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L’Afrique subsaharienne par le menu
onze cuisiniers et cuisinières
Onze cuisiniers et cuisinières présents lors de l’événement itinérant Les Cuisines Africaines, temps fort de la Saison Africa2020, livrent sur le vif quelques souvenirs et recettes peints par Patrick Pleutin. Promenade partielle, partiale et gourmande, par-delà les préjugés, à la recherche des goûts d’Afrique.
LE GOMBO1 anto cocagne
Le gombo, dont il existe plusieurs variétés, est le fruit d’une grande plante herbacée dont les fleurs évoquent celles de l’hibiscus. On l’appelle okra dans le sud des États-Unis, lalo à La Réunion et à l’île Maurice, calou en Guyane ou calalou en Haïti. C’est un ingrédient vraiment typique des cuisines africaines, sur la quasi-totalité du continent. On le consommait ici bien avant l’esclavage et la colonisation. Il est indispensable dans certaines recettes comme l’odika gabonais, un poulet fumé au chocolat, ou encore le soupou kandia sénégalais, un ragoût aux gombos et à l’huile de palme rouge. Son goût est plutôt fade mais ses propriétés texturantes très intéressantes : il contient une substance mucilagineuse qui épaissit soupes, sauces et ragoûts sans présence d’amidon. Sa consistance gluante rebute d’ailleurs la plupart des gens en France, où l’on connaît surtout des cuisines africaines quelques plats de la diaspora, mais c’est vrai aussi pour de nombreux Africains qui en ont de mauvais souvenirs d’enfance ! Pour atténuer la viscosité du gombo, je l’utilise sous forme séchée et réduite en poudre, je le fais frire comme en Louisiane, je l’ajoute aux préparations en toute fin de cuisson ou je le fais mijoter sans ajout d’eau, comme dans cette ratatouille.
1. Vous trouverez les ingrédients des recettes ci-dessous dans les marchés d’Afrique subsaharienne, les épiceries du quartier Château Rouge à Paris dans le 18e, dans celles de Noailles à Marseille, ou encore en ligne, par exemple www.racines-shop.com ou www.alterafrica.com.
Onze Cuisiniers Et Cuisini Res
Gombos ratatouille
Pour 4 personnes, faire chauffer 3 cuillerées à soupe d’huile neutre ou de palme non raffinée. Y faire revenir 200 g d’oignon et 4 gousses d’ail, puis quelques crevettes séchées et des épices à discrétion. Ajouter 200 g d’aubergines africaines blanches coupées en petits cubes. Couvrir et laisser cuire à feu doux pendant 5 mn. Ajouter 400 g de petits gombos taillés en rondelles – au marché, pour choisir des gombos bien tendres, ma mère cassait les pointes qui devaient se rompre facilement –, 100 g de tomates hachées et 100 g de poivrons verts émincés. Saler, poivrer, couvrir et laisser mijoter pendant 10 mn. Incorporer 1 feuille de laurier et 3 branches de thym, puis terminer la cuisson à l’étouffée pendant 5 mn. Accompagner d’un foufou de gari (pâte de semoule de manioc) ou d’un autre féculent.
L’HUILE DE PALME ROUGE georgiana viou
L’huile de palme traditionnelle ou « huile rouge », que l’on utilise dans les cuisines d’Afrique de l’Ouest et centrale, n’a pas grandchose à voir avec l’huile de palme raffinée de l’industrie agroalimentaire, dont la production abîme notoirement l’environnement. Elle a des vertus nutritionnelles et, surtout, beaucoup de goût ! Au Bénin, elle apporte un parfum irremplaçable et une belle couleur orangée à certains plats, par exemple l’amiwo ou « pâte rouge » dont le nom vient de ami-, « huile », et -wo, « pâte ». Cette préparation trouve ses origines dans des couvents vaudous où, autrefois, on pochait des poulets sacrifiés dans de l’eau additionnée d’huile rouge. On préparait ensuite la pâte dans ce bouillon parfumé, avec de la farine de maïs. J’en donne une recette dans mon livre Le goût de Cotonou (Ducasse Édition, 2021). On retrouve cette huile dans certains plats brésiliens d’origine africaine, comme la moqueca de poisson, traite transatlantique oblige. Les palmiers à huile sont ori- l’afrique subsaharienne par le menu ginaires des forêts tropicales de l’Afrique de l’Ouest mais ils ont voyagé. Moi aussi. Native de Cotonou, je me suis installée en France il y a plus de vingt ans. Si ma cuisine s’inscrit pleinement dans les saveurs méditerranéennes de ma Provence d’adoption, j’aime de plus en plus utiliser certains produits typiques de l’alimentation du Bénin : gari élaboré avec du manioc, goussi ou « pistaches africaines », ou encore huile rouge comme dans cette focaccia.
