Dossier documentaire Mayalen Zubillaga

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KOUSS.KOUSS 2025 — CHICHE ! Dossier documentaire

Mayalen Zubillaga, 10 mars 2025

Après la graine, le festival Kouss.Kouss s’adonne pour sa 8e édition aux joies du pois chiche, ingrédient phare de nombreux couscous. Associé de longue date aux terres méditerranéennes, chargé de symboles et de traditions populaires, le légume sec et sain(t) est cuisiné dans de multiples recettes, sous sa forme entière ou écrasé en farine. Une nouvelle occasion de marier saveurs et savoirs dans l’ensemble du territoire marseillais, lui-même jalonné de pois chiches depuis ses rivages jusqu’au sommet des collines.

CHICHE OU POIS CHICHE ?

L’interjection « chiche », avec ou sans point d’exclamation, est utilisée pour lancer ou accepter un défi. Alain Rey note qu’il s’agit d’« un emploi particulier de l’adjectif chiche, probablement par abréviation de la locution ne pas être chiche de faire qqch. «ne pas être capable de faire qqch.». L’emploi adjectif attribut : il, elle est (serait...) chiche de (suivi de l’infinitif), «capable de», relève de la même évolution probable. »

(Dictionnaire historique de la langue française).

C’est aussi un adjectif qualifiant une personne dont la parcimonie confine à l’avarice, qui répugne à la dépense, aux paroles, aux compliments. « Être chiche de… » veut dire « être avare de… ». Une chose peu abondante, mesquine, est également qualifiée de « chiche ». Un couscous ne peut pas être chiche. Il peut être, en revanche, riche en pois chiches.

« On dit proverbialement, qu’il n’est festin que de gens chiches, pour dire, que ceux qui traittent rarement font plus grande chere que les autres, quand quelque autre passion les domine, comme l’amour, la vanité, ou l’esperance que cela leur pourra servir à quelque chose. »

Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690

LE POIS CHICHE, ROI DES LÉGUMES SECS EN MÉDITERRANÉE

UN PONTE DU CLAN DES LÉGUMINEUSES

Cicer arietinum, nom de l’espèce botanique du pois chiche, a été domestiqué il y a plusieurs milliers d’années au Moyen-Orient, d’où il est originaire. Il fait partie de la famille des fabacées ou légumineuses, dont la culture et la consommation sont fortement encouragées par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture).

Cette dernière les définit comme des cultures récoltées pour obtenir des grains secs, raison pour laquelle on parle aussi de « légumes secs ». Sont exclus, dans cette définition, les grains récoltés verts ou les fabacées produites pour l’extraction d’huile ou à des fins de semis. Pois chiches, lentilles, pois cassés, fèves séchées, haricots secs, lupins, niébés, pois bambaras… : il en existe plusieurs milliers d’espèces aux quatre coins du monde.

Leurs atouts sont nombreux et particulièrement intéressants en contexte de crise climatique : richesse en protéines, fibres alimentaires et autres nutriments essentiels pour la santé, longue durée de conservation et contribution à une alimentation variée, amélioration de la fertilité et de la biodiversité des sols, faible exigence en eau…

Les atouts nutritionnels des pois chiches

La teneur en protéines des pois chiches est particulièrement élevée. Dans les régions où la viande ou les produits laitiers sont peu accessibles, il est souvent associé à des céréales (par exemple la graine de couscous) pour un apport optimisé en acides aminés essentiels. Comme les autres légumineuses, il est également riche en fibres, vitamines et minéraux (magnésium, fer, potassium…). Des atouts d’autant plus intéressants que les pois chiches sont bon marché, se conservent longtemps et gonflent fortement lors du trempage puis de la cuisson.

Concernant le pois chiche, deux groupes de cultivars se distinguent aujourd’hui, liés aux grandes zones de diffusion du légume sec :

• Le kabuli à grosses graines claires et peu ridées. C’est le pois chiche de type méditerranéen et proche-oriental.

