> no 186 / FÉV.-MARS 2022 / GRATUIT
Journal cinéphile, défricheur et engagé, par
ADÈLE EXARCHOPOULOS « Je suis plus sincère dans mes choix de films qu’en interview »
ALICE DIOP « On dit “nous” sans savoir que cela exclut beaucoup de gens »
DÉBORAH LUKUMUENA L’actrice qui va surprendre le cinéma français
ÉDITO
Sommes-nous en train de devenir complètement idiots ? En ces temps pré-élection et pas encore post-Covid la question semble se poser, notamment au cinéma. Quentin Dupieux, visionnaire pape du non-sens, lançait le débat l’an dernier avec Mandibules et ses deux grands dadais décidés à dresser une mouche. Cet hiver, la comédie douce-amère Don’t Look Up d’Adam McKay empilait quant à elle les scènes d’anthologie dans le registre
ALAIN GUIRAUDIE On a visité Clermont et mangé une choucroute avec le cinéaste
du déni de masse et de la décérébration des chaînes d’info. En salles début mars, le nouveau film d’Alain Guiraudie, géniale satire sensible, montre un immeuble entier plongé dans la paranoïa et les idées reçues sur « les Arabes », « les putes » et, surtout, « les jeunes » (à capuche, c’est encore mieux). Et puis il y a ce film qui déboule, avec son titre vénère et son actrice aussi sublime que déglingue : Rien à foutre. Comme un slogan qui capterait l’époque. Adèle Exarchopoulos s’y engage tout entière, avec sa manière d’être à la fois très présente et un peu absente, au service d’un rôle de fille en jet-lag permanent, hôtesse
de l’air low cost qui picole, clope, baise, rêve vaguement d’une vie à Dubaï et, surtout, ne pense à rien. C’est en tout cas ce que nous fait croire la première partie du film. Car la tragédie qu’elle fuit en s’abandonnant à ce métier dur et aliénant, le duo de cinéastes (Julie Lecoustre et Emmanuel Marre) nous la dévoile dans une seconde partie à la noirceur lumineuse. Le cadre s’élargit, le cliché se teinte de nuances, la parole se déploie, et la fille perdue retrouve un peu le sens de sa vie. JULIETTE REITZER
MÓNIKA MÉCS IINFORG - M&M FILM, KOMPLIZEN FILM, PALOSANTO FILMS PYRAMIDE PRODUCTIONS présentent
LÉA SEYDOUX
GIJS NABER
LOUIS GARREL
» NOTRE PALME D’OR » LE FIGARO
L’HISTOIRE DE MA FEMME un film de
ILDIKÓ ENYEDI
Adapté du roman éponyme THE STORY OF MY WIFE: REMINISCENCES OF CAPTAIN STÖRR de MILÁN FÜST avec SERGIO RUBINI, JASMINE TRINCA, LUNA WEDLER, JOSEF HADER et ULRICH MATTHES et UDO SAMEL une production INFORG-M&M FILM PRODUCTION avec le soutien du NATIONAL FILM INSTITUTE - HUNGARY, MINISTERO PER I BENI E LE ATTIVITÀ CULTURALI E PER IL TURISMO, EURIMAGES, DFFF, FILMFÖRDERUNG HAMBURG SCHLESWIG-HOLSTEIN, FILMFÖRDERUNGSANSTALT, MEDIENBOARD BERLIN-BRANDENBURG, MALTA FILM COMMISSION AND THE GOVERNMENT OF MALTA, CREATIVE EUROPE MEDIA, RTL KLUB, DORJE FILM en co-production avec RAI CINEMA, WDR/ARTE, ARTE FRANCE CINEMA avec la participation de ARTE FRANCE une coproduction KOMPLIZEN FILM, PALOSANTO FILMS en association avec PYRAMIDE PRODUCTIONS image MARCELL RÉV montage KÁROLY SZALAI H.S.E. décors IMOLA LÁNG costumes ANDREA FLESCH musique originale ÁDÁM BALÁZS superviseur BÉLA KLINGL production exécutive ERIKA TARR coproducteurs ERNO MESTERHÁZY, JONAS DORNBACH, JANINE JACKOWSKI, FLAMINIO ZADRA, PILAR SAAVEDRA PERROTTA, STÉPHANE PARTHENAY, ROBIN BOESPFLUG-VONIER, ANDRÁS MUHI produit par MÓNIKA MÉCS écrit et réalisé par ILDIKÓ ENYEDI ventes internationales FILMS BOUTIQUE distribution PYRAMIDE
COPYRIGHT: © 2021 Inforg-M&M Film – Komplizen Film – Palosanto Films – Pyramide Productions - RAI Cinema - ARTE France Cinéma – WDR/Arte- Csata Hanna
AU CINÉMA LE 16 MARS
EN BREF
Sommaire
P. 4 P. 8 P. 12
L’ENTRETIEN DU MOIS – LES PINÇON-CHARLOT FLASH-BACK – MARS ATTACKS! DE TIM BURTON HOMMAGE À GASPARD ULLIEL
CINÉMA P. 16 P. 28 P. 40
PARADISCOPE
EN COUVERTURE – ADÈLE EXARCHOPOULOS ENTRETIEN – ALAIN GUIRAUDIE POUR VIENS JE T’EMMÈNE CINEMASCOPE – LES SORTIES DU 2 FÉVRIER AU 16 MARS
LE GUIDE DES SORTIES PLATEFORMES P. 83 SÉRIE – YELLOWJACKETS P. 84 SÉRIE – THE GILDED AGE P. 85 MK2 CURIOSITY – LE BEL INDIFFÉRENT DE JACQUES DEMY
MK2 INSTITUT ENTRETIEN – CLAIRE MARIN TROIS QUESTIONS À JULIA CAGÉ AGENDA DES ÉVÉNEMENTS DANS LES SALLES MK2
CULTURE P. 90 P. 91 P. 92
RHAT
Après le départ de notre graphiste historique Jérémie (so long, our friend) pour de nouvelles aventures illustrées, Ines reprend fièrement le flambeau. Jeune diplômée en direction artistique de la prestigieuse école parisienne Penninghen, elle relève pour la première fois le défi d’un bouclage en solo. Si vous tenez le magazine entre les mains et qu’il est cohérent et lisible, c’est qu’elle a passé le crash test.
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© 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006 Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par mk2 + est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur — Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.
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Il est notre journaliste jeux vidéo depuis douze ans. Ce Lorrain, passé par Chronic’art, Joystick et PC Gamer, a maintenant ses quartiers au mensuel JV et au podcast ZQSD. Auteur de HalfLife. Le FPS libéré (2016, Third Éditions), celui qui est aussi un cinéphile passionné signe ce mois-ci pour nous un décryptage sur une constante de quelques excellents titres parus en 2021 sur consoles et PC : la boucle temporelle. Car il est notre journaliste jeux vidéo depuis douze ans.
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Photographie de couverture : Julien Liénard pour TROISCOULEURS Imprimé en France par SIB imprimerie — 47, bd de la Liane — 62200 Boulogne-sur-Mer TROISCOULEURS est distribué dans le réseau contact@lecrieurparis.com
JEUX VIDÉO ET BOUCLES TEMPORELLES EXPO – CHARLES RAY CONCERT – ALDOUS HARDING
ILS ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO
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directeur de la publication : elisha.karmitz@mk2.com | rédactrice en chef : juliette.reitzer@mk2.com | rédactrice en chef adjointe : time.zoppe@mk2.com | rédacteurs : quentin.grosset@mk2.com, josephine.leroy@mk2.com | directrice artistique : Anna Parraguette | graphiste : Ines Ferhat | secrétaire de rédaction : Vincent Tarrière | renfort correction : Claire Breton | stagiaires : Lucie Léger, Elie Nebot | ont collaboré à ce numéro : Léa André-Sarreau, Margaux Baralon, Julien Bécourt, Louis Blanchot, Nora Bouazzouni, Marilou Duponchel, Julien Dupuy, David Ezan, Marie Fantozzi, Yann François, Adrien Genoudet, Corentin Lê, Damien Leblanc, Olivier Marlas, Belinda Mathieu, Aline Mayard, Stéphane Méjanès, Thomas Messias, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Raphaëlle Pireyre, Perrine Quennesson, Bernard Quiriny, Cécile Rosevaigue, Etaïnn Zwer & Célestin et Anna | photographes : Julien Liénard, Paloma Pineda | illustratrices : Sun Bai, Émilie Gleason | rédactrice mk2 Institut : Joséphine Dumoulin | publicité | directrice commerciale : stephanie.laroque@mk2.com | cheffe de publicité cinéma et marques : manon.lefeuvre@ mk2.com | responsable culture, médias et partenariats : alison.pouzergues@mk2.com | cheffe de projet culture et médias : claire.defrance@mk2.com
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TROISCOULEURS éditeur MK2 + — 55, rue Traversière, Paris XIIe tél. 01 44 67 30 00 — gratuit
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P. 86 P. 87 P. 88
Ça va faire trois ans que Léa a rejoint la rédac, mais on commence à peine à découvrir toutes ses facettes – sa passion secrète pour la cuisine entre autres. Après un master de cinéma à la Sorbonne Nouvelle et un stage aux Inrocks, la Nancéienne a commencé à officier discrètement mais sûrement sur notre site, y insufflant son grand amour pour les séries et Chantal Akerman. Elle signe dans nos pages ce mois-ci le passionnant et très poéticosocio « Mots croisés » avec Alice Diop. Titulaire de deux bacs (on ne savait pas que c’était possible) et d’un master, Olivier a débarqué de son Sud natal en 2016 pour faire un stage chez nous. Ce grand jeune homme à l’œil vif et rond nous a impressionné par la précision de sa plume et les circonvolutions pas banales de sa pensée. Depuis, il continue les doublés : il pige à la fois pour TROISCOULEURS (ce mois-ci avec les belles critiques de The Innocents et des Poings desserrés) et pour le site de jeux vidéo Gamekult.
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Cinéma -----> « À demain mon amour »
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LES Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, couple de sociologues français qui ont fait de l’étude de la haute bourgeoisie leur cheval de bataille, sont au cœur du beau documentaire À demain mon amour de Basile CarréAgostini (en salles le 9 mars). Ils ont accepté de nous recevoir chez eux, dans leur fief de Bourg-la-Reine, en banlieue parisienne. Monique, qui s’exprime en leur nom, est revenue avec plaisir sur leur vie trépidante et engagée, amoureusement partagée depuis plus de cinquante ans.
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D’où vient votre engagement ? Pour Michel, c’est le fait qu’il est né dans une famille ouvrière modeste des Ardennes, où il a vécu dans des conditions difficiles, avec très peu d’espace et d’autonomie personnelle. Il s’est évadé dans des désirs d’une autre vie, il voulait combattre l’injustice de classe dont ses parents étaient victimes. Moi, je suis née dans une famille plutôt aisée de la bourgeoisie de province. C’était l’époque du patriarcat, mon père était extrêmement autoritaire, voire violent. On n’avait pas le droit de parler à table. Il racontait sa vie de procureur de la République en Lozère, comment il avait obtenu telle promotion pour avoir la Légion d’honneur, ses relations avec le président du tribunal ou le directeur de l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole… Comme on ne pouvait qu’écouter, j’ai tout emmagasiné. Et puis j’ai dû me dire : « Peut-être qu’un jour j’en ferai quelque chose de positif. » On a tous les deux fait de nécessité vertu. Dans le documentaire, vous vous montrez avec Michel de manière intime. On vous voit chez vous, lire les journaux dans votre bureau, vous coucher en regardant les informations… Qu’est-ce qui vous a poussés à vous livrer autant ? Ça s’est installé peu à peu dans la relation avec Basile [Carré-Agostini, le réalisateur, ndlr], que nous ne connaissions pas et qui a su prendre le temps de détailler notre triple engagement : amoureux, sociologique et politique. Il souhaitait montrer notre lutte dans la joie et le recommencement permanent. On ne lâche jamais et on continue toujours parce que, précisément,
nous vivons tout cela de manière heureuse et amoureuse. La maison est devenue le troisième personnage du film, parce que nous l’aimons beaucoup, nous y passons beaucoup de temps, nous avons écrit nos vingt-sept livres à quatre mains ici. On y habite depuis 1986, l’année où nous avons décidé, grâce à notre statut de chercheur au CNRS, de travailler sur les dynasties familiales les plus fortunées de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie. Dans votre autobiographie, Notre vie chez les riches. Mémoires d’un couple de sociologues (Zones, 2021), vous expliquez votre bonheur de travailler de manière fusionnelle depuis votre rencontre. Michel était un transfuge de classe incroyable, mais il n’avait aucune capacité d’organisation. Il était lunaire, contemplatif, il révisait ses trucs la veille – bon, je reconnais qu’il avait une bonne note le lendemain –, mais il avait une écriture littéraire extraordinaire. Nos livres ont tout de suite plu aux membres de la bourgeoisie quand on leur a offert après la première enquête sur eux [Dans les beaux quartiers, Seuil, 1989, ndlr]. Cela, c’est vraiment grâce à Michel. Mais au niveau de l’organisation, de la force de travail, j’étais le fer de lance. Il y a eu une complémentarité. C’était impensable de faire seul. Michel m’a fait embaucher le même jour que lui dans le laboratoire de recherche où on a passé nos trente-sept ans de carrière. Vous avez connu votre premier succès populaire avec votre livre Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la
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France de Nicolas Sarkozy (Zones, 2010). Comment ça s’est produit ? S’il y a quelque chose qui n’a pas été calculé, c’est bien ça ! On travaillait en parallèle sur les grands gagnants du loto [Les Millionnaires de la chance. Rêve et réalité, Payot, 2010, ndlr]. Pour nous, c’était cet ouvrage qui devait être le best-seller ! Nous avons eu la chance que la Française des jeux nous mette en contact avec des millionnaires – en respectant des clauses de confidentialité, bien sûr [ils ont été invités à accompagner les gagnants de plus d’un million d’euros dans le service qui aide ceux-ci à faire face à leur fortune nouvelle, ndlr]. Ces grands gagnants, souvent d’origine modeste, sont en effet fréquemment présentés comme incapables de faire face à cette soudaine richesse ! Ce service « grands gagnants » leur apprend par exemple l’affrontement collectif de la violence symbolique dans les lieux fréquentés par les riches. Alors qu’on ne misait pas un kopeck sur Le Président des riches, on se disait que cette accumulation de cadeaux aux plus riches serait rasoir. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé ! Une merveilleuse surprise, qui nous a fait comprendre à quel point il était important de travailler sur la classe sociale dominante. Au milieu des années 2010, vous avez réactualisé l’idée de Pierre Bourdieu selon laquelle « la sociologie est un sport de combat ». Cette formule, on ne l’aurait jamais trouvée nous-mêmes, mais elle nous allait comme un gant, si je puis dire. N’ayant pas
« À demain mon amour » <----- Cinéma
L’ENTRETIEN DU MOIS
-CHARLOT les moyens intellectuels d’une sociologie académique, nous avons plutôt mis en œuvre la maxime de Sénèque : « La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie. » Nous avons toujours été dans la rencontre physique avec nos sujets de recherche : à vélo à Dijon auprès de familles populaires, avec les ouvriers des Ardennes pour Michel, avec des hauts fonctionnaires pour moi… Les livres nous ont toujours accompagnés, mais ce qui nous motive le plus, c’est l’exercice physique, la promenade sociologique, le plaisir d’être ensemble, de marcher, d’observer, de noter. Ce qui n’invalide pas d’autres postures scientifiques, mais vulgariser et populariser le système théori que de Pierre Bourdieu et sa pensée, qui est quand même complexe, c’était
« gilets jaunes », c’est cela. En 2018, nous n’imaginions pas que ce mouvement allait émerger. Le premier samedi de manifestation [le 17 novembre 2018, ndlr], nous étions à Manosque pour donner une conférence. Au début du documentaire, on nous voit pendant la manif du deuxième samedi sur les Champs-Élysées. Les « gilets jaunes » sont tout de suite allés au plus près de l’Élysée, dans les beaux quartiers. Là, nous avons pensé qu’il y avait quelque chose d’insurrectionnel, de révolutionnaire qui était en train de se passer. Depuis quelques années, vous alertez sur le fait que les riches seront les plus protégés des effets du dérèglement climatique, et les pauvres, les plus touchés. Que faudrait-il faire pour enrayer ce processus ?
« Ce qui nous motive le plus, c’est la promenade sociologique, le plaisir d’être ensemble. » notre rêve. J’en parle avec d’autant plus d’émotion que cela fait vingt ans qu’il est mort, le 23 janvier 2002. Nous n’aurions pas existé sans la rencontre avec lui. Ni en tant qu’individus épanouis, ni en tant que couple uni, ni en tant que sociologues heureux. Il nous a donné des lunettes pour voir et comprendre le monde. C’était comme ça qu’on le voyait, mais nous n’étions pas capables de l’objectiver, de le formaliser. Le film s’ouvre sur une promenade sociologique avec une classe de Roubaix dans le VIIIe arrondissement de Paris : vous leur montrez que leur apparence, leur posture sont différentes de celles des riches, ce qui est une distinction opérée pour les dominer. Vous les incitez à braver leur timidité et à infiltrer ces espaces. La révolution commence comme ça ? Oui, à partir du moment où on fait des manifestations de Bastille à Nation, qu’on ne va pas dans leurs quartiers, ça ne dérange pas les riches. Le coup de force des
D’abord, il faut bien informer. C’est cela qui est le plus important. Aujourd’hui, on est dans une situation de pensée unique puisque les ondes vont toutes dans le même sens, qu’elles soient publiques ou aux mains des dix milliardaires qui contrôlent 90 % des médias en France. Donc, déjà, pouvoir donner l’information exacte de ce qui est en train de se passer avec le chaos climatique, pour que les gens comprennent la gravité de ce qui nous attend. Le problème, c’est qu’il ne faut pas le faire d’une façon catastrophiste. Les bonnes informations doivent être accompagnées de la joie dans le combat, car sinon on sidère, on tétanise, et on rend impuissant. C’est très subtil d’arriver à bien informer sur ce sujet. Quels genres de films aimez-vous ? On a tous les deux été marqués dans l’enfance par Charlie Chaplin. Moi d’autant plus qu’il s’appelait Charlot et que c’était un patronyme familial auquel j’avais du mal à m’identifier, à cause de mon père.
Du coup, je me suis dit : « Moi, je serai ce Charlot-là ! » Il était tellement intéressant puisqu’il s’en prenait aux riches. C’était aussi une époque où les prêtres venaient quelquefois chez les habitants ou dans les écoles projeter des films. C’est comme ça que Michel a vu les Chaplin, et cela a été très important. Plus tard, ensemble, on a vu tous les Ken Loach. On l’aime beaucoup parce qu’il traite de la lutte de classes du côté des ouvriers, son os à ronger. Nous, on ronge l’autre côté de l’os. Il y a eu aussi Match Point de Woody Allen, on a beaucoup aimé l’idée de la balle de tennis qui peut tomber d’un côté ou de l’autre du filet, c’est une belle métaphore de l’arbitraire des rapports de classe. Et puis bien sûr Claude Chabrol, avec qui nous avions fait une interview croisée en 2003, orchestrée par Les Inrocks. Comment imaginez-vous la transmission de votre travail aux nouvelles générations ? C’est très difficile de se projeter. On a une visibilité et une notoriété réelles, mais il y a vraiment une impossibilité académique de poursuivre le travail comme on l’a fait. On peut travailler sur les puissants de façon fragmentée, champ par champ. Mais ce qui fait « boum », c’est quand même la transversalité, l’analyse de la classe oligarchique dans son intégralité, à l’échelle nationale et internationale. Il faudrait créer une espèce d’intellectuel collectif – c’était l’idée de Bourdieu. Pour l’instant, cette pensée relationnelle est impossible. Ce qui prime, c’est la pensée substantialiste, morceau par morceau. On ne met pas assez les éléments de la domination en relation les uns avec les autres. À demain mon amour de Basile Carré-Agostini, (Jour2fête, 1 h 32), sortie le 9 mars • Le Président des ultra-riches. Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Zones, 176 p., 14 €) PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ
Photographie : Paloma Pineda pour TROISCOULEURS
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Mater un porno, quel mal à ça ? Aucun, sauf lorsque le plaisir occasionnel se transforme en addiction. Comme dans Don Jon de et avec Joseph Gordon-Levitt, où un accro à YouPorn amoureux est incapable de détacher sa sexualité des fantasmes fallacieux véhiculés par une certaine industrie du X. Ou comment passer d’une bluette salace à une réflexion sur l’aliénation et la misogynie du porno dans un même mouvement.
L’ÂGE DE RAISON © Silex Films – Germaine Films 2021
L’avis de … lphine L a l i e zo u t D m r A a nd et Éloi , Actrice et acteur, et membres de la commission AAFA-tunnel de la comédienne de 50 ans.
Vit-on un boom des « seniors movies » en ce moment ? Delphine Lalizout : Ces films sont les arbres qui cachent la forêt. J’ai l’impression que dès qu’un film existe on le remarque, peut-être parce qu’avant il n’y avait rien. Il y a une réelle sous-représentation des seniors dans les fictions. Des femmes, surtout – un couperet tombe à 50 ans pour elles. Sur l’ensemble des films français de 2020, seuls 9 % des rôles sont attribués à des actrices de plus de 50 ans, alors qu’elles représentent un quart de la population française ! Il n’y a eu qu’un film avec un rôle principal féminin et âgé récemment : Rose d’Aurélie Saada (sorti le 8 décembre), avec Françoise Fabian. Armand Éloi : Cette absence fait croire à nos filles qu’elles vont disparaître de la vie sociale à 45-50 ans.
PERRINE QUENNESSON
(2021)
Avant qu’ils ne soient à portée de clic, les films X s’étalaient avant tout sur les grands écrans des cinémas pornos. Jacques Nolot rend un hommage quasi autobiographique à ces lieux interlopes qui n’existent plus, ainsi qu’à la faune qui les animait. Une élégie à ce palliatif imparfait pour âmes aussi meurtries qu’esseulées.
Les films qui mettent en scène des seniors sont à l’honneur ces derniers mois : The Duke, À demain mon amour, Rose, Maison de retraite… Signe d’un changement de paradigme ?
Rose d’Aurélie Saada (2021)
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en Su la u Th octo e d str e g y b bre d d ernier, Pleasure d e bi ele e rg u rs mme la lib t s tion s, de ra co n te o c r a le p n fe se e un exue e de Bella Ch une me d dé e j e e n r u r y , ive lle d s le rs , le evenir pornstar. Au fanta striel film tox u d n i o iqu e et ppose une réalité cruel. T out est chaos.
ZACK & MIRI FONT UN PORNO (2008)
DON JON (2013) (2013) DON JON DON JON (2013)
LA CHATTE À DEUX TÊTES (2002)
PL
c t édo e i 20 u r, se à er a nc té ns ha de nté s e
H t ho or ustl rs er s m éd oci an, ur été ièr e,
1997 !
Dans Red Rocket, en salles le 2 février, Simon Rex incarne un acteur porno fauché qui quitte Los Angeles pour retourner vivre dans son Texas natal… Sous ses airs de ne pas y toucher, le film de Sean Baker rappelle que le cinéma « grand public » s’est régulièrement encanaillé en allant titiller, de près ou de loin, le monde du X. Entre fascination et répulsion, le septième art jauge son scabreux cousin.
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EN BREF
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En bref
Quand le sexe froid et mécanique met à nu des corps et des cœurs qui ne cherchaient qu’à se découvrir, on obtient une comédie romantique décalée de Kevin Smith, avec Seth Rogen et Elizabeth Banks. Ils y incarnent des colocataires en galère de loyer qui décident de tourner un film olé olé pour récolter un peu de blé. Mais, à défaut d’argent et de Hot d’or, c’est l’amour qu’ils trouvent.
D. L. : Il y a aussi un désir des plus de 50 ans de s’identifier. Quand il y a des couples à l’écran, la différence d’âge n’est pas représentative de ce qu’elle est dans la réalité, par exemple.
vont finalement à une femme, celle-ci va généralement à une actrice plus jeune que le personnage initial. Mais je pense que ça va changer, les gens de mon âge sont de plus en plus actifs.
Comment l’expliquer ? D. L. : Le patriarcat ! Les hommes sont aux manettes et ils mettent à l’écran des femmes qui leur plaisent. Or ils considèrent qu’à partir d’un certain âge les femmes ne sont plus désirables, car plus en âge de procréer. A. É. : Il n’y a pas de rôles pour ces femmes. Très souvent, par exemple, les rôles de fonction (les maires, les médecins, les
Vous voyez un changement dans les représentations ? D. L. : Ça fait très longtemps qu’il y a des hommes de plus de 50 ans à l’écran, mais ils ne sont pas forcément considérés comme tels. Ce qui est nouveau, c’est que leur âge soit un sujet, comme dans Rose. C’est une bonne chose. Mais attention, il ne faut pas les cantonner à des maisons de retraite, plutôt montrer toute la diversité de leur vécu. A. É. : Il y a des films dont les personnages principaux sont des seniors. C’est important, parce que cela permet à des personnages complexes, bien écrits, creusés, d’être portés à l’écran. Mais cela reste encore marginal. L’écrasante majorité des rôles sont secondaires et sont souvent, particulièrement pour les femmes, dans les clichés ou la simplification extrême.
« Un couperet tombe à 50 ans pour les femmes. » dentistes, etc.) sont écrits par défaut pour des hommes. Une des revendications de notre commission, c’est que les scénaristes et directeurs de casting écrivent « un » ou « une » quand le sexe n’est pas complètement lié à la nature du rôle. Malheureusement, quand ces personnages de fonction
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PROPOS RECUEILLIS PAR ALINE MAYARD
En bref LES FILMS DE PIERRE PRÉSENTE
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À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs).
Qu’il siffle une pinte ou qu’il trime, il a toujours sur lui son exemplaire de ce monument de la philosophie politique. Il pourra accueillir dans sa besace Tout sur Pasolini, anthologie qui réunit des analyses, une bio, une encyclopédie pour comprendre le cinéaste, poète, scénariste et journaliste italien Pier Paolo Pasolini (Le Décaméron, 1971 ; Salò ou les 120 Journées de Sodome, 1976), assassiné en 1975. Ses pamphlets anti-bourgeois laisseront votre cousin coi. Tout sur Pasolini, sous la direction de Jean Gili, Roberto Chiesi, Silvana Cirillo et Piero Spila (Gremese, 480 p., 39 €)
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Vous la surprenez souvent en pleine introspection et vous vous demandez bien à quoi elle peut penser. Offrez-lui le docu Satoshi Kon. L’illusionniste (2021), signé par le cinéaste, enseignant et spécialiste du cinéma japonais Pascal-Alex Vincent, qui revient sur la carrière éclair et les parts d’ombre du génie japonais (Perfect Blue, 1999 ; Paprika, 2006) auteur d’une œuvre éthérée et disparu en 2010, et fait intervenir de fins connaisseurs (Mamoru Hosoda, Darren Aronofsky…).
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« Rétrospective Friedrich Wilhelm Murnau », du 9 au 26 février à la Cinémathèque française
un film de Laurent Cantet avec Rabah Naït Oufella, Antoine Reinartz, Sofian Khammes
Photo : Céline Nieszawer • Création : Kévin Rau / TROÏKA
En complet décalage, il ne donne signe de vie que pendant la nuit, et son visage anguleux, ses cheveux d’un noir intense accréditent votre théorie. Testez la pertinence de cette hypothèse en l’invitant à découvrir un après-midi la rétro que la Cinémathèque consacre à Friedrich Wilhelm Murnau, figure de l’expressionnisme allemand qui, avec son Nosferatu le vampire (1922), a fait frissonner des générations de cinéphiles. S’il refuse, on vous conseille de bien couvrir votre cou.
© Diaphana distribution pour MK2
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Satoshi Kon. L’illusionniste de Pascal-Alex Vincent (Blu-ray et DVD, Carlotta, 20 €)
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JOSÉPHINE LEROY
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SEXE, MENSONGES DE S. SODERBERGH (1989) ET VIDÉO
Sortie il y a vingt-cinq ans, la fantaisie extraterrestre de Tim Burton n’a pas pris une ride, grâce à son regard satirique sur l’espèce humaine et sa vision décapante des mondes inconnus. En février 1997, quelques mois après le triomphe mondial d’Independence Day, les salles françaises virent débarquer un autre récit d’invasion extraterrestre, Mars Attacks! de Tim Burton. Une œuvre que l’Hexagone accueillit à bras ouverts (plus de 2 millions d’entrées). Car ce film, où des Martiens arrivent sur Terre avec un message de paix avant d’attaquer la population, affichait un casting prestigieux (Jack Nicholson en président des ÉtatsUnis, Glenn Close en première dame, Pierce Brosnan en conseiller scientifique) et une brillante tonalité satirique. Jacques Arnould, historien des sciences et expert éthique au CNES (Centre national d’études spatiales), approuve : « Ce qu’on appelle aujourd’hui “les petits hommes verts” interroge la culture humaine depuis des millénaires. Et Burton honora
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parfaitement ces questions : la possible existence d’autres êtres dans l’univers, les relations à envisager avec l’altérité, les images qu’on projette sur l’inconnu. Le rire démoniaque des Martiens est ainsi un rire contre nous-mêmes, et la satire du genre humain est géniale. » Mars Attacks!, qui s’inspire d’un jeu de cartes à collectionner des années 1960, proposait une esthétique cartoon très adaptée : « La question extraterrestre nous permet toujours de dépasser nos propres frontières, d’où le côté excessif du film. L’accueil des Martiens se fait dans un débordement de forces militaires pour dénoncer le fait que, derrière sa prétendue bienveillance, l’Amérique débarque avec ses tanks et ses Jeep. » Mais la conclusion faisait place à la lumière. « Les personnages qui s’en tirent sont une gentille grand-mère, son petit-fils lunaire, un ancien catcheur désabusé… Ce sont les gens communs, qui n’ont ni la puissance ni le savoir, mais du courage. » Et Burton de finir son film dans la joie avec le chanteur Tom Jones fredonnant « It’s Not Unusual » sur une île paradisiaque remplie d’animaux.
Règle de trois
MATTHIEU LONGATTE
DAMIEN LEBLANC ILLUSTRATION : SUN BAI
Créateur en 2014 de la chaîne YouTube Bonjour tristesse, dans laquelle il poussait de savoureux coups de gueule politiques, Matthieu Longatte passe l’actu française au crible dans un seul-en-scène énervé et sort la saison 2 de sa série Narvalo, qui met en scène les galères réelles vécues par ses potes. Questionnaire cinéphile. no 186 – février-mars 2022
vin rouge qu’elle se garde de toucher lors de sa rencontre avec Graham. Un autre de vin blanc qu’elle masturbe nerveusement lors de leur premier tête-àtête. Puis c’est le thé glacé qu’il lui offre le jour où elle découvre sa collection de vidéos. « Sur quoi portent les interviews ? » demande-t-elle. « Elles portent sur le sexe », avoue-t-il. « Ce que les
« Sur quoi portent les interviews ? » femmes font. Ce qu’elles veulent faire mais n’osent pas demander. Ce qu’elles ne feraient pas même si on leur demandait. » Le malaise d’Ann, dont le fantasme immaculé se brise et la certitude mélancolique de Graham de ne pouvoir faire marche arrière s’entrechoquent dans le grand verre. La main faiblit, les glaçons tintent, la chute de l’objet est évitée de justesse. Si le sexe n’est que mensonges et projections, pourquoi ces deux-là se comprendraient mieux que les autres ? Pour Soderbergh, semblet-il, la coupe du désir est toujours trop vide ou trop pleine.
de Steven Soderbergh (L’Atelier d’Images, 1 h 40), ressortie le 15 février en DVD et Blu-ray
MARS ATTACKS!
© Alex Pixelle/CANAL+
Flash-back
Deux femmes, deux hommes, beaucoup d’objets symboliques pour sonder les dérèglements du désir. Et une Palme d’or à Cannes pour Steven Soderbergh à juste 26 ans. Sexe, mensonges et vidéo : le programme du premier long métrage de Steven Soderbergh tiendrait dans son titre. Les mensonges d’Ann (Andie MacDowell), qui se refuse à son mari, John (Peter Gallagher), ceux de John, qui la trompe avec sa sœur, Cynthia (Laura San Giacomo). Les vidéos de Graham (James Spader), vieil ami de John, dont l’impuissance avouée trouble Ann (et Cynthia), et qui compense en interrogeant les femmes sur leur sexualité. Mais le sexe en tant qu’acte, voilà le grand absent du film, sciemment avalé par les ellipses, plaqué dans le hors-champ. Une manière pour Soderbergh, qui n’a jamais caché la portée intime du film, de se placer du côté d’Ann et de Graham, accordant sa mise en scène à leur libido cérébrale et contrariée. Lorsque la chair n’est plus consommable, l’inconscient s’accroche aux objets. Pour Ann, ce sont les verres, ustensiles ménagers phalliques et froids. Un verre de
MICHAËL PATIN
Scène culte
VIENS JE T’EMMÈNE D’ALAIN GUIRAUDIE (SORTIE LE 2 MARS) : UN TRENTENAIRE PRATIQUANT LE JOGGING TOMBE AMOUREUX D’UNE PROSTITUÉE QUAND UN ATTENTAT ÉCLATE, PERTURBANT LEURS VIES
Émopitch
En bref
Peux-tu citer 3 films qui ont nourri ton militantisme ? Fight Club pour son côté anti-société de consommation et pour l’idée d’apprendre à se connaître soi-même, notamment via un parcours sacrificiel, pour mieux appréhender le monde. The Kid est certainement le premier film à m’avoir fait comprendre qu’enfreindre la loi peut parfois aider à être quelqu’un de plus juste et de plus noble. Il raconte aussi l’engagement du cœur, par amour, qui est une forme de militantisme intime. Et American History X, qui m’a traumatisé sur le racisme.
Les 3 films qui racontent le mieux la jeunesse, selon toi. Heis (Chroniques), un long métrage d’Anaïs Volpé, qui raconte à merveille certaines problématiques de notre jeunesse actuelle. C’est un chef-d’œuvre de film guérilla que je conseille à tous. La Haine raconte très bien, je trouve, la jeunesse banlieusarde, le quartier, les potes, l’ennui, le quartier… Et Paris, aussi attirant qu’excluant. Into the Wild, qui raconte l’abysse que représente la construction de son identité ; et même si cette quête de sens peut s’opérer toute la vie, je l’associe beaucoup à la vingtaine.
En bref
OSCARS 2022 SÉLECTION
MEILLEUR FILM ÉTRANGER
EUROPEAN FILM AWARDS
MEILLEURE PHOTOGRAPHIE MEILLEURE MUSIQUE
FRANZ GEORG ROGOWSKI FRIEDRICH
ANTON THOMAS LUCKE PRENN
VON
“UNE ODE À LA LIBERTÉ D’AIMER” PARIS MATCH
NOMINATION
MEILLEUR ACTEUR
“QUAND LES SENTIMENTS INTERDITS FONT UN IMMENSE FILM DE CINÉMA” JOURNALDESFEMMES
“UNE BELLE
ODYSSÉE ROMANTIQUE”
MEILLEUR FILM SARAJEVO 2021
ECRANNOIR.FR
“UN PLAIDOYER POUR LA TOLÉRANCE ET LA DIFFÉRENCE”
SÉLECTION
TOUTELACULTURE.COM
“UN FILM JUSTE, SENSIBLE, IMPITOYABLE” L‘HISTOIRE
“UNE POÉSIE
Les 3 galères vues au cinéma qui t’ont le plus fait marrer.
CINÉMATEASER
“INTENSE”
HHH
Les Trois Frères, pour moi, c’est une référence absolue de galères qui font rire ; Les Inconnus sont des icônes de rigolade de ma jeunesse. Le Dîner de cons est incroyable aussi, tenir aussi longtemps et de manière aussi efficace une narration alors qu’elle repose juste sur une galère aussi simple qu’un con qui débarque chez soi, c’est magnifique. Et Un air de famille, je crois que c’est ma comédie française préférée, alors je la cite.
Quel film aimes-tu tellement que tu l’as vu 3 fois ou plus ? Le Parrain, bien entendu : une fois par an minimum, c’est le calibre qu’il me faut (c’est Scarface, ça, je sais).
Quel acteur ou actrice te faisait fantasmer à 13 ans ? À part Milla Jovovich dans Le Cinquième Élément quand j’avais 8 ans, je n’ai pas vraiment fantasmé sur des actrices. Mais, bon, de tête comme ça, je dirais qu’à 13 ans mon actrice préférée devait être Salma Hayek.
FOLLE”
PREMIERE
UN FILM DE SEBASTIAN MEISE
GREAT
FREEDOM
© DROITS RÉSERVÉS - CRÉDITS NON CONTRACTUELS - ARTWORK: PROPAGANDA B - ADAPTATION LA GACHETTE
© 1996 MIRAMAX. All Rights Reserved.
