La veille technologique
du véhicule industriel 2024
Édité par
En partenariat avec la Fédération Française de Carrosserie
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Préface La veille technologique que nous vous proposons offre une photographie d’ensemble des innovations significatives qui redéfinissent la manière dont les véhicules industriels sont conçus et fabriqués. Les progrès rapides dans l’automatisation, la connectivité, l’électrification et l’analyse de données présentent des opportunités exceptionnelles, mais soulèvent également des défis. En prenant connaissance de cette veille 2024, les acteurs de la filière pourront se positionner à l’avant-garde de ces évolutions en contribuant par ailleurs à une mobilité industrielle plus efficace et durable.
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Sommaire Énergies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4 Motorisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8 Équipementiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 Carrosseries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Infrastructures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
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Note sur la nouvelle norme Euro VII . . . . . . . . . . . . . 22
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Note sur la révision de la directive poids et dimensions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
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Énergies Dans les objectifs de l’Union européenne sévérisés et votés en novembre 2023, l’électrique est une obligation, que ce soit via des batteries ou les piles à combustible. Pourtant, les faits sont têtus et les acheteurs s’orientent clairement vers des options multi-énergies.
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ce stade, l’électrique à batteries n’a pas atteint une maturité technique suffisante pour assurer la polyvalence d’usage des camions à motorisations thermiques. La souplesse d’utilisation ne viendra ici que par le déploiement de stations de recharge dédiées aux poids lourds. L’IFP Énergies nouvelles travaille actuellement à l’optimisation du pilotage de l’énergie stockée dans les batteries. Une voie prometteuse car donnant des résultats rapides, sans coûts induits faramineux puisqu’elle ne remet pas en cause l’électrochimie des batteries. Mais le potentiel de gain est limité : de l’ordre de 10 % à 15 % en autonomie. La densité énergétique comparée des carburants liquides et de l’électrochimie des batteries lithium-ion montre l’écart abyssal qui existe entre les deux modes de stockage d’énergie. Avec 1 litre de gazole, il y a environ 11 kWh d’énergie. Dit autrement, un pack de batteries de 520 kg avec ses coffres de protection et son électronique de commande ne contient que l’équivalent de 3 litres de gazole. Cet écart ne pourra pas être réduit de sitôt. Et il n’y a pas de raisons de croire à des gains miraculeux dans les 5 ans qui viennent. Le CNRS français, dans sa note de présentation du programme Elias (Éléments lithium avancés tout solide) de recherche sur les batteries lithium tout solide daté de janvier 2024, est clair : « si les batteries lithium-ion de
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troisième génération pourraient capter la majeure partie de la croissance, elles n’atteindront pas les niveaux de performances attendues à moyen et long terme ». Cet aveuglement technique de l’Union européenne, Parlement et Commission en tête, fut également dénoncé par un rapport cinglant de la Cour des comptes européenne publié en juin 2023. Celui-ci remet en cause les résultats obtenus par les programmes de recherche financés par l’UE, comme le plan Strategic Energy Technology lancé en 2017. Illustration que l’on a peut-être mis la charrue avant les bœufs : la recherche fondamentale ne s’intéresse que maintenant aux questions de vieillissement, de stabilité thermique et de recyclage des batteries de traction lithium-ion ! En témoigne l’exhaustif travail publié par l’université Ain Shams (Le Caire, Égypte) dans l’édition de février 2024 de l’Ain Shams Engineering Journal.
Le moteur thermique « zéro fossile » existe Si l’électrique a les faveurs du législateur européen, cela tient à un raisonnement basé sur la seule filière « du réservoir à la roue » pour l’évaluation du bilan carbone des véhicules. Si l’on prend le bilan carbone en analyse de cycle de vie, on peut obtenir des résultats très différents. Plusieurs études de l’IFP Énergies nouvelles (en 2019 comme en 2022), relatives au potentiel de décarbonation du bioGNV et à celui des différentes filières hydro-
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gène, confirment que l’on peut décarboner le transport d’une autre manière. Le moteur thermique, sur le critère du cycle de vie, est compétitif dans l’hypothèse d’un fonctionnement avec des énergies décarbonées. Quelles sont ces sources ? Nous avons mentionné le biométhane, dont l’Agence internationale de l’énergie révèle dans son dernier rapport paru en janvier 2024 que l’Europe était l’un des pôles de production majeur dans le monde depuis 2021. Paradoxalement, l’essentiel du biométhane produit sert… à la production d’électricité ! Un fait que les tenants du tout électrique routier et les détracteurs du GNV omettent de rappeler. Les USA et le Canada sont bien plus avancés que l’Europe pour l’usage du bioGNV, ce qui explique la présence de spécialistes de cette carburation sur ce continent : Westport, Cummins, Volvo AB (avec ses dual-fuel).
Le moteur thermique, sur le critère du cycle de vie, est compétitif dans l’hypothèse d’un fonctionnement avec des énergies décarbonées. Certains pays comme l’Italie ont choisi de diriger la production de bioGNV vers les applications difficilement substituables comme le transport routier. Pour des questions de densité, le GNL est privilégié pour les transports longue distance, mais le stockage cryogénique à -163 °C pose la question des pertes par évaporation (boil-off) en cas de non-utilisation. Le GNC comprimé à 200 bars est plus fréquent pour les autobus et pour les usages n’exigeant pas une autonomie maximale. C’est la filière historique en France. Autre atout du bioGNV issu de méthanisation ou de gaz de décharge, il s’agit d’une
production non délocalisable, valorisant une ressource fatale, assurant la souveraineté technique et énergétique de nos pays. La part de bioGNC dans la consommation totale a atteint 36 % en 2022. Un chiffre appelé à croître encore du fait de nouvelles mises en service de méthaniseurs en France. Les développements des motoristes (Cummins, Iveco, Scania, Volvo) ont permis un accroissement constant des puissances et des couples moteurs. Des bureaux d’études comme CRMT en France ou FEV en Allemagne travaillent sur du reconditionnement de moteurs diesels en bioGNV. Les motorisations GNV seraient, selon différents motoristes interrogés par nos soins, nettement plus faciles à homologuer en Euro VII que leurs pendants diesels. En 2023, les motorisations GNV (tous types confondus, à cycle diesel comme à allumage commandé) ont représenté 3,68 % des immatriculations de camions neufs en France. Mais pour les autobus urbains, le GNV se taille la part du lion avec 44,1 % des immatriculations en France en 2023. C’est aussi la principale alternative à ce jour pour les autocars de ligne et scolaires, avec 11,9 % des certificats d’immatriculation neufs émis en 2023 en France.
Les biocarburants Le B100 est le nom commun des esters méthyliques d’acides gras (EMAG ou FAME en anglais), qui correspond à ce que les plus anciens ont connu sous le nom de Diester. Il est populaire en France en raison de notre production de colza. Si les tourteaux constituent la matière noble recherchée pour l’alimentation du bétail, les huiles (éventuellement issues d’huiles de cuisson usagées) sont un sous-produit que les producteurs essaient de valoriser, notamment par estérification pour faire le fameux B100.
