Septembre 2016 / N° 101 / 6,90 €
Choisissez le camp de la culture
Léonora
Mian0
le grand écrivain de la
RENTRÉE LITTÉRAIRE + grand entretien avec Olivier Py Et une sélection de 20 romans français et étrangers : Santiago H. Amigorena, Chris Kraus, Céline Minard, Emma Cline, Leïla Slimani... Rencontres avec Alain Guiraudie, Eric Khoo, Bertrand Bonello, les 3 réalisateurs qui font la rentrée ciné M 09254 - 101S - F: 6,90 E - RD
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rentrée LITTÉRAIRE Que chaque homme crie. par Vincent Jaury
Je préfère un 3 sur 20 qu’un 20 sur 20
C’est une impression désagréable, qui m’est revenue à plusieurs reprises. Vous lisez quelques pages et vous avez déjà compris : vous êtes devant le livre d’un bon élève. Les personnages ? On y croit, parfaitement cohérents. La langue ? Lisible comme il faut, fluide, agréable, pas un adjectif de trop, pas une virgule qui heurterait la lecture. Le sujet ? Pitchable (les éditeurs sont fermes sur la question, il faut que le sujet soit pitchable). La structure ? Les chapitres sont équilibrés, s’enchaînent bien, les transitions d’un chapitre à l’autre sont soignées, les paragraphes sont de mêmes longueurs. Ces livres sont nombreux, et sont hélas ennuyeux comme peuvent l’être les premiers de la classe qui besognent pour faire plaisir à papa, à leur prof préféré, à l’institution. Or l’art est autre chose qu’une bonne copie, on doit y retrouver de la vie, c’est-à-dire quelque chose avec des aspérités, des cloaques, des accélérations, des ralentissements, des débordements, des épuisements... Bref un peu du chaos du monde. Gilles est le roman classique le plus emblématique de ce genre. Un roman mal foutu, qui tient à peine sur ses deux jambes, un 3 sur 20, et qui pourtant raconte si bien l’histoire du tremblement d’une époque et d’un homme. Si sincère, si viscéral. Et c’est le cas du roman d’Olivier Py, Les Parisiens, un des très grands livres de la rentrée. Le livre est foutraque, présente mal, à peine pitchable, il annonce un livre sur les Parisiens ce qui est vrai, mais finalement creuse des dizaines de sujets. Les chapitres avancent on ne sait comment, plus ou moins par thèmes, mais on ne sait pas jusqu’à la fin où le livre va. Et d’ailleurs le livre ne va nulle part et c’est tant mieux (nos vies vont-elles quelque part?).
Le style est lyrique, souvent too much, à l’heure du moderne minimalisme ironique, mais l’on sent une pulsion vitale, autrement dit un corps au travail. C’est l’important. Le livre est impoli, c’est une explosion, un cri, fond et forme.
De l’huile sur le feu
Le roman de Léonora Miano, Crépuscule du tourment, qui fait notre couv ce mois-ci, est plus sage sur la forme mais remplit le cahier des charges Transfuge, attentif à cette injonction de Guy Debord : « Porter de l’huile là où était le feu. (...) C’est un beau moment que celui où se met en mouvement un assaut contre l’ordre du monde. » Miano plante son dard là où c’est brouillé. Colonisation et décolonisation, le sujet demeure d’actualité. Elle évoque par exemple, à travers le destin de quatre femmes, les classes dominantes africaines qui ont « conservé la mentalité des castes privilégiées d’il y a plusieurs siècles ». Aussi s’attaque-t-elle non sans provocation au sort des femmes en Afrique aujourd’hui, à la haine de l’homosexualité féminine. Elle analyse par ailleurs l’ambiguïté du rapport des colonisés aux colons, au-delà de bien des clichés véhiculés, résumée dans cette phrase de l’entretien qu’elle nous a donné : « Les colonisés ont détesté la domination et l’ont affrontée à chaque fois qu’ils l’ont pu, mais cela n’a pas empêché l’intérêt des peuples pour la culture des dominants. » Soyez en sûr, le cri de Miano se fera entendre à la rentrée.