GRAND PRIX SÉVILLE 2021
LE 9 FÉVRIER État des gueux, tous les vendredis à 21 h 30 au République Narvalo, saison 2, sur Canal+
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PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER
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Le strip
En bref
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TRACY GOTOAS
Héroïne de L’Horizon, la comédienne de 26 ans s’est constituée en quelques années une filmographie prometteuse, avec l’idée de faire évoluer les représentations par le biais du cinéma. D’abord réalisatrice en 2016 du court métrage Elikia, Tracy Gotoas est ensuite repérée sur une photographie par Émilie Carpentier, qui lui confie le rôle principal de L’Horizon, une jeune soignante qui rejoint une ZAD champêtre. « Je suis en accord avec ce personnage qui se découvre un engagement écolo et qui comme moi s’adapte à différentes personnes et catégories sociales. » Sa fascination pour le cinéma remonte à l’enfance, qu’elle a passée dans l’Essonne, quand elle regardait en cachette Training Day, avec
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ILIÈS KADRI
Denzel Washington. « À 16 ans, j’ai postulé à des castings et fait un stage génial de réalisation en SeineSaint-Denis », nous confie-t-elle, avec son regard vif. Son CV de comédienne s’est récemment étoffé avec la série Braqueurs (thriller Netflix dans lequel elle partage l’affiche avec Sami Bouajila). « J’aime toucher à tous les genres. L’Horizon est à la fois très auteur et très accessible. » Tracy Gotoas vient de tourner avec Karin Viard dans Sage Homme, qui offrira « des représentations dont on a besoin en tant que femmes noires ». Une démarche qui lui tient à cœur. « J’ai grandi avec un idéal féminin qui ne me ressemblait pas forcément, alors que c’est important que tout le monde puisse s’identifier à des modèles de fiction. » L’Horizon d’Émilie Carpentier, Les Films du Losange (1 h 24), sortie le 9 février Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS
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DAMIEN LEBLANC
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Dans Viens je t’emmène, le nouveau film d’Alain Guiraudie, l’ancien soldat devenu comédien sait créer le mystère dans le rôle d’un jeune SDF. On fait toujours confiance à Alain Guiraudie (lire p. 28) pour former le bataillon du cinéma français de demain. Dans Viens je t’emmène, où un attentat terroriste plonge Clermont-Ferrand dans la parano, voilà une nouvelle recrue, Iliès Kadri, 23 ans. Le comédien campe le rôle d’un jeune SDF que tout un immeuble pétri de préjugés soupçonne d’être terroriste. Iliès Kadri, que l’on a pu voir dans la minisérie de TF1 Le Remplaçant (2021), et surtout dans la série politique de Rebecca Zlotowski Les Sauvages (2019) sur Canal+, veut au contraire croire au cinéma comme un moyen d’« ouverture sur le monde, sans distinction de religion, de classe sociale, ou de cou-
ÉMILIE GLEASON
En bref
leur de peau ». Quelques castings non concluants ont d’abord amené ce grand sportif originaire de Lyon à se tourner vers l’armée, en intégrant les chasseurs alpins. C’est lors d’un jour de repos pendant une mission Vigipirate que le militaire, qui rêve d’un rôle à la Scarface, se rend enfin à la bonne audition, pour La Vallée (2014) de Jean-Stéphane Bron. « J’ai toujours voulu devenir comédien, je trouve ça fascinant de véhiculer des messages, des émotions avec mon corps. Même quand j’étais à l’armée, que j’ai intégrée parce que je ne voulais pas d’un métier métro, boulot, dodo et que j’aime bouger, voyager et découvrir, ça ne m’a jamais quitté. » On lui souhaite plein d’autres missions, au cinéma cette fois. Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie, Les Films du Losange (1 h 40), sortie le 2 mars
QUENTIN GROSSET
Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS
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En bref
Hommage
GASPARD ULLIEL 2
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La phrase
C’est le plus foudroyant des crushes. Tôt dans sa carrière, en 2006, Gaspard Ulliel a joué dans un court métrage de Gus Van Sant aujourd’hui un peu oublié. Intitulé « Le Marais », ce segment du film collectif Paris Je t’aime vaut surtout pour la prestation de l’acteur. Éphèbe à mèche typique de l’univers du cinéaste, il campe l’assistant photographe de l’intimidante Marianne Faithfull avec qui il se rend au labo de développement. Là, les yeux et la fossette (en
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fait une cicatrice laissée par une griffure de chien quand il était enfant) cachés sous une mèche de cheveux, il tombe sur un apprenti qui se roule une cigarette. C’est une scène de drague très simple, très belle, entre les deux jeunes hommes. Dans un monologue étrange et pénétré, Ulliel lui donne son numéro. Seulement, l’apprenti est américain et n’a rien compris à ce que lui a dit le beau Frenchy à l’air hirsute. Pourtant, une force le mène quand même à courir après lui, alors qu’il a disparu dans le métro. Mine de rien, la séquence pose là l’énigme Gaspard Ulliel. L’acteur jouait de ce caractère à la fois scotchant et insaisissable qui lui a valu ses plus beaux rôles.
CHERCHER LE GARÇON En tête, celui de Saint Laurent, offert par Bertrand Bonello. Lui-même ancien mannequin et fils de parents stylistes, Ulliel avait le background et la silhouette élancée qu’il fallait pour camper le grand créateur, mais c’est autre chose, plus mystique et étrange, qui rend sa prestation inoubliable. Cette incarnation, il l’a voulue volontairement mal taillée, la plus décousue possible :
Saint Laurent apparaît par lambeaux. Ulliel cherchait la part la plus hantée de l’artiste, et grâce à lui, aujourd’hui encore, ce personnage fascinant résiste. Il y a bien des cinéastes qui ont essayé de percer le mystère distillé par l’acteur. Xavier Dolan, dans Juste la fin du monde, multipliait les très gros plans sur son visage allongé, plongeant dans ses grands yeux doux comme pour tenter de déceler un secret. Dans le rôle d’un jeune écrivain taciturne venant annoncer sa mort prochaine à sa famille, il impressionnait par ses silences capables de communiquer mille émotions à la seconde, au milieu du brouhaha de ses partenaires, au contraire très bavards. Encore une fois, sa présence éthérée captivait autant qu’elle interrogeait. À l’opposé, dans L’Art d’aimer, Emmanuel Mouret confiait à l’acteur une partition fourmillant de répliques. Peut-être avec l’espoir que, dans ce flot de paroles et de sentiments – il incarnait un amoureux en questionnement sur son couple libre –, Ulliel laisse paraître au moins un indice, une part de sa vérité. Dans Sibyl, la cinéaste Justine Triet jouait une autre carte en lui donnant le rôle d’un comédien tempétueux, ex d’une actrice désespérée et en analyse. Il faut revoir cette scène à la fois drôle et tragique où, sur un tournage, il règle ses comptes en chanson (et en italien)
avec son amour. Peut-être Triet voyait-elle dans cette part méta du film un moyen de mieux comprendre les secrets de l’acteur, toujours bien gardés. QUENTIN GROSSET
Le magnétique comédien est mort le 19 janvier dernier, à l’âge de 37 ans, des suites d’un accident de ski. Tout au long de sa riche carrière (il a tourné avec Bertrand Bonello, Xavier Dolan, Justine Triet, F. J. Ossang…), les cinéastes ont cherché à saisir les contours de la personnalité de l’acteur à fossette, un mystère qu’il distillait dans ses interprétations souvent troublantes.
JUSQU’AUX CONFINS DU MONDE Pas étonnant que l’acteur ait parfois choisi de s’entourer d’autres insondables, au premier rang duquel un outsider, le poète punk F. J. Ossang, qui dans son long métrage 9 doigts l’invitait à jouer le rôle nébuleux d’un médecin sur un cargo, auquel il conférait trouble et inquiétude. C’est peut-être d’ailleurs dans ce goût qu’avait le comédien pour l’aventure – par exemple lorsqu’il va tourner Les Confins du monde de Guillaume Nicloux dans la jungle vietnamienne – que se trouve une partie de la réponse à l’énigme. Comme les grands aventuriers, toujours un peu fuyants, Gaspard Ulliel était capable de disparaître quand on s’y attendait le moins. Il peut bien essayer, il y aura toujours cette force étrange qui nous mènera vers lui, dans le métro, dans une jungle, même ailleurs.
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Juste la fin du monde de Xavier Dolan (2016)
2 Les Confins du monde de Guillaume Nicloux (2018) 3 Saint Laurent de Bertrand Bonello (2014) 4 Juste la fin du monde de Xavier Dolan (2016)
« Il m’avait impressionné par son implication et son intelligence. Il adorait le cinéma, et je sais qu’il serait devenu un réalisateur fascinant s’il avait pu concrétiser son rêve. »
Martin Scorsese, à propos de Gaspard Ulliel, qu’il avait dirigé dans une publicité Chanel en 2010, dans un communiqué transmis au site américain IndieWire le 19 janvier dernier.
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En bref
L’ACTEUR EN HUIT DATES
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25 NOVEMBRE 1984 Gaspard Ulliel naît à Boulogne-Billancourt. Sa mère, Christine, est styliste. Son père, Serge, est designeur.
2002 Dans Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc, qui lui vaut sa première nomination au César du meilleur espoir masculin, il incarne un garçon en plein éveil amoureux et sexuel.
2005 Il obtient le César du meilleur espoir masculin pour Un long dimanche de fiançailles de JeanPierre Jeunet. Il y joue Manech, un jeune soldat pendant la Première Guerre mondiale, qui disparaît dans des conditions troubles.
2007 Première expérience américaine avec Hannibal Lecter. Les origines du mal de Peter Webber, dans lequel il incarne le célèbre cannibale.
2010 Il devient égérie Chanel pour le parfum Bleu. Il dira de cette expérience qu’elle lui assure un confort financier qui lui permet de faire des choix de carrière plus personnels.
2014 Il impressionne dans Saint Laurent de Bertrand Bonello, sûrement son plus grand rôle. Perdant douze kilos pour incarner le créateur, il révèle sa part maudite.
2016 Xavier Dolan lui offre un rôle taiseux dans son adaptation de la pièce de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde. Avec ce film, Ulliel décroche le César du meilleur acteur.
2021-2022 Il intègre l’univers Marvel avec la minisérie Moon Knight, en mars prochain sur Disney+. Il tourne aux côtés de Vicky Krieps dans Plus que jamais d’Emily Atef, son dernier film.
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En bref -----> La page des enfants
Tout doux liste
VANILLE [CINÉMA] Une petite Parisienne apprend à aimer ses origines guadeloupéennes grâce à un voyage initiatique plein de couleurs, de chansons et de monstres fantastiques sur cette île des Caraïbes. • L. L. de Guillaume Lorin (Gebeka Films, 43 min), sortie le 2 février, dès 5 ans
LES VOISINS DE MES VOISINS SONT MES VOISINS [CINÉMA] Dans un immeuble parisien, les destins d’un ogre, d’un magicien, d’un randonneur, de deux jambes et de bien d’autres encore se croisent dans un univers graphique inventif et délirant. • LUCIE LEGER d’Anne-Laure Daffis et Léo Marchand (Jour2fête, 1 h 30), sortie le 2 février, dès 7 ans
Anna a 17 ans, elle a interviewé Axelle Ropert, une critique et réalisatrice qui sort ce mois-ci Petite Solange. C’est l’histoire d’une collégienne, interprétée par Jade Springer, qui assiste à la rupture de ses parents (joués par Léa Drucker et Philippe Katerine). Pourquoi avoir choisi le point de vue de l’enfant ? C’est la raison essentielle pour laquelle j’ai eu envie de tourner ce film. Montrer comment une chose aussi banale qu’un divorce, pas spécialement dramatique, est vécue plutôt bien par les parents et comme une tragédie par leur fille. Mais attention, ce n’est pas du tout un film anti-divorce ! Je pense qu’il vaut mieux se séparer que de faire supporter d’innombrables disputes à un enfant. Pourquoi avoir situé l’action du film à Nantes ? Je sature de voir Paris dans les films. Nantes est une ville à proximité de la mer, traversée par les nuages, le ciel, l’air. Je voulais laisser respirer l’histoire, que cela ne soit pas un drame étouffant dans un appartement. J’ai pas mal pleuré pendant le film. Est-ce ce genre d’émotions que vous vouliez susciter ? Complètement ! C’est merveilleux de faire pleurer les gens. Je voulais faire un mélo, les larmes sont donc recherchées dans le film. Je suis contente parce que les gens qui pleurent sont tous très différents et ne savent pas forcément pourquoi ils pleurent. Le film est drôle aussi, notamment grâce au personnage de la copine de Solange. On sent beaucoup d’amour entre elles.
PRINCES, PRINCESSES ET AUTRES DRAGONS ANIMÉS [ATELIER] Les enfants sont invités à créer leur propre histoire en utilisant la technique d’animation image par image sur une table lumineuse, à la façon de Michel Ocelot (Kirikou et la sorcière). • L. L le 12 février à 15 h à la Cinémathèque française, dès 6 ans
© Claire Nicol
L’interview
Pensez-vous que l’amitié est très importante à l’adolescence ? C’est fondamental ! On passe beaucoup de temps avec ses amies, à dire des trucs idiots, on glousse, et ça aide à tenir face au monde, face à ses parents, face aux drames. On se construit une bulle à part, qui nous sauve. Il y a quelque chose qui se marque à vie dans les amitiés adolescentes. J’aime beaucoup l’image et la lumière du film. Quel effet recherchiez-vous ? C’est un film tourné en pellicule. L’image argentique n’a pas le côté lisse et glacé du numérique, il y a un grain particulier. J’adore la pellicule, pas par nostalgie, mais parce que c’est très beau pour fixer les teintes, les couleurs des peaux. Pourquoi Solange s’appelle Solange ? Au moment de l’écriture du scénario, j’ai regardé avec ma fille Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, et l’une des sœurs jumelles du film s’appelle Solange. Je trouve que c’est un prénom romantique, qui sonne mélo. À la fin du film, Solange regarde le spectateur dans les yeux, comme Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre Cents Coups de François Truffaut. Oui, ce n’est pas juste un clin d’œil. Mon envie secrète était de donner une petite sœur à Antoine Doinel. C’était un
La critique de Célestin, 8 ans
WHITE SNAKE SORTIE LE 9 FÉVRIER
Et toujours chez mk2 SÉANCES BOUT’CHOU ET JUNIOR [CINÉMA] Des séances d’une durée adaptée, avec un volume sonore faible et sans pub, pour les enfants de 2 à 4 ans (Bout’Chou) et à partir de 5 ans (Junior). samedis et dimanches matin dans les salles mk2, toute la programmation sur mk2.com
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moyen de ramener Jean-Pierre Léaud et la Nouvelle Vague dans mon film. Sans la Nouvelle Vague, le cinéma français n’existerait pas tel qu’il est aujourd’hui. C’est un mouvement artistique fondateur. Quels conseils pourriez-vous donner à des jeunes qui voudraient se lancer dans le cinéma ? Tenter le concours des grandes écoles comme La Fémis, se servir de son téléphone pour tourner des petits films… Et il faut aller voir des films en salles ! J’adore les séries, mais pour avoir des sensations fortes il faut sortir de chez soi, voir un film projeté sur un grand écran, avec d’autres spectateurs. La cinéphilie, c’est une pratique magnifique. C’est voir beaucoup de films, des nouveaux, des anciens, des classiques et des navets ! Et surtout, quand on voit un film, essayer de noter ce qu’on en pense, ne pas juste consommer mais réfléchir sur le film qu’on vient de voir. Dans ma génération, j’étais une des rares filles cinéphiles. Je vous encourage, les filles, à investir la cinéphilie ! Petite Solange d’Axelle Ropert, Haut et Court (1 h 25), sortie le 2 février PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE)
« C’est l’histoire d’une démonfille-serpent amoureuse d’un garçon, dans un village de chasseurs de serpents. Vous allez me dire : “La fille-serpent, elle devient forcément méchante, au bout d’un moment.” Eh bien non ! Dès les premières images, je me suis dit : “OK, le serpent, il est gentil !” Et c’est super ! J’en ai marre que les serpents soient toujours les méchants, que ce soient eux qui empoisonnent et tout. C’est une grande aventure avec de l’amour (mais ils n’ont pas trop le temps pour ça) et plein de bastons. Ils se battent avec un peu de magie très délicate, pas en donnant des coups, comme dans Harry Potter. Et il y a des arts martiaux.
La boxe, c’est que des coups de poing, alors que dans les arts martiaux, c’est très varié, avec des mouvements de hanches ou des “fauchements”. Pour les paysages, y a des nénuphars, des maisonnettes bien faites, et on dirait que les montagnes sont de petits morceaux séparés les uns des autres. Ça m’a fait penser à Avatar ou aux peintures japonaises très fines. C’est trop beau ! » White Snake d’Amp Wong et Ji Zhao, KMBO (1 h 39), sortie le 9 février PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY
NE CONFIEZ PAS VOTRE TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE À N’IMPORTE QUI. Un programme adapté aux enfants et à toute la famille. UN CINÉMA CLUB À PARTIR DE 2 ANS mk2 Bout’chou, des courts métrages de moins d’une heure, avec une lumière tamisée et un niveau sonore tout doux. Le samedi et le dimanche en matinée. UN CINÉMA CLUB À PARTIR DE 5 ANS mk2 Junior, (re)découvrez en famille les immanquables du studio Ghibli. Le samedi et le dimanche en matinée. LA MYTHOLOGIE EN FAMILLE 1 heure, 1 mythe en famille, plongez dans la mythologie grecque et égyptienne. Le samedi à 11h et le dimanche à 11h et 14h.
Partenaires officiels : Programme et réservations sur : www.mk2.com/institut
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« Rien àPart. foutre « The Souvenir » et « The Souvenir II » <----- Cinéma
On la repère de loin avec sa doudoune blanche, son jogging rose et son chignon défait, dans un café du V e arrondissement, mangeant avec appétit une bonne omelette après avoir tiré sur une clope. Malgré son statut d’égérie de la mode, Adèle Exarchopoulos ne fait pas de chichi. Dans Rien à foutre, premier long de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, elle campe avec un naturel impressionnant Cassandre, une jeune hôtesse de l’air de compagnie low cost qui s’adapte avec résilience aux exigences de ce métier dur et invisibilisé. Une prestation géniale qui nous a donné envie de gratter un peu le vernis, de mieux connaître l’actrice, presque dix ans après son entrée tonitruante dans le monde du ciné avec La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, Palme d’or en 2013. PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY
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Qu’est-ce qui vous a convaincue d’embarquer dans l’aventure Rien à foutre ? Le regard que Julie et Emmanuel portent sur les gens, surtout la jeunesse. Le film ne juge personne, il ne condamne rien, mais il montre que, quand on est dans la consommation des humains, des sensations, des relations, de tout ce qui nous entoure en fait, on perd le sens des réalités. Il a une vérité, une justesse, aussi liée au fait qu’on l’a fait dans l’urgence, pas forcément dans les règles. Par exemple, il y a certains aéroports où on n’a pas obtenu l’autorisation de filmer [dans le film, présenté à la Semaine de la critique l’année dernière, on suit le personnage de Cassandre dans plusieurs de ses escales, que ce soit à Lanzarote, l’île des Canaries où elle réside, ou plus tard à Dubaï, ndlr], alors on faisait semblant d’être une petite équipe qui tournait des souvenirs de mariage. Cassandre incarne la jeunesse désenchantée d’aujourd’hui, plongée dans le bain de l’hypersexualisation, l’hyperconnectivité, confrontée à une perte de confiance en l’avenir… Vous aussi, vous la ressentez, cette mélancolie contemporaine ? Je ne suis pas dans le déni comme Cassandre. Je ne vais pas fuir une difficulté quand elle est en face de moi. J’ai trop de choses, trop de gens dans mon entourage qui me ramènent à la réalité. Par contre je peux être dans l’excès inverse : je peux trop analyser, trop chercher de réponses là où il n’y en a pas forcément. Mais je comprends les gens qui s’égarent comme Cassandre, parce qu’elle, tout ce qu’elle traverse, ça renvoie à notre manière de consommer, au capitalisme, et ça c’est très générationnel. L’année dernière à Cannes, Julie Lecoustre et Emmanuel Marre nous ont raconté qu’ils vous avaient demandé de préparer le rôle en expérimentant les conditions de travail d’une hôtesse de l’air. Comment s’est passée cette phase d’immersion ? J’ai fait une formation, j’allais au Bourget, je faisais quatre heures de vol par jour, c’était hyper dur physiquement. Et après, à côté de ça, j’ai rencontré pas mal d’hôtesses qui m’ont raconté leur quotidien. Elles m’ont fait comprendre à quel point ça pouvait être violent pour elles d’être toujours en décalage. Mais l’expérience qui m’a vraiment donné une idée claire de ce que vivait Cassandre, c’est le jour où la directrice de l’école de mon fils m’a ap-
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Cinéma -----> « Rien à foutre »
pelée. J’étais en plein décollage, je ne pouvais rien faire. Là, on réalise toutes les contraintes du métier, et l’impact de celles-ci sur leur vie. On comprend dans le film que Cassandre a choisi ce boulot assez jeune et un peu par dépit. Ado, vous aviez une idée claire de ce que vous vouliez faire ? J’hésitais. J’ai commencé tôt le cinéma [à l’âge de 12 ans, dans le moyen métrage Martha de Jean-Charles Hue, réalisé en 2005. Repérée par un agent sur ce film, elle a ensuite eu de petits rôles à la télé, dans la série R.I.S Police scientifique, puis dans des films comme Les Enfants de Timpelbach (2008) de Nicolas Bary ou Chez Gino (2011) de Samuel Benchetrit, ndlr]. Mais je ne voulais pas en faire mon métier. Pour moi, c’étaient des expériences comme ça. En fait, je voulais soit être psy dans les prisons, soit travailler temporairement dans la restauration pour voyager. Et que voyager. Je faisais tout pour l’amitié, j’étais vachement insouciante, à plein d’endroits. Sur mes bulletins du lycée, c’est noté soit que je dormais, soit que je rigolais. Après, j’avais grave envie d’être indépendante financièrement. Vers l’âge de 16-17 ans, j’ai travaillé au palais omnisports de Paris-Bercy.
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Peu de temps après, vous avez passé le casting de La Vie d’Adèle (2013) d’Abdellatif Kechiche, qui vous a révélée au grand public. Comment la jeune actrice débutante que vous étiez a abordé cette première grande expérience cinématographique ? Quand La Vie d’Adèle [pour lequel elle a obtenu, en plus de la Palme d’or partagée avec le réalisateur et l’actrice Léa Seydoux, le César du meilleur espoir féminin en 2014, ndlr] est arrivé dans ma vie, je venais d’échouer au bac, j’étais en train de redoubler. J’avais demandé à mon père si je pouvais travailler dans la restauration et improviser plus tard. Il boudait beaucoup. Au même moment, il y a eu le casting, et quand j’ai été choisie pour jouer Adèle, mon père m’a dit de prendre mon courage à deux mains, d’aller au lycée et de leur dire que je ne viendrais plus. Et c’est ce que j’ai fait. Quand on a fait le film, je découvrais tout. C’était difficile pour vous de dompter un personnage aussi exigeant et sensible ? C’était particulier parce qu’il n’y avait pas de marque au sol. J’y suis un peu allée comme mon personnage : avec beaucoup de naïveté et de passion. Je me rappelle, quand Léa m’a
raconté comment elle avait construit, pensé son rôle, j’ai eu une vague d’angoisse, je suis allée voir Abdel [Abdellatif Kechiche, ndlr] et je lui ai dit : « Il faut que je te dise la vérité, j’ai rien préparé. » Il m’a rassurée en me disant : « Ne t’inquiète pas, le plus important, c’est que tu sois sincère. » Ça ne m’a pas suffi du tout, j’étais grave stressée, mais de toute façon je n’avais pas le choix. Moi, je dépends des autres : des acteurs, des réalisateurs, des équipes techniques. J’ai besoin d’un avis objectif, quelqu’un qui m’aide, qui me porte. Un film, s’il n’est pas fait de manière collective, ça me rend malheureuse. Après La Vie d’Adèle, vous avez joué dans The Last Face de Sean Penn. Ça vous a fait quel effet de débarquer sur une grosse production américaine ? C’est une manière de travailler qui n’est pas du tout la même que chez nous. Il y a quelque chose de plus anticipé, de plus calibré, et plus de moyens aussi. Quand je suis arrivée sur le tournage de The Last Face en Afrique du Sud, je me suis retrouvée avec trois cents figurants. Là, on ne se demande plus : « Alors, qu’est-ce qu’on fait Jean-Luc ? On fait la scène où tu coupes la tomate ou
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pas ? » Nous, on va faire les choses plus à l’arrache. Mais c’est ce que j’aime aussi dans le cinéma : pouvoir passer du tout au tout. The Last Face a reçu un accueil glacial à Cannes en 2016 et vous avez connu une période de creux, pendant laquelle vous avez eu un bébé. Comment l’avez-vous vécu ? Ça a été plus dur après La Vie d’Adèle. Sur des plateaux, je me suis dit : « Ah mais en fait il faut travailler, anticiper, construire un personnage. » Quand j’ai eu mon fils [né en 2017, ndlr], j’avais 23 ans, je n’étais pas rassurée, c’était une première pour moi. Un direc teur de casting m’a demandé, à l’époque, combien de temps il me faudrait pour que je puisse recommencer à tourner après mon accouchement. J’ai répondu n’importe quoi, je lui ai dit : « Deux mois. » Et donc je me suis retrouvée à tourner le film de Ralph Fiennes [le biopic Noureev, sorti en 2018, dans lequel elle joue Clara Saint, la petite amie du danseur étoile soviétique Rudolf Noureev, ndlr] en Serbie. J’allaitais mon fils, je tournais, j’allaitais, je tournais… Là, je me suis dit : « Ah OK, il va vraiment falloir que j’apprenne à gérer ma vie de mère et ma vie d’actrice. » Après, on m’a envoyé le scénario de Sibyl [film de
« Rien à foutre » <----- Cinéma
Justine Triet sorti en 2019, dans lequel elle joue Margot, une actrice torturée dont la psy, incarnée par Virginie Efira, va s’inspirer pour écrire un roman, ndlr]. C’est la première fois que j’ai dit à une réalisatrice : « Franchement, ce rôle, je le veux trop. » Vous irradiez dans ce rôle d’écorchée d’une grande intensité. Que vous a-t-il apporté ? Ce que j’aime trop dans le personnage de Margot, c’est qu’on peut la lire différemment. Y a un côté vicieux, calculateur, mais en même temps, elle est dépassée. Comme Adèle [son personnage dans La Vie d’Adèle, ndlr], elle a besoin d’être aimée. J’ai adoré aussi la méthode de travail de Justine Triet. C’est quelqu’un de généreux, d’impulsif. Et puis avoir Virginie Efira comme partenaire, c’était trop bien. Le tournage à Stromboli [dans le film, la psy suit sa patiente sur un tournage, qui prend place dans le décor aride de l’île italienne, ndlr] était hyper spécial, il y avait beaucoup de similitudes entre le tournage réel et le tournage fictif, un truc entre réalité et fantasme. C’était incroyable. Tout passe à travers ce filtre du fantasme dans le film. Est-ce que vous êtes du genre à vous laisser envahir par les vôtres ? Ouais, je peux me faire plein de scénarios dans ma tête. Je trouve ça hyper important de rêver. Et l’insouciance de mon fils, ça m’a ramenée à ça, à l’idée qu’il faut se poser des
mais je me suis dit : « C’est bon, c’est là, essaie de tout donner. » J’ai eu la chance de la faire avec Quentin Dupieux [avec lequel l’actrice collaborera bientôt dans Fumer fait tousser, ndlr]. Je me suis dit que je mettais les pieds dans quelque chose qui n’allait peut-être pas plaire à tout le monde, mais qui était totalement maîtrisé. Ses scénarios ressemblent à une partition : tout est détaillé, chaque personnage a sa musique. Mais quand j’ai passé le casting, la seule indication pour le personnage d’Agnès, c’était qu’elle était « psychotique ». Je lui ai demandé ce qu’il entendait par là. Il m’a répondu : « Je veux que les choses soient gauches, maladroites, que ton intonation ne corresponde jamais à ton état. » Et là, je me suis dit : « Ne cérébralise pas Adèle, il faut que tu aies 4 ans et demi dans ta tête, que ce soit pur et sincère. » Sur le plateau, il y avait une ambiance que j’ai rarement ressentie ailleurs. Mais de trouver le volume exact, c’était vertigineux pour moi. Et pour la série La Flamme de Jonathan Cohen (2020), dans laquelle vous jouez une prétendante qui s’est fait greffer un cœur de singe, vous vous êtes dit quoi ? Chez Jonathan Cohen, il y a un espace de créativité sans limite, un besoin de s’amuser qui n’empêche pas l’exigence. Lui me disait : « Il faut que tu t’accroches à ce singe qui est en toi et que tu sois complètement perdue
« Je trouve ça important de rêver. L’insouciance de mon fils, ça m’a ramenée à ça. » questions, tout le temps, même quand ça paraît bête, comme « Est-ce que les baleines peuvent tomber amoureuses ? ». On oublie de s’abandonner à notre imagination comme ça, alors que c’est au moins aussi important que la moitié des soucis et des questions plus sérieuses qu’on a en tête toute la journée. Vous lui montrez des films, à votre fils ? J’y vais doucement. J’ai commencé avec Ponyo sur la falaise [film de Hayao Miyazaki, sorti en 2009, ndlr]. Ou la série Pyjamasques. J’ai trop hâte de lui montrer Charlie et la chocolaterie [de Tim Burton, sorti en 2005, ndlr], Kiki la petite sorcière [de Hayao Miyazaki, sorti en 2004, ndlr]. Moi, j’adore les dessins animés, leur absurdité. Après, maintenant, je vois beaucoup plus les sens cachés ; évidemment, je suis plus consciente de certains sujets, du genre la place des femmes dans les Disney… Dans Mandibules (2021), le dernier film de Quentin Dupieux, vous campiez avec un génie comique qu’on ne vous connaissait pas le rôle d’Agnès qui, après un accident, ne peut plus communiquer autrement qu’en criant. Ça vous a libérée de jouer un personnage aussi fou ? J’en avais trop envie ! Je l’attendais depuis longtemps, ma comédie. Ça m’a fait peur
entre ton identité et la sienne. » Ces deux tournages, ils ont été ultra révélateurs et magiques pour moi : j’ai découvert le plaisir de faire rire les gens. Je trouve ça si noble, les acteurs qui osent aller sur ce terrain-là. Jim Carrey, pour moi, c’est un génie. Il n’a pas peur du ridicule, quitte à diviser, il est toujours dans quelque chose d’à la fois sincère et de très composé. Il a un côté burlesque, un côté absolu et en même temps une immense mélancolie. Il est à part. Vous réfléchissez beaucoup avant de choisir vos rôles ? Je fais plutôt marcher mon instinct. Parce que les rares moments où j’ai essayé d’avoir de la stratégie – je parle pas de stratégie financière, plus de créneau à prendre –, j’ai été déçue. Après, on ne va pas se mentir : il y a des films que je vais choisir, je sais qu’ils vont faire quatre entrées, je ne suis pas naïve. Mais si j’y ai trouvé quelque chose à défendre, je ne me pose pas plus de questions. Il y a un contraste entre votre image très glamour d’égérie de grandes marques et vos choix de films, dans lesquels vous n’hésitez pas à vous mouiller, montrer un visage de vous très brut, naturel. Pour moi, l’un va avec l’autre, dans le sens où la mode me permet économiquement
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Cinéma -----> « Rien à foutre »
de faire le cinéma que j’aime le plus. Je ressens plus ça comme un jeu qu’autre chose. Et, d’ailleurs, quand je suis en shooting, je ne me sens pas forcément moi-même. Je sais que je porte des vêtements que je vais devoir rendre à la fin de la séance photo. Il y a un jeu de représentation de soi que j’essaie de prendre avec légèreté, une certaine forme de second degré. Mais dans tout ça l’aspect humain reste important : quand je suis en contact avec des marques, j’ai besoin d’être à l’aise. Paco Rabanne par exemple, c’est devenu un ami que j’estime beaucoup. Vous vous êtes impliquée dans plusieurs causes ces dernières années. Vous avez notamment été marraine du Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants, avez participé à des marches organisées par le comité Adama… Qu’est-ce qui vous pousse à vous engager ? Le fait qu’on soit dans une société qui manque d’empathie. Après, j’ai compris que parfois on donne la parole à n’importe qui. On m’a déjà demandé de médiatiser des causes. Je veux bien, mais à condition d’être accompagnée par quelqu’un qui témoigne,
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qui a vécu l’histoire. J’insiste toujours sur ça. Pour moi, la politique, c’est avant tout de l’humain. Je suis contente de voir qu’il y a des gens qui ont le courage d’ouvrir des portes. Il y a une prise de conscience ces dernières années, une manière d’envisager les choses par du concret et par le collectif. Est-ce qu’il y a des films qui vous ont justement fait prendre conscience de réalités politiques qui jusqu’ici vous avaient échappé ? Pour Sama [sorti en 2019, ce documentaire de Waad al-Kateab et Edward Watts suit le quotidien d’un couple de jeunes parents durant le siège d’Alep en 2016, ndlr], ça a été mon plus grand choc dernièrement. Après, il y a beaucoup de films de Raymond Depardon qui montrent à quel point la misère des gens peut être très banale. Ça peut passer par la solitude, l’isolement, l’incompréhension… Je suis très sensible à ce genre de documentaires. À Cannes l’année dernière, la projection de BAC Nord de Cédric Jimenez a suscité la polémique : on a accusé le film de prendre le parti de la police, visée par des affaires de violences policières qui ont conduit à d’im-
portantes mobilisations dernièrement. Vous avez compris cette réaction ? Je pense qu’à partir du moment où il y a une polémique, même si elle gâche un peu le plaisir, il faut qu’il y ait une remise en question. C’est un film qu’on a porté jusqu’au bout, surtout les garçons [les rôles principaux de ce film sur le quotidien d’une BAC marseillaise sont joués par Gilles Lellouche, François Civil et Karim Leklou, dont Adèle Exarchopoulos incarne la compagne, ndlr], mais on a quand même réfléchi aux raisons qui ont fait qu’il a été accueilli de cette manière. Après, je ne suis porte-parole de rien, je n’ai pas de camp à choisir et je ne suis pas un exemple à suivre. Honnêtement, on me demande mon avis mais je me sens plus sincère dans mes choix de films qu’en interview parfois. J’ai une responsabilité bien sûr, mais plus dans les films que je fais que dans ce que je dis en interview. Quels rôles vous rêveriez de jouer ? Il y a des metteurs en scène avec qui je rêve de tourner : Asghar Farhadi, Quentin Tarantino, Pedro Almodóvar… Mais le type de personnages que j’aimerais beaucoup jouer, c’est un personnage dur, qui n’attire pas du tout
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la sympathie. J’ai adoré grandir avec Nikita et Léon [de Luc Besson, sortis en 1990 et 1994, ndlr]. C’est tellement loin de moi, je me demande ce que je pourrais en faire. On vous verra prochainement chez Léa Mysius (Les Cinq Diables), Thomas Cailley (Le Règne animal) ou encore Thomas Lilti. Vous pouvez nous teaser un peu tous ces projets ? Léa Mysius m’a complètement emmenée dans son univers. Ce sera un film assez onirique dans lequel je joue une mère qui s’est conditionnée pour oublier son passé, parce qu’elle a vécu une histoire d’amour avec une femme qui a été bannie de son village. Ça raconte comment le passé revient quoi qu’il arrive dans nos vies. Thomas Lilti, ça sera un film sur le système scolaire, sur le quotidien des enseignants. Et Thomas Cailley, son scénario est complètement fou. Je sais pas si je peux en parler… Je vais rester vague : c’est une ode à la différence. Rien à foutre de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, Condor (1 h 52), sortie le 2 mars
PHILIPPE LIÉGEOIS
PATRICK D’ASSUMÇAO
SOFIA LESAFFRE
LAETITIA CASTA
PRÉSENTE
SIMON ABKARIAN
ALBAN LENOIR
ÉMILE BERLING
DIS-MOI QUELLE POLICE TU AS, JE TE DIRAI DANS QUELLE SOCIÉTÉ TU VIS...
SELON
LA POLICE un film de FRÉDÉRIC VIDEAU
AVEC
C O R E NT IN FILA
AGAT HE B ON I T Z E R
M AT T H I E U L U C C I
IDIR AZOUGLI
ET LA PA RT I C I PAT I ON DE
JEAN- FRANÇOI S S TÉVENI N
FRÉDÉRIC VIDEAU MUSIQUE ORIGINALE FLORENT MARCHET 1ER ASSISTANT-RÉALISATEUR RENO EPELBOIN IMAGE CÉLINE BOZON (AFC) MONTAGE FRANÇOIS QUIQUERÉ (LMA) SON FRANÇOIS MÉREU SÉBASTIEN SAVINE & EMMANUEL CROSET DÉCORS KARIM LAGATI COSTUMES VÉRONIQUE GÉLY DIRECTION DE PRODUCTION ÉRIC VEDRINE UN FILM PRODUIT PAR PHILIPPE LIÉGEOIS UNE PRODUCTION BUS FILMS EN ASSOCIATION AVEC PYRAMIDE AVEC LA PARTICIPATION DE CANAL + ET DE CINÉ+ AVEC LE SOUTIEN DES RÉGIONS OCCITANIE-PYRÉNÉES-MÉDITERRANÉE ET PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR EN PARTENARIAT ET AVEC LA PARTICIPATION DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE
©2022 : PYRAMIDE - LOUISE MATAS
SCÉNARIO & RÉALISATION
AU CINÉMA LE 23 FÉVRIER
Cinéma -----> « Rien à foutre »
L’AIR DU TEMPS
JULIE LECOUSTRE ET EMMANUEL MARRE Avec Rien à foutre, leur premier long métrage, sélectionné à la Semaine de la critique cannoise l’année dernière, Julie Lecoustre et Emmanuel Marre frappent fort. En dressant le portrait sans fard d’une jeune hôtesse de l’air (Adèle Exarchopoulos), le duo de cinéastes et scénaristes français, qui mixe documentaire et fiction, saisit toute la vulnérabilité de notre société où l’on vend à prix mini l’idée de bonheur tout en reniant nos douleurs plus ancrées. Rencontre.
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Avant ce film, vous aviez déjà collaboré sur le court D’un château l’autre – Julie en tant que scénariste et vous, Emmanuel, en tant que réalisateur. C’est quoi la méthode Lecoustre-Marre ? Emmanuel Marre : Entre nous, ça se passe un peu comme ça : on note des images qu’on a en tête et ensuite on cherche à les concrétiser tout de suite. Pour D’un château l’autre (2018) [qui raconte la rencontre improbable et poétique entre un étudiant et une vieille dame pendant la présidentielle de 2017, ndlr], la première idée, c’était de tourner un film sur un étudiant de Sciences Po. Les autres éléments s’agrègent ensuite naturellement. Pour Rien à foutre, l’élément déclencheur, ça a été ce moment où j’ai vu une hôtesse de l’air en détresse lâcher toute sa tristesse le temps du décollage puis se reprendre en main et sourire l’instant d’après. Le film touche à quelque chose de très contemporain. Est-ce que vous cherchiez à capter l’époque ? E. M. : On ne s’est pas dit : tiens, on va capter l’époque. Mais on s’est rendu compte que l’aéroport, en tant qu’environnement, nous permettait de raconter plein de choses. Julie Lecoustre : Ce qui a été décisif, c’est aussi notre rencontre avec des hôtesses de l’air. On a écouté leur récit pendant de longs mois et on a réalisé que toutes fuyaient
quelque chose, que ce soit une rupture amoureuse, la douleur d’un deuil… Certaines scènes ont été réellement tournées dans un avion. Ça a dû compliquer les choses. Pourquoi vous y teniez tant ? J. L. : On voulait absolument tourner dans un vrai avion qui volait, pour que le film ait aussi un aspect documentaire. C’était délirant, tellement qu’on n’a pas pu le faire pour toutes les scènes parce qu’évidemment c’était un gros bordel administratif – d’autant qu’on était déjà en période de Covid. À l’inverse, on a aussi voulu créer de la fiction là où on ne s’y attend pas. Avec un ami d’Emmanuel, qui est directeur d’une boîte de pub, on a inventé la compagnie aérienne du film, qu’on a appelée Wings. On a passé au crible tous les éléments de branding. E. M. : C’était une phase hyper amusante. On s’est inspiré des couleurs du low cost qui sont toujours le jaune et le bleu. On a mis la marque partout, on a affiché des stock-shots [série d’images empruntées à des archives et utilisées dans une autre œuvre, ndlr] avec des faux slogans très positifs, typiques de notre époque branchée développement personnel, comme « We care at all cost » ou « We care for happiness ». Cassandre reproduit le consumérisme de son entreprise dans ses relations intimes
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en utilisant une appli de rencontres. Il y a une scène de sexe que vous filmez de façon crue, avec des projecteurs très puissants. E. M. : On a toujours rêvé de faire un truc comme ça. C’était pour retrouver la sensation parfois électrique du flirt. On avait pas mal de références photographiques pour le film et pour cette scène on a pensé à Nan Goldin [cinéaste et photographe américaine connue pour son esthétique très brute, ndlr]. On trouvait que ça donnait quelque chose de beau, toute cette sueur. J. L. : On voulait montrer que Cassandre avait une sexualité, que ça faisait partie de sa vie, mais que ça n’en était pas le centre. On avait envie de contrer ces récits au cinéma qui placent l’amour au centre de la vie des femmes. Nous, on voulait dire que le sexe, c’était un élément comme un autre de la vie de Cassandre. Et aussi que, dans sa féminité, elle est pleine de contradictions : elle répond tout de suite « oui » à un potentiel employeur qui lui demande si elle pourrait se teindre les cheveux en blond pour obtenir un poste, mais recale aussi son pote quand il pose sa main sur sa cuisse sans son consentement. E. M. : Moi, je voulais à un moment que Cassandre développe une relation avec un mec sur Tinder. Mais Julie a tout de suite dit : « Non, on dégage ça. » Et elle avait raison. Pourquoi on se sent obligés d’accoler aux personnages féminins des histoires d’amour ?
