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J’ai peur de la mort
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Du même auteur : André Gide nous interroge, Lausanne, Cahiers de la Renaissance vaudoise, , préface de Gilbert Guisan Albert Camus dans sa lumière, Lausanne, Cahiers de la Renaissance vaudoise, Simone de Beauvoir ou le refus de l’indifférence, préface de S. de Beauvoir (« On me lira mieux vous ayant lu. »), Paris, Fischbacher, Art et religion, Libourne, Imprimerie Libournaise, Connaître Sartre, Paris, Resma/Centurion, ; Verviers, Marabout, Christianisme - Marxisme, Nicolas Berdiaeff, Paris, Le Centurion, Silence de Dieu - parole humaine, Lausanne, L’Âge d’Homme, Du Golgotha à Guernica : foi et création artistique, Paris, les Bergers et les Mages, Christianisme spirituel et christianisme social, la prédication de Wilfred Monod, Genève, Labors et Fides, (dédié à André Malet) Le culte à chœur ouvert. Introduction à la liturgie du culte réformé, Paris/Genève, Les Bergers et les Mages/Labor et Fides, Nicolas Berdiaeff ou de la destination créatrice de l’homme, Lausanne, L’Âge d’Homme, Pour un christianisme en fêtes, Paris, Église réformée de la Bastille, Le protestantisme, Paris, Flammarion (Dominos ), , traduit en allemand et en portugais Albert Schweitzer, Paris, Desclée de Brouwer, Le protestantisme, la foi insoumise (avec Raphaël Picon), Paris, Flammarion (Champs ), La bénédiction du mariage. Sens et enjeux de la célébration religieuse, Lyon, Olivétan, L’athéisme nous interroge. Beauvoir – Camus – Gide – Sartre, Paris, Van Dieren, Le protestantisme : ce qu’il est, ce qu’il n’est pas, Carrière-sous-Poissy, La Cause, « Le choix de l’existentialisme », in Evangile et liberté. Trois parcours pour un christianisme crédible (avec André Gounelle et Bernard Reymond), Paris,Van Dieren, , préface de Jean Baubérot. © . Van Dieren Éditeur, Paris/Laurent Gagnebin Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction ou traduction sans autorisation écrite préalable de l’éditeur de tout ou partie de ce texte par quelque moyen que ce soit est illicite et pourra faire l’objet de poursuites.
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J’ai peur de la mort
VAN DIEREN ÉDITEUR, PARIS
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À Odile Chardenot
« C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés, et en mille formes diverses. » Jacques-Bénigne Bossuet, Sermon sur la mort et la brièveté de la vie, .
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J’ai mis au moins dix ans pour écrire ce petit livre. Il m’en faudrait autant, au moins, pour qu’il soit vraiment le livre que je voulais écrire. Mais dans dix ans je serai peut-être ou probablement mort.
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I.
III. Convictions
Résurrection ou immortalité de l’âme ? Foi et doute Sola gratia (« par la grâce seule »)
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La peur de la mort et j’ai peur de la mort Une « violence indue » Aliénation religieuse Contourner la mort
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II.
La peur de vieillir et j’ai peur de vieillir Un discours lénifiant Ce que vieillir implique Jeunisme Une fringale de voyages La prétendue sagesse des vieux
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UN DISCOURS LÉNIFIANT
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Quand on parle de la mort et du vieillissement, je trouve que, trop souvent dans le cadre du christianisme, on entend des paroles édulcorantes, qui dorent la pilule. Dans un sens, la vieillesse serait un âge merveilleux. Le psychanalyste Paul-Laurent Assoun, dans un ouvrage collectif intitulé Comment accepter de vieillir ?, a parfaitement raison, à mon avis, de s’insurger contre cela en évoquant « le fait irrévocable de la vieillesse, qui fait contraste avec les discours euphémiques actuels sur le vieillissement ». Devant ce « fait », on se heurte fréquemment à un déni, un évitement et une fuite. Freud n’a-t-il pas eu raison de dire l’« horreur de la vieillesse » dans une lettre à Lou Andreas-Salomé datée du mai et le général de Gaulle, en reprenant une affirmation tirée des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, d’y voir un « naufrage » (Mémoires de guerre) ? Pourtant, il s’agit d’abord de savoir de quelle vieillesse on parle. Assurément, avec ces propos si lénifiants et anesthésiants, de la vieillesse d’un grand nombre de personnes, en oubliant celle, si importante, des
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malades, voire des grands malades, des victimes de la dépendance, de la démence sénile, de la maladie d’Alzheimer, de la pauvreté et de la misère, de la violence, de la solitude, par exemple. Dans l’ouvrage collectif cité plus haut, l’avocat et écrivain Jean-Denis Bredin écrit : « La vieillesse est peut-être le lieu privilégié des inégalités naturelles, mais aussi des inégalités sociales. » Est-il si beau de vieillir ? Oui, peutêtre, quand on est un privilégié. Je me rappelle une interview de l’actrice Danielle Darrieux à laquelle un journaliste demandait comment elle vivait son grand âge. Elle répondit, sans se plaindre, qu’elle voulait ne penser alors qu’à celles et ceux qui n’avaient pas eu la chance de parvenir au sien et qui, pourtant, l’auraient probablement bien voulu et mérité. C E Q U E V I E I LL I R I M P L I Q U E
Vieillir implique la diminution drastique des possibles. Les jeux sont faits pour l’essentiel : les choix, les libertés se rétrécissent durement. Je me souviens de cet âge où tout était encore ouvert devant moi : faire ou ne pas faire tel métier, me marier ou non, avec telle ou telle femme, habiter ici ou là, etc. C’est peutêtre la raison pour laquelle, contrairement à tant de personnes, j’aime déménager ; changer de domicile, de cadre, c’est un peu recommencer une autre vie et même changer de visages rencontrés quand on fait ses courses dans des magasins jusque-là inconnus, sans parler des visages et des voix de nouveaux voisins. On fait des découvertes en habitant un autre lieu ou un autre quartier, on se fait de nouveaux amis ; ce
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fut mon cas à Paris où j’habite depuis plus de cinquante ans. J’ai eu la chance d’avoir quatre domiciles différents dans la capitale. Celui où je suis maintenant sera probablement le dernier ; je veux dire avant une éventuelle, voire inévitable maison de retraite. J’aurais aimé en avoir davantage. Vieillir, c’est l’apprentissage progressif des « plus jamais ». Simone de Beauvoir évoque très exactement cela dans ses mémoires intitulés La force des choses :
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LA PEUR DE VIEILLIR
Chaque nuit, je m’endors en me disant : « Me réveilleraije demain ? » Le matin, je pense, et cela quasiment chaque jour : je vis encore, et j’en suis alors infiniment reconnaissant. En regard de ce fait et de l’émerveillement qu’il m’apporte, j’ai parfois l’impression que les soucis, les difficultés et les peines de la journée à venir ne font pas le poids. Cela n’empêchera pas la terre de tourner, comme on dit. Mes angoisses s’évanouissent alors, même si la réalité quotidienne, parfois si dure, reprend rapidement le dessus avec son lot inévitable de problèmes divers. Mais cette joie matinale éclaire malgré tout les travaux et les jours.
