Janvier 2014 / N° 74 / 6,90 €
TRANSFUGE Choisissez le camp de la culture
les 3 romans chocs de la
rentrée LITTéRAIRE d’Hiver Maylis de Kerangal Patrick Grainville Hanif Kureishi et les autres…
LITTéRATURE
Dostoïevski, l’éternelle jeunesse
Pourquoi nous aimons le Pathos M 09254 - 74 - F: 6,90 E - RD
3’:HIKTMF=YU[^U^:?a@k@h@o@a";
CINéMA
Le grand retour de
Scorsese Lars Von Trier, obscène ?
LE NEW YORK DES ECRIVAINS MICHKA ASSAYAS STÉPHANE AUDEGUY EMMANUELLE BAYAMACK-TAM FRANÇOIS BÉGAUDEAU ARNO BERTINA CLÉMENCE BOULOUQUE CHLOÉ DELAUME YANNICK HAENEL VINCENT HEIN ORIANE JEANCOURT GALIGNANI ALAIN MABANCKOU CHRISTINE MONTALBETTI TANGUY VIEL ILLUSTRATIONS DE FRANÇOIS OLISLAEGER SOUS LA DIRECTION DE VINCENT JAURY
STOCK
Trio gagnant : Grainville, Kerangal, Kureishi par Vincent Jaury
en plein chaos
E
ncore une bien belle rentrée que cette rentrée d’hiver : sur plus de cinq cents livres, Transfuge en a select ionné pour vous vingt. Tous sans exception écrits par des romanciers à surmoi littéraire, produisant des textes relevant de la littérature et se dépatouillant, comme ils peuvent, plus ou moins bien, avec des techniques héritées et des influences. Exit donc, dans ces colonnes, ces textes, certainement majoritaires, produits « spontanément », au fil de la plume, en dehors des dizaines de romans qui font référence. Trois d’entre eux ont attiré particulièrement notre attention : Patrick Grainville. Il revient, avec son Bison (Seuil), en très grande forme. Nous l’avions suivi déjà sur son dernier roman, Le Corps immense du président Mao (Seuil, 2011). Là, il nous raconte l’histoire de ce peintre, George Catlin, de Philadelphie, décidant de fuir les mondanités de la ville pour s'installer dans un village sioux. Il a le pressentiment que les Indiens d’Amérique – on se situe aux alentours des années 1830 – vont être décimés. Catlin pense qu’il est temps de sauver quelque chose de ces gens-là, en les immortalisant. Cette plongée sur les terres indiennes entre le Mississippi et le Missouri est un prétexte pour Grainville à documenter cette tribu, au-delà des clichés véhiculés, notamment, par les westerns. C’est aussi l’occasion, comme toujours chez lui, de faire des descriptions magnifiques (scènes de chasse, scènes érotiques, scènes d’enfance), dans un baroque parfaitement maîtrisé ; de construire des passages qui soudainement débordent, dérapent, s’étirent, naviguant entre réel et fantasme, et produisant finalement des visions. Il en profite, à travers la conception que Catlin donne de son art, pour nous énoncer la définition qu’il en a : « Le peintre sans morale qui peint tout, accepte tout, sans jamais rien condamner. » Maylis de Kerangal. Réparer les vivants (Gallimard) est peut-être à ce jour son plus grand roman. On avait soutenu son précédent roman, Naissance d’un pont (Prix Médicis 2010), exercice littéraire impressionnant, à la langue ample et maîtrisée. Son nouveau roman va plus loin : si sa langue, héritée de Claude Simon à plus d’un titre (rythme, utilisation fréquente du participe present, etc.), est toujours aussi belle, elle réussit là à nous émouvoir. Il faut dire qu’elle y va franchement, cette fois-ci, avec cette histoire de jeune homme de 19 ans, Simon, perdant la vie dans un accident de voiture, et dont le cœur sera transplanté chez une femme, Claire, atteinte d’une maladie coronarienne. Fidèle à l’injection flaubertienne, Kerangal ne se contente pas de raconter un mélo,