« Rien à foutre » <----- Cinéma
Il y a deux parties dans le film : celle où on suit Cassandre dans son boulot d’hôtesse de l’air, dans laquelle l’image est dans l’ensemble surexposée, et celle où elle retourne voir son père et sa sœur à Bruxelles, qui est plus bleutée, sombre. Quel sens vous donnez à ce contraste esthétique ? J. L. : On n’a pas voulu ajouter d’éclairage dans le film, on voulait capturer la lumière naturelle des décors, à l’exception de la scène de sexe dont on parlait. Ça nous a permis de passer de ce premier monde baigné de lumière artificielle, où on reçoit tout en pleine face et où il n’y a aucune place pour l’ombre, le mystère, la confidence, à ce deuxième monde, qui s’adoucit, se tamise à nouveau. E. M. : Le paradoxe, c’est que le moment où on a le plus accès à la vérité de Cassandre, on ne la voit plus, alors que quand elle est en pleine lumière, une bonne par-
Adèle Exarchopoulos est parfaite dans ce rôle aussi profond que désabusé. Comment avez-vous collaboré tous les trois ? E. M. : Au début, on avait imaginé un personnage plus grotesque, houellebecquien. Mais on a fait évoluer le personnage avec Adèle, et on est revenus à cette idée centrale que Cassandre était quelqu’un qui se retrouvait, se perdait, se retrouvait, se perdait… J. L. : On a vraiment bâti un pacte avec Adèle pour aller jusqu’au bout de cette idée-là. Tous ensemble, on a cherché à connaître ce personnage, qu’on envisage d’ailleurs plutôt comme une personne, plus qu’à l’inventer et ajouter trop d’éléments dramaturgiques autour. C’est très rare que Cassandre soit seule dans le film. En maintenant quasiment tout le temps cette effervescence autour d’elle, vous soulignez encore plus sa solitude.
« On a réalisé que toutes fuyaient quelque chose : une rupture, un deuil… » Julie Lecoustre tie de ce qu’elle est réellement disparaît. On n’avait pas cette image à l’esprit mais, quand Cassandre retourne dans la maison parentale qui est entourée d’un grand espace extérieur, ça peut faire penser à la conception qu’avait Marguerite Duras de la forêt [dans le documentaire Les Lieux de Marguerite Duras de Michelle Porte, diffusé sur TF1 en 1976, puis retranscrit en livre aux Éditions de Minuit en 1977, la romancière raconte que la forêt lui apparaît comme un lieu d’abord salvateur puis dangereux pour les femmes, qui y ont été libres avant d’en être chassées ou d’y être brûlées car considérées comme des sorcières, ndlr].
J. L. : Oui. C’est l’idée très simple que, même en étant très entouré, on peut se sentir très seul. Et d’ailleurs, quand elle se retrouve isolée, Cassandre cherche à se raccrocher aux autres. Ce qu’on remarque aussi, c’est qu’aujourd’hui on est tout le temps sollicité par des trucs extérieurs. C’est fou de se dire que les deux seuls endroits où on met nos portables en mode silencieux, c’est le cinéma et l’avion. PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS
Critique
EN APESANTEUR
Propulsée dans les airs par les cinéastes Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, Adèle Exarchopoulos tient impeccablement le cap dans Rien à foutre, leur premier long, qui nous immerge dans le quotidien d’une jeune hôtesse de l’air dont l’apparente désinvolture dissimule de grandes fêlures. Quand on a découvert son court Le Film de l’été en 2017, road trip qui nous balade sur les autoroutes françaises en été et raconte la relation touchante qui se tisse entre un adulte et un enfant, on a tout suite adoré la patte Emmanuel Marre – avec sensibilité
mais sans mièvrerie, il réussissait à capturer les aspirations et fractures de notre génération désenchantée. Il perfectionne sa méthode grâce au regard de Julie Lecoustre, scénariste qui coréalise avec lui ce premier long. Cette fois-ci, ça se passe non plus sur une aire d’autoroute paumée (Le Film de l’été) ou dans un appartement parisien tristoune (comme dans son autre court D’un château l’autre, réalisé en 2018), mais dans l’immensité du ciel. Le film raconte l’histoire d’une hôtesse de l’air à la fois fêtarde et sérieuse dans son travail – elle bosse dans une compagnie low cost qui, tout en vendant de luxueux rêves d’évasion à ses clients, cache un protocole professionnel si strict qu’il en est parfois glaçant. Uniforme bleu et jaune ultra moulant, rouge à lèvres obligatoirement accordé au vernis, sourire figé… Adèle Exarchopoulos incarne avec une justesse impressionnante Cassandre, qui trouve dans cette vie nomade le contexte idéal pour fuir ses
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propres souvenirs. Évitant l’esthétique carte postale aussi bien que le drame social lourd, le film prête juste attention à ces filles de passage, pas forcément malheureuses mais qu’on oublie facilement au détour des couloirs d’un aéroport ou à la descente d’un avion. Car, même si Cassandre s’abandonne entre deux escales aux soirées alcoolisées, aux coups d’un soir ou aux moments d’ennui, les cinéastes n’associent jamais ce mode de vie particulier (qui alterne tout le temps contrôle absolu de soi et lâcher-prise) au mal-être. Ils ne détournent pas pour autant le regard sur les raisons qui ont amené Cassandre à choisir cette voie. La dernière partie du film donne encore plus d’épaisseur au personnage en lui imposant un repos au sol, plus précisément en Belgique, où elle retrouve sa famille. Tout en décompression, ce chapitre conclut splendidement ce voyage aérien qui sait trouver le juste dosage entre légèreté, exaltation et mélancolie. • J. L.
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Cinéma -----> « Enquête sur un scandale d’État »
LE RÉEL EN JEU
« Si les journalistes, les politiques s’occupent de la fiction, qu’est-ce qui me reste ? »
THIERRY DE PERETTI Après Les Apaches et Une vie violente, deux films intimes et sombres enracinés dans sa Corse natale, Thierry de Peretti fait escale à Paris. Prenant comme point de départ l’enquête au long cours d’un journaliste de Libération et d’un indic infiltré, il s’engouffre dans les réseaux occultes du trafic de drogue français – jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Il signe un film labyrinthique et fascinant qui ne cesse d’élargir le champ pour restituer, par la fiction, un peu de la complexité du réel. 24
En 2016, Hubert Avoine (Roschdy Zem dans le film), ancien indic inflitré de l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants, contacte Emmanuel Fansten (Pio Marmaï), journaliste de Libération. Il lui révèle plusieurs missions occultes qu’il a effectuées pour la police française, et dit notamment avoir été envoyé en Espagne pour garder vingt tonnes de cannabis par le patron des stups de l’époque, François Thierry (Vincent Lindon). Avoine et Fansten commencent ensemble un long travail d’enquête qui sera publié sous forme de livre en 2017 (L’Infiltré, Robert Laffont) et qui a entraîné la mise en examen de François Thierry pour, entre autres, complicité de trafic de stupéfiants. L’affaire est toujours en cours. Pour parler du film vertigineux qu’il en a tiré, Enquête sur un scandale d’État, on a retrouvé Thierry de Peretti dans le décor irréel, sombre et chic, d’un bar de palace parisien. Aux dernières nouvelles, tu travaillais sur un nouveau film dont l’action se situait en Corse, adapté du livre de Jérôme Ferrari, À son image. Que s’est-il passé ? Ah oui, c’est le prochain ! Choisir entre ces deux projets, ça a été un dilemme. Enquête sur un scandale d’État a eu une histoire un peu rocambolesque. C’est une commande,
car on m’a suggéré d’adapter ce livre, L’Infiltré, une enquête journalistique autour des stups, et en même temps ce projet a rejoint l’envie que j’avais depuis longtemps de faire un petit pas de côté par rapport à la Corse, pour dresser un portrait du Paris des années 2010. Donc Paris est quand même là – un Paris post 13-Novembre, post Nuit debout –, mais sans être le sujet central du film. Tu filmes un Paris en chantier, ambivalent et mystérieux. Il y a un plan impressionnant qui part de derrière une palissade pour s’élargir et donner à voir dans le même cadre un terrain vague en travaux et une rue des beaux quartiers. On était tout en haut du palais des congrès et, effectivement, il y avait des travaux et une espèce de béance dans le paysage. Ce mouvement de caméra, c’est un très lent dézoom, très suave, qui permet de situer l’action dans les endroits où ça se passe, c’est-à-dire la porte Maillot, le haut des Champs-Élysées. Ce sont des endroits de Paris que j’aime beaucoup, pas ceux où je passe le plus de temps, mais ceux que je trouve les plus mystérieux, où tu sens que ça traficote, beaucoup plus que dans le centre de Paris qui est totalement gentrifié et assez uniforme. Avec Claire Mathon, qui
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a fait l’image du film, on a cherché plein de façons de filmer Paris dans une idée de circulation – parce que c’était le principe du film, la circulation d’une ambiance à une autre, d’une salle de rédaction à une salle de fêtes – et que ça produise un effet de liberté et aussi d’envoûtement. Quand tu as rencontré le journaliste Emmanuel Fansten et l’indic Hubert Avoine, ils venaient de publier leur livre. Mais ils continuaient à enquêter ? Oui, ils étaient en fusion ! Au début, je devais adapter L’Infiltré, mais je ne voulais pas faire un biopic d’Hubert et prendre tout ce qu’il dit dans le livre pour argent comptant. Quand j’ai rencontré Hubert et Emmanuel, je leur ai dit : « Par contre, si vous me laissez passer du temps avec vous, si vous m’amenez partout, je fais un film sur votre travail d’enquête ». L’affaire m’intéressait parce qu’elle était en cours. Je me suis dit : comment épouser l’espèce de navigation à vue dans laquelle ils sont, donner un peu de ce trajet qu’ils suivent et qui n’est pas tout droit ? Ils m’ont pris avec eux, on a rencontré les juges, les trafiquants… Ils étaient comme un couple, ils passaient leur temps à se disputer, parce que c’était déjà la fin, ils étaient en train de se séparer… [Hubert Avoine est décédé d’un
« Enquête sur un scandale d’État » <----- Cinéma
cancer en 2018, ndlr]. C’était très beau. Et, en même temps, des nouvelles tombaient toutes les deux minutes qui leur donnaient raison, et ils pensaient que ça y était, que tout allait péter, qu’ils allaient faire tomber le système. Et en fait… non. C’est aussi ce qui me touche dans le film : c’est un sujet fascinant mais qui finalement ne va pas non plus faire tomber la République.
dit ; et, pour moi, de trouver une équivalence de cinéma à quelque chose qui s’est passé. Donc c’est une fiction, oui, mais tout ce qui est dans le film est vrai d’une certaine façon. C’est comme ça que je me suis approprié cette histoire, en essayant d’aller plus loin sur ces questions : qu’est-ce qu’on fait avec le réel ? comment on dézoome suffisamment pour voir l’entièreté de la photo ?
La Corse formait l’ancrage profondément intime de tes précédents films. Le fait de t’en éloigner, c’est une manière d’aller plus franchement dans la fiction ? C’est vrai que je me suis dit : comment je fais si je raconte quelque chose qui est beaucoup moins intime pour moi ? Ça devient presque un exercice. Mais je n’aurais pas filmé cette histoire de cette façon-là sans la Corse : il est question de l’État français, de violence d’État, même si ce n’est pas une violence politique comme dans Une vie violente ou Les Apaches. Après, le film épouse vraiment le réel, puisqu’il est construit à partir des vraies interviews qui ont été menées en ma présence par Hubert Avoine et Emmanuel Fansten… Il y a eu une retranscription exacte de ces entretiens, et ces verbatim je les ai confiés aux acteurs. Donc, après, c’est plus la question de l’interprétation, comment les actrices et acteurs vont restituer ce qui a été
C’est aussi un film sur la parole, le story telling : qui raconte quoi, et comment. Parce que pour les gens qui sont dans ces affaires-là, flics, trafiquants, journalistes, procureurs… tout passe par la parole. Chacun dans le film fait un récit et vend quelque chose, le patron des stups, Hubert Avoine, les journalistes qui doivent séduire suffisamment pour que leur sujet se retrouve en une… Il y a pour moi l’envie de superposer ces récits pour commencer à saisir un peu de la réalité des choses. Ça pose aussi la question de comment on feuilletonne aujourd’hui, comment on crée des lignes de tension pour vendre. Et ça, peut-être que je le ramène de Corse, parce que la Corse est un sujet commenté, vu, revu, travaillé par des forces dont la presse se fait les choux gras régulièrement, surtout en matière de criminalité. Ça me trouble, comment la société du spectacle fait injonction. De temps en temps, le journa-
lisme se déplace du côté de la fiction. Dans la façon dont on fait le récit, dont on rythme les choses, dont on les rend attractives, voire addictives. Et, forcément, quand tu es metteur en scène, tu te dis : bon, si les journalistes, les politiques s’occupent de la fiction et de « netflixiser » leurs récits, qu’est-ce qui me reste ? Ça te radicalise presque du côté de l’exactitude de la parole, de comment ça se passe vraiment. En interview pour Une vie violente, tu m’avais parlé d’un racisme cognitif que tu as pu ressentir en tant que Corse… On retrouve ça chez Hubert, non ? C’est un personnage qui a le désir de sortir de l’ombre. Oui, c’est ça. Il y a une blessure profonde chez Hubert, une blessure sociale. On le voit quand il dit au journaliste : « C’est mon histoire que tu prends. » Évidemment, la question du racisme cognitif, je la sens, parce que j’ai l’impression d’être inscrit dans une histoire collective qui n’est pas la même que l’histoire collective tout à fait française. Hubert, c’est un transfuge de classe aussi. Et Roschdy Zem arrive vraiment à faire tinter tout ça, sans qu’il y ait une grande scène qui le raconte, parce qu’il y a une énorme pudeur chez ce personnage. Et en même temps, un narcissisme : il se prend en photo, il se met en avant… Le projet d’Hubert, est-ce
que c’est de sortir de l’ombre ? est-ce que c’est de se venger ? est-ce que c’est de se mettre au service ? C’est certainement un peu tout ça. Ce n’est pas parce qu’il a envie de lumière qu’on doit discréditer sa sincérité à un autre endroit. Mais là où on ne peut pas remettre ce qu’il dit complètement en question, c’est que c’est quelqu’un qui est malade et qui est sur le point de mourir, et qui est engagé à aller au bout. Mais oui, la crise de la fiction, elle passe par lui, qui est inspiré du vrai Hubert, avec qui on a passé beaucoup de temps. Il était comment, le vrai Hubert Avoine ? Il était très fascinant, attachant, et déroutant. Parce qu’il y avait plein de moments où t’avais l’impression qu’il mythonait, et dans la seconde d’après il faisait quelque chose qui te prouvait que non – quand, en Espagne, il discutait avec de gros juges antiterroristes avec un accent espagnol parfait, et qu’il était reçu et pris au sérieux par des gens vraiment importants… Ça m’intéresse beaucoup parce que c’est ce que j’aime en tant que spectateur au cinéma, quand je dois faire des mises au point en permanence sur les personnages. Qu’ils ne soient pas tout le temps prisonniers de mon regard… « Ah oui, je vois quel type de personne c’est ! » Ben non, tu vois bien que tu t’es trompé. Et
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Roschdy Zem
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Pio Marmaï
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« Qu’est-ce qu’on fait avec le réel ? Comment on dézoome suffisamment pour voir l’entièreté de la photo ? »
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après ça, tu te retrompes encore. Parce que les personnes sont plusieurs choses. J’aime beaucoup cette sensation que ton regard de spectateur évolue tout au long du film. Quels enjeux le sujet du trafic de drogue cristallise-t-il ? Le sujet de la drogue est passionnant parce qu’il a à voir avec la criminalité, la police, la justice, le commerce, la grande distribution. Emmanuel et Hubert, quand je les ai vus pour les premières fois et qu’ils me racontaient ce que c’est aujourd’hui le trafic et la lutte contre le trafic, c’était fascinant. Et en même temps, je ne comprenais pas grand-chose. Qu’est-ce que c’est une livraison surveillée ? Les modalités de consommation aujourd’hui ? Pourquoi elles influencent la politique de répression ? Comment la politique se sert de tout ça ? Rencontrer des policiers qui ont bâti la doctrine de la lutte contre le trafic au début des années 2000, c’est intéressant. Jusque-là, la lutte était axée surtout sur l’héroïne, pour des raisons sanitaires. On a tout à fait inversé ça pour réfléchir à partir du facteur violence. Et le trafic de stupéfiants qui génère le plus de violence, c’est le trafic de cannabis, parce que le consommateur de shit est infidèle, ce qui crée des luttes de territoires terribles – on le voit à Marseille. Tout d’un coup on
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s’est dit : c’est le sujet d’avenir, au sens de surface médiatique, c’est à dire que les politiques vont pouvoir s’en servir. Le politique, il va pouvoir venir poser devant les ballots de cannabis saisis. Mais on voit bien que c’est du théâtre, de la fiction. Une saisie de dix tonnes de drogue, tu ne peux pas la faire sans une info qui t’a été donnée par un informateur extrêmement averti, donc partie prenante du trafic. S’il t’a donné cette information, tu l’as remercié en le laissant trafiquer, ce n’est pas possible autrement. Quand on m’explique tout ça, je veux le restituer au cinéma. L’entendre, le raconter, le comprendre, et pas simplement voir trois camions qui passent une frontière. Contrairement à d’habitude, tu n’as travaillé qu’avec des acteurs professionnels. Oui, c’était vraiment important, notamment pour les journalistes de Libération. Je voulais tourner dans les locaux du journal, dans la vraie longueur des comités de rédaction auxquels j’avais assisté, à savoir quarante-cinq minutes, avec tous les départements qui s’expriment tour à tour, police-justice, sport, international, politique, société… Autour de la table, il n’y a que des actrices et des acteurs qui ont une expérience de théâtre, de ce qu’on appelle les écritures de plateau, voire de la mise en
scène. Antonia Buresi, Julie Moulier, Arnaud Churin, Pierre-Alain Chapuis… Je les réunis et je leur dis : voilà, je veux restituer cette chose-là. Je leur confie ça. On distribue les rôles et chacun y va avec son intelligence des enjeux de la scène. Et ensuite, on part pour un petit voyage de quarante-cinq à cinquante minutes sans coupe, ce qui est très rigolo à faire pour tout le monde et crée une intensité, une attention. Ton goût pour le plan-séquence découle de cette façon de travailler avec les acteurs sur le temps long ? J’aime beaucoup être libre dans l’image, que ce qu’on a mis en place vive seul dans la durée pour que nous, avec la caméra, on puisse circuler à l’intérieur. C’est l’idée d’un souffle, je ne me vois pas couper les acteurs, leur dire de reprendre… Pour moi, le plan-séquence, c’est un rapport au présent, il permet au spectateur d’être dans le même temps que le film. Tu avais des films en tête pour tourner Enquête sur un scandale d’État ? Depuis Mediapart de Naruna Kaplan, un documentaire qui a été fait par une jeune cinéaste sur Mediapart, entre les deux tours de la dernière élection présidentielle. C’est dément. La sociologie de Mediapart, c’est
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pas du tout celle de Libé. La série The Wire, surtout la dernière saison. Les films de Francesco Rosi Lucky Luciano, Salvatore Giuliano, et Main basse sur la ville, des films d’enquête qui tentent de mettre au jour quelque chose de la société, d’un moment de l’histoire de l’Italie, à travers un personnage de mafieux. Et en même temps, ce sont des films totalement envoûtants. Et donc, le prochain film ? À son image. Il est écrit, et on va rentrer en financement bientôt. Et je développe aussi une série, que j’écris avec Jeanne Aptekman et Emmanuel Bourdieu. Une anthologie de la criminalité organisée, de 1930 à 2022, à Marseille, à Paris, en Corse, essentiellement. C’est un projet historique et très, très documenté sur les liens scélérats entre la politique et le crime. Enquête sur un scandale d’État de Thierry de Peretti Pyramide (2 h 03), sortie le 9 février PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS
DHARAMSALA PRÉSENTE
GÉRARD DEPARDIEU
DÉBORAH LUKUMUENA
PHOTO JÉRÔME PRÉBOIS
UN FILM DE
CONSTANCE MEYER
LE 2 MARS AU CINÉMA
Cinéma -----> « Viens je t’emmène »
PEUR SUR LA VILLE
« Le film est une recomposition de la France à l’échelle d’un immeuble. »
ALAIN GUIRAUDIE Le réalisateur de L’Inconnu du lac et de Rester vertical délaisse les causses sauvages pour un film urbain. Situé à Clermont-Ferrand, Viens je t’emmène suit un type lambda (Jean-Charles Clichet) qui s’amourache d’une prostituée (Noémie Lvovsky) et rencontre un jeune SDF (Iliès Kadri) alors qu’un attentat propage la paranoïa dans la ville. On est allés y rencontrer Alain Guiraudie pour parler de ce grand film sur l’époque.
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Pourquoi Clermont-Ferrand ? C’est la première question qu’on a posée à Alain Guiraudie, une fois attablés dans une brasserie donnant sur la cathédrale gothique Notre-Dame-de-l’Assomption – on y a partagé non pas une truffade (la spécialité du coin) mais une grosse choucroute. La ville cerclée de montagnes est presque l’héroïne de son fascinant sixième long métrage, Viens je t’emmène, et elle est aussi un lieu important de son dernier roman en forme de longue dérive, Rabalaïre (paru à l’été 2021 chez P.O.L). Le sympathique et énigmatique cinéaste albigeois ne nous a répondu qu’à moitié, nous parlant de la pierre noire des bâtiments, des perspectives sur les massifs, de l’hiver qu’il voulait y capter, du quartier de la gare presque à l’abandon. Il est aussi resté vague sur ce qu’il y faisait mi-janvier, quand on est venus l’interviewer et le prendre en photo dans les rues, devant la statue de Vercingétorix, là où dans le film ont lieu des attentats qui plongent les habitants dans la para-
noïa. Et ça n’a fait qu’amplifier pour nous le mystère de Clermont-Ferrand – on n’aurait jamais pensé écrire ça –, où l’on espérait peut-être rencontrer la même galerie de personnages à la fois étranges et familiers que dans son film. Pourquoi avoir choisi Clermont-Ferrand comme décor ? Il y a une configuration qui me plaît. La place de Jaude [centrale, la plus connue de la ville, ndlr], la statue de Vercingétorix, la pierre noire… C’était le cœur de la Gaule aussi, il y a un côté « France éternelle ». Ce n’est pas une grande ville, c’est le centre de la France, on n’attend pas forcément des attentats ici. Comment l’avez-vous découverte ? J’étais jeune, j’étais venu voir un concert de Téléphone. Je me rappelle une nuit blanche à la gare. Plus tard, je suis revenu plusieurs fois pour le festival du court métrage. Ça fait une dizaine d’années que j’explore
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vraiment Clermont-Ferrand, c’est une ville à laquelle je suis attaché. Vous faites ressortir toute son étrangeté. Quelles discussions avez-vous eues avec Hélène Louvart, votre chef opératrice, concernant la façon de filmer la ville ? C’est toujours étonnant la manière dont on appréhende les lieux avec un film. Je ressors quand même assez frustré de ce que j’ai filmé ici. Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir montré la ville, je n’ai pas le centre, ni son côté sombre, avec la pierre noire de Volvic dans les bâtiments. Grosso modo, la priorité, c’était de trouver un immeuble pour Médéric, le héros, et ses voisins. C’est mon premier film hivernal, quasiment le seul de ma filmographie. On est quand même beaucoup à l’intérieur en hiver. À moins de faire un film d’aventures, c’est difficile de filmer l’extérieur, alors que moi j’adore ça. D’ailleurs, c’est mon seul film entièrement en ville. L’idée, c’était de dessiner une géographie, qui peut être mentale, en s’appuyant
« Viens je t’emmène » <----- Cinéma
sur des lieux forts – je pense que c’est plus intéressant que de se disperser. Pour en revenir aux discussions avec Hélène Louvart, ça concernait beaucoup les questions de découpage, sur papier puis dans les décors. On fait le cadre ensemble. La lumière, je délègue vachement, c’est sa partie. Dans l’entretien que vous nous aviez donné lors du premier confinement, au moment où le tournage de Viens je t’emmène était en suspens à cause de la pandémie, vous nous parliez du fait que l’époque vous semblait difficile à lire, à comprendre, ce qui transparaît ici à travers la confusion ressentie par le héros. Vous l’avez pensé comme un alter ego ? Oui. Après, il est un peu éloigné de mon monde, c’est moins un alter ego que Léo dans Rester vertical [sorti en 2016, ndlr]. Le film fonctionne beaucoup sur la confusion ambiante, le complotisme aussi, une période un peu trouble où, parfois, les gens ne correspondent pas à l’idée qu’on se fait d’eux, et d’autres fois ils sont tout à fait raccords avec ces idées préconçues. Les personnages sont tous écrits comme des archétypes sociaux très singuliers. Le film est vraiment parti de ça, de l’idée de faire
un long métrage sur cette espèce de bordel qu’on a du mal à appréhender. Moi, j’ai du mal à savoir où va tout ça. Certains de ces personnages se retrouvent avec d’autres noms dans Rabalaïre, votre roman d’à peu près mille pages paru à l’été 2021. Comment l’écriture du livre et celle du film se sont-elles nourries ? Les deux projets ont été menés en parallèle, mais dans Rabalaïre j’ai pensé les personnages totalement différemment. On retrouve des trucs : les voisins du livre peuvent faire penser à ceux du film, mais ce n’est quand même pas la même chose, aucun personnage ne s’appelle pareil, et les récits sont différents. Dans Viens je t’emmène, on reste à Clermont-Ferrand tout le temps, alors que, dans Rabalaïre, on va ailleurs. Dans les deux œuvres, il y a cette idée de mouvement. Dans le film, le héros court ; dans le livre, il fait du vélo. Comme dans tous mes films ! Je ne sais pas pourquoi. C’est aussi un prétexte pour découvrir des paysages, être dans la nature, dans la vie. Moi, je marche. À une époque je courais, mais jamais en ville. J’aimais bien ça, comme j’aime toujours faire du vélo.
Pour vos personnages, on a l’impression que c’est un moyen de faire des rencontres. Vous rêvez à de nouvelles formes de rencontres ? C’est vrai que c’est une façon de partir à la découverte d’un monde. C’est le bon rythme. Après, il y a d’autres façons de faire des rencontres qu’en faisant du vélo. Dans Viens je t’emmène, il court, mais c’est plus pour se défouler, peut-être pour calmer sa libido aussi. On ne va pas faire un footing pour rencontrer des gens. Je trouve juste que c’est plus intéressant de filmer quelqu’un qui court que quelqu’un qui est assis à attendre que ça se passe. Le héros est aussi sommé par son entourage de se mettre au travail. Lui est un peu en résistance par rapport à ça. Qu’est-ce que ça dit de lui ? Il est dans une période où il cherche un peu du boulot, il est au chômage, il a un peu de temps, il a de quoi voir venir. Il veut bosser mais il voudrait que ça ne commence pas tout de suite. C’est vrai que mes héros travaillent rarement. Même quand ils bossent, c’est souvent hors champ. On est plus dans des moments de loisirs ou d’oisiveté. Le film où j’ai le plus filmé quelqu’un au travail,
c’est Ce vieux rêve qui bouge [un moyen métrage sorti en 2001 sur les ouvriers d’une usine en déclin, ndlr]. Dans Rabalaïre, le héros ne veut plus vraiment aller militer. Pour vous qui avez été dans la lutte communiste et qui avez milité aux côtés des « gilets jaunes », à quoi correspond ce désinvestissement ? Il y a une grosse flemme sociale, qui est plus explorée dans Rabalaïre. Pareil, le héros est en recherche d’emploi, mais il passe plus de temps à draguer. Il a cette angoisse de devoir chercher du boulot. Je n’ai pas vraiment milité avec les « gilets jaunes », j’ai été à quelques manifs, mais même pas dans les cercles de discussion sur Facebook. Il y a un truc qui me plaît, mais aussi un truc qui m’exaspère chez eux. C’est ce refus de structuration, et même de réflexion idéologique. En matière d’efficacité, le communisme ou le mouvement syndical me paraissent beaucoup plus intéressants. Sauf pour les manifs. J’y allais causer avec des gens avec lesquels je n’étais pas forcément d’accord, qui peuvent être pour une société égalitaire, pour le partage des richesses, mais qui se retrouvent parfois à voter François Fillon ou Marine Le Pen et, bientôt, Éric Zemmour.
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Cinéma -----> « Viens je t’emmène »
Hier, je me suis pris la tête avec un balayeur de la mairie antivax et hyper complotiste, capable de remettre en cause Tchernobyl. C’est pas mal aussi, parfois, d’aller au contact de cette réalité-là. Pour terminer sur le roman, ça parle plus d’un mec qui est en train de quitter sa vie, d’aller vers un ailleurs, et qui a la flemme de discuter. C’est un problème de communication, la peur de ne pas être compris, de ne pas bien expliquer. Cette figure du héros moyen rencontrant plusieurs strates de la société, ce qui le force à se poser des questions, fait un peu penser à Vernon Subutex, la trilogie romanesque de Virginie Despentes. Il a une naïveté aussi, c’est important chez le héros, c’est peut-être ça qui permet l’identification. Il pose certaines évidences sur la table, comme il les remet en cause. Vernon Subutex, je n’y ai absolument pas pensé. C’est quand même une vraie photographie de la France contemporaine, il y a quelque chose de très conforme à la réalité, et puis c’est Paris. Je pense plus à
John Ford ou John Carpenter qu’à Virginie Despentes quand je fais un film, mais ça ne m’empêche pas d’apprécier ce qu’elle fait. Je trouve que je suis plus dans l’abstraction. Honnêtement, la pute blanche de plus de 50 ans qui tapine dans Clermont-Ferrand [il fait référence au personnage d’Isadora, joué par Noémie Lvovsky, ndlr], je ne sais pas si ça existe encore. Maintenant, elles doivent être plus sur le Net. Et puis son mari, Gérard [Renaud Rutten, ndlr], qui est une sorte de mac à l’ancienne… Le film est plus une recomposition de la France à l’échelle d’un immeuble, d’une ville de taille moyenne. Il y a des choses qui rappellent la réalité, mais, pareil, les jeunes qui attaquent l’immeuble de Médéric parce qu’on leur a piqué une savonnette de shit, je ne sais pas si ça existe dans le centre-ville de Clermont. Pourquoi avoir justement un peu brouillé les pistes sur l’époque du récit ? J’ai un truc avec la France d’avant et la France d’aujourd’hui. Je fais des films avec ma nostalgie des années 1970-1980. Le per-
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sonnage d’Isadora, il vient de là. Ça fait un peu référence à La Balance de Bob Swaim, ce film avec Philippe Léotard et Nathalie Baye, qui a cartonné au début des années 1980. Pareil, c’était l’histoire d’une pute et d’un mac qui n’en était pas vraiment un, c’était son copain. Il a des embrouilles avec la police, les flics se servent de lui, essayent de lui foutre la pression pour qu’il balance des malfrats. On se demandait d’où venait ce personnage de femme de plus de 50 ans, il n’y en a pas eu tellement dans le reste de votre filmographie. Ça vient surtout de l’envie de parler de la prostitution, des femmes de plus de 50 ans. Aussi en réaction à Yann Moix avec sa sortie sur les femmes de 50 ans qui ne seraient plus baisables [en 2019, dans une interview à Marie Claire, l’écrivain et chroniqueur avait déclaré : « Je suis incapable d’aimer une femme de 50 ans. […] Je trouve ça trop vieux », ndlr]. Je peux me retrouver dans le désir qu’a Médéric pour cette femme mûre, et c’est aussi un projet politique de ma part de faire des femmes de plus de 50 ans un objet de désir.
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En entretien pour Rester Vertical, vous nous aviez dit que vous filmiez pour affronter vos peurs comme les nouveau-nés, le loup, le
cette paranoïa collective, et, en même temps, je cherche à trouver ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous éloigne. Le personnage de Sélim (joué par Iliès Kadri, lire p. 10), qui vient squatter le hall de l’immeuble de Médéric, incarne beaucoup de peurs françaises actuelles : l’Arabe, le musulman, l’homosexuel, le jeune, le migrant, le SDF. Comment l’avez-vous pensé ? Sélim est un objet de crainte et d’inquiétude, mais c’est aussi un objet de désir. L’« autre », c’est ça. L’Arabe, c’est un fantasme sexuel qui nous vient de notre rapport à la colonisation, qui a été cultivé pendant ces années-là. Sélim ne fait rien pour arranger son image « menaçante ». Il essaie de se démerder du mieux qu’il peut pour ne pas dormir dehors, pour bouffer, pour arriver à lire ses e-mails, mais il refuse de se lever le matin chez Médéric, il traîne avec les jeunes à capuche autour de l’immeuble… Avec sa naïveté de jeune mec, il n’a peut-être pas conscience de tout ce qui se passe autour de lui. J’ai beaucoup pensé à moi étant jeune, j’aurais pu rôder autour du domicile d’un mec plus âgé, plus installé dans la vie, parce que je l’aurais croisé dans la rue et qu’il m’aurait plu. Et, ce qui est intéressant avec Selim, c’est que lui aussi est désirant, il n’est pas un mec qui ne fait que passer.
« Je cherche à trouver ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous éloigne. »
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sexe des femmes. Avec ce film, vous vouliez affronter des peurs plus globales ? Oui. Les attentats ont quand même beaucoup occupé nos esprits, je me demande si ça ne les occupe pas encore. Notre regard sur les musulmans, même le mien, a été affecté. Ça s’est calmé, c’est un peu plus rentré dans l’ordre. Mais il y a encore toute une France politique qui surfe là-dessus, sur le soi-disant « choc des civilisations », le « grand remplacement »… des fantasmes qui ne datent pas d’hier. Ça a repris beaucoup de force avec les attentats. J’ai fait le film sur
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Dans le climat d’extrême tension que vous dépeignez, les personnages cherchent surtout à faire l’amour. Comment cette quête du plaisir s’intrique avec l’époque hyper anxiogène, selon vous ? C’est un des points clés de l’époque. On est tous à courir après notre désir et notre plaisir, alors que la planète est menacée, les espèces animales disparaissent, et, nous-mêmes, on ne sait pas trop ce qu’on va devenir. La jeunesse actuelle est quasiment sûre de suffoquer ; à l’horizon 2050, l’oxygène risque de se raréfier. Je trouve que la conscience de la
« Viens je t’emmène » <----- Cinéma
possible disparition de l’humanité n’a jamais été aussi forte – peut-être qu’ils l’ont eue en l’an mille, au moment où il y a eu des croyances millénaristes, où ils s’imaginaient des choses terribles. Jamais on n’a autant couru vers la jouissance, que ce soit par le supermarché, par les fringues ou par le sexe. Le film attaque sur cette idée : il y a un attentat, mais Médéric ne songe qu’à tirer son coup, à aller jusqu’au bout. Après, il n’a pas tort, ça ne changera rien qu’il s’arrête. Il y a un personnage sur lequel Médéric s’interroge beaucoup, c’est Charlène, une stagiaire de troisième dans un hôtel miteux où il retrouve Isadora. Elle paraît à la fois manipulée et exploitée par le gérant. Vous projetiez vos propres questionnements sur la jeunesse d’aujourd’hui ? Je voulais montrer une jeune fille noire qui se démerde tant bien que mal, qui en veut. Il y a quelque chose comme ça dans la jeunesse française : elle n’a pas peur de se faire arnaquer, elle est persuadée que ça va l’amener quelque part. Jusqu’au moment où ça fait chier de se faire arnaquer, il ne faut pas que ça dure toute la vie. J’aimais bien aussi ce côté sérieux, qui prend son travail de standardiste hyper à cœur alors que c’est dans un hôtel complètement minable. Quand elle a une idée en tête, elle y va, et elle est beaucoup du côté d’Isadora aussi. Je parlais de la France d’hier avec Isadora et son mari, Gérard. Disons qu’avec Charlène et Sélim on est plus dans la France de demain. C’est votre sixième long métrage. Quel regard rétrospectif portez-vous sur votre carrière, et quelles sont vos envies ? J’ai très envie de faire d’autres trucs que du cinoche : de la mise en scène, du théâtre, des expos photo… Je fais de la photo depuis pas mal de temps, je prépare ma deuxième expo à la galerie Crèvecoeur, à Paris. Et puis j’ai écrit un scénario, tiré d’une histoire de Rabalaïre, dont je viens d’achever une première version. Après, je me pose la question d’un cinéma plus social. Je me dis qu’il n’y a pas de représentation du monde ouvrier. On parlait de réalisme avec Despentes, je me pose la question de revenir à quelque chose comme ça. Je n’ai pas l’impression de refuser le réel, je me le coltine, mais je suis plus dans le dialogue entre idéal, réel et utopie. Je nourris des velléités du côté du documentaire.
