres et parebrises : Lu semble vivre dans la coque de sa voiture. Mais Mystery vient précisément fracasser ce rêve solipsiste. « Nul homme n’est une île », avertissait John Donne. Et c’est bien cette intuition que reprend à son compte Lou Ye.

cinema critique

Mystery est une histoire chinoise qui pourrait être une histoire de partout : un jeu complexe d’adultère et de trahison, un écheveau familial et sentimental. A la clef, une redécouverte de l’humanité en ce XXIe siècle où triomphe l’individu-roi. Brillant, complexe et noir.

Littérature p.24

Cinéma p.46

Un premier roman, sur la guerre d’Irak, fait l’événement aux Etats-Unis, d’une beauté fauve et d’une noirceur vertigineuse. Yellow Birds, du vétéran Kevin Powers, le livre d’une jeunesse sacrifiée. Kevin Powers

Pour attaquer p.3

3/ éditorial – 5/ j’ai pris un verre avec… – 6/ chronique – 8/ mauvaise humeur 9/ page des libraires – 10/ la mémoire retrouvée – 12/ club Transfuge – 14/ le journal de…

Le grand entretien p.16

David Vann

GRAND ENTRETIEN

sommaire

P.16

N°66/mars 2013

70/ Heureux les simples d’esprit 72/ « On a travaillé par soustraction » 76/ Tristesse des chairs 78/ Marginal 80/ Bruno Dumont : celui par qui le scandale arrive 82/ En six films 83/ Abécédaire

Et pour finir p.84

84/ poésie : Sonnets, William Shakespeare 85/ poche : Le Sens du calme, Yannick Haenel 86/ théâtre : L’Homme qui se hait, Denis Podalydès et Emmanuel Bourdieu 87/ essai : Modernes catacombes, Régis Debray 88/ DVD : Howard Hawks, Kijû Yoshida, Pierre Carniaux 90/ classique livre : Œuvres, tome II, Claude Simon 91/ classique cinéma : La Bandera, Julien Duvivier 92 / expo : Linder, Femme/Objet, Linder 94/ medias : Ariel Kyrou 96/ musique pop : Nick Cave

97/ musique classique : Golgotha, Frank Martin 98/ prophétie


J’AI PRIS UN VERRE AVEC

Sophie Letourneur par Louis Seguin - photo Fabien Breuil

A

la fois devant et derrière la caméra des Coquillettes, Sophie Letourneur prolonge son exploration du monde des vraies filles. Elle nous reçoit dans son appartement du Xe arrondissement. Elle est bien entendu accompagnée d’une amie ; ici Camille Genaud, l’une des deux f illes qui partagent l’affiche des Coquillettes avec elle. La cinéaste est une fille de bandes, ses films montrent des bandes

Quand Camille rencontre le personnage de Julien Gester, elle lui roule une grosse pelle de filles. Dans Les Coquillettes, Sophie, Camille et Carole se remémorent au cours d’une soirée appart à Paris leur virée au festival de Locarno, entre fêtes minables et amourettes ridicules. J’explique le principe de la rubrique à Sophie Letourneur ; elle : « Un thé ou un café, c’est un verre ? Désolée mais je n’ai pas encore repris l’alcool, j’ai accouché il y a deux semaines. » Il est 14 heures, un café ira très bien. L’ambiance est amico-familiale, l’appartement foisonne d’objets divers, pas tellement rangés. On se croirait dans un film de Sophie Letourneur. Dans le paysage du cinéma français, comique et féminin, la réalisatrice occupe une place à part, et peut-être unique. Elle déplore d’ailleurs cette pénurie d’actrices comiques, même aux Etats-Unis, qui seraient les équivalentes des buddies d’Apatow.