Focaccia à l’huile de palme
Pour cette recette totalement inspirée de celle de mon amie Maki Manoukian, photographe culinaire, mélanger 310 g d’eau tiède et 5 g de levure boulangère déshydratée. Laisser reposer pendant 10 mn. Pétrir avec 400 g de farine T55, 100 g de farine T65, 7 g de sel et 50 g d’huile de palme rouge. Couvrir et laisser lever jusqu’à ce que la pâte double de volume. L’étaler sur une épaisseur de 1,5 cm, laisser reposer 20 mn. Faire des trous sur toute la surface avec le bout des doigts, puis laisser lever 20 mn de plus. Émulsionner 20 g d’huile d’olive, 20 g d’huile de palme et 40 g d’eau. Arroser la focaccia de ce liquide, saupoudrer de sel et de thym, enfourner pour 20 mn à 200 °C.
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Onze Cuisiniers Et Cuisini Res Jules Niang
Le mil est une céréale peu connue, que l’on avait un temps oubliée au bénéfice du riz dont la culture est plus rentable. Il suscite à nouveau de l’intérêt pour ses avantages agronomiques : domestiqué au Sahel il y a plusieurs milliers d’années, il pousse vite en se contentant de sols pauvres et de faibles pluies. Il est aussi très savoureux. Je l’utilise régulièrement dans mon restaurant Petit Ogre à Lyon, par exemple dans des chouquettes ou des crumbles, ou encore dans des tartelettes dont la pâte est élaborée avec de la farine de mil au goût intense. Je les garnis d’épinards à l’arachide et les accompagne de truite d’Isère. Ce plat parle de mon enfance au bord du fleuve Sénégal où, le soir, on partageait souvent un couscous à base de mil, accompagné d’une sauce de légumes feuilles et de poissons changeant au fil des saisons. Mais il est également ancré dans le territoire lyonnais. Dans le fond, il représente parfaitement ma cuisine. Je suis venu en France pour faire des études supérieures et, en travaillant dans la restauration pour les financer, je suis tombé dans la marmite gastronomique et j’y suis resté. Ce qui m’intéresse, c’est de construire des passerelles entre les terroirs et les continents. J’aime confronter les cultures dans une logique de dialogue, en cuisine et via les fermes que j’ai initiées en Mauritanie et au Sénégal.
Tartelettes au mil
Pour 6 tartelettes, amalgamer rapidement 70 g de farine de mil, 30 g de farine de blé, 1 bonne pincée de poudre de gombo séché, 80 g d’eau, 10 g de beurre fondu, du sel et du poivre des côtes malgaches.
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l’afrique subsaharienne par le menu
Foncer des moules de 12 cm de diamètre et cuire à blanc pendant 15 mn à 170 °C. Délayer 50 g de purée d’arachide dans 200 g de fumet de poisson chaud, laisser cuire 10 mn, ajouter 100 g d’épinards finement hachés, faire mijoter 10 mn de plus puis incorporer hors du feu 100 g d’épinards supplémentaires. Confectionner un condiment avec 50 g de truite fumée hachée, ½ oignon rouge émincé, 3 brins de coriandre ciselés, quelques graines de moutarde, du sel, le jus de ½ citron et de l’huile de noix. Saisir 4 portions de 50 g de truite fraîche, 1 mn côté peau puis 30 sec. côté chair. Griller la peau au chalumeau. Disposer dans chaque tartelette 1 cuillerée d’épinards, du condiment et de la truite. Servir aussitôt.