• Le desi à petites graines ridées et de couleur plus sombre, jusqu’au noir pour certaines variétés Il prédomine dans le sous-continent indien.

UN RICHE RÉPERTOIRE DE RECETTES POPULAIRES

Présent dans les textes sacrés de la Méditerranée, le pois chiche est traditionnellement associé à la frugalité, voire la pauvreté et à la contrition.

« Alors que nous menons cette vie exemplaire, Devoir de tout homme de bien sur terre, Dire qu’il est ailleurs de tristes matagots, Mangeurs de pois chiches et buveurs d’eau. »

Alfred Jarry, Pantagruel, 1911

Georges de La Tour, Les Mangeurs de pois, vers 1620 (Gemäldegalerie, Berlin)

Il n’en reste pas moins très courant dans la cuisine quotidienne et festive des pays riverains, entier ou écrasé en farine : snacks et mezzés (pois chiches épicés et grillés, houmous, falafels, croquettes…), galettes de farine de pois chiches (farinata, socca, cade, calentica, panisses, panelle…), soupes (harira, chorba, minestra di ceci…), ragoûts (lablabi, revithada, caponata di ceci e melanzane, potaje de vigilia…), salades (très variées selon les pays et régions, agrémentées d’ingrédients locaux et de saison – coup de cœur pour la balila libanaise servie tiède).

« Alger, refuge du picaresque. […] Le peuple de Goya, je l’ai vu vivre pendant des années autour de moi, dans ces faubourgs étonnants de l’Algérie, dans ce Bab-el-Oued d’Alger qui les résume tous […].

Les fûts en pyramide y déversent des Beni-Chama de mistelles pharmaceutiques, des moscatels pur moût concentré, et surtout la royale anisette, fille de l’anéthol, pour exciter la soif des beaux marlous, des filles, des rouliers alignés au comptoir devant les soucoupes d’olives et de pois chiches. »

Gabriel Audisio, Jeunesse de la Méditerranée, 1935

Il existe aussi des desserts au pois chiche. La farine de pois chiches torréfiés est utilisée pour confectionner des gourmandises de type biscuit, par exemple la ghraïba homs tunisienne ou les sablés iraniens du nouvel an persan (nan-e nokhodchi ou shirini-e nokhodchi). Elle peut aussi agrémenter la tamina, un entremets algérien de semoule destiné aux accouchées, peut être agrémenté de farine de pois grillés dans l’est du pays. Claudia Roden, dans Le livre de la cuisine juive (traduit chez Flammarion) évoque également le nahit-arbis sépharade, des pois chiches entiers sucrés, servis aux invités du premier vendredi soir après la naissance d’un garçon.

L’utilisation du jus de cuisson des pois chiches, appelé aquafaba, est plus récente. Ce jus monte en neige lorsqu’il est battu, comme du blanc d’œuf, permettant ainsi de préparer des meringues ou de la mousse au chocolat.

La vogue du pois chiche dans la cuisine contemporaine

Porté par les préoccupations environnementales, la montée du végétarisme et la vogue des saveurs levantines à laquelle il contribue, le pois chiche a le vent en poupe, y compris en « haute gastronomie » et en bistronomie. En 2021, la cheffe étoilée Julia Sedefdjian, née à Nice, a ouvert à Paris une épicerie-traiteur consacrée au pois chiche, bien nommée Cicéron (fermée depuis). D’autres établissements spécialisés ont fleuri à Paris, par exemple Pois chic (14e arr.), ainsi qu’à Marseille avec l’enseigne Back Chich, dédiée à la street food de pois chiche. Quelques chefs, tel Armand Arnal, cuisinent aussi les pois chiches récoltés verts. La marque Bonduelle en propose en surgelé pour les pros (filière développée dans les Hauts-de-France).