Depuis le court métrage La Tête dans le vide (véritable credo), alors qu’elle était encore étudiante aux Arts déco, Sophie Letourneur développe un cinéma dont l’inventivité formelle est au service d’un humour à la fois scatologique et distancié. Ses personnages (des filles) n’ont pas de grandes ambitions et ne brillent pas ; elles luisent même parfois, faute de maquillage, comme dans la vie. A propos des Coquillettes, Sophie Letourneur rappelle sa méthode de travail, rodée avec La Vie au ranch (son premier long métrage) et Le Marin masqué : « J’ai enregistré le récit en voix off d’abord, qui a été retravaillée beaucoup, et j’ai tourné avec cette voix off en tête. Puis le montage des images étant fait, j’ai réécrit la voix off. » Les personnages parlent beaucoup, dans les films de Sophie Letourneur, souvent pour ne pas dire grand-chose, et parfois les conversations deviennent inaudibles à force de se chevaucher ou de se contredire. Il y a un « ton Letourneur », un mélange de naïveté, de nonchalance et une pointe de sottise que l’on retrouve de film en film. Les voix féminines s’accordent entre elles, et, même quand elles s’aventurent du côté de la trivialité la moins reluisante, elles créent une mélodie comique qui berce le spectateur. Pour tirer cette mélodie du réel, tous les moyens sont bons lors du tournage, quitte à tricher un peu avec les acteurs : « Quand Camille rencontre le personnage de Julien Gester, elle lui roule une grosse pelle. Ils ne se connaissaient pas, et je n’ai pas prévenu Julien de ce qui allait arriver… Il croyait avoir un petit rôle. » Ainsi se font les films de Sophie Letourneur : en sautant à pieds joints dans le plat (de coquillettes).

POUR ATTAQUER / Page 5


Le nez dans le texte

François Bégaudeau

Camaraderie Matthieu Rémy Editions de l’Olivier 176 p., 18 e

Dans les diagonales P armi les bouches qui s’animent pour émettre des jugements esthétiques, de nombreuses utilisent deux mots comme des griefs en soi : psychologie, sociologie. Prononçant l’un ou l’autre, elles ont tout dit de la répulsion que leur inspire tels film, livre, pièce. Pourquoi cela ? Elles n’en diront pas plus. Il faudra faire le boulot à leur place. Laissons pour aujourd’hui l’énorme dossier de la psychologie. Parlons de la sociologie. De l’effroi qu’elle suscite au pays de l’art. Pourtant elle n’a pas de tronçonneuse à la main, ni l’intention de martyriser un enfant. Le plus souvent elle se pose dans une œuvre comme moineau sur rebord de fenêtre. En tout cas c’est ainsi qu’elle se pose dans Camaraderie, première publication fictionnelle de Matthieu Rémy. Il y raconte des histoires, fatalement ces histoires impliquent des gens, or ces gens sont un peu réels, donc un peu des créatures sociales. Légèrement plus terrestres que Goldorak, elles circulent dans une société donnée. Les vingtenaires de « Bebel » adoreraient picoler à l’œil, mais dans les cafés de France les bières sont payantes, ce qui structure leur soirée : « Nous étions allocataires, stagiaires ou contractuels et avions conservé les mauvaises habitudes des années à examen, avec cette différence notable : les indemnités que nous touchions à présent permettaient de boire plus tard dans la nuit. » Plus pauvres, ces jeunes gens se coucheraient plus tôt. Dès lors, un récit précis de leur beuverie hebdomadaire accueillera mécaniquement des notations de cet ordre, des notations sociologiques. Où est le problème ? Le problème, on l’entrevoit. La « dégradation de la littérature en roman sociologique » dont parlent certains, se signale par des personnages réductibles à leur identité sociale – types — dont une prose armée de pluriels généraux et de présents positivistes contera le parcours fatal, comme dans ce petit aparté parascientifique sur le sociotype « cancre » : « Quand ils sont nimbés de l’aura légendaire de la petite délinquance, on s’imagine souvent qu’ils ont atterri en prison mais ils sont plus fréquemment devenus gardiens de stade, étalagistes ou caporal-chef dans l’armée de terre fréquentant les troquets de banlieue que les diplômés promis à l’emploi croient toujours désertés par les gens de leur âge. » Secondant la machine sociale, cette phrase est un entonnoir, une large avenue terminée en goulot d’étranglement. Tu te crois libre ? Tu finiras gardien de stade, comme tous tes semblables. Tu te crois légendaire ? Tu es terriblement réel.