LES LÉGUMES FEUILLES nathalie
brigaud ngoum
Les légumes feuilles désignent des plantes dont la partie comestible est la feuille, ou simplement les feuilles de nombreuses espèces végétales sauvages ou cultivées. Ils sont omniprésents dans l’alimentation de l’Afrique subsaharienne, où près de mille d’entre eux sont consommés. Ils sont résistants et poussent vite, souvent près des habitations, et demandent peu de travail et d’arrosage. De plus, ils possèdent des vertus médicinales aussi bien que nutritionnelles. Sur les marchés ou les étals au bord des routes, ils sont parfois classés sous des dénominations génériques comme « légumes du village » ou « épinards africains ». Auparavant rejetés par une certaine élite qui les considérait comme une nourriture de classe inférieure, ils sont lentement réhabilités, depuis quelques années, dans le contexte de valorisation des mets et produits locaux. Je suis émue de les évoquer car je viens d’un pays, le Cameroun, où plusieurs délices les mettent en valeur. C’est le cas du plat national, le ndolé, qui désigne à la fois un mets et une plante que l’on trouve beaucoup au Cameroun et au Nigeria. On l’appelle ver- onze cuisiniers et cuisinières nonie en français et bitter leaves (feuilles amères) en zone anglophone. Bien cuisiné, le ndolé est un poème. Mais la recette que j’ai envie de partager, une création de mon cru, met en avant un autre légume feuille que l’on trouve en Afrique subsaharienne sous diverses appellations : folong, béwolè, bitekutéku… Il s’agit de l’amarante, facile et rapide à cuisiner.
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Béwolè ou folong en salade
Pour 1 personne, faire blanchir rapidement une vingtaine de feuilles d’amarante dans de l’eau bouillante additionnée d’une pincée de sel gemme ou de bicarbonate alimentaire. Les verser dans une passoire, les rincer à l’eau froide, les presser et les laisser égoutter. Les mélanger avec 1 petit oignon rouge coupé en brunoise et les arroser avec une vinaigrette au choix. Dresser harmonieusement à l’aide d’un emportepièce, ajouter quelques tranches de tomate, des cacahuètes pour le croquant et un tour de moulin de poivre blanc, par exemple de Penja.
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LE FONIO chef binta onze cuisiniers et cuisinières
J’ai développé une véritable passion pour le fonio lorsque j’étais enfant, pendant la guerre civile en Sierra Leone. Il était difficile de sortir de la maison pour acheter à manger et, de toute façon, la nourriture n’était pas toujours disponible. Le riz que nous avions sous la main était insuffisant et rempli de cafards. Mais cette expérience a fait de moi la cheffe que je suis. J’ai vu et compris dans ma chair à quel point la cuisine peut rassembler les gens et faire tomber les murs. Les voisins se réunissaient pour mutualiser leurs ressources et préparer des repas communs. À un moment, le conflit est devenu si dur que ma famille et moi avons dû aller vivre dans notre village d’origine, en Guinée. Nous sommes très nombreux –plusieurs centaines de cousins ! – et, pour sustenter tout ce monde, nous avons planté dans la ferme de ma grand-mère du fonio, une céréale ancienne, traditionnellement produite et consommée en Afrique de l’Ouest. Elle nous a nourris pendant deux ans. J’en suis devenue l’ambassadrice en connaissant concrètement ses vertus nutritives. Je suis convaincue que le fonio est l’une des réponses aux défis climatiques et de sécurité alimentaire. Il pousse très rapidement, n’a pas besoin de beaucoup d’eau, résiste bien aux maladies et à la sécheresse. Il est également meilleur pour les sols que le riz ou le maïs. Il est aujourd’hui omniprésent dans ma cuisine.
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Salade de fonio
Rincer 500 g de fonio puis le cuire à la vapeur avant de le laisser refroidir. Le mélanger avec 3 belles poignées de feuilles de pissenlit hachées, 150 g de tomates cerises coupées en deux, 200 g de noix de cajou grillées et concassées, 2 mangues pelées et coupées en cubes, quelques oignons verts ciselés, 1 poignée de feuilles de coriandre et 1 autre de menthe. Servir cette salade avec une sauce composée de 3 cuillerées à soupe d’huile d’olive, 1 cuillerée à soupe de jus de citron, 2 cuillerées à soupe de miel, ½ cuillerée à café de sel et 1 cuillerée à soupe de poivre noir.