de déplier du tragique ; elle décrit avec une grande précision le travail des médecins, le fonctionnement du service. Rarement documentation et fiction ont fait si bon ménage. Hanif Kureishi. Cela faisait longtemps que l’auteur anglais n’avait pas écrit un roman (Quelque chose à te dire, 2008). Son nouveau livre, Le Dernier Mot (Christian Bourgois), est comme chacun de ses romans, une déclaration de guerre. Il s’attaque cette fois-ci à une espèce plutôt protégée dans les romans, et on devine pourquoi : les écrivains. Avec toute la cruauté qu’on lui connaît (il est d’une méchanceté à faire rire) : V.S. Naipaul, Prix nobel de littérature britannique, en est la cible. Harry s’installe dans la maison de campagne d’un grand écrivain, Mamoon, à quelques kilomètres de Londres, pour écrire sa biographie. Il mène l’enquête dans cette atmosphère de plus en plus électrique. Le roman tourne à la comédie, élégante, légère, à l’anglaise. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’une tragédie ne se joue pas en même temps. Ce jeune et ce vieux qui se parlent, s’écoutent à peine, s’exaspèrent, se haïssent, voilà ce vieil Œdipe qui repointe son visage, comme Kureishi nous le dit dans son entretien : « Il y a une histoire œdipienne. Le vieux est terrifié par le jeune, tout comme le jeune est terrifié par lui. Ils veulent se détruire l’un l’autre parce qu’ils ont une vision différente du monde… » Et comment ne pas voir, au fond, car le versant biographique de la littérature n’est pas sans fondement, une guerre biaisée, transformée en fiction, entre Kureishi et Naipaul, tous deux écrivains britanniques ? Bonne année à vous toutes et à vous tous, chères lectrices et chers lecteurs, au nom de la rédaction de Transfuge ; bonne année de livres et de films, meilleurs remèdes, sans aucun doute, à une morosité ambiante, qui n'a rien d'irréversible. ÉDITORIAL / Page 3
sommaire
P. 16
Dossier
Rentrée littéraire d’hiver
N°74/janvier 2014
Pour attaquer p.3
3/ éditorial – 6/ j’ai pris un verre avec… – 8/ le nez dans le texte –10/ le journal de… 11/ club Transfuge – 12/ la mémoire retrouvée – 14/ page des libraires – 15/ une case en plus
Dossier p.16
16/ Rentrée littéraire d’hiver 18/ 10 points 20/ entretien : Maylis de Kerangal 26/ entretien : Patrick Grainville 32/ entretien : Hanif Kureishi 38/ critique : Ceux qui reviennent, Maryline Desbiolles 39/ critiques : Taipei, Tao Lin - Prières nocturnes, Santiago Gamboa 40/ critiques : Le Russe aime les bouleaux, Olga Grjasnowa En finir avec Eddy Bellegueule, édouard Louis
P. 52
P. 64
Littérature
Vive le pathos !