« U N F O R M I DA B L E F I L M S U R L A PA S S I O N A M O U R E U S E » Télérama L E S F I L M S D E L’A P R È S - M I D I ET D U L A C D I S T R I B U T I O N PRÉSENTENT
S WA N N A R L A U D EMMANUELLE DEVOS
VOUS NE DÉSIREZ QUE MOI UN FILM DE
CLAIRE SIMON
Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie, Les Films du Losange (1 h 40), sortie le 2 mars PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET & TIMÉ ZOPPÉ Photographie : Paloma Pineda pour TROISCOULEURS
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Jean-Charles Clichet et Noémie Lvovsky
2 Noémie Lvovsky et Jean-Charles Clichet
LE 9 FÉVRIER AU CINÉMA
3 Jean-Charles Clichet 4 Iliès Kadri et Jean-Charles Clichet
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Cinéma -----> « Entre les vagues » et « Robuste »
FIÈRE ALLURE
« Le corps, c’est très important pour moi, tout passe par ça. »
DÉBORAH LUKUMUENA Depuis Divines, film qui l’a propulsée sur le devant de la scène en 2016, Déborah Lukumuena se construit une carrière exigeante, sur les planches et devant la caméra. Au cinéma, on la retrouve à l’affiche d’Entre les vagues d’Anaïs Volpé et de Robuste de Constance Meyer, dans lesquels elle campe deux jeunes femmes à poigne. Portrait d’une comédienne qui, comme ses personnages, sait ce qu’elle vaut. Confortablement assise sur un siège de la grande suite de l’Hotel Paradiso, dans le XIIe arrondissement parisien, elle a le port royal, élégant, et le regard doux, amical. Déborah Lukumuena, 27 ans, place tranquillement ses pions dans le cinéma français, après y être entrée de façon remarquée. Elle a remporté en 2017, à seulement 22 ans, le
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César de la meilleure actrice dans un second rôle pour son personnage de Maimouna, une ado touchante de naïveté qui soutient l’ambitieuse Dounia (Oulaya Amamra) dans Divines (2016) d’Houda Benyamina. En plus d’être la première femme noire à repartir avec ce prix, elle en est à ce jour la plus jeune lauréate. Sur scène, éclatante dans sa robe orange pétant face à des personnalités qui ont déjà leur rond de serviette, elle lance une déclaration d’amour : « Je ne sais pas si le cinéma m’aime, mais moi je l’aime terriblement, et [ce que] vous me donnez, ça me prouve que, peut-être, je peux prétendre à cet amour. » Cinq ans après, l’actrice se souvient : « C’est fou parce que, déjà, à ce moment-là, je me dis que ça ne veut pas forcément dire que ça va péter après. T’as ce film qui perce, une salle entière qui t’écoute pendant trois minutes, mais t’es petite. Je sentais une forme de fébrilité. Aujourd’hui, j’ai un autre rapport à la parole. » Si sa voix s’est affirmée avec le temps, c’est par la lecture que Déborah Lukumuena s’est d’abord construite.
CORPS ET ÂME Elle naît à Villeneuve-Saint-Georges en 1994 dans un milieu populaire, puis grandit à Épinay-sous-Sénart, dans le 91, avec sa mère, ses deux frères et ses trois sœurs. Tous les mercredis et samedis après-midi, elle les passe entre les murs rassurants de la bibliothèque Jules-Verne. « J’ai tout de suite engagé
une relation très intime avec les mots. La littérature était une forme d’échappatoire. » S’ensuit l’obtention d’un bac littéraire et des études de lettres modernes à Paris-IV, pour devenir prof de français. Sa rencontre avec Pouchkine, Tchekhov et surtout Rabelais a été déterminante. Elle a trouvé dans le personnage de Gargantua une sorte d’alter ego. « Le gigantisme, ça m’a toujours passionnée. Peut-être parce que moi-même j’ai des dimensions physiques hors norme. Il y a aussi le côté épicurien, l’idée de dévorer la vie. » Son corps, elle en a une maîtrise parfaite. Elle le prouve dans Robuste de Constance Mayer, dans lequel elle campe Aïssa, une agente de sécurité qui fait de la lutte et est chargée de protéger une ancienne gloire du cinéma (Gérard Depardieu). « On ne m’imagine pas dans des rôles aussi dynamiques. Mais le corps, c’est très important pour moi, tout passe par ça. L’idée, dans Robuste, c’était de savoir comment créer une harmonie entre ces deux physiques massifs, de trouver la grâce qui s’en détache. Je trouve ça super beau. » Dans des scènes qui se passent de mots, les face-à-face corporels entre les deux acteurs sont saisissants : une alchimie mystérieuse se crée. Il faut dire que l’actrice a le goût du secret.
JARDINS SECRETS À la fac, elle se lasse et se met à regarder la série Les Tudors, qui prend place dans
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la cour royale d’Angleterre au xvie siècle. La prestation de Jonathan Rhys-Meyers, qui incarne le roi Henri VIII, l’impressionne. C’est le déclic. « Le fait que cet acteur, brun, pas bien grand et athlétique, n’ait rien à voir avec le vrai Henri VIII, qui était grand, gros et roux, et que pourtant on y croit, ça m’a fait me passionner pour le métier de comédien. Je connaissais cette série par cœur, je me rejouais des scènes devant mon miroir. » Elle se met à chercher en catimini des annonces de figuration sur Internet, jusqu’à ce qu’elle tombe sur une description : on recherche une jeune femme noire, avec des rondeurs, qui a entre 16 et 20 ans. Sans trop y croire, elle envoie un mail. Elle est rappelée deux semaines plus tard. On l’informe que le casting durera neuf mois. La réalisatrice Houda Benyamina teste son endurance. Au bout du processus, un coup de fil : « Je cours prendre l’appel dans la salle de bains et on me dit que j’ai décroché le rôle. Ma mère était vexée au départ que je lui cache tout ça, mais finalement elle l’a bien pris. » Après cette expérience magique mais épuisante, l’actrice débutante est donc couronnée de succès. Pourtant, une fois son César en poche, elle suscite l’étonnement en s’inscrivant au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, dont elle est sortie en 2019, juste avant le début de la pandémie. « Le Conservatoire, ça a été difficile, mais ça m’a sauvée, parce que ça m’a permis de redevenir une élève normale, d’avoir de la discipline au milieu de cette célébrité. »
« Entre les vagues » et « Robuste » <----- Cinéma
Elle acquiert alors de l’expérience, prend confiance, trouve sa voie, conditionne ses choix. En 2018, on la voit dans le film engagé Les Invisibles de Louis-Julien Petit, avec Corinne Masiero. Une comédie dont le sujet – des femmes qui vivent dans la rue et s’entraident – s’inscrit dans la trajectoire féministe et progressiste qu’elle entend emprunter et dont elle ne veut pas dévier.
JEU DE DAMES Au théâtre ou au cinéma, elle s’investit dans des rôles de femmes vives, qui osent se mettre à nu. Dans la pièce Anguille sous roche, mise en scène par Guillaume Barbot en 2019, elle incarne une jeune femme qui se noie dans l’océan Indien et qui, dans une dernière pulsion de vie, fait revenir à la surface, sous la forme d’un puissant monologue, des événements et personnages de sa vie. Elle a aussi participé à la série H24, un manifeste en vingt-quatre courts sur les violences sexuelles et sexistes subies par les femmes, diffusé sur Arte fin 2021. Tandis que, dans Entre les vagues d’Anaïs Volpé, elle incarne l’extravagante Alma qui, pétrie de rêves de théâtre, s’accroche à ses ambitions et entraîne son amie Margot, jouée par Souheila Yacoub. À l’écran comme dans la vie, elle trouve dans ses amitiés féminines la force de « dépasser les épreuves de la vie » mais aussi d’imposer son individualité, très façonnée par sa double culture franco-congolaise (ses parents sont arrivés en France dans les années 1980). Sa page Instagram en est une parfaite illustration : en dehors des photos d’elle et de ses amies dans de beaux habits, on trouve une vidéo pour Brut où elle récite un extrait d’Afropea de l’écrivaine franco-camerounaise Léonora Miano, ou un livre de l’artiste et photographe afro-américaine Deana Lawson. « Le faire d’être noire, c’est une partie intégrante de moi. La culture congolaise, je l’ai toujours gardée, elle a une influence sur ma manière de bouger, de parler. Je ne sais pas bien encore comment l’expliquer, mais je sais qu’avoir deux cultures me fait du bien. » On sent chez elle un grand désir de casser les barrières. L’actrice, fan de l’audace d’un Yórgos Lánthimos (elle a adoré son film La Favorite), se prépare à passer derrière la caméra pour réaliser un court qu’elle a écrit et dans lequel elle va jouer. L’histoire d’une jeune fille qui travaille dans un restaurant de tacos et se lie d’amitié avec une livreuse Uber Eats. Cette dernière, qui est aussi dominatrice SM, l’immisce dans son milieu, le temps d’une nuit. Déborah Lukumuena nous le confirme : dans les années à venir, elle compte bien surprendre, explorer des facettes plus sensuelles de sa personnalité. La Maimouna innocente de Divines paraît déjà très loin. Entre les vagues d’Anaïs Volpé, KMBO (1 h 40), sortie le 16 mars • Robuste de Constance Meyer, Diaphana (1 h 35), sortie le 2 mars
UN FILM DE
EMMANUEL MARRE
ET
JULIE LECOUSTRE
PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS
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Cinéma -----> « Nous»
MO
C TS
É S S I O R
« Quelqu’un vit et dort ici, au voisinage immédiat des voitures, des piétons, dans le grondement ininterrompu du périphérique. Quel monde habitons-nous ? » Pierre Bergounioux, Carnets de notes. 2011-2015 (2016)
© D. R.
« À l’origine, je voulais adapter les Carnets de Pierre Bergounioux [essayiste français, qui fait une apparition dans Nous à l’occasion d’une lecture de ses textes chez lui, ndlr]. Il y regarde le non-événement, décale son regard pour raconter des endroits oubliés. Pour moi, qui viens de la sociologie, cette approche littéraire me semblait beaucoup plus sensible. Ce qui est beau, c’est la façon dont il révèle des choses invisibles par des menus détails : se souvenir de l’histoire amoureuse qu’on vit depuis quarante ans avec la même femme, observer ses contemporains à Auchan faire leurs courses… »
ALICE DIOP Dans Nous, la réalisatrice de La Permanence et de Vers la tendresse part à la rencontre des habitants de la banlieue parisienne, le long de la ligne du RER B. Exploration sociologique d’une France oubliée et plurielle, son documentaire est aussi une façon de rassembler les traces disparues de son enfance à Aulnay-sous-Bois et l’héritage de ses parents sénégalais. Dans un café de Montreuil, à côté du studio où elle monte son premier long métrage de fiction, Saint-Omer, Alice Diop a réagi à quelques citations qui résonnent étroitement avec sa façon, à la fois pudique et courageuse, de filmer les êtres.
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« II aimait la fragilité de ces instants suspendus, ces souvenirs qui n’avaient servi à rien qu’à laisser, justement, des souvenirs. II écrivait : “Après quelques tours du monde, seule la banalité m’intéresse encore.” » Chris Marker, Sans Soleil (1983)
« J’ai l’impression que c’est la note d’intention de mon film ! Tout est là. La première page des Passagers du Roissy-Express de François Maspero [écrivain français dont le journal de bord urbain, paru en 1990, a inspiré Alice Diop pour le film Nous, ndlr] est quasiment le prolongement de cette phrase. Il explique qu’il a été partout, mais qu’il serait incapable de raconter ce qu’il y a au-delà de la vitre du RER B qu’il prend pour aller à Roissy. Pour lui, le voyage est au bout de la rue, et de soi. Être poète, c’est regarder ce qu’il y a juste à côté, résister à l’exotisme du voyage au cours duquel on ne voit rien. Je retrouve beaucoup cette idée dans l’émotion très instinctive de Sans Soleil, qui me submerge. »
« Il n’y a rien à ressasser disait mon père, il n’y a rien à dire disait ma mère, et c’est sur ce rien que je travaille. » Chantal Akerman dans un épisode de l’« Atelier de création radiophonique » intitulé « Auto radio portrait », sur France Culture en 2007
« Dans son audace formelle, son articulation entre question intime et politique, corrélée à l’invention de formes toujours renouvelées, sa façon de supprimer la hiérarchie entre le documentaire et la fiction, Chantal Akerman me montre sans cesse la voie. Je pense aussi à son travail sur la mémoire, la silenciation de l’expérience concentrationnaire [ses grands-parents, juifs polonais, ont été déportés à Auschwitz, ndlr]… Je prends cette citation à mon compte, dans le sens où mon travail explore le ressassement. Tous mes films répètent la même chose, mais tant que rien ne bougera je serai condamnée à trouver une forme différente pour la redire, ce qui me pousse à progresser dans l’exploration formelle. Chez Akerman, je vois aussi cette idée de faire parler ceux qui pensent n’avoir rien à dire. Son “il n’y a rien à dire” signifie : “Nous n’avons rien à dire d’important car nous ne sommes rien, notre récit n’est pas glorieux, ni épique, c’est celui des vaincus.” J’ai moi-même grandi avec ce sentiment que mon histoire n’était pas digne, légitime. Je suis orpheline de ces images, de ces traces manquantes, et je suis devenue cinéaste pour combler cette frustration. »
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche ; ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » Aimée Césaire, Cahier d’un retour au pays natal (1939)
« Que dire de plus ? Quand la puissance de la langue rejoint la rage et la charge politique… Si mes films étaient à la hauteur de cette phrase, j’aurais rempli ma mission ! Dans sa prose d’orfèvre, il y a une charge émotionnelle qui incite à l’action. Quand je lis Discours sur le colonialisme ou Cahier d’un retour au pays natal, ça me réchauffe, me répare, me révolte, m’incite à me mettre en mouvement. Cette phrase est un manifeste qui contient une rage créative et transformatrice. »
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« Qu’est-ce qu’un citoyen qui doit faire preuve, à chaque instant, de sa citoyenneté ? » Pierre Bourdieu, Le Nouvel Observateur, 8 octobre 1997
« Cette phrase me rappelle une anecdote. Elle n’est pas totalement à la source de Nous, mais a rendu plus profonde la nécessité de faire ce film, lui a donné une verticalité. Au moment de la déflagration de l’attentat contre Charlie Hebdo, je suis allée à la marche du 11 janvier, et j’ai vécu une agression raciste. Dans le métro, il n’y avait que des Blancs, des gens dont je présupposais qu’ils appartenaient à une classe sociale homogène, bourgeoise et intellectuelle. En même temps, on sentait déjà la pénétration de l’extrême droite. J’ai eu l’intuition d’être entourée de gens qui n’étaient pas mes alliés politiques. J’ai bousculé une femme qui m’a dit : “Vous ne pouvez pas faire attention, espèce de sauvage ?” Quelques minutes après, les gens chantaient La Marseillaise par salves, et on m’a dit : “Vous ne chantez pas La Marseillaise ?” Comme une injonction à prouver que j’étais bien française, comme s’il fallait que j’atteste que j’étais là pour les bonnes raisons. Chacun marchait en faisant le constat d’une même chose, mais à des endroits totalement diffractés, opposés. Le lendemain, Libération titrait : “Nous sommes un peuple.” Est alors née cette question : “Que désigne ce ‘nous’ ?” Parfois, on dit “nous” sans savoir que ce “nous” est tout petit, qu’il exclut beaucoup de gens. Ce serait quoi, dire “nous” en partant de mon noyau, à partir de mon corps, mon passé ? Cette citation très ironique de Bourdieu me renvoie violemment à l’idée d’une citoyenneté qui doit se justifier, faire acte de foi. Or, pour moi, être citoyenne, c’est devenir cinéaste, exiger que l’égalité républicaine vantée à longueur de messages politiques ne soit pas qu’un concept abstrait. Mettre en lumière une expérience de vie minoritaire, raconter ce qu’est être français quand on a grandi en banlieue, quand on est une femme, qu’on est musulman, qu’on a grandi dans des quartiers relégués. Tout cela, c’est raconter la manière dont on perçoit sa citoyenneté dans la négation, dans ses droits bafoués, avec ce qui lui manque. Faire le récit des lacunes de notre citoyenneté, c’est justement exiger qu’elle soit entière. »
« Nous » <----- Cinéma
NOLITA présente
Un film de Jean-Pierre POZZI
« On m’a parlé de peuples et d’humanité. Mais je n’ai jamais vu de peuples ni d’humanité. J’ai vu toutes sortes de gens, étonnamment dissemblables. »
« Dans cette citation, j’entends la négation de toute forme de généralité, de lieu commun réducteur. Le “peuple” est un mot magnifique qui a été galvaudé, pour devenir un mot-valise, creux. Au lieu d’un peuple, je vois plutôt des individus, qui forment un agrégat de singularités. Il en est de même lorsque l’on parle de “migrants”. C’est une facilité de langage, qui nous permet de ne pas éprouver l’émotion d’une histoire individuelle, susceptible de percuter la nôtre, de mettre en échec nos fantasmes et ce confort de pensée qui consiste à dire que le migrant c’est l’autre. Ce terme de “migrant” permet de ne rien voir, protège d’un éventuel doute, d’un vacillement de la pensée. Car, quand on est ému, la pensée peut basculer. Ce discours théorique qui dit “on ne peut pas accueillir la misère du monde” peut tout à coup bégayer à l’aune d’un récit intime qui ouvre une brèche dans nos présupposées politiques bornées. Levinas disait : “On ne peut pas tuer un homme quand on le regarde dans les yeux.” Reconnaître l’humanité dans le visage de l’autre, c’est ne pas pouvoir le tuer… Poser des corps là où ne subsistaient que des images homogènes de ce qu’est la banlieue, c’est une manière de proposer des récits dissonants et dissidents par rapport aux images dominantes, rassurantes, qui nous protègent de la considération des autres. Le cinéma permet de considérer des choses que, par confort, on voudrait ne plus avoir à regarder. » Nous d’Alice Diop, New Story (1 h 57), sortie le 16 février
PROPOS RECUEILLIS PAR LÉA ANDRÉ-SARREAU © Sophie Bassouls ; © Collection Christophel – Paradise Flms Unite Trois ; © Bernard Lambert ; © D. R. ; © D. R. ; © The Granger Collection, New York – The Granger Collection Coll. Christophel
Avec la participation de
Mathieu SAPIN • Julien DRAY • Philippe MOREAU-CHEVROLET • Gérard COLÉ • Laure ADLER D’après une idée originale de Julien DRAY
Écrit par Julien DRAY, Jean-Pierre POZZI et Mathieu SAPIN Image Jean-Pierre POZZI 1ers assistants opérateur Andrés MENDOZA Victor CASTILLO Son Florent RAVALEC Alexandre GALLERAND Alexandre HERNANDEZ Direction de la post-production FLAMINGOZ Aurélien ADJEDJ L’APPART THE DESK Benoit DEGORNET Montage Cyril BESNARD Mixage Mathieu FARNARIER Musique originale Alexis RAULT Produit par Mathieu AGERON Maxime DELAUNEY Romain ROUSSEAU Une coproduction NOLITA LCP-ASSEMBLÉE NATIONALE Avec la participation de REZO FILMS UNIVERSCINÉ TV5MONDE En association avec PALATINE ÉTOILE 18 Avec le soutien de LA SACEM © 2021 NOLITA CINEMA – LCP-ASSEMBLÉE NATIONALE. Visa n°154.946 / Dépôt Légal – 2021
Illustration © Mathieu Sapin / Conception © Pierre Collier 2021
Fernando Pessoa, cité en exergue de La Permanence d’Alice Diop (2016)
AU CINÉMA LE 9 FÉVRIER
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Cinéma -----> Kinuyo Tanaka
KINUYO T ANA KA
Star de l’âge d’or du cinéma japonais, Kinuyo Tanaka a joué chez les plus grands (Kenji Mizoguchi, Yasujirō Ozu), mais a aussi réalisé six longs métrages d’une modernité sidérante. La sortie de ses films, inédits en France, nous a donné envie de repartir sur les traces de cette incroyable cinéaste née en 1909. Un bref coup d’œil au chapitre « Filmographie » de sa fiche Wikipédia donne le vertige. Des années 1920 aux années 1950 – un peu moins les décennies suivantes –, Kinuyo Tanaka a envahi les écrans au Japon, apparaissant au total dans plus de deux cents films (ceux de Yasujirō Ozu ou de Mikio Naruse notamment). Kenji Mizoguchi (Les Contes de la lune vague après la pluie, 1953 ; L’Intendant Sansho, 1954) en a fait l’héroïne de ses plus grands succès. Dans un documentaire japonais de 2009 visible sur YouTube (The Travels of Kinuyo Tanaka de Masaki Kobayashi), on la voit poser à Hollywood avec Elizabeth Taylor, Joan Crawford (qui retire même ses talons par respect).
Alors, qu’est-ce qui a poussé cette actrice au summum de sa popularité à tout risquer pour tourner ses propres films ? Pas vraiment la soif de succès, mais le besoin de se réinventer, comme elle l’a toujours fait.
UNE ÉTOILE EST NÉE Issue d’un milieu modeste, elle naît en 1909 à Shimonoseki dans une famille de huit enfants. Pour aider financièrement ses parents ruinés, elle est déscolarisée très jeune, intègre des troupes musicales iti-
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nérantes sans savoir lire et devient une grande joueuse de biwa (sorte de guitare posée au sol). Elle joue dans des films dès ses 14 ans. Premier défi : l’arrivée du parlant. « Elle a un accent du sud du Japon. Mais comme elle est pleine de volonté, elle va le perdre, passer la barrière du parlant et devenir une star », résume Pascal-Alex Vincent, cinéaste, enseignant à la Sorbonne nouvelle, spécialiste du cinéma japonais et auteur du passionnant recueil Kinuyo Tanaka. Réalisatrice de l’âge d’or du cinéma japonais, publié par Carlotta dans sa collection « Petits livres ». « Tout de suite, les Japonais vont l’adorer et s’identifier à elle. Elle va devenir célèbre au point que certains titres de films portent son nom. » Les grands studios japonais se l’arrachent, et l’actrice atteint un tel stade de célébrité qu’elle peut choisir ses projets. Mais, dans l’ombre, cette femme obstinée et débrouillarde observe et apprend des réalisateurs qu’elle côtoie les ficelles de la mise en scène.
CAMÉRA AU POING 3
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Au début des années 1950, la très bankable Tanaka annonce vouloir devenir réalisatrice. Pour se préparer, elle demande à Mikio Naruse de l’engager comme stagiaire mise en scène pour Frère aîné, sœur cadette (1953), ce qu’il accepte. Quand les grands studios
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apprennent la nouvelle, c’est la panique : « Il y a une levée de boucliers, d’abord parce qu’on n’a pas l’habitude qu’une femme prenne les commandes – ça paraît être une extravagance. Il y a aussi une forme de réflexe industriel. Les studios se disent que, si elle passe derrière la caméra, cette actrice qui leur rapporte des millions va leur faire perdre de l’argent », explique Pascal-Alex Vincent. Conspuée par son mentor Mizoguchi, qui l’incendie, et par ses compatriotes, pour une virée hollywoodienne effectuée alors que le Japon et les États-Unis sont en froid, la future cinéaste, qui confiera avoir eu alors des envies de suicide, va approcher un petit studio créé après la guerre : la Shintōhō. Occultant la campagne de dénigrements qui s’abat sur elle, elle trouve la force de faire son premier film, Lettre d’amour (1953), un mélodrame sur un amour perdu, qui capture le Japon d’après-guerre, avec des plans tournés en extérieur façon Nouvelle Vague. « Le film documente très bien la reconstruction du Japon au lendemain de la guerre. » S’il n’est pas son film le plus fort, Lettre d’amour montre déjà la maîtrise formelle acquise par Kinuyo Tanaka. Deux ans plus tard, en 1955, la réalisatrice présente La Lune s’est levée, tiré d’un scénario de Yasujirō Ozu. Setsuko, l’héroïne énergique de cette comédie, inaugure une série de personnages féminins forts qui émailleront la filmographie de Tanaka. La même année sort Maternité éternelle, un puissant film (« son plus personnel », estime Pascal-Alex Vincent) qui s’inspire de l’histoire
Kinuyo Tanaka <----- Cinéma
VERSUS PRODUCTION
MICHELLE
BOULI
PRÉSENTE
FAIRLEY
LANNERS
vraie de la poétesse Fumiko Nakajō, qui a osé s’affranchir d’un mariage malheureux en divorçant, avant de tomber malade d’un cancer du sein. Bien que souffrante, elle vit une aventure avec un journaliste, avant de succomber à l’âge de 31 ans. À la fois pudiques et superbes plastiquement, certains plans du film montrent les cicatrices qui lézardent la peau nue de l’héroïne. Après une pause de cinq ans, pendant lesquels elle retournera jouer sur les plateaux, Tanaka accepte en 1960 d’être aux commandes de la superproduction La Princesse errante – fresque historique impressionnante, mais moins prenante que ses films plus intimistes – avant d’enchaîner avec le sublime La Nuit des femmes (1961) – l’un de nos préférés, car il montre toute la modernité de son regard.
FORTES TÊTES « Ce qui caractérise le cinéma de Tanaka, c’est que, chez elle, les femmes restent debout », analyse Pascal-Alex Vincent. En s’intéressant de près au sort des prostituées sans jamais les condamner, La Nuit des femmes en est une éblouissante preuve. Tanaka y suit l’une d’entre elles lorsque, après avoir passé quelque temps dans un centre de réinsertion, elle tente de retrouver une vie normale. Les regards, les gestes oppressants de tous ceux dont elle croise le chemin l’en empêchent, mais, malgré les multiples lynchages et mauvais traitements qu’elle subit, elle ne perd jamais sa fierté. Divorcées, malades, violentées… Les souffrances des femmes dans le cinéma de Tanaka ne leur enlèvent jamais leur ténacité. Elle qui a tant joué les victimes à terre donne à voir l’inverse. Mais, après une dernière réalisation – le film en costumes Mademoiselle Ogin (1962) – et avec le déferlement de la Nouvelle Vague japonaise (Nagisa Ōshima, Masahiro Shinoda), qui s’attaque plus directement aux conventions sociales, le cinéma qu’elle a connu et fabriqué prend un coup de vieux. La fin de la carrière de Tanaka se fera sur le petit écran, dans des soaps. Pour mesurer l’importance de son cinéma, il faut voir la fin sidérante de La Nuit des femmes. Une conclusion qui montre l’héroïne maltraitée intégrée chez des pêcheuses de perles bâtissant une communauté heureuse, au bord de la mer, à l’abri des menaces et autres persiflages.
LA DISPARITION
« Kinuyo Tanaka. Réalisatrice de l’âge d’or du cinéma japonais » (Carlotta Films), rétrospective, six films, sortie le 16 février
UN FILM DE
BOULI LANNERS
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Portrait de Kinuyo Tanaka © D. R. Lettre d’amour (1953) © Kodusai Hoei. D. R.
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La Nuit des femmes (1961) © Toho Co. Ltd. D. R.
Design : Laurent Pons / TROÏKA
JOSÉPHINE LEROY ANDREW STILL CAL MACANINCH
AVEC LA PARTICIPATION AMICALE DE
CLOVIS CORNILLAC
ET AVEC LA PARTICIPATION DE
JULIAN GLOVER
AU CINÉMA LE 23 MARS
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Cinéma -----> L’archive de Rosalie Varda
UNE CAMÉRA 16 MM, UN CHÂLE TRICOTÉ, ET LA VIE EST BELLE !
Agnès Varda, Emmanuel Machuel, Grover Dale, Rosalie Varda, Ghislain Cloquet et Jacques Demy sur le tournage des Demoiselles de Rochefort, 1966 photographie : Hélène Jeanbrau © 1966 Ciné-Tamaris
Chaque mois, pour TROISCOULEURS, Rosalie Varda plonge dans les archives de ses parents, les cinéastes Agnès Varda et Jacques Demy, et nous raconte ses souvenirs à hauteur d’enfant. Ce mois-ci : sur le tournage des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, en 1966.
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« J’adore retrouver dans nos archives une photographie qui, comme une baguette de la fée des Lilas, me fait remonter le temps et retrouver dans ma mémoire des instants joyeux et cinéphiles. C’est l’été 1966, à Rochefort, pendant le tournage des Demoiselles, sur la place Colbert. Des haut-parleurs diffusent les “play-back” des chansons du film. J’ai 8 ans et je suis tombée amoureuse de Grover Dale – Bill, un des deux forains. Il est beau, américain et ne parle pas français. Comme cela simplifie nos conversations ! On va manger des glaces. Au café, je bois une grenadine et lui, un Coca. Je me mets tout le temps à côté de lui, et mes parents me laissent flâner en sa compagnie. Cette photographie, c’est l’ins-
tantané d’un moment magique : entre deux prises, le temps est suspendu et l’équipe attend… quoi ? Je ne me le rappelle plus. On attend toujours beaucoup sur les tournages, entre les prises, ou quand l’on change de séquence. Il faut que les machinistes et les électriciens installent la caméra et la lumière. Le rajout en extérieur de grands projecteurs (les “arcs”) donnait une lumière naturelle. Agnès, “en touriste”, tourne avec sa caméra 16 mm. J’adore, elle est habillée comme pour aller déjeuner en ville. Son châle, je m’en souviens, était violet et parme. Elle portait de petites chaussures à talon… Ce n’est pas vraiment une tenue de chef opératrice ou de camerawoman. Emmanuel Machuel,
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assistant caméra, la regarde. C’est amusant, elle tourne en muet. Ces images, on va les retrouver dans le documentaire en forme d’hommage qu’elle a réalisé, Les Demoiselles ont eu 25 ans (1992). Ghislain Cloquet, directeur de la photographie, est assis à côté de Jacques – scénario sur les genoux, lunettes noires. On voit les rails du travelling, des câbles… Et les Rochefortais qui ont participé au tournage pour la figuration regardent aussi, mais chaque personne a le regard qui va quelque part, sans jamais croiser celui de l’autre. Grover a continué à m’envoyer des cartes postales pendant des années, et maintenant on est amis sur Facebook ! Une autre époque. » • ROSALIE VARDA
UN AUTRE
NORD-OUEST PRÉSENTE
VINCENT LINDON SANDRINE KIBERLAIN ANTHONY BAJON UN FILM DE STÉPHANE BRIZÉ
AFFICHE FRANCE BIZOT © 2020 NORD-OUEST FILMS -FRANCE 3 CINEMA
MONDE
avec MARIE DRUCKER scénario OLIVIER GORCE et STÉPHANE BRIZÉ
produit par CHRISTOPHE ROSSIGNON et PHILIP BOËFFARD co-produit par VINCENT LINDON et STÉPHANE BRIZÉ musique originale CAMILLE ROCAILLEUX producteur associé PIERRE GUYARD
productrice exécutive EVE FRANÇOIS-MACHUEL image ÉRIC DUMONT (AFC) montage ANNE KLOTZ
casting CORALIE AMÉDÉO (ARDA) assistant réalisateur ÉMILE LOUIS scripte MARION PIN son EMMANUELLE VILLARD, HERVÉ GUYADER décors PASCAL LE GUELLEC costumes ISABELLE PANNETIER direction de production CHRISTOPHE DESENCLOS direction de post-production JULIEN AZOULAY régie générale IGNAZIO GIOVACCHINI administration de production BENJAMIN CELLIEZ une coproduction NORD-OUEST FILMS, FRANCE 3 CINÉMA avec la participation DE CANAL+, CINÉ+, FRANCE TÉLÉVISIONS en association avec SOFITVCINE 7, LA BANQUE POSTALE IMAGE 13, CINEVENTURE 5, MANON 10 avec le soutien DE LA RÉGION ILE-DE-FRANCE, LA RÉGION NOUVELLE -AQUITAINE, DU DÉPARTEMENT DE LOT-ET-GARONNE en partenariat avec le CNC en association avec DIAPHANA, WILD BUNCH INTERNATIONAL
AU CINÉMA LE 16 FÉVRIER
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
E D I U G LE
N I C S E I T
R O S S DE
A P A M É
THE INNOCENTS SORTIE LE 9 FÉVRIER
Coscénariste de tous les films de Joachim Trier, le Norvégien Eskil Vogt endosse pour la deuxième fois le costume de réalisateur et se signale par la noirceur de ce récit d’épouvante, qui grandit à la lumière du jour. Un atelier du malaise autour d’étranges enfants tuant le temps, entre autres, lors des vacances d’été.
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Huit ans après le modeste Blind (2015), où la cécité de l’héroïne déréglait son rapport aux autres puis la notion même de réel, Eskil Vogt persiste à vouloir brouiller l’ensemble des repères. Si le spectateur visionne The Innocents avec le C.V. de son auteur en tête, il est possible qu’il reconnaisse certains fantômes de l’œuvre de Joachim Trier (la maladie, la mort, la déréliction). En maîtrisant Stephen King sur le bout des doigts, le curieux décèlera aussi les reflets de l’enfant-monstre, cette créature de fiction au carrefour des pulsions, tour à tour meurtrière et victime, source d’empathie ou d’effroi polymorphe. Mais rien ne le prépare vraiment au choc à venir devant ce film gorgé d’angoisses à hauteur de quatre gamins désœuvrés – Ida, une fille blonde au
sourire carnassier, sa sœur autiste, et deux voisins rencontrés par hasard –, qui s’apprivoisent peu à peu et se retrouvent ensuite pour jouer dehors dans une banlieue norvégienne faussement sage, laquelle semble aspirer les journées en attendant que quelque chose se passe. De fait, quand les enfants se découvrent des pouvoirs hors norme et dangereux, mais dissimulés à leurs parents trop distraits, la banalité des situations se distord et l’imaginaire de chacun se retrouve lardé d’humeurs saisissantes. C’est ce même désir d’expérimentations ludiques (comment repousser les limites du jeu et de l’ennui ?) qui guide le geste de Vogt, ici chef d’orchestre à la croisée des genres, funambule dont l’audace, parfois teintée de provoc, laisse deviner
no 186 – février-mars 2022
la chute sans cesse repoussée. Thriller paranoïaque versant à l’occasion dans le sauvage, faux film de mutants sans effets tape-à-l’œil, duel de psychokinésistes en forêt à la manière d’un western, histoire d’amitiés naïves et toxiques, tout le charme de ce cauchemar amoral réside dans sa lente infusion, délicieuse ciguë qui ne laisse pas indemne. The Innocents d’Eskil Vogt, Les Bookmakers/Kinovista (1 h 57), sortie le 9 février
OLIVIER MARLAS
DEUXIÈME LIGNE & PETIT FILM PRÉSENTENT
MÉLANIE
THIERRY
AR
LYES
SALEM
FÉLIX
MOATI
UN FILM DE
FABIEN GORGEART
©PHOTOS CÉDRIC SARTORE - CREATION
AU CINÉMA LE 16 FÉVRIER
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
RED ROCKET SORTIE LE 2 FÉVRIER
Le cinéaste américain Sean Baker (Tangerine, The Florida Project) continue d’explorer les zones périphériques américaines dans ce portrait trash, décomplexé et acide d’une ex-star du porno revenant dans sa petite ville d’origine, au Texas. La tête contre la fenêtre d’un car, « Bye Bye Bye » du boys band NSYNC à balle, Mikey Saber (incarné par Simon Rex, qui a luimême expérimenté le porno avant d’apparaître dans des productions mainstream type Scary Movie 5) revient dans le petit bled paumé du Texas dont il est originaire. Plus personne ne veut de cette ex-pornstar partie chercher la gloire à Los Angeles il y a plusieurs années. Sans argent, il tente d’amadouer son ex, ancienne hardeuse qui vit maintenant avec sa mère malade, afin qu’elle l’héberge… On aura découvert de
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puissantes figures féminines cette année à Cannes, dans Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier ou Titane de Julia Ducournau. Le nouveau film de Sean Baker, qui était sélectionné en Compétition en juillet, se posait en parfaite symétrie, soit la caricature d’une masculinité toxique XXL : physique musclé, petit marcel moulant, ego surdimensionné, sexualité frénétique… Cet antihéros et ses fantasmes à côté de la plaque symbolisent ceux d’une partie de la société américaine qui s’accroche mordicus aux mythes de la virilité et de la jeunesse éternelle – le crush de ce quadragénaire pour une jeune fille de 17 ans en est la meilleure illustration. Après un hôtel miteux en bordure de Disney World dans The Florida Project (2017), c’est dans une autre zone grise, et avec le même esprit désenchanté, qu’on voit déambuler ce rejeté du rêve américain dont les saillies nombrilistes sont aussi ridicules que drôles (Baker ose la comparaison avec Donald Trump, dont on entend plusieurs fois les discours de campagne fantaisistes). Il s’agit ici d’un quartier résidentiel pauvre où, entre deux deals de weed et sous un soleil de plomb qui fait dégouliner de sueur, les seuls
plaisirs qu’on peut s’autoriser sont le sexe et d’avaler de gros donuts très sucrés. Ne pas se fier à la mise en scène pleine de lumière de cet explosif Red Rocket : en suivant les pas de cette âme perdue (et insauvable ?) de l’Amérique, Sean Baker n’a jamais eu un regard aussi sombre sur la périphérie. Si on aurait aimé un peu plus de subtilité, ce furieux portrait plus politique qu’il n’en a l’air sait toucher des points sensibles.
Red Rocket de Sean Baker, Le Pacte (2 h 08), sortie le 2 février
JOSÉPHINE LEROY
En suivant les pas de cette âme perdue de l’Amérique, Sean Baker n’a jamais eu un regard aussi sombre sur la périphérie.
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FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE D'ANGOULÈME
FESTIVAL PREMIERS PLANS D'ANGERS
FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM SCHLINGEL
FESTIVAL DU FILM INTERNATIONAL TÜBINGEN
FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE SÉVILLE PRIX CINÉPHILES DU FUTUR
TALLINN BLACK NIGHTS FILM FESTIVAL
ELZÉVIR FILMS PRÉSENTE
UN FILM DE ÉMILIE CARPENTIER
TRACY GOTOAS SYLVAIN LE GALL NIIA CLÉMENCE BOISNARD RACHID YOUS JULES PELISSIER DEMBELE LE 9 FÉVRIER AU CINÉMA
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
PETITE SOLANGE SORTIE LE 2 FÉVRIER
Avec ce mélodrame versé dans l’expression de sentiments intenses, Axelle Ropert raconte avec délicatesse la manière dont une adolescente assiste à la fin de l’amour entre ses parents. Et touche au cœur grâce à une mise en scène lumineuse. Ado pleine d’entrain et de vivacité, Solange (Jade Springer) vit paisiblement à Nantes avec ses parents et son frère aîné. Mais quand la relation entre sa mère (Léa Drucker) et son père (Philippe Katerine) commence à se dégrader et que la désintégration familiale menace, la jeune collégienne éprouve une tristesse qui va se révéler abyssale… Avec ce quatrième long métrage, l’ancienne critique Axelle Ropert (lire p. 14), réalisatrice de La Famille Wolberg, de Tirez la langue, mademoiselle et de La Prunelle de mes yeux, offre un mélodrame narré à hauteur d’adolescente
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qui renvoie notamment à L’Incompris (dont l’affiche apparaît au détour d’un plan), chefd’œuvre de Luigi Comencini dans lequel un garçon de 11 ans vivait un deuil déchirant. D’emblée, les parents de Solange parlent lors d’une fête de leurs enfants comme de « mondes à part entière », et le film va effec tivement se concentrer tout du long sur l’hypersensible monde intérieur de Solange. Pour décrire les effets produits par la séparation parentale sur la jeune fille de 13 ans, Ropert dessine avec délicatesse un environnement visuel lumineux qui se remplit peu à peu de signes annonçant un écroulement à venir. Enthousiasmée par les combats de sa génération (elle fait en classe un fougueux exposé sur Greta Thunberg, vue comme une sauveuse de la planète), Solange se retrouve pourtant assaillie par d’intenses sentiments d’abandon. Un traumatisme d’autant plus fort qu’il se déploie au sein d’un cocon domestique aux apparences protectrices ; les parents de Solange exercent des activités liées à l’art (le père tient un magasin de musique et la mère est comédienne de théâtre), et la fin de leur amour sonne pour l’adolescente comme la trahison d’un idéal d’harmonie.