Vive les nouveaux romanciers
Je l’ai dit plusieurs fois dans ces colonnes, rien de plus excitant pour nous que de découvrir et de faire découvrir de nouveaux auteurs. Remercions ici les éditeurs qui ont fait le boulot : pas moins de sept premiers romans formidables dans cette première sélection Transfuge. C’est la première fois en plus de dix ans que ca arrive. Nous nous sommes plaints à plusieurs reprises du peu de (bons) premiers romans parus aux rentrées littéraires. Là, nous nous réjouissons de ces découvertes, qui donnent un peu d’air. Impossible de dire à l’heure où j’écris ces lignes qui seront les romanciers qui tireront leur épingle du jeu, et c’est tant mieux. Les cartes sont redistribuées. Quand les institutions célèbrent Michel Houellebecq comme on célèbre Victor Hugo, jusqu’à l’écœurement, jusqu’au conformisme morbide, d’autres, comme nous, préférons jouer les outsiders. Quand ça crie encore. Question de tempérament j’imagine. ÉDITO / Page 3
SOMMAIRE Page 30
Page 3
NEWS
3/
Édito
6/
On prend un verre avec Ariane Labed
CHRONIQUE 8 / Le
nez dans le texte de François Bégaudeau
10 / Croyez
ce que vous voulez d’un homme pressé 14, 16 / L’avis des libraires 18, 20, 26 ,28 / Médias 24 / En coulisse avec Laure Adler
12 / Journal
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N°101 / SEPTEMBRE 2016
RENTRÉE LITTÉRAIRE Page 30 30 /
DU CÔTÉ DE LA LITTÉRATURE
Rentrée littéraire, partie 1
Transfuge sélectionne pour vous plus de 20 romans indispensables. Avec un petit faible pour le roman de Léonora Miano et celui d’Olivier Py. Vive la rentrée ! 70 / Déshabillage
: Benoît Duteurtre 72 / Poche: László Krasznahorkai, La Mélancolie de la résistance 73 / Polar : Marin Ledun, En douce 74 / Essai : Agnès Giard : Un désir humain, les Love Doll au Japon
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Page 76 76/ Édito
ALAIN GUIRAUDIE
SUR LES ÉCRANS
Alain Guiraudie, Rester vertical e 84/ 2 événement : Eric Khoo, Hôtel Singapura 88/ 3e événement : Bertrand Bonello, Nocturama 94/ Sélection des meilleurs films du mois 98/ Ressortie salles et DVD 78/ 1er événement :
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KARAMAZOV
EN VILLE
106/ Festival 116/ Scène
Karamazov. la folie de Dostoïevski vue par Jean Bellorini 120/ Expo Des animaux presque vivants de la Fondation Cartier à la mémoire libanaise de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. 122/ Musique
SOMMAIRE / Page 5
ARIANE LABED
j’ai pris un verre avec…
Par Frédéric Mercier photo Franck Ferville e fut jouissif ! Pour parler de Voir du pays des sœurs Coulin, la sublime Ariane Labed m’a fixé rendez vous dans son QG, un hôtel calme et discret du 9ème arrondissement. J’ai accouru. J’en rêvais depuis que je l’avais découverte dans Fidelio, l’Odyssée d’Alice. C’est dans cet hôtel qu’elle séjourne à chaque fois qu’elle passe à Paris. Parfois, elle y habite pendant des semaines. C’est là que sa mère vient lui rendre visite. Comme ce jour là où elle est restée à quelques pas de nous, alors que nous prenions notre café et que sa fille se prêtait aussi à un shooting très particulier du photographe.Nous y reviendrons. L’hôtel est à quelques pas de la gare du Nord où elle peut repartir en vitesse chez elle à Londres, auprès de son époux, le réalisateur grec de The Lobster, Yórgos Lánthimos. Celui qu’elle appelle à de nombreuses reprises pendant que nous buvons notre café : « mon homme ». Ayant vécu une partie de sa jeunesse puis de sa vie adulte en Grèce, en Allemagne, Ariane Labed connaît mal Paris. Ce statut cosmopolite lui convient d’autant qu’elle ne veut surtout pas appartenir à la « grande famille du cinéma français ». « Toutes ces mondanités ne m’intéressent pas. J’aime être
C
« On est repartis chez nous en sueur » Page 6 / TRANSFUGE