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Oui, le moment est arrivé de dire : jamais plus ! Ce n’est pas moi qui me détache de mes anciens bonheurs, ce sont eux qui se détachent de moi : les chemins de montagne se refusent à mes pieds. Jamais plus je ne m’écroulerai, grisée de fatigue, dans l’odeur du foin ; jamais plus je ne glisserai solitaire sur la neige des matins. Jamais plus un homme. […] Maintenant, les heures trop courtes me mènent à bride abattue vers la tombe.
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J’ai failli m’évanouir la première fois que quelqu’un s’est levé pour me céder sa place dans le métro. J’ai accueilli comme une nouvelle à la fois bonne et mauvaise les paroles de mon fils quand il m’apprit au téléphone avec beaucoup de précautions que j’allais être… grand-père. J’avance en âge, inexorablement. Je regarde les gens dans le métro, dans la rue, à table au cours d’un repas, insouciants au restaurant, et je me dis : pensent-ils qu’ils vont mourir un jour ? Une certaine insouciance est-elle si admirable, voire évangélique ? Vieillir impose, malgré tout et malgré nous, une gravité à notre existence. Bossuet a raison d’écrire : « C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés, et en mille formes diverses. » (Sermon sur la mort et la brièveté de la vie, .)
Comme je pense chaque jour, et cela depuis des années et des années, à la mort et à ma mort, je suis profondément habité par la question suivante : comment vais-je mourir ? Dans mon lit (c’est si rare), dans un accident, brutalement et d’un coup, à l’hôpital (probablement), après une longue et douloureuse maladie de plusieurs semaines, mois, entièrement dépendant (depuis combien de temps ?), avec des tubes et des tuyaux partout, conscient ou en ayant perdu la raison, seul ou accompagné, apaisé ou terrorisé, que sais-je ? Oui, que sais-je ? Je regarde passer les ambulances dans la rue et me demande qui elles transportent et pourquoi. Quelles seront mes dernières pensées, mes dernières paroles ? D’ailleurs, les autres se posent-ils eux aussi ce genre de questions, traversent-
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LA PEUR DE VIEILLIR
elles parfois leur esprit ou vivent-ils tranquillement sans elles comme si de rien n’était, ou, peut-être plutôt, les fuient-ils sitôt qu’elles se présentent à eux ? Je n’ose pas trop les interroger à ce sujet de crainte de paraître bien sombre et rabat-joie, terriblement indiscret, et de violer une intimité parce que l’on n’ose pas souvent avouer, surtout quand on est croyant, que l’on a peur de la mort. On suppose que l’on ne peut pas dire une chose pareille à un pasteur ou à un prêtre, puisque croire serait croire à la vie éternelle d’abord. On a peur d’être jugé par lui. Alors on cache, puis finalement on se cache la vérité. J’ai parfois l’impression que bien des personnes jouent la comédie devant un clerc, quel qu’il soit, quand il est question de cette peur de la mort. La perte des autres augmente mois après mois. Elle est de plus en plus fréquente au fur et à mesure que les années passent et passent si rapidement. Je pense au titre du livre autobiographique de Gisèle Casadesus : Cent ans, c’est passé si vite… Oui, j’aimerais tellement vivre encore très longtemps pour connaître le monde de demain avec, par exemple, ses inventions techniques, ses aventures spatiales, informatiques, culturelles, tout simplement humaines, ses beautés malgré tout. Je ne me complais pas dans une attitude passéiste. Je vis avec mon temps, me passionne pour beaucoup de ses dimensions, politiques et sociales, religieuses et artistiques, matérielles et spirituelles. J’essaie ainsi de me renouveler avec lui et non pas de me réfugier dans un passé révolu. Je ne suis pas de ceux qui répètent inlassablement « de mon temps » (à savoir « c’était tellement mieux naguère »), pour se plaindre de tout et
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de rien dans l’actualité, au point que l’on regrette presque qu’ils soient encore en vie. Parents, amis, proches, voisins, collègues disparaissent les uns après les autres. La mort d’êtres aimés ou non, connus personnellement ou non, vient toujours trop tôt, trop vite ; elle me paraît si souvent injuste. Je suis parfois davantage accablé par leur mort que par la mienne qui s’annonce. Cela me préoccupe et me tourmente. Je regarde alors les vivants en m’interrogeant sur leur avenir. Mais eux, tous ces autres, précisément, ne semblent pas véritablement inquiets. Estce possible ? Cela dit, les morts nous renvoient, qu’on le veuille ou non, à notre propre mort. On ressent fortement cela à l’heure d’un service funèbre. Et cette pensée, ce sentiment, s’accompagne parfois d’un autre : un sentiment de solitude et même d’abandon. Chaque minute de plus est une minute de moins. La conscience de cette fuite du temps donne du prix à chaque instant de notre vie. C’est important de s’en rendre compte, d’en prendre conscience. C’est ce que montre si bien Simone de Beauvoir (la mort – et par là l’amour de la vie – est le grand thème de son œuvre) dans son roman Tous les hommes sont mortels ; le héros est immortel et vit une existence sans valeur et sans goût, sans authentique raison de vivre. Il déclare ainsi dans les dernières lignes du livre : Je ne pouvais pas risquer ma vie, je ne pouvais pas leur sourire, il n’y avait jamais de larmes dans mes yeux ni de flamme dans mon cœur. Un homme de nulle part, sans passé, sans avenir, sans présent. Je ne voulais rien ; je n’étais
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personne. J’avançais pas après pas vers l’horizon qui reculait à chaque pas ; les gouttes d’eau jaillissaient, retombaient, l’instant détruisait l’instant, mes mains étaient à jamais vides. Un étranger, un mort. Ils étaient des hommes, ils vivaient. Moi je n’étais pas des leurs. Je n’avais rien à espérer.
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LA PEUR DE VIEILLIR
On a l’habitude de railler, voire de condamner, surtout dans les milieux chrétiens, le jeunisme. Se teindre les cheveux, tout faire pour enlever les rides sur son visage et son cou, pour faire disparaître les taches de vieillesse sur ses mains, toutes ces opérations de rajeunissement, dont la principale est le lifting, contrarient l’ordre natu-
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JEUNISME
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Le fait d’être mortel et même d’avoir à redouter la mort rend la vie, chaque minute de notre existence, unique et irremplaçable, lui apporte une saveur exceptionnelle. La démonstration de Simone de Beauvoir, face à sa terreur (que je comprends si bien) devant la mort, est une sorte de démonstration par l’absurde. Vieillir est angoissant et cruel quand on aime la vie et qu’on a la chance de pouvoir l’aimer. Il s’agit, comme l’a écrit Paul Ricœur dans un de ses derniers textes, de « demeurer vivant jusqu’à la mort ». Et l’on ne se console pas avec les paroles faciles qu’on vous dit concernant la vie éternelle. Cette dernière, d’ailleurs, est-elle toujours si enviable, attractive et réjouissante que cela ? Surtout quand on vous la peint comme une réalité ennuyeuse, terne ou, alors, infernale, comme c’est si souvent le cas.