Le film refuse néanmoins tout regard culpabilisateur sur ses personnages et s’appuie sur une musique poignante de Benjamin Esdraffo pour amplifier chaque changement de repère affectif. Dans le rôle-titre, Jade Springer mêle candeur, colère et désillusion, jusqu’à un dernier plan mémorable où le visage de l’héroïne incarne la perte de l’innocence en même temps que le désir exalté de faire face à l’avenir.
Petite Solange d’Axelle Ropert, Haut et Court (1 h 25), sortie le 2 février
DAMIEN LEBLANC
La fin de l’amour entre ses parents sonne pour l’adolescente comme la trahison d’un idéal d’harmonie.
no 186 – février-mars 2022
“SENSATIONNEL” “DRÔLE, BEAU” “FLAMBOYANT” “PRODIGIEUX” “SIDÉRANT” VANITY FAIR
KONBINI
PREMIÈRE
LE MONDE
LE FIGARO
“UNE PÉPITE” LES INROCKS
“UN RYTHME INOUÏ”
“FRAIS ET POP” PARIS MATCH
LE FIGARO
Simon Rex
un film de
ACTUELLEMENT
Sean Baker
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
INTRODUCTION SORTIE LE 2 FÉVRIER
Après La Femme qui s’est enfuie (2020), subtile offensive contre une certaine masculinité toxique, Hong Sang-soo accompagne un jeune homme dans sa construction. Prix du meilleur scénario à Berlin en 2021, son film à l’apparente simplicité cache une belle profondeur. Chez Hong Sang-soo, la fiction se confond avec le réel, les rêves avec le prosaïque. Ce nouveau cru ne déroge pas à la règle : de jeunes acteurs à qui le cinéaste sexagénaire a donné des cours de cinéma lui ont inspiré ce film qui explore les élans, les obstacles et la multitude de possibles qui se dessinent en pointillé sur une vie en train de s’écrire. En noir et blanc, dans des décors froids et embrumés par la fumée de nombreuses cigarettes, Introduction suit Youngho, un jeune
homme qui aspire à devenir acteur. Quand sa petite amie part à Berlin, il veut croire que sa vie va prendre un nouveau tournant… Comme souvent avec Hong Sang-soo, on a l’impression d’avoir consommé le film, qui dure à peine plus d’une heure, comme on avalerait un shot de soju. Scindé en trois parties, son récit voyageur – il nous balade entre Berlin et la côte est sud-coréenne – n’en est pas moins entêtant. Le réalisateur fait de la suspension et de la suggestion les moteurs inattendus de l’action. Les silences et les surplaces permettent de mesurer le fossé qui sépare ici un couple où chacun s’apprête à prendre un virage différent, là un fils et son père qui ne savent plus comment communiquer. Avec tout ce peu, Hong Sang-soo dit beaucoup. Introduction de Hong Sang-soo, Capricci Films (1 h 06), sortie le 2 février
JOSÉPHINE LEROY
Hong Sang-soo fait de la suspension et de la suggestion les moteurs inattendus de l’action.
L’HORIZON SORTIE LE 9 FÉVRIER
À travers la description d’une ZAD située à la lisière d’un quartier de banlieue, Émilie Carpentier imagine une solaire convergence des luttes et dresse l’attachant portrait d’une jeune femme qui prend conscience de la multitude des défis posés par l’avenir. Du haut de ses 18 ans, Adja (Tracy Gotoas, lire p. 10) découvre le métier de soignante mais se sent légèrement éclipsée par un frère footballeur et une meilleure amie influenceuse sur les réseaux sociaux. La jeune femme se prend alors d’intérêt pour une ZAD (zone à défendre) installée à proximité
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de son quartier, dans laquelle elle rencontre des militants écologistes qui luttent contre l’installation d’un grand complexe commercial. En se rapprochant de ces derniers, Adja prend cependant des risques pour sa réputation… Longtemps animatrice d’ateliers cinéma dans une maison de quartier, Émilie Carpentier imagine ici une inspirante situation où une ZAD située au pied de barres HLM dessine une banlieue qui représente une ouverture sur la campagne. Une sorte de lieu utopique où l’urbain et le rural s’associent pour construire l’avenir. Pour unifier ces différents horizons politiques, Adja, tour à tour altruiste, sentimentale et révoltée, et incarnée à merveille par Tracy Gotoas, devient ici la personnification d’une jeunesse qui, à l’image de l’époustouflante dernière séquence, se retrouve au bord du gouffre mais refuse de baisser les bras face à la catastrophe climatique.
L’Horizon d’Émilie Carpentier, Les Films du Losange (1 h 24), sortie le 9 février
no 186 – février-mars 2022
DAMIEN LEBLANC
SRAB FILMS PRÉSENTE
AU CINÉMA LE 16 MARS
“DEUX FILMS, UNE EXPÉRIENCE UNIQUE DE CINÉMA” LA 7 ÉME OBSESSION
HONOR
SWINTON BYRNE
TOM
BURKE
& TILDA
SWINTON
PRODUIT PAR
MARTIN SCORSESE
PART I ADAPTATION :
UN FILM DE
JOANNA HOGG
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
“DEUX FILMS, UNE EXPÉRIENCE UNIQUE DE CINÉMA” LA 7 ÉME OBSESSION
HONOR
SWINTON BYRNE
RICHARD
AYOADE
& TILDA
SWINTON
PRODUIT PAR
MARTIN SCORSESE
PART II UN FILM DE
JOANNA HOGG
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
« Un portrait fluide et vibrant »
THE SOUVENIR PART. I & PART. II SORTIE LE 2 FÉVRIER
Le Monde
LES AFFLUENTS un film de Jessé Miceli
SORTIE LE 16 FÉVRIER 2022
Jusque-là inédit en France, le cinéma de Joanna Hogg nous parvient enfin avec ce diptyque sur un amour vénéneux, doublé d’une réflexion sur le processus de création dans ce qu’il a de plus intime. Et la réalisatrice anglaise d’inventer une langue cinématographique semblable à nulle autre. Nous sommes aux premières heures des années 1980, et Julie (inouïe Honor Swinton-Byrne) étudie le cinéma sans bien savoir encore ce qu’elle veut exprimer, dans une sorte d’errance tranquille que conforte son cadre de vie privilégié. Cette jeune Londonienne discrète croise un jour le chemin d’Anthony, dandy plus âgé au flegme tout britannique. S’engage entre eux une relation d’abord timide,
rythmée par autant de traits d’esprit que de saillies humoristiques, qui mue en une dévorante histoire d’amour. Mais si les absences d’Anthony se font sous couvert d’une vie de diplomate, une réalité plus sombre guette Julie… Fait assez rare pour être mentionné, The Souvenir Part. I et Part. II composent un diptyque dont les deux parties sortent simultanément en salles. Trois années se sont écoulées entre les tournages, mais les deux films ne sauraient être vus qu’à la suite tant il faut goûter l’ampleur de la transformation vécue par Julie, dont le déploiement est à la hauteur de son cheminement introspectif. Car Joanna Hogg prend la mesure du trouble qui agite sa protagoniste, candide, qu’on a préservée des tourments matériels de l’existence et qui s’abandonne aux inconnues de l’amour quoi qu’il lui en coûte. Et c’est d’ailleurs de transactions financières qu’il est souvent question dans The Souvenir, de l’argent que Julie réclame à sa mère (prodigieuse Tilda Swinton) pour nourrir sa passion, laquelle s’est déplacée
de ses projets de cinéma à un homme sibyllin. Dans l’étude crue d’un moment de vie – rien ne se montre, mais tout se dit avec une violence d’autant plus abrupte qu’elle prend place dans un univers feutré –, Joanna Hogg installe l’acte de création comme seul chemin de salut. Car c’est en allant chercher un matériau très intime que Julie accède à la réalisation, dans tous les sens du terme. Le cinéma est-il le juste miroir du souvenir ? Sont-ce des chimères, images recréées d’une réalité impossible à capturer, que nous tend la réalisatrice ? Peut-être, mais seul compte le récit que reconstitue son héroïne à partir de fragments – maillage de couleurs, lumières, odeurs, objets et paroles –, cette narration d’elle-même qu’elle façonne à tâtons. Comme chez Annie Ernaux, la libération d’événements passés n’est rendue possible que par la mise à distance d’une « passion simple » qui, dans The Souvenir, s’incarne dans une mise en abyme d’une finesse absolue. Mais c’est aussi dans la confrontation de sa vision du monde à celle – parfois complètement discordante – de ses camarades que Julie embrasse enfin son art, qu’elle goûte à la force transformatrice du collectif. Et que Joanna Hogg invente un langage neuf de cinéma, une façon très sensible de se regarder en tant que cinéaste et d’exprimer l’étreinte addictive de la création. The Souvenir Part I et Part II de Joanna Hogg, Condor (1 h 59, 1 h 46), sortie le 2 février
AVEC SEK SONGSA EANG PHEARUM ROM RITHY VANN LEK RÉALISÉ PAR JESSÉ MICELI ÉCRIT PAR JESSÉ MICELI IMAGE RUN SOKHENG SON CHEK DARA MONTAGE CLÉMENT SELITZKI PREMIER ASSISTANT MUT BALLAT PRODUIT PAR HOROMA FILMS (JESSÉ MICELI) & PERSPECTIVE FILMS (GAËLLE JONES) AVEC LA PARTICIPATION DE KAMPUCHEA TELA CO, LTD, TL GROUP INTERNATIONAL ET KLAPYAHANDZ DISTRIBUÉ PAR LOCAL FILMS DISTRIBUTION
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LAURA PERTUY
no 186 – février-mars 2022
Envie de Tempête productions et les Films Grain de Sable présentent
« Trépidant et engagé ! » TROISCOULEURS
UN FILM DE AVEC
BASILE CARRÉ-AGOSTINI
MONIQUE ET MICHEL PINÇON-CHARLOT
AU CINÉMA LE 9 MARS
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
THE HOUSEWIFE SORTIE LE 9 MARS
Yukiko Mishima compose le récit d’émancipation d’une femme au foyer qui se détache de sa famille. Avec minutie, en faisant un portrait incisif de la société japonaise, elle retrace son lent chemin vers l’épanouissement. C’est par une chronique bien terne du mariage que commence The Housewife, adaptation d’un roman de Rio Shimamoto, luimême transposition moderne d’une pièce d’Ibsen. Toko, la trentaine, s’efface dans son dévouement à son mari, à la maternité, à la vie domestique. Mais une aventure avec un ex va lui donner la force de tout démolir pour pouvoir tout rebâtir. En revendiquant
soudain une sexualité passionnée avec plusieurs hommes, que Yukiko Mishima filme dans une lumière blanche et crue, comme pour mieux retranscrire la détermination de son héroïne ; en se recalant sur son ambition de devenir architecte ; et en s’éloignant peu à peu de sa fille, et surtout de son mari. Avec méticulosité, la cinéaste s’emploie à fustiger tous les freins que mettra le patriarcat à son héroïne, toute la culpabilité qu’il fera peser sur elle. Mishima figure une société japonaise qui s’arc-boute sur la seule cellule familiale. Deux personnages perturbent alors cet ordre morose, Toko d’une part, sa mère d’autre part. Cette dernière n’a pas du tout une fibre maternelle, elle n’a pas été aimante. Mais, dans une scène, il y a comme un passage de relais entre les deux femmes – toutes les deux se sont défaits des regards aliénants qui auraient voulu les façonner, les contraindre.
The Housewife de Yukiko Mishima, Art House (2 h 03), sortie le 9 mars
QUENTIN GROSSET
LES JEUNES AMANTS SORTIE LE 2 FÉVRIER
À partir d’une idée de la regrettée Sòlveig Anspach, Carine Tardieu (Ôtez-moi d’un doute) compose un mélodrame intense sur les remous d’une passion dans la différence d’âge, avec Fanny Ardant et Melvil Poupaud. Avant de disparaître, la cinéaste islandaise Sòlveig Anspach (Queen of Montreuil) a fait promettre à sa coscénariste Agnès de Sacy de faire aboutir un projet inspiré d’une relation vécue par sa mère avec un jeune médecin. Cette idée de film, elle voulait qu’elle soit réalisée par une femme, et c’est Carine Tardieu qui, avec toute sa sensibilité, s’est approprié ce qui n’était alors qu’une ébauche. Avec acuité, elle sait saisir tout le poids et l’électricité de cet amour qui ignore la différence d’âge et qu’elle dépeint comme une affaire de vitesse, de rythme discordant. L’héroïne, Shauna (Fanny Ardant, éternelle « femme d’à côté », incar-
nation évanescente de la passion dans le cinéma de François Truffaut), a 70 ans ; Pierre (Melvil Poupaud), la quarantaine, et il va tout quitter pour elle. Lui, médecin et père de famille, fonce ; elle, retraitée, freine, jugeant qu’il a un avenir mais pas elle. Tout en lyrisme, Ardant et Poupaud captent l’immense fébrilité de leurs personnages face à cette relation, peut-être pas si impossible malgré le conformisme ambiant. Ce qu’il y a de marquant, c’est que Tardieu regarde aussi changer la société à travers une galerie de personnages secondaires (dont la fille de Shauna, jouée par Florence Loiret- Caille, figure du cinéma d’Anspach), qui s’interrogent mais finissent par accueillir cet amour dans la bienveillance. Les Jeunes Amants de Carine Tardieu, Diaphana (1 h 52), sortie le 2 février
QUENTIN GROSSET
Carine Tardieu saisit tout le poids et l’électricité de cet amour qui ignore la différence d’âge. 52
no 186 – février-mars 2022
Les Films Velvet présente
« UN PASSIONNANT POLAR POLITIQUE » Roschdy Zem
L’OBS HHH
Pio Marmaï
et Vincent
Lindon
un film de Thierry de Peretti
LE 9 FÉVRIER
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
GREAT FREEDOM SORTIE LE 9 FÉVRIER
À travers une mise en scène carcérale, l’Autrichien Sebastian Meise (Still Life) retranscrit finement la persécution des gays, criminalisés par la loi, dans la société allemande d’après-guerre. Son héros, insatiable et lumineux dragueur, offre comme un contrepoint cathartique. C’est un tout petit paragraphe, numéroté 175, qui a pesé lourd sur la vie des gays allemands. Rédigé en 1871, il criminalisait les actes sexuels entre hommes, désignés dans le texte comme « contre-nature ». Juste avant la guerre, en 1935, il a été amendé par le régime nazi (les sanctions ont été alourdies) et a mené à la condamnation de plus de 50 000 individus, en envoyant environ 15 000 dans les camps de concentration. Sebastian
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Meise dépeint la période d’après-guerre jusqu’à la fin des années 1960 – à partir de cette décennie, l’article 175 n’a plus vraiment été appliqué, mais la loi n’a été abolie qu’en 1994. Le cinéaste retrace cet épisode en brouillant la temporalité : pendant deux heures, qui englobent plusieurs décennies, on assistera dans le désordre aux multiples allers-retours en prison de Hans Hoffman (Franz Rogowski), le héros. Comme pour nous dire que, peu importent les années qui passent, Hans est déterminé à vivre ses amours et sa sexualité comme il l’entend, quelle que soit la peine. Car il est doué d’une force de vie à toute épreuve. Juste avant son arrestation, alors qu’il est filmé à son insu par la police en pleine drague gay dans les toilettes publiques, il est présenté comme un irrésistible jouisseur. Ce dispositif de surveillance, qui vise à le piéger, se trouve comme piraté par sa sensualité émancipatrice, par son côté « exhib », provocateur. En prison, là où se déroule la majeure partie du film, Hans a beau être malmené par les gardiens et ses compagnons de cellule, il lance des œillades suggestives à tout va, élabore des stratégies rocambolesques pour retrouver ses amants.
Sebastian Meise n’occulte rien de la dureté du quotidien derrière les barreaux, du sadisme policier qui confine parfois à la torture. Seulement, il préfère insister sur le fait que, coûte que coûte, Hans garde le feu nécessaire pour faire tomber les murs du bagne, évidente métaphore du placard. Sa peinture des lieux, toute en dangerosité et en tension homoérotique, évoque alors Jean Genet et son unique film, Un chant d’amour (1950). Comme Meise, le poète avait lui aussi trouvé le moyen de composer un hymne à la liberté à partir d’un film carcéral.
Great Freedom de Sebastian Meise, Paname (1 h 56), sortie le 9 février
QUENTIN GROSSET
Hans est déterminé à vivre ses amours et sa sexualité comme il l’entend, quelle que soit la peine.
no 186 – février-mars 2022
CG CINÉMA PRÉSENTE
Jean-Charles
Clichet Noémie
Lvovsky Iliés
Kadri Michel
Masiero avec la participation de
Doria
AU CINÉMA
VIENS JE T’EMMÈNE un film de
Alain Guiraudie
Renaud Rutten Philippe Fretun Farida Rahouadj Miveck Packa Yves-Robert Viala Patrick Ligardes scénario ALAIN GUIRAUDIE
LAURENT LUNETTA image HÉLÈNE LOUVART (afc) montage JEAN-CHRISTOPHE HYM son PHILIPPE GRIVEL NATHALIE VIDAL décors EMMANUELLE DUPLAY musique originale XAVIER BOUSSIRON STÉPHANE BERNARD costumes KHADIJA ZEGGAÏ maquillage NATALI TABAREAU-VIEUILLE coiffure MILOU SANNER direction de production DAMIEN SAUSSOL direction de post-production DELPHINE PASSANT conseiller artistique ROY GENTY assistants réalisateur GUILLAUME PLUMEJEAU OLIVIER GENET UMEDIA avec la participation de ARTE FRANCE LES FILMS DU LOSANGE OCS en association avec CINÉMAGE 15 UFUND avec le soutien du CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE LA RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES LA RÉGION ILE-DE-FRANCE la PROCIREP-ANGOA distribution salles, vidéo, vod france et vendeur international LES FILMS DU LOSANGE
un film produit par CHARLES GILLIBERT - CG CINÉMA coproduit par ARTE FRANCE CINÉMA AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINÉMA
© 2020 CG Cinéma / Arte France Cinéma / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / Umedia • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA
[] 2 MARS
Tillier
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
LA VRAIE FAMILLE SORTIE LE 16 FÉVRIER
Avec ce mélodrame, qui décrit toute la difficulté qu’éprouve une femme à se séparer d’un enfant placé dans son foyer, Fabien Gorgeart offre à Mélanie Thierry un rôle d’une impressionnante intensité. Inspiré par les souvenirs du réalisateur Fabien Gorgeart (Diane a les épaules, 2017), dont la mère était assistante familiale et a élevé un enfant placé qui a dû repartir à l’âge de 6 ans, La Vraie Famille explore sous forme mélodramatique la zone sensible dans laquelle évoluent les familles d’accueil. On y suit Anna (Mélanie Thierry), qui vit une existence heureuse avec son mari
(Lyes Salem), ses deux garçons et Simon, enfant placé chez eux depuis ses 18 mois par l’aide sociale à l’enfance… Jusqu’à ce que le père de ce dernier exprime le souhait de récupérer la garde de son fils désormais âgé de 6 ans. Anna doit accepter l’idée de se séparer progressivement de cet enfant avec qui elle a noué des liens indéfectibles, mais elle aura toutes les peines du monde à y parvenir… Centré sur le déchirement ressenti par cette mère de substitution, le film instaure un puissant suspense psychologique, servi par un impressionnant casting. Entre Mélanie Thierry, qui donne superbement corps aux émotions de son personnage, et Félix Moati, dans la peau du père biologique de Simon, qui essaie tant bien que mal de regagner l’amour de son fils, les interprétations se situent sur une habile ligne de crête qui transforme les conflits en énergie constructive.
La Vraie Famille de Fabien Gorgeart, Le Pacte (1 h 42), sortie le 16 février
DAMIEN LEBLANC
VOUS NE DÉSIREZ QUE MOI SORTIE LE 9 FÉVRIER
En 1982, Yann Andréa, 29 ans, vit depuis deux ans une passion avec Marguerite Duras, 68 ans… Adapté d’entretiens entre le jeune homme et une journaliste, le film de Claire Simon noue un passionnant dialogue autour de l’emprise de la passion. « Je voudrais parler de Duras. » Ce sont à peu près les premiers mots que prononce Yann Andréa (Swann Arlaud) quand la journaliste Michèle Manceaux (géniale Emmanuelle Devos), amie de Marguerite Duras, lui rend visite pour conduire l’interview qu’il lui a demandée. Avant que le micro ne soit enclenché, le son de la scène est étouffé, voire inaudible. Il nous faut entendre le grésillement du micro pour que les mots nous parviennent. En mettant en scène l’artifice de ce dispositif d’enregistrement, Claire Simon matérialise très finement le caractère
évanescent, insaisissable de la passion, cet endroit « où on est sourd et aveugle » comme l’écrivait Duras. Vous ne désirez que moi est un passionnant film-labo, une fiction- documentaire qui nous fait entrevoir Duras, l’écrivaine et la femme, racontée par les mots d’un autre. Mais le mystère que, dans le film, les mots cherchent à percer est moins dirigé vers elle que vers une relation faite d’admiration, d’emprise, peut-être d’amour, et vers un homme dépossédé de lui. Dans ce flux de paroles, qui tente de décortiquer le lien entre une vieille dame et un jeune homme homosexuel, c’est aussi le récit d’une émancipation qui s’entend, l’expression d’une individualité qui se réalise enfin par l’enregistrement. Vous ne désirez que moi de Claire Simon, Dulac (1 h 35), sortie le 9 février
MARILOU DUPONCHEL
Claire Simon matérialise très finement le caractère évanescent, insaisissable de la passion. 56
no 186 – février-mars 2022
NOVOPROD CINÉMA présente
HALETANT ! TÉLÉRAMA
INTENSE ET FLAMBOYANT,
Meilleur Réalisateur
UNE PÉPITE !
Meilleure Actrice
KONBINI
LAURE
CALAMY
Crédits non contractuels • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA.
À PLEIN
TEMPS UN FILM DE
ÉRIC GRAVEL
AU CINÉMA LE 16 MARS
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
LES AFFLUENTS SORTIE LE 16 FÉVRIER
Les Affluents, premier long métrage du Français Jessé Miceli, compose le portrait sensible et éclaté d’une jeunesse cambodgienne. Le cinéaste suit les multiples chemins qui mènent ses trois jeunes personnages vers leur indépendance. Dans le droit fil du planant White Building de Kavich Neang, sorti en décembre dernier, Jessé Miceli prend le pouls de la jeunesse de Phnom Penh, emportée dans le torrent des mutations de la société cambodgienne. Le cinéaste a découvert le pays en 2010 et y a observé les effets de la gentrification, de l’exode de la campagne vers la ville dans un contexte de croissance urbaine, de forte densité dans la capitale – elle compte 15 % de la population totale du Cambodge, avec deux tiers de moins de 30 ans. La délicatesse du film tient au
fait que Micelli ne plaque pas de discours tout cuit sur ses trois héros, et choisit de ne pas (ou peu) entrelacer leurs parcours. À nous de faire les liens, de voir les correspondances entre ces vies. Il y a Thy, qui travaille dans un bar gay la nuit ; Songsa, que sa famille envoie dans la métropole pour vendre des vêtements sur un tuk-tuk ; et Phearum, qui effectue le plus de courses de taxi possible. Dans ces trajectoires, on distingue alors une volonté farouche de prendre son autonomie. Miceli a aussi l’intelligence d’instiller un discours critique sur la présence occidentale dans la ville, notamment à travers ces personnages d’expats dans le bar de Thy, qui incarnent une face du tourisme sexuel. Les Affluents de Jessé Miceli, Local Films (1 h 22), sortie le 16 février
QUENTIN GROSSET
Jessé Miceli prend le pouls de la jeunesse de Phnom Penh, emportée dans le torrent des mutations.
SOUS LE CIEL DE KOUTAÏSSI SORTIE LE 23 FÉVRIER
Primé à Berlin il y a un an, Sous le ciel de Koutaïssi d’Alexandre Koberidze sort enfin sur nos écrans. Le deuxième long métrage du cinéaste géorgien explore les mystères et la magie de la rencontre amoureuse. Dans la ville géorgienne de Koutaïssi, un homme et une femme tombent subitement amoureux l’un de l’autre lorsqu’ils se croisent devant une école. Mais, aussitôt, un mauvais sort les frappe et modifie leur apparence au point de les empêcher de se reconnaître. Avant que leur métamorphose opère à l’écran, un carton nous enjoint à fermer les yeux pendant quelques secondes. Avec
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gourmandise, le cinéaste nous invite ainsi à croire au réalisme magique et à se laisser prendre par la main dans les méandres de son récit. Avec la transformation des amoureux, c’est le film lui-même qui mute. Il passe de la romance à une balade douce et erratique, dans des quartiers aux accents de fête foraine joyeuse et surannée, sur fond de Coupe du monde de foot, hommage aux symphonies urbaines du cinéma muet. Après le sortilège, le malheureux ne peut plus s’adonner à sa passion du ballon rond : il cède à regret sa balle aux enfants du quartier qui prennent alors les rênes du récit, entraînant le film sur un chemin buissonnier. Il faudra de la patience et le hasard du tournage d’un film dans le film pour que l’histoire retrouve son cours initial, grâce à deux cupidons incarnés par les parents du réalisateur, dans une parfaite mise en abyme de ce beau conte poétique.
Sous le ciel de Koutaïssi d’Alexandre Koberidze, Damned (2 h 31), sortie le 23 février
no 186 – février-mars 2022
RAPHAËLLE PIREYRE
TRIPODE PRODUCTIONS et 31 JUIN FILMS présentent
LINA EL ARABI
LES
ESTHER ROLLANDE
MEILLEURES
KIYANE BENAMARA
MAHIA ZROUKI
TASNIM JAMLAOUI
AZIZE DIABATÉ MARIAMA GUEYE
LAETITIA KERFA
AU CINÉMA LE 2 MARS
FADILA BOUANATI
Design : Laurent Pons / TROÏKA • Tous droits reservés © 31 JUIN FILMS - TRIPODE PRODUCTIONS - FRANCE 2 CINÉMA.
UN FILM DE MARION DESSEIGNE RAVEL
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
AFTER BLUE (PARADIS SALE) SORTIE LE 16 FÉVRIER
Bertrand Mandico continue d’étendre son singulier territoire charnel avec ce deuxième long métrage qui explore une planète démoniaque sur laquelle une mère et sa fille cherchent la rédemption. Mâtinant ses images fantastiques d’échos politiques, le cinéaste surprend encore. Après la déflagration sensorielle provoquée en 2018 par Les Garçons sauvages, son premier long métrage réalisé après vingt ans d’expérimentations dans le monde du court, Bertrand Mandico revient avec ce qu’il présente comme le deuxième volet d’une trilogie picaresque. Si Les Garçons sauvages explorait le paradis en dépeignant une île à la sensualité queer, After Blue (Paradis sale) se consacre ainsi au purgatoire en arpentant
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une inquiétante planète inventée de toutes pièces par le cinéaste. Situé dans un futur lointain, après que la Terre a été désertée, le récit raconte comment l’adolescente Roxy (Paula Luna) délivre une criminelle ensevelie dans le sable. À cause de ce lourd péché, Roxy et sa mère, Zora (Elina Löwensohn), se voient bannies de leur communauté et forcées à traquer la meurtrière dans les étendues hostiles de leur planète sale nommée After Blue. Comme à son habitude, le cinéaste croise les genres et les influences pour accoucher d’une imagerie à nulle autre pareille. Faisant ici muter le western vers le fantastique, Mandico convoque autant des souvenirs du Dune de David Lynch que des œuvres de Sergio Leone ou de Jean Cocteau et fait souffler un vent poussiéreux sur des territoires désertiques dans lesquels s’invite notamment une cow-girl à fourrure (jouée par la magnétique Vimala Pons) qui éclabousse la nature de son pouvoir détonant. S’ancrant dans une atmosphère d’urgence climatique, comme des classiques de science-fiction tels que Soleil vert ou La Planète des singes, le film crée des sensations d’après-cataclysme et opère, grâce à
la directrice de la photo Pascale Granel, un fascinant dérèglement des couleurs. Mandico réussit par là à insuffler du trouble et de la nostalgie à ses images de ruines et sait trouver, au-delà de ses visions monstrueuses (comme celle d’un homme au sexe tentaculaire ou d’une vulve dotée d’un troisième œil), une émotion universelle. Quand l’Adagio d’Albinoni résonne au cœur de cette planète gluante, l’art délicieux de la métamorphose triomphe définitivement et donne envie de suivre le cinéaste jusqu’à l’autre bout de l’univers, aussi crasseux soit-il.
After Blue (Paradis sale) de Bertrand Mandico, UFO (2 h 07), sortie le 16 février
DAMIEN LEBLANC
Dans une atmosphère d’urgence climatique, le film crée des sensations d’après-cataclysme.
no 186 – février-mars 2022
Sorties du 2 février au 16 mars <---- Cinéma
LES POINGS DESSERRÉS SORTIE LE 23 FÉVRIER
Récent lauréat du prix Un certain regard à Cannes, le drame puissant de Kira Kovalenko donne à voir la révolte d’une jeune femme au bord de l’implosion, à la fois prisonnière de son corps, de son Caucase natal et de sa famille, qui annihile le moindre de ses désirs. En silence, au-dessus d’un cache-cou remonté jusqu’au nez, une paire d’yeux observe l’asphalte. Aucune voiture ne s’arrête, l’inconnue aux cheveux courts reste adossée à un mur, très calme. Ce pourrait être une scène de jour anodine, prélude à des retrouvailles chaleureuses. Il y a pourtant un je-ne-sais-quoi de troublant dans l’ouverture solitaire des Poings desserrés, comme si le monde extérieur avait déjà dressé des barrières.
La jeune Ada (Milana Agouzarova, révélation de quasi tous les plans), bientôt rejointe par un drôle de garçon pas vraiment invité, se déride malgré tout sous l’effet du klaxon. Un demi-sourire pour une moitié de vie : la maison familiale n’est pas loin… Sorte d’ouragan sous contrôle, ballotté entre des vents violents et un étonnant souffle de douceur, ce deuxième film terriblement incarné ne craint pas les zones grises et se garde bien de tout dire. Son titre fait naturellement penser au premier cri féroce poussé par Marco Bellocchio, Les Poings dans les poches (1965), huis clos funeste et sublime capturant la folie d’une famille bourgeoise ainsi que les tares de la société italienne de l’époque. Il existe, il est vrai, des passerelles évidentes entre la perversion galopante jadis mise en scène par le cinéaste transalpin et le quotidien détraqué d’une âme russe dissimulée là, sous un bout de tissu. Sauf que le personnage d’Ada ne cherche pas à allumer un brasier pour y jeter son mal-être et ses proches. Au cœur
d’une ville perdue d’Ossétie, l’amour fraternel a beau s’embourber dans l’excès (cadet bien trop collant pour son âge, aîné plus indépendant perçu comme le sauveur à moto) et l’amour paternel friser l’horreur d’une relation ambiguë, rien ne paraît ici putrescent : aussi vicié soit-il, l’air du film se renouvelle juste avant d’étouffer les corps enserrés dans le cadre, notamment grâce à un scénario avare d’informations évidentes. Au jugé, une telle épaisseur des nondits abraserait la question de la morale, mais elle participe au contraire à un coup de maître, à cent lieues du récit d’émancipation programmatique qui se contenterait d’instruire le procès du patriarcat. Volontiers flottante, cette tonalité conditionne le formidable ballet de mouvements en espace confiné et les jeux de regards qui s’ensuivent, balayant blessures intimes, espoirs et cicatrices de l’esprit, avec, au centre des attentions, toujours cette femme qui sourit mais désespère de s’enfuir. Du moins le croit-on, à l’intérieur d’une forteresse de tendresses et de malheurs si opaques. Kira Kovalenko (32 ans), issue de la même université que Kantemir Balagov, autre espoir du cinéma russe à l’univers esthétique radical, mû par l’idéal de liberté individuelle aux prises avec le milieu, préserve une urgence de vivre en tout point foudroyante. Les Poings desserrés de Kira Kovalenko, ARP Sélection (1 h 36), sortie le 23 février
OLIVIER MARLAS
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Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
UN AUTRE MONDE SORTIE LE 16 FÉVRIER
Après La Loi du marché et En guerre, Stéphane Brizé s’attaque de nouveau à la violence du monde du travail. S’il adopte cette fois le point de vue d’un cadre dirigeant, le réalisateur n’a perdu ni son sens du réalisme ni sa verve. Tout commence par la fin. Anne (Sandrine Kiberlain) et Philippe Lemesle (Vincent Lindon) se séparent, et leurs avocats négocient âprement la somme que la première pourra toucher pour garder son niveau de vie bourgeois. On devine, dès la première scène d’Un autre monde, que ces deux-là se sont pourtant aimés, longtemps, profondément, et que leur vie ensemble leur manque déjà, avant même d’être définitivement terminée. Stéphane Brizé aurait-il décidé, après l’exploration des violences du monde du travail dans La Loi du marché et dans En guerre, de s’intéresser à l’économie du couple ? Très vite, le réalisateur dévoile
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qu’il n’en a pas fini avec sa critique du système capitaliste. Car c’est bien l’emploi de Philippe, cadre dirigeant dans une entreprise industrielle, qui précipite le divorce. Ce travail a peu à peu colonisé l’intime, phagocyté les soirées et les week-ends, grignoté les convictions morales d’un homme désormais habitué à exécuter les ordres. Le dernier en date : licencier 10 % du personnel de son usine de fabrication d’électroménager. Conçu comme le contrechamp d’En guerre, qui racontait la lutte des salariés contre la fermeture de leur usine et les suppressions de poste, Un autre monde plonge dans les réunions glacées des comités de direction. Les cravates serrées ont remplacé les « gilets jaunes », le vocabulaire est plus châtié, l’urgence n’est plus aussi vitale, mais les incohérences demeurent. Stéphane Brizé fixe avec un réalisme saisissant le dévoiement du langage à l’œuvre dans les salles vitrées des tours des quartiers d’affaires. Le « courage », le « challenge », la « loyauté », une fois dilués dans la novlangue des hautes sphères, se vident de leur sens. Comme pour mieux souligner toute la violence contenue dans la seule distorsion des mots, Stéphane Brizé revient à une mise en scène
moins documentaire que dans ses précédents films, privilégiant les champs-contrechamps et les caméras fixes plutôt que les plans longs collés aux personnages. Il garde, en revanche, son comédien principal. Vincent Lindon, plus cerné encore que dans En guerre, prouve une nouvelle fois qu’il peut enfiler avec la même aisance tous les costumes. Ensemble, les deux compères ont désormais exploré tous les milieux, des plus modestes aux plus aisés. Mais l’autre monde du titre est sûrement, aussi, celui auquel ils aspirent. Avec ce film, Stéphane Brizé semble considérer le cinéma autant comme le canal d’expression d’une colère que comme un moyen de compenser les injustices par la fiction. À défaut de pouvoir les faire disparaître. Un autre monde de Stéphane Brizé, Diaphana (1 h 36), sortie le 16 février
MARGAUX BARALON
no 186 – février-mars 2022
Trois questions Comment avez-vous travaillé les dialogues pour arriver à un tel réalisme ? J’ai passé beaucoup de temps à discuter avec des cadres. Je fais ça pour chaque film, comme un journaliste qui va sur le terrain. Je me nourris du réel, qui a souvent plus d’imagination que moi, puis je fabrique de la fiction. Ces cadres m’ont parlé avec cette langue. J’ai même été obligé de réduire la voilure en écrivant les dialogues, pour éviter que ça paraisse trop caricatural. Il y a une surprise du côté du casting, avec Marie Drucker dans le rôle de la directrice générale du groupe. Ce personnage est inspiré de certaines ministres ou députées LREM. Je connaissais Marie, j’étais impressionné par son
À STÉPHANE BRIZÉ autorité naturelle et je lui ai proposé de passer des essais. C’est son rapport au langage d’entreprise, son agilité avec cette langue qui ont fait qu’elle a emporté le morceau. Quand je lui donnais ces mots à dire, elle était hyper à l’aise. Pourquoi avoir choisi d’atténuer l’aspect documentaire de vos films précédents ? Avant, je me mettais à une place qui permettait d’observer sans donner l’impression que la scène avait été organisée pour la caméra. Là, j’étais obligé de changer pour entrer dans l’intimité d’un couple. La caméra documentaire ne peut pas être avec eux dans une voiture, par exemple. Pour entrer dans la chambre à coucher, il faut créer une caméra de fiction.
Ce film politique et passionnel impressionne.
Sorties du 2 février au 16 mars <---- Cinéma
TÉLÉRAMA
PHOTO CHRISTOPHE BRACHET
MARINA SEEAR FOïS KOHI
UN FILM DE JÉRÉMIE ELKAÏM AU CINÉMA LE 23 FÉVRIER février-mars 2022 – no 186
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Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
LA LÉGENDE DU ROI CRABE SORTIE LE 23 FÉVRIER
Pour leur première fiction, Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis livrent un western aussi enchanteur que morbide, situé entre la province italienne et les paysages crépusculaires de la Terre de Feu. Rejeté par les habitants de son village en Tuscie (Italie), l’ivrogne Luciano s’est épris d’Emma. Jour après jour, leur idylle se nimbe toutefois d’un voile mortifère, et un soir Luciano est définitivement mis au ban à la suite d’un tragique revirement. Commence alors une errance aux confins du monde, en Argentine, où l’exilé suivra la lente avancée d’un crabe à la recherche d’un précieux trésor… Dans ce film diptyque, Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis s’inscrivent à la croisée des chemins de deux filmographies : d’abord les contes signés par de jeunes cinéastes italiens (Alessandro Comodin, Alice
Rohrwacher), ensuite les dérives existentielles des personnages de Lucrecia Martel (Zama) ou de Lisandro Alonso (Jauja). La réussite de La Légende du roi crabe repose justement sur le bel alliage qui naît de la rencontre entre ces deux horizons. Tour à tour intime et existentiel, aussi épuré dans sa mise en scène qu’épique voire grandiloquent, le film conjugue fable chevaleres que et western fantomatique pour figurer le cheminement d’un grand romantique, empoisonné par la beauté tragique du monde qui l’entoure. Une première fiction qui transpire l’amour des grands récits, dans des paysages sublimes, signée par un duo de cinéastes italo-américains à suivre. La Légende du roi crabe d’Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, Shellac (1 h 39), sortie le 23 février
CORENTIN LÊ
Mis au ban, Luciano suit la lente avancée d’un crabe à la recherche d’un précieux trésor.
