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Dossier • Votre camion à hydrogène, avec moteur thermique ou pile à combustible?

Votre camion à hydrogène, avec moteur thermique ou pile à combustible?

Jusqu’à récemment, la définition du camion à hydrogène était univoque : cela signifiait qu’il était doté d’une pile à combustible et de batteries de traction. Mais depuis quelques mois, cette définition s’enrichit sensiblement avec la révélation de travaux autour du moteur à hydrogène.

Le premier constructeur à avoir annoncé qu’il travaillait sur un moteur fonctionnant à l’hydrogène pur fut, dès 2021, Daf. Mais il n’est pas le seul. Dans le secret des laboratoires de l’IFP Énergies nouvelles (Ifpen), un moteur Renault Trucks DTI8 se trouve ainsi transformé pour fonctionner avec ce gaz. Une surprenante initiative quand on connaît l’engagement du groupe Volvo autour de la mobilité électrique et de la pile à combustible. En effet, Volvo AB s’est engagé en 2021 aux côtés de Daimler Trucks dans une coentreprise chargée de développer et d’industrialiser à grande échelle des piles à combustible. Mais ce n’est pas le seul industriel à tenir deux fers au feu. Le motoriste Cummins, qui a engagé sa mue électrique, a également annoncé en juin 2022 le développement de moteurs fonctionnant directement avec ce combustible. Et il ne faut pas oublier des bureaux d’études indépendants, comme Keyou en Bavière (Allemagne), qui transforment depuis 2019 des moteurs Diesel en moteurs à allumage commandé fonctionnant à l’hydrogène. Un étrange paradoxe, à l’heure où le Parlement européen se pare de vert en votant au mois de juin 2022 une résolution bannissant les moteurs thermiques dès 2035. Mais la complexité juridique européenne pourrait laisser une échappatoire, via la directive RED II, aux véhicules émettant au plus 1 gr de CO2/km et par kW. Till Oberwörder,

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directeur général de Daimler Buses, lors d’une conférence de presse tenue en mai 2022, n’imaginait pas une maturité technique du moteur à hydrogène avant 10 ans. S’il reconnaît que le bilan de cette option serait d’obtenir un véhicule zéro émission en termes de CO2 à l’échappement, il souligne que l’on ne sera pas zéro émission au sens entendu par l’Union européenne. Martin Daum, président du conseil d’administration du groupe Daimler Trucks, pose également la question de savoir si les politiques, que ce soit au niveau européen ou local, voudront encore d’un moteur thermique, fûtil avec ce type de carburant. Pourquoi, dans un tel contexte d’hostilité à l’égard du moteur thermique, des constructeurs et motoristes parmi les plus importants du secteur s’engagent-ils dans la double option pile à combustible et moteur thermique à hydrogène ?

L’hydrogène pour le besoin de puissance

La réponse, il faut la chercher auprès des scientifiques de l’IFP Énergies nouvelles qui a (exceptionnellement) ouvert les portes de ses laboratoires aux journalistes en avril dernier. François Kalaydjian, directeur Économie et veille et coordinateur hydrogène, considère que « l’hydrogène est un très bon levier pour décarboner le système énergétique des transports », en particulier lorsque l’on a de gros besoins d’énergie (donc de puissance), d’autonomie, ou des temps de recharge contraints. Mais cela induit une multiplication par 7 de la demande en hydrogène décarboné (dit « vert » lorsqu’il est issu d’énergies non fossiles ou « bleu » lorsque la production de dihydrogène est associée à du captage et du stockage de CO2). Partant de ce postulat, deux options sont envisageables : un véhicule électrique doté d’une pile à combustible ou bien la combustion de l’hydrogène dans un moteur à combustion interne. L’Ifpen relève en particulier que les écarts en émissions de gaz à effet de serre (dans le cadre d’une analyse de cycle de vie complète, pas seulement sur une vision du réservoir à la roue) entre les deux options sont faibles. Dans les deux cas, l’impact des réservoirs de stockage, tant en bilan carbone qu’en coût, devra être considérablement réduit si l’on veut rendre la filière compétitive. Stéphane Henriot, responsable pile à combustible au centre de résultats transports de l’IFP Énergies nouvelles, confie que « pour 1 kg d’hydrogène stocké à 700 bar, il faut compter 20 kg de réservoir ». Par ailleurs, selon l’institut, le surcoût des moteurs à combustion dihydrogène est lié au choix qui sera fait en termes d’injection: l’injection directe offre un meilleur rendement et une plus grande sécurité d’utilisation (moindre risque de retours de flamme), mais elle est plus coûteuse industriellement que la technologie à injection indirecte (laquelle est moins complexe à implanter sur le haut moteur).