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rel des choses et seraient scandaleuses parce qu’artificielles. Si je comprends une part de ces critiques, je ne saurais purement et simplement dire du mal de ce jeunisme et encore moins en rire. Il y a là l’expression de la peur de vieillir et, indirectement, de mourir. Cela manifeste plutôt une révolte, parfois pathétique et pitoyable, mais combien compréhensible. Faisons attention, dans notre critique du jeunisme, de ne pas tomber dans un mépris du corps, si fréquent chez les chrétiens privilégiant une sorte de spiritualisme exsangue et désincarné. On ne peut oublier que le christianisme est une religion de l’incarnation et que prendre soin de son corps qui vieillit n’a rien de condamnable. Il ne s’agit pas, au nom d’une religion de l’Esprit, de donner prise à un travers, si fréquent chez les croyants, revenant à dévaloriser les réalités terrestres, ce qui est matériel ou physique, et surtout sexuel. Il y a dans le christianisme une tension entre un certain détachement et un certain attachement. Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais les deux. Ni fuite hors de ce monde ou ascétisme excessif et infidèle à l’Évangile, à l’exemple de Jésus ; ne soyons pas plus chrétiens que le Christ ! Ni soumission à ce qui est, en oubliant que la foi est aussi une forme de résistance. Résistance et soumission, pour reprendre le titre significatif d’un livre de Dietrich Bonhoeffer (). Le théologien protestant, résistant au nazisme, montrait avec ces mots extraits d’une de ses fameuses lettres de prison qu’il est difficile de savoir où passe exactement dans notre vie le curseur entre la soumission et la résistance à ce qui est (voir à ce sujet la lettre du février à son ami Eberhard Bethge).
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Le christianisme ne pratique-t-il pas d’ailleurs une certaine religion du jeunisme au point qu’il est presque scandaleux, sacrilège et blasphématoire d’imaginer Jésus vieux, édenté, chauve et ventripotent à l’heure de sa mort ? Il est, pour beaucoup, un héros toujours jeune et beau. L’art l’a mille et mille fois magnifié ainsi. Une tradition ancienne voulait que l’on ressuscitât, quelle que soit l’âge auquel on serait mort, à l’âge du Christ crucifié : à trente-trois ans. Et non pas, bien sûr, à l’âge canonique auquel Moïse serait parvenu : cent vingt ans ! U N E F R I N G A LE D E VOYA G E S J ’ A I PE U R DE L A MO RT •
LA PEUR DE VIEILLIR
C’est devenu le rêve de beaucoup de personnes âgées : faire des voyages. Il y a là, certes, cette volonté très belle de rester « vivant jusqu’à la mort ». Tant de possibles, de découvertes, de terres inconnues s’offrent encore à nous ! Mais n’y a-t-il pas aussi, pour un certain nombre de personnes âgées et de retraités, une fuite devant la mort qui se rapproche chaque jour davantage ? Non, se dit-on, je suis encore jeune et libre. Je perçois parfois dans cette bougeotte permanente, dans cette fringale de voyages et de « croisières » vers des terres lointaines, une sorte de manière de s’étourdir au lieu de regarder la réalité en face. Dans ses souvenirs intitulés À Paris et ailleurs, le pasteur Wilfred Monod (-) raconte s’être arrêté un jour devant le cadran de l’horloge de la Gare d’Orsay (aujourd’hui transformée en musée) à Paris et avoir alors compris ce que signifiait cette hâte, cette ruée des hommes vers l’inconnu :
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Je comprends, maintenant, pourquoi les bateaux et les véhicules, pourquoi les bêtes et les gens, vont devant eux, pêle-mêle, vite, vite, et toujours plus vite : ils fuient la marée montante, le flux qui vient, perfide, irrésistible, le souffle de l’abîme, la Mort.
Blaise Pascal affirme dans ses Pensées que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». Je dois reconnaître, il est vrai, que certaines personnes âgées concilient heureusement cette soif de voyages avec un travail quotidien, exigeant, créateur, dans leur bureau. Mais cela me paraît assez exceptionnel. Il est sûr et certain qu’il faudra bien et malgré tout s’arrêter un jour. Il serait bon, peut-être, de savoir s’y préparer avant d’y être contraint malgré soi. De toute façon, d’une manière ou d’une autre, on meurt toujours un peu en cours de route. Ne parle-t-on pas de la mort en l’appelant le dernier voyage ? L A PRÉTENDUE SAGESSE DES VIEUX
On ne cesse de dire que la vieillesse est un âge heureux parce qu’il est celui de l’expérience et de la sagesse. C’est surtout celui des médecins consultés, quand ce n’est pas celui de séjours à l’hôpital, de douleurs et de maux physiques de plus en plus nombreux, d’une diminution de nos forces. Ce serait, paraît-il, si beau de vieillir et de conjuguer pour les siens et ses proches la mémoire (quand on en a encore) et l’expérience de la vie. Ce jugement sur la sagesse des vieux me paraît fortement exagéré et passa-
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LA PEUR DE VIEILLIR
blement faux. Un dame âgée m’écrivait ceci récemment : « On dit que la vieillesse apporte la sagesse. Je n’en suis pas sûre. Je crois qu’elle apporte le doute, les interrogations et de ce fait le découragement. » Je me rappelle ce collègue, qui, durant tout son ministère pastoral, fut le représentant d’une ferme orthodoxie. Une fois à la retraite, connaissant, lui aussi, ces « interrogations », il me déclara : « Comment veux-tu qu’à un certain âge on ne devienne pas libéral ? On se demande même comment on a pu si longtemps croire tout ce que l’on a cru ! » Nous sommes à une époque étrange. On y vit ce jeunisme évoqué plus haut et, en même temps, on admire et célèbre avant tout les vieillards : l’abbé Pierre, Albert Schweitzer, Sœur Emmanuelle, Mère Teresa, Théodore Monod, Stéphane Hessel, par exemple. Tous ont connu une renommée et une gloire tardives, je veux dire dans le cadre d’une réputation qui dépassait les frontières de ceux qui les connaissaient déjà et les admiraient à juste titre. Mais où était leur prétendue sagesse ? Ne furent-ils pas admirés pour leur folie, parce qu’ils avaient eu le courage d’être déraisonnables (comme Jésus, d’ailleurs) et d’aller au bout de leur idéal, voire de leur rêve d’adolescent ? Révoltés, ils le furent à bien des égards comme peuvent l’être précisément des jeunes. C’est bien cela qui fit une grande part de leur réputation tardive. Dans l’ouvrage collectif cité plus haut, le pasteur Alain Houziaux écrivait : « En fait, la vieillesse autorise une certaine liberté. L’homme âgé est libre parce qu’il n’a plus rien à perdre, ni à gagner, ni même à conserver. » Cela me paraît juste. Mais toutes ces personnes âgées,