LE MANIOC olivia de souza
Originaire de l’actuel Brésil, le manioc a été introduit dans le Golfe de Guinée à partir du xvie siècle. Ce tubercule se consomme sous plusieurs formes, dont deux résonnent particulièrement dans mon histoire. Je suis née en Côte d’Ivoire de parents togolais et je porte en moi cette double culture. L’attiéké, une semoule de manioc précuite à la vapeur, a bercé mon enfance ivoirienne. Je le mangeais sur le stand d’une vendeuse de rue avec les copains du quartier, accompagné de poisson frit, de crudités et d’huile « de moteur » –c’est ainsi que l’on appelait l’huile de friture noircie par les utilisations successives ! L’année dernière, j’ai pu pour la première fois emmener mes enfants, ensemble, à Abidjan. Notre première sortie ? Nous sommes allés partager un garba ou attiéké au thon, un plat très populaire en Côte d’Ivoire. En tant que Togolaise, je suis aussi très attachée au gari, une autre semoule de manioc, cette fois torréfiée. Au Togo, les familles disent qu’il faut en envoyer aux enfants partis vivre ailleurs, par exemple pour leurs études. Le gari ne nécessite pas de cuisson : il suffit de le mouiller et de l’agrémenter d’ingrédients du garde-manger, comme une boîte de sardines, l’afrique subsaharienne par le menu pour constituer un repas. Le gari foto est préparé avec de l’omelette et une salsa de tomate, oignon et piment. Quant au pinon, c’est une sorte de polenta de gari cuite avec une sauce. Pour le petit déjeuner, on garnit le gari de lait, sucre et cacahuètes. Humidifié avec de l’eau puis additionné de glaçons, de jus de citron et de cacahuètes, c’est mon goûter préféré.
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Gari dossi
Verser 1 verre d’eau sur 2 cuillerées à soupe de gari. Sucrer à discrétion, arroser de jus de citron, mélanger et ajouter des glaçons. Laisser gonfler quelques instants mais pas trop : il faut qu’il reste un peu de liquide. Parsemer de cacahuètes grillées avant de déguster.
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LES CHENILLES merlin ella
Les chenilles, fraîches, séchées ou fumées, sont traditionnellement cuisinées dans plusieurs pays d’Afrique. En Afrique centrale, notamment, elles contribuent de longue date à la sécurité alimentaire des populations. D’une manière générale, l’entomophagie, c’est-à-dire la consommation d’insectes, c’est l’aventure de demain ! Ceuxci sont riches en protéines, comme la viande ou le poisson, mais sans impact négatif pour l’environnement. Il me semble que, pour les personnes non habituées, les chenilles sont plus faciles à appréhender que d’autres insectes. Quand elles sont fumées, elles développent des arômes de noisette. Au Gabon, on accommode surtout les chenilles du karité – les larves de lépidoptères se nourrissent de feuilles et d’autres parties d’arbres, arbustes et plantes. Dans la province du Haut-Ogooué, on apprécie beaucoup le nkoumou, un plat portant le nom du légume feuille avec lequel il est confectionné. Les chenilles et les feuilles sont incorporées dans un bouillon très parfumé qui contient des crevettes, du poisson fumé et un peu d’huile de palme rouge. C’est très savoureux mais, pour faire apprécier les chenilles aux néophytes, je conseille plutôt des recettes dans lesquelles elles sont camouflées, comme ces beignets.
Beignets de chenilles
Pour 4 personnes, faire macérer la veille, dans de l’eau tempérée, 100 g de chenilles fumées. Les rincer trois fois à l’eau claire et les l’afrique subsaharienne par le menu égoutter. Faire chauffer un filet d’huile dans une poêle. Y faire revenir 1 oignon émincé et 3 gousses d’ail en chemise. Incorporer les chenilles et les faire sauter pendant 2 mn, puis ajouter 1 branche de thym effeuillée. Saler, poivrer et débarrasser sur du papier absorbant. Préparer une pâte à frire. Y tremper les chenilles puis les frire dans une huile bien chaude. Quand elles sont dorées, les égoutter et les déguster sans tarder pour l’apéritif, avec un vin blanc sec, telles quelles ou accompagnées d’une sauce tomate pimentée.
LA BANANE PLANTAIN prisca gilbert
La banane plantain est plus épaisse, longue et ferme que la banane dessert. Sa couleur change en fonction de la maturité, du vert au noir en passant par le jaune. Sous la peau, la chair, qui présente une meilleure tenue en cuisson, est moins sucrée et plus riche en amidon. Elle a bercé mon enfance et nourri ma cuisine car on l’utilise beaucoup en Côte d’Ivoire, sous toutes ses formes : mûre et frite en morceaux pour le célèbre alloco – l’un des plats nationaux –, accommodée en beignets pour le klaklo, bouillie pour l’akpessi, pilée pour le foutou ou le foufou, braisée au charbon de bois pour le blissi, en papillote pour l’apiti… Quant aux chips fines et croustillantes de banane plantain, aux arômes délicats et presque floraux, ce sont les snacks numéro un de la street food ivoirienne. On en trouve à tous les coins de rue, où les tranches de banane sont frites dans de l’huile de palme ou d’arachide. J’en raffolais quand j’étais enfant. Je les sers souvent avec du poisson grillé, par exemple du mérou, et un moyo composé de tomates, oignons et concombres pour apporter de la fraîcheur. Elles existent aussi en version sucrée. Elles sont alors élaborées avec des bananes plus mûres.