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Cependant, selon l’IFP Énergies nouvelles, la croissance des biocarburants en Europe vient essentiellement du HVO. Les deux familles de produits partagent le fait de constituer des alternatives au gazole et d’être potentiellement d’origine renouvelable. Les HVO peuvent être produits à partir d’huiles minérales recyclées et de graisses animales issues d’équarrissage. La réduction des gaz à effet de serre oscille entre 65 % et 85 % minimum avec ces ressources. On le devine : un moteur diesel carburant exclusivement avec ces liquides offre sur son cycle de vie un bilan carbone particulièrement vertueux. Les prix de ces produits sont orientés à la hausse, tant en raison de la demande, très dynamique, que pour des questions de stratégies commerciales des distributeurs qui alignent leurs prix de vente sur ceux du gazole. L’énorme avantage de ces deux produits est leur facilité de déploiement puisqu’ils peuvent remplacer le gazole. Mais attention, le B100 a ses exigences pour la maintenance : les intervalles de vidange, la filtration du combustible et la durée de stockage dans les cuves doivent faire l’objet de protocoles spécifiques. Le HVO n’impose quant à lui aucune contrainte. D’où la réticence de la direction générale de l’énergie et du climat en France à lui accorder les mêmes bénéfices réglementaires qu’au B100 exclusif, malgré l’existence de systèmes de mesure et de contrôle embarqués (dont le boîtier de la PME française SP3H, FluidBox micro, déjà monté chez MAN et prochainement chez Scania). Le B100 exclusif connaît une croissance rapide et représente 2,88 % des immatriculations de camions neufs en France en 2023. Sur le segment des autocars, il représente 2 % des immatriculations neuves. Quant aux ressources, Daphné Lorne, ingénieur économiste à l’IFP Énergies nouvelles, est claire : « Si le seul secteur transport ne semble pas induire de risque de tension sur le potentiel en ressources de biomasse nationales, l’intégration des besoins en biomasse de l’ensemble des secteurs énergétiques va nécessiter la mise en place de mesures spécifiques de déploiement des filières d’approvisionnement ».
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L’énergie a un prix Après deux années agitées en 2021 et 2022 côté tarifs pour les différentes énergies, les perspectives à moyen et long terme, posées par les politiques de transition énergétique, tendent à confirmer une hausse généralisée des coûts. C’est une loi imparable de l’économie classique : les prix des énergies suivent assez fidèlement la demande. À court terme, dans le contexte d’extrême tension au Moyen-Orient depuis octobre 2023 où les réactions en chaîne se succèdent, les prix du pétrole brut et de certains produits raffinés (en particulier le gazole) vont être extrêmement fluctuants, malgré la reconstitu-
Attention au B100 qui peut être proposé chez différents constructeurs en carburation dite flexible ou B100 exclusif. Si dans la perspective du scope 3 de bilan carbone des entreprises ils sont identiques, tout comme pour l’éligibilité aux dispositifs du suramortissement fiscal, à l’usage il y a de grosses différences. Le B100 exclusif permet de bénéficier de la vignette Crit’Air 1 potentiellement précieuse pour entrer ans les ZFE-m les plus restrictives. Mais la contrepartie est qu’il faut impérativement alimenter le véhicule en B100, sans quoi il se bride comme s’il était en défaut d’AdBlue. On retrouve un peu les mêmes contraintes qu’avec le GNV : tout va bien si l’on exploite le véhicule en tournées planifiées ou si l’on dispose de cuves dédiées sur des points de ravitaillement identifiés. Pour le moment, comme le HVO, le B100 n’est pas autorisé en station publique.
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Seule une récession mondiale pourrait entraîner une baisse des cours des différentes énergies. tion des stocks d’essence et de gazole tant en Europe qu’aux USA. La quasi-obligation faite aux superpétroliers de passer désormais par le cap de Bonne-Espérance plutôt que par la mer Rouge va accroître le prix des ressources pétrolières provenant du Moyen-Orient. Seule une récession mondiale pourrait entraîner une baisse des cours des différentes énergies. Quant aux émissions de CO2, la tendance mondiale n’est pas bien orientée. L’Agence internationale de l’énergie s’attend à une demande de brut dépassant les 103,5 millions de barils par jour en 2025. L’extraction de charbon a battu des records en 2023 avec 8 500 millions de tonnes. Pourquoi parler du charbon, sujet qui ne concerne qu’à la marge les véhicules industriels ? Parce qu’il faut distinguer énergie primaire et énergie secondaire, cette dernière étant objet de la consommation finale. Or, selon les analystes du cabinet de promotion de l’électricité Ember, en tant qu’énergie primaire, le charbon représente 35,8 % de la production d’électricité mondiale (13 529 TWh). Le rôle de la Chine est, selon les termes du site Connaissance des énergies « absolument considérable sur le marché du charbon ». Ce pays poursuit l’attribution de permis pour la construction de centrales à charbon, y compris en 2022. Selon les organisations Global Energy Monitor et le Centre for Research on Energy and Clean Air, la Chine pourrait développer le charbon comme énergie de base (aux côtés de l’hydroélectricité et du nucléaire), afin de pallier les intermittences des productions renouvelables que sont le solaire et l’éolien, également en très forte croissance dans ce pays. Un schéma que l’on connaît en Europe, tout particulièrement en Allemagne où la production d’électricité à base de lignite et le recours aux centrales à gaz visent à stabiliser un réseau électrique conditionné par les énergies renouvelables et intermittentes du programme
Energiewende. Cette nature intermittente des énergies solaire et éolienne est parfaitement observable sur le site du gestionnaire de réseau électrique RTE(1). Cela a une incidence forte pour les professionnels en termes de prix moyen du kWh(2) disponible sur le marché de gros de l’électricité. Car, comme le gaz, l’électricité a connu de très fortes fluctuations en 2022 culminant semaine 34 (en plein mois d’août 2022) à plus de 611 € bruts le MWh(3). Si le redémarrage d’installations thermonucléaires a calmé les tensions en France, l’électricité est demeurée à plus de 100 €/MWh pendant 17 semaines sur l’année 2023. Malgré d’excellentes conditions de production (ressources en eau à nouveau disponibles, redémarrage de centrales thermonucléaires, conditions météorologiques favorables pour la saison), les prix restent tendus en France début 2024, avec une deuxième semaine dépassant régulièrement les 100 €/MWh. Les écarts entre heures creuses et de pointe sont très importants sur les marchés spots. L’enjeu pour les acheteurs, qu’il s’agisse de produits pétroliers, gaziers ou de courant électrique, étant de bien négocier ses contrats d’approvisionnement et de se prémunir autant que possible des prix spots sujets à une grande volatilité. Citant le rapport publié en mai 2023 de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz pour le compte de France Stratégie, Christian de Perthuis, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine présente la situation(4) : « La transition énergétique exige d’investir plus sans accroître la capacité productive, ce qui se traduit, dans la fonction de production, par une baisse de la productivité apparente du capital ».
(1) https://www.rte-france.com/eco2mix/la-production-delectricite-par-filiere (2) https://www.rte-france.com/eco2mix/les-donnees-de-marche (3) Indice prix spot du marché de l’électricité, source Epex. (4) Analyse de Christian de Perthuis à lire en détail à l’adresse suivante : https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/ rapport-pisani-ferry-mahfouz-que-faut-il-en-retenir
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Motorisations Il est difficile de prédire avec certitude le panel énergétique des véhicules qui seront sur les routes en 2025. Le moteur thermique pourrait persister, avec l’émergence de substituts au gazole pour les moteurs diesel et l’introduction de nouveaux carburants gazeux. L’hydrogène, en particulier, se profile comme un candidat potentiel à la succession du gaz naturel pour véhicules (GNV).
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es acteurs et observateurs les plus sérieux du monde du transport et de l’énergie ne cessent de l’affirmer : la seule issue pour la transition énergétique est l’ouverture à un panel d’énergies et de solutions. Nous sommes, dans une certaine mesure, dans ce cas de figure. Aujourd’hui, nous avons disponibles des offres diesel avec du B100 (exclusif ou pas), du HVO ; des moteurs à allumage commandé fonctionnant au méthane (fossile ou renouvelable) qui cohabitent avec des camions à batteries et les tout premiers spécimens à pile à combustible. Dans l’état actuel de la technique, deux problèmes demeurent, sinon insurmontables tout au moins sévèrement limitants, pour les camions électriques à batteries. D’une part il y a l’autonomie d’une part, et d’autre part, se pose la question du financement avec des machines coûtant 3 fois le prix d’un équivalent diesel, pour une flexibilité et une polyvalence d’utilisation moindre. En outre, le prix de revient global reste obstinément plus élevé que celui d’un diesel (entre 1,5 et 2 fois supérieur à celui d’un diesel Euro VI). La motorisation électrique demeure donc une option à la marge imposée par le législateur ou les collectivités publiques ayant mis en place les fameuses ZFE-m les plus restrictives. Les premiers véhicules électriques
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La course à la puissance et au couple se poursuit entre les deux protagonistes, notamment dans la classe des moteurs de 13 litres. sont des véhicules urbains (utilitaires légers ou lourds, et camions jusqu’à 7,5 t). Les véhicules plus lourds (pour des questions de massification de flux) seront certainement des ensembles routiers ou des porteurs devant faire des navettes entre plateformes logistiques ou des livraisons nocturnes.