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parfois très âgées, ont eu une seule sagesse, celle de ne pas être sages et de garder intacte en elles une certaine vertu d’indignation et de révolte. Elles ne se sont pas résignées. La prétendue sagesse de tant de femmes et d’hommes âgés, de la grande majorité d’entre eux probablement, est hélas et le plus souvent une forme de démission, de soumission à ce qui est, de lucidité blasée et sans espoir, d’attitude souriante, mais désabusée et résignée. Avoir l’air sage n’est pas nécessairement l’être. Dans les Souvenirs de mon enfance, Albert Schweitzer (-) écrit à ce sujet une page admirable qu’il m’est arrivé de citer à l’occasion de cultes de confirmation et de distribuer aux jeunes adolescent(e)s qui venaient de vivre ainsi une étape importante de leur vie.Voici cette page qui m’a profondément marqué : Je suis convaincu que notre effort de la vie entière doit viser à conserver à nos pensées et à nos sentiments leur fraîcheur juvénile. Cette conviction fut en tout temps pour moi une source de bons conseils. Instinctivement j’ai toujours veillé à ne pas devenir ce qu’on appelle un homme mûr. L’expression mûr appliquée à l’homme m’a toujours inspiré et m’inspire encore un vague malaise. Mon oreille y perçoit des dissonances douloureuses ; maturité me semble synonyme d’appauvrissement, de déchéance, d’usure intellectuelle et morale. Le spectacle que nous offre d’ordinaire un homme mûr, c’est une raison faite de désillusions et de résignation. On se
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LA PEUR DE VIEILLIR
modèle l’un sur l’autre en abandonnant l’une après l’autre les pensées et les convictions qui furent chères au temps de la jeunesse. On croyait au triomphe de la vérité ; on n’y croit plus. On avait foi dans les hommes ; on a perdu sa foi. On croyait au bien ; on n’y croit plus. On était zélé défenseur de la justice ; zèle éteint. On avait foi dans la bonté et la tolérance ; on n’y croit plus. On était capable d’enthousiasme ; c’est fini. Pour naviguer plus sûrement à travers écueils et tempêtes, on a jeté du lest, on a précipité par-dessus bord des biens dont on jugeait pouvoir se passer ; mais c’étaient les provisions de bouche, la réserve d’eau. On navigue plus léger, mais vers la famine et l’inanition. Dans ma jeunesse, j’ai entendu, entre adultes, des conversations qui m’étreignaient le cœur d’une indicible tristesse. Ils reconnaissaient dans leur idéalisme d’autrefois et leur capacité d’enthousiasme des biens précieux qu’ils auraient dû conserver. Mais en même temps il leur semblait nécessaire de les avoir abandonnés. La peur me saisit alors de me voir, un jour, réduit à regarder mon passé avec la même tristesse. Je résolus de ne pas me soumettre à la tragique nécessité de devenir un homme raisonnable. À ce vœu, qui n’était presque que bravade d’adolescent, j’ai essayé de conformer ma vie.
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Je me dis souvent qu’à un certain âge le meilleur jugement que l’on puisse porter sur notre existence passée est de se demander ce que penserait de nous aujourd’hui l’adolescent(e) que nous fûmes.
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U N E « V I O LE N C E I N D U E »
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Une « violence indue », c’est ainsi que Simone de Beauvoir désigne la mort, même, précise-t-elle, quand nous y consentons (Une mort très douce). Elle est partiellement rejointe, dans ce jugement que je partage, par Jean-Denis Bredin. Il écrit, toujours dans l’ouvrage collectif déjà cité, que « mourir peut être une forme de violence même pour ceux qui ont la foi ». Il est exact que la foi n’est pas nécessairement une réalité qui facilite la manière de penser sa mort et la mort. Surtout quand on aime la vie ou quand on a la chance de pouvoir l’aimer. Cela dit, je voudrais souligner en passant qu’« avoir la foi » n’est pas une expression que je trouve très heureuse. La foi n’est-elle pas une réalité qu’on ne peut précisément pas avoir, posséder comme un objet inanimé, comme une chose assurée et… morte, que l’on pourrait perdre de la même manière d’ailleurs ? Croire ou ne pas croire me paraît plus juste que de dire avoir ou ne pas avoir la foi. Je relis fréquemment le beau sonnet de Heredia intitulé Le lit et dans lequel se trouve cet alexandrin : « C’est là que tout commence et là que tout finit. » Devant le berceau d’un nouveau-né, je me redis avec
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effroi : « Je ne sais rien de son avenir si ce n’est une seule chose : qu’il mourra un jour. » Chaque berceau est déjà orienté vers la mort et bascule vers la tombe. Devant cette réalité implacable, la foi ne saurait être une solution de facilité pour nous rendre cette mort inéluctable moins terrible. Ceux que l’on regarde s’en vont vers leur mort, donc s’éloignent de nous même quand ils ont l’air de s’en approcher, tout s’en va, depuis le début s’en va. Ce n’est rien de désespérant, cette pensée. C’est une pensée simple. Elle ne retient pas d’aimer, au contraire. (Christian Bobin, La folle allure.)
À Gethsémané, comme l’écrivent très exactement les évangiles, Jésus lui-même a connu tristesse, angoisse, larmes, anxiété et trouble. Sur la Croix, il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Cette parole a beau être une citation (du premier verset) du psaume , cette interrogation est là, terrible. On se plaît, bien entendu, à en édulcorer la dureté et la détresse humaine en insistant sur le fait que ce psaume est conclu par un hymne de confiance. La question posée à Dieu par Jésus n’en demeure pas moins là dans toute sa présence et sa vibrante interpellation. Et c’est ce début du psaume qui est cité et non pas la suite. Il serait absurde et scandaleux de prétendre que cette Croix ne fut pas si dramatique que cela pour Jésus, puisqu’il savait, comme il l’avait, d’après les évangiles, annoncé à plusieurs reprises, qu’il allait ressusciter. Comme s’il ne s’agissait là pour lui que d’un mauvais moment à passer.
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La mort est bien ressentie comme une « violence indue » et j’ai toujours de la peine à croire ceux qui me disent qu’elle leur semble si naturelle, aller de soi, n’avoir rien de scandaleux ou de mystérieux, voire d’inquiétant. Dans son livre Vivre avec la mort. Le défi du Nouveau Testament (), l’exégète Daniel Marguerat cite le pédagogue suisse Claude Pantillon qui a écrit en :
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Un reproche régulièrement adressé aux croyants consiste à soutenir que leur foi en Dieu et en la vie éternelle n’est en fait qu’une manière de conjurer leur peur de la mort. On s’invente ainsi, consciemment ou non, une divinité et un « Ciel » pour n’avoir pas à affronter la réalité de notre condition mortelle et terrestre. Nietzsche fait dire à son héros, qui nous apostrophe sous la forme d’une prédication enflammée, au début d’Ainsi parlait Zarathoustra : « Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne
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A L I É N AT I O N R E L I G I E U S E
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Oui, la mort reste un mystère, un scandale, une angoisse qui ne perd point de sa force, et l’Évangile n’a rien d’un vaccin contre sa morsure. Jamais on ne dispose de la mort, elle est impossible à rationaliser, à justifier, à expliquer, et même alors tout cela ne lui ôte pas sa pointe. D’ailleurs, les mourants révoltés, scandalisés, criant leur amertume et leur détresse, sont là pour nous le rappeler, et déranger tous les amateurs de tranquillité.