LA CAMPAGNE DE FRANCE SORTIE LE 23 FÉVRIER
En documentant l’élection municipale de Preuilly-surClaise, en région Centre-Val de Loire, Sylvain Desclous met en place une esthétique minutieuse qui révèle comment les bizarreries de la politique agissent sur les candidats. Ils sont trois en lice : Patrick est persuadé qu’il est le favori ; Jean-Paul connaît tout le monde ; tandis que Mathieu, le plus jeune, travaille sur un programme sans faille. Dans un long plan fixe, ils viennent fixer leur affiche respective sur un tableau en liège. Le premier avec de la colle, le deuxième avec des clous, le troisième avec du scotch. Les
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candidats s’observent, échangent deux ou trois mots acerbes, pour voir qui prendra le dessus. Et le collage des affiches devient un véritable combat de coqs. Ce sont ces instants, durant lesquels les personnalités se dessinent, que Sylvain Desclous capture très bien. Pour y parvenir, il met en place une esthétique nette et géométrique. Chaque plan est précisément composé et, à l’intérieur, ses personnages un peu maladroits semblent comme révélés. Ce ne sont ni des professionnels du jeu ni de la politique, et ils s’accommodent mal de cet univers très balisé. Ainsi, quand Mathieu part en mission tractage, isolé dans un plan large qui n’en manque pas une miette, il hésite à frapper aux portes, bafouille, se trompe. Le film montre qu’aucun d’entre eux n’arrive à se transformer en personnalité politique. C’est sûrement ce qui les rend si touchants : être fatalement eux-mêmes.
La Campagne de France de Sylvain Desclous, The Jokers (1 h 38), sortie le 23 février
no 186 – février-mars 2022
LUCIE LEGER
FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE D’ANGOULÊME PRIX DES ÉTUDIANTS
FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE THESSALONIQUE PRIX DU MEILLEUR FILM
PRODIGIEUX, ÉMOUVANT, REBELLE PARIS MATCH
UN FILM DE
ALIOCHA
REINERT AVEC
JADE SCHWARTZ
ANTOINE
IZÏA
REINARTZ ILARIO GALLO
HIGELIN
ABDEL BENCHENDIKH
ROMANE ESCH
MERESIA LITZENBURGER
DANIELLE DALHEM
AU CINÉMA LE 9 MARS
MAÏA QUESMAND
MÉLISSA
OLEXA CLAIRE BURGER
© 2021 AVENUE B PRODUCTIONS - FRANCE 3 CINÉMA • DESIGN : BENJAMIN SEZNEC / TROÏKA
SAMUEL THEIS
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
LA NATURE SORTIE LE 23 FÉVRIER
Heureuse nouvelle : le dernier film du grand Artavazd Pelechian, La Nature, sort enfin en salles. Un opéra muet consacré aux forces dévastatrices des éléments qui rappelle, en ce deuxième anniversaire de pandémie, un constat implacable : nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Aussi précieuse que dissimulée (il faudra attendre 2007 et la sortie d’un programme de trois de ses courts, « Artavazd Pelechian. Le poète cinéaste arménien », pour voir enfin une partie de sa filmographie exploitée en salles), l’œuvre de cet héritier de Lev Koulechov et de Sergueï Einsenstein s’appuie sur des images d’archives pour composer de puissantes élégies à la gloire de Mère Nature. La Nature, c’est justement le titre et le sujet du projet commandé au réalisateur
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par la Fondation Cartier pour l’art contemporain (en collaboration avec le Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe). L’opportunité, pour le cinéaste, silencieux depuis vingt-cinq ans, de prolonger des expérimentations entamées avec des films comme Les Saisons – fort justement diffusé en miroir à l’occasion de l’exposition qui s’est terminée en mai dernier. Difficile de résumer un film de Pelechian, lui qui met en scène de manière symphonique la lutte sans cesse rejouée entre le genre humain et son environnement (son œuvre la plus illustre, Notre siècle, reconstituait en un même fracas d’images décontextualisées les tentatives de l’homme pour conquérir l’espace). Délesté de tout impératif narratif ou explicatif (pas de personnage, pas de voix off), La Nature chorégraphie ainsi un hypnotique ballet de puissances telluriques et cosmiques en mouvement – essaims de nuages se réunissant au sommet des montagnes, cours d’eau qui convergent et débordent de leur lit, cisaillement des vents formant progressivement les contours d’une tornade… Une danse des éléments qui dessine le portrait d’une Terre en forme de paradis menaçant, éternelle
Arcadie aux accès de colère arbitraires et réprobateurs, qui vont chaque fois renvoyer l’homme à la fragilité de sa condition. Le panthéisme incantatoire des premières minutes glisse ainsi progressivement vers un registre cataclysmique, charriant dans un chaos rageur les images de dévastation (notamment empruntées aux vidéos amateurs des razde-marée ayant ravagé l’Asie du Sud-Est). La nature du titre y est donc admirée autant que crainte, déclinant en une frise d’apocalypse le spectacle d’une humanité en sursis, condamnée à cohabiter au quotidien avec la promesse de son extinction.
La Nature d’Artavazd Pelechian, Les Films du Camélia (1 h 02), sortie le 23 février
LOUIS BLANCHOT
Une danse des éléments qui dessine le portrait d’une Terre en forme de paradis menaçant.
no 186 – février-mars 2022
Sorties du 2 février au 16 mars <---- Cinéma
PICCOLO CORPO
24 25 FILMS PRÉSENTE UNE COPRODUCTION APOLLO FILMS ORANGE STUDIO ET FRANCE 3 CINÉMA
SORTIE LE 16 FÉVRIER
« UNE SATIRE SOCIALE DÉSOPILANTE » PRIMA « HILARANT ET DÉCAPANT » TSF JAZZ « DÉLICIEUSEMENT ABSURDE ! » FRANCE BLEU
JEAN-PAUL ROUVE JULIE DEPARDIEU RAMZY BEDIA JULIE GAYET YOLANDE MOREAU Parmi les premiers longs qui laissent pantois trône en bonne place celui de Laura Samani, découvert à la Semaine de la critique à Cannes en 2021. Un conte vertigineux sur une jeune mère en deuil périnatal qui parcourt les montagnes italiennes au début du xxe siècle. Il y a des plans qui, s’ils ne sont pas totalement inédits, marquent l’esprit au fer rouge par la subtile modification qu’ils opèrent avec l’image de référence. Au début de Piccolo corpo, c’est celui où Agata, jeune habitante d’un village de pêcheurs italien, en l’an 1900, fuit seule et silencieusement en barque sur un bras de mer, la nuit, tel Charon traver-
vie dans son ventre porte maintenant la mort sur son dos, sa propre enveloppe charnelle insensibilisée, réduite à la fonction de vaisseau. Les paysages merveilleux de mer et de montagne, les affres et les particularités des populations rencontrées sur le chemin, tout cela est égal – pour elle, mais pas pour le spectateur – tant qu’elle est en mission. Faisant souffler sur sa veine réaliste (le thème rarissime du deuil périnatal ; la vie dans la région à l’époque) un foudroyant vent mystique, Laura Samani sidère et implique. Pour finalement nous couper le souffle par un dernier plan inoubliable.
sant le Styx. Le détail bouleversant, c’est qu’elle transporte sur son dos, dans une courte boîte en bois, son bébé mort-né. Symboliquement, bien sûr, la boîte pèse une tonne, et Agata est encore loin d’être remise physiquement de l’accouchement. Sauf que, incomprise par son compagnon, qui balaye l’événement en lui proposant de mettre vite un autre enfant en route, elle n’a d’autre choix pour affronter son deuil que de se lancer à corps perdu dans une quête impensable : parcourir les montagnes jusqu’à un sanctuaire où un rite insufflerait une unique respiration à l’enfant, condition pour pouvoir le baptiser et le prénommer. Dans cette épopée pour la paix des âmes, Agata croise la route de Lynx, jeune électron libre qui cache aussi un secret. Et la réalisatrice Laura Samani de réinventer les codes du buddy movie, dans une version aride et solennelle tout autant qu’épique. Des mille dangers qui guettent le duo, aucun n’a pourtant l’air d’affecter Agata. Elle qui a porté la
Piccolo corpo de Laura Samani, Arizona (1 h 29), sortie le 16 février
TIMÉ ZOPPÉ
Trois questions
À LAURA SAMANI
Comment le thème du film trouve un écho aujourd’hui ? Les bébés mort-nés sont un des plus grands tabous sociétaux, mais je vois surtout ce sujet comme une métaphore de toutes les pertes. Notre société est proche de celle d’Agata : on a tendance à ne pas s’occuper de ce qui meurt ou est déjà mort, car ça nous met mal à l’aise. Agata, elle, se rebelle contre ce que lui dit sa communauté – « prie, tu vas oublier, des jours meilleurs vont venir ». Elle plonge dans la douleur.
Quelles questions de représentation ça vous a posées ? La plus grande portait sur le fait de montrer ou pas le corps du bébé. Finalement, comme pour le personnage taiseux d’Agata, j’ai décidé de laisser le plus grand champ possible à l’imagination. J’ai pris la décision inverse pour le corps d’Agata, sa nudité, le sang après l’accouchement. Dans notre culture, on ne peut montrer de vulve que si elle est totalement épilée et sexualisée. Mais, les gars, il y a les règles, on saigne !
UN FILM DE FRANÇOIS DESAGNAT D’APRÈS LA BD CULTE DE FABCARO SCÉNARIO, ADAPTATION ET DIALOGUES FRANÇOIS DESAGNAT ET JEAN-LUC GAGET
AU CINEMA LE 23 FEVRIER La photographie est impressionnante. Comment l’avez-vous travaillée ? Mitja Ličen, mon chef opérateur et caméraman, est très généreux et courageux. On a voulu filmer presque uniquement en lumière naturelle, donc c’était surtout la météo qui décidait. On a donc davantage parlé des mouvements de caméra, et on a opté pour une caméra portée, pour mieux sentir la douleur, la raideur, la fatigue d’Agata et de Lynx.
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Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
GOLDA MARIA SORTIE LE 9 FÉVRIER
Ce documentaire donne la parole à une femme du siècle, née en 1910, mère, épouse, immigrée et survivante des camps de la mort. Au fil de son témoignage intime, une certaine histoire de l’Europe se (ré)incarne dans toute sa vivacité. Bouleversant. En 1994, le producteur Patrick Sobelman s’entretient longuement avec sa grand-mère Golda Maria, afin qu’elle lui raconte sa vie d’exilée polonaise en Allemagne puis en France, en pleine Seconde Guerre mondiale. Il l’immortalise, à la manière des témoignages filmés par Claude Lanzmann, dans ce qui
est d’abord destiné au seul cercle familial. Vingt-cinq ans plus tard, Patrick condense ces images et, avec son fils Hugo, en fait un film de cinéma. Grand bien leur en a pris, puisqu’il suffit ici d’une femme assise face caméra pour que jaillisse sans prévenir une mémoire universelle, cristallisée par un destin hors du commun, de l’immigration d’est en ouest jusqu’aux confins de l’enfer des camps. Confiante, Maria se raconte à mesure que les souvenirs la submergent. Très personnels, ils transcendent l’histoire de son point de vue de femme juive ; les détails parfois infimes qu’elle en tire n’en sont que plus fascinants, précisément parce qu’ils ont échappé aux récits officiels. À tel point que les images d’archive en deviennent presque anecdotiques. Les cinéastes ont compris que les yeux et les mains de Maria sont, à eux seuls, un livre ouvert sur un continent, historique et émotionnel, d’une puissance rarement égalée.
Golda Maria de Patrick et Hugo Sobelman, Ad Vitam (1 h 55), sortie le 9 février
DAVID EZAN
SOY LIBRE SORTIE 9 MARS
Fonçant à scooter dans la nuit, Arnaud est un jeune homme impulsif, indépendant, rebelle. Sa sœur, Laure Portier, l’a filmé sur le long cours pour livrer un portrait touchant, présenté dans la sélection de l’ACID lors du dernier Festival de Cannes. Dans Soy libre, Laure Portier suit avec une caméra légère – qu’elle lui confie parfois – son jeune frère, déjà entrevu dans son précédent film, Dans l’œil du chien (2019), qui se postait dans la maison de sa grandmère en fin de vie. De 2005 à 2021, elle a ainsi filmé Arnaud, son regard d’adolescent sur la cité où il a grandi dans une famille décomposée et mal aimante, son désir de tout quitter pour une vie moins étriquée et contrôlée, ses dessins, expression brute de ses émotions violentes, ou encore ses critiques sur la mise en scène du film qu’ils font
ensemble. Soy libre n’est jamais aussi beau que lorsqu’il documente cet attachement profond qui se joue de part et d’autre de la caméra, et qui se manifeste surtout par des disputes parfois drôles, comme lorsque la réalisatrice provoque son frère en lui reprochant de ne pas savoir voler un scooter. Tourné entre les Deux-Sèvres, l’Espagne et l’Amérique latine, le film est surtout constitué de grandes ellipses qui laissent deviner des épisodes plus graves et dramatiques que ce que le film révèle. De ces quinze années d’existence chaotique, la cinéaste garde comme gouvernail son affection pour son frère et le désir de ce dernier de vivre sans entrave, afin de rester fidèle à son envie : mettre en cinéma les gens qu’elle aime. Soy libre de Laure Portier, Les Alchimistes (1 h 18), sortie le 9 mars
RAPHAËLLE PIREYRE
Le film est surtout constitué de grandes ellipses qui laissent deviner des épisodes plus graves et dramatiques. 68
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LES MEILLEURES SORTIE LE 2 MARS
Centré sur une histoire d’amour en apparence impossible entre deux adolescentes vivant dans un quartier populaire, le premier long métrage de Marion Desseigne-Ravel mêle colère, frustration et romantisme pour appeler à abattre les murs des préjugés. Nedjma (Lina El Arabi) vit dans un quartier populaire entourée de sa bande de copines avec qui elle partage tout. Mais, quand elle croise le regard de Zina (Esther Bernet- Rollande) lors d’un blind-test enjoué, l’adolescente ressent un sidérant coup de foudre qu’elle va dissimuler à son entourage. Découvrant que son attirance pour Zina est réciproque, Nedjma se lance alors dans un jeu de séduction à hauts risques… Marquée par les débats qui eurent lieu à l’époque du mariage
pour tous, la réalisatrice Marion Desseigne- Ravel met en scène l’extrême violence à laquelle peut encore se heurter l’homosexualité féminine dans la France contemporaine. Son portrait de la relation amoureuse entre deux jeunes filles en apparence opposées – Zina incarnant une figure apaisée qui ne cède pas à la pression des groupes et Nedjma cachant derrière sa carapace brutale un sentimentalisme débordant – fonctionne grâce à un casting épatant et à une description réaliste du poids écrasant des réseaux sociaux chez les adolescents de 2022. Et le final douxamer, aussi nuancé que pragmatique, permet à la cinéaste de conclure avec humilité et intelligence ce joli premier film. Les Meilleures de Marion Desseigne-Ravel, Le Pacte (1 h 20), sortie le 2 mars
DAMIEN LEBLANC
Le final doux-amer permet à la cinéaste de conclure avec humilité et intelligence ce joli premier film.
UN PEUPLE SORTIE LE 23 FEVRIER
Emmanuel Gras a suivi durant plusieurs mois un groupe de « gilets jaunes », dans un documentaire qui parvient à saisir l’énergie enivrante de la révolte populaire autant que les nombreux obstacles qui se dressent devant elle. Agnès, Benoît, Allan, Nathalie : toutes et tous se sont rencontrés fin 2018 sur un rondpoint des environs de Chartres, pour manifester leur colère à l’égard des injustices qu’ils et elles ont trop longtemps subies. Le documentariste Emmanuel Gras les a suivis le long de leur reconquête cartographique jusqu’aux Champs-Élysées, en filmant avec acuité les rouages de cette association de
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« gilets jaunes », de réunions en discours. Cet ancrage resserré prend ici la forme d’un échantillon concentrant à lui seul toute la passion et la détermination qui ont animé, mais aussi divisé, les acteurs de la révolte. À travers les nombreuses scènes qui s’y déroulent, le rond-point endosse alors le rôle d’une troublante métaphore : le mouvement rotatif des véhicules représente la circulation de la parole à l’œuvre chez les « gilets jaunes » autant qu’il exacerbe l’inertie dans laquelle ces derniers sont pris au piège (à l’image d’une scène de meeting durant laquelle un membre du parti au gouvernement leur tourne autour). En sortant deux ans après les événements qu’il relate, Un peuple peut à cet égard faire office de bilan contrasté, lucide sur l’impossibilité d’un soulèvement de grande ampleur, mais qui témoigne dans le même temps de la vivacité d’une culture de l’insoumission, toujours tenace.
Un peuple d’Emmanuel Gras, KMBO (1 h 45), sortie le 23 février
no 186 – février-mars 2022
CORENTIN LÊ
TABO TABO FILMS eT COMIC STRIP PRODUCTION PRéSeNTeNT
VALÉRIE
DONZELLI
THOMAS
SCIMECA
YANNICK
CHOIRAT
MAYA
SANSA
NUNO
LOPES
FLORENCE
LOIRET CAILLE
un film de
MATTHIEU ROZÉ MARGUERITE DURAS LES PETITS CHEVAUX DE TARQUINIA
D’APRÈS L’OUVRAGE DE
avec ODILON AUBERT CHOIRAT ANTOINE COESENS ROSE TIMBERT ADAM BESSA scénariO adaptatiOn et dialOgues MATTHIEU ROZÉ image GEORGE LECHAPTOIS sOn MAXIME GAVAUDAN BENOÎT GARGONNE JEAN-GUY VÉRAN décOrs MURIEL GILABERT cOstumes ELISABETH MEHU mOntage ÉLISE FIEVET musique Originale KID FRANCESCOLI prOduit par VÉRONIQUE ZERDOUN et THIERRY AFLALOU cOprOduit par PANAME DISTRIBUTION LAMARR FILMS NOODLES CITÉ FILMS ORSON FILMS avec la participatiOn de MUSINVEST CINÉ+ TV5MONDE ventes mOndiales CITÉ FILMS avec le sOutien de LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR en partenariat avec le CNC l’ANGOA CINÉVENTURE DÉVELOPPEMENT 4 distribué par PANAME DISTRIBUTION
AU CINÉMA LE 30 MARS 2022
Design : Benjamin Seznec / TROÏKA • Photo : ©Patrice TERRAZ
© GALLIMARD, 1953
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
LÀ-HAUT PERCHÉS SORTIE LE 2 MARS
Dans un hameau niché dans les Alpes-de-Haute-Provence, le documentariste Raphaël Mathié (Combalimon, Les Naufrageurs) observe la vie de ses habitants isolés au rythme des quatre saisons et médite sur le décalage entre temps objectif et temps subjectif. Là-haut perchés commence par un enterrement, au son d’une chanson enjouée de Charles Trenet. Déjà, il y a comme une discordance, la célébration de la vie court- circuite la fatalité de la mort. Tout au long de son documentaire, c’est bien cette dimension existentielle qui intéresse Raphaël Mathié. Les discussions entre les habitants du joli hameau tournent toutes autour de leur manière d’accueillir le temps, alors que sur ce sommet celui-ci semble s’être arrêté. Il y a ce vieil homme qui trouve que la vie
est passée un peu trop vite et qui aimerait fixer ses souvenirs. Ou bien cette femme qui sort d’une chimio et qui dit qu’après avoir ressenti la peur de mourir elle a décidé d’apprendre à éprouver le moment présent. Et puis, alors qu’au début de la pandémie de Covid-19 le confinement est prononcé, l’impression d’une résidente que le temps se fige encore plus. Le cinéaste regarde ces différentes façons de se projeter dans l’instant avec malice et apaisement. Et une vive émotion aussi lorsque les villageois visionnent un film qui montre leur hameau il y a plusieurs décennies et qu’ils se rendent compte que des visages connus ont changé, bien plus en tout cas que le paysage. Là-haut perchés de Raphaël Mathié, Les Acacias (1 h 47), sortie le 2 mars
QUENTIN GROSSET
Les discussions tournent toutes autour de leur manière d’accueillir le temps, alors que celui-ci semble s’être arrêté.
WOMEN DO CRY SORTIE LE 9 MARS
Avec ce portrait choral de femmes bulgares prises dans la toile du patriarcat, deux réalisatrices dépourvues d’illusions mais remplies de rage signent une comédie dramatique remuante qui donne envie de se retrousser les manches. Elles sont mères, filles, voire les deux. Au quotidien, ces femmes bulgares se démènent pour exister, être respectées, s’en sortir. Autour d’elles, les hommes brillent par leur absence, quand ce n’est pas par leur médiocrité. Dans une Bulgarie en proie à des débats plus que houleux sur le genre, où le sexisme
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pousse comme la mauvaise herbe et où les discriminations à l’encontre des personnes LGBTQ vont bon train, leur seul salut semble passer par la sororité. Traitant de séropositivité, de dépression post-partum ou de transition de genre contrariée, Women Do Cry fait preuve de suffisamment de finesse pour ne pas se transformer en simple énumération de thématiques sociétales. C’est au contraire un film dynamique, à la réjouissante liberté de ton. Les réalisatrices Mina Mileva et Vesela Kazakova dressent un constat aussi réa liste qu’effarant : sans les hommes cisgenres qu’elles ont croisés sur leur chemin, leurs héroïnes seraient non seulement en meilleure santé, mais également plus en phase avec elles-mêmes. Pas particulièrement optimiste, le film sonne cependant moins comme un appel à la résignation que comme une invitation à brandir le poing et à éradiquer le patriarcat. Vaste programme.
Women Do Cry de Mina Mileva et Vesela Kazakova, Eurozoom (1 h 47), sortie le 9 mars
no 186 – février-mars 2022
THOMAS MESSIAS
Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
MEDUSA SORTIE LE 16 MARS
Après le troublant teen movie Mate-me por favor, la Brésilienne Anita Rocha da Silveira confirme la richesse de son univers, à la croisée du giallo et de la satire politique, avec ce nouveau film stupéfiant sur l’appréhension de la féminité. Elles sont jeunes et jolies, aussi apprêtées que des poupées de cire, fières de ce qu’elles représentent : un canon de féminité. Elles sont aussi de ferventes évangélistes en croisade contre les « pécheresses » qui osent faire acte d’émancipation. En bande, masquées, elles les agressent dans les rues sombres d’une ville brésilienne, les forçant à faire allégeance au Christ… La cinéaste accentue les stéréotypes de genre jusqu’à leur paroxysme : obsession de la beauté discrète pour les unes, de la virilité pour les garçons de la congrégation, dans ce qui apparaît
comme une géniale illustration du renouveau de l’idéologie traditionaliste. Medusa se veut un vaste détournement pop, questionnant les méthodes de séduction employées par les évangélistes pour attirer la nouvelle génération dans leurs filets. Car il s’agit bien de séduction, les filles se faisant les sirènes d’un mal aux relents fascistes. L’une d’elles se décentrera progressivement du groupe, fascinée par l’histoire d’immolation punitive d’une « pécheresse » : c’est que, chez Anita Rocha da Silveira, les jeunes filles font toujours des légendes les plus sordides une échappatoire, un moyen de se mettre en danger et, in fine, de mettre en question leur rapport au monde. Medusa de Anita Rocha da Silveira, Wayna Pitch (2 h 07), sortie le 16 mars
DAVID EZAN
Anita Rocha da Silveira accentue les stéréotypes de genre jusqu’à leur paroxysme.
PETITE NATURE SORTIE LE 9 MARS
Après Party Girl, Samuel Theis poursuit son geste autobiographique, toujours avec la même acuité sociologique, et impressionne par la subtilité avec laquelle il traite un sujet secouant et périlleux, le désir d’un enfant pour son prof adulte. Johnny (Aliocha Reinert), 10 ans, se déshabille devant son instituteur, Adamski (Antoine Reinartz), qui lui demande, fâché, de vite remettre ses vêtements. Le thème est délicat, mais il n’y a aucune ambiguïté morale dans cette séquence qui bouscule. Le cinéaste rend la scène la plus froide possible, il n’y a aucune érotisation – un point de vue bien-
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venu dans le contexte actuel, où les affaires de pédocriminalité sont enfin exhumées et dénoncées. Avant ce passage, une mise en scène précise en focalisation interne nous a plongés dans la subjectivité de l’enfant, tout en observant avec une juste distance sa fascination se développer pour cet adulte. Une situation vécue par le cinéaste au même âge, qui lui permet de sonder les tensions de classes. Dans son milieu populaire en Lorraine, Johnny développe un complexe vis-àvis de sa mère, Sonia (Mélissa Olexa), qui l’aime comme elle peut mais ne lui offre pas les mêmes ouvertures culturelles qu’Adamski. Johnny, bien malgré lui, est au carrefour de ces antagonismes sociaux, et Theis fouille ces structures au lieu de juger ses personnages. La confusion de son jeune héros étant alors aussi pour lui une façon de s’interroger sur la responsabilité des adultes dans leur manière de s’adresser aux enfants.
Petite nature de Samuel Theis, Ad Vitam (1 h 33), sortie le 9 mars
no 186 – février-mars 2022
QUENTIN GROSSET
Sorties du 2 février au 16 mars <---- Cinéma
MONEYBOYS SORTIE LE 16 FÉVRIER
Dans ce premier film écorché qui suit l’itinéraire d’un travailleur du sexe, le cinéaste sino-autrichien C. B. Yi, véritable révélation, pose un regard sans compromis sur la société chinoise. Avec un spleen déchirant, il se penche sur le deuil d’un premier amour. Fei (Kai Ko) traverse le film le visage figé, toujours un peu ailleurs, une manière pour le cinéaste C. B. Yi – ancien étudiant de Michael Haneke à l’académie de cinéma de Vienne, qui a émigré de Chine en Autriche à l’adolescence – de figurer à quel point son héros s’oublie. Car il s’agit surtout de ça dans Moneyboys, de ne pas pouvoir vivre sa vie. Fei la sacrifie au souvenir de son premier amant, à la culpabilité dans laquelle il macère pour être parti quand celui-ci était en danger, alors même qu’il tentait de le venger de
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malfrats qui s’en étaient pris à lui. Mais il s’efface aussi devant le rejet de son oncle et de son grand-père, eux qui, dans un petit village chinois, acceptent l’argent qu’il leur envoie, mais pas son activité de travailleur du sexe, dont ils se doutent mais qu’ils n’osent pas se formuler. À travers l’errance de Fei, C. B. Yi fait le portrait sensible d’une jeunesse chinoise prise dans cette injonction de devoir envers la famille – ce que le réalisateur relie à la forte prégnance du patriarcat, dans une société qui prend racine dans le confucianisme. Dans sa mise en scène affleure alors quelque chose qui pèse lourd, autant dans les scènes de retour au pays, traversées par les regrets et le ressentiment, que dans celles des passes situées dans une métropole chinoise indéterminée, pleines de froideur, de solitude et de détachement – le film a été tourné à Taïwan, car la censure du cinéma chinois n’aurait sûrement pas autorisé un film avec des scènes de sexe gay tarifées, filmées comme ici sans fausse pudeur. Dans ces longs plans-séquences par lesquels C. B Yi crée cette atmosphère intimiste qui nous rattache à Fei, peu importe son impassibilité, se niche aussi souvent la possibilité
d’un espoir. D’abord dans les scènes de retrouvailles avec l’amant, qui s’est installé, a une épouse et un enfant, Fei se ranime un temps parce qu’il imagine pouvoir le faire sortir de ce cadre domestique dans lequel il ne le sent pas épanoui. Mais surtout parce que, si les moneyboys sont d’abord dépeints comme une communauté fondée sur le commerce, le réalisateur insiste sur leur solidarité, sur l’affection mutuelle qu’ils se portent, justement comme une nouvelle famille capable de se dévouer pour les siens. C’est tout le sens du personnage de Long (Bai Yufan), jeune homme originaire du même village que Fei, qui vient lui aussi se prostituer dans la grande ville, et qui peu à peu, à force d’amour, va ramener le héros à lui-même. Moneyboys de C. B. Yi, ARP Sélection (1 h 56), sortie le 16 mars
QUENTIN GROSSET
février-mars 2022 – no 186
Trois questions Comment vous êtes-vous intéressé à la vie des travailleurs du sexe chinois ? Il y a quinze ans, j’ai fait un stage d’études à Pékin. Dans le cercle d’amis que je me suis fait là-bas, il y avait un étudiant comédien. Pour financer les frais médicaux de sa mère malade, il entretenait en secret une relation avec un sugar daddy. Ça m’avait bouleversé. J’ai aussi échangé avec un chercheur de l’OMS qui avait fait plus de deux mille interviews de travailleurs du sexe masculin. Vous avez mis huit ans à faire ce film. Pourquoi ? Je l’ai commencé avec une autre production. Comme c’est souvent le cas avec les jeunes cinéastes expérimentés, on a cherché à m’exploiter. J’ai rejeté
À C. B. YI cette attitude… Cette prise de temps a été aussi longue qu’enrichissante. Pour la première à Un certain regard [où le film était présenté, en 2021, ndlr], j’ai eu assez confiance en moi pour me présenter comme cinéaste. Avant, je n’aurais jamais osé. À la première du film au Festival de Cannes, vous avez dit que le film parlait d’apprendre à s’aimer soi-même. Je pense qu’on ne peut aimer autrui que si vraiment on arrive à s’accepter soi-même. Chez moi, j’ai une quantité incroyable de plantes. M’occuper de mes trente bonsaïs et de mon figuier m’a permis de développer une paix intérieure. Et si j’arrive à cette paix, ça me permet aussi d’aimer. D’abord de m’aimer moi-même, puis d’aimer les autres.
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Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
À PLEIN TEMPS SORTIE LE 16 MARS
Forte de premiers rôles incandescents, Laure Calamy confirme qu’elle sait tout jouer avec ce film social en forme de compte à rebours, présenté en section Horizons à la Mostra de Venise, où la Française a décroché un Prix d’interprétation. La comédienne y campe Julie, une mère célibataire comme il en existe des centaines de milliers en France, confrontée à une double charge de travail. De surcroît, Julie, qui vit à la campagne avec ses deux enfants, doit se rendre quotidiennement dans la capitale, où elle gère un groupe de femmes de chambre qui travaillent dans l’hôtellerie de luxe. Lorsqu’elle décroche l’entretien d’embauche dont elle rêvait, une grève des transports éclate. C’est son équilibre tout entier qui se trouve alors menacé… Le deu-
xième film d’Éric Gravel (après Crash test Aglaé en 2017) oppose à la torpeur d’un certain cinéma social une frénésie ininterrompue ; frénésie du montage, des déplacements, des décors, dans lesquels Julie s’engouffre comme on s’enfoncerait dans un trou noir. Mais Laure Calamy, dont la pulsion de (sur)vie sied à merveille à son personnage, ne se désintègre pas si facilement dans le cosmos. Bien au contraire, elle permet à la complexité du propos social (la grève est filmée du point de vue d’une mère isolée, prise en otage par la situation) de s’incarner à une échelle microscopique : celle d’une femme qui, malgré la force bien réelle de ses désirs, voit son horizon suspendu aux lèvres de sa condition salariale. À plein temps d’Éric Gravel, Haut et Court (1 h 25), sortie le 16 mars
DAVID EZAN
À la torpeur d’un certain cinéma social, le film d’Éric Gravel oppose une frénésie ininterrompue.
FUNAMBULES SORTIE LE 16 MARS
Le quotidien d’une poignée d’êtres rongés par des troubles psychiatriques qui s’intègrent mal dans notre société. Un documentaire aussi atypique que ses sujets, qui ne renie ni sa part de mise en scène ni sa dimension fictionnelle. « Ma maladie, c’est des formes et des couleurs qui se mélangent. » Aube, presque trentenaire, vit recluse chez ses parents. Son existence s’organise autour de quelques obsessions : le thé, les jolis objets, les émissions imaginaires qu’elle présente dans sa cuisine. Ilan Klipper (Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête) s’installe dans son intimité, ainsi
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que dans celle de Yoan, jeune homme à la violence rentrée, et de Marcus, retraité vivant dans un rare capharnaüm. La plupart du temps, ces trois-là (et quelques autres) sont filmés hors les murs des institutions psychiatriques dont ils dépendent pourtant, de façon à montrer comment leur regard atypique sur le monde se télescope avec la réalité. Funambules s’ouvre comme un documentaire à la part de mise en scène assumée, jouant avec les flous et les lumières, puis se nourrit progressivement de petits morceaux de fiction – apparition inattendue de Camille Chamoux dans le rôle de la fille de Marcus, venue l’aider à vider son appartement. Klipper signe un film de l’entre-deux, dont chaque protagoniste a conscience d’évoluer dans un autre monde. Et nous confirme par la même occasion que vivre confiné, chez soi ou dans sa tête, n’empêche aucunement d’être inquiet.
Funambules d’Ilan Klipper, Potemkine Films (1 h 15), sortie le 16 mars
no 186 – février-mars 2022
THOMAS MESSIAS
Sorties du 2 février au 16 mars <---- Cinéma
L’EMPIRE DU SILENCE SORTIE LE 16 MARS
Avec ce documentaire percutant, le Belge Thierry Michel poursuit son combat pour la reconnaissance des souffrances vécues ces vingt-cinq dernières années par la population congolaise, et pose la question de la responsabilité de grandes institutions internationales. Le film s’ouvre sur des plans aériens montrant la beauté des paysages entourant le fleuve Congo. Bien vite pourtant, une voix off vient y déposer un voile sombre. C’est celle de Thierry Michel, qui consacre depuis une trentaine d’années des docus (Congo River,
2006 ; L’Affaire Chebeya, 2012) à l’histoire de la RDC, meurtrie par l’exploitation minière, la corruption de ses dirigeants, la chasse des Tutsi venus s’exiler sur ces terres à la suite du génocide au Rwanda, en 1994. Cette spirale de violences, qui a fait des centaines de milliers, voire des millions de victimes, est synthétisée par un montage limpide, enrichi d’une flopée de témoignages. Ceux de survivants, dont une femme à qui l’administration demande, dans une scène bouleversante, de cesser de pleurer sous peine de ne plus être écoutée. Ou encore celui du docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018 – Thierry Michel l’avait suivi en 2015 dans L’Homme qui répare les femmes. N’épargnant personne, le réalisateur pointe le silence coupable de grandes institutions telles que l’ONU et nous met face à des images d’une violence presque insoutenable. À l’arrivée, la criante nécessité du film ne fait aucun doute.
L’Empire du silence de Thierry Michel, JHR Films (1 h 50), sortie le 16 mars
JOSÉPHINE LEROY
CINQ NOUVELLES DU CERVEAU SORTIE LE 16 MARS
Le talentueux documentariste suisse Jean-Stéphane Bron part enquêter sur les intrications entre cerveau humain et intelligence artificielle pour mieux nous situer aujourd’hui par rapport à l’utopie transhumaniste. Alors, les robots vont-ils vraiment nous remplacer ? Habitué des docus humanistes et politiques (l’excellent L’Expérience Blocher, sur un candidat d’extrême droite aux élections suisses ; le film choral L’Opéra. Le film, sur les rouages de la mythique institution parisienne), Jean-Stéphane Bron surprend avec ce nouveau thème a priori plus technique qu’à l’accoutumée. En plongeant dans le film, on retrouve bien sa « patte », notamment à sa façon d’annoncer un cadre rigide – « cinq nouvelles du cerveau » comme autant de découvertes éclatantes sur notre matière grise – pour mieux laisser le pro-
pos digresser. Si le film est bien chapitré en cinq parties, on assiste plutôt à un sinueux parcours qui agrège connaissances, informations et hypothèses actuelles sur le fonctionnement du cerveau, sans que rien ne soit assené comme une vérité. Une machine peut-elle reproduire le schéma encore mystérieux qui régit nos neurones, voire notre conscience ? Personne n’a encore la réponse. Et si des scientifiques sont parvenus à des avancées extraordinaires, comme cette machine permettant à des personnes plongées dans le coma de communiquer avec leur entourage, le cinéaste ne cesse de mettre en garde contre les dérives potentielles de la compétition technologique, dangereuse dès qu’elle vise à supplanter l’humain. Cinq nouvelles du cerveau de Jean-Stéphane Brond, Ad Vitam (1 h 45), sortie le 16 mars
TIMÉ ZOPPÉ
Un sinueux parcours qui agrège informations et hypothèses actuelles sur le fonctionnement du cerveau. février-mars 2022 – no 186
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Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars
Les Bookmakers/Kinovista (1 h 57)
Local Filmes (1 h 22)
tdh
After Blue (Paradis sale)
Paname (1 h 56)
UFO (2 h 07)
bdr
Diaphana (1 h 36)
d
Nour Films (1 h 57)
Golda Maria
Piccolo corpo
Ad Vitam (1 h55)
Arizona (1 h 29)
o
Deux collègues d’un magasin d’électroménager participent à des jeux télévisés… Une comédie absurde du Palmashow, dans la lignée de Quentin Dupieux.
Petite Solange d’Axelle Ropert
Haut et Court (1 h 25) lire p. 14 et 44
de Jonathan Barré Gaumont (N. C.)
c
lire p. 14
de Hong Sang-soo Capricci Films (1 h 06) lire p. 46
The Souvenir Part I et Part II de Joanna Hogg
Condor (1 h 59 ; 1 h 46)
dr
lire p. 51
FÉVRIER
Introduction
dv
Rezo Films (1 h 25)
o
Les Vedettes
Gebeka Films (43 min)
5
La Disparition ?
de Jean-Pierre Pozzi
09
Les Jeunes Amants
L’Horizon
Diaphana (1 h 52)
Les Films du Losange (1 h 24)
de Carine Tardieu
d
di
Sous le ciel de Koutaïssi d’Alexandre Koberidze Damned (2 h 31)
3d de Kira Kovalenko
ARP Sélection (1 h 36)
d
New Story (1 h 57)
The Jokers (1 h 38)
lire p. 61
de Sylvain Desclous
o
lire p. 34
z
d
lire p. 64
La Légende du roi crabe d’Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis
rétrospective, six films Carlotta Films
no 186 – février-mars 2022
lire p. 58
Les Poings desserrés
La Campagne de France
lire p. 10 et 46
lire p. 67
23
Nous
d’Alice Diop
Kinuyo Tanaka Réalisatrice de l’âge d’or du cinéma japonais
d’Émilie Carpentier
lire p. 52
16
lire p. 62
de Laura Samani
lire p. 68
Dans ce documentaire, le dessinateur Mathieu Sapin et l’ancien député Julien Dray offrent des pistes de réflexion sur la perte de poids du Parti socialiste.
o
lire p. 14
d
lire p. 56
de Patrick et Hugo Sobelman
lire p. 60
de Stéphane Brizé
de Claire Simon
de Ye Ye
de Guillaume Lorin
st
lire p. 54
Memento (1 h 27)
Jour2Fête (1 h 30)
lire p. 58
de Bertrand Mandico
de Sebastian Meise
lire p. 6 et 42
Vanille
d
lire p. 40
Great Freedom
d
lire p. 56
de Jessé Miceli
Dulac (1 h 35)
H6
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Les Affluents
Un autre monde
Les voisins de mes voisins sont mes voisins
c
The Innocents
Vous ne désirez que moi
Le Pacte (2 h 08)
5
d
lire p. 24
d’Eskil Vogt
de Laurent Cantet
de Sean Baker
3
dc
Dans un hôpital de Shanghai, les plus pauvres ne peuvent pas se soigner… Un documentaire immersif à la Frederick Wiseman.
d’Anne-Laure Daffis et Léo Marchand
Le Pacte (1 h 42)
Pyramide (2 h 03)
Arthur Rambo
Red Rocket
dc
de Fabien Gorgeart
FÉVRIER
02
Laurent Cantet s’interroge sur l’affaire Mehdi Meklat à travers cette fiction sur un jeune écrivain qui voit ses anciens messages haineux exhumés sur les réseaux sociaux.