l’étrangère dans mon propre pays. Ça me rassure, me donne de la liberté. » Son dernier film, dont elle partage l’affiche avec Soko, semble avoir été taillé sur mesure pour elle : Aurore est une battante magnifique, une militaire douce et dure, qui peine à dissimuler sa féminité sous son uniforme. Blessée en Afghanistan, avant de retourner chez elle, à Lorient, elle doit passer avec son escouade par un séjour de trois nuits organisé dans un hôtel cinq étoiles de Chypre. Là, au milieu des touristes en string, les soldats doivent recomposer au plus vite leurs souvenirs traumatiques à l’aide de logiciels de réalité virtuelle qui leur permettent,ou pas, de les évacuer (c’est l’une des questions soulevées par ce film passionnant, auréolé d’un Prix du scénario à la section Un Certain Regard à Cannes). Le rôle d’Aurore est physique comme les aime cette danseuse classique, cette performeuse. Ariane Labed aime les aventurières, il suffit de se rappeler son rôle de capitaine de navire passionnée dans Fidelio, l’Odyssée d’Alice. Comme Ariane, Aurore est, dans Voir du pays, toujours entre deux eaux, perdue entre l’Europe et l’Orient. « Certaines personnes me croient grecque vous savez. Je joue le jeu.» Sa filmographie aussi est aventureuse : du burlesque d’Attenberg où elle se contorsionnait dans tous les sens, au rôle de soubrette perverse dans The Lobster jusqu’au dernier Grandrieux dans lequel elle plonge dans le SM. Bientôt, on la verra dans Assassin’s Creed, un film d’action avec Fassbender où elle pourra encore faire des prouesses. Rarement une comédienne aura su conserver sa grâce et sa féminité dans des rôles jusque là souvent confiés aux hommes. Au cours de l’entretien, elle ne me quitte pas de ses yeux gris-bleu. Ça me gêne. Pour le dissimuler, je replonge dix fois dans une tasse de café que j’ai pourtant finie depuis longtemps. Sans m’en rendre compte, c’est elle qui, l’air de rien, dirige la conversation, m’embarque où elle le désire: « Je n’avais jamais rencontré de militaires, et je vous avoue que je ne pensais pas avoir un jour à le faire. Je suis une gringalette. Il a fallu que je me muscle. J’ai découvert le maniement des armes et certains codes aussi. » Au cours de la séance de shooting, notre photographe non plus n’a pas été insensible à son charme, poussant des cris d’orgasme, des éructations, ponctuant chaque photo de petits cris. Il m’avait même demander de filmer la séance. Souriante, acceptant le jeu, sous l’œil de sa mère au bord de la crise cardiaque, Ariane Labed semblait s’amuser, visiblement ravie d’exciter notre jouissance scopique. On est repartis chez nous en sueur. Encore !
ACTES SUD
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2016 Les premières phrases : “Une folie est une maison de plaisance, extravagance d’architecte, outrance princière. Son allure légère, délicate, le libertinage...”
“Longtemps j’ai aimé qu’on me dise : — Magyd, écris-nous quelque chose ! Un truc qui tue, mets-nous le feu ! On s’ennuie.”
“Tout ce qui se dépose en nous, année après année, sans que l’on s’en aperçoive : des visages qu’on pensait oubliés…”
“Mathilde Blanc traverse le cadre des fenêtres. Elle disparaît, réapparaît, chaque fois plus lente, à la façon d’un automate en fin de course.”
“Le mardi 21 juin 88, Jean-Noël Jeanneney, président de la Mission du Bicentenaire de la Révolution française, appela JLG qui n’était pas là.”
“Un ciel mouvant d’acier et d’or, luxe et pourriture, désenchantement ou exaltation, éveil et songe. Aurélien marche dans Paris les yeux au ciel.”
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Fuis et raconte par François Bégaudeau
A
u commencement est le suicide, celui de la jeune Mathilda. Mais en amont du prologue froid comme la mort de Soyez imprudents les enfants, il y a la tristesse, et l’angoisse d’y être incarcéré à vie — « ce qui s’annonçait à elle la faisait se sentir aussi triste et pesante qu’un sac de pierres ». Tous les romans ou presque de Véronique Ovaldé commencent par le vide, l’enfance où « rien ne se produisait », « le sommeil et l’ennui dévorés de mauvaises herbes ». Subséquemment leur question centrale est : comment en sortir? Comment « éloigner la tristesse » ? - Déloger l’animal, disait un autre de ses beaux titres. Le programme est de s’arracher. Cet arrachement s’appelle l’émancipation. Affaire de toute une vie, job à plein temps. De Mademoiselle Fabregat, prof d’espagnol de l’héroïne Atanasia, est écrit qu’après avoir réglé quelques problèmes contingents, elle « était retournée à son émancipation ». Etant bien entendu que l’émancipation n’a rien à voir avec l’éducation, dont le titre du roman renverse joyeusement la formule paradigmatique. Elles dissemblent comme se croisent deux voitures en sens contraires. L’éducation consiste à suivre des éducateurs, l’émancipation à s’en déprendre. Comme son titre l’indique —« Avant tout déterminer ce qu’on ne veut pas être »—, un chapitre en anaphores