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croyez pas ceux qui vous parlent d’espoirs supraterrestres ! Ce sont des empoisonneurs, qu’ils le cachent ou non. » C’est là une des dimensions de l’aliénation religieuse : ne pas assumer notre monde et notre humanité dans leur finitude. Albert Camus a montré, plus particulièrement dans Le mythe de Sisyphe en , que pour lui l’espoir d’une vie après la mort est en fait une manière de désespérer de notre vie présente. Camus apparaît comme le chantre le plus marquant, après Gide et Les nourritures terrestres, d’un amour de la terre et du présent ; et cela dans une opposition clairement exprimée à un certain christianisme. Son essai comporte en exergue une citation significative, à laquelle on n’a pas toujours prêté l’attention qu’elle mérite. Elle place tout le livre sous l’égide d’un appel emblématique. Elle est du poète de l’Antiquité grecque Pindare : « Ô mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible. » L’essai camusien traite de l’absurde considéré ici comme « un point de départ » et Camus refuse là le suicide qui consacrerait un désespoir. On se rappelle les derniers mots du livre affirmant, malgré tout, qu’il « faut imaginer Sisyphe heureux. » Sisyphe avait pourtant été condamné à rouler éternellement en haut d’une montagne un rocher qui en dévalait aussitôt et inexorablement la pente. Tâche absurde s’il en est ! On pense ici à une affirmation attribuée à Nietzsche, sans que j’aie jamais pu en trouver la source : « Faire, avec le désespoir le plus profond, l’espoir le plus invincible. » Dans Noces déjà, en , Camus célébrait son alliance et sa volonté d’union avec la terre, s’opposant à un
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divorce que l’absurde voudrait exprimer ; il écrivait là : « S’il y a un péché contre la vie, ce n’est peut-être pas tant d’en désespérer que d’espérer une autre vie, et de se dérober à l’implacable grandeur de celle-ci. » On ne saurait être plus clair pour interroger l’espérance chrétienne. Dans Le mythe de Sisyphe, il appellera « suicide philosophique » cette foi qui, selon lui, fuit notre condition terrestre en entretenant l’espoir d’une survie et d’un au-delà. « La précipitation dans le divin et l’éternel » lui paraît être ce qu’il désigne par les mots de saut, dérobade, évasion, tricherie. « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face », écrit La Rochefoucauld. J’écris ici cette citation que j’aurais pu mettre ailleurs, parce que la mort est partout présente dans l’œuvre de Camus et parce que le soleil est le héros principal de ses livres. Il convient de noter que pour Camus, contrairement à ce que pensent souvent les chrétiens, l’absence d’espoir ne se confond pas avec le désespoir. Tout le combat de Camus vise précisément, et cela à travers la révolte, le dépassement d’un nihilisme que le refus d’une survie pourrait, à bien des égards, comme on serait tenté de le penser, signifier. L’absence d’espoir, que manifeste la condamnation infernale de Sisyphe, « n’a rien à voir avec le désespoir », écrit Camus. Elle exprime un courage, un défi, une volonté. Et il ajoute : « Être privé d’espoir, ce n’est pas désespérer. » Cela dit, cette position de Camus n’a rien à voir avec un optimisme facile. Il y a beaucoup de force, de grandeur et, surtout, d’honnêteté dans ce choix camusien. Devant une telle attitude, que je respecte profondément, je préfère m’interroger : je me demande en
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effet si une certaine croyance chrétienne à l’enfer et ses peines éternelles n’est pas infiniment plus désespérante que la position de Camus. On y désespère d’ailleurs davantage de Dieu que de l’être humain. Rien ne m’a jamais paru plus désespéré dans la foi chrétienne. Est-ce vraiment cela la foi en Dieu et en la vie éternelle ? C’est bien là plutôt une espérance désespérée, une espérance qui n’en est pas une, une fausse espérance et l’horreur d’une survie. Les prêtres ont beaucoup utilisé la prédication de l’enfer et des peines éternelles pour terroriser et soumettre les fidèles. Jean Delumeau a parlé de cette « pastorale de la peur » dans son livre magistral La peur en Occident paru en . L’enseignement de bien des prêtres pourrait, sur ce point, se résumer ainsi : si vous nous obéissez et êtes bien sages, c’est-à-dire soumis à l’Église et à son clergé, Dieu vous le rendra et vous aurez ainsi gagné et mérité le paradis. Surtout, par conséquent, ne vous révoltez pas, disait-on aux chrétiens d’alors, plus particulièrement aux plus pauvres et aux miséreux pour lesquels grondera et arrivera bientôt, et enfin, le temps des libérations et de justes révoltes. C O N TO U R N E R L A M O RT
En lisant attentivement des faire-part de « décès », j’ai remarqué que très souvent le mot « mort » en était absent. On vous y annonce la mort de quelqu’un comme pour vous dire qu’il n’est pas mort. Faut-il voir là, indirectement, une foi en une vie éternelle qui ne se dit pas ? On y parle de disparition, départ, dernier voyage ; on vous dit que ce proche a été enlevé (par
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qui ?) à l’affection des siens, qu’il a été rappelé par Dieu, comme si Dieu décidait de notre mort. Dieu at-il véritablement « rappelé » à lui les six millions de juifs exterminés par les nazis pendant la guerre de - ? On vous parle même de « retour auprès du Père », comme si Dieu n’était pas présent dans notre vie avant notre mort. J’ai d’ailleurs lu un jour le texte suivant dans un faire-part assez comique et pour le moins paradoxal : « Nous avons la tristesse de vous annoncer le retour auprès du Père de… ». On n’écrit pas le mot « mort », mais celui plus soft de « décès ». Tout cela participe de l’étrange conviction qui se dit à travers le titre du fameux livre de Raymond Moody, La vie après la vie. On ne conçoit pas d’écrire la vie après… la mort. N’est-ce pas pourtant la vérité ? Mais on la contourne. Ce contournement de la mort, je le perçois dans bien des prédications de services funèbres. On contourne en effet cette réalité d’une « violence indue » et le scandale qui peut s’y attacher. Je me rappelle ces deux services funèbres d’un parent à moi ; ils eurent lieu, l’un, en province dans la campagne où ce parent avait passé une grande partie de sa vie et où vivait encore de nombreux proches, des membres de sa famille, des amis ; l’autre, à Paris, dans le temple de la paroisse où il avait vécu adulte et où il était fortement engagé, entouré, là aussi, de proches, d’amis, de fidèles, de son épouse et de ses enfants plus particulièrement. Dans le premier culte, le pasteur évoqua clairement le scandale de la mort d’un homme encore jeune, brutalement et injustement arraché aux siens par un cancer. Dans le second, en parlant à peine