Page 6 / Pour attaquER

Alors, plus rien n’est possible. Pas même un récit. Un récit c’est toujours du possible. Camaraderie serait un livre bien triste s’il se limitait à cela, s’il limitait ses personnages à leur condition. Ça tombe bien, il ne le fait jamais. Cinq pages plus loin et des années plus tard, le narrateur recroise le cancre Wilfried. Il lui demande ce qu’il est devenu, l’autre ne répond pas. Nouvelle question, toujours pas de réponse. L’autre griffonne alors quelque chose sur un carnet : « Je suis ermite dans le Gard, j’ai fait vœu de silence. » Puis : « Je médite. » L’ex-cancre médite. Il a échappé à son programme. A l’entonnoir s’en abouche un autre, symétrique, goulot d’abord puis qui s’évase. La route puis sa bifurcation. Ailleurs il sera dit : « Quelque chose passait entre les trois, dévié quoique réel. » Le réel inclut sa déviance. Ce qu’on appelle réel n’est pas l’ensemble des phénomènes en tant qu’ils sont justiciables de lois. Le réel c’est le déterminé + la marge de manœuvre. Certains personnages de roman sont des bulles flottant nulle part ; d’autres des chevaux de labour rivés à l’ornière. Ceux de Camaraderie sont des créatures sociales et insulaires ; collectives et singulières ; banales et romanesques ; prévisibles et bluffantes ; congrues et incongrues. Quand deux étudiants s’y rencontrent, ils se parlent d’abord forcément de ce qu’ils ont en commun, de leurs lieux communs – ornières. Mais ça dévie : « Du syndicalisme étudiant nous en vînmes aux enseignements d’histoire, pour dériver vers la sociologie, puis vers le sport, et enfin vers Nigel Mansell. Il ne comprenait pas comment Nigel Mansell avait pu être sacré champion du monde. » Prenant un essor propre, la parole a téléporté les interlocuteurs dans le cockpit d’une Formule 1. La diagonale s’emprunte souvent en chevauchant les mots. Dire n’importe quoi est plus aisé que faire n’importe quoi. Je peux facilement dire : parachute. Mais moins facilement sauter en parachute là maintenant de ma chaise à mon bureau. Soit une soirée, un bar, un garçon et une fille se payant un dernier verre, titubant jusque chez lui, couchant ensemble : « On est en présence d’une banale histoire de drague dans un bistrot. » Et puis dans le lit les voilà qui parlent. De tout. De rien. De ce qui vient. De Levet, un prof de fac. Ils n’auraient pas cru le connaître tous les deux. Ils n’auraient pas pu prévoir d’en parler dans ce contexte. C’est la partie subsidiaire de la soirée. Cette nouvelle, une des plus belles du recueil, s’appelle « Et l’on a parlé d’Etienne Levet ». Tout est dans le « et ».


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D o n o M t on

A S R C I A L C ES C H L T E R ES V I L s, intue hics o p s c es tion ques esse et s ’avez , s r iteu ne l omt s aud s, une c me vous nne ou , e d l fi te e com qui do relire s de quan r Coup iques pi on littérai mission e lire, de chron : un sal u ! Une é le goût d typesis entend uditeurs jama nne aux acouvrir… redo re, de dé de ri

LA VOIX EST LIBRE

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MAUVAISE HUMEUR

Examen anal et ninjas roses Harmony Korine et James Franco

Spring Breakers

Harmony Korine avec James Franco, Vanessa Hudgens… Mars Distribution sortie le 6 mars

40 ans : mode d’emploi Judd Apatow avec Paul Rudd, Leslie Mann… Universal Pictures sortie le 13 mars