Si les spécialistes des réservoirs cryogéniques et hydrogène sont aujourd’hui américains, les français Faurecia et Plastic Omnium développent leurs solutions de stockage de dihydrogène. Un enjeu technique et financier pour les constructeurs et la filière hydrogène. Dans une des cellules de banc d’essai moteurs de l’IFP Énergies nouvelles de Solaize (Rhône), est testé un moteur à allumage commandé fonctionnant à l’hydrogène Renault Trucks DTI8. Ce moteur, sans ses équipements de dépollution répondrait déjà aux normes Euro VI-e.

Stéphane Henriot est lu- Mais son rendement est cide quant aux défis qui Mesures expérimentales Ifpen meilleur à charge partielle. attendent la pile à com- 70 C’est exactement l’inverse bustible appliquée dans les transports lourds. Il y a le prix de la pile ellemême, mais aussi celui du dihydrogène! Aujourd’hui, il est estimé autour de 12 €/kg. Un prix orienté à la hausse du fait de son reformage à partir du mé- Rendement du système PàC (%) 35 40 45 50 55 60 65 Intégration optimisée Système non intégré sur un moteur à combustion interne : à pleine charge, le rendement du moteur à combustion interne est globalement supérieur à celui de la pile ». Sous forte sollicitation, la pile va générer des calories qu’il faut impérativethane fossile dont le prix 30 ment dissiper sous peine a littéralement explosé 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 de voir son rendement se depuis 2021, et plus en- Puissance délivrée par le système PàC (en relatif) dégrader davantage. Des core depuis la guerre en Ukraine fin février 2022. Ce diagramme montre la chute de rendement de la pile à combustible lorsque l’on s’approche de sa échangeurs devront avoir d’importantes surfaces Un prix qui s’explique puissance nominale (soit 1). Mais l’IFP Énergies d’échange, ce qui a un efégalement par la pureté nouvelles estime qu’en optimisant le fonctionnement fet négatif sur la traînée exigée dite de grade 5 et le pilotage de la pile ainsi que son intégration à aérodynamique du véhi(soit plus de 99,97 % de bord, des gains significatifs peuvent être obtenus cule. En outre, pour être pureté) pour alimenter à relativement court terme (courbe du haut). à son optimum, la pile une pile à combustible. Le exige des températures responsable reconnaît aussi les pertes de rendement de l’ordre de +75 °C à +80 °C. Pour cette raison, les dues à la gestion du refroidissement et des enjeux travaux portent autant sur l’optimisation de la pile de durabilité. En outre, si un véhicule à batteries ob- elle-même, de son électronique de puissance, que tient en bout de chaîne un rendement global oscil- sur son intégration à bord. Pierre Leduc, chef de lant de 0,6 à 0,76 kWh (pour 1 kWh pris en entrée) projet véhicules électrifiés et piles à combustible à pour la pile, on ne peut espérer que 0,23 à 0,4 kWh. l’Ifpen, confirme que les gains à en retirer peuvent « Une valeur comparable à celle d’un moteur Diesel », aller de 15 à 20 %. conclut Stéphane Henriot. Ce qui nous ramène aux L’IFP Énergies nouvelles travaille également sur contraintes évoquées plus haut: la pile ne se justifie la durabilité de la pile et sur la compréhension du que dans certains cas. Autre surprise, le comporte- vieillissement de ses stacks. Pour ces recherches, ment de la pile face au moteur à combustion interne. l’institut a monté sur son centre de Solaize (Rhône) un banc d’essai accueillant des piles jusqu’à La revanche du moteur à combustion interne 210 kW de puissance unitaire. L’encombrement des Stéphane Henriot note un paradoxe : « plus la pile à échangeurs comparé à la taille de la pile à comcombustible est forte en kWh, plus elle est coûteuse. bustible elle-même illustre parfaitement le •••