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de cette mort, le pasteur se précipita sur l’affirmation consolante de la vie éternelle. Témoin de ces deux services funèbres, j’ai interrogé la veuve si durement frappée et lui ai demandé lequel de ces deux cultes lui avait véritablement parlé. Elle me répondit sans hésiter le premier. Le second ne confirmait-il pas, en réalité, cette aliénation religieuse et cette fuite devant l’événement de la mort, fuite qu’on a mille et mille raisons de nous reprocher ? Jésus, d’après les évangiles, a lutté sans cesse contre la mort et pour la vie, affirmant invariablement une foi en un Dieu de vie. J’ai demandé un jour à mes étudiants en théologie d’inscrire chacun sur un papier, mais en deux ou trois mots seulement, ce que représentait Jésus pour eux. Je n’ai jamais oublié celui qui avait écrit ceci : « Un grand oui à la vie ». Jésus fut un révolté, mais celui d’une révolte positive, dynamique, créatrice, une révolte pour la vie et non pas nihiliste. « Souffre et meurs sans parler », dit Alfred de Vigny dans la conclusion de son poème La mort du loup. Rien de plus contraire à l’esprit des évangiles et d’un christianisme authentique. Nous n’acceptons pas la souffrance et la mort « sans parler », sans protester, sans révolte. Le christianisme, à cet égard, n’a rien à voir avec le stoïcisme. Et cette révolte est d’abord celle de Jésus et de Dieu. Le pasteur Roland de Pury a écrit un beau petit livre intitulé Job ou l’homme révolté. On pourrait en écrire un qui aurait pour titre : Jésus ou l’homme révolté et même un autre Dieu ou le Dieu des révoltes.Voici une page de cet ouvrage que je relis et cite inlassablement, plus particulièrement quand je pense à mon dialogue avec l’athéisme contemporain
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(voir par exemple mon livre L’athéisme nous interroge. Beauvoir, Camus, Gide, Sartre) :
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En parut en français le livre de Elisabeth KüblerRoss (-), Les derniers instants de la vie. Elle y décrivait entre autres les étapes du deuil, qu’il s’agisse de celui par lequel passent les mourants ou de celui des personnes qui connaissent un deuil. Ces étapes sont peut-être davantage des états que des étapes, car elles ne se suivent pas nécessairement dans l’ordre signalé là et peuvent ainsi être plus ou moins vécues en même temps : le refus et l’isolement, l’irritation et la révolte, le marchandage, la dépression et, enfin, l’acceptation, voire l’espoir. J’ai toujours estimé que la révolte était un état décisif et pouvait représenter quelque chose d’indépassable devant la mort.Vouloir
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Quand on se rappelle l’extraordinaire violence des cris de Job et son réquisitoire brandissant impitoyablement tous les arguments de l’athéisme, face aux paroles si souvent édifiantes, si profondément religieuses, si propres à justifier Dieu, de ses amis, on ne peut alors s’empêcher de penser que Dieu est plus souvent du côté de ceux qui l’attaquent que du côté de ceux qui le défendent, et qu’il est certainement des athées plus proches de la vérité chrétienne que bon nombre d’apologètes chrétiens. Qu’il est des révoltés que Dieu préfère aux gens soumis de ses Églises, et des malheureux criant dans leur angoisse et dans leur nudité qui témoignent de lui plus valablement que les avocats trop sûrs de leur affaire.
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l’esquiver n’est-ce pas se refuser à sa vérité et à la vérité ? Je dois avouer que je suis le plus souvent incapable – grave faiblesse, probablement, diront certains – de mener à son terme ce que Freud appelle si justement le « travail de deuil », qu’il s’agisse de morts ou d’amours et d’amitiés évanouies. Oui, c’est bel et bien un travail très exigeant et difficile, qui ne va pas de soi, ne se fait pas tout seul, qui demande du temps et des efforts. Je reste révolté par la mort des autres et non pas seulement par la mienne à venir. Chose étrange, même la mort de personnes que je n’aimais pas spécialement me révolte, surtout, bien sûr, quand elle les frappe encore jeunes. Je suis triste pour elles. Je le reste. Je n’arrive pas à l’admettre, à m’y faire, à parvenir à cet état de l’acceptation sereine. Je trouve plutôt dans cette sérénité une sorte de résignation. De toute façon, on n’a pas le choix. Mais je frémis toujours et encore de révolte et d’indignation devant la mort. Je disais à une chère amie très âgée : la seule manière d’accepter la mort est de ne pas l’accepter. Elle, qui savait aimer la vie et les autres, me donna entièrement raison. Elle acquiesça sans réserve.
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R É S U R R E C T I O N O U I M M O RTA L I T É D E L’ Â M E ?
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En paraissait un livre du professeur de Nouveau Testament Philippe Henri Menoud ; il eut alors un certain retentissement : Le sort des trépassés d’après le Nouveau Testament. Quelques années plus tard, en , l’exégète du Nouveau Testament et spécialiste de l’histoire de l’Église ancienne Oscar Cullmann prolongeait cette réflexion en publiant : Immortalité de l’âme ou résurrection des morts ? Le témoignage du Nouveau Testament. La thèse directrice de ces deux livres était que le Nouveau Testament proclame la résurrection des morts, corps et âme (l’âme étant mortelle, elle aussi), et non pas l’immortalité de l’âme, conception étrangère aux Écritures et relevant d’une philosophie grecque (Platon principalement) et non pas de la mentalité sémitique propre à l’univers biblique. Même si la grande majorité des gens imagine que la vie éternelle est liée étroitement à l’immortalité de l’âme, cela est faux, estimaient ces deux auteurs. En , un autre exégète, Marie-Émile Boismard, reprenait le débat en s’appuyant sur toute la Bible et non pas sur le seul Nouveau Testament : Faut-il encore parler de « résurrection » ? Les données scripturaires. Boismard montrait là que les choses n’étaient
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pas si simples et nettes, que le Nouveau Testament parlait aussi bien de résurrection des morts que d’immortalité de l’âme, allant même jusqu’à conjuguer étrangement ensemble, comme c’est parfois le cas chez Paul, ces deux représentations. En ce qui me concerne, je comprends parfaitement qu’on ait de la peine à adhérer à l’idée de la résurrection de milliards et de milliards d’êtres humains (pour ne parler que des êtres humains) et qu’il paraisse plus facile, voire plus logique, de parler d’immortalité de l’âme et des âmes. Il me semble que nous avons, en voulant être fidèle aux différents témoignages bibliques, le choix entre deux grandes conceptions opposées de la vie éternelle. Notons en passant que la réincarnation, si partagée par tant de gens aujourd’hui, n’est pas une donnée biblique. Puisque nous avons ce choix, j’opte pour ma part pour le plus improbable et le plus impensable, à savoir la résurrection des morts. Pourquoi ? Peu m’importe bien sûr, en parlant de résurrection des morts, que mes orteils, mon foie ou mes poumons ressuscitent, même sous une autre forme. De toute façon, nous n’en savons absolument rien. Il s’agit bien en l’occurrence de choisir. L’idée de résurrection fait entendre une vérité qui m’est chère et rejoint en effet le sola gratia (« par la grâce seule ») de la Réforme. Nous n’avons pas en nous-mêmes (l’âme), et encore moins par nous-mêmes, de quoi survivre à notre mort. La vie éternelle est alors comprise comme une recréation corps et âme, mais dont Dieu seul est l’auteur. S’il s’agit bien d’une recréation, me dira-t-on, qu’y a-t-il de commun entre celui que j’ai été avant