S

pring Breakers, c’est d’abord une vitrine pour James Franco. Ce stakhanoviste du transformisme made in Hollywood (on l’a vu en James Dean et en Allen Ginsberg) est « Alien », rappeur et truand qui incarne toute une culture MTV-hip-hop. Mais cette quincaillerie folklorique n’est qu’un travestissement : Alien est un petit Blanc jouant les Scarface black. L’habit ne fait pas le caïd. C’est aussi tout le problème de Spring Breakers et d’Harmony Korine, ex-enfant terrible et prodige du ciné indé US : sous un emballage auteuriste et arty virtuose dopé à la trash culture, cette fantaisie pop vise d’abord à faire pleurer Margot. Soit un quatuor d’étudiantes, fauchées donc a priori privées de « spring break », le grand défouloir annuel estudiantin américain. Nos adolescentes récupèrent finalement un peu d’argent et filent au soleil faire la bringue. Ce girls gang hédoniste et déluré est pris sous son aile par Alien. Sur ces prémisses, Harmony Korine essaie de nous faire croire qu’il joue à fond la carte du sérieux. Il multiplie les tics formels : déconnexion des voix et des images, fragmentation des séquences, négligé crade du grain, atmosphère brumeuse onirique. Bref, Spring Breakers serait une rêverie trash, comme si les protégées d’Alien revivaient de l’intérieur, sur le mode du fantasme et de l’obsession, leur « spring break ». Mais cette ambitieuse façade cache un fonds de commerce cheap. Prenez la grande scène où Franco, au piano au bord de sa piscine, reprend le Everytime de Britney Spears, entouré de ses girls, transformées en ninjas cagoulées de rose. Avec cette pop-song qui dégouline de sensiblerie, on tient peut-être le vrai ressort du film, qui carbure au sentimentalisme éhonté. Même propension chez Judd Apatow, petit-maître de la comédie US et idole de la critique, à tirer sur les grosses cordes de la sensiblerie. Dernière pièce à conviction en date, l’indigeste 40 ans mode : d’emploi, spin-off interminable d’En cloque, mode d’emploi. Pete et Debbie passent le cap de la quarantaine, qu’ils vivent comme une Bérézina familiale, tant sur le plan

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sentimental que professionnel. Judd Apatow tisse une rhapsodie d’engueulades épicées ici et là de petites saillies incorrectes, absurdes et trash. Pete pète au lit, se contorsionne avec un miroir pour procéder à son propre examen anal ; Larry, son père, vit sans états d’âme sur le dos de son fils ; Debbie fume en cachette, protégée par une panoplie élaborée et incongrue (gants de cuisine, serviette sur la tête) pour éviter l’odeur du tabac. Bref, tout les ingrédients sont là pour faire déraper l’éternelle histoire de la mid-life crisis vers le graveleux farrellien et la folie douce des grandes comédies classiques américaines à la Billy Wilder. Mais, comme le décryptait Emmanuel Burdeau dans les pages attentives et passionnées qui ouvrent Comédie mode d’emploi, son entretien fleuve avec le réalisateur, le cinéma d’Apatow est aussi un cinéma de la « fadeur », du neutre. Il s’agirait de montrer le quotidien dans son absence de relief, dans ce qu’il a d’ennuyeux, de monocorde. Mais chez Apatow, les vies ordinaires ne sont pas données à voir comme telles, on ne va pas jusqu’au bout de la platitude, c’est-à-dire jusqu’à l’ennui, l’étiolement émotionnel, l’indifférence affective. Au contraire : le pathos submerge le film, des plans touchants sur la petite Charlotte jouant de la musique, à Pete pleurant au volant de sa voiture. Quand Charlotte colle un mot d’excuse sur la porte de sa grande sœur, la scène est attendrissante, c’est entendu. Mais on aurait rêvé qu’Apatow fasse l’économie de ce moment confinant à la mièvrerie et qu’il les montre, simplement, se réconciliant. Qu’il nous montre comment, au fil des jours et de l’écoulement du quotidien, les griefs s’érodent, la vie reprend son cours, lentement, ennuyeusement. Bref, on attend encore celui qui serait l’Antonioni de la comédie, celui qui s’attaquerait mieux à la fadeur. Comme chez Harmony Korine, on peut parler de tromperie sur la marchandise : cette comédie des vies ordinaires mâtinée d’envolées rabelaisiennes ou absurdistes n’est qu’un faux nez pour fabriquer de l’émotion bon marché. Pour Harmony Korine et Judd Apatow, le cinéma est moins un art de l’illusion que de la contrefaçon.