décline une feuille de route par la négative : « Atanasia n’avait jamais voulu être comme sa mère ou sa grand mère qui répétaient sans cesse les mêmes phrases » ; « Atanasia ne voulait pas devenir une de ces femmes qui pleurent de rage et d’impuissance en faisant la vaisselle ». En quinze mots comme en cent : « Atanasia ne voulait pas être comme son père et se laisser rattraper par la mélancolie ». Le programme est de se distinguer plutôt que d’imiter. S’arracher, en langue familière, c’est partir. Partir c’est faire mourir un peu la tristesse. Depuis qu’elle s’est mise en branle, la littérature toujours plus ample d’Ovaldé a la bougeotte. A la première occasion elle se « carapate » (verbe ami) loin de son territoire premier, ou se plaît à exotiser le familier si jamais elle y demeure. En adoptant le prisme d’une jeune Basque espagnole et d’un vieux Russe exilé, le second tiers du livre s’amuse à muer Paris en lieu étranger. Pour le reste, on sera trimbalés de Congo en Mexique, d’Italie en Brésil. Rien que ça. Sachant qu’à s’en tenir aux mouvements d’Atanasia, on ne serait pas allé bien loin. Un peu de Paris, donc, une petite traversée Nord-Sud de l’Espagne, et c’est tout. Le nomadisme du livre n’est pas celui de son héroïne. C’est un nomadisme par Page 8 / TRANSFUGE
LE NEZ DANS LE TEXTE
procuration. C’est en enquêtant sur la vie et la généalogie du peintre Diaz Uribe, qui la fascine et qui fut le cousin de son père, qu’Atanasia se donne de l’air. C’est en tant que narratrice seulement qu’elle éprouve le grand large : « les narrateurs sont toujours les meilleurs amis de ceux qui agissent, il ne leur arrive jamais grand chose à ces gens là ». C’est en deuxième main, en deuxième pied, qu’elle voit du pays. Un mouvement immobile. Un mouvement de plume, mais pas d’oiseau. Plus que dans l’espace c’est dans le temps de l’histoire qu’on voyage. Le salut d’Atanasia et la force de Véronique résident dans leur tempérament de conteuse, qui comprend deux capacités complémentaires : recueillir, extrapoler. Recueillir, parce que tant d’histoires sont déjà là, surtout dans la mémoire de la grand mère Esperanza, qu’il n’y a qu’à verbaliser ; parce que tant de récits se nichent dans les lieux, qu’il n’y a plus qu’à actualiser : « je sens pulser dans les montagnes des histoires qui ne demandent qu’à être racontées ». Extrapoler, parce qu’on ne recueille que des bouts de ficelles qu’il reste à nouer pour former une trame. L’heure est alors venue de radicaliser l’empathie, c’est-à-dire de se mettre à la place. Partant, je suis tous mes personnages, je suis les passants dans la rue — « j’ai marché et j’ai fini par devenir tout ce que je croisais » —, je suis cet artisan du seizième siècle qui libère une femme aimée du joug d’un évêque en le poignardant, je suis un explorateur d’Afrique qui découvre les crimes coloniaux, je suis son jumeau qui, spécialiste en ingénierie sociale, tâchera de fonder une communauté au Brésil, tout comme Diaz Uribe le fera dans les Caraïbes, avant que ses filles ne l’empoisonnent. Car d’un père il faut se déprendre. S’exhausser en méduse. Faire le vide autour pour s’offrir une mer rien qu’à soi, et des océans à franchir dans le sillage de capitaines de papier. Comment échapper à une vie de néant? : « me dissoudre dans la vie d’autrui ». La mère d’Atanasia a vu le virus de la mélancolie gagner hommes et femmes, indifféremment, mais, précise-t-elle, « l’avantage des hommes sur nous c’est qu’ils peuvent en faire des poèmes ». C’était peut-être encore vrai dans l’Espagne à peine défranquisée des années 80 où le roman a installé son camp de base, mais maintenant? Maintenant les femmes mélancoliques n’ont plus d’excuses : des pages entières, blanches, attendent d’être noircies par elles. Qu’elles se déclarent conteuses, qu’elles fassent leur l’existence des autres, et la tristesse sera vaincue.
RE T Î A M E D P U AMMÉ UN CO L F N E M IL F NÉ, UN TÉLÉRAMA
EFFRÉ E M H T Y R N U
LIVE STUDIO CINÉ
T N E M E N È V É UE. UN Q O R A E B T E L , MAGNIFIQU A É R R É T IB L , IS E IR G SOLA MA IE V A L E U Q S GRAND VIE A L UN FILM PLU À E N M Y H HHHH UN NT LES INROCKS
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DISPONIBLE EN DVD ET VOD LE 23 AOÛT
CROYEZ CE QUE VOUS VOULEZ... LES ÉCRIVAINS, CES BONS À RIEN Un journaliste télé qui n’aime pas la culture française contemporaine.