« Il mange des pois chiches grillés et nous parle de théologie ! »

Proverbe sur la vanité cité par Robert Bistolfi et Farouk Mardam-Bey dans le Traité du pois chiche (Actes Sud, 1998)

EN PROVENCE, LE POIS CHICHE EST POINTU

En Provence, on mangeait le pois chiche en salade le dimanche des Rameaux pour se protéger des furoncles, mais aussi le Vendredi Saint, à la Toussaint, lors des repas de deuil ou plus généralement pendant les jours « maigres », c’està-dire sans viande. C’était surtout un ingrédient courant de la cuisine quotidienne. Il était si consommé qu’on appelait le ventre presoun di cese, « prison des pois chiches ». Il apparaissait dans des expressions populaires comme Metre d’òli ei cese, « mettre de l’huile sur les pois chiches », un peu comme on met du beurre dans les épinards.

« Le lendemain [du jour où l’huile d’olive nouvelle était apportée à la maison, ndlr], nous avions généralement des pois chiches en salade (c’est le légume qui permet le mieux de goûter la finesse de l’huile), mais ces pois chiches avaient été bouillis en assez grande quantité pour pouvoir suffire à tout le voisinage. Vers les onze heures, ma mère allait ouvrir la porte des boutiques : «Noémie, donne-moi un bol, je vais t’apporter des pois chiches.» Hortense, Delphine, Marie, etc., tout le monde avait son bol de pois chiches et l’huile nouvelle pour l’assaisonner. »

On aura remarqué que le pois chiche se dit cese en provençal, rappelant le « chiche » venant de l’ancien français cice, lui-même emprunté au latin cicer que l’on retrouve dans le vieux nom « cicérole » et surtout dans le genre botanique du pois chiche, Cicer. On se souvient aussi du philosophe romain Marcus Tullius, dont on dit que le surnom Cicéron venait d’un ancêtre pourvu d’une verrue ou d’un nez en forme de pois chiche, ou de la fortune acquise par sa famille grâce à la culture du légume sec.

Il porte également le sobriquet de pese pounchu, « pois pointu », donnant une allure encore plus cruelle à la pénitence de l’ascension traditionnelle à Notre-Dame-de-la-Garde, la Bonne Mère de tous les Marseillais : elle doit se faire dans la douleur, idéalement à genoux ou avec des pois chiches dans les souliers. Évidemment, la galéjade n’est jamais loin. Une vieille anecdote met ainsi en scène un marin grimpant comme un charme pendant que ses acolytes souffrent le martyre : il a pris la précaution de cuire, au préalable, les pois du supplice.

DANS LE COUSCOUS, UNE LÉGUMINEUSE… DE POIS

Le houmous et les falafels ont beau susciter une ferveur inégalée, Pierre-Brice Lebrun, auteur du Petit traité du pois chiche (Éditions le Sureau, 2011), considère cependant que « le Maghreb est la patrie d’adoption du pois chiche » avec ses couscous, tajines, hariras, chorbas et autres préparations où il est roi.

VARIATIONS SUR LE MÊME THÈME

Depuis son lancement en 2018, le festival Kouss.Kouss s’attache à montrer à quel point le grand plat d’origine berbère, métaphore du « commun » marseillais, est pluriel. Régions, saisons, fêtes, familles… : il en existe un nombre presque infini de variantes omnivores ou végétales, terriennes ou marines, salées ou même sucrées. Mais sa version la plus commune, tout au moins dans les imaginaires contemporains, réunit une montagne douce de graine gonflée, une viande fondante posée sur les cimes, des légumes en bouillon aux couleurs chaudes et une poignée de pois chiches dégringolant les pentes blondes.

Le pois chiche figure, de fait, dans une multitude de couscous du Maghreb, en majesté ou simplement en poignée, évoquant alors un temps où la chair animale était peu courante mais plutôt condimentaire, festive ou signe d’aisance, voire de générosité envers ses hôtes. Faute de viande, on jetait dans le bouillon les ressources végétales locales, cultivées ou sauvages. Le pois chiche, réputé pauvre et frugal mais riche en glucides et protéines, permettait de composer un repas empiriquement et nutritionnellement complet grâce à son association avec la céréale de la « graine », blé dur ou orge notamment.