Cinéma
Martin
Scorsese
Cinéma
P. 74 Lars von trier, l’obscène
41/ critique : Solstice d’hiver, Svetislav Basara 42/ critiques : Les Adieux pour débutants, Anne Tyler - Les Anges à part, Elie Treese 43/ critique : La nuit recommencée, Leopoldo Brizuela 44/ critique : Cette nuit, je l’ai vue, Drago Jancar 45/ critique : Plein hiver, Hélène Gaudy 46/ critique : La Petite Communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon 47/ critique : Médium, Philippe Sollers 48/ critique : Les Lois de la frontière, Javier Cercas 49/ critique : Chaosmos, Christophe Carpentier 50/ critique : Guerres, Timothy Findley 51/ critique : L’Homme qui avait soif, Hubert Mingarelli 52/ remous : Vive le pathos ! 56/ déshabillage : Lola Lafon 58/ classique : Dostoïevski, l’éternelle jeunesse 62/ lire dans le noir : Du vide plein les yeux, Jérémie Guez 63/ poche : Mes deux guerres, Moritz Thomsen
Cinéma p.64
64/ ouverture : Le Loup de Wall Street, Martin Scorsese 68/ critique : Nymphomaniac, Lars von Trier 69/ critique : Le vent se lève, Hayao Miyazaki 70/ critique : 2 automnes, 3 hivers, Sébastien Betbeder 71/ critique : L’amour est un crime parfait, Arnaud et Jean-Marie Larrieu 72/ critiques 74/ remous : Lars von Trier, l’obscène ? 78/ déshabillage : Les frères Larrieu 80/ classique : La Route des Indes, David Lean 84/ DVD : Récits cinématographiques, Alain Robbe-Grillet 86/ DVD : Les Intrigantes, Henri Decoin - Gun crazy, Joseph H. Lewis 88/ fabrique d’un acteur : Leonardo DiCaprio 89/ la bonne séquence : A Touch of Sin, Jia Zhang-ke 90/ dossier Howard Hawks, en partenariat avec Arte : La Rivière rouge 98/ états des lieux : Le monde est à moi
Page 4 / TRANSFUGE
u
r u o j e r t u a n u e l b i s s o p t es iq s u m , a ciném
u
,b e r u t a r e, lit té
. e é n i s s e ande d
KEM TEWFIK HA ENDREDI / 6H-6H30 V U A I D N U L DU GE U F S N A R T RT DE U O C U A E J ANE I R O Z E V U RETRO e NDI DU MOIS À 6H20 LU riat avec 3 E U en partena Q A H C c
logo Blan
c
ir et Blan
logo No
eur N100
logo coul
C40
arger h c é l é t , r écoute é r re.fr , r u t e l t u u c o e c Éc n fra
..
j’ai pris un verre avec
Sébastien Betbeder
Q
par Louis Séguin photo Amal Buziarsist uand Sébastien Betbeder arrive aux Idiots, boulevard de Ménilmontant, il accroche son vélo et se glisse sous le rideau de fer à moitié baissé. Le bar est ouvert spécialement pour nous, et le réalisateur est ici chez lui. Transi par le froid de décembre, on se croirait tout à fait dans 2 automnes 3 hivers, le film de sortie de Sébastien Betbeder, d’autant plus que ce bistrot convivial sert de décor à une scène importante du film. La lumière tamisée, le papier peint à motifs floraux, les meubles disparates et glanés à droite à gauche, rappelant les cafés branchés de Berlin, donnent au lieu des allures de refuge en hiver. Concernant 2 automnes 3 hivers, le réalisateur rappelle combien le contexte joue un rôle important dans la découverte d’un film, soulignant qu’il a tenu
Ce bistrot convivial sert de décor à une scène importante du film. à ce que le sien sorte durant la saison qu’il raconte. Sa saison préférée, comme en témoignent son film et luimême : « L’été, les gens s’oublient, il y a une sorte d’abandon qui m’effraie. J’aime l’hiver, propice à la fiction et qui permet un retour sur soi. » Retour sur Sébastien Betbeder. Il a grandi à Pau (et en a gardé l’accent), puis est passé aux Beaux-Arts de Bordeaux, une ville qu’il aimait beaucoup avant sa réfection pour son « romantisme Page 6 / TRANSFUGE
noir ». Il a ensuite quasi inauguré (il faisait partie de la deuxième promotion) l’école du Fresnoy, dont le principe fondateur est de considérer le cinéma comme un art plastique. Il en a gardé une liberté dans le choix des formats d’image (son film de sortie mêle la pellicule et le numérique) et des procédés de narration. Cette liberté esthétique, Sébastien Betbeder a choisi de l’étendre à l’économie de ses films, après une mauvaise expérience dans le circuit des financements traditionnels : « J’ai porté pendant trois ans un scénario, avec à chaque passage en commission des exigences de réécriture, et j’en suis sorti totalement lessivé, démoralisé par la façon dont ces interlocuteurs avaient réussi à transformer mon projet initial en objet qui perdait toute son essence. À la fin, je n’avais plus envie de le tourner ; j’ai fait 2 automnes 3 hivers en opposition à cela. » Une économie de courtmétrage, plus proche des personnages qu’il met en scène. Et plus proche de ce que font les jeunes cinéastes français révélés ces derniers mois (Justine Triet, Antonin Peretjatko, Guillaume Brac…), avec qui il partage un élément central : Vincent Macaigne, comme interprète principal et porte-drapeau de cette génération fauchée. Sébastien Betbeder modère la ressemblance que son film entretien avec ceux de ses pairs, et pourtant il reconnaît : « C’est des gens que je connais, bien sûr, et cet emballement médiatique qui nous a rassemblés au moment de Cannes nous a beaucoup servi. Le point commun que je vois entre nous, c’est cette envie de faire des films coûte que coûte, et d’inventer des modes de production qui correspondent à nos projets. » Quoi qu’il en soit, la Nouvelle Vague par Sébastien Betbeder a la fraîcheur et la beauté des premières neiges.