Faites comme lui, forgez-vous une opinion très personnelle. Lui ? Ne le nommons pas, il n’aimerait pas. Un journaliste, responsable d’une émission culturelle. Je l’appelle, on est à la fin du mois de juillet, il fait un peu chaud, les attentats de Nice ont eu lieu sept jours plus tôt. Il y a ces journaux qui nous appellent à « tenir », on ne sait plus trop, on est un peu perdus, lui aussi, il me parlera beaucoup de l’état de la France. Pour la rentrée littéraire, on demande à différentes personnalités qui s’apprêtent à la traiter, de nous livrer leurs enthousiasmes. Il rit. Bon, je me dis, ça lui remonte le moral, c’est déjà ça. Et puis il commence à parler : le problème, c’est que je peux pas dire la vérité. Là, je l’interromps, ah si dans Transfuge, vous pouvez y aller ! ! (Je me remonte moi-même le moral). Il insiste : non, je peux pas dire que tout ce que j’ai lu, c’est rien, nul, médiocre. Et puis il rit encore. Il commence sa litanie d’écrivains français : le livre de Pierre Trucmuche ? Ni fait ni à faire. Le livre de Gérard Muche ? Mais je m’en fous ce con de ce qu’il pense de l’Amérique !! Le livre de Gilles Machin ? Le projet est pas mauvais, mais il se plante dans toute la longueur… Le livre de Marie Machine ? Elle l’a écrit dix fois. Il ricane entre chaque phrase, à croire qu’il fut aspergé dans quelques récentes manifestations de gaz hilarant. Et il poursuit ; franchement, cet art, non on ne peut même pas dire ça, plutôt cette « culture » ne produit rien, elle est nulle !! Et ça en dit long sur l’état de la France ! Ah, il ne faut pas s’étonner !! ». Il rit toujours, pas moi, je le salue. Ce pourrait être un simple mauvais moment, la rencontre avec un mal luné qui nous sert l’habituel « après ma jeunesse, rien n’a eu lieu », mantra burlesque vieux comme la mort de l’art. Une rengaine qu’à chaque rentrée nous affrontons, tant le costard de Nostradamus semble confortable à certains orgueilleux.
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Mais je crains qu’il y ait autre chose dans ce coup de fil : l’idée que la littérature serait à l’image de la déliquescence supposée de notre pays, que sa médiocrité serait le témoignage secret d’une faillite des intellectuels, incapables d’être à la hauteur de la crise que traverse notre pays. Quel procès ! Comment peut-on aller jusqu’à croire que la littérature d’un pays qui traverse une crise serait le pouls de celui-ci ? Doit-on rappeler que dans l’Allemagne de la fin des années 20, franchement malade politiquement, vivaient Hermann Broch, Thomas Mann, Peter Weiss?
La littérature, cette autre intelligence
Difficile de ne pas penser en entendant cette mise en accusation de la littérature contemporaine, à ce merveilleux essai, La Haine de la littérature de William Marx. Il rappelait que la première accusation portée à l’écrivain est celle de Platon au poète : son inutilité à la cité, son incapacité à intervenir en temps de crise. Oui, aucun roman ne peut être à la hauteur d’un drame collectif. Aucun roman n’aura l’effet addictif que peut avoir un livre de Kepel sur le Djihad après un attentat. Et cette rentrée s’annonce de nouveau comme une bataille de spécialistes qui s’affronteront à coup de « radicalisation éclair », de « loup solitaire ». Notre société est saturée d’analyses, de causes, de réponses. La littérature que nous défendons en cette rentrée, c’est un lieu sans causalité, un lieu absurde, plein de bruit et de fureur, où l’on voit des sorcières, où des mondes s’effondrent, où l’on tue sans logique, comme dans trois des meilleurs livres de cette rentrée : Molécules de notre collaborateur François Bégaudeau, California Girls de Simon Liberati, Laëtitia d’Ivan Jablonka. Livres où le meurtre surgit, dans sa vitesse et son insupportable non sens. Pour « tenir », n’avonsnous pas besoin, au delà des réponses inlassables, de questions sur la possibilité de vivre, avec la mort en embuscade ? OJG
Saga familiale puissante et tragique, La Vie des autres, finaliste du Man Booker Prize et du Costa Award, offre une plongée passionnante dans l’histoire de l’Inde moderne.