Quel avenir pour le GNV ? Aujourd’hui, seuls deux constructeurs s’impliquent sur les motorisations à allumage commandé fonctionnant au gaz naturel : Iveco et Scania. La course à la puissance et au couple se poursuit entre les deux protagonistes, notamment dans la classe des moteurs de 13 litres. Nous assistons ainsi à une nouvelle passe d’armes entre les deux marques avec 460 ch et 2 300 Nm de couple désormais chez Scania. Le nouveau moteur Cursor XC13 GNV devrait constituer la réplique d’Iveco courant 2024. Renault Trucks dispose bien d’une offre sur ses gammes
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légères Renault D-Wide ; laquelle recourt au moteur Cummins L9N de 8,9 litres de cylindrée. Si le réseau et la marque répondent aux appels d’offres avec ce châssis-cabine, aucun effort de promotion n’est fait en sa faveur auprès des clients et des médias. MAN, qui dispose pourtant d’un moteur à allumage commandé très récent, le E18 de 9,5 litres, a clairement annoncé qu’il ne procéderait pas à son homologation Euro VII en l’état actuel de la réglementation européenne. Présent dans l’offre d’autobus de la marque, ce
Une tendance intéressante est visible dans le domaine de l’autobus et de l’autocar. Au tout batteries qui a prévalu au lancement industriel de ces véhicules, poussé par la pression politique et réglementaire (l’UE exige une sortie des moteurs thermiques dans les autobus dès 2035), on assiste à une floraison d’offres à base de piles à combustible hydrogène. L’objectif est simple : préserver la charge utile et gagner sur les temps d’immobilisation, et, accessoirement, mieux gérer les cycles de charge et décharge des accumulateurs afin d’en optimiser la durée de vie. Une autre option que le mode du transport public applique est la recharge en roulant grâce aux trolleybus IMC (in motion charge) qui réduit drastiquement le besoin de batteries de traction.
moteur ne sera donc pas monté dans les gammes MAN TGL et TGM. Tout l’avenir du GNV dépend du bioGNV. Si les carburants d’origine renouvelable (ici la biomasse et les déchets organiques) comptent dans les véhicules zéro émission, l’avenir de la motorisation GNV est assuré. En l’état actuel, le bioGNV est une option intéressante pour les utilisateurs (traduite en France dans la loi de finances 2024 par l’inscription du bioGNV dans le dispositif TIRUERT, taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans les transports) mais il n’offre pas de bénéfice majeur pour les constructeurs dans leurs comptages Vecto.
Le tout batterie en phase transitoire ? Si les constructeurs focalisent pour l’heure l’attention sur leurs offres de véhicules électriques, les mêmes occultent les travaux en cours sur le sujet de la pile à combustible ou le moteur à combustion hydrogène. Deux techniques qu’ils étudient de façon très concrète. En matière de pile à combustible, tous les constructeurs, sans exception, travaillent sur le sujet. Certains développent leur solution technique via des alliances spectaculaires en créant des coentreprises comme Cellcentric associant Volvo et Daimler. Pour le moment, Daimler fait appel à la pile à combustible Toyota pour ses autobus e-Citaro H2. L’Asie est très active dans ce domaine puisque, outre Toyota, il faut compter sur Hyundai. Les deux géants livrent déjà piles à combustible, voire véhicules complets, en Europe directement ou via des loueurs (le fameux camion lourd Hyundai Xcient). Hormis ce modèle, aucune offre n’est aujourd’hui disponible sur le marché. On attend toujours en France les homologa-
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tions et les certificats d’immatriculation des premiers camions routiers en rétrofit hydrogène (Hyliko). Cela devrait intervenir, si tout se passe bien, au printemps 2024. Mais en la matière, la prudence est de mise. La liquidation de Volta Trucks en octobre 2023, le nouvel entrant pourtant le plus avancé dans son développement technique et industriel de son camion à batteries, appelle à la prudence.
politiques. Si des inflexions devaient intervenir, cela pourrait influer sur le calendrier de développement des constructeurs et motoristes.
La bataille du rendement Les annonces de Scania, ayant revendiqué avoir dépassé les 50 % de rendement thermodynamique avec sa génération de moteurs DC13 Super, ont laissé sceptiques
Le moteur à combustion sauvé par l’hydrogène ? L’autre option, qu’étudient nombre de motoristes et constructeurs, est la conversion du moteur thermique à la combustion de l’hydrogène. La base est celle d’un moteur à allumage commandé, comme pour les moteurs GNV. Cela donne un avantage aux constructeurs connaissant cette motorisation. Même des motoristes comme Daf, qui ont pourtant boudé les motorisations GNV, développent cette technique. Des bureaux d’études tels FEV ou Keyou ont déjà converti à l’hydrogène carburant des moteurs GNV. Les défis que cela pose concernent surtout les équipementiers. Pour les motoristes il faut résoudre les contraintes thermiques, se prémunir des retours de flamme (problème déjà bien identifié avec le méthane) et des phénomènes d’auto-allumage.
Pour les motoristes il faut résoudre les contraintes thermiques, se prémunir des retours de flamme (problème déjà bien identifié avec le méthane) et des phénomènes d’auto-allumage. Tant en Europe qu’aux États-Unis ou au Canada, le moteur à combustion hydrogène est déjà une réalité sur les bancs d’essais. Une fois de plus, le signal (positif ou négatif) viendra de l’Union européenne. Mais l’UE pourrait connaître, avec les élections au Parlement européen au mois de juin 2024, quelques changements
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Certains véhicules bennes à ordures ménagères fonctionnant au GNV dotés de moteurs « downsizés » posent parfois des problèmes. La réduction de cylindrée, pour avantageuse qu’elle soit en théorie en termes de consommation spécifique, peut poser des problèmes de fiabilité et se révéler décevante lorsque les sollicitations sont trop fortes (ici avec la puissance hydraulique requise pour le compactage). De nombreux constructeurs privilégient donc le « downspeeding ». En clair et en français : on conserve une cylindrée habituelle, entre 12 et 13 litres de cylindrée, mais on accroît la pression d’injection, les pressions internes dans les chambres lors de l’inflammation du mélange, l’optimisation de la « boucle d’air » de suralimentation, le tout pour maximiser la force à bas régimes. Ce surcroît de couple permet d’allonger les démultiplications finales, soit moins d’injections à distance parcourue équivalente. Cette stratégie se vérifie aussi bien en moteur diesel qu’avec les moteurs à allumage commandé (Iveco, Scania, Volvo en dual fuel).