GUERRE & GUERRE László Krasznahorkai Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly
« Un texte étonnamment sensuel, intense dans la langue et au-delà d’elle, incroyablement réaliste en dépit de ses fantaisies romanesques et de l’itinéraire affolé de son personnage. Guerre et Guerre est absolument indispensable. »
Nils C. Ahl, Le Monde « Guerre et Guerre (…) est aussi envoûtant que dérangeant. La beauté des livres de Krasznahorkai, du Tango de satan à Thésée universel, commence à nous être familière. Elle continue à faire peur. »
Claire Devarrieux, la Une de Libération « Il serait temps que l’Europe se réveille, et prenne conscience de ceci : en la personne de László Krasznahorkai, elle tient tout simplement l’un de ses plus grands écrivains en activité. »
Fabrice Colin et Olivier Lamm, Chronic’art « Ce prodigieux sixième roman de l’auteur hongrois donne la mesure d’un talent hors norme, renouvelant l’art littéraire de la Mitteleuropa à la suite d’illlustres aînés, de Joseph Roth à Robert Musil. »
Sabine Audrerie, la Une de La Croix « La révélation de ce dossier : László Krasznahorkai, auteur hongrois, signe Guerre et Guerre, le roman de New York en temps d’apocalypse. Un chef d’œuvre. Sommes-nous capables de reconnaître au plus vite László Krazsnahorkai comme l’un des très grands écrivains vivants ? » Oriane Jeancourt Galignani, Transfuge
le nez dans le texte
Un donné pour un rendu par François Bégaudeau
C´
La Claire Fontaine David Bosc Verdier 128 p., 14 e
est un peintre qu’évoque La Claire Fontaine. C’est la dernière décennie de Courbet à partir de son exil pour fuir les tracasseries que lui cause sa coupable adhésion à la Commune. Voici donc qu’à nouveau littérature et peinture s’entreprennent, vieilles amantes dont les ébats toujours excitent. Qu’est-ce que ça va donner ? Comment s’y prendra la première, puisqu'en l’occurrence c’est elle qui est à l’initiative, pour aborder la seconde ? D’abord de la plus élémentaire des manières : en montrant le peintre au travail. À la convergence de l’existant et de l’artiste, au point où le réel est déjà aspiré vers son « devenir-tableau », le texte regarde le peintre s’arrêter près d’une rivière, puis « incliner la tête, et du tuyau de sa pipe, tracer en l’air les limites d’un cadre. Du ciel, des roches, de l’eau, des arbres : les jetons du grand jeu ». En second ressort, il y a la voie mimétique, au nom de laquelle la plume s’astreint à la tâche circonstanciée de se faire pinceau ; de se faire descriptive, beaucoup, et ici souvent avec brio, mais pas seulement. Une plume se fait pinceau quand elle pointe, dans une situation, les éléments primordiaux du tableau qu’on en tirerait : lumières, tons, couleurs, atmosphères. Si c’est bien fait, le lecteur a l’impression de voir en peinture ce qui lui est narré. Par exemple ce bistrot du canton de Vaud : « Les reflets de la lampe dans la cire des meubles, dans le verre des carafes, y font des aurores mesurées, peu intimidantes, supportables. » Vanité que la peinture, disait l’autre, et il le disait de celle qui mime le réel, lui-même vain. En dirait-on autant de l’écrit qui à son tour la mime ? Sûrement pas lorsque l’exécution est signée Bosc. Pour autant, ce n’est pas sur un mode