En vie est le roman d’une greffe d’organe. Le narrateur tient le journal de bord de son séjour à l’hôpital, mêlant souvenirs, observations et pensées qui le ramènent sans cesse à cette question : sa vie vaut-elle la peine d’être vécue ?
Dans la salle d’attente d’une administration, un homme patiente. Plus qu’un visa de séjour, ce sont des réponses au sens de sa vie qu’il espère...
Bagdad, été 2005. Une créature faite de corps de victimes innocentes terrifie la ville. Frankenstein à Bagdad, couronné de l’« Arab Booker Prize », est à Bagdad la fois un conte fantastique et une fable politique éclairante sur le Moyen-Orient.
LE Journal de l’homme pressé © DR
« L’âme de l’homme est comme un marais infect : si l’on ne passe vite, on s’enfonce » disait Stendhal. Chaque mois, suivez au pas de course les aventures de notre envoyé spécial en embuscade dans le tout-Paris …
Chocolat, héroïne et vodka
M
e voici accueilli comme transfuge dans cette éminente revue. Ne me demandez pas d’où je viens, ni qui je suis. Après tout, dans la vie, je ne fais que passer, pour me sauver. Et saisir au vol ce que j’entends et ce que j’écoute. L’ouïe ? La meilleure des vues. Tout ceci est vrai. Tout ce qui suit et suivra, l’est. Et le sera. Souvenirs cannois avant que tout ne s’évapore : Albert Serra, le réalisateur de La Mort de Louis XIV, refoulé du Silencio au moment où j’en sors. J’entraîne ce génie à la modestie réconfortante, ainsi que ses proches, chez les transsexuels du Vertigo. Longue conversation sur Saint-Simon pendant que des clones de Divine se trémoussent devant nous. A l’aube, Antoine de La Baume se souvient avec émotion de « la pelle » qu’il a roulée à Kate Moss au mariage de sa cousine Joséphine de La Baume avec Mark Ronson. A la fête donnée en l’honneur de Ma Loute , à la Villa Schweppes, Bruno Dumont, abattu et esseulé, me confie attendre la venue de ses acteurs Juliette Binoche et Fabrice Luchini. En vain... Petit-déjeuner avec Sophie Fontanel, mal Page 12 / TRANSFUGE
réveillée. Au milieu de la nuit, un couple ivremort et espérons-le, égaré, a commencé à faire l’amour sur elle... Au dîner Kering auquel assiste la moitié du cinéma hollywoodien, mon amie Blanchette me murmure à l’oreille : « Mate Kirsten Dunst ! La vache, qu’est-ce qu’elle est grosse ! L’abus de spritz nuit à sa surface pondérale, chéri ! » Une autre convive : « Mon chien Dolly adore Allah alors que je suis juive. Je ne comprends plus rien. » Fin de cette parenthèse cannoise tout à fait délicieuse. « Vive le chocolat, l’héroïne et la vodka », chantait il y a quelques années Constance Verluca retrouvée pour un souper fin chez Fabrice Gaignault en compagnie de Simon Liberati, Eva Ionesco, Laura Stevens, Yseult Williams, Valentine Gay, Noiraude et Blanchette qui, tard dans la nuit, exige que chacun se déshabille pour danser sur « Man O To » de Nu. Mot d’ordre naturiste peu suivi d’effets. Petite fiesta éthylique donnée dans un bistro de la rive Droite par Héloïse d’Ormesson et son amusant compagnon Gilles Cohen-Solal, pour la sortie de Perdre le nord de Basile Panurgias. Ce chauve volubile aux yeux souriants connaît par cœur le
Le journal de l’homme prEssé thème de l’artiste fauché entretenu par une fille blindée, sans doute parce qu’il est passé par là. « Tout le monde vit ça autour de moi. Ca montre les limites de la professionnalisation de l’art. Les artistes d’aujourd’hui sont la plupart du temps des gigolos entretenus ». Jeune et ambitieux, à New York, Basile a bien connu Bret Easton Ellis qui l’a dépeint en dealer dans Glamorama ( ce qu’il n’était pas, m’affirme-t-il avec véhémence) : « Je traînais souvent chez lui ; son studio n’était jamais fermé à clé. Il était très affecté par la furie des féministes à l’époque d’ American Psycho ». Je lui avais offert Le Grand Meaulnes et j’ai fait un bide. Bret est un Américain moyen qui n’est pas aussi culte que chez nous. Là-bas, sa cote n’est pas très haute ». Cet ami du réalisateur Whit Stillman a écrit un roman consacré au mythe sud-africain du pinkie pinkie, « le mec qui a une bite tellement grande qu’il la met en écharpe sur l’épaule. Un mythe auquel croit notamment Charlize Theron », affirme Basile qui soutient qu’en Afrique du Sud on surélève les lits pour empêcher les pinkie pinkie de s’y glisser. Affluence de poids lourds du jet-set l’autre soir à la galerie Gagosian. La raison : le vernissage très posthume du peintre anglais Michael Wishart (1928–1996) dont on a enfin traduit les mémoires. Fan de Rimbaud et de Verlaine à 12 ans, Michael est