de José Carlos Llop Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu éditions Jacqueline Chambon 320 p., 23,50e

La Hune 16-18, rue de l’Abbaye, 75006 Paris

José Carlos Llop a grandi à Palma de Majorque dans les années 60. Avec Dans la cité engloutie, il nous invite à une promenade littéraire où se mêlent l’histoire familiale et celle de l’île, souvenirs d’enfance et évocation de lieux emblématiques aujourd’hui d ispa r us. I l nous rest it ue l’atmosphère encore palpable, d ’u n monde co smop ol it e riche de gens venus d’ailleurs, aristocrates, commerçants, réprouvés… un monde où littérature et cinéma ne sont jamais loin et dans lequel Llop a puisé sa matière romanesque. (Lire aussi chez le même éditeur son très beau roman Parle-moi du troisième homme)

La Procure 3, rue de Mézières, 75006 Paris

Adèle et moi de Julie Wolkenstein éditions P.O.L 600 p., 22e

Quand son père meurt, Julie Wolkenstein retrouve, parmi les nombreux dossiers à trier, un mémorandum de 12 pages sur Adèle, son arrière-grand-mère, née en 1860. Elle se découvre d e s p o i nt s c o m mu n s a v e c cette femme inconnue d’elle jusqu’alors, parmi lesquels sa passion pour la Normandie et cette maison de famille qu’elle y a fait construire. Où s’arrête la vérité et où commence la fiction ? On se laisse porter par ce très bel hommage filial. Un roman splendide.

L’Entrée du Christ à Bruxelles de Dimitri Verhulst traduit du néerlandais par Danielle Losman éditions Denoël 160 p., 15e

Les Guetteurs de vent 108, avenue Parmentier, 75011 Paris

Après le remarqué La Merditude des choses, voici pour notre plus grand plaisir le deuxième liv re de Dimit r i Verhulst, L’Entrée du Christ à Bruxelles dans l’excellente traduction de Danielle Losman aux éditions Denoël. Avec Dimitri Verhulst les personnages sont toujours en marge des conventions sociales et les situations toujours burlesques. Dans le livre, c’est toute la société belge qui est mise à rude épreuve, à l’épreuve de sa crédulité bien. L’arrivée du Christ en Belgique va bouleverser les codes sociaux de ce petit pays aux trois langues. L’occasion d’une critique cynique et drôle. Mais le Christ viendra-t-il ? Vous le saurez en lisant ce petit chef-d’œuvre d’humour noir. Un vrai régal.

L’Ecume des pages 174, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

L’autre vie d’Orwell

de Jean-Pierre Martin éditions Gallimard 160 p., 17,90e

Barnhill, Ecosse, 1946. Eric Blair (Or well) s’est retiré pour écrire 1984 et s’éloigner d’une Europe en reconstruction. Jean-Pierre Martin nous narre cet épisode de sa vie, son rapport à la nature, la maladie qui se propage, l’expérience de la solitude (pas totale il est vrai, car entre les amis, la famille et les cerfs qui règnent en maîtres, diff icile d ’ êt re complètement seu l). S a femme aura ces mots : « Il est fait pour écrire des livres et cultiver son potager, pas pour l’engagement politique. » A déguster au coin du feu avec un verre de vin du Jura.

Wilderness

de Lance Weller traduit de l’anglais (EtatsUnis) par François Happe édtions Gallmeister 344 p., 23,60e

Le Passeur 9, avenue Thiers, 33100 Bordeaux

Abel Truman est un vieil homme malade et consumé par son passé. Rescapé de la guerre de Sécession, il vit seul avec son chien. Un beau jour, il décide de prendre la route pour un dernier voyage. Pour ce nouvel ouvrage publié dans la merveilleuse collection Nature Writing, les éditions Gallmeister nous proposent avec Wilderness un premier roman magistral. La plume de Lance Weller est puissante et précise, sa narration brillante. Fresque épique remarquable, quête de rédemption poignante, roman historique saisissant, l’auteur conjugue à merveille les approches et nous offre un roman maîtrisé de bout en bout.