directement pictural que la littérature convole le mieux avec la peinture. Plutôt lorsqu’elle joue sur ses qualités propres, et d’abord sur la reine d’entre elles, la matricielle, la constitutive : la concision. Le mat hème de la concision ? Beaucoup d’évocations en peu de mots. Opérer en un temps, là où d’autres en prennent deux, trois, quatre. Demandez-vous comment décrire un type qui retire ses chaussures sans y mettre les mains, puis lisez ceci : « Un pied déchaussa l’autre. » En épreuve numéro 2, accumulez les énoncés pour décrire le destin social des petits derniers des familles nombreuses rurales du xixe siècle. Dites leur misère, leur infériorité, leur
Page 8 / TRANSFUGE
disgrâce. Et puis voyez comment Bosc rappelle d’où viennent les douaniers que croise Courbet : « Fils surnuméraires des longues tables de ferme. » L’absolu de la concision, c’est l’ensemble des éléments d’une réalité ramassés dans le même mouvement, croqués d’un trait, dira-t-on, et la peinture sera revenue dans l’affaire. À l’asymptote du processus qui consiste à restituer un ensemble en une phrase, il y a la simultanéité picturale, par laquelle le langage exorcise la malédiction de la succession. Il y a le trait verbal qui suit les deux points dans cette phrase expliquant pourquoi le peintre vitaliste fuit la capitale suisse : « Genève lui fut un repoussoir ; elle était trop politicienne, loin des forêts : la fumée y stagnait sous les plafonds bas. » « La fumée y stagnait sous les plafonds bas » : c’est immédiatement parlant, immédiatement visuel. Appelons ça un bonheur d’expression, cela colle à nul autre mieux qu’à Courbet, qui s’y entend en bonheur. Et alors la joie que confère la prose ramassée de La Claire Fontaine est la meilleure façon d’honorer l’ogre solaire qu’il fut. Le style, s’il est grand, est joyeux. Le « stylejoie » est l’outil de Bosc pour rendre justice ou hommage à la vitalité de son modèle. Ou la rendre tout court. Très beau terme, « rendre ». Le texte prend la joie qui émane de Courbet et, comme la propriété est du vol, comme la joie tire sa source de la nature, cette « clémence arrachée à l’absurde », c’est-à-dire à la vie qui est un principe offert à tous et non une chasse gardée, eh bien je me dois, l’ayant prise, de la rendre. La rendre à qui de droit : à tout le monde, puisque tout le monde y a droit, y a part ; à tous les vivants. Sachant que le modèle devra aussi échapper un peu à l’écrivain. Sans quoi à son tour il le possède, et c’est le voler. C’est le circonscrire, comme s’y employèrent, en vain, forcément en vain, Mac Mahon et autres agents de la réaction des années 1870. La meilleure saisie fait une part à l’insaisissable. Qui s’arrête avant les basses œuvres de la capture. Courbet, lui, ne rend jamais aussi bien les animaux qu’en les absentant, et inversement « pour peindre un chevreuil tout à fait exhaustif, détaillé, il faut le tuer ». Pour que l’exécution n’exécute personne, elle se fera laconique. Elle s’adoucira en évocation. C’est ainsi qu’aux longues bios studieuses, qui étouffent leur sujet à trop l’étreindre, on préfère les brèves rêveries biographiques, soigneusement incomplètes, pointilleusement distantes, de romanciers comme Echenoz, Michon, et désormais Bosc.