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ma mort et celui qui sera ainsi totalement recréé ? C’est là qu’apparaît cette notion décisive consistant à croire que ma réalité la plus profonde et ultime n’est pas en moi, mais en Dieu. Ce qu’il y a de commun entre ce que je fus et ce que je serai, c’est Dieu. Dieu est le véritable trait d’union entre les deux. Ma survie ne dépend pas de moi, de mes actions, de mes mérites. Un autre aspect, très important, de la résurrection des morts par rapport à l’affirmation de l’âme immortelle, c’est qu’elle nous conduit à prendre au sérieux notre corps. C’est là que je trouve à cette idée une signification très suggestive et riche de sens. Il ne s’agit pas en effet de considérer simplement ce qu’une telle affirmation déclare, mais bien ce qu’elle veut dire, ce qu’elle signifie, son sens. Je sais que l’expression « résurrection des corps » n’est pas biblique. Il s’agit en effet dans la Bible de « résurrection des morts ». Mais la représentation, bien naïve, il est vrai, de la résurrection des corps nous fait entendre quelque chose de fondamental : aux yeux de la Bible tout entière, notre corps est une réalité essentielle. Le christianisme, comme je l’ai déjà brièvement signalé à deux reprises, n’est pas un spiritualisme désincarné et exsangue. Notre condition physique, corporelle, matérielle, sexuée, n’est pas une grandeur indifférente et méprisable. L’Incarnation est là pour nous le rappeler : « La Parole a été faite chair » (Jean ,). Il me semble qu’il y a très souvent, le plus souvent même, dans la proclamation de l’immortalité de l’âme un message volontiers dévalorisant vis-à-vis de la totalité de notre condition humaine. Un spiritualisme
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exclusif n’est pas biblique. Le christianisme est à la fois matérialiste et spiritualiste. De manière richement paradoxale, il n’est pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. La résurrection des corps ne m’enseigne pas un message pour demain, car je ne sais rien sur ma vie future, si ce n’est qu’elle est en Dieu, tout comme ma vie présente. Elle est un message pour aujourd’hui m’invitant à ne pas sacrifier dans le temps présent et dans notre monde le corps à l’âme, la vie terrestre à la vie éternelle, à ne pas tomber dans cette aliénation religieuse dont j’ai dit déjà quelques mots plus haut. Il s’agit là, à ce sujet, d’un aspect complémentaire où se révèle l’importance des Nourritures terrestres (Gide) et des Noces (Camus) avec la terre. J’aime cette anecdote, combien significative, selon laquelle un pasteur trouva inscrits dans l’ordre du culte de la liturgie d’une paroisse ces mots : « À la fin du culte, le pasteur descend de chaire et serre la main des âmes. » FOI ET DOUTE
Dans le livre déjà cité, Daniel Marguerat écrit nettement : « Ce que nous savons de l’après-mort tient en un seul mot : rien. » C’est bien cela qui fait une grande part de notre angoisse devant la mort, cette peur de l’inconnu, cette impossibilité de savoir, cette nécessité où nous sommes d’avoir purement et simplement à croire. Nous aimerions tant nous abriter dans le confort d’un savoir et de la preuve. Le doute fait partie de la foi. Elle ne s’oppose pas à lui, mais plutôt le suppose. La foi est, à bien des égards,
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un doute dépassé, « le refus d’un refus » (François Mauriac). La foi dit oui en dépit de tout ce qui nous pousse à dire non. Le penseur et théologien suisse Alexandre Vinet (-) a écrit dans son Essai sur la manifestation des convictions religieuses : « Là où l’incrédulité est impossible, la foi est impossible aussi. » Le théologien et philosophe Paul Tillich (-) va plus loin ; pour lui, la foi n’est pas seulement un doute surmonté, mais bien intégré à la foi, inséparable de l’événement du croire. Il écrit ainsi : « Croire, c’est embrasser la foi et le doute à son sujet. » La foi et le doute ne se contredisent pas nécessairement ou fondamentalement. Face à la vie éternelle, la tentation de la preuve est puissante : nous aimerions croire sans plus avoir à croire. Nous redoutons la foi toute nue. Mais la foi est un risque, un courage. Nous n’avons pas à dire « je sais » là où en réalité il s’agit d’un « je crois ». La foi, le doute et la peur de la mort sont solidaires. C’est ce qu’illustre l’opéra de Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites, créé en à la Scala de Milan sur un livret tiré d’un scénario de Bernanos qui mourut en sans connaître, par conséquent, la version lyrique de ce drame. L’origine de cet opéra réside dans un fait historique : le martyre des Carmélites de Compiègne emprisonnées à la Conciergerie, puis guillotinées pendant la Révolution française en .Tout le drame, avec le martyre futur des Carmélites, se noue dès le premier acte avec le moment saisissant et emblématique de la mort de la prieure à qui, comme elle le dit, « fait si misérablement défaut le courage ». C’est ainsi, « absolument
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seule, sans aucune consolation », dans l’absence de Dieu qui « s’est fait lui-même une ombre » que meurt cette Mère supérieure. Toute sa vie de prière, de recueillement, de vie conventuelle ne lui est d’aucun secours au moment de la mort. Nous avons là une sorte de démonstration par l’absurde concernant la vanité des œuvres méritoires, d’une part, et nos assurances à l’heure ultime de notre vie, d’autre part. Cette prieure qui devrait être une croyante par excellence nous montre que la foi n’est pas une assurance tous risques, qu’elle ne nous met pas à l’abri des terreurs que la mort peut susciter en nous. Jésus luimême, comme le rappellera la nouvelle prieure, « a eu peur de la mort » au Jardin des Oliviers. À Mère Marie qui lui demande de ne s’inquiéter plus « désormais que de Dieu », la prieure répond avant de mourir dans une sorte de blasphème accusateur : « Qu’il s’inquiète d’abord de moi ! » Ses derniers mots seront : « peur de la mort ». On a rarement montré avec une telle force cette peur de la mort que connaissent aussi les croyants, comme je l’ai déjà souligné plus haut avec une citation de Jean-Denis Bredin. S O L A G R AT I A ( « PA R L A G R Â C E S E U LE » )
La peur de la mort, c’est en fait l’angoisse d’un double néant : ne pas savoir et ne plus être. Je ne pourrai même pas me dire « je suis mort ». Prendre au sérieux ce néant n’est pas étranger à l’affirmation du sola gratia. Cette vie future ne dépendant pas de moi, je m’en remets totalement à Dieu. C’est en lui que je vis et que je vivrai.