Couscous à Fès, 2023

Dans Les Aventures du couscous (Actes Sud, 2003), Hadjira Mouhoud et Claudine Rabaa soulignent que les pois chiches, comme d’autres légumineuses, sont traditionnellement plus abondants dans les couscous des steppes et des montagnes, souvent enrichis de plantes sauvages, que dans ceux, riches en légumes cultivés et plus susceptibles de contenir de la viande fraîche, des plaines arrosées s’étirant entre la mer et le désert. Au Fémina à Marseille, l’un des plus anciens restaurants familiaux encore en activité, la recette de cœur de Mustapha Kachetel est le couscous d’orge montagnard aux pois chiches et autres légumes secs, originaire des hautes terres de Kabylie, tout comme l’arrière-grand-père arrivé en France avec ses frères au début du siècle dernier.

QUELQUES COUSCOUS AUX POIS CHICHES

Il est impossible de dresser une liste exhaustive des couscous contenant des pois chiches : le plat échappe aux codifications strictes, faisant surtout l’objet d’adaptations pragmatiques au gré des régions, des saisons et des ressources disponibles. Voici cependant quelques exemples de recettes plus ou moins (plutôt moins !) standardisées. Les origines sont indicatives et non limitatives puisque la cuisine n’a cure des frontières.

• Couscous bidaoui (Maroc). Le mot « bidaoui » marque le lien avec la ville de Casablanca. On appelle parfois ce plat « couscous aux sept légumes », ces derniers variant selon les saisons et les préférences : carotte, navet, chou, courge, céleri, courgette, aubergine… Il contient des pois chiches et peut être servi avec un doux condiment d’oignons confits et raisins secs, la tfaya, elle-même au centre d’autres couscous marocains. On trouve un couscous ressemblant à Tlemcen.

• Couscous bel khorchef aux cardons (Algérie, Tunisie, Maroc). Les pois chiches sont présents dans de nombreux couscous automnaux et hivernaux. Ils sont par exemple associés, en particulier en Kabylie, avec des cardons ou cardes, également originaires du bassin méditerranéen. On les appelle aussi « artichauts sauvages ».

• Couscous « k’dra » aux raisins secs et pois chiches (Maroc). Le bouillon de ce couscous associé à la ville de Fès est à base d’oignons, safran, smen et poivre. Il est cuit en deux temps : d’abord la viande (volaille ou agneau notamment), les pois chiches, un peu d’oignon et les épices, puis, après avoir retiré le haut du couscoussier, des oignons en abondance et des raisins secs. Du miel est parfois ajouté pour rehausser le goût sucré.

• Couscous abissar ou avissar (Algérie). Ce couscous kabyle onctueux et nourrissant, préparé surtout en hiver, associe fèves séchées (appelées « févettes ») et pois chiches. Il est généralement accompagné de viande séchée (kaddid ou qadîd) et de poulet. La graine est enduite d’huile d’olive. Certaines recettes incluent, semble-t-il, d’autres légumes secs (haricots, lentilles).

• Couscous aderyis (Algérie). C’est un couscous kabyle qui célèbre le printemps. Il est confectionné une fois l’an autour d’une racine sauvage, l’aderyis (thapsia) fraîche. Avec d’autres végétaux de saison, celle-ci parfume le liquide de cuisson et donc la graine via la vapeur. Le plat comporte aussi des pois chiches et des œufs durs cuits dans le bouillon. Ce dernier n’est pas consommé en raison de la toxicité de la thapsia, elle-même manipulée avec précaution. Le couscous est servi arrosé d’huile d’olive, voire accompagné de yaourt dans un usage plus récent.