POLAR
logo Noir et Blanc
24, rue de Maubeuge, 75009 Paris Tél. : 01 42 46 18 38 www.transfuge.fr Directeur de la rédaction Vincent logo couleurJaury N100 C40
TRANSFUGE abonnez -vous ! pour un an 10 numéros
5,50 e
Directeur de la publication Gaëtan Husson
par mois
édition Cécile Le Liboux
ou
52 e
Conception et réalisation graphique Fabien Lehalle Direction artistique Danielle Zetlaoui (Synapse Productions, 34, rue Daguerre, 75014 Paris)
en une seule fois
Rédacteur en chef cinéma Damien Aubel Rédactrice en chef littérature Oriane Jeancourt Galignani Rédaction Philippe Adam, Clémentine Baron, Mikaël Demets, Nicolas Klotz, élise Lépine, Catherine Lorente, Frédéric Mercier, Jean-Philippe Rossignol, Vincent Roy, Marc Séfaris, Louis Séguin, Ariane Singer, Arnaud Viviant
seulement au lieu de 69 f > Je m’abonne à partir du numéro offre valable un an, réservée à la france métropolitaine. pour l’étranger ou pour règlement par cb : site internet.
Chroniqueurs François Bégaudeau
Nom......................................................................................................Prénom...............................................
Photographes Amal Buziarist, Thomas Pirel
Adresse.............................................................................................................................................................
Illustrateurs Laurent Blachier
..........................................................................................................................................................................
Couverture Bruce McCall Gérants Gaëtan Husson et Vincent Jaury Assistante manager Lynda Tilkout Responsable publicité et partenariats Alexandre Perlo
Ville.................................................................................................Code postal............................................... e-mail............................................................................................................ Tél................................................
A.M.E – Service abonnement Transfuge • 4, rue de Jarente 75004 Paris Tél. : + 33 (0)1 40 27 00 18
52 e au lieu de 69 e par chèque à l’ordre de Transfuge 5,50 e par mois par prélèvement mensuel automatique sur RIB
TRANSFUGE.FR Agence e-Lixir
Webmaster Aurélien Fichou, Pierre Guillaume
J’autorise l’établissement teneur de mon compte à effectuer les prélèvements présentés par Transfuge d’un montant de 5,50 e/mois.
Abonnement – Information BO Conseil Service abonnement Transfuge Le Moulin 72160 Duneau
Titulaire du compte à débiter : Nom.........................................................Prénom...............................................
Contact
Adresse.............................................................................................................................................................
serviceabo@boconseilame.fr 09 67 32 09 34.
..........................................................................................................................................................................
Transfuge est une s.a.r.l. de presse au capital de 300 e RCS Paris B 449 944 321 Commission paritaire : 0216K84286 ISSN : 1 765-3827 Dépôt légal : à parution Tous droits de reproduction réservés.
Ville.................................................................................................Code postal............................................... Établissement teneur du compte à débiter : Nom..................................... Agence............................................... Adresse............................................................................................................................................................. Ville.................................................................................................Code postal............................................... Désignation du compte à débiter (indiquez les chiffres figurant sur votre RIB) Code Etablissement
Code Guichet
Numéro de compte
Clé RIB
Signez et datez le formulaire et envoyez-le accompagné de votre RIB.
carte bleue
-
Date et signature
Transfuge N° national d’émetteur 582489
anciens numéros
-
abonnement étranger sur
www.transfuge.fr
Conformément
à la
Loi
informatique et liberté du
06/01/1978 (art. 27),
vous disposez d’un droit d’accès et de rectification des données vous concernant.
le journal de Arthur Dreyfus signe le récit original de cette rentrée, Histoire de ma sexualité, ou le journal de bord d’une découverte de soi.
J’aimais enfin
© Helié
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 45
Arthur Dreyfus
mon père
Histoire de ma sexualité paraîtra dans un mois jour pour jour, le 2 janvier. Je ne l’ai toujours pas vu « physiquement ». La fabrication du livre a pris du retard parce que je l’ai trop « corrigé sur épreuves ». Auprès de mon éditeur, je me suis engagé pour l’avenir à rendre copie plus propre. Pourtant, ce n’était pas ma faute : un tel livre ne se corrige pas. Il s’amende.