dépucelé par un prisonnier de guerre allemand avant de triompher à 16 ans à Londres avec sa première exposition. Je croise Lee Radziwill, Pierre Le Tan et Nicky Haslam, le légendaire décorateur londonien qui me complimente sur ma veste devant Marianne Faithfull. Hasard ou fatalité heureuse de socialite accompli : quelques jours plus tard, au Café de la Place, à Eygalières, alors que je discute avec une proche d’Hugh Grant, un nouveau venu au village, je tombe sur Francis, le fils de Michael Wishart, qui dévide une existence peu banale : « J’ai été élevé jusqu’à l’âge de 9 ans par une femme de pêcheur de Saint-Tropez, car mes parents passaient leur temps à voyager et à faire la fête. Homosexuel, mon père s’est rapidement séparé de ma mère. Il m’habillait exclusivement chez Michael Rainey, le tailleur des Beatles et de Mick Jagger qui était l’un de ses grands amis comme l’était le génial poète Olivier Larronde ». Ce dandy impeccable se refusait d’exposer à côté de types qu’il trouvait ringards, et les jours de décrochage, balançait les invendus sur le trottoir parce qu’il avait la flemme de les emporter et n’aurait pas su où les mettre. Totalement alcoolique et grand consommateur de hasch, Michael Wishart passait du Ritz à un infâme gourbi avec la même jovialité impavide d’Anglais pur malt, suivant en cela la courbe très fluctuante de ses revenus. « Mon père a très bien connu Bacon qui lui avait présenté ma mère, d’où mon prénom, poursuit Francis. Il a tout payé pour le mariage de mes parents à Londres en 1953, où avait
été convié le microcosme arty de l’époque qui n’a pas dessaoulé pendant trois jours et trois nuits. Lucian Freud était naturellement présent : il avait été le grand amour de ma grand-mère paternelle. Lucian avait 17 ans et elle, 27 ans. Mon père et Lucian se sont vus jusqu’au bout. Il existe un portrait de mon père réalisé par Francis Bacon réalisé à « La Louisiane ». La grande question qui agite le tout Londres : est-ce que Michael avait couché avec Bacon et Lucian ? J’aurais tendance à penser que oui. Savez-vous que Lucian a eu trentecinq enfants ? Quinze légitimes et vingt non reconnus. Il a mis beaucoup d’énergie dans la reproduction de l’espèce ! Mon père est mort à 69 ans après s’être converti au catholicisme comme Evelyn Waugh en son temps. Il s’était remis avec ma mère à la fin de sa vie. Elle a été là jusqu’au bout». Fête hommage à John Casablancas chez Castel. Beaucoup de jolies filles en tee-shirts blancs. Frédéric Beigbeder est là aussi, et beaucoup de têtes que je connais. Je ne m’attarde pas. Manque l’essentiel : Cindy, Christy, Linda, Stephanie et autres splendeurs des années 90. Le lendemain, aux Marches, à deux pas du Palais de Tokyo, je tombe sur Anne-Bénédicte Quilici et Julie Gayet qui emmène parfois le Président dans cet excellent bistrot appellation « routier » 100% matières grasses. Le foie de Jean-René Van Der Plaetsen se remet difficilement de ses agapes ici-même, quelques jours auparavant avec Michel Houellebecq, très en verve. La mélancolie nous étreint alors que nous évoquons le baron de L’Espée suicidé un 24 décembre en s’enfonçant en smoking dans les flots tumultueux de la côte Basque. Quelques jours plus tard j’apprends la disparition de Maurice Dantec avec lequel j’avais déjeuné il y a des années à la Rotonde. L’écrivain m’avait expliqué derrière ses lunettes fumées qu’il avait émigré au Canada parce que la France devenait invivable : « Tôt ou tard le pays sombrera dans la guerre civile. Les cités nous haïssent et ne souhaitent qu’une chose, la confrontation sanglante. Il faut voir les armements en banlieue pour comprendre. Je viens de là, je sais de quoi je parle ». J’avais mis sur le compte de sa grande consommation de pétards son avertissement. C’était douze ans avant le Bataclan et la Promenade des Anglais. Un peu de légèreté pour finir : verre avec Milo Manara, le légendaire dessinateur érotomane. Il est à Paris pour la vente aux enchères de ses dessins de Brigitte Bardot, jamais rencontrée, toujours rêvée. Sa Vénus de Milo, en quelque sorte. Blanchette et Noiraude m’accompagnent. Le mot de la fin ce mois-ci à Noiraude ( s’adressant à Manara) : « Vous avez façonné ma sexualité : depuis je ne peux avoir le déclic que pour des obsédés sexuels pervers polymorphes ». Dans son genre, ou dans le mien ? Qui sait ? news / Page 13
Mes coups de cœur ? Vuillard, Minard, Gaudé, Delaume. En plein été, on prend le pouls de la rentrée avec Karine Henry de la librairie Comme un Roman (39, rue de Bretagne, 75003 Paris).