Ombres Blanches 50, rue Gambetta, 31000 Toulouse

La Disparition de Jim Sullivan de Tanguy Viel éditions de Minuit 160 p., 14e

La Disparition de Jim Sullivan est un roman à la fois captivant et déroutant. C’est un subtil mélange d’éléments hétérogènes et en apparence inconciliables, parce que c’est une fiction « à l’américaine » passée au prisme des techniques du nouveau roman. C’est un précipité ! Sans jamais être pesant, trop théorique ou vraiment postmoderne, le roman joue avec les clichés de « l’American way of life » avec humour, ironie et une dose de pastiche. Tout y est : le héros à la dérive, la grosse cylindrée qui file sur un bitume déroulé à l’infini, le motel et les illusions perdues. En fait Tanguy Viel nous donne à lire son livre sur la façon dont il a écrit son grand roman américain, et c’est une réussite !

POUR ATTAQUER / Page 9

la page des libraires

Dans la cité engloutie


LA MÉMOIRE RETROUVÉE

Jérôme propos recueillis par Oriane Jeancourt Galignani

Jean de La Ville de Mirmont posant en Dormeur du val

Bleus horizons

Gallimard, Blanche 224 p., 16,90 e

La photo la plus connue du poète et écrivain Jean de La Ville de Mirmont est celle où on le voit en uniforme, partant pour la Première Guerre mondiale, où il mourra, deux mois plus tard, en novembre 1914. Je préfère celle-ci, où il pose en Dormeur du val. Il a 20 ans, ne sait pas que quelques années plus tard, il mourra sous un obus, enterré vivant, dans une scène terrible que je raconte dans mon livre et qui avait été précédemment relatée par Mauriac. L’obus le fige, comme la lave du Vésuve a figé les habitants de Pompéi, le paralyse dans l’élan du combattant. Il n’aurait jamais dû partir à la guerre : myope, malingre, il lisait de la poésie dans les tranchées. Ce même garçon, lorsqu’il pose en Dormeur du val, huit ans plus tôt, choisissant cette posture poétique et dramatique, pressent-il sa fin à venir ? J’ai envie de croire cette photo prémonitoire.

Page 10 / TRANSFUGE

Je ne peux penser qu’à lui lorsque j’évoque Jean de La Ville de Mirmont : Jean Prévost, écrivain de la NRF, auteur d’une des plus belles thèses sur la création chez Stendhal, qui, dans les années 40, part s’engager dans la Résistance et prend le nom du Capitaine Goderville. Il meurt le 1er août 1944, à l’âge de 43 ans, le même jour que son ami Saint-Exupéry. Cette photo est la dernière prise de lui dans le Vercors. J’ai écrit mon premier livre sur Jean Prévost. A l’époque, c’était un geste militant, je réagissais à la multiplication des biographies de Brasillach qui occultaient l’œuvre de Prévost, devenue introuvable en librairie. On ne pouvait même pas lire son dernier essai sur Baudelaire, écrit dans le Vercors, et qu’on a ret rouvé enter ré là-bas, après sa mort. Lorsque je l’imagine combattant dans le maquis la journée, et le soir, sous sa tente, écrivant sur Baudelaire, je me dis, comme lorsque je pense à Mirmont, que si la littérature résiste à des journées pareilles, elle peut, comme dirait Char, fournir des « alliés substantiels » même en pleine boucherie. Jean Prévost dans le Vercors

Olivier et Jérôme, les deux jumeaux de 4 ans

Un autre désarçonné Olivier, mon frère. Lui n’a pas eu plus de six ans pour v iv re. Cette photo a été prise en 1960, nous avions quatre ans, devant NotreDame. Olivier mourra deux ans plus tard. J’ai vécu des années seul avec cette histoire. Pendant longtemps, j’ai refusé de publier cette photo que je garde sur mon bureau. Même à la par ution d’Olivier chez Gallimard, je n’ai pas voulu donner cette image aux journalistes qui me demandaient une photo de lui. Je n’étais pas encore prêt à divulguer son image. Et, le temps passant, au moment de la sortie en poche d’Olivier, j’ai demandé que cette photo apparaisse en couverture. On ne croit pas à la littérature comme thérapie, et pourtant, l’écriture d’Olivier m’a permis de m’ouvrir. Comme une autolibération. En me penchant à nouveau sur cette photo, j’ai remarqué que c’est lui qui me tient, c’est lui le protecteur entre nous deux. Cette idée m’a plu. En publiant cette photo, je suis allé au bout de ce que je pouvais faire.


