Lire la traduction – voici l’expérience heureuse que ce livre explore. Cette expérience se trouve largement niée par un discours critique qui jauge la lecture en traduction à partir de normes méthodologiques ou morales (‘fidélité’, ‘adéquation’ ou ‘justesse’) qui toutes valorisent l’identification, l’assimilation de la traduction à l’original et donc son idéale indistinction. Les descriptions de la traduction en termes de ‘transport’, de ‘passages’, etc. tendent elles aussi à la considérer comme une médiation transparente et donc indifférente pour le lecteur. En outre, les notions principales de la poétique – ‘voix’, ‘auteur’, le rapport entre littérature et langue – se trouvent élaborées comme si la traduction n’offrait aucun plaisir spécifique. La jouissance des œuvres littéraires et philosophiques se replie et s'immobilise ainsi dans le triste carré de l’origine : un texte, une langue, une écriture.