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plusieurs observateurs. À l’image de la bataille qui opposa les chevaux SAE des chevaux DIN sur la mesure de puissance moteur, tout dépend de ce que l’on prend en compte : moteur nu, sans ses auxiliaires, ou l’ensemble complet tel que monté dans les véhicules en circulation. Dans les faits, les meilleurs moteurs diesel en cours de lancement commercial atteignent, avec leurs périphériques, les 45 à 46 % de rendement pour 42 % en moyenne sur les moteurs Euro VI diesel. La traction électrique présente sur ce plan un avantage indéniable. Mais les 95 à 96 % avancés systématiquement sont toutefois théoriques et le laboratoire et bureau d’études GreenMot, basé dans le Rhône, a découvert que certaines chaînes de traction électriques automobiles étaient bien en deçà de ces valeurs avec des résultats qui étaient en moyenne à 80 %. Ce sont des valeurs mesurées sur 7 voitures particulières de milieu de gamme. Cela prouve que les rendements de l’électrique dépendent beaucoup de l’électronique de commande, des convertisseurs de courant et des transmissions. Ce qui explique l’intérêt porté par l’IFP Énergies nouvelles sur le pilotage des chaînes de tractions électriques pour gagner 10 à 15 % d’autonomie en travaillant sur l’électronique et les logiciels de contrôle-commande.
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Équipementiers Si les fournisseurs de composants ont un rôle important dans la valeur et les fonctionnalités des véhicules industriels, on le voit déjà dans le domaine des aides à la conduite, ce n’est pas le seul domaine où les équipementiers vont devenir maîtres du jeu. L’électrification et plus encore l’hydrogène vont renforcer leur rôle.
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n a assisté ces dernières années à des concentrations spectaculaires chez les équipementiers : il suffit de se remémorer les dernières acquisitions de Cummins, BorgWarner, SAF-Holland. Il y eut des mégafusions du genre ZF avec Wabco ou les accords entre ElringKlinger et Plastic Omnium conduisant à la création d’un spécialiste de l’hydrogène (Ekpo). D’autres grands groupes s’associent pour financer de jeunes pousses : l’exemple le plus spectaculaire est le développement de Symbio qui associe désormais Faurecia, Michelin et Stellantis. Il y a même des regroupements contre-nature, tant ils paraissent associer des frères ennemis. On pense ici à Cellcentric, la coentreprise entre Volvo AB et Daimler développant des piles à combustible hydrogène pour véhicules industriels.
Stockage et dépollution ont un coût La filière hydrogène suscite bien des convoitises et exige des investissements massifs. Qu’il s’agisse de la pile à combustible ou du moteur à combustion hydrogène, un élément clé est le stockage de cette molécule. Les spécialistes des réservoirs sont donc assurés d’être gagnants car ces pièces sont fondamentales quoi qu’il en
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soit. C’est déjà le cas pour les camions fonctionnant au GNV, qu’il s’agisse des réservoirs cryogéniques (pour le GNL) ou des bouteilles de gaz comprimé (GNC) qui constituent une partie importante des surcoûts des véhicules GNV. Stéphane Henriot, responsable pile à combustible au centre de résultats transport de l’IFP Énergies nouvelles (Ifpen), confie que « pour 1 kg d’hydrogène stocké à 700 bars, il faut compter 20 kg de réservoir ».
Les équipementiers qui maîtrisent le stockage de l’énergie sont en passe de devenir les nouveaux maîtres de l’industrie. L’hydrogène est aussi en train de révolutionner les équipements de dépollution ou d’injection pour les moteurs. Car les spécialistes des catalyseurs vont devoir s’adapter à des gaz d’échappement très riches en vapeur d’eau. Les turbocompresseurs et les systèmes d’allumage vont devoir travailler dans les conditions typiques des mélanges pauvres. La très faible densité du dihydrogène va exiger des débits considérables aux pompes et injecteurs pour donner assez d’énergie dans les chambres de
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combustion. Delphi et les spécialistes de la dépollution y travaillent déjà. Selon l’Ifpen, le surcoût des moteurs à combustion dihydrogène est lié aux choix qui seront faits en termes d’injection : l’injection directe offre un meilleur rendement et une plus grande sécurité d’utilisation (moindres risques de retour de flamme), mais elle est plus coûteuse industriellement que la technologie à injection indirecte (laquelle est moins complexe à implanter sur le haut moteur).
Dépendance occidentale Les équipementiers qui maîtrisent le stockage de l’énergie sont en passe de devenir les nouveaux maîtres de l’industrie. C’est encore plus vrai, et critique, pour les batteries de traction lithium-ion. Il y a bien quelques Européens comme Akasol (racheté par BorgWarner), Forsee Power, Northvolt ou Saft (racheté par TotalEnergies), mais les géants du secteur sont tous asiatiques : LG, Panasonic, Toshiba, Samsung SDI, sans oublier les chefs de file Chinois : BYD ou CATL. Lorsque les Européens ou les Américains fabriquent les batteries, ils sont tous dépendants de matières premières contrôlées par la Chine (en particulier le graphène et le graphite sphérique pour les anodes de batteries lithium-ion). La Chine a sécurisé ses approvisionnements par la politique des nouvelles routes de la soie, en particulier en Afrique et en Amérique du Sud. Elle a mis en place depuis décembre 2023 un contrôle de ses exportations de composants semi-finis, en particulier les exportations de graphite pour batteries lithium-ion. Les producteurs de batteries de traction sont donc sous pression pour leurs approvisionnements.
Gestion thermique Mais il y a d’autres autres gagnants de la transition énergétique : les spécialistes de la gestion thermique. On peut citer Nissen, Valeo, Eberspächer, et d’autres qui sont déjà bien présents dans l’univers du moteur thermique. Car les batteries lithium-ion à électrolytes liquides doivent à la fois être préchauffées en période hivernale et refroidies lors des phases de recharge ou en été. Ces mêmes pièces (essentiellement des échangeurs et pompes) sont fondamentales pour les piles à combustible hydrogène. Sous forte sollicitation, la pile va générer des calories qu’il faut impérativement dissiper sous peine de voir son rendement se dégrader. Des radiateurs qui devront avoir d’importantes surfaces d’échanges. En outre, pour être à son optimum, la pile exige des températures de l’ordre de +75 °C à +80 °C. Pour cette raison, les travaux portent autant sur l’optimisation de la pile elle-même, de son électronique de puissance, que sur son intégration à bord. Pierre Leduc, chef de projet véhicules électrifiés et piles à combustible à l’IFP Énergies nouvelles, confirme que les gains à en retirer peuvent aller de 15 % à 20 % en travaillant sur ces seuls facteurs. L’Ifpen travaille également sur la durabilité de la pile ainsi que sur la compréhension du vieillissement de ses stacks. Pour ces recherches, l’institut a monté sur son centre de Solaize (Rhône) un banc d’essai accueillant des piles jusqu’à 210 kW de puissance unitaire. L’encombrement des échangeurs comparé à la taille de la pile à combustible elle-même illustre parfaitement le propos des ingénieurs, ce qui rend d’autant plus important le choix fait par l’Union européenne de réviser sa directive sur les poids et dimensions.
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Carrosserie Le monde de la carrosserie n’a cessé d’évoluer depuis 150 ans. Les préoccupations constantes que sont la charge utile, la polyvalence d’usage et le prix de revient seront toujours là pour les années à venir. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’électrification des véhicules va renforcer l’importance de ces critères.
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our paraphraser Sully, nous pourrions affirmer en préambule qu’« Électronique et électrification sont les deux mamelles de la carrosserie industrielle ». L’électronique est déjà très présente depuis ces 20 dernières années dans les véhicules remorqués depuis l’introduction de l’ABS (anti-enrayage des freins), puis des EBS (pilotage électrique des circuits pneumatiques de freinage), et enfin des ESP (contrôles de trajectoire). La tendance ne va qu’en s’accentuant. Le freinage à actionnement tout électrique (brake-by-wire) n’attend que la levée des dernières contraintes réglementaires pour faire son apparition en Europe. Les équipementiers, comme Haldex, sont prêts. Les constructeurs sont demandeurs car cela simplifiera notablement les montages en usine et réduira les besoins d’énergie (suppression des circuits pneumatiques).