• Mzeyet (Algérie). En Algérie, le « couscous noir » (hammoum, el machroub, lemzeyet ou mzeyet) est élaboré avec du blé fermenté dans l’humidité et la chaleur de greniers souterrains. Il est surtout rattaché à la région du Constantinois et aux hauts plateaux. Son odeur est prononcée, son goût corsé et acidulé. Il est souvent préparé avec un bouillon à la viande (agneau, bœuf) et aux légumes, avec des pois chiches.

• Couscous osbane (Tunisie, Algérie, Maroc, Libye). L’osbane ou osbana désigne une panse, généralement de mouton, farcie d’abats finement coupés, de pois chiches, de riz et d’éléments condimentaires ou aromatiques (oignon, coriandre, épices, concentré de tomate, harissa...). Les abats varient selon les régions (foie, cœur, intestins, crépine, poumons…), tout comme les épices. Quand l’osbane est servi avec du couscous, des pois chiches sont également cuits dans le bouillon.

• Couscous sucré de ras el-am (Tunisie). Spécialité de la région de Nabeul, ce couscous rituel du nouvel an musulman, ras el-am el hejri, est préparé avec de la viande séchée (kaddid) et parfois des sortes d’andouillettes de mouton également séchées (une variante d’osbane), dans les deux cas issues de l’Aïd. La composition exacte est variable mais les pois chiches sont, comme les fèves et les raisins secs, toujours présents. Ce couscous riche en symboles comporte aussi des œufs, des amandes, du sucre ou des dattes, voire des bonbons. Il n’est pas servi avec de la harissa.

• Couscous au poisson (Tunisie et régions côtières du Maghreb). Il existe des couscous au poisson dans certaines zones côtières du Maroc et de l’Algérie, et, surtout, en Tunisie : mulet, mérou, dorade, loup, fruits de mer, poissons et poulpes séchés… Nombre d’entre eux contiennent des pois chiches.

©Caroline Dutrey

• Couscous sépharades (Maroc, Tunisie). Dans le Traité du pois chiche (Actes Sud, 1998), Robert Bistolfi et Farouk Mardam-Bey font également état d’un couscous aux pois chiches frits, autrefois spécialité de la communauté juive de Meknès. Il comportait plusieurs viandes, des légumes et des pois chiches cuits en grande friture. Les deux tiers d’entre eux étaient mélangés à la graine, le reste dispersé sur les viandes et légumes au moment du service.

• D’une manière générale, chez les Juifs d’Afrique du Nord et dans les diasporas sépharades, le couscous est un plat central. Lors des grandes occasions, la graine en pyramide est servie avec un bouillon de viande, légumes et pois chiches, et le couscous est accompagné d’à-côtés sucrés incarnant le bonheur. On retrouve par exemple dans ces compléments la tfaya marocaine d’oignons et raisins secs, des pruneaux aux noix, mais aussi des pois chiches et raisins secs cuits. Pour la fête de Roch Hachana, les pois chiches entrent dans la composition d’un couscous de viande au potiron, raisins secs et amandes.

• Moghrabié (Liban, Palestine, Jordanie, Syrie). Le moghrabié, moghrabieh ou maftoul est un couscous à gros grains levantin qui s’apparente à celui que l’on trouve au Maghreb (berkoukes, abazine, aïch…). Il arrive, au Proche-Orient, que la semoule du roulage soit remplacée par du boulgour. Le couscous de viande composé autour des « grains » est riche en pois chiches, très utilisés en cuisine levantine, mais ne comporte pas ou très peu de légumes frais. Sa version la plus classique est à base de poulet.

• Couscous rouge (Libye). La Libye est le seul pays du grand Maghreb ne figurant pas dans « Les savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production et à la consommation du couscous » inscrits sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2020. Le couscous y est pourtant aussi un plat totémique. Il est le plus souvent élaboré avec de l’agneau, des pois chiches et un bouillon rouge riche en tomate et épices.

• Couscous « royal » (France). Le couscous dit royal, à différencier du soltani doré, est vraisemblablement une invention française et plus spécifiquement parisienne. Il présente la particularité de mélanger plusieurs viandes, ainsi que des merguez et parfois des brochettes. Les puristes le tolèrent difficilement, ses aficionados l’adorent. Il a beau être « riche », son bouillon contient des pois chiches.