La Vraie Famille
de Thierry de Peretti
FÉVRIER
FÉVRIER
CALENDRIER DES SORTIES
Enquête sur un scandale d’État
Shellac (1 h 39) lire p. 36
di
lire p. 64
Sorties du 2 février au 16 mars <---- Cinéma La Nature
d’Artavazd Pelechian Les Films du Camélia (1 h 02)
o
lire p. 66
Dans ce film qui sonde les blessures du Brésil, Vera, directrice d’un orphelinat, tente de renouer avec sa fille Tania, qui essaye d’avoir un enfant avec sa compagne.
À nos enfants
de Maria de Medeiros Épicentre Films (1 h 47)
dr S’ouvrant sur le burn-out d’un flic expérimenté, le film suit le quotidien de son commissariat et souligne la perte de sens d’un métier soumis à la politique du chiffre.
Selon la police de Frédéric Videau Pyramide (1 h 51)
“UNE ŒUVRE D’UNE GRANDE ENVERGURE.” ATHÉNAÏSE PRE S E N T E
ATHÉNAÏSE PRE S E N T E
NOUS NOUS UN FILM DE ALICE DIOP UN FILM DE ALICE DIOP
IMAGE SARAH BLUM, SYLVAIN VERDET, CLÉMENT ALLINE ETALONNAGE ERIC SALLERON MONTAGE AMRITA DAVID SON MATHIEU FARNARIER & NATHALIE VIDAL PRODUCTION SOPHIE SALBOT - ATHÉNAÏSE COPRODUIT PAR ARTE FRANCE AVEC LE SOUTIEN DU CNC, FONDS IMAGES DE LA DIVERSITÉ ET LE COMMISSARIAT GÉNÉRAL À L’ÉGALITÉ DES TERRITOIRES, PROCIREP, ANGOA, RÉGION ÎLE-DE-FRANCE EN ASSOCIATION AVEC CINECAP 3 DISTRIBUTION NEW STORY IMAGE SARAH BLUM, SYLVAIN VERDET, CLÉMENT ALLINE ETALONNAGE ERIC SALLERON MONTAGE AMRITA DAVID SON MATHIEU FARNARIER & NATHALIE VIDAL PRODUCTION SOPHIE SALBOT - ATHÉNAÏSE COPRODUIT PAR ARTE FRANCE AVEC LE SOUTIEN DU CNC, FONDS IMAGES DE LA DIVERSITÉ ET LE COMMISSARIAT GÉNÉRAL À L’ÉGALITÉ DES TERRITOIRES, PROCIREP, ANGOA, RÉGION ÎLE-DE-FRANCE EN ASSOCIATION AVEC CINECAP 3 DISTRIBUTION NEW STORY
dp comédie
action
AU CINÉMA LE 16 FÉVRIER
drame
romance
sci-fi
comédie dramatique
thriller
guerre
fantastique
aventure
horreur
animation
historique
documentaire
catastrophe
famille
biopic
policier/ enquête
super-héros
espionnage
buddy movie
psychologie
technologie
enfant
musical
luttes sociales
féminisme
comingof-age
voyage/ road trip
western
ressortie
écologie/ nature
Cochez les films que vous ne voulez pas manquer février-mars 2022 – no 186
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Cinéma -----> Sorties du 2 février au 16 mars Béatrice (Marina Foïs, étonnante d’ambiguïté) laisse tomber ses préjugés lorsqu’elle tombe amoureuse de Mokhtar (Seear Kohi), enseignant iranien clandestin en France.
Là-haut perchés de Raphaël Mathié Les Acacias (1 h 47)
" D’UNE CHALEUR HUMAINE DÉBORDANTE " THE GUARDIAN
Ils sont vivants de Jérémie Elkaïm Memento (1 h 52)
3r
MEILLEUR ACTEUR
MEILLEURE MUSIQUE
BRITISH INDEPENDENT FILM AWARDS 2021
ALI & AVA ADEEL AKHTAR
CLAIRE RUSHBROOK
UN FILM DE CLIO BARNARD
o
Medusa
Les Alchimistes (1 h 18)
Wayna Pitch (2 h 07)
de Laure Portier
de Anita Rocha da Silveira
o
lire p. 72
Chacun de son côté dans une ville pluvieuse, deux solitaires désabusés réapprennent à aimer comme des adolescents… Par la réalisatrice du Géant égoïste (2013).
Moneyboys
Eurozoom (1 h 47)
ARP Sélection (1 h 56)
de Mina Mileva et Vesela Kazakova
d
©AVALI FILM LTD, BRITISH BROADCASTING CORPORATION AND THE BRITISH FILM INSTITUTE / 2020
d’Emmanuel Gras
d
lire p. 72
Petite nature
À plein temps
Rezo Films (1 h 35)
Ad Vitam (1 h 33)
Haut et Court (1 h 25)
r3
dc
En Égypte, un tour de magie transforme le patriarche d’une famille pauvre en poule. Son épouse doit faire face seule pour élever leurs enfants dans une société patriarcale.
Fabrice fait ses courses sans carte de fidélité. Devant la gravité des faits, il part en cavale… L’adaptation joyeusement nonsensique de la BD de Fabcaro.
lire p. 75
d’Éric Gravel
de Samuel Theis
lire p. 70
lire p. 74
de C. B. Yi
Ali & Ava
de Clio Barnard
KMBO (1 h 45)
dcf
lire p. 68
Women Do Cry
BBC FILM BFI ET SCREEN YORKSHIRE PRÉSENTENT EN ASSOCIATION AVEC ALTITUDE FILM ENTERTAINMENT UNE PRODUCTION MOONSPUN FILMS “ALI & AVA” ADEEL AKHTAR CLAIRE RUSHBROOK ELLORA TORCHIA SHAUN THOMAS NATALIE GAVIN MONA GOODWIN KRUPA PATTANI VINNY DHILLON TASHA CONNOR MACY SHACKLETON ET AVEC ARIANA BODOROVÁ COACHING COMÉDIENS MOEY HASSAN ET RIO CONSULTANT SCRIPT KAMAL KAAN SUPERVISION DE LA MUSIQUE CONNIE FARR SUPERVISION DE LA POST PRODUCTION MEG CLARK 1ER ASSISTANT RÉALISATEUR TONY AHERNE DIRECTRICE DE LA PRODUCTION JOANNE DIXON MIXAGE RE-RECORDING MARTIN JENSEN MIXAGE SON RASHAD HALL-HEINZ MUSIQUE ORIGINALE HARRY ESCOTT COIFFURE ET MAQUILLAGE FIONA LOBO-CRANSTON COSTUMES SOPHIE O’NEILL DIRECTRICE DE CASTING SHAHEEN BAIG DÉCORS STÉPHANE COLLONGE MONTAGE MAYA MAFFIOLI DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE OLE BRATT BIRKELAND, BSC PRODUCTEURS DÉLÉGUÉS ROSE GARNETT CLAUDIA YUSEF LIZZIE FRANCKE HUGO HEPPELL CAROLINE COOPER CHARLES WILL CLARKE MIKE RUNAGALL CO-PRODUCTEUR AMEENAH AYUB ALLEN PRODUIT PAR TRACY O’RIORDAN ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR CLIO BARNARD
Un peuple
o
Soy libre
d
lire p. 74
Une prof de sport militant contre les pesticides, un avocat en droit environnemental et un lobbyiste voient leurs destins se croiser après un drame. Un film enquête prenant.
lire p. 76
Funambules d’Ilan Klipper
Potemkine Films (1 h 15)
o
lire p. 76
Zaï Zaï Zaï Zaï
Plumes
Goliath
Cinq nouvelles du cerveau
d’Omar El Zohairy
de Frédéric Tellier
Orange Studio/Apollo Films (1 h 23)
Dulac (1 h 52)
StudioCanal (2 h 02)
Ad Vitam (1 h 45)
de François Desagnat
3f
c
02 09 MARS
MARS
de Jean-Stéphane Brond
d Avec drôlerie et mystère, Damien Odoul nous plonge dans la psyché de Théo, jeune homme atteint dr trisomie 21, qui vit avec son père dans la forêt.
Les Films du Losange (1 h 40)
(Jour2fête, 1 h 32)
Épicentre Films (1 h 27)
Rien à foutre
Portraits croisés de jeunes filles cabossées dans un foyer en Suisse… La structure en chapitres est un peu fastidieuse, mais le film tire sa puissance de ses actrices, impressionnantes.
de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre Condor (1 h 52)
3
lire p. 16
Robuste
La Mif
de Constance Meyer
de Frédéric Baillif
Diaphana (1 h 35)
d
L’Atelier (1 h 50)
The Housewife
Les Meilleures Le Pacte (1 h 20)
80
lire p. 70
d’Ildiko Enyedi
Pyramide (2 h 49)
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Entre les vagues
de Yukiko Mishima Art House (2 h 03)
de Marion Desseigne-Ravel
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L’Histoire de ma femme
lire p. 52
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Notre-Dame brûle
de Jean-Jacques Annaud Pathé (N. C.)
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La vie de trois SDF surnommés Brindille, Casquette et Flèche bascule le jour où ils gagnent au Loto… Un buddy movie drôle et touchant sur le pouvoir de nuisance de l’argent.
Trois fois rien
d’Anaïs Volpé
de Nadège Loiseau
KMBO (1 h 40)
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lire p. 4
lire p. 77
Dans ce drame en costumes de la Hongroise Ildiko Enyedi, une femme libre et mystérieuse (Léa Seydoux) plonge son capitaine de mari dans le désarroi, dans le Paris des années 1920.
d’Antoinette Boulat
MARS
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de Basile Carré-Agostini
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JHR Films (1 h 50)
Wild Bunch (1 h 36)
Ma nuit
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de Thierry Michel
de Damien Odoul
À demain mon amour
lire p. 77
L’Empire du silence
Théo et les métamorphoses
Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie
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Le Pacte (1 h 30)
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lire p. 32
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66 ans de cinéma panafricain en 125 films !
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Design graphique : ABM Studio – Visuel : détail du visuel de Tigritudes © Tigritudes – Corinne Blouet
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Paradiscope -----> Les sorties plateformes
© Paul Sarkis
U G LE
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P S TIE
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YELLOWJACKETS SÉRIE
Au croisement du teen movie, du slasher et de Lost, la série Yellowjackets conte la descente aux enfers d’un groupe d’adolescentes dont l’avion s’est écrasé en pleine forêt. Tandis que la mort rôde, les amitiés sont mises à l’épreuve et la hiérarchie du groupe est reconfigurée. Un drame horrifique gore à souhait, original et palpitant.
Inspirée du roman culte de William Golding Sa Majesté des mouches, dans lequel un avion transportant un groupe d’écoliers anglais s’écrase sur une île du Pacifique, et par deux récits avérés de cannibalisme – l’expédition Donner, en 1846, où des pionniers américains en route vers la Californie durent manger les morts pour survivre, et le crash dans la cordillère des Andes, en 1972, d’un appareil transportant les membres de l’équipe uruguayenne de rugby et leurs proches, qui pratiquèrent eux aussi l’anthropophagie –, Yellowjackets raconte l’épopée survivaliste d’une équipe de footeuses lycé ennes dont le jet privé s’abat en pleine forêt canadienne, dans les années 1990.
Outre la quinzaine d’ados livrées à ellesmêmes pendant dix-neuf mois, il y a là deux garçons et un adulte, l’entraîneur adjoint, amputé d’une jambe après le crash, métaphore évidente de son autorité déchue. Et, pour tout le monde, la transgression du tabou ultime : le cannibalisme, dont la série ne fait pas mystère, mais que les survivantes ont juré de ne jamais révéler. Vingt-cinq ans plus tard, leur passé les rattrape, puisqu’un corbeau menace de cracher le morceau. Alternant flash-back et flash-forward, l’intrigue contemporaine s’intéresse à quatre des survivantes, victimes du même chantage : Shauna (exceptionnelle Melanie Lynskey, vue dans Togetherness ou I Don’t Feel
février-mars 2022 – no 186
at Home in This World Anymore), mère au foyer insatisfaite qui cache bien son côté sombre ; Taissa (Tawny Cypress, croisée dans Heroes ou Unforgettable), candidate au Sénat et compétitrice dans l’âme ; Natalie (Juliette Lewis), toxicomane sensible et délurée ; et Misty (Christina Ricci), outsider binoclarde, manipulatrice et pathétique mais pleine de ressources. Mélange savamment dosé de Lost, de teen movie, de thriller psychologique et de folk horror (forêt menaçante, symboles étranges, visions sinistres, crânes de cervidés et peaux de bêtes), Yellowjackets explore le trauma, la culpabilité et les stratégies déployées à l’âge adulte pour sauver les appa-
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résolution prévisible. La solidarité du groupe n’est visiblement pas acquise, et la rupture semble inéluctable. Longue sera la descente vers la sauvagerie, amorcée par ce « retour » forcé à la nature. Yellowjackets brouille les pistes, excite les neurones et distille juste ce qu’il faut de réponses pour ne pas frustrer – à l’inverse de Lost, qui naviguait à vue en multipliant les énigmes, ou de la première saison de True Detective, truffée de références ésotériques et philosophiques sans objet, mais qui provoqua, début 2014, un engouement inédit des internautes. Aux États-Unis, où sa diffusion s’est achevée mi-janvier, Yellow
jackets a cristallisé l’excitation, mais aussi les frustrations, d’un public biberonné à Netflix et désormais plus habitué à « binger » une saison en deux jours qu’à patiemment attendre le prochain épisode. Ce qui devrait achever de vous convaincre : toutes les survivantes ne passeront pas l’hiver ; Yellowjackets, si. en mars sur Canal+ et MyCanal
THE GILDED AGE
© Paul Sarkis
rences. Mais c’est dans le passé, portée par une bande-son qui dépote (PJ Harvey, Hole, Peaches…), que la série nous attrape. Tendre, lorsqu’elle explore la psychologie de ces jeunes filles, leurs interrogations sur l’amour et le sexe, leurs aspirations suspendues et peut-être à jamais perdues. Palpitante, lorsqu’elle assume son côté slasher et que la mort surgit, si possible avec du sang qui gicle et des chairs à vif. Mieux encore : en montrant, dès le pilote, une course-poursuite qui s’achève par l’empalement d’une ado sur un piège planqué sous la neige, suivi par d’étranges rituels, la série prouve qu’elle en a sous le pied, au-delà du mystère initial à la
NORA BOUAZZOUNI
Julian Fellowes, le créateur britannique de Downton Abbey, traverse l’océan pour imaginer les rivalités entre vieilles fortunes et nouveaux riches dans le New York des années 1880. Le résultat est somptueux, efficace et plein de malice.
SÉRIE
« The Gilded Age » (« l’âge doré »), c’est la période de croissance économique et industrielle sans précédent que les ÉtatsUnis ont connue après la guerre de Sécession, à la fin du xixe siècle. L’Américaine Sonja Warfield (Will & Grace) et le Britannique Julian Fellowes, scénariste oscarisé pour Gosford Park et créateur de la série Downton Abbey (2010-2015), ont choisi ce quart de siècle pour exposer les rivalités entre vieilles fortunes et nouveaux riches. Au croisement de la Ve avenue et de la 61e rue, au sud-est de Central Park, vivent la conservatrice Agnes Van Rhijn (Christine Baranski) et l’affable Ada Brook (Cynthia Nixon). Les deux sœurs, issues d’une richissime famille installée aux États-Unis depuis presque deux siècles, accueillent leur
sur OCS
NORA BOUAZZOUNI
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Les sorties du mois
nièce lorsque le père de celle-ci, leur frère, meurt. La jeune Marian (Louisa Jacobson) débarque à New York en même temps que les habitants de la luxueuse demeure construite de l’autre côté de la rue, la famille Russell, dont le patriarche est un magnat des chemins de fer. Sa femme, Bertha (Carrie Coon), déterminée à s’intégrer dans la haute société new-yorkaise, multiplie les invitations, en vain. « Never the new », répète la putative aristocratie du quartier, qui méprise ces nouveaux nantis. The Gilded Age chronique avec gourmandise cette lutte des classes sup. Mais sa plus grande réussite, c’est de le faire du point de vue de femmes à l’agentivité indiscutable. Assignées à la sphère domestique ou financièrement dépendantes de leur époux, elles se montrent indispensables aux affaires de ces derniers et régentent cette microsociété. Leurs pince-fesses provoquent les rencontres, et ce sont elles qui arrangent les mariages, pour assurer la reproduction sociale d’une progéniture qui veut seulement profiter de sa jeunesse. Tout change, rien ne change.
RED LIGHT
WINNING TIME
ALERTE ROUGE
Série le 17 février sur Arte.tv
Série en mars sur OCS
Film le 11 mars sur Disney+
À Anvers, trois femmes se retrouvent liées par le travail du sexe : Evi, une flic chargée d’enquêter sur un trafic d’êtres humains ; Sylvia (Carice Van Houten, Mélisandre dans Game of Thrones), prostituée, patronne d’un club de strip-tease et complice d’un proxénète ; et Esther, une chanteuse dont le mari disparaît… Un thriller âpre, récompensé à Canneseries. • N. B.
Le basket a la cote. Après le succès de The Last Dance, série-docu Netflix sur l’ascension, dans les années 1990, des Chicago Bulls de Michael Jordan, HBO revient sur le succès des Lakers, dix ans plus tôt, menés par Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar. Aux manettes de la série, Max Borenstein (Godzilla, The Terror) et Adam McKay (Anchorman, The Big Short). • N. B.
Le nouveau film de Pixar sort directement sur la plateforme Disney+. Il met en scène la transformation farfelue d’une adolescente en panda roux. L’occasion d’explorer – sous la direction de la jeune réalisatrice canadienne d’origine chinoise Domee Shi qui signe là son premier long métrage – la magie des secrets de famille et les dernières lueurs de l’enfance. • Olivier Marlas
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no 186 – février-mars 2022
LE BEL INDIFFÉRENT FILM
© Ciné-Tamaris
à voir du 10 au 17 février sur mk2 Curiosity, gratuit
QUENTIN GROSSET
© mk2
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La sélection mk2 Curiosity
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C’est comme un passage de relais lorsque Jean Cocteau offre à Jacques Demy, 26 ans, auteur d’une poignée de courts métrages (Les Horizons morts, Le Sabotier du Val de Loire) et futur réalisateur des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort, les droits d’adaptation de sa pièce Le Bel Indifférent. Le texte se présente comme le monologue d’une femme délaissée adressant une lancinante complainte à son amant qui s’est barricadé dans un cruel mutisme. Voyant peut-être en ce jeune cinéaste un héritier de son lyrisme furieux et de ses visions troublantes, le poète laisse à Demy toute liberté pour donner sa version à la fois exaltée et vénéneuse de ce drame qui, avant cela, avait été interprété sur scène en 1940 par Édith Piaf et Paul Meurisse. Avec le décorateur Bernard Evein, Demy choisit d’assumer, même de faire sentir, que le sublime texte de Cocteau a été écrit pour le théâtre. Les rideaux, les tréteaux, tout cela reste apparent dans le film. Dans ce huis
clos, chambre d’hôtel tapissée d’un rouge criant, ce simulacre renvoie aux illusions de la protagoniste qui attend obstinément un homme qui ne veut plus d’elle. Si celui-ci finit par apparaître, c’est pour ne dire aucun mot, et on ne sait même pas s’il l’écoute lorsqu’elle lui confie tous ses espoirs et sa rancœur pendant qu’il se rase ou qu’il lit le journal. Des paroles à sens unique, vaines, comme prononcées par un fantôme. Demy laisse le spectateur indécis quant à qui, de l’homme ou de la femme, est quasiment devenu un spectre. On ne sait pas si elle s’est évaporée de son esprit à lui, ou bien si lui la hante méchamment. Le cinéaste crée cette atmosphère chimérique à travers sa manière d’envisager un décor à la beauté plastique étouffante. Ses lents mouvements de caméras accompagnent l’actrice Jeanne Allard dans une sorte de torpeur, d’engourdissement, qui lui donne l’air de se débattre comme une âme errante. Lorsqu’elle se penche à la fenêtre donnant sur un noir opaque seulement éclairé par le néon d’un dancing, le vert des rideaux évoque d’ailleurs la gamme chromatique glauque du Vertigo d’Alfred Hitchcock, autre chefd’œuvre aux accents fantastiques sur l’obsession amoureuse, étonnamment sorti la même année.
© Ciné-Tamaris
À partir d’une pièce de Jean Cocteau, le jeune Jacques Demy affichait déjà son désir de stylisation à travers ce film inquiet de 1958, dans lequel il a su autant assumer une certaine théâtralité qu’insuffler toute la dimension spectrale du cinéma.
TURNING GATE
LE CLAIR DE TERRE
ENTRETIEN AVEC JOANNA HOGG
de Hong Sang-soo (2004) du 3 au 10 février sur mk2curiosity.com, gratuit
de Guy Gilles (1970) du 3 au 10 février sur mk2curiosity.com, gratuit
Inédit (2022) sur mk2curiosity.com, gratuit
À Séoul, Gyung-soo est un comédien plutôt connu à qui les rôles viennent à manquer. Il se rend en province pour rencontrer un vieil ami écrivain, qui lui présente une jolie danseuse sans lui dire qu’il en est épris… Cinéaste orfèvre des petites choses du quotidien, Hong Sang-soo reprend ses thèmes de prédilection dans un film riche en émotions. • ELIE NEBOT
Originaire de Tunisie, Pierre est brusquement saisi du besoin de quitter Paris et part dans sa ville natale sur les traces de son passé. Il y rencontre une ancienne institutrice qui a bien connu sa mère, morte sur ces terres il y a déjà bien longtemps… Une autobiographie sentimentale marquée par la peur de l’écoulement du temps et une nostalgie contagieuse. • E. N.
Alors que son diptyque The Souvenir Part. I et Part. II (lire p. 50) sort en France, Joanna Hogg se confie à TROISCOULEURS. La relation d’emprise qu’elle a subie, sa rencontre avec Tilda Swinton, son goût des plans larges… La grande cinéaste britannique évoque la difficulté qu’elle a eu à se lancer, à se trouver et à libérer sa forme. • Q. G.
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Découvrez nos conférences, débats, cinéma clubs à retrouver dans les salles mk2
CLAIRE MARIN
Société Invitée du mk2 Institut, la philosophe Claire Marin publie aux Éditions de l’Observatoire Être à sa place, un nouvel essai sur un sujet qui traverse nos vies : la question de notre place dans un monde qui tangue et ne cesse de nous déplacer. Que signifie « être à sa place » ? L’expression renvoie à deux notions. La première serait un état psychologique d’équilibre et de plénitude, qui reste avant tout un idéal conditionnel. La seconde renvoie à l’idée de trouver sa place parmi les autres et de faire de la place aux autres. Ce n’est plus une problématique uniquement personnelle. Et là repose la difficulté : être à sa place demande de conjuguer ses désirs avec ceux des autres, d’affirmer sa singularité et de s’insérer dans la société. D’où vient ce désir de trouver sa place ? Il correspond souvent à une représentation idéalisée d’un sentiment de sécurité et de confort éprouvé durant l’enfance. Il est une sorte de réminiscence archaïque d’un moment fusionnel. C’est aussi une construction culturelle. Les fables et les contes présentent leur cabane, leur cocon ou leur cachette comme un idéal, une unité perdue qu’on es-
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saye ensuite de reconstituer. Mais la réalité est qu’il faut un effort constant pour essayer de vivre de manière unifiée. Biologiquement d’une part, parce que nous sommes des êtres vivants, que nous ne cessons de nous détruire et de nous reconstituer. Socialement d’autre part, car être soi est toujours un travail, une activité. On ne se vit pas soi-même dans la facilité. Que cherche-t-on lorsque l’on souhaite « être à sa place » ? On affirme sa singularité, sa valeur, on cherche la reconnaissance. Mais le prix à payer pour cette conquête, qu’elle soit sociale, géographique, affective, peut être la perte, une perte nécessaire dans un processus qui nous déplace. On peut perdre des liens, trahir, se montrer déloyal – rompre avec quelqu’un, changer de pays, ne pas être compris par ses amis ou sa famille, comme c’est le cas des transclasses par exemple. Je crois qu’il nous faut accepter qu’en réalité nos places sont toujours remises en jeu. Pour garder chacune d’elles, nous devons maintenir une activité, ne pas tomber dans l’illusion selon laquelle elles sont nécessairement acquises ou confortables. Et ce même quand nous avons beaucoup œuvré pour les conquérir. On ne peut jamais totalement s’installer dans la passivité, sauf si l’on veut qu’elles soient une sorte de piège qui se referme sur nous, une forme d’assignation dont nous sommes victimes ou complices. C’est ce qui arrive quand on considère que les efforts à fournir sont trop grands pour faire reconnaître notre légitimité dans une place correspondant moins à notre milieu social d’origine ou à notre genre.
© Céline Nieszawer
« Être soi est toujours un travail. On ne se vit pas soi-même dans la facilité. »
Si les places sont provisoires et mouvantes, pour être au plus près de ce que nous sommes, on peut aussi souhaiter trouver un ancrage. Oui, à la différence de la place, plutôt définie par des éléments objectifs (un métier, une situation conjugale, etc.), l’ancrage, plus personnel, est une sorte de place en soi. Trouver cet ancrage, c’est identifier des activités, des manières d’être, des liens fondamentaux qui nous permettent de nous relier au monde et sans lesquels nous nous sentons flottants ou déséquilibrés. Annie Ernaux en parle lorsqu’elle évoque l’écriture comme la création d’un vrai lieu. Il s’agit de trouver ses vraies dimensions, son lieu, et c’est une question à laquelle on ne peut pas répondre pour les autres : je le retrouve dans l’écriture et l’enseignement de la philosophie, mais d’autres le trouveront dans le fait de devenir parent ou de faire tel ou tel métier. Cette recherche d’une place à soi peut-elle passer par le corps ? Oui, car « être à sa place » est avant tout une expérience physique. Prenez le simple exemple de la voix : je suis à ma place quand celle-ci est posée, non étouffée par les voix dominantes. Cela peut commencer par cette libération d’une voix propre, une voix qui dit aussi une subjectivité sur le monde. Dans quelle mesure ce corps qui permet d’« être à sa place » peut-il aussi être déplacé ? Le corps féminin, principalement, pose cette question. Il est biologiquement défini par le fait de devenir une place pour l’autre lors de la grossesse et lors des premières années de
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l’enfant. Durant neuf mois, le corps fait place à de l’autre en soi. Il va ensuite porter, déplacer, parfois allaiter le corps d’autrui. Cet empiètement du corps dans la maternité se retrouve également dans l’expérience de la féminité. Il est lié à ce qu’on attend de lui en matière de beauté et d’injonctions sociales, mais aussi dans les violences gynécologiques et obstétricales. Au mieux, le corps féminin fait l’objet d’une méconnaissance – comme cela a été le cas avec l’endométriose, détectée tardivement car l’on pensait que les femmes étaient hypersensibles à la douleur –, et, au pire, d’une forme de maltraitance. Enfin, cet empiètement se retrouve dans une forme de débordement psychique qui dépasse le concept de charge mentale souvent évoqué dans le débat public. Les femmes se doivent d’anticiper les manques – faire les courses, acheter des nouveaux vêtements pour les enfants… Elles permettent la fluidité du quotidien, la continuité du réel. Comme le disait Marguerite Duras, elles assurent la durée. Elles se déplacent et sont déplacées. « Trouver sa place. » Rencontre avec Claire Marin, le 15 mars au mk2 Bibliothèque, à 20 h tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi : 9 € | – 27 ans : 4,90 € | carte UGC/mk2 illimité à présenter en caisse : 9 € | tarif séance avec livre : 18 € • Être à sa place de Claire Marin (Éditions de l’Observatoire, 18 €) PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE DUMOULIN
MUSÉE DE LA MUSIQUE
P H I L H A R M O N I E D E PA R I S
Idées TROIS QUESTIONS À JULIA CAGÉ L’économiste publie cette rentrée Pour une télé libre. Contre Bolloré (Seuil), un manifeste et un manuel pour repenser les médias, à rebours des stratégies de l’homme d’affaires français.
tique. S’attaquer à Bolloré, c’est s’attaquer à un actionnaire très interventionniste qui détient C8, CStar, CNews, Capital, Voici, Gala… ; et c’est le risque de ne plus avoir accès à ces antennes ou de se faire taper dessus par l’une d’entre elles. Par ailleurs, il s’agit de défendre les journalistes, une profession peu aimée. Cela explique aussi pourquoi le sujet n’est pas ou peu abordé pour les présidentielles. Mais il y a d’autres responsables, les intellectuels notamment. Peu d’entre eux sont partis d’Editis, car c’est aussi important d’être édité par un grand groupe. C’est donc désormais la responsabilité du gouvernement d’introduire des règles pour garantir le pluralisme de l’opinion et l’indépendance des journalistes. Et je refuse qu’on culpabilise les citoyens, les téléspectateurs.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a d’une part la faiblesse de la régulation en place : la loi sur les médias de 1986 est inadaptée, le CSA n’a pas d’exigence de qualité. Et il y a d’autre part le manque de courage du pouvoir poli-
La télévision a-t-elle encore un rôle à jouer dans notre démocratie ? Oui, et la penser comme un média obsolète est une idée fausse. En France, elle reste la première source d’information. Et ceux qui la regardent sont ceux qui
© Seuil
Pourquoi Vincent Bolloré représente-t-il selon vous une menace pour l’indépendance de l’information ? Depuis 2016 avec la prise de contrôle du groupe Canal+ puis celle du groupe Lagardère, Vincent Bolloré achète des médias, impose une idéologie qui tend vers l’extrême droite et pratique une censure, qu’il ne nie même pas, sans jamais être stoppé. À cela s’ajoute une méthode : beaucoup d’« infotainment » et moins d’info, y compris sur CNews, censée en proposer en continu. La raison à cela ? Faire du contenu à bas coût qui génère du clic. Parce que l’investigation coûte plus cher à produire qu’un débat entre polémistes. Cette force de frappe dans le secteur des médias se double aussi d’une prise de contrôle actionnariale dans le secteur des idées et de l’édition. Pour ne pas le froisser, les éditions Plon, qu’il détient via le groupe Editis, ont renoncé à publier une enquête sur Éric Zemmour, par exemple. Enfin, il investit le monde universitaire en finançant certaines chaires, et donc potentiellement certains travaux de recherche.
votent le plus. Il y a certes les jeunes, avec les réseaux sociaux et les contenus sur Internet, mais, en matière d’audience, ils sont aussi les moins informés – et donc les moins politisés. Les élections vont donc encore se jouer sur les plateaux de la « télé à papa ». Et si l’on veut garantir le libre accès de l’ensemble des citoyens à une information produite par des journalistes en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et des actionnaires privés sans basculer dans un modèle américain à la Fox News, qui a largement contribué à l’élection de Donald Trump, ou un modèle italien à la Silvio Berlusconi, il faut agir maintenant. « Repenser l’indépendance des médias avec Julia Cagé » le 7 février à 20 h au mk2 Bibliothèque • Pour une télé libre. Contre Bolloré de Julia Cagé (Seuil, 96 p., 4,50 €) • PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE DUMOULIN
© Brigitte Lacombe
Littérature FRAN LEBOWITZ
Satiriste new-yorkaise légendaire, reine du mot d’esprit, bête de scène révélée récemment par la série de son ami Martin Scorsese (Fran Lebowitz. Si c’était une ville, sur Netflix), elle est
l’une des observatrices les plus fines de la société américaine. Arrivée à New York il y a un demisiècle, elle s’est fait un nom comme chroniqueuse dans le magazine Interview d’Andy Warhol, avant de publier Metropolitan Life et Social Studies, deux essais remarqués outre- Atlantique. Réputée ironique, pincesans-rire, espiègle, elle publie chez Pauvert en mars son anthologie ultime, Pensez avant de parler. Lisez avant de penser, une critique caustique des vicissitudes de la vie quotidienne. À l’occasion de cette parution, le mk2
Institut la reçoit pour une soirée de rencontre, en compagnie du cinéaste Nicolas Saada. le 11 mars à 20 h au mk2 Bibliothèque • Pensez avant de parler. Lisez avant de penser de Fran Lebowitz, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty (Pauvert, 380 p., 23 €) • JOSÉPHINE DUMOULIN
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CE MOIS-CI CHEZ MK2
---> JEUDI 3 FÉV.
---> SAMEDI 12 FÉV.
---> DIMANCHE 27 FÉV.
---> LUNDI 14 MARS
CYCLE MICHEL PASTOUREAU « Un titre qui a fait couler beaucoup d’encre : Le Rouge et le Noir. » > mk2 Nation, à 20 h
CULTURE POP ET PSYCHIATRIE « Le trouble bipolaire. » > mk2 Beaubourg, à 11 h
JAPANIME MANIA Princesse Mononoké. > mk2 Bibliothèque (BnF), l’après-midi
LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Peut-on sortir de son milieu ? » > mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30
VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « L’univers a-t-il été créé pour que nous l’habitions ? » > mk2 Quai de Loire, à 11 h
---> SAMEDI 5 MARS
SCIENCES SOCIALES « Maîtres et domestiques en Amérique latine. » > mk2 Bibliothèque, à 19 h 45
UNE HISTOIRE DE L’ART « Seurat, Gauguin, et les Nabis. » > mk2 Beaubourg, à 20 h
---> VENDREDI 4 FÉV. 1 HEURE, 1 ARCHITECTE « Tadao Andō. » > mk2 Bibliothèque, à 12 h 30
---> SAMEDI 5 FÉV. 1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « La chute d’Icare. » > mk2 Nation, à 11 h JAPANIME MANIA Nausicaä de la vallée du vent. > mk2 Parnasse, l’après-midi
---> DIMANCHE 6 FÉV. 1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Toutankhamon. » > mk2 Quai de Loire, à 11 h 1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Aphrodite et Arès. » > mk2 Bibliothèque (BnF), à 14 h JAPANIME MANIA Mon voisin Totoro. > mk2 Bibliothèque (BnF), l’après-midi CULTISSIME ! Dans la peau de John Malkovich. > mk2 Gambetta, à 18 h 55
---> LUNDI 7 FÉV. LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Que savons-nous de l’inconscient ? » Avec Lionel Naccache. > mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30 DÉJÀ DEMAIN DE L’AGENCE DU COURT MÉTRAGE Projection de courts métrages. > mk2 Odéon (côté St Michel), à 20 h
---> DIMANCHE 13 FÉV. L’ART DANS LE PRÉTOIRE « Faussaires : artistes ratés ou vrais génies ? » > mk2 Bastille (côté Fg St Antoine), à 11 h VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « L’univers a-t-il été créé pour que nous l’habitions ? » > mk2 Odéon (côté St Germain), à 11 h JAPANIME MANIA Kiki la petite sorcière. > mk2 Bibliothèque (BnF), l’après-midi CULTISSIME ! Né un 4 juillet. > mk2 Gambetta, à 18 h 55
---> LUNDI 14 FÉV. LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Comment se remettre d’une déception ? » > mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30 LA BOÎTE À IDÉES Discussion avec Clotilde Leguil. > mk2 Bibliothèque, à 19 h 30 SCIENCES SOCIALES « Faire entendre la surdité. » > mk2 Bibliothèque, à 19 h 45 ACID POP Loin de vous j’ai grandi. > mk2 Quai de Seine, à 20 h
---> MARDI 15 FÉV.
RENCONTRE AVEC JULIA CAGÉ « Repenser l’indépendance des médias. » > mk2 Bibliothèque, à 20 h
1 HEURE, 1 QUARTIER DE PARIS « Montmartre connu et méconnu. » > mk2 Nation, à 12 h 30
---> MARDI 8 FÉV.
ÊTRE STYLÉ OU NE PAS L’ÊTRE « Le style oratoire sert-il encore à quelque chose ? » > mk2 Nation, à 20 h
1 HEURE, 1 QUARTIER DE PARIS « Du Trocadéro au bois de Boulogne. » > mk2 Nation, à 12 h 30 RENCONTRE AVEC PHILLIPE VAL ET RICHARD MALKA « Penser les libertés et la raison. » En partenariat avec Le Point. > mk2 Bibliothèque, à 20 h LE CINÉMA : FACE À FACE AVEC LE MONDE « L’art comme moyen de survie ? » > mk2 Odéon (côté St Michel), à 20 h
---> JEUDI 10 FÉV. CYCLE MICHEL PASTOUREAU « Être conseiller historique pour un long métrage : un témoignage. » > mk2 Nation, à 20 h
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JAPANIME MANIA Le Château dans le ciel. > mk2 Parnasse, l’après-midi
LE CINÉMA : FACE À FACE AVEC LE MONDE « Apprendre au cinéma. » > mk2 Odéon (côté St Michel), à 20 h
---> JEUDI 17 FÉV. UNE HISTOIRE DE L’ART « Paris 1900 et l’Art nouveau. » > mk2 Beaubourg, à 20 h
JAPANIME MANIA Porco Rosso. > mk2 Parnasse, l’après-midi
---> DIMANCHE 6 MARS JAPANIME MANIA Mes voisins les Yamada. > mk2 Bibliothèque (BnF), l’après-midi
---> LUNDI 7 MARS LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce qu’être grand-parent ? » > mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30 CHRISTIANE JATAHY, « UN THÉÂTRE DES VIOLENCES ? » Avec Clotilde Leguil et Marylin Maeso. > mk2 Nation, à 20 h
---> MARDI 8 MARS 1 HEURE, 1 QUARTIER DE PARIS « Auteuil et Passy. » > mk2 Nation, à 12 h 30 LE CINÉMA : FACE À FACE AVEC LE MONDE « S’écrire, se téléphoner, clavarder… au cinéma. » > mk2 Odéon (côté St Michel), à 20 h L’HEURE SAUVAGE « Qui parle au nom des requins ? » > mk2 Bibliothèque, à 20 h
---> JEUDI 10 MARS UNE HISTOIRE DE L’ART « Fauvisme : une aventure haute en couleurs. » > mk2 Beaubourg, à 20 h
---> VENDREDI 11 MARS RENCONTRE EXCEPTIONNELLE AVEC FRAN LEBOWITZ Présentée par Nicolas Saada. > mk2 Bibliothèque, à 20 h
---> SAMEDI 12 MARS 1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Les 12 travaux d’Hercule. » > mk2 Nation, à 11 h
ACID POP Maudit ! > mk2 Quai de Seine, à 20 h RENCONTRE AVEC FABIENNE BRUGÈRE ET GUILLAUME LE BLANC « Comprendre le(s) féminisme(s). » > mk2 Bibliothèque, à 20 h
---> MARDI 15 MARS 1 HEURE, 1 QUARTIER DE PARIS « Les heures chaudes de Montparnasse. » > mk2 Nation, à 12 h 30 LE CINÉMA : FACE À FACE AVEC LE MONDE « Quand la monstruosité définit notre humanité. » > mk2 Odéon (côté St Michel), à 20 h RENCONTRE AVEC CLAIRE MARIN « Trouver sa place. » > mk2 Bibliothèque, à 20 h
---> JEUDI 17 MARS UN CHEF-D’ŒUVRE DU PASSÉ, UN ÉCRIVAIN D’AUJOURD’HUI « Pierre Bergounioux explore Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier. » > mk2 Quai de Loire, à 20 h UNE HISTOIRE DE L’ART « Cézanne et son héritage. » > mk2 Beaubourg, à 20 h
---> SAMEDI 19 MARS VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Le temps existe-t-il ? » > mk2 Quai de Loire, à 11 h JAPANIME MANIA Mes voisins les Yamada. > mk2 Parnasse, l’après-midi
---> DIMANCHE 20 MARS
CULTURE POP ET PSYCHIATRIE « Se droguer pour travailler. » > mk2 Beaubourg, à 11 h
VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Le temps existe-t-il ? » > mk2 Odéon (côté St Germain), à 11 h
JAPANIME MANIA Princesse Mononoké. > mk2 Parnasse, l’après-midi
JAPANIME MANIA Le Royaume des chats. > mk2 Bibliothèque (BnF), l’après-midi
---> DIMANCHE 13 MARS
CULTISSIME ! The Big Lebowski. > mk2 Gambetta, à 18 h 55
1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Construire en Égypte. » > mk2 Quai de Loire, à 11 h
---> LUNDI 21 MARS
---> SAMEDI 19 FÉV.