Intérêt du bus CAN L’électronique est présente depuis des années dans les radiocommandes des grues et des véhicules de convois exceptionnels. Mais les prochaines évolutions vont se consacrer à la simplification de l’usage ou à la sécurisation du manipulateur, du véhicule ou de l’environnement. La liste serait trop longue des constructeurs développant avec leurs équipementiers des carrosseries « communi-
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Électronique et électrification sont les deux mamelles de la carrosserie industrielle. cantes », que ce soit pour signaler l’état de certains équipements (hayons ou barres anti-encastrement abaissés par exemple) ou leurs performances (température des freins, des compartiments isothermes, etc.). La prochaine étape, déjà bien engagée chez les carrossiers constructeurs spécialistes de la température dirigée, est le pilotage des équipements via des applications sur smartphone. Même des univers réputés conservateurs comme le bâtiment et les travaux publics s’intéressent au développement des bus CAN pour la carrosserie. Quitte à faire appel à des fournisseurs en composants électroniques provenant du monde de la défense afin de trouver les composants électroniques résistants à la poussière et aux vibrations. Forez-Bennes a ainsi révélé dernièrement à Solutrans ses travaux autour d’une bibenne grue dotée d’un réseau bus CAN et de différentes aides à l’utilisation, notamment pour le pilotage et la synchronisation des ridelles avec les mouvements de la benne. L’intérêt du bus CAN est qu’il permet de réduire le nombre de câbles
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Ce n’est pas un hasard si les groupes du véhicule industriel froids sont les premiers à avoir migré
nécessaires à chaque fonction. On peut ainsi ajouter ou croiser des fonctions sans multiplier les faisceaux électriques correspondants. Inconvénient : il ne faut pas que la colonne vertébrale filaire soit endommagée, mais ce problème est commun à tout système de commande électrique, qu’il soit multiplexé ou pas.
La température dirigée à l’avant-garde de l’électrification L’autre évolution déjà très présente dans le domaine de la température dirigée est l’électrification. Les groupes froids entièrement électriques ne se cantonnent plus aux utilitaires et porteurs de moyen tonnage, mais se développent sur les ensembles 33 palettes multitempératures. Lorsque les géants comme Carrier Transicold ou Thermo King n’avaient pas les parts de marché ou l’expertise nécessaire, ils n’ont pas hésité à racheter des spécialistes du tout électrique comme TRS ou Frigoblock. Un cycle qui s’est poursuivi avec l’acquisition des activités transport sous température dirigée de l’italien Zanotti par le groupe nippon Daikin. Ce n’est pas un hasard si les groupes froids sont les premiers à avoir migré vers le tout électrique. La livraison urbaine sous température dirigée pourrait bien être la première à basculer massivement vers le tout batteries, pour des questions d’accès aux ZFE-m et de tournées sous forme de livraisons nocturnes. Autre métier pouvant basculer très vite vers l’électrification : les bennes à ordures ménagères dont les tournées sont prévisibles et connues à l’avance, ce qui facilite la conception du châssis, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’évaluer ses besoins de batteries. Les véhicules remorqués se convertissent aussi à l’électrification sous la forme d’essieux à moteurs électriques.
vers le tout électrique.
Rappelons qu’une machine tournante électrique présente la caractéristique intéressante de pouvoir être génératrice de courant ou de devenir, une fois alimentée en courant, un moteur d’entraînement. BPW, SAF-Holland ou le sino-néerlandais Valx commercialisent des essieux avec machines électriques intégrées. Pour répondre aux objectifs européens du programme Fit for 55, les véhicules remorqués vont devoir réduire leurs émissions de CO2 de 10 %. De tels composants deviennent dès lors très précieux, en particulier pour la température dirigée. Mais on peut aussi imaginer une semi-remorque qui vient en support du tracteur (qu’il soit thermique ou électrique), que ce soit en retenue en descente ou en traction.
Les critères traditionnels toujours actuels Mais il ne faudrait pas croire que les critères traditionnels que sont la charge et le volume utile ou la polyvalence d’utilisation soient abandonnés pour autant. Ils font et feront toujours partie de l’équation commerciale pour les opérateurs. L’électrification des véhicules moteurs va d’ailleurs renforcer les contraintes sur les carrossiers. Il leur faudra trouver le moyen de gagner en tare pour compenser (même partiellement) la surcharge pondérale considérable des véhicules à batteries de traction. L’outil de calcul Vecto, terreur des constructeurs motoristes, est le prélude à une possible classification des émissions des véhicules industriels (à l’image de ce qui
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se fait pour les automobiles). Les semi-remorques pourraient être pénalisées du fait de leur masse plus élevée qu’une remorque simple. Il n’est pas impossible que dans le contexte de pénalisation des émissions de CO2 des véhicules, les porteurs remorquants puissent bénéficier d’un avantage compétitif face aux semi-remorques. Ce serait d’ailleurs une simple règle de bon sens que d’exploiter ces ensembles en fonction de la charge ou du volume réellement transporté. Mais la conduite d’un porteur remorquant exige une maîtrise particulière en manœuvre, tout spécialement en marche arrière. Autre contrainte : il faut que les camions porteurs à batteries puissent être remorquants, ce qui est loin d’être une vérité universelle dans le portefeuille des constructeurs. C’est d’ailleurs un point de vigilance à avoir pour les acquéreurs. Une telle évolution pourrait avoir des conséquences chez les opérateurs français, aujourd’hui très majoritairement utilisateurs de semi-remorques. Si l’on admet dans ce contexte réglementaire restrictif que les porteurs et porteurs remorquants sont plus attractifs pour les carrossiers constructeurs et les opérateurs, cela ouvre de belles perspectives aux constructeurs de carrosseries ou de superstructures déposables, comme l’allemand Sommer et l’italien Pris-Mag.
Les carrossiers réparateurs très concernés La pression environnementale s’est manifestée depuis des années sur les carrossiers réparateurs. En effet, ils ont dû passer aux peintures hydrodiluables sans composés organiques volatils, ce qui a eu plusieurs impacts sur les ingrédients, les matériels d’application ou le séchage des peintures, laques et vernis. Les véhicules électriques à batteries vont ajouter de nouvelles contraintes. Il y a bien sûr les procédures de certification et les temps à consacrer aux consignations et déconsignations des véhicules devant faire l’objet d’interventions. L’équipement des ateliers et la formation des différents corps de métier vont devoir s’enrichir de nouveaux matériels isolants et de savoir-faire fondamen-
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Les semi-remorques pourraient être pénalisées du fait de leur masse plus élevée qu’une remorque simple. taux en termes de sécurité. Que ce soit en fabrication ou en réparation, les passages en tunnel de peinture vont être assujettis à des critères de température très stricts, et notablement plus bas que pour un véhicule conventionnel (de l’ordre de +40 °C). Le danger majeur étant l’emballement thermique des batteries en cas de leur surchauffe.
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Infrastructures La distribution des fluides énergétiques, quels qu’ils soient, constitue l’un des défis auxquels vont être confrontés à la fois les énergéticiens et les clients finaux. Les énergies ne sont pas égales dans cette course au maillage.
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ommençons par le gazole, sa situation de domination ne le met pas à l’abri de difficultés. Bien sûr, nombre d’entreprises disposent de leurs cuves privatives. Mais le maillage de stations publiques ne cesse de s’étioler, tout particulièrement dans les villes et les zones rurales les plus reculées. Pour mémoire, en 1975, la France comptait plus de 47 500 stations d’essence. En 2022, selon l’Ufip (Union française des industries pétrolières), il y en avait 11 039. Les chocs pétroliers et la hausse de la fiscalité sur les carburants ont conduit à une concentration des points de vente du fait de l’érosion des marges. Les transporteurs disposent de cuves privatives et de cartes accréditives, ce qui atténue la perception du phénomène. Fait remarquable, les enseignes de grandes surfaces se sont intéressées au marché des professionnels de la route (y compris transporteurs routiers). La tendance à la raréfaction des stations se poursuit, même si elle ralentit fortement, mais aucun élément ne permet d’envisager une inversion. Les règlements d’urbanisme et environnementaux vont contribuer à alimenter ce phénomène de disparition, cette fois dans les grandes villes ou leurs abords immédiats.