à Paris. Depuis le café où je travaillais, j’ai abrégé la conversation, sans parvenir à comprendre pourquoi. Je suis revenu aux corrections d’un texte qui, tout à coup, m’a semblé absolument abscons : je n’en voulais plus à mon père. J’aimais enfin mon père.
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 46
Peut-être mon livre est-il plus doux que je ne le pense. J’ai en tête ces conversations d’apparence anodine, que chacun connaît, et qui transpirent l’acrimonie. Quelles voies la tension emprunte-telle ? Est-ce une affaire de silence entre les mots, de choix des mots, de phéromones ?
On cherche toujours à savoir pourquoi les écrivains écrivent. Me concernant, une réponse plausible serait : pour agir sur la vie. Sans conteste, j’ai écrit ce livre comme on mélange deux réactifs dans une éprouvette. Si je conçois la violence que pourront ressentir mes parents à sa lecture, je me persuade, chaque fois que je me sens coupable, que les plus tendres hommages sont involontaires.
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 47
Je suis passé par plusieurs phases – deux, précisément. La première phase est celle de la pureté : ce qui doit être dit sera dit. De grands auteurs subversifs me rassurent. La seconde phase est celle de la compassion : ce que je veux dire, je l’ai déjà dit en parole, il n’est plus nécessaire de l’écrire. Les grands auteurs subversifs se dissolvent à l’approche d’une grande inquiétude : abîmer l’amour (même le plus insatisfaisant des amours).
histoire de ma sexualité Gallimard 368 p., 21 e
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 51
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 52
Comme j’ai beaucoup « corrigé sur épreuves », je ressens une frustration à l’idée que les premiers journalistes découvrent mon texte au moyen de ces épreuves. Une voix me dit : « Pour toi c’est différent, mais pour eux, c’est presque la même chose. » Il y a le texte, et sa substance.
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 53
Souvenir d’une conversation avec Mathieu : ce qui meurtrit une personne réelle, ce n’est pas d’être dépeinte sous un jour noir dans un livre, c’est de ne pas y figurer. Il y a toujours une volupté à l’idée que quelqu’un se saisisse de nous.
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 48
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 54
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 49
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 55
Je suis incapable du moindre recul. Mon texte n’est-il sulfureux que pour moi ? Ai-je pris une pose pour correspondre à telle ou telle typologie d’auteur ? Me suis-je forcé à produire un livre gay ? Ai-je écrit par véritable désir, ou bien pour tuer le père (j’avais écrit d’abord : « braver la famille ») ? Pourquoi ai-je toujours aimé me faire remarquer ? J’aimerais être un écrivain universaliste mais j’en reviens sans cesse aux mêmes thèmes : l’enfance, le sexe dans l’enfance, la déportation des Juifs, une tendance à l’aphorisme, le coloriage des petits riens.
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 50
Mon père m’a téléphoné pendant que je corrigeais mon livre. Il ne savait quoi dire. Nous avons discuté de chefs étoilés, de Brassens et du prix au mètre carré Page 10 / TRANSFUGE
Histoire de ma sexualité est un roman, parce que tout n’y est pas vrai. J’ai composé des personnages, et des anecdotes, pour protéger mes proches. À partir du moment où certains détails – pour les intimes – affichent une incontestable invraisemblance, la notion de vrai et de faux s’évapore. Tout devient question de dosage : « combien » est vrai ? Persuadé que ma mère, arborant son pet it bouleversement railleur et accablé, me dira quelque chose comme : « En somme, j’ai enfanté un obsédé sexuel… »
Lundi 2 décembre 2013, 23 h 56
J’aurais pu pousser plus loin ce livre, mieux structurer ses fragments, renoncer à certains d’entre eux, passer davantage de temps à creuser – mais c’est ainsi : c’est le livre que j’ai pu écrire.