Le banc de mesure de performances de pile à combustible est, selon l’IFP Énergies nouvelles, le plus puissant actuellement opérationnel en France. Les travaux sur le moteur à combustion interne à hydrogène ont été repris en 2019. L’institut cherche autant à accroître les performances des systèmes qu’à identifier les domaines de pertinence des deux filières (moteur ou pile à combustible).

Les carburants gazeux (méthane ou dihydrogène) présentent des avantages et des risques très spécifiques dans un moteur à allumage commandé. Parmi les avantages, une combustion potentiellement très complète. Parmi les inconvénients, le danger des retours de flamme, très destructeurs.

propos des ingénieurs. Cette cellule représentant un investissement de 700 000 à 800 000 € (sur fonds propres de l’Ifpen) était nécessaire pour le déroulement du programme Coram ECH2, piloté par l’équipementier français Vitesco Technologies et dédié au développement d’une électronique de contrôle pour les systèmes pile à combustible hydrogène. Dans la cellule voisine trône un moteur, banal en apparence. Les spécialistes reconnaîtront un moteur Renault DTi8 de 7,7 litres de cylindrée. Il est un support du programme Coram MH8 coordonné par Renault Trucks. Ce banc d’essai destiné aux moteurs à combustion hydrogène représente, selon Richard Tilagone, directeur de la Direction recherche systèmes moteurs et véhicules de l’IFP Énergies nouvelles, un montant de 1,5 M€ d’investissement. Dans les faits, ce moteur originellement Diesel Euro VI fonctionne suivant un cycle à allumage commandé en injection indirecte de dihydrogène ! L’injection indirecte retenue ici rend plus facile l’implantation de la bougie d’allumage dans la culasse. Les partenaires du programme MH8 refusent de dire s’ils privilégieront l’injection directe ou indirecte, mais toutes les options semblent ouvertes. Florence Duffour, chef de projet Motorisation thermique hydrogène à l’Ifpen, confie que ce moteur répond, sans post-traitement, aux normes d’émissions Euro VI-e, mais qu’il faudra recourir à un tel équipement avec la future norme Euro VII (dont on attend le cahier des charges définitif). Quoi qu’il en soit, selon la responsable, les besoins de capacités en post-traitement des gaz d’échappement seront considérablement réduits. Fait particulièrement intéressant, ce moteur est également bien connu chez Volvo sous l’appellation Volvo D8K. De là à imaginer que la « religion » tout électrique affichée par Volvo AB puisse être à terme nuancée par l’apparition de véhicules à motorisation hydrogène, il y a un pas… que nous franchissons. Cette hypothèse n’est pas si fantaisiste quand on garde à l’esprit l’avantage du moteur thermique en termes de coût et de longévité face à la pile à combustible. En outre, il préserverait l’outil de production des industriels tout en étant moins dépendant des métaux précieux ou rares. Ultime argument rappelé par Bertrand Gatellier, responsable moteurs à hydrogène au centre de résultats transports de l’IFP Énergies nouvelles : « le moteur à combustion peut se contenter d’un hydrogène de grade 2 », nettement moins pur que celui exigé par les piles à combustibles.

Stéphane Henriot, responsable pile à combustible au centre de résultats transports de l’Ifpen.

Richard Tilagone, directeur de la Direction recherche systèmes moteurs et véhicules de l’Ifpen.

Jean-Philippe Pastre

pastre@trm24.fr

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