Stations d’avitaillement : qui doit s’adapter ? Si le décret devant autoriser la commercialisation en station publique du HVO en France reste à publier (il est
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La dynamique des stations GNV s’oriente clairement vers les véhicules industriels. attendu par certains équipementiers et industriels d’ici à juin 2024), il est clair que le B100 demeurera un produit pour cuves privatives. Plusieurs raisons à cela : ce produit à base d’ester méthylique d’acides gras (EMAG) a une date de péremption. Il faut donc une rotation importante du produit dans les cuves. D’ailleurs, différents prestataires commercialisent leurs offres « tout compris » : pose des cuves et approvisionnement du produit. Ultime raison : le B100 exige quelques adaptations dans les systèmes de filtration de combustible et dans les plans de maintenance des véhicules, qu’il soit utilisé dans un camion ou un autocar B100 flexible ou B100 exclusif. Le nombre d’acteurs sur les marchés des carburants alternatifs croît régulièrement et les transporteurs ont désormais le choix. Le GNV connaît une lente croissance de ses points de ravitaillement, en particulier pour le GNC, avec en 2023 près de 330 stations aptes à accueillir les poids lourds. Sur ce chiffre, on compte une centaine d’unités distribuant du GNL. Notons à ce propos un petit souci de standardisation : il y a deux types de procédures suivant les marques de camions, les réservoirs des Volvo dual-fuel étant spécifiques.
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Autre point de vigilance à garder à l’esprit, cette fois-ci pour le GNC (gaz comprimé sous 200 bars) : lorsque vous en avez la possibilité, privilégiez à la commande de votre véhicule l’option ravitaillement NGV1 et NGV2. Notre expérience nous a enseigné que parfois, certains pistolets endommagés ou vandalisés en station imposaient de ravitailler sur l’autre embout. Une précaution qui évitera de vilaines angoisses. Phénomène intéressant à observer, la dynamique des stations GNV s’oriente clairement vers les véhicules industriels, tandis que celle des bornes de recharge électriques est, à ce stade, essentiellement tournée vers les véhicules légers. Si l’Avere-France (association nationale pour le développement de la mobilité électrique) recense triomphalement 118 000 points de recharge publics, un constructeur très impliqué dans les camions électriques révélait en décembre 2023 que seuls 7 points de recharge sur voie publique acceptaient les poids lourds.
Gaz et électricité, méthodologie à tous les étages Pour un raccordement privatif, que l’on parle d’hydrogène, de méthane (ou biométhane) ou d’électricité, il faudra tenir compte de différentes contraintes, les règlements d’urbanisme et les limitations réglementaires concernant les capacités de stockage d’hydrogène. Pour ce gaz, non encore reconnu comme carburant mais bien identifié comme gaz industriel, nous ne saurions trop vous conseiller de vous adresser à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) de votre circonscription administrative. En effet, le dihydrogène peut rapidement vous imposer, suivant les capacités stockées, un classement ICPE suivant les normes Seveso. Pour les véhicules gaz (méthane comme
dihydrogène), un point sensible va concerner les lieux fermés comme les ateliers. Mises aux normes Atex et trappes de toit à ouverture automatique avec détection de gaz vont s’imposer à vous. Pour l’électrique, une des difficultés sera la puissance de raccordement. Comme pour le GNV, tout dépend du mode de ravitaillement : s’il s’agit de mode lent, pas besoin de compresseurs surpuissants ni d’une grosse intensité en kVA. Pour le ravitaillement ou la recharge rapide, les budgets ne sont plus les mêmes. Mais il faut également prévoir le génie civil et électrique. Une des difficultés sera de synchroniser les prestations d’Enedis avec les fournisseurs de chargeurs et vos prestataires électriciens. Différents témoignages de transporteurs convergent sur un délai de 12 mois pour la réalisation d’un point de charge. Pour le raccordement au réseau public de gaz, il faut s’adresser à GRDF. Pour l’électricité, c’est Enedis qui sera l’interlocuteur principal. Dans les deux cas, un diagnostic des réseaux publics d’énergie à proximité de votre site devra être fait en amont. Une fois ce diagnostic posé, vous commencerez à avoir un aperçu du coût d’investissement. Pour les véhicules électriques, consultez l’Ademe de votre région pour connaître les aides auxquelles vous pouvez prétendre lors de la construction de points de charge. La conception des aires de stationnement est déterminante, en particulier pour les véhicules devant être raccordés pendant une longue période. L’aménagement des postes d’avitaillement ou de recharge conditionnera l’exploitation et occupera une place qu’il ne faut pas négliger. Le positionnement des prises sur les véhicules doit être bien gardé à l’esprit lors de la conception du site. Mais l’inverse sera vrai lorsque vous aurez une di-
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versité de véhicules électriques sur parc. Tout le monde ne met pas la prise CCS Combo 2 au même endroit, et il faudra tenir compte de la longueur différente des véhicules, du choix des constructeurs d’implanter la prise côté gauche ou côté droit. Là encore, il est prudent de réunir toutes les parties prenantes très en amont, y compris les potentiels fournisseurs de chargeurs car toutes les bornes n’ont pas la même emprise au sol. Dernière subtilité, de taille car elle a des conséquences considérables sur les investissements : la différence de traitement entre véhicules à batteries dédiés au transport de marchandises et véhicules dédiés au transport de voyageurs !
Sécurité des installations, du pacage et du remisage Pour les véhicules de transport de voyageurs à batteries, c’est l’arrêté du 3 août 2018, relatif aux prescriptions générales applicables aux ateliers de charge contenant au moins 10 véhicules de transport en commun de catégorie M2 ou M3 fonctionnant grâce à l’énergie électrique, qui détermine les conditions dans lesquelles ils doivent être remisés. Il implique de lourdes conséquences quant à l’aménagement des aires de remisage et de parcage, puisqu’à partir de ce seuil, le site appartient aux installations classées ICPE sous la rubrique n° 2925. Parmi les prescriptions, il faut une distance minimale de 15 mètres entre l’aire de charge et les limites du terrain. La distance est de 14 mètres vis-à-vis d’une installation de ravitaillement d’hydrogène, de 10 mètres pour les autres carburants, de 10 mètres pour un local de chaufferie ou pour le local abritant les pompes et les systèmes automatiques d’extinction d’incendie. L’espace de quarantaine des véhicules électriques accidentés doit être séparé par une cloison pare-feu répondant à la norme EI30 ou REI30 (s’il s’agit d’un mur porteur). Chaque véhicule électrique accidenté (même en choc carrosserie si les dommages ont pu toucher les circuits haute tension à câblage orange) ou suspect d’une anomalie électrique devra impérativement faire l’ob-
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jet de cette quarantaine jusqu’à un délai de 48 heures au-delà duquel le véhicule devra être retiré du site. Cet espace de remisage doit être séparé de l’aire de charge par une paroi de 4,5 m de haut minimum répondant à la norme incendie EI60. Une protection (toit, auvent) doit permettre d’éviter l’introduction d’eau dans les batteries endommagées. Cet espace doit être clairement identifié.
La distance est de 14 mètres vis-à-vis d’une installation de ravitaillement d’hydrogène, de 10 mètres pour les autres carburants, de 10 mètres pour un local de chaufferie.