De la « graine » de pois chiche ? Chiche !

Les légumineuses ont aussi investi le couscous dans sa définition première, celle d’une « graine » roulée à partir de semoule humidifiée et roulée. Si les graines les plus courantes sont issues du blé dur et de l’orge, d’autres céréales ou matières premières sont mises à contribution, au Maghreb et dans les régions de diffusion du couscous. C’est le cas du pois chiche qui, comme d’autres légumes secs (lentilles corail, pois cassés), est à l’origine de couscous récents et répondant à des attentes contemporaines, écologie et santé notamment. L’entreprise provençale Carret Munos, partenaire du festival, en fabrique pour les marques Les Moulins de Provence et Lazzaretti.

KOUSS•KOUSS INVITE…

Comme lors de la précédente édition du festival, qui avait notamment invité une quinzaine de boulangeries ou épiceries à célébrer la « graine » autour du pain, Kouss.Kouss s’ouvre cette année à toutes les spécialités méditerranéennes à base de pois chiches, en particulier deux d’entre elles, et aux cuzcuz d’outre-Atlantique à l’occasion de la Saison France-Brésil 2025.

… LES GALETTES DE FARINE DE POIS CHICHES MÉDITERRANÉENNES

Le pois chiche peut être réduit en farine (sans gluten). Celle-ci est à l’origine d’une multitude de « galettes » minimalistes que l’on retrouve notamment sur les rives nord et sud. Leur base est toujours la même : un mélange de farine de pois chiches et d’eau, avec des variations de goût et de texture selon les dilutions et les modes de cuisson. Deux familles se dessinent :

1. Dans la famille Friture, je demande… les panisses provençales et les panelle siciliennes, spécialités de cuisine de rue. Le mélange de farine de pois chiches et d’eau est cuit en bouillie, refroidi, figé et coupé en morceaux frits dans l’huile.

2. Dans la famille Cuisson au four, je demande… la farinata ligure, la cecina toscane, la fainè sarde, la socca nissarde, la cade varoise, la calentita de Gibraltar ou la calentica algérienne. Ces galettes sont élaborées avec une pâte de farine de pois chiches et d’eau légèrement huilée, versée dans un plat et cuite dans un four très chaud.

La mère de toutes ces galettes est peut-être la farinata, qui a suivi au fil des siècles les marins et migrants partis de Gênes, grand port méditerranéen, jusqu’en Amérique du Sud.

ZOOM SUR LES PANISSES ET LE CHICHI-FRÉGI DE MARSEILLE

À Marseille, les stars des galettes de farine de pois chiches, ce sont les panisses, associées notamment aux kiosques du quartier de l’Estaque. Elles y sont frites « minute », en rondelles, et servies dans des cornets de papier. De nombreux restaurants phocéens et même parisiens les taillent aussi en grosses frites. Le cuisinier provençal Gui Gedda a beau préciser, dans son ouvrage Une vie frottée d’ail (Les Éditions de l’Épure, 2024), que c’est du « manger de pauvre », les panisses ont donné leur nom à un célèbre établissement californien pas du tout pour les pauvres, Chez Panisse. En 2019, un article du magazine en ligne américain Saveur, tout aussi chic que Chez Panisse avec son nom tout aussi français, avait pour titre : « Panisse Is Here to Replace Your French Fries » (les panisses sont là pour remplacer vos frites).

Toujours à l’Estaque, le chichi frégi, long beignet sucré qui rappelle le churro espagnol en plus large et boursouflé, était vraisemblablement fabriqué, à l’origine, avec de la farine de pois chiches. La tradition semble renaître à Marseille. D’après Frédéric Mistral dans Lou Trésor dou Félibrige, l’expression chichi fregi signifie littéralement « oiselet frit » et, au sens figuré, « personne qui vit dans la gêne, petit rentier ». On retrouve là le sens du mot « chiche » quand il qualifie quelqu’un qui regarde à la dépense ou quelque chose de peu abondant. L’expression « vivre chichement », de manière chiche, en est issue, tout comme, peut-être, le mot « chichi » et le verbe « chichiter ».