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La mort est aussi une « anarchiste », comme l’écrit Amos Oz dans son livre intitulé Entre amis (). Nos mérites sont là, en effet, impuissants, et l’auteur de préciser : « La mort n’est pas sensible aux statuts, aux richesses, au pouvoir ni aux titres ronflants ; nous sommes tous égaux à ses yeux. » J’ai toujours été choqué par la vaine et dérisoire présence de décorations sur certains cercueils, par l’énumération de titres divers dans certains faire-part de décès, par les monuments, parfois du plus mauvais goût, érigés en souvenir ou à la gloire de certains morts dans les cimetières. Il convient devant la mort de se détacher de son moi, dans la mesure où ce moi voudrait encore faire valoir quelque chose et se glorifier. Non pas pour dépersonnaliser la mort et les morts, bien sûr ; ce qui serait faux et simplement inhumain. La Réforme a unanimement condamné le culte des morts. Le service funèbre est fait d’ailleurs pour les vivants et non pas pour les morts. Ce culte a cristallisé en effet ce que la Réforme a principalement combattu et refusé : l’idée que nos œuvres, nos actions, nos mérites, la puissance de nos rites ou leur efficacité peuvent influencer Dieu et nous obtenir, même post mortem, ses faveurs. Les morts sont confiés à la seule grâce de Dieu. Le cimetière, quant à lui, est l’expression d’une réalité collective, assurément. Il appartient à une histoire qui nous dépasse. Mais il correspond aussi à l’inscription des morts (avec leur prénom et leur nom, leurs dates de naissance et de mort) dans un espace social, qui n’a rien d’anonyme, par conséquent. Cet espace est à la fois profane et sacré, commun, objectif ; il transcende
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ainsi nos individualités, mais ne les efface pas. Le cimetière dit une continuité et une permanence, une épaisseur temporelle, une fraternité, la reconnaissance plus ou moins consciente d’une vie éternelle qui nous lie à notre passé et à notre avenir, à la vie souvent alors figurée par des fleurs. Elles expriment une espérance ; ces fleurs ne sont-elles pas un symbole qui dit la vie malgré tout, le dynamisme créateur de Dieu ? Même s’ils ont une dimension collective, le cimetière et ses tombes ne nous vouent pas à l’anonymat, et cela tout en transcendant finalement, et heureusement, nos frontières religieuses et profanes. Pour ma part, je préfère être enterré qu’incinéré. Serait-ce pour avoir l’illusion qu’ainsi je ne suis pas tout à fait mort et réduit en cendres, c’est-à-dire à rien ? Je laisse aux psys le soin d’interpréter cet ultime souhait. Dans Vivant jusqu’à la mort (), livre publié après sa mort, le philosophe Paul Ricœur écrivait peu de temps avant de mourir des mots où la grâce dominait ; rien là de très étonnant sous la plume d’un protestant : Seulement l’idée de la grâce. La confiance dans la grâce. Rien ne m’est dû : je n’attends rien pour moi ; je ne demande rien ; j’ai renoncé – j’essaie de renoncer ! – à réclamer, à revendiquer. Je dis : Dieu, tu feras ce que tu voudras de moi. Peut-être rien. J’accepte de n’être plus.
À l’occasion de tous les services funèbres que j’ai présidés depuis , j’ai lu une prière (ici très légèrement modifiée) du pasteur Charles Wagner (-
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recueillie dans Devant le témoin invisible (éd. posth.). Écrite en , elle a été retrouvée, après sa mort, dans ses papiers ; je la connais par cœur et me la redis jour après jour : )
Mon Dieu ! Quand je dormirai du sommeil qu’on nomme la mort, c’est en toi que j’aurai mon repos. Tes bras me tiendront comme ceux des mères tiennent les enfants endormis. Et tu veilleras.
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Ta volonté est mon espérance, mon lendemain, mon au-delà, mon repos et ma sécurité. Car elle est vaste comme les cieux et profonde comme les mers, les soleils n’en sont qu’un pâle reflet et les plus hautes pensées des hommes n’en sont qu’une lointaine image. En toi je me confie. À toi je remets tout.
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Et de ce que j’aurai été, moi, pauvre apparence, ignorée de moi-même et réelle en toi seul, tu feras ce que tu voudras.
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Ta bonne main réparera mes fautes. Tu feras neiger des flocons tout blancs sur les empreintes de mes pas égarés ; tu mettras ta paix sur les jours évanouis, passés dans l’angoisse.
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Sur ceux que j’aime et que j’aurai laissés, sur ceux qui me chercheront et ne me trouveront plus, sur les champs que j’ai labourés, tu veilleras.
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Peter L.
L’Impératif hérétique. Les possibilités actuelles du discours religieux. Le Christianisme social. Une approche théologique et historique. .
Klauspeter John B.
Thomas pris de doute. Dieu et le monde. André
Après la mort de Dieu Édition nouvelle avec une postface de l’auteur. Dans la Cité. Réflexions d’un croyant. Le Dynamisme créateur de Dieu. Essai sur la théologie du Process. Éd. entièrement revue. Parler de Dieu. Nouvelle édition revue et augmentée. Parler du Christ. Penser la foi. Pour un libéralisme évangélique. Penser le Dieu vivant. Mélanges offerts à André Gounelle (dir. : M. B OSS et R. P ICON ). Christiaan L. Voix fantômes. La littérature à portée d’oreille. Christian Cristallographie(s). (Montesquieu, Certeau, Deleuze, Foucault, Valéry). Stéphane Au-delà du lesbien et du mâle. La subversion des identités dans la théologie « queer » d’Elizabeth Stuart. Luis
Religion sans rédemption. Contradictions sociales
et rêves éveillés en Amérique latine. Raphaël
Le Christ à la croisée des religions. Christologie et pluralisme dans l’œuvre de John Cobb. Tous théologiens. Plaidoyer pour une théologie « populaire ». Bernard
Sur la trace des théologies libérales. Robinson Crusoé. Le Ciel vu de mon île déserte. À la découverte de Schleiermacher. Troeltsch et la théologie en modernité Friedrich D. E. De la Religion. Martin La Mise en évidence. La norme moderne à l’épreuve de l’Antiquité grecque. Ernst Traité du croire (Glaubenslehre) Le christianisme, l’histoire et les grandes religions. Conférences britanniques. La philosophie sociale du christianisme. Conférences de et . Mario Le Couteau et le stylet. Animaux, esclaves, barbares et femmes aux origines de la rationalité scientifique . Bernhard
Topographie de l’étranger. Études pour une phénoménologie de l’étranger. www.vandieren.com Cet ouvrage a été imprimé dans l’Union européenne, sur les presses numériques de l’Imprimerie ISI.:Print à La-Plaine-Saint-Denis (France) pour le compte de van Dieren Éditeur, à Paris. ---- • dépôt légal ⁄