L’accès au site doit pouvoir se faire par deux entrées différentes, à tout moment accessibles pour les services d’incendie et de secours. L’installation de charge doit, selon l’article 2.3.1 de l’arrêté, être à la fois équipée : – d’une protection électrique au niveau de chacune des aires de charge permettant de couper la charge électrique ; – d’une protection électrique de second niveau permettant de couper un groupe de points de charge. Ces protections sont déclenchées manuellement à partir de dispositifs de type « arrêt d’urgence » disposés au droit de l’atelier de charge et facilement accessibles. Un essai de leur bon fonctionnement est réalisé au moins une fois par an. Les résultats de ces tests sont conservés et tenus à la disposition de l’inspection des installations classées (Dreal). L’installation comporte également un système au sol ou à bord de véhicules qui permet d’empêcher la charge dès que le système de pilotage et de surveillance de la batterie détecte une anomalie telle qu’une surtension ou un échauffement. La démonstration de ce point peut s’appuyer sur l’homologation des véhicules. L’article 2.3.2 précise les exigences pour le poste de surveillance. L’installation comporte un poste de surveillance situé à proximité du point d’accès des secours. […] Le poste
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de surveillance est équipé pour recevoir le déclenchement des protections de second niveau visées à l’article 2.3.1, et de l’installation de détection et/ou d’extinction automatique d’incendie. Il dispose de : – un dispositif de coupure générale de type « arrêt d’urgence » de l’ensemble des alimentations électriques de l’installation ; – un moyen permettant d’alerter les services d’incendie et de secours. L’arrêté du 3 août 2018 dispose également que la recharge des véhicules se fait sous surveillance directe d’une personne nommément désignée par l’exploitant et ayant une connaissance de la conduite et des dangers de l’installation. En clair : tant qu’un véhicule électrique est en charge, il faut une personne sur le site. Ceci est une contrainte réelle pour l’exploitation ou les agences et dépôts laissés sans présence humaine entre les derniers retours et les premiers départs des services. Suivent des prescriptions quant aux dispositifs minimaux d’appareils incendie (avec des débits minimums de 60 m3/h sous une pression minimum de 1 bar durant 2 heures), de collecte et de rétention des eaux usées, d’alarme et de désenfumage (si locaux couverts ou fermés). On le voit à l’énoncé des précautions, l’investissement peut vite devenir colossal.
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Nouvelle norme Euro VII Le 21 décembre 2023, le Conseil de l’Union européenne a publié le texte de l’accord final relatif aux nouvelles normes d’émissions antipollution devant succéder à l’Euro VI. Les fondamentaux pour les véhicules légers ne changent pas. Seuls les véhicules industriels feront face à une sévérisation des seuils d’émissions.
G
rande nouveauté, Euro 7 fixe des mesures de performance de véhicules électriques quant à l’état de santé de leurs batteries, afin de rassurer les acheteurs de véhicules d’occasion. Autre surprise pour ces véhicules : ils vont être astreints eux aussi à des seuils limites d’émissions de particules fines issues des freins et des pneumatiques. Pour les freins, les seuils sont connus : c’est 3 mg/ km dans le cycle d’essais pour les électriques et 7 mg/km pour les véhicules hybrides et à moteurs thermiques. Le seuil est relevé à 11 mg/km dans le cycle d’homologation pour les utilitaires lourds à moteurs thermiques.
Extension des contrôles Autre innovation, la mesure des émissions de particules fines issues du roulement des pneumatiques. Si l’UNCE (forum mondial pour l’harmonisation des règlements automobiles sous l’égide de l’ONU à Genève) vient de valider début février 2024 une méthode de tests pour évaluer les pneumatiques actuellement mis sur le marché, on ne connaît pas les seuils d’émissions qui vont être retenus pour les normes Euro 7/Euro VII par l’Union européenne. Sur le document du Conseil, figurent donc des cases blanches sur ce chapitre. La surprise n’en sera que plus grande pour les équipementiers et constructeurs lorsque l’UE choisira ses seuils après la période d’évaluation. Pour les véhicules industriels, cette limite devra être publiée au plus tard le 1er avril 2030. Ces seuils constitueront un gros défi pour les véhicules à batteries, nettement plus lourds que leurs pendants thermiques. Afin d’éviter les fraudes au compteur kilométrique ou l’inhibition des
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systèmes antipollution, la norme Euro VII va sévériser les critères d’homologation pour les odomètres et les équipements antipollution, ou OBD (On-Board Diagnostics, systèmes de diagnostics embarqués). Elle va créer également un outil de suivi sous la forme d’un passeport antipollution attaché à chaque véhicule. Les seuils de durabilité des équipements antipollution sont aussi considérablement sévérisés pour les véhicules lourds assujettis à l’Euro VII : Les camions jusqu’à 16 t de PTAC doivent être en mesure de tenir les performances d’origine 300 000 km ou 8 ans. Les camions de plus de 16 t de PTAC doivent s’y astreindre sur 700 000 km ou 12 ans ! Bizarrerie, les véhicules de transport en commun ont les mêmes seuils, mais le PTAC pivot est fixé à 7,5 t. Autre nouveauté, la masse des émissions de polluants lors des phases de régénération des équipements de post-traitement (typiquement les filtres à particules) sera désormais prise en compte (en partant de la fréquence et de la durée des régénérations) .
Nouvelles méthodes de mesure Pour clarifier les mesures, l’Union européenne crée, fort pertinemment, un « budget » d’émissions pour les cycles équivalents à moins de 3 cycles WHTC, ainsi qu’un seuil pour les NOx en cas d’usage stationnaire. En lien avec Vecto, les impacts CO2 des semi-remorques et des remorques seront aussi calculés. Il est également prévu l’introduction d’un OBFCM (On-Board Fuel Consumption Meter, compteur de consommation de carburant embarqué) enregistrant les données réelles d’utilisation perti-
Note nentes pour la détermination de l’énergie consommée (applicable aussi bien pour les véhicules électriques que thermiques). Celles-ci devront être transmises via la prise OBD ou bien via radio à courte portée pour les contrôles routiers. Un dispositif venant en plus des calculs théoriques Vecto. Il est acté que les utilitaires lourds de catégorie d’homologation N2, d’un PTAC compris entre 3,5 t et 4 t, auront un classement dit véhicule Euro 7ext (comme « extended » en anglais), dérivé de la norme automobile Euro 7 (qui elle-même se scindera en plusieurs sous-classements). Si la norme euro 7 ne fixe pas de nouveaux seuils pour les véhicules légers, il n’en est pas de même pour les véhicules lourds. Pour les véhicules industriels (homologations M2, M3 et N2, N3), les seuils d’émissions sont également revus à la baisse. Cela concerne tout spécialement les oxydes d’azote (NOx) qui vont devront être divisés par 2 par rapport à Euro VI. Dans cette même logique, les seuils d’émissions de gaz tels que le protoxyde d’azote sont sévérisés (ils étaient déjà pris en compte depuis Euro VI-D, tout comme les émissions de CH4 issus des catalyseurs). Pour les particules fines, cela représenterait une réduction de l’ordre de 39 % par rapport aux dernières étapes Euro VI. Le défi sera complexe pour les moteurs diesels (la mise en action des catalyseurs et leur montée en température seront plus que jamais stratégiques pour l’atteinte des objectifs). L’alimentation en HVO exclusif pourrait favoriser la réussite des homologations Euro VII pour les motoristes, car ce carburant de synthèse est dépourvu d’aromatiques polycycliques générateurs de particules. Encore faut-il que l’on reconnaisse l’alimentation au HVO exclusif, ce qui est une autre histoire. Paradoxalement, plusieurs bureaux d’études et motoristes spécialistes du GNV estiment que le passage à l’Euro VII est réalisable sans surcoût excessif pour les moteurs à allumage commandé. Ils devraient se contenter de leur classique catalyseur 3 voies complété par un petit filtre à particules. Un sacré paradoxe par rapport à la situation commerciale présente.
Lire le texte de l’accord final relatif aux nouvelles normes d’émissions anti-pollution Euro VII : https://trm24.fr/wp-content/uploads/2024/02/st-169602023-rev-1-en.pdf
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Révision des poids et dimensions La Commission européenne a publié sa proposition de révision des poids et dimensions des véhicules industriels de l’UE dès le 11 juillet 2023. Il s’agit d’une révision importante dans la perspective du développement des véhicules électriques à batteries et à piles à combustible hydrogène. L’Association européenne des constructeurs automobiles (Acea) a publié son analyse du projet en janvier 2024.