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Chips de banane plantain
Éplucher 1 banane plantain verte et la tailler en fines tranches, dans la longueur, à l’aide d’une mandoline. Les faire tremper dans un bol d’eau froide pendant 10-15 mn. Les égoutter, les déposer dans un plat et les saupoudrer de 2 pincées de sel. Faire chauffer ½ l d’huile pour friture dans une poêle. Y frire les tranches de banane pendant 5 mn. Quand elles sont bien dorées, les égoutter sur du papier absorbant. Les laisser refroidir.
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l’afrique subsaharienne par le menu
Les S Cheries Et Conserves Halieutiques
clarence kopogo
Pendant trente ans, je n’ai pas mis un pied en Centrafrique, mais je suis restée connectée à mon pays d’origine grâce à la langue et surtout la cuisine. En Afrique subsaharienne, poissons, crevettes et coquillages, pêchés en mer ou en eau douce, sont conservés en abondance grâce à différents procédés, mis en œuvre seuls ou combinés : salaison, séchage, fumaison, fermentation. Ces trans formations traditionnelles sont souvent assurées par les femmes qui en tirent des revenus. Des initia tives sont menées pour pré server les savoir-faire tout en sensibilisant les populations aux bon nes pratiques sanitaires et à la préservation de l’environnement. En cui sine, ces produits sont utilisés en guise de condiments ou comme sour ces de protéines animales. sénégalais, adjovan béninois… : leur utilisation est codifiée et associée à des plats particuliers. Pour moi, ils ont le goût typique des cuisines africaines et des plats des mamans, avec un côté à la fois rassurant et corsé. Ils sont notre régions du monde le garum ou le nuoc-mâm. De véritables exhausteurs de goût ! Ici, en France, j’aime utiliser des poissons fumés locaux pour retrouver cette saveur du continent, en ajoutant un produit 100 % africain comme dans ce consommé.
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onze
cuisiniers et cuisinières
Consommé de poisson fumé
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Réunir dans une marmite des têtes et arêtes de poisson frais, une ou deux carottes, un bouquet garni et, si possible, un poisson séché africain (bonga, sardinelles). Ajouter du maquereau fumé – je l’adore, il me rappelle le moto moko préparé en Centrafrique par les Congolais, avec un fumage et un séchage très rapides qui lui donnent une texture ultra-fondante. Couvrir d’eau, porter à ébullition et faire réduire à frémissement pendant plusieurs heures. Servir le consommé filtré et bien chaud dans des petits bols, avec quelques moules juste ouvertes ou d’autres coquillages, ainsi qu’un soupçon d’huile de palme rouge en finition.
LE NIÉBÉ glory kabe
J’ai redécouvert le niébé ou haricot cornille – black-eyed pea en anglais – à Salvador de Bahia, où je me suis installée lorsque j’ai décidé de devenir cuisinière. Je me suis sentie immédiatement chez moi dans cette ville intensément afro-brésilienne, qui était autrefois le premier port d’esclaves des Amériques. Je suis également tombée amoureuse de la cuisine locale, dont de nombreuses spécialités sont issues de plats africains. Il y a plusieurs centaines d’années, nos sins ont quitté le continent et ont décidé de porter avec fierté la culture qu’ils avaient sée derrière eux, voyant notamment l’afrique subsaharienne par le menu
Gare aux clichés, même quand ceux-ci sont de bonne volonté ! L’Afrique subsaharienne n’est pas une zone préservée de la modernité alimentaire, pour le meilleur et pour le pire. Le bouillon Maggi, par exemple, est une star de l’assaisonnement dans les marmites du continent, au grand dam de nombreux chefs qui, comme Anto Cocagne, militent pour réhabiliter les mélanges d’épices et autres pâtes condimentaires traditionnelles. À l’autre bout de l’échelle des représentations, l’Afrique est présente dans le secteur du luxe gastronomique, y compris avec des produits inattendus sous ces latitudes. Le Malgache Lalaina Ravelomanana, premier chef africain intronisé par l’Académie culinaire de France, est ainsi l’ambassadeur de Rova Caviar, dont l’aventure a commencé en 2009. La ferme d’esturgeons, installée à Madagascar dans le lac Mantasoa, à mille quatre cents mètres d’altitude, comprend aujourd’hui plusieurs espèces. « Quand le projet a été lancé, tout le monde était mort de rire, confie Lalaina. Aujourd’hui, le premier caviar africain séduit des chefs du monde entier. Sa longueur en bouche est exceptionnelle et sa texture remarquable. Je le travaille par exemple en glace, de l’entrée jusqu’au dessert. » leurs recettes, produits et savoir-faire. Le niébé, utilisé par exemple dans les beignets appelés acarajés au Brésil et akara dans plusieurs pays africains, en fait partie. Originaire d’Afrique, il appartient à la famille des légumineuses et partage avec elles une forte teneur en protéines végétales, ce qui fait de lui un produit incontournable de ma cuisine afro-végan. C’est d’ailleurs au Brésil, l’un des pays de la grillade de viande rouge nommée churrasco, que j’ai paradoxalement décidé de devenir végan ! J’utilise le niébé dans des pains plats, des beignets, des gnocchis, du houmous ou encore le red red, un ragoût épicé d’origine ghanéenne que je sers avec de la farofa, l’équivalent au Brésil du gari de manioc, et de la banane plantain.