→ ZOOM SUR LA CALENTICA

Autre spécialité de plus en plus en présente à Marseille : la calentica, également appelée karantika , garenteta , garantita ou autres variantes.

Depuis plusieurs années, Pizza Charly, institution familiale de Noailles, sert pour le festival Kouss.Kouss cette recette essentiellement rattachée à l’Algérie. Son nom vient de l’espagnol caliente qui veut dire « chaud ». La pâte de farine de pois chiches et d’eau est riche en liquide, parfois enrichie d’œuf et de lait, voire de fromage. Contrairement aux autres galettes cuites au four, comme la socca, la cade ou la farinata , elle forme une galette épaisse dont la consistance crémeuse rappelle celle d’un flan. Elle fait partie des incontournables de la cuisine de rue en Algérie mais aussi dans le nord du Maroc. Elle est alors souvent servie dans une baguette, poudrée de cumin moulu, avec supplément harissa ou pas.

Garanteta d’Hamza Deramchi, Marseille, 2024

… LE « CAFÉ » DE POIS CHICHES

Le café de pois chiches torréfiés puis moulus était jadis répandu dans le sud de l’Europe. En Provence, on parlait de lou cafè de cese, une appellation reprise jusqu’à Paris. Il s’agissait d’un ersatz en temps de crise ou de pénurie. Il connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, tel quel ou associé avec d’autres substituts telles l’orge ou la chicorée

Ce succédané apparaît dans quelques traités de médecine du xixe siècle. Certains auteurs précisent que c’est avec les pois chiches d’Espagne que la recette est la plus concluante, mais la préparation reste peu conforme aux attentes des gourmets.

« L’usage du café de pois-chiche (Cicer arietinum) dans le midi de l’Europe a probablement sa racine dans cette boisson hébraïque qui n’avait du café que le nom. Quoi qu’il en soit, on sait avec quelle rapidité l’usage de cette infusion s’est étendu, malgré les attaques, les incriminations, passionnées ou humoristiques, dont elle a été l’objet, peut-être à cause de ces persécutions. »

Jean-Baptiste Fonssagrives, Traité de matière médicale ou pharmacographie, physiologie et technique des agents médicamenteux, 1885 (à propos de la boisson biblique offerte par Abigaïl à David pour le calmer).

… LES CUSCUZ DU BRÉSIL

Le couscous est un grand voyageur ! Il a notamment pérégriné autour de la Méditerranée et en Afrique subsaharienne où ses variantes sont très anciennes, tant dans la confection de la « graine » que pour les recettes du plat complet.

À l’occasion de la Saison France-Brésil 2025, Kouss.Kouss se penche sur les cuscuz du Brésil. Le couscous y est arrivé via la péninsule ibérique, en raison de la présence nord-africaine au Portugal, et par le biais de la traite transatlantique.

C’est un véritable creuset culinaire célébré chaque année le 19 mars, « dia do cuscuz ».

Il est le plus souvent roulé avec de la farine de maïs, parfois de manioc ou de riz, et fait l’objet de préparations diverses, dont les plus courantes sont :

• Le cuscuz du Nord-Est : comme ceux du Maghreb, il est cuit à la vapeur dans une cuscuzeira et accompagné d’éléments variés (beurre, viande séchée, fromage, œufs…), ou parfois sucré et additionné de lait de coco.

• Le cuscuz de São Paulo est cuit, mélangé avec d’autres ingrédients (légumes, sardines, crevettes, petits pois, oignons...) et tassé dans un moule à savarin avant d’être démoulé et décoré (œufs durs, olives…). Il a été élu « pire plat du Brésil » par le guide nord-américain TasteAtlas, ce qui n’a fait que renforcer l’attachement au plat des Paulistanos.