E
n préambule, l’Acea rappelle que les « véhicules dit zéro émission seront adoptés par le marché, uniquement si les opérateurs de transport peuvent les utiliser aussi simplement et de façon au moins aussi rentable que les véhicules conventionnels ». Si la proposition de révision va dans le bon sens, l’association propose quelques ajustements et adaptations techniques.
Ambiguïtés et restrictions La directive poids et dimensions s’appliquerait à tous les véhicules en circulation. L’Acea, en l’état actuel du projet de la Commission, craint que des dérogations ne soient accordées aux véhicules conventionnels associés à une semi-remorque électrifiée (par exemple avec un eAxle). L’association rappelle que c’est uniquement si les véhicules moteurs zéro émission peuvent bénéficier de nouvelles règles de masses qu’il sera possible d’adapter les chaînes de tractions électriques à une grande variété d’applications sans pénaliser la charge utile (et donc leur compétitivité). Un projet très restrictif quant aux véhicules à énergies alternatives : on passerait de véhicules entièrement ou partiellement alimentés en énergies dites alternatives (au sens de la réglementation (EU) 2018/858) à des véhicules entièrement alimentés en énergies alternatives. Cela priverait du bénéfice des nouvelles règles, par exemple, les véhicules hybrides déjà en circulation. Bizarre, sachant que le même projet accorde 1 t de bénéfice de PTAC pour les véhicules à énergies alternatives autres que les véhicules zéro émission. Il y a là un risque de conflit d’interprétations. Pour lever toute ambiguïté et faciliter l’intégration sur le marché, l’Acea demande que cette nouvelle directive soit
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associée à une révision simultanée des dispositions relatives aux réceptions par type des véhicules. Compte tenu des délais de conception et d’homologation, elle recommande un délai de transposition de la directive ramené à un an et que les modifications nécessaires aux règles de réception par type (et aux dispositions nationales connexes) s’appliquent immédiatement pour une mise à jour au plus tard trois mois après l’entrée en vigueur de la directive révisée.
Le diable se niche dans les détails En entrant dans les détails techniques, l’Acea rappelle que les nouvelles masses plus élevées envisagées pour les véhicules ne deviendront concrètes que si les charges aux essieux sont révisées en proportion. Elle demande donc que la règle européenne passe pour les ponts moteurs à 12,5 t (au lieu de 11,5 t), tant pour les véhicules moteurs dédiés au transport de marchandises qu’au transport de personnes. « C’est un prérequis fondamental ». L’association rappelle l’enjeu d’une bonne répartition des masses afin de limiter l’usure des chaussées. Sans quoi, l’effet de l’accroissement de masse sera purement théorique, en particulier sur les tracteurs 4x2, mais également d’une manière générale sur l’ensemble des véhicules à 2 essieux (tant marchandises que voyageurs). Bizarrerie supplémentaire : la proposition de la Commission européenne envisage une limite de 11,5 t sur le pont moteur d’un tracteur solo électrique, mais accorderait 12,5 t à l’essieu de ce même tracteur s’il est associé à une semi-remorque. Aurait-elle inventé fortuitement le « pack batteries modulable et déposable » pour tracteurs routiers ? L’Acea
Note note qu’en l’état actuel de la proposition, cela reviendrait à accroître la charge sur les essieux directeurs (typiquement en généralisant 10 t à l’avant). Mais cela serait paradoxalement contre-productif pour la préservation des chaussées. L’association rappelle que l’accroissement de charge d’une tonne sur le pont moteur serait réparti sur 4 pneumatiques au lieu de 2, réduisant de fait la pression au sol. Encore plus technique, la révision de l’annexe 1 tableau 1 point 4.3, relative au poids maximal autorisé en fonction de l’empattement. L’Acea demande que le tableau soit adapté aux véhicules dits zéro émission à 4 et 5 essieux. Selon les critères actuels, le poids maximal autorisé ne doit pas dépasser cinq fois la distance entre les 2 essieux extrêmes : un 4 essieux de 32 t de PTAC exige actuellement un empattement minimum de 6,4 m(1). Une telle règle doit être corrigée avec un coefficient de 5,63 afin de préserver la compacité et la maniabilité des véhicules dits ZEV, puisque ceux-ci auraient un PTAC de 36 t (32 t+4 t de surcharge batterie). Sans quoi, on imposerait à ces camions à batteries des empattements démesurés pour les silhouettes à 4 et 5 essieux. Autre étrangeté, le texte de la Commission n’entend comme véhicule à 4 essieux que les véhicules à 2 essieux directeurs. Idem pour les 5 essieux ! L’Acea demande une définition moins restrictive des silhouettes, car la rédaction actuelle ferait disparaître du marché les 8x2/6. Les charges pour les tandems moteurs (typiquement 6x4 ou 8x4) limitées à 16 t ou 18 t dans le texte de la Commission pourraient être portées, dans la proposition de l’association, à 19 t avec une monte jumelée (pour les systèmes à suspensions pneumatiques et/ou pour le cas où chaque essieu ne dépasse pas 9,5 t de capacité), une charge au tandem portée à 20 t pour les véhicules zéro émission en monte jumelée et en suspension pneumatique, la charge par essieu du tandem ne dépassant pas les 10 t. (1) Selon cette règle du 5 t/m, 32 divisé par 5 donne 6,4. Dans le cas où le coefficient de 5 t/m ne serait pas révisé, un porteur de 36 t électrique imposerait un empattement de 7,2 m minimum. Cela faciliterait l’implantation des packs de batteries, mais constituerait une pénalité en termes de manœuvrabilité.
Du retour des EMS 25,25 m et des autobus articulés de 21 m L’accroissement des dimensions pour les véhicules dits zéro émission (90 cm en longueur) est jugé tout aussi fondamental. Évidemment, l’Acea comprend que cet allongement doit demeurer compatible avec les règles liées à la couronne de giration ou bien au champ de vision. Mais une simplification et une clarification des propositions sont demandées. Sont particulièrement concernés les autobus articulés 4 essieux et les véhicules 5 essieux. Les adaptations éventuelles des règles locales sont tout aussi nécessaires « pour garantir que les dispositions permettent non seulement l’exploitation transfrontalière des véhicules, mais aussi leur exploitation à l’intérieur de l’État et sur les territoires des États membres ». La proposition de révision étend et simplifie l’usage des ensembles routiers dits EMS (European Modular System) ; alias 25,25 m. L’Acea se félicite de cette proposition. L’association en appelle au Conseil des ministres et au Parlement européen pour mettre en priorité cette révision des poids et dimensions à l’ordre du jour, en raison du temps nécessaire pour transposer ces règles dans les différents droits des États membres de l’UE. Les autobus articulés requièrent également une clarification selon l’Acea, qui demande qu’une longueur de 18,75 m (comme prévu aujourd’hui dans les textes) soit réservée aux autobus articulés 3 essieux. Les articulés à 4 essieux devraient bénéficier d’une longueur supérieure, l’association suggérant 21 m de longueur hors-tout, sachant que de tels véhicules existent et sont d’ores et déjà conformes aux exigences de la couronne de giration. Pour les masses, l’Acea propose un texte infiniment plus clair et simple que celui de la Commission : les autobus articulés 3 essieux auraient un PTAC de 28 t, les autobus articulés 4 essieux auraient droit à 32 t, ces deux silhouettes bénéficiant d’une prime de 1 t pour les véhicules à énergies alternatives (autres que les zéro émission) et d’un bonus de 3 t pour les véhicules zéro émission.
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La prochaine édition 2025
La veille technologique
du véhicule industriel
sera présentée lors des Rencontres de la Filière 2024 organisées par la FFC
Le 10 octobre 2024 au Matmut Stadium de Lyon