Garcin Anne-Marie faisait alors partie de la troupe Renaud-Barrault, cette photo a été prise peutêtre un an avant que nous nous rencont r ions. E l le devena it quelques années plus tard ma femme. Sur cette image, on voit Anne-Marie se maquiller, non pas face au miroir, mais face à l’image de son père, Gérard Philippe. C’est inimaginable, le cran qu’il lui a fallu pour oser monter sur scène dans les années 60, alors que le culte de son père battait son plein. La première fois que je l’ai vue, j’accompagnais sa mère, A nne Philippe, à une représentation du Cid au théâtre Petit Couronne d’Orléans. Elle jouait l’Infante. Ce fut pour moi un choc amoureux, et j’ai été ébloui par ce raccourci de l’Histoire, qui voyait la fille de Gérard Philippe jouer dans la pièce qui avait vu le triomphe de son père. Ce père a été une puissance lourde à porter dans la carrière d’actrice d’Anne-Marie, mais elle a assumé. J’ai ressenti une nouvelle fois ce choc de l’Histoire, lorsqu’elle a lu en public Le Dernier Soupir, le magnifique texte de deuil de sa mère sur son père.

Bartabas

Cette photo vient d’Entr’aperçu, son premier spectacle hors du cirque sur une scène de théâtre ; c’était au Châtelet. Bartabas est à mes yeux le plus grand créateur cont emp or a i n. I l a i nvent é quelque chose qui n’existait pas avant lui. Comment appeler ce qu’ i l crée ? Poésie pu re, mystique… Il a inventé son art et il en est le metteur en scène. Il est parti d’un cabaret festif, pour aboutir à un théâtre de plus en plus épuré, comme s’il allait vers la page blanche de Mallarmé. Plus il est présent sur scène, plus il va vers sa propre absence : il devient un centaure tel qu’il l’annonçait dans son dernier spectacle, Le Centaure et l’Animal qu’il a mis en scène avec un danseur butô. Entre Bartabas et moi, il y a une amitié fraternelle, depuis vingt ans. Il m’accompagne au quotidien, même depuis que je lui ai consacré un livre, Bartabas, roman. Moi qui ai passé ma vie à me chercher des pères et des frères de substitution, j’ai trouvé en Bartabas un jumeau idéal. Anne-Marie Philippe se maquillant avant de monter sur scène

Jérôme Garcin fait paraître Bleus Horizons, dans lequel il s’empare du destin brisé du poète Jean de La Ville de Mirmont, mort à 28 ans au cours de la Première Guerre mondiale. Pour Transfuge, il partage quelques images de figures qui l’ont marqué et l’accompagnent encore.

Cette photo a été prise à mon insu, alors que je faisais mes adieux à mon cheval Eaubac en 2005. Il n’est pas mort, mais il était atteint d’une maladie hélas assez courante chez les chevaux, l’arthrose musculaire. J’ai donc fait le choix de le mettre au pré, de lui rendre sa liberté en quelque sorte. C’est un geste terrible pour le cavalier d’un cheval. Eaubac n’était qu’un trotteur, un cheval sans valeur, quand je l’ai acquis, il ne savait même pas galoper. Je lui ai tout appris : petit à petit il s’est arrondi, il sautait magnifiquement. Et lui m’a aidé à écrire. Combien de fois, je me suis libéré sur sa selle ! Je n’ai jamais pu reprendre un cheval de ma vie : Eaubac fut mon premier et mon dernier cheval. Ce jour de la photo, je m’étais même résolu à ne plus remonter sur selle, mais je n’ai pas pu. Heureusement, car j’aurais dû, du même coup, arrêter d’écrire. Les deux étant pour moi indissociables.

Jérôme Garcin et Eaubac

POUR ATTAQUER / Page 11


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