Propos recueillis par Oriane Jeancourt Galignani Comment se passe la vie de la librairie en ce moment ? Depuis mai, il n’y a pas énormément de monde. Alors, on travaille sur le conseil personnalisé, l’accompagnement précis et attentif, on ressort des titres oubliés du fond pour surprendre nos clients. Il nous faut trouver d’autres propositions : mélanger sur tables les classiques et les nouveautés par exemple, prendre conscience de notre rôle de « passeur de textes ». Comment appréhendez-vous cette rentrée littéraire ? Avec discipline et curiosité. Discipline, parce qu’on doit s’organiser pour tout lire. A partir de fin juin, après avoir reçu les représentants, on se partage les lectures selon les intérêts de chacun. Ensuite, une fois par semaine, on se réunit pour faire le point sur nos lectures. Et curiosité, parce que chaque rentrée est différente ; le paysage littéraire est tel un organisme vivant, tout y évolue sans cesse. Quels sont à votre avis les auteurs qui domineront la rentrée ? Dominer est un mot que je n’aime pas. Mais je peux vous dire quels auteurs sont attendus : Laurent Gaudé, Salman Rushdie, Céline Minard, Amos Oz, Mauvignier ... et d’autres que j’oublie. Les gens sont toujours en attente de fiction. Page 14 / TRANSFUGE
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L’AVIS DES LIBRAIRES
Avez-vous un coup de cœur en littérature française ? Le livre de Vuillard, 14 Juillet, nous plaît : une manière humaine, incarnée de rentrer dans l’histoire par “l’infra”. Et documents à l’appui, le livre parle depuis le peuple de la rue, depuis ceux qui y étaient. Il y a le Laurent Mauvignier, Continuer, roman de la nécessité ; une mère entraîne son fils à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, une longue marche vers la vie. Il y a le livre de Céline Minard, Le Grand jeu, qui met à l’épreuve nos réseaux de pensée habituels. Il est possible d’y voir un livre de science-fiction osant explorer le genre différemment. Le livre de Laurent Gaudé, Écoutez nos défaites, est son livre le plus personnel. J’aime l’évocation de la vulnérabilité, de la vacuité de la conquête, la recherche d’une transcendance humaine : « écoutez nos défaites », pour mieux les accepter ? Citons aussi le livre de Chloé Delaume, Les Sorcières de la République, inventif et engagé, héroï-comique, féministe, riche et audacieux. Il y a enfin le livre de Jean-Baptiste Del Amo, Règne animal, qui interroge la violence de notre rapport à l’animal. C’est un livre lucide et intelligent. Et en littérature étrangère ? Le livre de Salman Rushdie est captivant, empreint de réalisme magique, un conte qui porte le lecteur de djinn en djinn ... Un esprit combatif, engagé pour les valeurs de tolérance et de respect habite ce livre à la fois dense et animé d’un vif humour …Une fresque magistrale. Notons aussi Station Eleven, d’Emily St. John Mandel, d’une efficacité redoutable : une troupe shakespearienne sillonne les terres désertes d’un humanité foudroyée par une épidémie ; quand il ne reste que l’art pour survivre à la perte de sens. Dans un autre genre, je recommanderais Hiver à Sokcho, d’Elisa Shua Dusapin, cela se passe dans un petit port de Corée du sud, une franco-coréenne y rencontre un jeune dessinateur normand, une histoire d’attirance délicate . équation, une atmosphère lente, telle une bulle vaporeuse.