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Mais aussi...
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Onze Cuisiniers Et Cuisini Res
Houmous de niébé
La veille, faire tremper 200 g de haricots niébé dans une grande quantité d’eau froide. Les égoutter et les cuire à l’eau jusqu’à ce qu’ils soient bien tendres. Faire confire 2 gousses d’ail au four avec leur peau, à 180 °C, pendant 30-40 mn. Elles doivent être brunes à l’extérieur et fondantes à l’intérieur. Mixer les haricots égouttés, l’ail refroidi et pelé, le jus de 1 citron jaune, 45 g de tahini, 45 ml d’huile d’olive et du sel. Goûter et rectifier l’assaisonnement avant de servir.
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LE RIZ marianne mbaye
Je suis née au Sénégal, dont deux des plats emblématiques sont élaborés avec du riz : d’une part le yassa, d’autre part le thiéboudiène ou ceebu jën en wolof – littéralement « riz au poisson » –, inscrit en décembre 2021 sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Le riz est très consommé en Afrique subsaharienne et notamment celle de l’Ouest, sous forme de grains entiers ou de brisures. L’espèce africaine (Oryza glaberrima) y a été domestiquée au troisième millénaire avant notre ère. Elle est encore cultivée dans certaines zones, par exemple la Casamance, mais beaucoup moins que la variété asiatique (Oryza sativa) introduite par les Portugais entre les xve et xviiie siècles. Cette production reste toutefois insuffisante pour les besoins du continent en raison de l’absence d’organisation d’une filière locale et de la démographie galopante. On importe donc du riz, surtout d’Asie, mais certains pays développent des projets pour essayer de l’afrique subsaharienne par le menu retrouver une souveraineté alimentaire. En 2013, j’ai écrit un recueil de recettes consacré au sujet, Le riz, dix façons de le préparer, paru aux Éditions de l’Épure.
Mon « truc de riz »
Laver 50 g de riz pour le débarrasser de son amidon. Le laisser tremper une nuit. L’essorer et le cuire 5 mn dans 1,5 l d’eau bouillante. Le laisser reposer pendant 15 mn hors du feu, à couvert. Le filtrer en gardant l’eau de cuisson, l’assaisonner avec une pincée de sel et une autre de sucre, puis le mixer avec l’eau et filtrer à nouveau : on obtient du lait de riz. Celui-ci peut être servi chaud, nature ou salé, avec des arachides bouillies, légèrement brisées et beurrées. Sucré, par exemple avec du sucre complet, il se déguste chaud ou froid, agrémenté avec du chocolat ou du beurre de cacao, ou encore du beurre de cacahuète et quelques « casse-dalles » écrasés (pralines, nougat, caramel…). Il peut également être relevé de poudre du fruit du baobab. En réduisant le volume d’eau au moment de mixer, on obtient un appareil épais, à utiliser pour créer des entremets ou à servir avec une gelée de fruits rouges.
Les illustrations de ce menu ont été réalisées par l’artiste Patrick Pleutin, qui peint principalement à partir de performances réalisées in situ, comme ici, pour Les Cuisines Africaines, dans les cuisines d’Anto Cocagne ou Clarence Kopogo. Grand habitué de nos nourritures et ustensiles du quotidien, qu’il dessine régulièrement pour M, le magazine du Monde, il compose au fil des années une cartographie poétique du goût et des gestes, cheminant aussi bien dans les marchés d’Analakely, à Madagascar, que sur les routes d’Auvergne à la rencontre des producteurs.