1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Dionysos. » > mk2 Bibliothèque (BnF), à 11 h
LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Que lit-on dans les yeux de son chat ? » > mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30
JAPANIME MANIA Mon voisin Totoro. > mk2 Parnasse, l’après-midi
L’ART DANS LE PRÉTOIRE « Vols d’œuvres d’art : à qui profite le crime ? » > mk2 Bastille (côté Fg St Antoine), à 11 h
---> DIMANCHE 20 FÉV.
VOTRE CERVEAU VOUS JOUE DES TOURS AVEC ALBERT MOUKHEIBER « La foule est-elle vraiment sage ? » > mk2 Bibliothèque, à 11 h
RENCONTRE AVEC MICHAËL FŒSSEL « Réconcilier la gauche avec une politique de plaisir. » > mk2 Bibliothèque, à 20 h
UNE HISTOIRE DE L’ART « Van Gogh, Munch, Rodin. » > mk2 Beaubourg, à 20 h
JAPANIME MANIA Porco Rosso. > mk2 Bibliothèque (BnF), l’après-midi
---> VENDREDI 11 FÉV.
---> SAMEDI 26 FÉV.
JAPANIME MANIA Le Voyage de Chihiro. > mk2 Bibliothèque (BnF), l’après-midi
1 HEURE, 1 ARCHITECTE « Zaha Hadid et l’architecture visionnaire. » > mk2 Bibliothèque, à 12 h 30
JAPANIME MANIA Kiki la petite sorcière. > mk2 Parnasse, l’après-midi
CULTISSIME ! Out of Africa. > mk2 Gambetta, à 18 h 55
no 186 – février-mars 2022
---> MARDI 22 MARS 1 HEURE, 1 QUARTIER DE PARIS « Saint-Germain-des-Prés. » > mk2 Nation, à 12 h 30 LE CINÉMA : FACE À FACE AVEC LE MONDE « La bêtise à l’écran. » > mk2 Odéon (côté St Michel), à 20 h
Les actus mk2 Littérature TROIS QUESTIONS À PIERRE BERGOUNIOUX Écrivain de la terre, de l’enfance et du temps, Pierre Bergounioux est devenu depuis près de trente ans l’une des grandes voix de la littérature française. Le temps d’une soirée au mk2 Institut, il explore et relit un chef-d’œuvre littéraire, Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier.
© Sophie Bassouls
Quelle trace cette œuvre a-t-elle laissée chez vous ? Il y a chez les personnages quelque chose qui demeure encore de l’enchantement de l’enfance. Avec l’idée, tout de même, que la maturité et la détermination de l’âge adulte commencent à poindre. Franz en est l’exemple cari-
catural. Il est cette tentation désespérée du refus de grandir, mais il devient un marginal. Moi-même, je suis rentré en dissidence très jeune, lorsque j’ai compris que les adultes ne voyaient rien. Je me suis alors tourné vers l’homme que je deviendrai peut-être en lui confiant le soin rétroactif de lui donner des explications dans l’écriture. Et puis je me rassure avec l’idée qu’on a tous les âges à chaque instant. Souvent, le septuagénaire que je suis devenu découvre stupéfait que le gamin que j’étais a pris en main le quotidien. Finalement, tout le passé est présent là, actuellement. « Un chef-d’œuvre du passé, un écrivain d’aujourd’hui. Pierre Bergounioux explore Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier » le 17 mars à 20 h au mk2 Quai de Loire
Le consentement éclairé existe-t-il ? Quand consent-on vraiment ? À l’occasion du lancement de La boîte à
UN LIEU TOURNÉ VERS LES JEUNES On trouve également, au cœur du cinéma, un espace d’exposition numérique pour faire découvrir l’art au plus grand nombre, un food corner, ainsi que des espaces consacrés à divers ateliers. Le mk2 Dumbéa met aussi en avant un dispositif d’éducation à l’image pour les écoliers, les collégiens et les lycéens. Un public scolaire, qui s’inscrit dans le paysage social en pleine croissance au nord de Nouméa : la commune recense environ 10 000 élèves et souhaite créer un BTS métiers du cinéma au sein du lycée Dick-Ukeiwë. Accompagnés de supports pédagogiques, plusieurs centaines de films sont ainsi mis à la disposition des enseignants. • LA RÉDACTION
• PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE DUMOULIN
CLOTILDE LEGUIL © Samuel Kirszenbaum
Idées
bascule extraordinaire entre la fin de la société agropastorale et l’arrivée de la modernité. En ce début de xxe siècle, Sigmund Freud a publié L’Interprétation du rêve, Igor Stravinsky a joué Le Sacre du printemps, Pablo Picasso a présenté Les Demoiselles d’Avignon. L’école laïque, pour tous, existe depuis la fin du siècle précédent. La tyrannie de l’espace et de la distance, grâce aux nouvelles technologies, est sur le point d’être totalement abolie. C’est un livre aujourd’hui impossible. On ne peut plus se perdre comme le fait Augustin Meaulnes lorsqu’il part pour Vierzon et passe trois jours dehors. Enfin, c’est un roman merveilleux, tragique, écrit à l’aube de deux guerres mondiales et qui cristallise une histoire dont nous sommes nous-mêmes les nouveaux arrivants.
Après s’être implanté sur le territoire espagnol, et en attendant la fin des travaux de son futur cinéma alsacien (fin 2024), mk2 a lancé le premier cinéma franchisé du groupe en Nouvelle-Calédonie. Le projet, qui compte quatorze salles pour plus de 1 600 fauteuils, a été pensé avec de vastes halls, libres d’accès, pour permettre une circulation fluide. Le bâtiment répond aux normes anticycloniques, avec un objectif d’éco-énergie, notamment grâce à un hall ventilé de manière autonome. La programmation de ce nouveau mk2, réalisée en lien avec les équipes parisiennes, propose de nombreux films en version originale, des cycles autour d’événements comme la journée des droits des femmes, des films de catalogue et des programmations thématiques.
© Éric Dell’Erba
Pourquoi, selon vous, est-ce un chefd’œuvre ? Il s’agit à mes yeux d’une des œuvres les plus significatives du xxe siècle. Publiée en 1913, elle fixe ce moment de
Ce complexe de quatorze salles a été inauguré le 23 décembre dernier dans le centre urbain de Koutio, au cœur de Dumbéa, en Nouvelle-Calédonie.
idées, un nouveau cycle de débats gratuit et ouvert à tous, le mk2 Institut reçoit la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil pour répondre à ces questions largement soulevées dans l’espace médiatique depuis le mouvement #MeToo. Le temps d’une rencontre au mk2 Biblio thèque, l’autrice de Céder n’est pas consentir (Puf) propose d’explorer, en compagnie du journaliste et écrivain Hugo Lindenberg, les différents degrés du consentement. Elle revient sur une notion ambiguë, souvent débattue, tant
dans ses implications sexuelles, amoureuses, que politiques et sociales, à partir des œuvres de Sigmund Freud, David Lynch ou encore Marguerite Duras. La boîte à idées. « Céder n’est pas consentir, rencontre avec Clotilde Leguil » le 14 février à 19 h 30 au mk2 Bibliothèque • JOSÉPHINE DUMOULIN
avec la participation de
février-mars 2022 – no 186
© Séverine Lathuilliere
Pourquoi avoir choisi ce roman ? C’est l’un des livres qui m’a fait la plus forte impression dans ma vie. Je l’ai découvert à 14 ans, livré à moi-même dans le chaos de la bibliothèque municipale de ma sous-préfecture natale, à Brivela-Gaillarde. Le titre était énigmatique avec une certaine idée de majesté et de hauteur. Pour la première fois de mon existence, j’ai eu le sentiment qu’un écrivain parlait de choses familières qui n’avaient jusqu’alors jamais trouvé de voix ou d’expression. Cela tenait à l’anachronisme de la vie des petits provinciaux de mon espèce : la Corrèze des années 1950 était une sorte d’enclave du xixe siècle voire des temps mérovingiens. Je suis revenu à ce livre plusieurs fois ensuite, en tant qu’enseignant notamment. Et une chose s’imposait : la corrélation entre la vie et la littérature. Je n’ai d’ailleurs pas le souvenir qu’un seul de mes élèves n’y ait pas reconnu quelque chose de lui-même.
LE MK2 DUMBÉA A OUVERT
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ET ÇA CONTINUE, ENCORE
Returnal
Jeux vidéo De Returnal à 12 minutes, en passant par Loop Hero ou Outer Wilds, la boucle temporelle a inspiré les jeux les plus passionnants de 2021. Derrière ce concept métaphysique – et gentiment pervers – se cachent une nouvelle façon de penser le monde et notre angoisse du temps qui passe. Parler de boucle temporelle à un joueur ou une joueuse de jeux vidéo, c’est, au fond, lui parler de banalité absolue, presque d’un réflexe quotidien. Combien de fois avonsnous déjoué le cours du temps pour reprendre un combat soldé par la mort piteuse de notre avatar ou rembobiner notre partie afin de repartir sur des bases plus saines ? Poétisée quelques illustres fois au cinéma (Un jour sans fin, Looper, Edge of Tomorrow), la boucle temporelle a carrément fini par obséder le jeu vidéo. À l’instar de ces Sisyphes filmiques, condamnés à revivre la même journée à l’infini sans échappatoire, nous nous jetons corps et âme dans ces spirales chronophages qui ne cessent de nous renvoyer au même point de départ, en nous humiliant au
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ET ENCORE passage si possible. Le genre du roguelike en a même fait son principe : dans ces jeux (Dead Cells, Hades), il s’agit d’essayer d’aller le plus loin possible dans un dédale infesté de monstres, puis, lorsqu’on est tué, de recommencer, dans une version légèrement modifiée du niveau – seule l’architecture change. Le studio From Software (Dark Souls, Bloodborne et bientôt Elden Ring) en a même fait sa philosophie créative. Une philosophie punitive et harassante, qui se manifeste même dans les parenthèses de « détente » du jeu, généralement représentées par un feu de camp au coin duquel notre avatar vient se soigner et reprendre des forces. Ces moments de repos nous permettent de sécuriser notre avancée mais, en contrepartie, font aussi réapparaître instantanément tous les ennemis tués en chemin, comme si de rien n’était…
ÉTERNEL RETOUR GAGNANT Nouveau concurrent dans l’arène, Returnal, sorti en avril 2021, ne déroge pas à la règle. Dans ce jeu d’action nerveux et impitoyable, une spationaute s’échoue sur une étrange planète extraterrestre où elle est condamnée, dès qu’elle se fait tuer, à réapparaître à son point de départ en perdant tout ce qu’elle avait acquis en cours de route (armes, expériences). Ainsi, pour chaque essai (ou run dans le jargon), on peut passer des heures à batailler contre un ennemi en surnombre et voir tous nos efforts balayer d’un revers de main, comme
s’ils étaient vains, voire n’avaient même jamais existé. Seul le scénario semble avancer d’un iota, à grand renfort de cinématiques cryptiques à décoder. C’est bien peu, mais c’est pourtant ce qui fait le sel de ce genre d’expérience. Cette année, le jeu vidéo a su prouver que la boucle temporelle n’était pas qu’un instrument de torture, mais pouvait aussi être un outil expérimental pour raconter des histoires originales et prenantes. Dans 12 minutes, un homme est condamné à revivre les douze dernières minutes de sa vie. Soit le moment où sa femme et lui se font agresser par un policier dans leur appartement pour d’obscurs motifs, que le héros va devoir tirer au clair en essayant toutes les manœuvres possibles dans ce court laps de temps. Le jeu nous invite à tester de nouvelles interactions avec le décor, de nouveaux dialogues avec les personnages pour désépaissir le mystère. Ce réservoir exponentiel de possibles, nous le ressentons également dans le monde de l’extraordinaire Outer Wilds et de sa nouvelle (et géniale) extension Echoes of the Eye, sortie cet automne. À bord de notre fusée, nous n’avons qu’une vingtaine de minutes pour visiter les planètes d’un système solaire promis à l’extinction à la fin du temps imparti. Si on ressent la pression du temps à chaque instant, ce qui l’emporte est bien le plaisir de la découverte. Chaque décollage vers les cieux nous laisse devant l’entière liberté d’aller où bon nous semble pour fouiller de nouveaux recoins de l’univers et découvrir ses merveilles cachées (un décor sublime, un événement renversant). Le temps a beau être malade, c’est justement parce qu’il est
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compté qu’il donne toute son intensité au voyage et transforme chaque excursion en souvenir mémorable.
MEMENTO MORI Cette boucle temporelle a beau laisser un goût de déjà-vu, elle suscite toujours l’espoir, même infime, que l’on peut altérer son cours et aller de l’avant. Un paradoxe narratif qui se vérifie admirablement dans Loop Hero, autre jeu publié en 2021 à exploiter le concept. Dans ce rogue-like minimaliste, notre héros se réveille amnésique dans un monde dévasté, où il ne reste plus qu’un chemin en forme de boucle. Pire : dès qu’il marche sur le sentier, des ennemis y apparaissent pour le tuer. Mais plus il progresse, plus les vestiges de l’ancien monde réapparaissent comme par magie, lui permettant de retrouver la mémoire. La boucle nous aide ainsi non seulement à retarder le pire – il est souvent question d’apocalypse dans ces jeux –, mais aussi à reconstruire une mémoire résistante aux effets de l’ardoise magique. La boucle temporelle, remède à nos peurs contemporaines du temps qui passe ? Dans un monde (réel) où l’angoisse de notre finitude, aussi bien climatique que virologique, n’a jamais été aussi forte, l’espoir d’un monde (virtuel) où le temps se fait cocon et arche de Noé peut se voir comme la plus saine des récréations. YANN FRANÇOIS
© Sony Interactive Entertainment
CULTURE
Culture
Culture
LA SÉLECTION DU MOIS
Immenses à tout point de vue, les sculptures de Charles Ray prennent d’assaut la Bourse de Commerce et le Centre Pompidou. Les figures géantes et hyperréalistes de cet artiste américain, né en 1953 à Chicago, ont surgi au mitan des années 1980 dans un paysage de l’art en plein bouleversement esthétique, célébrant le retour au réel après une décennie de
Du 18 au 23 février 2022
conceptualisme austère. Après avoir tâté du body art et du minimalisme, non sans une certaine dose d’humour et de second degré, Charles Ray incorpore peu à peu des motifs figuratifs et des objets du quotidien dans ses œuvres abstraites. Fasciné par le moulage des corps, à commencer par le sien, il trouve bientôt dans la sculpture l’opportunité de tendre un miroir à ses contemporains, tel un Auguste Rodin des temps modernes qui se serait attelé à une satire de la société de consommation. Ses dernières répliques XXL d’hommes et de femmes, en tenue d’Ève ou sur leur trente et un, figées dans des postures faussement anodines, semblent embaumées dans du chrome. Leur présence frappe au premier abord par leur
disproportion, faisant subitement douter de la réalité qui nous entoure. Dressées devant nous à la façon d’idoles antiques, elles perturbent d’emblée notre perception et nous subordonnent à leur attitude, simultanément banale et inquiétante. Une ultime trace de notre civilisation laissée aux peuplades futures ? du 16 février au 6 juin à la Bourse de Commerce – Pinault Collection et du 16 février au 20 juin au Centre Pompidou
JULIEN BÉCOURT
FESTIVAL EVERYBODY SPECTACLES, ART CONTEMPORAIN, ATELIERS, RENCONTRES, PROJECTIONS ∞∞∞∞∞∞
2 Livre
MARY TOFT OU LA REINE DES LAPINS
L’écrivain américain Dexter Palmer se passionne pour une curieuse affaire d’accouchement de lapins qu’il a découverte durant ses études à Princeton. En 1726, un médecin du nom de John Howard est appelé au secours par Joshua Toft, brave tisserand de Godalming, dans le Surrey, pour qu’il s’occupe de sa femme, Mary, en couches. Le pauvre homme est d’autant plus secoué qu’il
© Marikel Lahana
3 Spectacle
Avec Carte Noire nommée Désir, la metteuse en scène Rébecca Chaillon questionne, à travers un voyage initiatique, la construction du désir chez les femmes noires face aux clichés racistes. Performeuse ardente, engagée et vorace, Rébecca Chaillon était cannibale dans Monstres d’amour (Je vais te donner une bonne raison de crier) en 2016, puis supportrice d’une équipe de foot féminine
assure n’avoir pas touché son épouse depuis son précédent accouchement, quelque mois plus tôt. Intrigué, John Howard se rend au chevet de la parturiente, et croit défaillir quand tombe dans ses mains… une patte de lapin déchiquetée. Mary Toft vient de donner naissance à un lapin inachevé ! Une quinzaine d’autres suivront, à raison d’un tous les trois jours. Très vite, la nouvelle se répand dans le royaume, attirant à Godalming les médecins les plus renommés… Cette histoire hallucinante est authentique : Mary Toft a existé, même si le miracle des lapins, lui, est évidemment un canular. Dexter Palmer en tire un gros roman écrit à la mode humoristique et touffue du xviiie siècle, ère des cabinets de curiosités
FESTIVAL SUR LE CORPS CONTEMPORAIN
médicales et de la fascination pour les monstres. Au-delà du fait divers et de la reconstitution de l’Angleterre georgienne, ce canular vieux de trois siècles résonne curieusement avec notre époque, où les fake news pullulent et où les médecins les plus renommés ont une fâcheuse tendance à tomber de leur piédestal.
Conception graphique : KIBLIND • Photo Love Warriors © Collectif Lova Lova
Charles Ray, The New Beetle, 2006
CHARLES RAY © Joshua White
1 Expo
PREMIÈRE ÉDITION •
de Dexter Palmer, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel (Quai Voltaire, 448 p., 24 €)
BERNARD QUIRINY
RÉBECCA CHAILLON dans Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute (2018). Après s’être appliquée à démonter la lesbophobie et le sexisme, Chaillon s’attaque dans sa dernière création, Carte Noire nommée Désir, aux stéréotypes racistes et pose cette question : comment construire son désir quand on est une femme noire, face à une myriade d’injonctions paradoxales ? Sur scène, huit interprètes – toutes des « personnes noires assignées femmes », comme le précise l’autrice dans sa note d’intention – traversent ces stéréotypes aliénants imprégnés de l’histoire coloniale du corps noir objectifié, exotisé et érotisé, qui persiste dans les imaginaires. À l’instar de l’aventureuse Alice de Lewis Caroll, elles tracent leur chemin dans un
monde hostile qu’elles goûtent – grâce à un décor comestible – et ne cessent de se métamorphoser, pour devenir insaisissables. Autre particularité du spectacle : il réserve un espace en non-mixité, appelé « coco·n », pour les spectatrices noires. Une manière de questionner ce que l’on perçoit sur scène en fonction de la place qu’on occupe et de semer le trouble dans le dispositif de la représentation. les 21 et 22 février au Carreau du Temple (2 h 15)
WWW.CARREAUDUTEMPLE.EU - 01 83 81 93 30 BELINDA MATHIEU
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Culture
LA SÉLECTION DU MOIS Révélée à un large public par son troisième album, Designer (2019), la chanteuse néo-zélandaise revient hanter les scènes hexagonales avec ses chansons en clair-obscur et sa spectaculaire présence, aussi intrigante qu’impérieuse. Voix escaladant les octaves, de la soie murmurée aux entrailles expulsées, mimiques équilibristes, tour à tour enfantines ou grotesques, Aldous Harding est sur scène telle que sa musique : tout à la fois gracieuse et malaisante, suave et inquiétante. Produit par John Parish (PJ Harvey, Sparklehorse), Designer – et ses hits de folk-rock impressionniste aux clips jodorowskiens (« The Barrel », « Fixture Picture », « Zoo Eyes ») – a assis la notoriété de cette musicienne étonnante. Métronomiques, spacieuses, hypnotiques comme un lent zoom sur un détail minuscule du paysage (ici une soudaine inflexion de la voix), ses chansons sont aussi mélodieuses et envoûtantes que leur sens est opaque : « look at all the peaches » (« regarde toutes les pêches ») ou « show the ferret to the egg » (« montre le furet à l’œuf »), nous intime-t-elle sur « The Barrel », entre autres images paradoxales qui traversent son album. Cette poésie cryptique finit par résonner à un
d’ailleurs ses musiciens qu’elle met à l’honneur dans le clip de son dernier single, « Old Peel », laissant sa place au micro à une sorte de mime gesticulant d’Iggy Pop, qui finit par la porter sur son dos. Son groupe la porte, elle nous transporte. le 9 mars 2022 au Trianon
WILFRIED PARIS
BEACH HOUSE
Toujours semblable, toujours différente, la musique de Beach House traverse le temps sans prendre de ride. Leur secret de jouvence est dans One Twice Melody. « À mesure que nous vieillissons, notre public rajeunit. » Au bout du fil, Victoria Legrand et Alex Scally le reconnaissent : parmi les formations indie-rock du début des années 2000, leur groupe est l’un des rares à tenir encore debout, et sûrement le seul à renouveler son audience. Le temps a fait son tri et a choisi Beach House. Sur One Twice Melody, huitième (double) album, le duo de Baltimore ouvre en grand son nuancier dreampop, comme pour prouver que ses piliers – le contralto androgyne de Victoria, les synthés qui scintillent, la langueur et la puissance – résistent à toutes les mutations. « Cela vient de notre appétit pour l’existence », affirme Alex. « Cette capacité à rester stimulés par ce qui se passe autour de nous, c’est ce qui fait tourner le moteur depuis quinze ans. » Après avoir absorbé la noirceur et la confusion du monde (7 en 2018, leur disque le plus « adulte »), ils débordent des cadres et retrouvent ce parfum de jeunesse éternelle, d’enfance illimitée, qui nous ensorcelait à l’époque de Teen Dream (2010). « Nous
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niveau purement sensoriel, nourrie par les multiples changements de registres et d’incarnations de la chanteuse, tour à tour Kate Bush chantant du Will Oldham, Cindy Sherman affublée d’une guitare folk, Connan Mockasin grimé en Joni Mitchell. Parfait contrepoint de cette personnalité extravagante, son groupe est aussi impassible qu’impeccable, tenant le rythme tendu, harmonisant avec mesure, apparaissant et disparaissant derrière la danse, la grimace ou la mise à nu de la grande originale, tout à son service. C’est
© David Belisle
5 Son
ALDOUS HARDING
© Clare Shilland
4 Concert
5 FÉVRIER–6 MARS 2022 30 JOURS, 40 ARTISTES, AVANT LA FERMETURE DU CCS POUR TRAVAUX
cultivons précieusement l’enfant qui est en nous », reconnaît Victoria. « C’est l’avantage d’être artiste : la création, la spontanéité, le fait de “jouer” cultivent la jeunesse de l’esprit. » Après tout, Beach House n’a que 15 ans. Once Twice Melody de Beach House (Bella Union)
MICHAËL PATIN
Si votre album était un film « Le découpage de l’album en quatre séquences est déjà très cinématique. Quand on écoute certaines chansons, on visualise des images des Moissons du ciel ; d’autres, ce seront les films de Warhol… et “Masquerade” pourrait être un film en costumes des années 1980. Chaque chanson est un film dans un film encore plus grand… Mais le plus important, c’est que ceux qui écoutent le disque puissent projeter leurs propres images. »
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CENTRE CULTUREL SUISSE. PARIS 32–38 RUE DES FRANCS-BOURGEOIS 75003 PARIS CCSPARIS.COM
SHOPPING CULTURE
Culture
NAPHTALINE DE SOLE OTERO
On sait combien, en bande dessinée ou ailleurs, les récits familiaux peuvent être périlleux. La jeune autrice argentine Sole Otero revient sur son passé familial en suivant l’exode de ses aïeuls italiens puis la vie de sa grand-mère à Buenos Aires. Tout sonne juste dans cette autofiction aux compositions appuyées. Un vrai coup de cœur. • ADRIEN GENOUDET
En vinyle coloré, le premier album de ce quintette de jeunes Londoniennes produit par Alex Kapranos (Franz Ferdinand) mixe garage-rock, surf, psyché, chicha (cumbia péruvienne) et guitares turques sur des cocktails instrumentaux acidulés et endiablés qui ont fait tourner la tête au public de Ty Segall ou de Mac DeMarco. La fête n’est pas finie ! • W. P.
> (Ça et là, 336 p., 25 €)
> (City Slang), sortie le 4 février
TOPICAL DANCER DE C. ADIGÉRY & B. PUPUL
Acid-electro, motif R&B ou zouk eighties, anglais et créole, Will Smith, racisme, trauma et social media : le duo de Gand transforme tout en créativité électrique et invite à lâcher prise avec une ironie ludique, un art du je-nesais-quoi décalé et un sens irrésistible du dancefloor (insolent « Thank You ») sur ce premier LP foisonnant de tubes surprises – délicieux. • ETAÏNN ZWER > (Deewee)
BD
CD
vinyle jeux vidéo
Avant de devenir le plus célèbre détective de Londres, Sherlock Holmes revient sur son île natale pour enquêter sur la mort mystérieuse de sa mère… Brillamment écrit, ce prequel dresse un portrait inédit du célèbre limier, dont la carapace misanthrope se fend enfin pour laisser apparaître de belles et surprenantes fêlures intimes. • Y. F. > (Frogwares | Xbox One, Xbox Series, PS4, PS5, PC)
AU-DESSUS L’ODYSSÉE DE JASON
LA SECONDE VIE D’EVA BRAUN DE GRÉGOR PEAN
Qui ne connaît pas encore l’excellent auteur norvégien Jason devrait se procurer Au-dessus l’odyssée. Cette anthologie combine une vingtaine de courtes histoires où l’on retrouve tout le talent, le tempo et l’humour de Jason. Car c’est cela qui marque la finesse de l’auteur : sa capacité à prendre la planche et le récit comme un art du contrepoint. • A. G.
Et si Eva Braun n’était pas morte avec Adolf Hitler dans leur bunker à Berlin ? Et si elle avait été exfiltrée en secret et capturée par les Russes ?… C’est ce qu’imagine Grégor Péan, dans ce premier roman qui réécrit l’histoire des années 1930 et de la guerre froide sur un mode uchronique au ton percutant, plein de formules bien senties. On nous aurait menti ? • B. Q.
> (Atrabile, 256 p., 24 €)
> (Robert Laffont, 224 p., 19 €)
LA FILLE DU DIABLE DE JENNI FAGAN
livre
SHERLOCK HOLMES CHAPTER ONE
LET THE FESTIVITIES BEGIN! DE LOS BITCHOS
PAINLESS DE NILÜFER YANYA
LE GRAND MONDE DE PROUST DE M. BRÉZET
GINETTE DE FLORENCE CESTAC
Ginette, tout comme la collection BDCul dans laquelle est publié ce recueil, n’a plus besoin de faire ses preuves – c’est du professionnel. Personnage inclassable de prostituée à la parole libre et parfois dégueulasse, Ginette nous raconte ses histoires de jambes en l’air en forçant le trait – de Cestac. Ça donne, au fond, un pamphlet féministe, et c’est très (très) bon. • A. G. > (Le Monte-en-l’air, 104 p., 12 €)
DEATH’S DOOR
Employé du département administratif de la mort, notre héros, un corbeau guerrier, doit sillonner le monde des vivants pour moissonner leurs âmes… Il faut du doigté et de la patience pour venir à bout de la somptueuse aventure de ce petit-cousin macabre de Zelda bourré d’humour et de références. Un sacré défi. • Y. F. > (Devolver | Xbox One, Xbox Series, PS4, PS5, PC, Switch)
SADOS DE PEREZ
Au 10, rue Luckenbooth à Édimbourg ont vécu divers habitants depuis un siècle, dont… la fille du diable en personne, arrivée par la mer dans un cercueil en 1910 ! L’Écossaise Jenni Fagan reprend le principe de La Vie mode d’emploi (un immeuble, des histoires) sur un mode punk-gothique, en y mettant du sexe, de la radicalité et de l’étrange. Décoiffant. • B. Q.
Banger véloce (« Stabilise »), vignette mélancolique (« Trouble »), ballade laid-back mélodieuse (« Shameless »)… Entre alt-rock nineties texturé, guitares virtuoses et cette voix vif-argent cerclée de chœurs frémissants, la brillante songwriter londonienne affirme son indie-rock de chambre avec un deuxième disque direct et entêtant qui ose la vulnérabilité. Touché. • E. Z
Il y avait déjà les bottins proustiens de Michel Erman, avec leur dictionnaire des personnages de La Recherche. Mathilde Brézet se lance un défi analogue avec ce Grand Monde, qui recense une centaine de figures du roman de Proust, avec commentaires et extraits. Une autre manière d’entrer dans la cathédrale, en compagnie de son « peuple légendaire ». • B. Q.
Chasseur de pop-electro tordue et commentateur libre de notre futur proche bancal, Perez frappe encore avec cette micro-odyssée inquiète et inquiétante qui scrute la méchanceté contemporaine en quatre titres-scènes ovniesques – telle l’apocalypse amusée d’« Hommage » ou la déesse « Vanille » et son feu auto-tuné obsédant. Bizarre, magnétique et excitant. • E. Z.
> (Métailié, 352 p., 23 €)
> (ATO)
> (Grasset, 608 p., 26 €)
> (Étoile Distante)
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CE MOIS-CI À PARIS
Culture
RESTOS ----> BRASSERIE DUBILLOT Dernier avatar du revival des brasseries parisiennes, cette création Nouvelle Garde (Brasserie Bellanger) coche les cases du genre. Art déco du sol au plafond, carte classique, prix doux : œuf mayo ou pâté en croûte, saucisse purée ou tartare, dément cookie ou entremets pistache. Carte : à partir de 19 €. • STÉPHANE MÉJANÈS
avec CD et tuyaux de fer – qui ajoute une nouvelle touche de fantaisie à ce doux moment. • B. M. > du 25 mars au 1 avril au Théâtre national de la danse de Chaillot er
> 222, rue Saint-Denis, Paris IIe
----> L’ATELIER DES MÉLANGES Planqué dans l’ancienne usine de la marque Spring Court, ce bistrot chaleureux affiche une ardoise confiée au chef Alexandre Marchon, dont le restaurant (à son nom) est à deux pas. Ce jour-là, velouté de panais, noisette, aïoli de lieu noir et fontainebleau à la clémentine et à la crème de marron. Carte : environ 25 €. • S. M.
CONCERTS ----> BOY HARSHER Étendard de la nouvelle dark-wave, le duo américain revient à ses premières amours cinématographiques avec The Runner, à la fois court métrage d’horreur méta et B.O. lunatique aux désirs inquiétants, exorcisés lors d’un live habité et haletant. La date parfaite pour frissonner… à la Saint- Valentin. • E. Z. > le 14 février au Cabaret Sauvage
----> NEVER STOP SCROLLING BABY DE VITAMINA Face à nous, un danseur en marcel blanc marche d’un pas cadencé, éclairé par une structure de néons derrière lui. Il fait du surplace et nous regarde droit dans les yeux d’un air aguicheur, parfois un poil agressif. Ce personnage étrange, qui semble extrait d’un monde numérique, traverse une myriade d’états dans un flux continu, qui fait écho à notre mode de vie hyperconnecté. • B. M. > le 8 février au Théâtre de Vanves
> 5, passage Piver, Paris XIe
----> CURTIS HARDING
Flamboyant héritier de la black music des seventies (coucou Curtis Mayfield), le crooner top model d’Atlanta porte haut une soul optimiste et électrique. Bercée de gospel rétro, de hip-hop pugnace et de rock psyché, sa musique-manifeste, jouissive, voyage dans le temps et sème de l’espoir, avec des fleurs dans la voix. • E. Z. > le 6 mars à La Cigale
> 10, rue du Calvaire, Suresnes
----> L’OISEAU-LIGNES DE CHLOÉ MOGLIA ET MARIELLE CHATAIN Poète de la suspension, Chloé Moglia livre une nouvelle performance aussi virtuose que sensible avec son acolyte musicienne, la compositrice Marielle Chatain. Â l’aide d’un tableau noir et de barres de suspension instables, elles tracent des chemins subtils dans l’espace, qui surprennent et qui font rêver. • B. M. > du 10 au 12 février au Centquatre
----> TIRZAH
Gagnez des places en suivant TROISCOULEURS sur Facebook et Instagram
94
> du 23 au 27 février au Centre Pompidou
> jusqu’au 8 mai au musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Si Lewen, Parade, 1950
----> SHI NIKKI (PRIVATE DIARY) FOR
> jusqu’au 14 mars à la Bourse de Commerce – Pinault Collection
De l’amoureux Devotion au tendre Colour grade, entourée de ses best friends Coby Sey et Mica Levi (boss des productions aliennes lo-fi), la Britannique explore des territoires R&B cotonneux : son électronique sensuelle, nuancier intimiste et lumineux, est un vaisseau vers la douceur, un trip thérapeutique – envoûtant. • E. Z.
SPECTACLES ----> LE PETIT CHAPERON ROUGE DE JOËL POMMERAT Ce succès de Joël Pommerat, créé en 2004, est le premier volet de sa série consacré aux contes et son premier essai pour un jeune public. Dans une version devenue incontournable, le metteur en scène réinvestit l’histoire de Charles Perrault pour parler aux enfants du xxie siècle, grâce à une mise en scène dénudée et sensible. • B. M.
Eva Jospin, Fôrets, 2010
----> PARADE DE SI LEWEN
ROBERT FRANK DE NOBUYOSHI ARAKI Entre deux poses érotiques, une prise sur le vif de son chat Chiro, des vues de Tokyo ou des natures mortes : cent une photographies en noir et blanc prises en 1993 explorent la solitude du Japonais, longtemps considéré comme sulfureux, alors veuf depuis peu. • M. F.
> le 18 mars au Café de la Danse
----> WEG D’AYELEN PAROLIN Neuf interprètes évoluent sur le plateau, affublés de collerettes en tulle, shorts dorés et autres justaucorps roses. Ils jouent, s’exaltent, jouissent de mouvements carnavalesques, ridicules, tantôt brusques ou obscènes, tantôt gracieux. Aux commandes de cette chorégraphie rythmée, l’Argentine Ayelen Parolin, basée depuis plusieurs années à Bruxelles et connue pour son minimalisme et sa précision intense. Avec Weg, elle prend un tournant chorégraphique plus hédoniste et libéré. Baignés tour à tour dans des lumières vives roses, vertes et jaunes, les danseuses et danseurs forment une cosmogonie merveilleuse, librement inspirée de phénomènes naturels et de la théorie du chaos. L’ensemble est scandé par la musique de la compositrice Lea Petra – et son piano préparé
> jusqu’au 20 mars au musée de la Chasse et de la Nature
« Votre œuvre […] a le réel mérite de combattre les tendances belliqueuses par le biais de l’art », disait Albert Einstein de cette série de soixante-trois dessins illustrant la montée du nazisme à cet artiste juif polonais ayant découvert le camp de Buchenwald en tant que militaire américain. • M. F.
----> AU PÈRE LAPIN
Institution au pied du mont Valérien, avec vue sur la tour Eiffel, le restaurant de Johann Caillot a recueilli le chef Guillaume Delage. Virtuose du tradi-créatif, il envoie aussi bien du foie gras et bisque d’oursins que de la gibelotte de lapin, purée, et un Paris-Brest pour deux. Carte : à partir de 40 €. • S. M.
dans ce cabinet de curiosités qu’est l’hôtel de Mongelas. • MARIE FANTOZZI
EXPOS ----> GALLERIA D’EVA JOSPIN Assemblé, collé, ciselé, le carton est le médium privilégié de la plasticienne française Eva Jospin. Elle y décline ses motifs fétiches (nature sauvage et ruine classique) en de sculpturales installations, saisissantes de réa lisme : Galleria (2021, une voûte à caissons envahie de lianes), Matera (2018, troublante imitation d’une paroi rocheuse) ou Forêt (2010, coupe d’une orée sylvestre). Un univers proche du merveilleux, loin de dénoter
no 186 – février-mars 2022
Nobuyoshi Araki, Shi Nikki (Private Diary), 1993
----> ARTS DE L’ISLAM. UN PASSÉ POUR UN PRÉSENT À Saint-Denis, comme dans dix-sept autres lieux en France, sont exposées de belles pièces d’art islamique issues des collections publiques : une grande clef de la Ka’ba (le monument au centre de la Mecque) des xiv-xves siècles ou une somptueuse verseuse indienne du xviiie siècle ayant appartenu à Adolphe Thiers. • M. F. > jusqu’au 27 mars au musée d’art et d’histoire Paul Éluard (Saint-Denis)
© Guillaume Belvèze ; © D.R. ; © Hofmann ; © Joshua Vanhaverbeke ; © Victor Tonelli Hans Lucas ; © D.R. ; © Lillie Eiger ; © Musée de la Chasse et de la Nature – Béatrice Hatala – ADAGP, Paris, 2021 ; © ph. MahJ - Christophe Fouin ; © Nobuyoshi Araki – Courtesy of Taka Ishii Gallery ; © Aiman Saad Ellaoui
© ALEX PIXELLE – NICOLAS COPIN / ¢
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