Il existe d’autres recettes, mais aucune ne comprend traditionnellement des pois chiches. Pour avoir une chance d’y trouver le légume sec, il faut plutôt se pencher sur le « cuscuz marroquino », couscous marocain, beaucoup plus récent au Brésil. Il est alors confectionné avec de la « graine » de blé dur importée.

TERRES DE POIS CHICHES

Le pois chiche n’est pas seulement en vogue dans les cuisines : sa culture fait son grand retour dans le Midi jusqu’aux Alpes-de-Haute-Provence. On y cultive même des pois chiches noirs , une variété attachée à la région des Pouilles en Italie.

LES ATOUTS CULTURAUX DU POIS CHICHE

Si la culture du pois chiche souffre des chaleurs de plus en plus extrêmes en Afrique subsaharienne, elle est encouragée dans les régions méditerranéennes où elle est traditionnelle, et de plus en pratiquée en Provence malgré les attaques de sangliers qui découragent parfois les paysans.

La plante, dont la longue racine principale peut s’enfoncer profondément dans la terre, est résistante et adaptée aux sols pauvres. Elle ne nécessite pas de grandes quantités d’eau. Son ennemi : l’excès d’humidité.

Comme les autres légumineuses, le pois chiche fixe par ailleurs l’azote atmosphérique dans les sols, ce qui améliore leur fertilité et leur biodiversité sans engrais de synthèse. Il s’intègre bien dans les systèmes de rotation, en alternance avec les cultures gourmandes en nutriments. Il est, de plus, résistant aux ravageurs et aux maladies. La FAO considère qu’il contribue, comme les autres légumes secs, à la sécurité alimentaire des populations.

CALENDRIER DE CULTURE

Les semis se font généralement de fin février à fin mars dans les régions au climat doux, comme la Provence, puis d’avril à fin mai partout ailleurs. Un dicton du Mont-Liban indique qu’il faut attendre que les feuilles des figuiers soient grandes comme des pattes de corbeau, indiquent Robert Bistolfi et Farouk Mardam-Bey.

La plante donne des fruits sous forme de gousses qui enferment deux graines, traditionnellement récoltées sèches entre mi-juillet et début août, parfois jusqu’à septembre, à la moissonneuse-batteuse.

« Aujourd’hui le tournedos, demain, les pois chiches » !

Jean-Paul Sartre, Le Sursis, 1945

PETITE BIBLIOGRAPHIE POUR ALLER PLUS LOIN

CULTURE ET CUISINE :

Robert Bistolfi et Farouk Mardam-Bey, Traité du pois chiche, Actes Sud, 1998.

Pierre-Brice Lebrun, Petit traité du pois chiche, Éditions le Sureau, 2011.

Éric Birlouez, Petite et grande histoire des céréales et légumes secs, Quae, 2022.

RECETTES :

Claude Aubert, Fabuleuses légumineuses, avec 140 recettes traditionnelles, Terre Vivante, 2009.

Ivo Bonacorsi, Le Pois chiche, dix façons de le préparer, Les Édition de l’Épure, 2008.

Clea, Chiche !?! Pois chiches, houmous et cie en 30 recettes, La Plage, 2020.

Marie Chioca, Céréales et légumineuses, Sud-Ouest, 2021.

Régis Marcon, Céréales et légumineuses. 65 variétés, gestes et techniques, 110 recettes, La Martinière, 2018.

ET AUSSI :

Égyptologie, ésotérisme — Isha Schwaller de Lubicz, Her-Bak «Pois chiche», visage vivant de l’ancienne Égypte, Le Caire, impr. Schindler, 1950. Réédition Flammarion, Paris, 1955.

Littérature jeunesse — Nezha Lakhal Chevé (texte), Chadia Chaïbi Loueslati (illustrations), Le Voyage de Pois Chiche, Casablanca, Afrique Orient, 2014.

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